Magazine Voir Montréal V03 #04 | Avril 2018

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MONTRÉAL VO3 #O4 | AVRIL 2O18 LA VIE UTILE BARS-SPECTACLES DAVE CHOSE LE TIGRE BLEU DE L’EUPHRATE DÉTERRER LES OS LA CABANE À SUCRE SE RÉINVENTE ODE À LA CANTINE HUBERT REEVES LAURENT CANTET BHARTI KHER

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LYDIA KÉPINSKI


OÙ SE TROUVE LE QUÉBEC ? Le meilleur produit concocté par les gens de votre voisinage, cette bonne bière brassée par des artisans qui vous étonnent, ce fromage que vous avez goûté et qui vous a laissé un souvenir impérissable, ces bouteilles de vin trouvées au hasard de vos promenades, ce restaurant où on concocte un plat dont seul le chef a le secret. Dès juin 2018, Mishmash Média lancera une toute nouvelle plateforme intitulée Tour du Québec. Prenez part à l’aventure. Participez avec nous à la découverte de tous les recoins du terroir et du territoire.

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MONTRÉAL | AVRIL 2018

RÉDACTION

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Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections restos, art de vivre et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnateur des contenus: René Despars Correctrice: Marie-Claude Masse

Vice-présidente - Ventes: Valérie Brasseur Adjointe / Coordonnatrice aux ventes: Karyne Dutremble Conseillers aux solutions médias: Alexandra Labarre (comptes majeurs), Miriam Bérubé, Aimé Bertrand, Maxime Alarie, Daniel Di Tullio, Céline Lebrun (comptes culturels).

COLLABORATEURS

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Ralph Boncy, Christine Fortier, Nicolas Gendron, Julie Ledoux, Jérémy Laniel, Monique Giroux, Réjean Beaucage, Catherine Genest, Franco Nuovo, Émilie Dubreuil, Normand Baillargeon, Patrick Baillargeon, Jeanne Lods, Rose Carine Henriquez, Janie Le Dalour, Delphine Jung, Alexandre Taillefer, Eric Godin

COMMUNICATIONS VOIR

OPÉRATIONS / PRODUCTION Vice-président - Production et Technologies: Simon Jodoin Chef de projets web: Jean-François Ranger Infographes-intégrateurs: Sébastien Groleau, Danilo Rivas Développeur et intégrateur web: Emmanuel Laverdière Développeur web: Maxime Larrivée-Roy Contrôleuse: Yen Dang Coordonnateur technique: Frédéric Sauvé Directrice - Production: Julie Lafrenière Directeur artistique: Luc Des­chambeault Coordonnatrice à la production: Sophie Privé Infographie: René Despars

DISTRIBUTION

Président: Michel Fortin Vice-président: Hugues Mailhot Impression: Transcontinental Interweb VOIR est distribué par Communications Voir inc. © 2018 Communications Voir inc. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920 Convention de la poste-publications: No 40010891 606, rue Cathcart, 10e étage, bureau 1007. Montréal (Qc) H3B 1K9 Téléphone général: 514 848 0805

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«MÊME MOI, PARFOIS, JE DOUTE DE MON EXISTENCE! MAIS LÀ, JE SAIS QUE MON ALBUM VA RENDRE ÇA TANGIBLE. VOICI MA MARQUE DANS L’UNIVERS.» Photo | Maxyme G. Delisle (Consulat) Assistant | Renaud Lafrenière Maquillage et coiffure | Valeria Amirova Stylisme | Frédérique Gauthier Production | Vincent Boivent (Consulat) Caméléons | Monarch Reptiles

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SCÈNE

La vie utile Le tigre bleu de l’Euphrate Déterrer les os

20 MUSIQUE

Bars-spectacles Dave Chose

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CINÉMA

Hubert Reeves Laurent Cantet

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ART DE VIVRE

La cabane à sucre se réinvente Ode à la cantine

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LIVRES

Limiter les dégâts Le dernier chalet Faire mouche

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ARTS VISUELS

Bharti Kher

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QUOI FAIRE

CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Émilie Dubreuil (p18) Monique Giroux (p34) Normand Baillargeon (p42) Alexandre Taillefer (p60)


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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

DE QUOI LE QUÉBEC EST-IL LE NOM? ILLUSTRATION | ERIC GODIN

C’est une question qui me revient sans cesse à l’esprit. Depuis une vingtaine d’années au Québec, le débat sur l’identité mobilise une bonne partie de notre attention et de notre énergie. On s’en souvient, la commission Bouchard-Taylor remettait son rapport en mai 2008. Elle se penchait sur des débats et des problématiques qui avaient éclaté au grand jour au cours de la décennie précédente. Je ne veux pas vous entraîner dans tous ces dédales où nous nous sommes perdus mille fois, mais il s’agit simplement de marquer la date. Depuis toutes ces années, au gré de divers événements, la question revient sans cesse et allume les passions: mais de quoi, au juste, le Québec est-il le nom? Qu’est-ce qui nous distingue? Qu’est-ce qui nous identifie? Avez-vous remarqué que depuis tout ce temps, alors que nous nous aventurons dans ces discussions, nous avons assez peu parlé de culture, d’agriculture, de terroir, de territoire, de savoirfaire ou de paysages? Certes, oui, on en parle, de temps en temps, mais jamais pour définir notre identité. On discute de culture sous l’angle du divertissement et de nourriture en fonction de l’alimentation. L’agriculture est perçue comme un «secteur économique» où se jouent des accords commerciaux compliqués tandis que lorsqu’on s’intéresse au paysage, c’est le plus souvent pour des questions environnementales. Pourtant, il arrive, en voyage à l’étranger, assez loin de chez moi, qu’on me demande de parler du Québec, de raconter d’où je viens et de dire à peu près qui nous sommes. Il me vient chaque fois en tête des goûts, des odeurs, des mots, des saisons, des paysages, des sons et des images. Je chante une toune de Plume, je raconte un film de Gilles Carle, je parle de l’hiver qui dure six mois, des

battures sur le fleuve, des distances incroyables, du patin sur les lacs, du hockey dans les ruelles. Je balance quelques sacres, je raconte l’espace qui nous entoure, la recette de la poutine ou du pâté chinois. Je nomme des lieux: la Gaspésie, l’Abitibi, Tadoussac, Havre-Saint-Pierre, le «bout de la route» lorsque j’étais plus jeune... J’ai sans doute posé cette question mille fois, mais vous ne trouvez pas ça curieux que, lorsque nous tentons de nous définir collectivement, nous ne parlions presque jamais de toutes ces choses? C’est quand même étonnant. Comme je vous disais, la question de l’identité déclenche les passions. On sent bien, à nous lire et à nous entendre dans nos débats parfois enflammés, qu’elle mobilise une grande énergie. Aucun doute, nous avons soif de raconter qui nous sommes. Mais depuis une dizaine d’années, au Québec, lorsque nous voulons nous nommer, nous parlons de quelques types qui portent un turban ou de femmes qui portent un voile. C’est devenu une obsession complètement malsaine. D’une part, nous y voyons à tort une sorte de menace à notre identité alors que nous laissons complètement de côté, dans ces discussions, tous les attraits de notre culture. D’autre part, et c’est important de le dire, à jouer ce jeu, nous avons creusé un immense fossé entre Montréal et le reste du Québec. Il y a là une fracture qu’il faut de toute urgence réparer. Pensez-y un peu. Imaginez cette citoyenne de Maniwaki ou ce résidant de Yamachiche qui, en ouvrant le téléviseur le soir, entend dire que le sort de notre identité collective se joue dans un quartier de Montréal où on se demande si on pourra prendre

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l’autobus avec une burqa, alors que jamais au grand jamais, au bulletin de nouvelles, on ne parle de ce qui se fait à Maniwaki ou à Yamachiche. Jamais, que je vous dis. Sauf s’il y a un drame ou un scandale. Vous n’avez pas l’impression, parfois, que nous n’avons pas la bonne conversation? Les médias ont un grand rôle à jouer dans ces discussions. Il faut nous recoudre, nous raccommoder, nous apprivoiser. Au plus sacrant. De notre côté, il est temps de passer à l’action. Au cours des prochaines semaines, avec mes collègues des magazines Voir et L’actualité, nous vous proposons une idée qui deviendra une nouvelle plateforme de publication. Nous lançons le projet Tour du Québec. Le titre dit tout. Nous voulons tisser des liens, aller à votre rencontre et créer, grâce à vous, un réseau qui permettra de mieux nous connaître. Posons-nous ensemble la question: de quoi le Québec est-il le nom?

Nous voulons vous lire, vous entendre et vous connaître. Nous souhaitons savoir quels sont vos endroits préférés, ce qui a du goût, ce qui sonne par chez vous, ce qui est beau, ce qui est bon, ce qui se respire, ce qui vous inspire. Un paysage, un coin de pays, un produit créé dans votre région, un lieu magnifique, un producteur, un vignoble, une artiste, une bonne idée, une personne incroyable. Allez-y sans modération, nous voulons tout savoir. Comment faire? C’est simple. Rendez-vous sur tourduquebec.ca et suivez le guide! Vous y trouverez un formulaire pour nous envoyer vos idées et communiquer avec nous afin d’en savoir plus. Évidemment, vous pouvez aussi nous écrire, par courriel ou par la poste, comme vous voulez! On attend de vos nouvelles et très bientôt, nous partirons ensemble faire le tour du Québec! Au plaisir de vous lire, et, surtout, souhaitons-nous bon voyage! y sjodoin@voir.ca


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DILATER LE TEMPS DANS LA VIE UTILE, QUI SERA PRÉSENTÉE À L’ESPACE GO À PARTIR DU 24 AVRIL, EVELYNE DE LA CHENELIÈRE TRAVAILLE LA TEMPORALITÉ EN ÉLARGISSANT À L’INFINI LE COURT INSTANT ENTRE LA VIE ET LA MORT… MOTS | MARIE PÂRIS

On utilise le plus souvent l’expression de «vie utile» pour parler de la longévité de structures telles que des routes ou des ponts. Pour sa part, Evelyne de la Chenelière a décidé de l’utiliser plus librement comme titre de sa nouvelle pièce. «Ça me plaisait d’emprunter cette expression pour parler des gens. C’est une façon humble de parler de la vie humaine comme étant égale en valeur à toute forme de vie. Ça la ramène à son côté durée…» C’est au cours de sa résidence d’artiste à l’Espace Go que le thème de la durée s’est imposé. Dans son chantier d’écriture sur le mur du théâtre, l’écriture en couches matérialisant la représentation du temps lui a inspiré La vie utile: mettre en scène le dernier instant de vie. «Ce dernier instant, je veux le faire éclater, le faire durer pour le contempler de tous les côtés, explique l’auteure. Le mur m’a permis de considérer une écriture ouverte sur un montage très libre. La pièce ne suit pas l’ordre des pages dans un livre; ça laisse celui qui reçoit le texte écrire à son tour, par assemblage.» Beau défi: l’auteure propose ici une matière qui cherche à rendre l’épaisseur du temps. Un temps très court, presque impossible à concevoir, celui du passage entre la vie et la mort. L’auteure fait l’exercice de dilater cet instant et de rendre en couches infinies ce qui peut se produire dans la pensée à ce moment-là. «C’est une temporalité psychique. Ce sursaut ultime de vie devient extrê­mement prolifique, parce que Jeanne, le personnage, vit une espèce d’inflation de tout l’imaginaire qu’elle a construit au fil de sa vie, de ses souvenirs, etc. C’est un désir de revivre autrement avant de mourir.»

PHOTO | MARIE BRASSARD

Sexe et mort Si l’on y parle beaucoup de pensée, Evelyne de la Chenelière définit aussi le spectacle comme «très charnel, érotique même, dans le sens de l’appro­ bation de la vie jusque dans la mort»: «Ce qui rend l’être humain le plus fasciné, le plus interdit, c’est la mort et la sexualité. Ce sont des endroits de tension extrême, où le désir est le plus fort et le plus trouble…» Jeanne a passé sa vie repliée sur ellemême à craindre l’envahissement et la corruption des autres. Mais devant la mort, le regret de son absence fait naître en elle, avec force, le désir de l’autre. «La vie utile est un prisme pour parler de cette solitude qui nous guette.» C’est la tentation de l’impossible qui anime l’auteure. L’impossibilité d’écrire, car on ne revient pas de la mort. «On peut proposer de cerner l’illimité de la pensée avec une forme artistique, mais elle ne correspondra jamais vraiment.» De quoi se faire des nœuds dans les neurones – mais si c’est sous la plume d’Evelyne la Chenelière, on veut bien essayer. La distribution (Christine Beaulieu, Sophie Cadieux, Louis Negin et Jules Roy Sicotte) incarne des personnages qui passent à travers le prisme du cerveau de Jeanne. Nous sommes dans un monde déformé: la mémoire ne se contente jamais de rappeler les choses, elle critique aussi le souvenir. La liberté, cette responsabilité La vie utile sera présentée à la fin du mois sur les planches de l’Espace Go, qui sort tout juste d’une longue hibernation pour cause de travaux. L’équipe

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SCÈNE 11 VOIR MTL

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> de la pièce n’y est pas encore retournée, car la salle de répétition n’est pas encore prête. Après trois ans de résidence d’artiste dans ce théâtre qu’elle considérait presque comme une deuxième maison, Evelyne de la Chenelière recommence juste à y mettre les pieds pour notre entrevue. Son mur d’écriture a disparu. «Je suis encore toute perdue…» Pour mettre en scène son texte, et avant même qu’il ne soit écrit, l’auteure avait invité Marie Brassard, avec qui elle avait déjà travaillé sur La fureur de ce que je pense. La metteure en scène a souhaité qu’Evelyne fasse aussi partie de la distribution de La vie utile. «Marie a un formidable regard pour s’épanouir comme interprète, confie l’auteure. Je me sens très proche d’elle dans cette quête sans cesse renouvelée de liberté, dans son sens le plus exigeant: essayer de rester souverain par rapport à tous les courants, tendances et tentations de séduire.» Prendre conscience qu’on peut se pétrifier dans des schèmes de pensée, qu’on est perméable à ce qui structure et formate le regard, est un souci permanent chez Evelyne. «Comme artiste, c’est presque comme une responsabilité. J’essaie d’arracher mon regard à un potentiel engourdis­ sement dans l’habitude.» Elle a donc identifié des socles fondateurs de ce regard qu’elle veut ébranler: l’héritage religieux catholique, avec son système moral, et l’apprentissage de la langue maternelle. Repousser la langue tout en l’utilisant? «Pour moi, c’est un endroit de tension qui agit très fortement comme moteur d’écriture, répond l’auteure. Une des choses les plus excitantes du travail d’artiste, c’est d’identifier ce qui peut contraindre la pensée et tenter de repousser ces limites.» Écriture engagée Le langage est une des obsessions d’Evelyne de la Chenelière. Ses différents textes sont des tentatives répétées de proposer une langue qui corresponde à la pensée, qui s’y rapproche au plus près. «C’est pas facile parce que la pensée est faite de mots, car on a appris à regarder le monde par eux, mais elle est beaucoup plus vaste que le système proposé par la langue qu’on apprend pour communiquer. La pensée est faite de toutes sortes de prismes à travers lesquels on regarde le monde, de temporalités qui s’enchevêtrent. Il y a une sorte d’épaisseur qui est très dure à rendre dans un fil continu... À mettre en mots, ça serait un chaos!» C’est ce qu’elle a tenté de faire dans La vie utile. Dans ce texte retraçant la vie d’une jeune femme, on se demande quelle part l’auteure a mis d’ellemême et de ses propres réflexions. «Sans dire que c’est personnel, je peux dire que je ne me suis

jamais engagée aussi honnêtement dans l’écriture. Pas parce que je parle de moi, mais parce que je parle de ce qui est le plus important pour moi.» Elle s’interroge beaucoup sur l’art engagé; pendant l’écriture, l’auteure a réfléchi à ce que ce qualificatif recouvrait pour elle au-delà de sa définition d’art politisé qui répond à l’actualité. «L’engagement peut prendre une forme très oblique, qui assume son doute. C’est tenter de correspondre à sa pensée le plus possible. Ç’a l’air facile, mais ça ne l’est pas du tout: il faut prendre conscience de ce qui nous éloigne de notre propre pensée au profit d’une pensée dominante… Moi, je m’intéresse davantage à la pensée qu’aux idées, donc mon engagement le plus sincère ne peut pas passer que par celui de l’incertitude et du doute. Et je crois vraiment que mon écriture dans La vie utile est une réponse aux violences du monde, aux politiques dominantes qui nous font être de plus en plus seuls, indifférents, dénués d’empathie. Tout ça est un sujet politique. L’écriture que je propose s’engage sur ce territoire, même si elle n’a pas l’apparence évidente qu’on associe à l’écriture engagée…» y La vie utile À l’Espace Go du 24 avril au 1er juin Les spectacles du 28 mai au 1er juin sont présentées dans le cadre du FTA

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LAURENT GAUDÉ ET EMMANUEL SCHWARTZ


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CONQUÉRIR LA GLOIRE ET BRÛLER LE MONDE DANS LE TIGRE BLEU DE L’EUPHRATE, LE DRAMATURGE ET ÉCRIVAIN FRANÇAIS LAURENT GAUDÉ TENTE DE CERNER LES DERNIERS INSTANTS DE L’EXISTENCE D’ALEXANDRE LE GRAND, L’UN DES PERSONNAGES LES PLUS MYTHIQUES DE L’HISTOIRE. AU SOIR DE SA VIE, LE CONQUÉRANT S’ADRESSE À UN INVITÉ TAPI DANS L’OMBRE DE SA CHAMBRE, LUI RELATANT SON EXISTENCE ET DÉSIRANT «FAIRE PÂLIR LE DIEU DES MORTS». MOTS | JÉRÉMY LANIEL

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Parue d’abord en 2002, soit deux ans avant l’obtention de son Goncourt pour Le soleil des Scorta, cette pièce recèle plusieurs thèmes chers à Laurent Gaudé, qui cherche souvent l’humanité au cœur des mythes et le tragique dans le cœur des hommes. Seize ans après avoir été écrit, le solo qu’est Le tigre bleu de l’Euphrate prendra vie sur la scène du Théâtre de Quat’Sous et sera interprété par Emmanuel Schwartz dans une mise en scène de Denis Marleau. Pour l’occasion, on s’est entretenu avec le comédien et le dramaturge, de passage à Montréal spécialement pour cette adaptation.

Écrire sans choisir Emmanuel Schwartz a travaillé pour la première fois avec Denis Marleau lors de la plus récente adaptation de Tartuffe au Théâtre du Nouveau Monde. Avant même de commencer les répétitions, le metteur en scène avait déjà informé le comédien qu’il avait aussi en tête cette pièce de Gaudé et qu’il le voyait interpréter l’unique rôle. «Ça témoignait d’une envie claire de travailler avec moi. Pour un acteur, c’est extraordinaire de sentir qu’on est désiré, qu’il y a un rendez-vous et qu’on est mieux de se présenter à l’heure et en forme parce que ça risque d’être costaud.» On peut dire qu’Alexandre le Grand est un personnage récurrent dans l’œuvre de Gaudé. Au-delà de cette pièce, l’écrivain a aussi signé un roman sur l’homme (Pour seul cortège, Actes Sud, 2012). «Dans ce personnage-là, il y a tout en même temps. Ce qui normalement est contradictoire chez les gens, chez lui ce ne l’est pas. Il est beau et laid à la fois. Il est fraternel et compatissant en même temps qu’il est cruel et monstrueux. Il est jeune et vieux en même temps, il est homme et femme en même temps. Pour l’écriture, c’est fascinant parce qu’on peut être dans toutes ces couleurs différentes en étant juste, alors que normalement il faut choisir.»

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15 Malgré son lourd bagage historique, Gaudé ne désirait pas en faire une pièce didactique: «Peut-être que je l’embellis, peut-être que je trahis les intentions de l’auteur, je n’en sais rien, peu importe. Dans Le tigre bleu de l’Euphrate, c’est un personnage que je crée, c’est mon Alexandre, parce que j’ai besoin de l’aimer pour l’écrire.» Emmanuel Schwartz ne cache pas que la première lecture de ce solo a pu avoir quelque chose de verti­gineux. «Moi qui ne connaissais pratiquement rien d’Alexandre, j’ai eu un grand plaisir de découvrir une version de cet homme et de suivre ce récit de grandes conquêtes. C’est fascinant et excitant. Cependant, j’ai rapidement eu hâte que Denis (Marleau) vienne à la rescousse, car j’avais besoin d’aide pour cerner les repères, j’avais besoin que quelqu’un fasse des choix dans la direction qu’on allait prendre pour la mise en scène.»

TAPAS GASTRONOMIQUES

Chaque homme est multiple Pour Gaudé, la pièce porte sur les désirs, ceux qui nous habitent et nous hantent: «Je fais d’Alexandre l’incarnation de la problématique du désir. Sommes-nous prêts à suivre notre désir? Le désir c’est obscur, c’est trouble,

«LE DÉSIR C’EST OBSCUR, C’EST TROUBLE, PARFOIS VIOLENT, PARFOIS DUR.»

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parfois violent, parfois dur. Avec ce personnage, on a quelqu’un qui a accepté tout ça, même si c’est se brûler de l’intérieur.» Schwartz voit en Alexandre le Grand un personnage d’une grande actualité: «Cet Alexandre est un merveilleux exemple des paradoxes qui peuvent nous habiter. J’ai l’impression que ça peut faire écho à plusieurs questions qui nous occupent dernièrement. On les porte tous, ces dualités-là. Ce personnage est une belle invitation à être multiple.»

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On nous promet une pièce qui désire porter le texte, alors que la langue de Gaudé en est une de grandiloquence et de réminiscence. Bien qu’il s’agisse d’une de ses premières pièces, le dramaturge souligne à quel point ce texte est encore bien présent en lui. Pour Schwartz, au-delà de ce privilège de renouer avec un metteur en scène de cette trempe, c’est pour lui une occasion de retourner sur les planches du Quat’Sous des années après les fameuses auditions qui marquaient le début de sa carrière. C’est donc sans l’ombre d’un doute qu’on peut croire qu’il portera ce rôle sur scène avec ce désir de conquérir la gloire et de brûler le monde. y Du 17 avril au 26 mai Au Théâtre de Quat’Sous

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FEMMES INGOUVERNABLES La première est dramaturge, la seconde auteure. La rencontre de ces deux femmes combatives au détour d’un hasard a mené Gabrielle Lessard à adapter le premier roman de Fanie Demeule, Déterrer les os. Liées par la création, elles se partagent dorénavant cette narratrice complexe qui foulera les planches du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en avril. MOTS | ROSE CARINE HENRIQUEZ

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


SCÈNE 17 VOIR MTL

«J’ai réalisé que Fanie et moi, on était fuckées au même niveau», lance Gabrielle Lessard. Et il semble qu’il faille un lien comme celui-là pour se comprendre et s’accompagner dans une telle démarche. «On mentalise beaucoup de choses, ajoute Fanie Demeule. Lorsqu’on est ensemble, ça fait comme une expérience de chimie. On a un vécu aussi: le vécu avec le corps et les troubles de l’image de soi.» En 2016, Déterrer les os voyait le jour aux éditions Hamac, connaissant un succès considérable. Ce projet de longue haleine s’est écrit en fragments, dans un cadre intime, puis scolaire, avant de donner le roman que l’on connaît. L’histoire est celle de cette femme aux prises avec un trouble alimentaire, qui croit que son corps voudra toujours la «backstaber».

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Sortir de l’image de l’anorexique La metteure en scène a choisi de placer ce personnage féminin dans un temps concis, contrairement au roman qui se déroule sur plusieurs années, avec la peur du jour à venir. Sur une scène bifrontale, Charlotte Aubin donnera la réplique à Jérémie Francœur, qui campe l’amoureux, silencieux dans le roman. Un choix qui a plu à Fanie qui voit en Charlotte le contraire d’une «black swan maigri­ chonne» et qui dégage une présence scénique très vive. «C’est exactement ce que je voulais qui ressorte de mon personnage sur scène, cette espèce de force, mentionne-t-elle. De sortir l’idée qu’elle est à moitié évaporée de maigreur, à la limite féérique et jolie dans son évanouissement. Là, on a une présence très terre à terre, très incarnée.» Créer à contre-courant

Dans ce récit qui l’a fascinée autant qu’horrifiée, Gabrielle Lessard y a vu l’occasion d’amener une réponse critique. «Je suis dans un milieu où l’image est très importante et j’ai un peu ce désir d’être comme la narratrice, avoue-t-elle. L’anorexie n’est pas un but ni une chose que j’admire chez elle, mais elle a une force et une rigueur qui dégagent une sorte de pureté.» Ce qui est un piège, selon Gabrielle. Geste de résistance Dans la mise en scène de soi, il y a l’altération de sa propre histoire. Les lecteurs et les spectateurs ne doivent pas s’y tromper, Déterrer les os n’est pas une autobiographie même si Fanie Demeule a vécu l’anorexie. Elle refuse que cela devienne son identité, comme dans bien des cas où l’humain ne devient que le visage d’une maladie. «C’était le but de ma création, déclare-t-elle. Comment on se distancie de ce qu’on a vécu et comment ce geste devient thérapeutique, dans le sens où le texte devient un corps en soi et autonome. Il n’est plus dépendant de nous, et inversement.» Elle donne ainsi carte blanche à Gabrielle qui réinvestit à son tour cette histoire, créant des points de rupture. De sa lecture, Gabrielle Lessard comprend les tentatives de l’auteure devenue «sœur» de guérir par l’écriture, mais continue à y voir un prétexte au contrôle. «On continue à s’obstiner. Fanie dit encore que c’est un huis clos avec son corps alors que je dis le contraire. Elle veut être lue, veut con­ trôler l’image qu’elle projette. Ce n’est pas guéris­ seur, c’est déplacer le mal. Déplacer l’anorexie à l’écriture. Le roman finit, mais ne finit pas.» Et c’est dans ce dialogue critique que les deux femmes bâtissent leur relation avec ce même désir de mettre en lumière un sujet d’actualité.

La rencontre entre Lessard et Demeule est le symbole d’un engagement envers la création féminine. Deux femmes intellectuelles prises entre les mailles d’une époque effrénée qui doivent ancrer leur action dans cet horizon créatif, malgré les peurs. «Il y a énormément d’anxiété chez Fanie, comme chez moi, ne serait-ce qu’à cause de notre incapacité à saisir le monde dans son entièreté, alors qu’on a le désir et les facultés pour le faire», confie Gabrielle Lessard. Avoir un discours et être en mesure de l’affirmer a amené Fanie Demeule et sa collègue Joyce Baker à théoriser cette figure de femme ingouvernable dans le cadre de leurs doctorats. Cette guerrière qui transgresse et s’affranchit qu’on aspire à voir plus dans le milieu des arts. «Plus il va y avoir de femmes ingouvernables comme on les appelle, plus ça va inviter l’ingouvernabilité chez les artistes, croit Fanie. Ça se construit en communauté. Au fur à mesure qu’il va y avoir des étoiles qui vont s’allumer, on va sentir que, oui, on peut se permettre de faire ça.» C’est bien de création qu’il s’agit. Créer des œuvres lucides sur le monde, car les artistes sont des anticipateurs selon Gabrielle, et continuer à l’être, malgré les angoisses. «Il y a quelque chose qui me force à continuer, c’est le sentiment d’être à la bonne place et de faire la bonne chose», affirme-t-elle. y Du 17 avril au 5 mai Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


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ÉMILIE DUBREUIL SALE TEMPS POUR SORTIR

LE PARTY DE RETRAITE J’étais toute jeune, il avait les cheveux blancs. Je commençais ma carrière, il terminait la sienne. Je prenais tout au sérieux, il prenait tout avec un grain de sel. Michel et son immense talent d’animateur de radio, mais aussi d’être humain. Michel et sa vache volante. Cela faisait à peine quelques semaines que je travaillais dans ce bureau, c’était ma première vraie de vraie job. J’y avais été engagée pour remplacer une employée qui était partie en burn-out et ça donnait le ton. Il y avait eu un changement de direction et avec cela de nouvelles exigences, des coupes. Bref, mes collègues avaient la mine longue et chialaient beaucoup. Ma voisine de bureau soupirait constamment et, comme c’était elle qui était responsable de me former, elle terminait souvent nos échanges avec une posture victimaire: «Tu ne resteras pas de toute façon, tu vas t’en aller comme les autres!», «De toute façon, avant que tu ne sois vraiment efficace, cela va prendre des mois.»

Quand Michel voulait témoigner de son exaspération à propos d’une consigne stupide de la part de la direction ou, encore, décourager un collègue amer de prononcer des propos mesquins, il ne disait rien du tout, levait la main et donnait une petite tape sur les fesses de la vache de papier qui déployait ses ailes et se mettait alors à tournoyer dans le ciel du bureau en émettant des meu-meu mécaniques et incongrus. Cela déclenchait, évidemment, l’hilarité générale. Pince-sans-rire, Michel se levait, baissait ses lunettes sur son nez et demandait à l’assemblée de bien vouloir cesser ce tapage d’écoliers. Discrètement, il arrêtait le mécanisme de la vache volante et tout le monde continuait à travailler avec le sourire aux lèvres.

Et puis la vache volante est arrivée.

À une époque où la moindre remarque sur mon travail m’angoissait et où je souffrais affreusement d’un syndrome de l’imposteur, Michel me rappelait sans cesse, à coups de meu-meu, que très peu de choses dans la vie constituent réellement «la fin du monde» et que beaucoup des énervements qui sont le propre de la vie professionnelle ne méritent, en fait, que des meu-meu qui flottent en rose et noir.

Je ne sais pas où il avait déniché cet objet, dans quel magasin de jouets formidable il l’avait acheté, mais un lundi matin, nous avions tous rencontré «MeuMeu». Il s’agissait d’une vache en papier carton, à peu près de la taille d’un veau, avec des ailes roses et noires. Michel avait dû l’installer pendant la fin de semaine pour nous faire la surprise, car elle était suspendue au plafond par un fil et voguait dans la grande salle où tout le monde travaillait. «Meu-Meu pourra nous surveiller et observer tous nos dysfonctionnements», avait annoncé Michel.

Inutile de dire que je suis restée plus longtemps que je ne l’avais prévu dans ce bureau-là. Michel est devenu un mentor qui, avec beaucoup d’humour et de patience, m’a montré bien des choses dans mon métier. J’ai découvert avec lui, surtout, à quel point le travail est un lieu de camaraderie, pour ne pas dire, souvent, de tendresse. Dans l’aquarium où nageaient les névroses de tout un chacun, Michel était le poisson-clown, mais surtout celui que je croyais immuable. Or, Michel a pris sa retraite et sa vache avec lui.

Tout cela était bien lourd et, en effet, je me demandais vraiment si j’allais rester dans ce bureau où il semblait manquer désespérément d’oxygène.


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> Cela fait des années que je suis sans nouvelles de lui. Je ne lui en donne pas non plus. Nous nous sommes appelés pendant quelques années à nos anniversaires et puis, doucement, nous avons cessé de le faire. Il y a des collègues qui partent et on s’en fout un peu. Il y en a d’autres, on se dit «bon débarras!», mais il y a, surtout, tant de camarades précieux, drôles et inspirants avec qui l’on se jure de garder le contact, d’aller prendre un verre, et puis la vie passe et elle passe vite… et on se perd de vue. Il en va ainsi du monde du travail comme des camarades de classe ou ceux rencontrés en vacances. On tisse des liens dans des circonstances particulières avec des gens que l’on n’aurait pas rencontrés ailleurs. On vit ensemble des stress, des aventures, des succès, des défis, de grandes joies ou de grandes peines, des maladies, des mortalités, des naissances, de petites frustrations et des mini-victoires. On se confesse, on potine, on s’écoute, on se conseille, on s’émule, on se fait rire.

Soirée Souper dansant

Je suis donc toujours un peu angoissée lorsqu’on me convie à un party de retraite. Je redoute le mauvais vin et les orateurs maladroits, je crains le moment dans la fête où je vais me demander comment font les poissons rouges pour vivre en dehors d’un bocal. En fait, je suis nostalgique d’avance puisque les partys de retraite sont comme une petite cloche qui sonne la fin d’une récréation; la fin annoncée du plaisir que j’ai eu à côtoyer Johanne ou Sylvie ou Gaétan ou Louis. Le party de retraite, c’est le rappel brutal que le temps, qui semble pourtant souvent s’embourber d’une tempête dans un verre d’eau à l’autre, passe tout de même. Et hop, sa vie professionnelle est derrière lui ou elle, déjà. — Tu viens au party de retraite de Virgile? Comme la vache volante, le party de retraite nous fait relativiser bien des choses. Bien que plusieurs collègues partis me manquent, je ne songe à leur absence, au quotidien, que très rarement. C’est rare que je me dis: «Ah! Tiens… Prométhée n’est plus là…» Personne n’est irremplaçable, dit-on. Personne. Il y en a qui ont tendance à oublier cela et à se bercer d’illusions. Ils devraient peut-être fréquenter un peu plus les partys de retraite, rappel plein de chaleur et d’humanité que nous ne faisons que passer dans la vie comme au bureau et que durant ce séjour, il est important de pouvoir rire ensemble et voler sur une grosse vache en carton rose et noire. y

60, rue St-Paul, Charlemagne, Québec 450-581-2222


DÉRANGER LE MONDE À LA FOIS DÉSINVOLTE ET MINUTIEUSE, LYDIA KÉPINSKI NOUS ÉBLOUIT AVEC PREMIER JUIN, UN PREMIER ALBUM QUI MARQUE LA FIN DE SON ADOLESCENCE PROLONGÉE. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTO | MAXYME G. DELISLE (CONSULAT)


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ifficile de demeurer insensible à cette voix indomptable qui, entre sa grandeur émotionnelle et sa volonté obstinée de sortir constamment du moule, cherche manifestement à déstabiliser. Difficile aussi de rester de glace face à ces arrangements composites qui, derrière leur esthétique électro-pop presque homogène, font référence à la chanson française, à la musique classique et au rock progressif. Bref, Premier juin (un clin d’œil à sa date de fête) est le résultat d’une créativité abondante, celle d’une jeune artiste qui fuit les compromis et assume son penchant pour la complexité. «Pour moi, c’est instinctif de faire des changements de mood comme ça, de faire évoluer une chanson. J’ai écouté beaucoup de prog dans la vie, beaucoup d’Harmonium. Y a rien de complexe pour moi là-dedans», expliquet-elle, rejetant en bloc «les tounes couplet-refrain de trois minutes». «Je suis inspirée par un artiste comme Gainsbourg et par cette idée de faire une œuvre grand public mais avec un petit edge, quelque chose de fuckin’ dérangeant. C’est quand même ça le but de l’art, déranger...» À ses côtés, un talentueux multi-instrumentiste et réalisateur nommé Blaise Borboën-Léonard l’a aidée à trier, à faire de ses compositions tourbil­ lonnantes un objet artistique digeste. «Y a la per­ sonne qui a l’idée et y a la personne qui décide de la garder. Ce second regard est aussi important, sinon plus», explique Lydia Képinski quand on lui demande l’apport de son complice, avec qui elle avait également conçu son EP initial en 2016. Mais outre ce travail de filtrage inévitable, ce premier album s’avère profondément éclaté. Même s’il ne touche pas tout à fait aux mêmes styles, Premier juin rappelle la liberté féconde et les arrangements très rigoureux de L’étoile thoracique de Klô Pelgag et du Silence des troupeaux de Philippe Brach, deux albums qui marqueront sans doute les imminentes rétrospectives de la décennie. Plus que jamais, la relève actuelle de notre chanson serait-elle définie par cette absence de formatage et de contraintes? «Ça prendra un anthropologue pour répondre à cette question-là dans 10 ans, mais y a clairement quelque chose de générationnel, quelque chose qui nous associe. On peut parler d’une gang, d’une nouvelle garde», remarquet-elle, avant de critiquer vivement la génération dominante dans l’industrie musicale québécoise. «J’veux pas mettre les baby-boomers dans le même panier, mais certains d’entre eux ont une relation avec la musique qui s’apparente à du service à la

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clientèle. Moi, j’ai une vision punk du spectacle: je déchire pas mon chandail pis je fais pas de MDMA sur scène, mais même à ça, les baby-boomers me comprennent pas tout le temps. Ils veulent donner des conseils, comme s’ils avaient travaillé toute leur vie sur quelque chose, et que là ils avaient peur que leur château de cartes s’écroule.» Caractéristiques de sa proposition artistique, la désinvolture et le franc-parler de Lydia Képinski frôlent l’irrévérence sur scène. Cet été, la chanteuse de 24 ans aux origines franco-polonaises a remarqué que cette attitude pouvait être incommodante pour les non-initiés. En témoigne un mémorable passage dans une ville qu’elle préfère ne plus nommer. «Avant le show, on était allés manger dans un restaurant fuckin’ dégueulasse et beaucoup trop cher. Whatever, on paie pis on s’en va. Pendant le show, je remarque qu’il y a beaucoup de têtes blanches qui prennent quatre tounes à ouvrir leurs chaises pliantes, pis à un moment donné, je leur demande s’ils connaissent le resto. Ils me répondent tous “OUI!”. Je leur dis qu’on vient d’y aller pis que c’était infect…», raconte-t-elle, encore dépassée par les événements. «Sérieusement, je m’en fais encore parler! J’ai dû retourner au resto porter une bouteille de vin au dude, car il connaissait le maire et était prêt à briser ma réputation! Ce genre d’arrogance là, ça marche pas du tout avec les babyboomers. C’est tellement une autre époque…» L’extrême de la liberté À défaut de comprendre les codes et les conventions de cette «autre époque», Képinski accueille à bras ouverts ceux de l’ère actuelle. Le 3 avril dernier, la Montréalaise a causé la surprise en offrant d’un seul coup, sans aucune promotion ni 5 à 7 de lancement, la totalité de son premier album. Prisée par les artistes hip-hop et électro à l’international, cette technique anti-marketing est très peu adoptée dans l’industrie de la chanson au Québec. «Quand Netflix sort des séries, t’as tous les épisodes d’une shot, non? Alors si tu veux mon album, ben j’te l’donne, c’est tout. La technique du comptegouttes, c’est prendre le monde pour des caves», tranche-t-elle. Histoire de laisser le temps aux gens (et à ellemême) d’apprivoiser les chansons, elle attendra jusqu’au 1er juin prochain pour donner un premier spectacle officiel à Montréal. «Je vais avoir 25 ans. Ça va être l’occasion parfaite de prendre une revanche sur mes trois derniers anniversaires qui étaient nuls», estime celle qui organisait «des partys épiques» chez elle au cégep et à l’université.

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> «Le 1er juin, ce sera autant une célébration de ma fête que de ma naissance artistique. En même temps, c’est aussi la mort d’une période trouble, celle de mon adolescence tardive. Lydia Képinski: 1993-2018. J’écrirai pus jamais de texte dans cet environnement-là. C’est une époque révolue.» Écrits en majorité il y a plus de trois ans, les textes de Premier juin laissent transparaître les tourments et le profond mal-être d’une adolescente. «Aujour­ d’hui, je vais mieux/Retour à la maison/Mais mes espoirs sont comateux et je n’ai pas retrouvé la raison», chante-t-elle dans Les balançoires, signe que le trajet vers la lumière est possible mais sinueux. «Oui, je suis une personne semi-pétillante dans la vie, mais y a quand même beaucoup de deepness dans mes chansons, car j’ai traversé beaucoup de périodes wack. Je trouve ça important de dire des affaires trop intenses. J’ai peut-être encore un pli de tragédie grecque, une volonté d’expier mes passions», observe-t-elle. «La mort, pour moi, c’est pas une peur, c’est quel­ que chose de rassurant, comme un vœu de liberté totale. Le suicide, c’est l’extrême de la liberté, y a quelque chose de vraiment fort là-dedans. J’ai eu des périodes de ma vie où j’avais ça en tête et, dans le pire des cas, ça me consolait de savoir que je pouvais tout arrêter quand je voulais. Maintenant, y a des endroits où je reviens et qui me rappellent qu’à un certain moment, j’étais ici et j’avais crissement envie de mettre fin à mes jours. Je trouve ça important de parler de ça, car je l’ai vécu. Ça me pousse à créer, à exulter ce sentiment-là.»

En ouverture, Les lettres indolores évoque cette période d’instabilité émotionnelle. «Je vais fuckin’ bien maintenant, mais quand j’ai écrit ça, esti que j’haïssais ma vie! C’tait l’automne, j’tais à l’uni­ versité pis j’avais frappé un mur. Je venais de catcher que ça allait être difficile de faire carrière dans la musique. Je suis quelqu’un d’assez privilégié et j’atteins toujours mes objectifs, mais là j’étais pas sûre. Tout le monde me disait non, toutes les perches que je tendais marchaient pas. On me disait que j’étais poche...» Une première opportunité s’est présentée en 2015 au concours Ma première Place des Arts, où Képinski s’est fait les dents avec «une formule pianovoix à la Georges Brassens». L’année suivante, la Montréalaise s’est illustrée au Cabaret Festif! de la relève. «Ç’a été un point tournant, constate-t-elle. Les gens de mon band pouvaient pas être là, donc je me suis présentée sur scène en solo et je me suis rendu compte que ça marchait crissement mieux comme ça.» Son passage remarqué au Festival international de la chanson de Granby quelques mois plus tard et, surtout, sa victoire aux Francouvertes au printemps 2017 lui ont ensuite amené une visibilité considérable, qu’a décuplé la sortie de son EP. «Chaque chemin de croix est pénible à faire, mais visiblement nécessaire. Au début, tu dois convaincre les gens que t’es hot, pis à un moment donné, quel­ qu’un dit que t’es cool et tout le monde suit. Ça devient une vraie maladie vénérienne.» L’été dernier, l’épidémie a visiblement contaminé Laurent Saulnier et son équipe de programmation puisque c’est à la jeune artiste de 24 ans qu’est revenu l’honneur de «jouer les premières notes de toutes les FrancoFolies» lors du grand événement d’ouverture extérieur. «Ça, ça avait aucun fuckin’ sens!» s’exclame-t-elle. «En général, je suis fière de ce que je fais et j’ai confiance en moi, mais là, j’en revenais juste pas.» Heureuse du chemin parcouru en trois ans, Lydia Képinski espère maintenant s’établir au-delà du feu de paille et de l’engouement médiatique qui caractérisent bien souvent les succès fulgurants. «Souvent, on m’arrête dans la rue pour me dire que ma musique est bonne. Je trouve ça nice, mais j’ai de la misère à les croire, car t’sais, j’ai juste quatre tounes... En fait, Lydia Képinski, c’est un peu une rumeur, un genre de bruit que les gens entendent et trouvent cool. Même moi, parfois, je doute de mon existence! Mais là, je sais que mon album va rendre ça tangible. Voici ma marque dans l’univers.» y Au Centre Phi - le 1er juin Premier juin (Chivi Chivi) Disponible maintenant


DEVANT L’INCERTITUDE ET L’INDÉNIABLE MOROSITÉ AMBIANTE, LES PROPRIÉTAIRES DES LIEUX DE DIFFUSION ALTERNATIFS METTENT LES BOUCHÉES DOUBLES POUR ASSURER LEUR SURVIE. MOTS | CATHERINE GENEST & OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTO | PEXELS


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l y a eu la fermeture du Sous-Bois à Chicoutimi l’été dernier, la fin abrupte du Cercle entre Noël et le début de 2018, puis la mort lente du Divan orange le 18 mars dernier après une longue série de last calls et un ultime concert d’Avec pas d’casque. Hélas, la journée qui s’en vient n’est pas flambant neuve. De part et d’autre du Québec, les propriétaires des lieux de diffusion alternatifs voient leurs espoirs pâlir et leurs passions réduites en poussière. Les temps sont durs. Dans la foulée des tristes événements, l’ex-agent de spectacles Yannick Cimon-Mattar a profité de la Bourse Rideau, un congrès des professionnels du spectacle qui se tient à Québec chaque année, pour organiser sa première Messe basse. C’est dans ce cadre que se sont réunis Marie-Ève Bouchard du Club Soda, Joëlle Turcotte du Zaricot à SaintHyacinthe, Karl-Emmanuel Picard de l’Anti et Sébastien Cummings des Pas perdus aux Îles-dela-Madeleine. Les quatre panélistes, rejoints par Julien Senez-Gagnon du Divan orange, ont souvent évoqué le manque de reconnaissance à leur égard, ce permis de bar-spectacle qui les empêche de se qualifier pour des subventions malgré leur mandat culturel, ce rôle important qu’ils jouent dans la diffusion de la musique locale ou étrangère, de la relève ou méconnue de la masse. Un point que l’ex-directrice artistique du Cercle Caroline Simonis relève aussi, elle qui était restée très discrète jusqu’ici. Dans son «lab vivant», les

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LE CERCLE, À QUÉBEC. PHOTO | GUILLAUME D. CYR


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petits plats du chef et les verres d’alcool servaient à financer leur programmation qui, rappelons-nous, touchait également aux arts visuels, au théâtre, à la danse, et on en passe. Un modèle économique qui s’est avéré trop fragile, d’autant plus que Bruno Bernier et elle, tous deux copropriétaires, ne pouvaient compter sur un appui gouvernemental. «[J’explique notre fermeture par plusieurs facteurs, dont] un manque de soutien et de vision des pouvoirs en place qui n’ont pas su s’adapter à l’apparition d’un nouveau modèle dédié à la diffusion et à la production, bien sûr, mais surtout à la valorisation et au développement de projets mettant de l’avant la citoyenneté culturelle par une approche intersectorielle.» Dans certaines régions, il arrive même que des instances politiques viennent interférer dans les activités des salles nées de l’initiative privée. C’est le cas à Cap-aux-Meules. «Où ça devient injuste, c’est quand les comités de loisirs et les autres organismes, la marina ou la Ville par exemple, décident de faire des shows avec des permis de réunions», dénonce Sébastien Cummings en faisant bien attention de rester diplomate pour ne pas s’attirer les foudres de ses proches voisins. «Là, ils viennent jouer directement dans mes plates-bandes avec des fonds publics, ils font le même genre de shows que moi alors que je ne bénéficie d’aucune aide gouvernementale. En plus, ça me coûte extrêmement cher pour les permis d’alcool, pour que mes employés soient payés…»

«ON SE FAIT TOUS DIRE QU’ON EST DES BARS, ALORS QU’ON PRÉSENTE PLUS DE MUSIQUE PAR ANNÉE QU’UNE MAISON DE LA CULTURE SUBVENTIONNÉE.» À Québec, c’est presque le contraire. Les mesures mises en place pour éviter aux différents acteurs de se piler sur les pieds s’avèrent souvent frustrantes, voire nuisibles. Le copropriétaire de l’Anti, Karl-Emmanuel Picard, se dit contraint par les clauses d’exclusivité imposées par «un festival quelque part au Québec, un festival de très grande envergure» qui s’adonne, on le déduit, à être l’un de ses plus précieux partenaires. Il marche évidemment sur des œufs. «Je pense que n’importe qui avec une petite salle rêverait d’être dans ma position», nuance le directeur de cette salle, qui collabore notamment avec le Festival d’été de Québec et Envol et Macadam. Toujours est-il que ces primeurs, disons locales, l’empêchent souvent de programmer certains groupes ou artistes solo qui pourraient remplir sa salle, en plus de mousser les ventes d’alcool. Grosso modo, le marché des concerts montre des signes de saturation. «Il y a cinq ans, y avait pas The Lumineers à Québec, de Mumford and Sons, d’Arcade Fire au Centre Vidéotron, d’Imagine Dragons… Il n’y avait pas ces gros shows-là… C’est super positif, mais quand le monde va voir ces shows-là, ils ont un budget vraiment moindre pour avoir accès aux autres plus petits spectacles.» C’est sans parler de l’exode des jeunes qui frappe la Vieille Capitale de plein fouet aux abords de chaque 1er juillet. Le départ de ces gens plus attirés par les arts et actifs la nuit a forcément un impact négatif sur la scène alternative, comme le croit Yannick Cimon-Mattar, ancien propriétaire de feu L’Union commerciale et maintenant cofondateur du système

JON WEISZ, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


LE DIVAN ORANGE, PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

de billetterie lepointdevente.com. Il en a vu, lui, des mélomanes et des musiciens partir vers Montréal. «Il y a un climat à Québec, une ambiance qui fait que c’est pas nécessairement propice pour ce genre de scène là. Ça s’explique d’un million de manières. On est fort sur les has-been à Québec, c’est pas un secret.» Mais la situation n’est pas tellement plus rose de l’autre côté de l’autoroute 20. En plus des plaintes de bruit, le Divan orange a dû faire face à une augmentation de ses frais afférents, de son loyer comme de ses taxes, ce qui a évidemment contribué à sa récente fermeture. «C’est un phénomène global de gentrification. Ça nous affecte particulièrement. On veut avoir des salles sur des axes majeurs, dans des quartiers centraux avec pignon sur rue par souci d’accessibilité, mais ça vient avec des impératifs financiers», explique Julien Senez-Gagnon, désormais ex-responsable des communications de l’établissement. «En fin de compte, on se fait priced out d’un quartier qu’on a aidé à bâtir.»

Quelles solutions? Bref, le contexte qui mène actuellement les salles de spectacles alternatives au bord du gouffre s’a­ vère aussi complexe qu’accablant. «Bien au-delà de notre situation, c’est un désastre. S’il n’y a pas quelque chose qui est fait rapidement, toutes les petites salles vont disparaître. Faudrait que la SODEC s’engage clairement», avance Julien SenezGagnon, à propos de cette société gouvernementale québécoise vouée à soutenir les entreprises culturelles d’ici. «Des grosses salles comme le M Telus ont accès à des commanditaires majeurs qui assurent leur développement, mais nous, on n’est pas assez gros pour intéresser les compagnies privées. Pas le choix de se tourner vers le gouvernement.» C’est notamment dans le but d’attirer l’attention de la SODEC et du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) que Jon Weisz, directeur de la compagnie de diffusion, de gérance et de relations de

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DE GAUCHE À DROITE: MARIE-ÈVE BOUCHARD, JOËLLE TURCOTTE, KARL-EMMANUEL PICARD ET SÉBASTIEN CUMMINGS PHOTO | FLORE BIBEAU, COURTOISIE ECOUTEDONC.CA

presse Indie Montréal, a récemment fondé Scènes de musiques alternatives du Québec (SMAQ). À la différence du Réseau des scènes alternatives du Québec (RSAQ), auquel toutes les petites salles de la province peuvent souscrire, ce nouvel organisme regroupe uniquement les salles qui produisent des spectacles, soit des endroits non subventionnés tels que le Zaricot ou la Casa del Popolo «qui proposent les mêmes activités que des institutions très bien financées comme les maisons de la culture». Jusqu’à maintenant, la mission de l’organisme semble interpeller la SODEC. Weisz rencontrera d’ailleurs quelques membres de la société gouvernementale très bientôt. «L’idée, c’est de voir comment on peut aller de l’avant avec un partenariat ou un quelconque soutien. Si ça prend 2-3 ans avant que ça mène à quelque chose, ça serait déjà positif, même si on risque de perdre d’autres salles d’ici là.» Jointe par courriel, la directrice des communications de la SODEC, Johanne Morissette, reconnaît

«le rôle particulier de ces lieux de diffusion alternatifs», qu’elle considère comme «des vecteurs importants dans le développement des artistes et des publics au Québec». «Cette situation nous préoccupe. Nous évaluons actuellement la possibilité d’intervenir auprès des représentants [de ces salles] qui souhaitent se doter d’une structure associative afin de leur permettre de mieux se concerter et mutualiser certains de leurs services. Il leur revient de bien définir leurs besoins et les éléments qui les fédèrent», précise Morissette à propos des membres de SMAQ. Regroupant une dizaine de salles jusqu’à maintenant, l’organisme de Weisz ne fait toutefois pas l’unanimité auprès des propriétaires. Doutant que ce soit «la meilleure solution», Karl-Emmanuel Picard de l’Anti suggère plutôt que la SODEC ou le CALQ trouve des fonds pour mandater un ancien ou actuel propriétaire d’une petite salle comme représentant. «Je veux rien enlever à Jon Weisz, mais [...] il n’a jamais eu de petite salle», rappelle-t-il,

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avant de nommer d’autres acteurs de l’industrie qu’il juge plus appropriés pour ce poste. «Je verrais l’ancien proprio du Divan orange ou bien Sébastien Cummings – quelqu’un qui a beaucoup d’expérience là-dedans et à qui on donnerait un salaire [...]. Ça encouragerait les plus grands décideurs à comprendre ce qu’il se passe dans notre milieu.» Mais pour l’instant, Picard s’efforce de créer un lien avec l’administration Labeaume par l’entremise d’Alexis Girard-Aubertin, un chargé de projet avec qui il a commencé à correspondre par courriel. «Moi je pense que je vais beaucoup plus miser sur la Ville [au lieu] de me rendre à la SODEC, au niveau fédéral et provincial», croit-il. Reste que, pour le Divan orange, les initiatives municipales n’ont pas suffi. En 2015, le bar-spectacle qui présentait plus de 300 spectacles par année avait reçu une subvention de 25 000$ pour ses travaux d’insonorisation, ce qui lui avait permis de stopper les coûteuses plaintes de bruit qu’il recevait depuis plusieurs années. «Mais même au-delà de ça, notre situation était précaire. On voulait pas trop en parler, car de toute façon, on avait un problème

immédiat à régler», rappelle-t-il. «Dans tous les cas, c’est pas juste au municipal d’agir. Rendu là, c’est une question de volonté. [Pour le gouvernement], y a juste pas d’urgence.» Conscient de l’apport financier limité du palier municipal, Weisz croit toutefois que celui-ci pourrait s’investir davantage. À cet effet, il se dit inspiré par Toronto qui a créé le poste d’agent de développement du secteur de la musique en 2014. «C’est une bonne façon de faire un lien entre la Ville et l’industrie musicale. Même si ça prend du temps avant qu’on voie les changements arriver, ça démontre qu’il y a une discussion, un pont.» Si les salles alternatives ne s’entendent pas toutes sur les façons d’assurer leur survie, une chose est certaine: elles croient que la première étape du processus passe par la discussion et la réévaluation de leur statut. «Il faut travailler sur une certification qui viendrait reconnaître notre mandat culturel, résume Senez-Gagnon. On se fait tous dire qu’on est des bars, alors qu’on présente plus de musique par année qu’une maison de la culture subventionnée.» y

«La survie de la chanson passe par les petites salles» Archétype de l’artiste de la relève en plein essor, Lydia Képinski a fait le tour des bars-spectacles de la province l’an dernier. La situation précaire que traversent ces établissements la touche tout particulièrement. «L’économie des petites salles, c’est quelque chose qui me fait un peu peur. Je veux pas me barrer l’accès aux maisons de la culture, mais souvent, les gens qui travaillent là sont des syndiqués qui comprennent pas la loi de l’offre et de la demande. Ils ont des enveloppes gouvernementales et se forcent pas tout le temps pour faire de la promo, aller chercher un public cible. À côté de ça, t’as des bars comme la Taverne Saint-Casimir qui sont remplis de monde. Le gouvernement les considère comme des bars, mais c’est les places où c’est le plus le fun de jouer. C’est tellement convivial.» Loin de n’être qu’un terreau fertile pour l’émergence, le microcosme des lieux de diffusion alternatifs est également bénéfique pour les artistes bien établis. Initié à la musique

québécoise dans les années 1960 par l’entremise des boîtes à chanson, où il y a vu ses premiers spectacles à vie, Michel Rivard retrouve au sein des petites salles de la province une ambiance similaire, prompte à la spontanéité et à la proximité. «À toutes les étapes de ma carrière, j’ai senti le besoin de retrouver cette essence-là», dit celui qui a notamment foulé les planches du Zaricot, de l’Ange cornu, du Verre bouteille et du Lion d’or l’an dernier, en plus de différentes salles subventionnées. Même s’il avoue ne pas avoir été mis au fait des récentes fermetures et ennuis financiers de ces lieux, il juge la situation désolante. «Si, un jour, il y a quelque chose à faire, si on doit organiser quelque chose pour montrer notre appui, c’est sûr que je serai là. Je trouve ça trop important, surtout dans l’état actuel de notre chanson, où la radio est trop formatée, où les ventes de disques sont des peanuts... Plus que jamais, la survie de la chanson passe par les petites salles.»



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SIMPLEMENT MAGIQUE «C’EST UN PEU PARADOXAL DE PARLER D’UN PROJET SOLO, PARCE QUE J’AI JAMAIS EU AUTANT DE GENS AUTOUR DE MOI!», LANCE DAVE CHOSE. LE CHANTEUR ET MUSICIEN DE 26 ANS SORT CE MOIS-CI SON PREMIER ALBUM CHEZ BONSOUND, CONCOCTÉ AVEC BENOIT BOUCHARD, NICOLAS BEAUDOIN ET JONATHAN BIGRAS, UNE ŒUVRE FRANCHE ET MAGIQUE QUI MAGNIFIE LE BANAL. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

Suffit d’écouter son excellent premier extrait, Chez Françoise, pour vivre un grand moment d’émotion à travers un simple passage au dépanneur. «Y se passe pas grand-chose au niveau poétique. On se dit: “Ben, OK, y raconte un peu sa journée…”, mais après, tu peux rendre ça super touchant et c’est ce que je trouve intéressant en musique», dit-il, lorsqu’on le questionne sur ses textes. Sur son album homonyme, on l’entend parler du bonheur de pouvoir se rouler des clopes, de carburer à la bière 0,5%, et d’une pizza congelée comme bouée de sauvetage. «Tu peux prendre deux mots presque inintéressants, mais avec un arrangement psychédélique ou grandiose, c’est comme si ça devenait un truc super important. Syd Barrett faisait beaucoup ça. Apples and Oranges, c’est le plus beau refrain qui a jamais été écrit! C’est drôle et touchant. Ça dit rien, mais en même temps ça dit tout!» Les quatre amis travaillent avec et pour les tripes, évoluant dans un univers éclectique de rock psychédélique avec des touches de folk et de grunge, mais étant aussi capa­ bles de livrer des ballades convaincantes. Dave Bilodeau – de son vrai nom – a été un grand fan de Nirvana. Il arbore d’ailleurs un tatouage du groupe de Kurt Cobain sur un bras. «Ça fait une dizaine d’années que j’ai ça. J’écoutais du prog et du métal quand j’étais ado. Nirvana m’a sorti de ça, c’était le premier gros band que j’ai écouté et qui m’a fait réaliser: “Crisse, je pense que je serais capable de faire ça”. C’est vraiment pas compliqué, Nirvana, et ça se passe au boutte, dans l’énergie et l’intégrité artis­ tique, dans l’intensité et dans la volonté. J’ai réalisé qu’il fallait pas nécessairement que ce soit compliqué pour que ce soit bon.

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Ça peut être deux accords, comme Something in the Way, une des plus belles chansons du monde.» Une autre grande influence musicale de Dave Chose, c’est Frank et le Cosmos, un groupe de chez lui qui a permis à l’artiste d’assumer sa langue. «Ce qui me touchait beaucoup quand je l’ai découvert, c’était la manière de chanter et d’utiliser des mots que ma mère utilise dans la vie. C’est l’idée de chanter comme tu parles. Ça me fait beaucoup tripper de faire vivre la langue jeannoise à travers la musique. Quand j’ai envoyé mes paroles à mon étiquette de disques, on m’a demandé s’il manquait une lettre dans un texte. Le mot, c’était “teur”, qui veut dire quelque chose de croche. Si, par cette simple interaction, y a trois personnes de plus qui savent ce que ça veut dire, ça me fait plaisir de partager le langage absolument pas universel de ma mère, de mon père, de mes matantes.» Avant ce projet solo, Dave était du trio folkpunk Faudrait faire la vaisselle. Son nom d’artiste est né à cette époque, alors que ses acolytes et lui s’étaient trouvé des surnoms. «C’était un gag à la base. Ce qui me fait tripper, c’est que je trouve que ça fait quelconque. Aussi, je trouve ça important de me rappeler de ne pas trop me prendre au sérieux.» Faudrait faire la vaisselle a duré environ trois ans et le groupe a fait pas mal de concerts au Québec à l’été 2016. L’aventure aura permis au chanteur de casser «une peur de la scène pas possible» qui l’avait poussé à arrêter de performer au cégep avec ses groupes de l’époque. «Puis, avec Faudrait faire, c’était ben lousse, donc ça m’a rendu plus à l’aise.»

«Ce groupe a été la meilleure école parce que c’était la pire, poursuit-il. On s’est ramassés à faire des shows dans la bouette, pas d’électricité… c’était très hippie-anarcho-punk. À un moment, j’ai un peu débuzzé et je me suis mis à faire des compo­sitions qui ne cadraient plus tant avec ce genre de folk-banjo-violoncelle.» Voici donc Dave Chose en solo. S’il y a une certaine nonchalance qui se dégage de son interprétation très naturelle et de ses textes, Dave Chose démontre aussi une émouvante franchise sur son album éponyme. «J’ai que’que chose dans ma tête/Ben logé, ben pogné», gueule-t-il sur Que’que chose avant de reprendre son souffle: «Gueuler dans mon oreiller, pani­ qué, vouloir que la pression baisse à l’intérieur/ Crispé, un peu détraqué, fatigué, vouloir que ce mal se taise, pu savoir l’heure». Une thématique importante sur l’album, celle d’une personne qui a besoin d’aide, allait se fortifier par un hasard pas possible. «L’album s’ouvre sur une pièce d’orgue. Je suis allé voir le nom de l’église où on a enregistré ça: Notre-Dame-du-PerpétuelSecours. J’étais soudainement sur un high! Je trouvais que ça faisait tellement du sens avec tout le reste de l’album parce qu’une bonne majorité des tounes, c’est quelqu’un qui a perpétuellement besoin d’être secouru.» Alléluia! y Dave Chose (Bonsound) Sortie le 27 avril Lancement le 26 avril au Ministère


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À ÉCOUTER HHHHH CLASSIQUE HHHH EXCELLENT HHH BON HH MOYEN H NUL

YOUNG GALAXY DOWN TIME

(Indépendant) HHH 1/2

On sent que Young Galaxy tire profit de son indépendance fraîchement acquise sur ce sixième opus publié à compte d’auteur. Down Time est un buffet d’effets sonores en tous genres, et aucun clavier ou élément percussif n’a été épargné par une recherche de plugin qu’on imagine méticuleuse. Passés maîtres dans l’art de créer des ambiances, d’inculquer une personnalité différente à chaque chanson, les musiciens de Montréal nous enivrent particulièrement sur la polyphonique River et sur Catch Your Breath avec cette myriade de carillons qui donnent l’effet d’autant d’étoiles. Bon d’un bout à l’autre, ce sixième album atteint son apogée sur la cinématographique Frontier, une plongée en eaux troubles introduite par des Sound FX recréant le ruissellement de la pluie et les détonations de feux d’artifice, ceux qu’on actionne en annonçant un naufrage. Catherine McCandless prête ensuite sa voix si douce à ceux qui n’en ont pas, ces migrants perdus en mer ou agglutinés aux abords des frontières. Des paroles indéniablement politiques qui résonnent fort. (C. Genest)

CATRIN FINCH & SECKOU KEITA SOAR

NIGHTMARES ON WAX SHAPE THE FUTURE

(Bendigedig / Naxos) HHHH

(Warp) HHH 1/2

Rien qu’un homme et une femme. Libres comme ces oiseaux migrateurs qui volent à tir-d’aile du Sénégal au Pays de Galles, aller-retour, au gré des saisons, depuis le MoyenÂge. Seckou Keita de Dakar et Catrin Finch de Cardiff se retrouvent donc enfin à Barcelone pour graver ce bijou; sans contrainte aucune, sans restriction. La harpe ouest-africaine rencontre ici sa grande sœur, la harpe celtique. Livrées aux mains magiques d’un couple de musiciens inspirés, peu préoccupés par la virtuosité individuelle mais plutôt par l’harmonie et la complémentarité entre leurs instruments respectifs. Histoires sans paroles (à deux exceptions près), odes et berceuses où les passages du mode mineur au mode majeur traduisent la démarche des migrants, leur espoir. Probablement un des beaux disques de l’année; splendide et vraiment planant. (R. Boncy)

L’entité piloté par le Britannique George Evelyn est une référence incontournable quand il s’agit de downtempo. Avec ce huitième album, Nightmares on Wax ne risque pas de perdre ce titre, toujours fidèle au son qu’il préconise depuis l’excellent Smokers Delight de 1995. Shape The Future transmet un message plutôt positif et écolo en douze titres avec les artistes invités Wixarika Tribe, Mozez, Sadie Walker, le rappeur Allan Kingdom de Winnipeg, LSK et Jordan Rakei. Riches et chaudes orchestrations, grooves cool oscillants entre trip-hop (Shape The Future, On It Maestro...), néo-dub (transcendante Gotta Smile), reggae (Tomorrow), hip-hop chill, jazz loungy (excellente Typical) et soul ensoleillée (Citizen Kane, la sensuelle Deep Shadows), Shape The Future nous ramène un Nightmares on Wax complètement en phase avec son esthétisme musical, cinq ans après son dernier effort Feelin’ Good. (P. Baillargeon)

SIMON LAGANIÈRE SAMEDI SOIR DE SEMAINE (Grosse Boîte) HHHH Même s’il a remisé la moustache de son alter ego Mario Goyette, qu’il incarne depuis 15 ans au sein de la formation country folk satirique Les frères Goyette, l’auteurcompositeur-interprète Simon Laganière n’a pas complètement fait volte-face. Toujours aussi flegmatique et pleine de sensibilité, sa voix d’écorché atypique bénéficie d’un traitement plus aérien et vaporeux, tout comme les guitares et le mixage. En résultent des ambiances sonores aussi vastes que les grands espaces ruraux dans lesquels s’enracinent les textes. Fin documentariste des travers de la banalité, l’artiste dépeint des situations absurdes avec originalité, comme cette histoire insolite d’un vol de guichet automatique en traîneau à chiens (Couper vers le nord) ou celle d’un homme qui se bat contre un ours avec une baguette de billard dans un bar miteux de l’Ouest canadien (Grizzly de taille). (O. Boisvert-Magnen)

MUDDERSTEN PLAYMATES (Sofa / DAME) HHHH On a pu voir le tubiste norvégien Martin Taxt au FIMAV en 2016, alors qu’il se produisait avec le trio Microtub (trois tubas!), et on le retrouve ici avec un autre trio, entouré de son compatriote Håvard Volden (guitare et boucles) et du Suédois Henrik Olsson (percussions). Aucun des instrumentistes ne joue de façon orthodoxe, les improvisateurs s’en donnant à cœur joie dans le bidouillage électronique lo-fi et l’exploration de textures. Le résultat, quatre reprises du même canevas mémorisé, est excellent. Ces improvisations abstraites se donnent des allures de musique concrète et fourmillent de trouvailles sonores. Taxt explique que, parti à la recherche d’une longue forme, le trio s’est plutôt laissé aller à saisir l’instant, et ça donne une belle suite sans queue ni tête. (R. Beaucage)


DISQUES 33 VOIR MTL

ORCHESTRE DU CNA NOUVEAUX MONDES

ANNIE POULAIN DIX PIANOS, UNE VOIX

(Analekta / Naxos) HHHH

(Arte Boréal / Outside) HHHH

Les nouveaux mondes dont il est question ici ne sont pas du genre à s’entourer d’un mur, mais ce sont plutôt ceux où l’on vient pour trouver une inspiration nouvelle, et peut-être une terre d’accueil. Originaire de Belgrade, il y a déjà 25 ans qu’Ana Sokolovic est chez nous et l’Orchestre du CNA lui a commandé une œuvre saluant son fondateur, Mario Bernardi. La compositrice maîtrise admirablement le travail sur la voix, et dans Golden Slumbers Kiss Your Eyes, en sept mouvements, elle enfile des textes sur la thématique de l’enfance, chantés en plusieurs langues par le contre-ténor David DQ Lee, accompagné de l’orchestre et de chœurs. Il y a des accents stravinskiens dans cette suite de 27 minutes, magnifiquement interprétée. Il y a aussi dans ces nouveaux mondes celui de la Symphonie no 9 de Dvořák, dont Alexander Shelley dirige une version inspirée. (R. Beaucage)

La simple énumération de ces dix talents d’ici qui jouent à la chaise musicale autour du piano de la chanteuse beauceronne aux racines abénaquis justifie à elle seule les quatre étoiles et, bien sûr, l’acquisition de cet album-concept d’un dépouillement exemplaire. Claude Nougaro avait bien fait jadis une tournée et un double compact de chansons avec Maurice Vander, son vieux compagnon de jazz, qu’il avait baptisé Une voix, dix doigts, et Anne Ducros avait fait défiler plusieurs claviéristes sur le même opus. Mais Poulain va plus loin. Signant tantôt les musiques, tantôt les textes, elle collabore à la création avec ses invités Bourassa, Amirault, Arapyan et Gagnon. Des emprunts: Le sablier fendu de Luc De Larochellière (1988) joué par le formidable Zaldivar – d’origine cubaine –, Felipe à Marianne Trudel et Le temps des papillons de Mario Vignault, avantageu­ sement défendu par Emie R. Roussel. À signaler: les portraits du livret, dessinés par Annie Kim Thériault. (R. Boncy)

AUGURY ILLUSIVE GOLDEN AGE (The Artisan Era) HHHH 1/2 Les neuf années qui se sont écoulées depuis la sortie de Fragmentary Evidence (2009) n’ont pas du tout altéré la capacité du quatuor montréalais à créer un death métal progressif aussi dense qu’effervescent sur le plan créatif. Le ruissellement de notes, les enchaînements rythmiques et les variations d’intensité métallique (du death abrasif en passant par les influences black et les passages progressifs lumineux) qui ponctuent les huit morceaux d’Illusive Golden Age illustrent à merveille le côté cérébral du métal d’Augury. Le groupe, qui compte maintenant dans ses rangs le batteur Antoine Baril (From Dying Suns, Contemplator) à la place d’Étienne Gallo (Hands of Despair), s’est toujours démarqué par sa musique complexe et ça ne change pas sur son troisième disque qui nous tient en haleine du début à la fin. (C. Fortier)

BERNARD FALAISE LÉZARDES ET ZÉBRURES (Ambiances Magnétiques / DAME) HHHH Le musicien Bernard Falaise a joué depuis un quart de siècle avec tout ce que notre scène de musiques nouvelles compte de mieux et c’est un collaborateur tellement recherché que l’on se demande un peu comment il fait pour s’y retrouver. Le voici fin seul, une nouvelle (rare) fois, avec l’envie de faire des musiques vaguement méditatives et la possibilité, grâce à la magie du studio, de se multiplier pour colorer le son de ses guitares d’un brin de mélodica, d’un chouïa de glockenspiel et d’une touche d’électronique. L’homme est un grand guitariste (il ne joue pas avec tout le monde pour rien), mais ici, pas d’explosions de virtuosité, on est plutôt dans l’atmosphérique et le plaisir du son. Et de ce côté-là, c’est une grande réussite. (R. Beaucage)

VO3 #O4

O4 / 2O18

FOUKI ZAY

(7ieme Ciel ) HHH 1/2

La nouvelle coqueluche du rap local mérite amplement l’engouement de taille qu’elle génère depuis quelques mois. Signé sous 7ieme Ciel Records, l’étiquette hip-hop la plus dominante des dernières années au Québec, et porté par le rayonnement phénoménal du succès Gayé, rampe de lancement de son quatrième EP lancé l’été dernier, FouKi relève haut la main le défi du premier album avec, à ses côtés, son complice QuietMike, prolifique et talentueux producteur qui signe ici une trame trap lumineuse à la résonance organique. Sincère dans ses textes, le rappeur de 21 ans revendique un mode de vie simple, essentiellement basé sur son amour du rap, de sa blonde, de ses amis et de son «can can» (cannabis). Loin d’être le meilleur parolier de la relève, le Montréalais compense ses lacunes avec un sens de la rime imparable et un flow souple, élastique, panaché, chaleureux, parfois même réconfortant. La suite sera encore plus impressionnante. (O. Boisvert-Magnen)


34 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #O4

O4 / 2O18

MONIQUE GIROUX SUR MESURE

RÉSISTONS Ça y est, j’ai flanché. Je me suis racheté une table tournante. Me suis d’abord prise les pieds dans un pain de maïs, deux éclairs à l’érable et un mac’n’cheese. Invariablement, c’est le même scénario: je dois, pour me rendre chez mon marchand d’électronique, passer par la boulangerie attenante. Ce lieu est bien étrange, mais aussi branché que convivial. Une fois approvisionnée en bouffe, je tourne à droite, j’avance avec mon petit sac de papier brun, entre les bougies, les verres et les serviettes de table jolies, et je retrouve enfin mon spécialiste du son, des Oled 4K, des casques sans fil, des préamplis en tous genres et des tables tournantes. Il me connaît bien maintenant, mon spécialiste du son. On se fréquente depuis quelques mois seulement, mais je lui ai tout dit de moi – du moins, ce qui lui importait. Que j’étais tel le cordonnier, c’est-à-dire si mal chaussée, et que j’avais besoin de m’équiper.

avec mes Gazelle Adidas rouges à lignes blanches et ma table tournante Technics durement gagnée... Pour dire vrai, mon père me l’avait offerte après que j’eus beaucoup, beaucoup insisté. Les haut-parleurs qui venaient avec étaient si gros qu’ils occupaient la moitié de ma chambre. On devait entendre ma musique jusque chez les Trappistes. Et je ne vous parle pas de l’ampli Kenwood dont on se vantait qu’il émette je ne sais plus combien de watts par canal. J’ai beau chercher, je ne sais plus ni où ni quand s’en sont allés ces outils qui m’étaient si précieux. Je ne sais pas non plus ce que j’ai fait de mon walkman Sony jaune à l’épreuve de l’eau, ni de mon lecteur CD portatif pour l’auto qui se branchait dans le briquet. Sans doute que tout ça a pris le bord dans un élan de ras-le-bol. Et puis de toute façon, c’était fini les vinyles. Et que dire des cassettes... Les disques compacts, c’est tellement plus pratique, on peut en mettre six dans la voiture et ça joue tout seul…

Je voyais bien dans le regard de mes invités, surtout les nouveaux, que quelque chose clochait. Je ne correspondais pas à l’image qu’on se fait d’un crack de musique. Pas d’enceintes, pas de système de son, à peine une télé de 2008 dont l’unique prise HDMI avait rendu l’âme et un poste de radio pourri qui traînait sur le comptoir de cuisine d’où pendouillait un fil en guise d’antenne... (Euh antenne: dispositif permettant de recevoir des ondes radio… Euh radio: petite boîte à roulettes et lumières dans laquelle se cachent des gens qui causent parfois les uns sur les autres, les uns des autres, ou encore les uns contre les autres. Le samedi soir et le dimanche midi, c’est moi.)

Il y a un an ou deux, après un dégât d’eau causé par un voisin célèbre que j’aime malgré tout, j’ai dû tout sortir de chez moi. J’ai alors décidé que mes milliers de livres sur la chanson et autant de CD iraient retrouver, dans un entrepôt de mémoire, des tonnes de vinyles que je ne me suis jamais résignée à donner, ou pire, à jeter ou vendre. Quand tu transformes ta passion en boulot, il se peut que tu sois éventuellement envahie par ta propre vie et l’œuvre de Serge Fiori. (Ne t’en fais pas, Serge, c’est tombé sur toi seulement pour la rime.) D’aussi loin que je me souvienne, j’ai accumulé les disques, d’abord les 45 tours et ensuite les 33. Vous dire la somme.

Donc il était grand temps que je m’organise le son et les images à la maison. Vous est-il déjà arrivé de vous demander ce que vous aviez bien pu faire de cet objet auquel vous aviez tant tenu, mais qui a disparu de votre vue, oui, mais comment? Qu’est-ce que j’ai bien pu faire de ce sac bleu que je portais toujours en bandoulière et sur lequel j’avais dessiné une grosse fleur de lys? Je n’ai pas pu le jeter

Aujourd’hui, je reçois par dizaines des liens qui me permettent d’écouter les albums numériques d’artistes que je découvre ou que j’invite à la radio. En un clic, les maisons de disques se délestent de leurs albums. La pochette en JPEG, le livret en PDF, les chansons sur WeTransfer, et puis vas-y ma Mo, travaille, écoute, dissèque, cherche, trouve et descends en studio les mains vides.

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Les artistes, eux, arrivent à l’entrevue les yeux pétillants et tout sourire avec dans les mains, comme un trophée, un vinyle de leur album. Me l’offrent, me précisent que le disque est rose, ou blanc ou bleu et me spécifient même, tout fiers, son poids. C’est pour ces moments-là et parce que ma blonde m’a offert L’Heptade XL et le dernier Pierre Lapointe en vinyle que je suis allée voir mon expert en son. Pour le plaisir de tout arrêter, de lever le couvercle, de mettre le disque sur le plateau, de passer la brosse pour retirer la poussière, de lever le bras de lecture et de le déposer sur la voix, la musique et les sillons. C’est littéralement par résistance que je me suis racheté une table tournante. C’est pour partir de chez moi, pour entrer chez un libraire-disquaireconfiseur-marchand de jouets et acheter un vinyle neuf.

«D’AUSSI LOIN QUE JE ME SOUVIENNE, J’AI ACCUMULÉ LES DISQUES, D’ABORD LES 45 TOURS ET ENSUITE LES 33. VOUS DIRE LA SOMME. » Le premier que j’ai vu en arrivant l’autre jour dans le très fond du magasin, autant dire dans l’arrièreboutique, c’est le quatrième album de Beau Dommage, Passagers, 29,99$. «Oh là, c’est pas donné», que je me suis dit jusqu’à ce que je réalise que c’était à peine trois fois le prix d’origine en 1977, il y a 40 ans. Il fallait garder le fils de la voisine trois soirs de suite de 19h à 22h pour se payer un disque. Maintenant, plus besoin de travailler du tout, on n’a qu’à voler les chansons, voyons donc! Eh bien, non. Amis de la musique, résistons. On fait bien brouter des moutons à Rosemont. Résistons. Je n’ai pas acheté le vinyle de Beau Dommage, je l’avais déjà dans mes cartons. Ce jour-là, je suis sortie les mains vides de chez le disquaire-etc. Mais demain, je me rendrai chez un marchand de 33 tours acheter le dernier Feu! Chatterton. Résistons. y


36 CINÉMA VOIR MTL

VO3 #O4

O4 / 2O18

HUBERT REEVES: L’HUMANISTE DANS LA TERRE VUE DU CŒUR, L’AUTEUR ET ASTROPHYSICIEN ÉVOQUE L’ÉTAT DE LA PLANÈTE ET L’URGENCE D’AGIR. CETTE FOIS, PAS JUSTE AVEC «UN REGARD QUI ESSAIE DE COMPRENDRE, MAIS UN REGARD QUI ESSAIE DE SENTIR»... MOTS | MARIE PÂRIS

Depuis son banc dans la maison bourguignonne où Hubert Reeves a élu domicile, jusqu’à Syracuse et en passant par Montréal ou la Floride, le documentaire de Iolande Cadrin-Rossignol nous promène un peu partout sur la planète. Dans La Terre vue du cœur, qui sort ce mois-ci, la réalisatrice montre les impacts des changements climatiques, mais aussi la beauté de cette nature dont on ne connaît pas encore tous les secrets.

du Soleil. Maintenant, il est très clair que la part humaine est plus que majeure: le réchauffement climatique est presque dû à 95% à l’activité humaine. Et aujourd’hui, c’est suffisamment prouvé pour qu’une personne raisonnable puisse s’en convaincre.

Adaptation du dernier livre d’Hubert Reeves, Le banc du temps qui passe, le film donne la parole à de nombreux experts qui apportent leur éclairage sur la situation environnementale, que ce soit Frédéric Lenoir pour discuter de philosophie, ou le bassiste Jérôme Dupras, de la fondation écologiste des Cowboys fringants. On y parle d’intelligence animale, de forêts tropicales, d’identité et, surtout, de cette sixième extinction de masse qui est en cours: la nôtre. Entrevue avec Hubert Reeves, scientifique et militant.

Pas suffisamment! C’est justement une des mis­ sions des associations qui font des événements de sensibilisation sur l’état de la planète. Ce qui est encourageant, c’est qu’il y en a beaucoup, des organismes de ce genre, et de gens qui s’impliquent et qui sentent que ça devient une urgence pour l’avenir. Il y a de plus en plus de municipalités, de compagnies, d’activités axées sur ce problème – qui est devenu le problème majeur de l’humanité.

Voir: Quand vous êtes-vous rendu compte de l’urgence de la situation environnementale? Hubert Reeves: Ç’a été progressif. Dans les années 1980, on parlait peu de la hausse de la température; c’était des rumeurs… Puis je m’y suis intéressé parce que ça promettait d’être sérieux. On commençait à avoir des preuves que la température augmentait vraiment, mais on ne savait pas si c’était dû à l’activité humaine ou si c’était un phénomène naturel, comme les grandes glaciations. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), mis sur pieds par les Nations-Unies, a déterminé que le rôle de l’homme dans les changements climatiques était majeur par rapport à d’autres phénomènes naturels invoqués, comme le changement du champ magnétique

Trouvez-vous qu’aujourd’hui les gens sont suffisamment conscients de la situation?

Ça n’est plus un danger lointain, d’où l’importance d’éveiller le plus possible la conscience populaire. On ne parle pas d’un million d’années, comme en astronomie. Là, c’est devenu une question urgente: quel sera l’état de notre planète dans 50 ans? Ce film a pour but de «renverser la vapeur» quant à l’état de la planète. Mais est-ce encore possible? Ça, on ne peut jamais le dire, l’avenir est inconnu. On peut par contre dire qu’on fait comme si c’était pas foutu, qu’on va faire tout ce qu’on peut pour que ce ne soit pas foutu, mais que peut-être que c’est foutu: voilà la situation. Il ne s’agit pas de dire qu’on a dépassé le point tournant. Ce qui menace l’avenir n’est pas ce que sera l’avenir – vous voyez la différence? Il y a maintenant tellement de motivation un peu partout… Peut-être que la situation a changé ces 30 dernières années.

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Car il y a 30 ans, ça paraissait beaucoup plus grave et dramatique. Non pas parce que les causes ne sont plus là aujourd’hui, elles le sont, mais parce que la réaction n’y était pas. Il est important de noter la croissance rapide de la volonté d’agir des villes, des instituts, des quantités d’associations qui s’engagent pour restaurer la situation. Pensez-vous qu’il soit plus efficace de faire peur en montrant les impacts des changements climatiques, ou de mettre en avant la beauté de cette nature qui disparaît? Il faut montrer qu’il y a des solutions, que ce n’est pas foutu, qu’il y a des choses qui s’améliorent. Par exemple, on a retiré il y a quelques mois la baleine à bosse de la liste des animaux en danger. Il y a 50 ans, on tuait 50 000 baleines par an; à ce rythme-là, personne ne pensait que l’espèce pourrait survivre. On la considérait pratiquement comme étant éliminée. Aujourd’hui, grâce à toutes les activités des commissions baleinières et des associations pour préserver les océans, on s’aperçoit que la population de baleines à bosse augmente! Un événement comme ça vous montre qu’il se passe des choses, qu’il existe des solutions et qu’il faut les développer. C’est le but de ce film.

Il y a deux positions opposées qui sont mauvaises: la première est de cacher la vérité, de dire que ça va mieux quand ça ne va pas, et la deuxième est de faire peur aux gens en les décourageant, en leur donner l’impression qu’il n’y a rien à faire. Il faut naviguer entre les deux: pleine conscience de la détérioration rapide qui se poursuit, et pleine conscience de ce qui se fait et qui pourrait amener une solution. C’est subtil comme position.

ça que nous essayons de signaler pour éviter le danger de la morosité, qui fait dire «c’est foutu, y a rien à faire». Aujourd’hui, avec la croissance très rapide des filières d’énergies renouvelables un peu partout dans le monde – jusqu’en Chine –, on s’aperçoit qu’il y a un avenir possible, que ça pourrait marcher. Tout ça va en tout cas dans le bon sens. Vous qui vivez en France, quelles différences voyez-vous dans les mentalités entre l’Amérique du Nord et l’Europe, par rapport à l’écologie?

Vous avez cette phrase dans le film: «Si on n’arrive pas à réconcilier l’économie et l’écologie, on est foutus»…

Il y a un plan assez général qui se voit par­tout: ce sont surtout les municipalités qui mettent sur pied des projets – comme avoir du com­ postage, ne plus utiliser de pesticides. Il y a déjà beaucoup d’initiatives qui gagnent en vigueur. On retrouve la même chose au Japon, en Amérique du Sud, en Chine. De plus en plus de pays sont éveillés et actifs au niveau des municipalités, des individus… Un peu moins au niveau des gouvernements; on sent bien qu’eux vont prendre le train en marche.

Oui, mais on a des preuves qu’il y a des progrès dans ce sens-là. Même dans les banques, où il y avait beaucoup d’investissements dans les puits de pétrole, l’argent alloué à ces projets est retiré. Aux États-Unis, beaucoup de grandes universités qui avaient déposé des sous dans des compagnies d’énergies non durables les retirent maintenant, et de plus en plus rapidement. À la Silicon Valley en Californie, on a pris conscience du fait que l’écologie peut être profitable même sur le plan économique. On a repensé la façon d’investir pour qu’elle puisse résoudre des problèmes écologiques tout en faisant des profits économiques. C’est

Quoique... L’attitude de notre président Macron et le fait qu’il a nommé comme ministre de l’Écologie Nicolas Hulot vont déjà dans le bon sens. Aux États-Unis, c’est moins vrai, mais je pense que même ce qui se passe là-bas est

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faut sauver la biodiversité, la plupart ne vont pas comprendre. Le mot abstrait n’a pas le même impact émotif. La vulgarisation, c’est d’expliquer que c’est aussi important de sauver la nature que la biodiversité. C’est pourquoi il faut faire campagne pour rendre connu ce qui se passe. Un des problèmes qu’on a aujourd’hui, par exemple, c’est la disparition des vers de terre. La plupart des gens ne savent pas que cette disparition est grave pour nous, car cela stérilise les sols. Avec les moyens de culture contemporains, on tue les vers de terre et ça diminue la fertilité des sols. Quand vous dites ça, les gens comprennent mieux, car la fertilité des sols, c’est «qu’est-ce qu’on va manger?» Et ça, ça parle aux gens. Consacrez-vous aujourd’hui l’essentiel de votre temps au militantisme environnemental? Pas l’essentiel. J’essaie de garder un équilibre entre mes activités d’astrophysique, de vulgarisation surtout, et mes activités pour l’environnement. L’environnement est évidemment plus pressant, mais répandre les bonnes nouvelles de l’astrophysique sur nos connaissances de l’Univers est aussi de la toute première importance. En parlant d’astrophysique, on apprenait récemment la mort de Stephen Hawking… positif, car l’attitude de Trump a révolté tellement de gens qu’il se forme un front pour l’écologie qui a énormément de puissance, en réaction au président. C’est un sujet qui bouge beaucoup aux ÉtatsUnis, et Trump, sans le savoir, en est une des causes. Sentez-vous de fortes différences générationnelles dans la réaction?

Il a joué un rôle très important dans l’astrophysique contemporaine. C’est lui qui a remis en évidence l’importance de ce phénomène un peu délirant qu’est le trou noir, dont on pensait pendant longtemps que ça allait rester une curiosité. Mais on s’aperçoit en fait que c’est un sujet crucial, et le travail de Hawking a apporté des choses fondamentales à l’étude de la matière et de l’Univers.

Il y a des différences dues au fait évident que ce sont plutôt les jeunes qui sont menacés par tout cela. En ce moment, on ne sent pas encore tout l’impact du réchauffement climatique; on commence à le sentir à cause des grandes tempêtes, des froids et des canicules, mais ça n’a pas encore atteint tout le monde. C’est quelque chose de croissant, et les jeunes se sentent plus concernés: c’est à eux que ça s’adresse.

C’est aussi une image un peu épique, celle de quel­ qu’un qui s’est battu toute sa vie contre sa maladie mortelle, qui a persisté à travailler et à faire ce qu’il aimait alors qu’on ne lui promettait qu’un an de survie. Il a finalement survécu plusieurs décennies… C’est devenu un exemple de la puis­sance de la volonté humaine contre la mort. La volonté de vivre peut être un moteur puissant.

Est-ce que l’écologie a besoin d’être vulgarisée, comme l’astrophysique?

Un instinct de survie dont on pourrait s’inspirer pour la planète…

Plus, même! Justement parce que ça touche à des problèmes concrets. Aujourd’hui, on parle par exemple beaucoup de sauver la biodiversité. Mais beaucoup ne savent pas ce que c’est, la biodiversité. Si vous dites aux gens qu’il faut sauver la nature, ils savent de quoi vous parlez. Si vous dites qu’il

Mais oui. Par rapport à toutes ces menaces qui pèsent sur l’avenir, c’est la volonté de faire tout ce qu’il faut pour enrayer ces menaces. y La Terre vue du cœur avec Hubert Reeves sortie le 13 avril à Montréal


RÊVES EN CHANTIER MÊLANT LES CODES DU POLAR ET DU RÉCIT D’APPRENTISSAGE, L’ATELIER, LE NOUVEAU FILM DE LAURENT CANTET CAMPE SES DÉBATS ET BRAQUE SA CAMÉRA AUTOUR DE LA JEUNESSE DU SUD DE LA FRANCE. MOTS | NICOLAS GENDRON

PHOTOS | JÉRÔME PRÉBOIS


CINÉMA 41 VOIR MTL

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> Après avoir dépeint le désir d’émancipation d’adolescentes d’autrefois avec Foxfire, mais surtout celui d’élèves insolents dans le Paris d’aujourd’hui avec Entre les murs, qui lui a valu la Palme d’or en 2008, le cinéaste se pose à La Ciotat, non loin de Marseille, où il a fait jadis une maîtrise en audiovisuel. «À l’époque où j’étais dans la région, il y avait encore une forte activité sur les chantiers navals», se rappelle-t-il. «Il y a eu plusieurs manifestations quand on a annoncé que ça allait fermer. Le déclic du scénario s’est fait plus tard, au début des années 2000. D’une part, je venais de tourner Ressources humaines, et l’idée d’observer si les jeunes de La Ciotat avaient encore un lien, ou pas, avec cette culture ouvrière en transformation m’apparaissait très riche, dans une ville entièrement tournée vers son chantier et qui, d’un coup, perd ce point de repère. D’autre part, un atelier d’écriture avait bel et bien été offert par la municipalité à des jeunes en insertion.» Dans L’atelier, Olivia, une auteure parisienne (Marina Foïs, la pro du lot), y débarque justement pour piloter un exercice d’écriture où l’on pense un roman noir à plusieurs. C’est alors que ressurgit le passé ouvrier des environs, comme possible toile de fond à la fiction, pendant que le placide Antoine (impressionnant Matthieu Lucci) se détache peu à peu du groupe. Les suggestions tranchantes du jeune homme, qui semble en voie de se radicaliser, menacent l’équilibre fragile de l’aventure littéraire. «Le polar me permettait de traiter de la violence qu’on a en soi, confie le créateur français, celle qu’on parvient heureusement à discipliner, mais pas toujours si bien que ça, et face à laquelle il ne sert à rien de jouer à l’autruche. Par-dessus tout, j’aime l’idée que la fiction du film soit amenée par l’envie de fiction d’Antoine.» Une envie insoumise qui, même si légitime, finit par inquiéter ses camarades d’atelier. «Il la formule continuellement, ajoute Cantet, en disant: “On n’est pas obligés de parler de nous, dans le roman, puis de se regarder dans un miroir.” Mais sa fiction finit par contaminer le film.» À l’instar du conseil donné par Olivia, le réalisateur et son fidèle allié Robin Campillo, récompensé récemment par le César du meilleur scénario original pour 120 battements par minute, empruntent manifestement la voie de l’écriture «autour», priorisant les personnages avant la construction de l’intrigue. «Je veux rendre compte de la complexité de notre monde, mais j’essaie presque toujours de le faire en sous-texte, expose-t-il, parce que je n’ai pas envie de faire des traités de sociologie. Je n’ai pas beaucoup de réponses aux questions que je pose.» Au-delà du plaisir de filmer des nouveaux visages, «dans l’énergie que donne la première fois, pour les uns et les autres», recruter

des non-professionnels, qui côtoient la réalité de leurs personnages au quotidien, nourrit également «un travail d’écoute» durant tout le processus, un véritable coup de sonde qui s’opère du casting jusqu’aux répétitions, lui évitant d’afficher un regard «de vieux con»! Dans les paysages délaissés mais lumineux filmés par Pierre Milon, un autre complice de longue date, l’horizon n’en semble pas moins bouché pour cette jeunesse aux rêves évasifs. «J’ai rencontré des centaines de filles et de garçons en audition, et quand je leur demandais ce qu’ils voulaient faire de leur vie, ils avaient peu d’espoir. Ils sont confrontés à une absence de perspectives, mais ils essaient également de digérer la propagande qu’autorise internet, la mise en doute des informations dites officielles.» Sans compter des extrémistes de plus en plus décomplexés, dans l’Hexagone comme ailleurs. Au détour d’une scène, on joue par exemple à «Je suis plus Français que toi». Cantet l’admet: «C’est une des raisons pour lesquelles j’avais envie de tourner ce film: regarder les mécanismes de séduction des extrémistes. Même si je crois qu’Antoine est étranger à tout ça. Mais sa vie est tellement plate que le moindre petit grain de poivre l’attire. Et les extrémistes savent utiliser cet ennui.» Au final, «libérer la parole», tel que le propose un discours de propagande qui happe Antoine, peut mener à tous les excès ou encore appartenir à tous les camps. «C’est ce que montre L’atelier. C’est probablement mon film le plus optimiste, avance le cinéaste. En créant des lieux de confrontation saine ou de réflexion, quand on arrive à mettre des mots sur son propre malaise, on peut espérer bouger, peut-être.» Question d’aller de l’avant. Et de (re) construire les chantiers d’hier et de demain. y Sortie en salle le 13 avril


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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

L’EFFET EINSTELLUNG Still a man hears what he wants to hear And disregards the rest. - Paul Simon, The Boxer

Ce que vous avez devant vous est un célèbre et ancien test de psychologie – il date de 1942…

… aux médias sociaux

Il suivait son idée. C’était une idée fixe et il était surpris de ne pas avancer. - Jacques Prévert

Pensez aux déplorables comportements que l’on y observe parfois – les miens, ceux des autres, les vôtres aussi, peut-être.

Amusons-nous pour commencer.

Ayant réussi à résoudre les cinq premiers problèmes, plus de 80% des sujets appliquent aussitôt la même recette aux deux autres problèmes… alors qu’il suffit de faire 23 - 3 = 20 dans le premier cas, et 15 + 3 = 18 dans le deuxième!

Voici trois cruches vides. Appelons-les A, B et C.

Le phénomène est appelé l’effet Einstellung, ou effet (pré)réglage.

Et voici quelques problèmes à résoudre avec elles.

… qui donnent à penser…

De petits problèmes amusants… Je vous indique, dans l’ordre (A, B, C), la contenance de trois cruches; puis je vous donne (entre [ ]) une quantité de liquide à mesurer. Allons-y. (21, 127, 3; [100]); (14; 163; 25; [99]); (18; 43; 10; [5]); (9; 42; 6; [21]); (20; 59; 4; [31]). C’est un peu difficile au début, peut-être; mais vous allez vite découvrir qu’il suffit de faire: B - 2C - A pour obtenir la réponse. Ainsi: 127 - (2 x 3) - 21 = 100. Facile! Un autre? (23; 49; 3; [20]); et encore un autre? (15; 39; 3; [18]).

Il n’est pas interdit de l’interpréter à peu près comme ceci: ayant adopté une vision des choses, une manière de penser, une stratégie, l’on s’y rabat devant toute nouvelle donnée, tout nouveau problème, que l’on interprète (et résout) à l’aide de ce prisme, de ce schéma (pré)réglé. On l’aura compris: on court alors un grand risque. Celui de devenir littéralement aveugle à ce qui pourrait s’opposer à notre schéma, à notre vision des choses, qui pourrait donc bien ne pas la conforter, mais être vrai, ou partiellement vrai. D’ailleurs, et ce n’est finalement pas trop étonnant, on a constaté cet aveuglement chez des joueurs d’échecs, de diverses forces, incapables de voir, littéralement et faute d’y porter les yeux, qu’il existe une solution plus simple et demandant moins de coups que celle à laquelle ils sont habitués, qu’ils appliquent immédiatement!

Pensez à présent aux médias sociaux.

Pensez encore à cette masse d’informations qui passent devant nos yeux et que l’on retweete, que l’on partage ou que l’on commente parfois instantanément, ou presque. Une récente étude du MIT, parue dans Nature, nous mettait en garde contre ceci que le faux, dans ce monde virtuel, se propage plus rapidement et plus largement que le vrai, toutes catégories d’informations confondues (et plus encore pour le faux concernant le politique…), et que ce ne sont pas les robots mais les humains qui en sont la cause (on pourra lire cet article ici: [goo.gl/r3KSgi]). On se demande comment expliquer cela et on a bien entendu des éléments de réponse. Je résisterai à la tentation de me risquer sur ce terrain. Mais je pense tout de même que ces nou­ veaux modes de communication et de diffusion d’information sont un terrain particulièrement fertile pour observer en action l’effet Einstellung – et que cela n’est pas une bonne nouvelle ni pour la pensée critique ni pour la conversation démocratique. Tel, défendant la laïcité républicaine, juge d’emblée coupable de complicité religieuse tel texte qui critique cette laïcité et il ne le lit, s’il le lit, que pour se conforter dans son opinion.

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Tel autre, communautarien… Je vous laisse poursuivre, et sans doute vous remémorer des échanges – voire vos propres comportements – sur Facebook ou sur Twitter… On jurerait alors que l’on n’a plus d’idées, mais que ce sont elles qui nous ont. Ou bien que ce que l’on a en guise d’idées, ce sont des réflexes. Que l’on connaît d’avance la conclusion. Que l’on n’a rien à apprendre. Une minute de réflexion, parfois, suffirait à dissiper cette illusion, à rappeler qu’il est impossible que quelqu’un, même vous, détienne toute la vérité sur des sujets aussi complexes et polémiques comme ceux dont on débat typiquement et qui portent de vastes enjeux sociaux, économiques, politiques. Une simple minute pour se rappeler que l’on pourrait bien, après tout, apprendre quelque chose de qui ne pense pas comme nous.

«ON COURT ALORS UN GRAND RISQUE. CELUI DE DEVENIR LITTÉRALEMENT AVEUGLE À CE QUI POURRAIT S’OPPOSER À NOTRE SCHÉMA, À NOTRE VISION DES CHOSES. » Ce moment d’attente, sans céder au réflexe de réagir aussitôt, ce moment par lequel la réflexion peut commencer, c’était pour le vieux Kant la condition indispensable de l’éducation des enfants. «On envoie tout d’abord les enfants à l’école, disait-il, non dans l’intention qu’ils y apprennent quelque chose, mais afin qu’ils s’habituent à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, en sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et sur-le-champ leurs idées à exécution.» Il n’est pas interdit de penser que la leçon vaut aussi pour les adultes, quand ils vont sur les médias sociaux… y

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GASTRONOMIE 45 VOIR MTL

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LA CABANE À SUCRE SE RÉINVENTE DE LA CABANE À SUCRE VÉGÉTARIENNE À CELLE À SAVEURS MAGHRÉBINES, CERTAINS N’HÉSITENT PAS À BRISER LES CODES TRADITIONNELS. ON A POUSSÉ LA PORTE DE CES CABANES D’UN NOUVEAU GENRE... MOTS & PHOTOS | DELPHINE JUNG

(CI-CONTRE) LA PAUSE SYLVESTRE

Au bout d’un chemin forestier en Estrie, une fumée s’échappe de la petite cabane à sucre de Carole Bouthillette et Mario Tremblay. Des chaudières pendent aux arbres pour recueillir l’eau d’érable et le bac à neige est prêt pour la tire. Au cœur de son érablière, le couple propose pour le temps des sucres un menu pas comme les autres. Pas d’oreilles de crisse ni de lard dans ses fèves, et encore moins de jambon sur sa table. Le repas est entièrement végétarien: tourtière au millet, tarte au tofu, omelettes, fèves noires au four, tarte adzuki et, évidemment, tous les délices de l’érable en dessert. Ça fait 18 ans que la Pause Sylvestre existe et Carole Bouthillette n’en est pas peu fière: «À l’époque, on s’est dit qu’on ne devait pas être les seuls à avoir envie de manger autre chose que le repas traditionnel pour le temps des sucres. On voulait être fidèles à nous-mêmes alors on a décidé que ça n’allait pas être le festival du jambon. On célèbre l’eau d’érable, alors pourquoi le repas ne pourrait pas être végétarien? demande Carole. Selon moi, s’empiffrer pendant le temps des sucres n’a plus de sens de nos jours, on ne va plus vivre un hiver rude dans le bois. Nous, on préfère manger des aliments santé, totalement oubliés dans les cabanes à sucre conventionnelles.» Aujourd’hui, sa cabane de 23 places est complète chaque saison et a réussi à conquérir autant les végétariens que les amateurs de bifteck. «J’estime respecter les traditions et même plus que les cabanes traditionnelles parce que je fais mon sirop à la chaudière et mon menu avec des aliments du Québec uniquement», indique de son côté Simon Meloche Goulet, propriétaire de la Cabane

à tuque. Ouverte depuis l’année dernière dans les Laurentides, elle est la deuxième cabane végétarienne de la province. Simon a surtout choisi de miser sur des aliments d’ici pour créer son menu. On y retrouve les fameux cretons dans leur version végétalienne, des patates rissolées, une tourtière au millet et aux légumes, et même un ketchup maison. Comme à la Pause Sylvestre, tout ici est préparé avec des légumes du jardin. Cabane urbaine et shish taouk Ils sont de plus en plus à avoir l’audace de s’af­ franchir de la tradition pour cette période de l’année chère aux Québécois. C’est le cas aussi du chef Hakim Chajar, qui chapeaute l’événement Un chef à l’érable, un banquet du temps des sucres organisé à Montréal jusqu’au 15 avril. «J’ai décidé de créer un menu inspiré de mes voyages et notamment des saveurs du Maroc. Je voulais montrer que l’érable, ça marche avec tout. C’est une cabane à sucre non traditionnelle, urbaine», explique-t-il. Au menu, œufs mimosas aux épices tourtières, oreilles de porcelet, betteraves acidulées façon tacos ou encore tarte de langue de veau et lardons à la shish taouk. Safran, épices à tajine et coriandre, aussi présents dans son menu, illustrent la volonté du chef de donner une touche orientale à sa cabane, qui se retrouve ainsi au croisement de deux cultures qui lui sont chères. «Au lieu de proposer de simples pommes de terre, je vais faire des pommes dauphines pour plus de légèreté. Pour les oreilles de crisse, je servirai de vraies oreilles de cochon», ajoute Hakim Chajar.

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Les puristes sauteront peut-être au plafond, mais qu’à cela ne tienne: «Je n’avais pas envie de mettre des cretons pour mettre des cretons, parce que je ne m’appelle pas Jean Tremblay. Ce menu reflète mon identité culinaire et pour moi, la cuisine n’a pas de limites. Si on peut l’amener un peu plus loin en gardant la base de la cabane à sucre qui est l’érable, c’est génial», avance le chef, qui espère bien pous­ ser les gourmands hors de leur zone de confort.

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L’art de plaire

ÉDITION SPÉCIALE

«JE N’AVAIS PAS ENVIE DE METTRE DES CRETONS POUR METTRE DES CRETONS, PARCE QUE JE NE M’APPELLE PAS JEAN TREMBLAY.»

Retour aux sources Ceux qui cherchent le traditionnel peuvent toujours goûter à l’authentique à la Maison amérindienne de Mont-Saint-Hilaire, qui propose un menu à saveurs autochtones pour le temps des sucres. «Il ne faut pas oublier que, contrairement à ce que certains disent, ce sont les Européens qui ont repris les traditions amérindiennes pour recueillir l’eau d’érable et en faire du sirop. Ici, nous voulons faire perdurer les traditions et nous la recueillons à la main, puis nous utilisons des chaudrons de fonte pour la faire bouillir», détaille André Michel, fondateur de la Maison amérindienne, qui s’est donné pour mission de réhabiliter les origines du sirop d’érable. À sa table, on retrouve du pain banique, un potage à la citrouille et des hauts de cuisse de poulet marinés à l’érable servis sur un lit de riz sauvage et blanc, accompagnés d’une salade iroquoise de maïs aux herbes de la montagne. Si au début André Michel servait du caribou ou de l’orignal, il s’est rendu compte que le public n’avait pas toujours une appétence pour ce genre de viande très forte. Il a donc opté pour du poulet, plus «passe-partout». «Et en dessert, nous servons de la tarte au sucre sans croûte, une recette des Atikamekw de Manawan…» Si son initiative attire les amateurs, c’est parce que d’après lui les gens s’intéressent de plus en plus aux cultures autochtones. Et puis, il y a l’amour du sirop d’érable, dont 91% de la production canadienne provient du Québec. Car tout le monde s’accorde finalement sur une chose: aux prémices du printemps, quoi qu’il arrive, c’est l’érable qui est roi. y

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ART DE VIVRE 49 VOIR MTL

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ILS SONT DE MOINS EN MOINS NOMBREUX, CES CASSE-CROÛTES DE BORD DE ROUTE. LE CINÉASTE NICOLAS PAQUET LEUR A CONSACRÉ UN DOCUMENTAIRE, ESPRIT DE CANTINE, QUI SORT CE MOIS-CI. UN HOMMAGE À CES MORCEAUX DE PATRIMOINE QUÉBÉCOIS. MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTOS | FRANÇOIS GAMACHE

En 2011, Nicolas Paquet est en plein tournage en Abitibi pour son long métrage La règle d’or. Un des personnages du film tient une cantine, dans laquelle il passe ainsi de longues heures. «J’ai été charmé par l’ambiance de l’endroit. Je me suis dit qu’il y avait vraiment un film à faire dans ce lieu-là, se souvient le cinéaste. J’étais étonné qu’aucun documentaire d’auteur n’ait exploré ce monde si insolite et authentique à la fois…» Après un film sur la cabane à sucre (Les sucriers), Nicolas Paquet poursuit donc sa phase cinéma­ tographique «cabanes» en se penchant cette fois sur… la cabane à patates. Porté par une musique country folk composée par Fred Fortin, Esprit de cantine ne parle pas tant de la cuisine que de l’esprit des lieux, qu’on ne voit pas forcément quand on s’arrête rapidement pour manger. Ici, on voit le Québec de l’intérieur. «La caméra révèle d’abord l’arrière-scène, celle que les passants et les touristes ne peuvent découvrir… Les cantines font vraiment partie de notre histoire, on a tous un souvenir qui s’y rattache. C’est un pan de l’identité québécoise. On en trouve bien en Belgique ou dans le nord de la France, mais au Canada c’est assez unique. La cantine, ç’a commencé ici: c’est le mélange poutine et petite baraque saisonnière.» Un coup de klaxon, la nuit qui tombe, la cantine et ses néons au bord de la route: c’est chez Mimi que s’ouvre le documentaire, qui suit la propriétaire, Micheline, entourée de ses employés et clients fidèles. Chez Mimi est située à Saint-Alexandrede-Kamouraska, un petit village industriel du

Bas-Saint-Laurent où habite le cinéaste depuis maintenant une dizaine d’années. «Moi, j’appelle ça mon petit casse-croûte familial, confie Micheline. J’aimerais ça qu’il continue à y en avoir un peu partout.» On découvre aussi dans le documentaire le quotidien de Nathalie, qui a racheté Le Connaisseur, une cantine installée dans un camion à Tadoussac. «Il y a une dynamique différente entre les deux lieux, ils montrent chacun un regard différent sur la ruralité», explique Nicolas, qui a filmé les deux casse-croûtes pendant un an – «J’ai essayé de ne pas dépasser une poutine par jour…». Psychologie au comptoir Ce qui définit une cantine? Un bâtiment souvent pas isolé, un revêtement en vinyle. «Un petit rectangle blanc», résume poétiquement le cinéaste. Il y a des petits bijoux visuels à trouver, confie-t-il, comme celles qui ont une déco thématique (la pêche dans les cantines de la Côte-Nord). «Elles sont un peu à l’opposé de ce que le design moderne nous propose...» Les cantines ont souvent un emplacement stratégique, proche du fleuve. On les attend avec la fonte des neiges. «Il y a pas ou peu de places assises à l’intérieur et on mange à une table de pique-nique. Quand il y a 30 places assises, là on parle plus d’un restaurant.» Quant au menu, qui ne se limite pas à la poutine, on peut trouver des particularités locales. Mais ça doit rester simple. «C’est pas un endroit où on sert de la poutine avec du foie de canard!», s’exclame un des

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personnages du film. Le cinéaste est bien d’accord: «Simplicité, c’est le mot-clé. Dans la cantine, l’accent est surtout mis sur l’ambiance. On y vient pour un moment de réconfort, on ne se casse pas la tête pour choisir ce qu’on va manger. On vient chercher l’authenticité.» L’authenticité de la relation avec les clients, qui sont souvent des habitués. «Dans certains villages, c’est le seul endroit où on peut aller pour parler avec ses concitoyens. Les propriétaires de cantine sont parfois presque des psychologues», analyse le cinéaste. Des propriétaires qui constituent un milieu très féminin; sur la cinquantaine de cantines visitées par Nicolas, seules deux étaient tenues par des hommes. Si ces femmes sont le plus souvent âgées d’une cinquantaine d’années environ, le cinéaste a choisi de suivre la jeune Nathalie, qui a racheté sa cantine à l’âge de 25 ans. «La cantine de Tadoussac montre la relève.» Une relève pas toujours facile à trouver pour ce patrimoine menacé par plusieurs évolutions: les changements dans les habitudes de consommation, qui font qu’on mange plus santé ou plus gastronomique, le déploiement des grandes chaînes de restauration, les changements démo­graphiques et les campagnes qui se vident…

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ART DE VIVRE 51 VOIR MTL

Taxi-poutine «J’ai pas vu de chiffres, mais ç’a l’air rentable à ce qu’on m’a dit, confie le cinéaste. Mais pour tenir une cantine, il faut être prêt à travailler au moins 60 heures par semaine.» Et au moins six jours par semaine, les soirs notamment. C’est souvent ce qui peut faire peur à la relève potentielle – en plus du fait de sentir la frite tout le temps, comme le souligne Nathalie dans le film. Avec son conjoint, on la voit se battre pour faire survivre sa cantine, par exemple face à la munici­ palité qui lui refuse l’autorisation d’avoir un plus gros camion. Pour attirer les clients, le couple met en place un «taxi-poutine» pendant le Festival de la chanson. Il s’agit aussi de bien connaître les habitants du coin, comme le faisait monsieur Lapointe, à qui Nathalie a racheté sa cantine; ce dernier avait tenu Le Connaisseur pendant plus de 40 ans. «Si on leur donne pas un coup de main, on va se réveiller un jour, pis on va se rendre compte qu’on aurait dû garder nos cantines», soupire le conjoint de Nathalie.

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Le film, projeté deux fois aux Rencontres inter­ nationales du documentaire de Montréal, porte ainsi un regard intime sur ces petits morceaux du Québec. «Comme pour mes films précédents, Esprit de cantine s’inscrit dans ma démarche pour le déploiement d’une cinématographie qui déjoue les préjugés en illustrant la ruralité comme elle peut aussi être: dynamique et pleine d’avenir, explique le cinéaste. Tout n’est pas dévitalisation, exode et perte d’emplois.» «Régionaliste par adoption», Nicolas s’investit beaucoup dans le cinéma local, autant dans ses longs métrages qui sont des réflexions autour du terroir et de la ruralité, qu’en défendant les projections régionales. En attendant, il continue à aller manger dans les cantines. «Ça va perdurer, mais il va en avoir de moins en moins. Y a quand même une certaine fierté, une volonté que ça dure... Ce film, c’est une invitation à les fréquenter.» y Esprit de cantine Sortie en salle le 20 avril

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52 LIVRES VOIR MTL

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LIMITER LES DÉGÂTS MOTS | FRANCO NUOVO

Ce Discours de réception du prix Nobel imaginé par Jean Barbe est une blague. C’est ce qu’il se plaît à répéter. Peut-être tout cela a-t-il commencé comme un jeu, bien que j’en doute. Peut-être a-t-il voulu s’amuser à rédiger le discours hypothétique qui mériterait d’être lu et qu’il aimerait livrer à l’Aca­ démie du Nobel, advenant bien sûr qu’on lui décerne un jour le prix. Peut-être. Je me suis donc lancé dans la lecture de ce tout petit bouquin d’à peine une soixantaine de pages en m’attendant à sourire, à rigoler, en l’imaginant, lui, Jean Barbe, prenant l’avion pour Stockholm afin de recevoir cet honneur que Bob Dylan n’a pas daigné aller chercher le jour convenu. Il aurait dû. C’est donc dans son habit d’apparat à plusieurs milliers de dollars que je voyais Jean Barbe se présenter devant cette respectable assemblée, bien décidé à lui dire quelques mots. Or, le bouquin commence comme le récit presque naïf d’un petit garçon qui a découvert les joies de la lecture en se plongeant dans les mémoires du champion cycliste Louison Bobet. C’est son enfance de gamin de Laval qu’il raconte. Une jolie entrée en matière, d’autant plus que petit Jean avait lui aussi un vélo, une bicyclette, en fait, avec un siège banane et des poignées Mustang. Petit Jean, bien sûr, n’avait aucune ambition de faire le tour de France, mais il avait soif de cette liberté que lui offrait son vélo et de celle qu’il découvrait, ligne après ligne, à travers les exploits du champion cycliste. Il voyageait, traversait les cols et comprenait du même coup que la lecture était un moyen merveilleux de s’évader et de voir le monde, même en ne quittant pas les environs du boulevard de la Concorde. Et par magie, tranquillement, il s’est mis à faire la différence entre livre et littérature. Et il a découvert surtout pourquoi, lui, Jean Barbe, se devait d’écrire «pour consoler les vivants». C’est ici que tout bascule. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit ici d’un petit bouquin léger sur l’enfance ou la découverte de terres inconnues. Le sérieux

PHOTO | DREAMSTIME

du propos ne tarde pas à apparaître et à étaler ses tentacules comme une pieuvre en mouvement, cette bête considérée comme particulièrement intelligente. En fait, ce discours est d’abord un plaidoyer pour les livres et la lecture; leur nécessité dans une société à la dérive et leur caractère essentiel pour l’humain et son humanité. Puis ce même discours emprunte une pente glissante qui fait de lui un brûlot, une critique sévère des réseaux sociaux (bien que ce ne soit pas là l’essentiel de l’ouvrage), d’un consumérisme culturel qui éloigne les arts et la littérature de leur vocation première: rapprocher les êtres humains, les uns des autres. Cependant, aux yeux de Jean Barbe, l’économie, le libéralisme économique, Facebook et compagnie ont fait basculer notre monde vers l’isolement. Ce discours marchand, va-t-il jusqu’à affirmer, est «un mode de destruction massive». Il attaque le paradoxe de «l’industrie culturelle», l’opinion débridée, le mépris envers les intellectuels et les artistes, la remontée du discours d’extrême droite, «l’immobilisme face aux changements climatiques» et même «l’élection de Trump». Il s’attarde à la téléréalité aussi, rappelant que cette engeance qui a cultivé le culte d’un star system dépourvu de talent est née d’une grève des scénaristes. Et comme la nature a horreur du vide, producteurs, diffuseurs et marchands du temple se sont empressés de remplacer l’acte de création par des jeux de rôles vides ne servant qu’à meubler des cases horaires et créer des vedettes mises au monde par le bleu d’un écran cathodique. Dans son plaidoyer pour l’art, la culture et la littérature, il donne même des exemples: Réjean Ducharme, notamment, dont la disparition a suscité un raz-de-marée emportant sur son passage autant d’ignorants que de lettrés. Tout ça parce qu’il était invisible et que les adeptes des réseaux sociaux adorent, pour citer Stendhal, «l’esprit charmant invisible aux sots».


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Pour Jean Barbe, l’art et la littérature représentent «le meilleur de l’humanité». Alors, demande-t-il aux dignitaires de la prestigieuse académie, «pourquoi cette humanité lit-elle si peu?»

Parce que ce Barbe qui écrit si bien nous permet, en ne perdant pas de vue la mort d’un père ou les propos d’un Le Clézio, de garder au moins un espoir, celui de «limiter les dégâts». y

La question ne vaut-elle pas la peine d’être posée? Entre vous et moi, j’ai eu du plaisir à parcourir ce discours vrai destiné à d’imaginaires dignitaires.

Jean Barbe Discours de réception du prix Nobel Leméac, 64 pages


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Sur les rayons

LE DERNIER CHALET YVON RIVARD Leméac, 208 pages Que reste-t-il au soir de notre vie autre qu’un été qui chante, un fleuve qui nous toise et l’extrême fixité des choses? Dans Le dernier chalet, où Yvon Rivard convoque Philippe Forest, Gabrielle Roy, Virginia Woolf, Friederich Holderlin, Rainer Malker Rilke et tant d’autres, l’écrivain assoit une pensée comme on érige un jardin: avec la patience des saisons et au hasard des jours. On retrouve l’alter ego de Rivard en la figure du personnage d’Alexandre, qui est peut-être la seule raison pour laquelle on a accolé l’étiquette de roman à ce livre qui dépasse largement les frontières du genre. Rivard nous convie plutôt à une plongée au fond des choses, errant entre le récit et l’essai. Le texte hybride, composé de divers sentiers réflexifs, propose une marche lumineuse.

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Alexandre cherche le lieu de l’écriture. Entre la ville et la campagne, entre le fleuve et sa compagne, l’enfance et la vieillesse, il tente de cerner un livre duquel il pourra renaître dans l’écriture. D’un chalet à l’autre, les pièces sont trop grandes ou trop étroites, le fleuve est trop loin ou trop près, le paysage est trop vallonné ou trop montagneux et l’écriture, elle, advient difficilement. Sa compagne, Marguerite, le suit dans ses pérégrinations où il cherche à la fois l’enfant qu’il était, l’homme qu’il est devenu et l’écrivain qu’il aimerait être. Et c’est dans ce chalet du Bas-Saint-Laurent qu’ils s’installeront, dans ce dernier chalet où l’existence tentera de se replier sur elle-même, appelant ainsi à la table les anciennes amours, les amantes d’autrefois, les écrivains qui ne cessent de nous suivre et les petits-enfants qui, à eux seuls, peuvent montrer le chemin. Créant une judicieuse chambre d’écho avec Cet été qui chantait de Gabrielle Roy – livre écrit alors que l’écrivaine s’était installée dans sa maisonnette de Petite-Rivière-Saint-François –, Rivard propose une réflexion sur ce qui advient de l’existence lorsqu’on ne peut plus la remodeler. Sans jamais mythifier l’écrivain ou la littérature, il juxtapose les réflexions sur la nécessité du paysage à celles sur la façon d’être au monde, s’interrogeant tantôt sur l’occupation du territoire, tantôt sur l’impossibilité de l’écrivain d’écrire les livres qu’il aime. Le dernier chalet propose un temps d’arrêt, une grande respiration. Voilà un livre comme un refuge dont l’adresse nous est encore inconnue. (Jérémy Laniel) y


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Ici vous trouverez de superbes pièces de viande prêtes à servir ou marinées mais aussi une grande épicerie regorgeant de toutes sortes de délices! Sur les rayons

FAIRE MOUCHE VINCENT ALMENDROS Minuit, 128 pages Il va sans dire, l’été est chaud et collant à Saint-Fourneau, village fictif créé en plein cœur de l’Auvergnat par l’auteur français Vincent Almendros. Quelques années après Un été, l’auteur propose toujours chez Minuit un huis clos en terre natale où les cicatrices du passé semblent bien vives, même si le narrateur ne les évoque que superficiellement. Lorsqu’on fuit l’histoire familiale, on se voit toujours obligé d’y replonger au détour d’un mariage ou de funérailles. Quand sa cousine Lucie décide de se marier à Pierre, Laurent Malvère se voit contraint de prendre la route avec sa fiancée enceinte de trois mois pour retourner sur des terres qu’il aurait tant désiré laisser en jachère. Almendros dépeint ce périple de quelques jours en à peine une centaine de pages avec la concision et le talent des écrivains qui ont fait la renommée de cette maison d’édition. Quand Laurent arrive en fin de soirée dans le hameau familial, il profite du silence et du sommeil de Claire sur le siège passager pour prendre une bonne respiration, sachant très bien que les prochains jours ne seront pas simples. Bien que le passé familial et les relations tendues entre une mère et son fils eussent été bien suffisants pour meubler le court roman, on comprend que l’histoire n’est pas aussi simple qu’on pouvait bien le croire lorsque Laurent présente Claire à son oncle en l’appelant Constance. Une amie qui se fait passer pour une fiancée, un oncle mourant, une mère marâtre, une cousine entêtée et, par-dessus le marché, le frère de la vraie fiancée qui ne cesse d’appeler alors qu’il se retrouve sans nouvelles de sa sœur. On vous le donne en mille: rares sont les périples familiaux qui sont aussi glauques et délectables que ceux de Vincent Almendros. Ce qui est fascinant ici, c’est la concision de la langue et la maîtrise du suspense dont l’auteur fait preuve tout au long. Les chapitres courts et les dialogues ciselés servent de moteur à l’histoire d’Almendros, qui, durant tout le livre, s’assurera de laisser plusieurs questions sans réponses, créant ainsi des scènes tout aussi tendues que spontanées, que ce soit le déjeuner avec la mère ou la cueillette de champignons, qui se déroulent comme si quelque chose de terrible allait advenir. Tendu sur le fil d’un rasoir, ce roman étouffant est une belle réussite. (Jérémy Laniel) y

MARCHÉ JEAN-TALON

158, place du Marché-du-Nord Montréal — Petite-Patrie, QC 514 276-1345


< Mother and Child, 2014. Résine, bois, cire, fourrure, 180 x 148 x 61 cm. Photo: Guillaume Ziccarelli

> I’ve seen more things than I dare to remember 4, 2015. Bindis sur papier, 70.3 x 83 cm. Photo: Claire Dorn Avec l’aimable permission de l’artiste et Perrotin


ARTS VISUELS 57 VOIR MTL

VO3 #O4

LA TOILE DU MONDE LA PROLIFIQUE ARTISTE BRITANNICO-INDIENNE BHARTI KHER PRÉSENTERA SES CRÉATIONS À MONTRÉAL POUR LA TOUTE PREMIÈRE FOIS AVEC POINTS DE DÉPART, POINTS QUI LIENT, À LA DHC/ART, UNE EXPOSITION OÙ L’HÉTÉROCLISME ET LE SYMBOLISME QUI CARACTÉRISENT SON ŒUVRE Y FONT BON MÉNAGE. MOTS | JULIE LEDOUX

L’univers dans lequel gravite Bharti Kher a, à la fois, peu et tout en commun avec la pratique contemporaine de la peinture et de la sculpture. Tantôt baignant dans l’expressionnisme abstrait ou l’op art, tantôt dans l’abstraction géométrique de la peinture occidentale et les traditions tantriques et néotantriques indiennes, la pratique artistique de Bharti Kher se définit difficilement, sinon qu’elle emprunte autant à l’expression symbolique qu’à l’abstrait, aux objets issus de la culture populaire qu’aux paramètres des sciences qui l’inspirent. Peinture, sculpture, installation, dessin, l’œuvre de Bharti Kher s’inscrit à travers divers médiums et sa pratique ne se limite pas aux frontières du possible, pour l’artiste née à Londres, en 1969, et désormais installée en Inde, à New Delhi depuis 1993, où elle vit et travaille. Bindi pour toujours Bien que titulaire d’un baccalauréat spécialisé en beaux-arts et en peinture de la Newcastle Polytechnic, elle n’hésite pas à intégrer des objets culturels symboliques à ses œuvres tant picturales que sculpturales. Reconnue pour son utilisation singulière du bindi, elle en fait le lien central entre l’objet d’art et l’objet produit en série. Issu du mot sanskrit bindu (point, goutte, particule), le bindi symbolise le troisième œil spirituel, le point où la création commence et devient unité, et s’inscrit dans une tradition et un rituel culturels propres à l’Inde. S’il était préalablement apposé avec un pigment naturel coloré, le bindi est désormais produit en série, accessoire de mode et populaire qui n’échappe pas à l’appropriation culturelle. Ce bindi suit Bharti Kher partout, qu’il s’agisse d’une référence au minimalisme ou à la pixellisation de l’impressionnisme ou encore d’un simple matériau, au même titre que la toile elle-même.

Déterminée à récupérer l’objet et à en faire le vecteur central du symbolisme d’une panoplie d’œuvres, Kher utilise des centaines, voire des milliers de bindis dans chaque peinture aux couches multiples, sculpture à grande échelle et installation à grand déploiement. Du même coup, elle s’est créé un point de repère – tant artistique que physique – à son arrivée en Inde. Si sa perception du bindi a changé au fil du temps, son utilisation demeure au cœur de sa pratique. La série Heriodes (2016), qui sera présentée à Montréal, plus qu’un clin d’œil au recueil d’Ovide Les Héroïdes, évoque les voix de ces héroïnes grecques et romaines, tout en créant des liens avec les éléments de la féminité et de la solitude qui martèlent les poèmes. À travers ses œuvres, Kher fait résonner des liens conceptuels et visuels avec le sacré et le

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< The day they met, 2011. Bois, sari enduit de résine, 262 x 76 x 170 cm. Photo: Guillaume Ziccarelli

> A standard situation or cross purpose, 2015. Bindis sur bois peint, 204 x 204 cm. Photo: Guillaume Ziccarelli Avec l’aimable permission de l’artiste et Perrotin

rituel, des manifestations de la féminité et l’appro­ priation de ses codes et ses symboles. C’est ainsi qu’elle crée autour du bindi, entre autres, un lan­ gage et un code qui nous permettent de comprendre les rapports formalisés entre une multitude de pratiques artistiques et certaines traditions cultu­ relles et religieuses indiennes. Outre le bindi, Kher propose aussi un nouvel usage symbolique du sari, vêtement traditionnellement porté en Asie du Sud composé de grandes étoffes de tissu. À travers un processus de ready-made – l’utilisation d’un objet ordinaire et manufacturé, transformé ou repositionné –, Bharti Kher drape de saris des piédestaux en béton coulé dans sa série Sculpture Portraits (2012-2016). Représentant le corps absent, le sari évoque ici l’intimité, voire le drame, particulièrement dans The Night She Left (2011), un escalier de bois récupéré, parsemé de bindis rouges et accompagné d’une chaise renversée autour de laquelle un sari est enroulé. Ces associations hétéroclites demeurent au centre de la production artistique de Kher et invitent le néophyte comme l’expert à repenser l’expression habituelle des symboles forts du quotidien.

recouvertes et masquées, qui sera exposée pour la toute première fois. Cette série toujours en cours se compose de bindis qui marquent les territoires, tout en remettant en question les divisions Nord/ Sud et les frontières imposées par les colonisations européennes. Des sciences, Bharti Kher tire de nombreuses pièces et installations. Après la géographie, la biologie est aussi à l’honneur, avec An Absence of Assignable Cause (2007). Représentation à l’échelle d’un cœur de baleine bleue – le plus grand cœur au monde – enveloppé d’une tout aussi gigantesque pellicule de bindis, cette sculpture renvoie à une observation directe du cœur de l’autre à l’aide de l’œil intérieur qu’est le bindi. Depuis ses débuts dans les années 1990, le travail artistique de Bharti Kher, à la fois ouvert et réceptif au monde qui l’entoure, expose du même coup une forme de restriction et de contrainte. En créant des rapprochements formels entre des thèmes et des objets qui n’ont aucun lien apparent, Kher crée un nouveau code pour décrypter le langage visuel qu’elle propose. À nous d’y porter attention et de nous abandonner à l’expérience. y

Géographie revisitée Des «points de départ», les conquêtes coloniales en sont une certaine représentation. Bharti Kher s’y attarde par le biais d’une série de cartes de Mercator

Points de départ, points qui lient DHC/ART du 20 avril au 9 septembre 2018


60 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #O4

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ALEXANDRE TAILLEFER DE LA MAIN GAUCHE

L. A. (LIBERTÉ ARTIFICIELLE) On a fait grand cas de Cambridge Analytica, la firme qui a réussi à mettre la main sur le profil de près de 50 millions de personnes qui utilisent Facebook après que leurs applications bidons eurent été utilisées par environ 250 000 personnes et que ces dernières eurent accepté que leur liste d’amis soit partagée.

pour la dizaine de milliards d’humains que nous serions. L’arrivée des objets connectés (appelés communément IoT ou Internet of Things) a rendu cette provision d’adresses complètement caduque. La nouvelle norme permettra presque autant d’adresses uniques qu’il y a de molécules sur terre. On a été prévoyant cette fois-ci…

Tous les politiciens dignes de ce nom utilisent aujourd’hui des listes d’envoi, et les plus sophistiqués travaillent avec des firmes qui les aideront à harnacher le pouvoir des médias sociaux. La particularité dans ce cas-ci réside dans l’analyse que l’entreprise faisait soi-disant innocemment du profil psychologique de l’utilisateur de Facebook afin de le classifier selon une technique appelée OCEAN, proposée par un psychologue du nom de Lewis Goldberg, qui permet de qualifier chaque individu en fonction de cinq caractéristiques (Ouverture, Conscienciosité, Extraversion, Agréabilité et Névrosisme). Cette technique arrive ainsi à prédire les allégeances et les biais d’un individu et à étendre ses conclusions aux amis de la personne testée en suivant le principe de qui se ressemble s’assemble. Puis, elle développe des messages qui tireront efficacement toutes les ficelles de ces personnes pour les inciter à voter pour Trump.

On assiste présentement à la course au data. Toute cette information peut être très utile individuellement, mais c’est collectivement qu’elle prend tout son sens. Bien entendu, le data privé peut être intéressant pour les agences de sécurité ou pour les avocats spécialisés en divorce, mais ce sont surtout les milliards et les milliards de points de data anonymisés qui permettront de mieux prédire l’avenir, parce que c’est bien de ça qu’on parle. Prédire un avenir de quelques millièmes de seconde dans le cas d’accidents de la route, ou un avenir de dizaines d’années, dans le cas d’une maladie comme le diabète.

Bienvenue dans l’univers du Big Data. Pour ceux qui vivent encore dans celui des Calinours, sachez qu’à peu près tout ce que vous faites est aujour­ d’hui transformé en data et compilé quelque part: chaque point transmis par votre téléphone, chaque déplacement de votre voiture, chaque texte lu, chaque transaction financière, votre profil démographique, les valves de vos tuyaux, la température de votre résidence, votre température buccale, votre poids, les aliments que vous avez achetés. Ajoutez à cela les données liées aux entreprises et aux gouvernements: les feux de circulation, les caméras, les capteurs industriels, le data provenant des voitures, et j’en passe des centaines de milliers. Quand internet a été créé, le protocole a été conçu afin de supporter un peu plus de 4 milliards d’adresses internet publiques uniques, prévoyant que ce serait suffisant

Aucun secteur ne devrait ignorer les nouveaux horizons qu’ouvre tout ce data. Le champ qui me fascine le plus est celui de l’utilisation de ce data par les gouvernements. Je suis aujourd’hui convaincu que nous pourrons prédire l’impact des politiques sociales et économiques avec une précision qui s’améliorera tellement que ces sciences qualifiées de «molles» deviendront de plus en plus des sciences exactes. Les théories économiques comportementales qui ont grandement aidé à comprendre l’irrationalité du comportement des consommateurs seront confondues. Nous trouverons la rationalité derrière l’irrationalité. Nous pourrons comprendre un individu avec un tel degré de certitude que nous prédirons les gros achats qu’il fera malgré sa situation financière précaire. Sa consommation, c’est bien, mais nous prédirons aussi de quel côté penchera sa prime à l’urne lors d’élections. En fait, il serait possible de presque éliminer le fait de voter, car nous saurons de toute façon pour qui chaque individu votera…

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Le cas de Facebook démontre en fait une partie du mal que peut engendrer cette révolution liée à l’interprétation du data de masse. Comme bien des choses, le data peut être utilisé à mauvais escient s’il est laissé entre les mains de gens malintentionnés. Mais il est important de comprendre que nous ne remettrons pas le dentifrice dans le tube et que le data peut aider dans la prise de bonnes décisions. Une des plus grandes opportunités pour les gouverne­ ments sera l’utilisation des données massives pour aider nos dirigeants à prendre les meilleures décisions. Nous arriverons à bien mieux comprendre les impacts globaux de nos différentes politiques. Nous aurons la capacité de prédire de façon de plus en plus exacte l’impact qu’auront des décisions comme la hausse du budget en éducation, la hausse du salaire minimum, l’implantation d’un parc dans un quartier, l’élargissement d’une autoroute ou l’ajout de transport collectif. Nous allouerons ainsi nos dépenses à la santé, aux infrastructures et à l’éducation. Nous pourrons fournir aux citoyens des capteurs de santé qui prédiront les maladies des années avant qu’elles ne se déclenchent, permettant ainsi d’économiser des milliards de dollars globalement. Et nous démontrerons probablement aussi l’importance de l’école primaire sur le parcours d’un citoyen et choisirons alors enfin d’y consacrer les

ressources nécessaires. On cessera de se battre sur les moyens, on se battra sur les objectifs. Tout ceci sera possible et acceptable socialement et éthiquement si et seulement si on met en place des lois et des règlements très clairs sur la gestion des données personnelles et sur les critères selon lesquels ces données seront mises en disponibilité, idéalement au bénéfice de l’individu qui acceptera de les partager afin qu’elles profitent à tous. Ce travail ne peut être effectué à la légère et ne peut attendre après une coalition mondiale qui devra s’entendre sur tous les menus détails avant de procéder. C’est un exercice que nos gouvernements doivent entamer immédiatement. L’Europe est bien en avance sur nous. Le Québec doit non seulement emboîter le pas, mais il peut faire aussi figure de leader en la matière. Le sujet est d’une telle complexité qu’il requerra la participation de nos éthiciens, juristes, analystes, sondeurs, mathématiciens, anthropologues et autres sociologues les plus doués. Les solutions et les règles pour bien circonscrire ce véritable or noir virtuel sont à imaginer. C’est fascinant, excitant, mais aussi épeurant. Il faut rapidement boucher la fuite qui envoie tout ce data à l’étranger. Puis déterminer où nous le conserverons, à qui nous y donnerons accès, et de quelle manière. Par contre, une chose m’apparaît évidente après l’élection américaine: une agence gouvernementale n’est pas l’endroit où stocker tout ça… y

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QUOI FAIRE

MUSIQUE

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UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA THÉÂTRE CORONA VIRGIN MOBILE – 1ER MAI

Le duo rock néo-zélandais sera sur les planches du Théâtre Corona. Après une année 2017 plutôt sage, Ruban Nielson et Jake Portrait prennent la route pour une grande tournée à travers le Canada, les États-Unis et l’Europe. À cette occasion, ils présenteront leur nouvel album, Sex & Food.

PHOTO | NEIL KRUG


QUOI FAIRE 63 VOIR MTL

VO3 #O4

O4 / 2O18

YOUNG GALAXY CENTRE PHI - 21 AVRIL

Les membres de Young Galaxy ont choisi de mettre le point final à leur tournée dans leur ville d’origine. Le Centre Phi accueillera Stephen Ramsay, Catherine McCandless, Matthew Shapiro et Andrea Silver ainsi que leur dernier album, Down Time. À travers des sons électropop travaillés, ils livrent des messages engagés sur le fonctionnement actuel de nos sociétés.

PREOCCUPATIONS THÉÂTRE PLAZA – 16 AVRIL

< PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

MAUDE AUDET

MARJOLAINE MORASSE

SALA ROSSA – 5 AVRIL

PLACE DES ARTS – SALLE CLAUDE-LÉVEILLÉE

Accompagnée de ses musiciens, l’autodidacte Maude Audet envoûtera son public au sein de la chaleureuse Sala Rossa. Elle a prévu un menu intimiste avec pour plat principal son dernier album, Comme une odeur de déclin. Une émulsion de rock doux et de folk, relevée par un zeste d’inspirations musicales de bon goût.

JOE ROCCA THÉÂTRE FAIRMOUNT – 6 AVRIL

Le rappeur montréalais sera présent au Théâtre Fairmount avec son album French Kiss, imprégné de chansons d’amour des temps modernes. Joe Rocca s’est lancé dans un parcours en solitaire tout en continuant de voguer avec Dead Obies. Il désire maintenant conduire le rap québécois sur les hautes marches du podium.

JUSTIN TIMBERLAKE CENTRE BELL – 8 ET 9 AVRIL

Alors que l’on continue de déverser des rivières de larmes depuis 2002, Justin Timberlake est encore là. Il répondra présent au Centre Bell les 8 et 9 avril à l’occasion de sa tournée qui le mènera au Canada, aux États-Unis et en Europe. Armé de son nouvel album, Man of the Woods, il nous présentera ses rythmes contemporains saupoudrés de folk et de country.

Les anciens Viet Cong pimenteront le Théâtre Plaza avec le son post-punk de leur album, New Material, à paraître très prochainement. Le groupe canadien Preoccupations en a donné un aperçu avec le single Antidote tout récemment. Un bon remède contre le spleen de cette fin d’hiver.

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7 AVRIL

Après avoir été interprète pendant longtemps, la compositrice Marjolaine Morasse se révèle avec des textes évoquant les tracas tranquilles de nos vies quotidiennes. Elle investira la salle Claude-Léveillée avec son nouvel EP, Chansons de laine. On y retrouve une ode au grand air, à l’amour et à la poésie à travers des arrangements de piano, guitare et voix.

U.S. GIRLS L’ESCO – 11 AVRIL

La plus féministe des Torontoises viendra électriser l’atmosphère à l’Esco avec dans son carquois In a Poem Unlimited, son sixième album. L’amazone de l’indie pop donne une voix à toutes les femmes, de la veuve de guerre à la jeune femme divorcée, mais toujours guerrières et combatives.

ROY WOODS THÉÂTRE CORONA VIRGIN MOBILE – 20 AVRIL

Le jeune rappeur originaire de Toronto donne rendez-vous à son public au Théâtre Corona pour faire découvrir son album Say Less. Le protégé de Drake mêle R&B et sons groovy, sans oublier ses influences reggae. À travers ses textes, l’artiste expérimente et explore diverses avenues. PHOTO | POONEH GHANA


SCÈNE

LE NOM THÉÂTRE PROSPERO – JUSQU’AU 21 AVRIL

Dominique Leduc s’attaque à cette traduction du texte de Jon Fosse, auteur majeur de la dramaturgie contemporaine qui a marqué la metteure en scène. Ce huis clos familial raconte l’histoire d’une adolescente qui revient chez ses parents avec un enfant à naître. Entre secrets et vérité, c’est aussi l’histoire du territoire à redécouvrir...

HROSES – OUTRAGE À LA RAISON THÉÂTRE DENISE-PELLETIER – JUSQU’AU 14 AVRIL

Créée entre Montréal et Toronto, cette pièce explore la thématique de l’amour tragique à travers le procédé de la fable et du réalisme magique. Jill Connell met en scène Lily et Ellery, deux êtres de familles rivales qui doivent démêler les ficelles du sentiment amoureux. Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Roméo et Juliette.

COMMENT JE SUIS DEVENU MUSULMAN LA LICORNE – JUSQU’AU 21 AVRIL

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Inspirée de l’histoire de l’auteur Simon Boudreault, cette comédie dramatique explore plusieurs thèmes universels, avec en arrière-plan notre rapport à l’autre. C’est «l’histoire d’un mariage de cultures» qui nous emmène à la rencontre de personnages réalistes et touchants qui doivent apprendre à vivre ensemble malgré leurs différences.

PHOTO | CHRISTIAN BLAIS GAUTHIER

DR. MOBILO AQUAFEST

LES HARDINGS

DIFFÉRENTS LIEUX - MONTRÉAL – 6 AU 14 AVRIL

CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI

Embarquez à bord de l’Aquafest et attachez votre ceinture. Pendant près d’une semaine, une flopée d’humoristes vous emmène à l’assaut d’improvisations et d’expérimentations créatives et humoristiques dont le seul but est de vous divertir. Retrouvez (entre autres) Virginie Fortin, Adib Alkhalidey, Maude Landry ou encore Guillaume Wagner.

LA DETTE DE DIEU THÉÂTRE LA CHAPELLE – 9 AU 13 AVRIL

PHOTO | ISABELLE JETTÉ

La dette de Dieu se présente comme un essai scénique et poétique de Jean-François Boisvenu. L’auteur et interprète utilise la danse, le théâtre et la musique pour nous entraîner dans un questionnement: «Et si Dieu lui-même avait dû emprunter au diable pour finir la création du monde?» Un prétexte pour s’interroger sur les multiples visages que prennent nos dettes.

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10 AVRIL AU 5 MAI

Pour sa deuxième création, Alexia Bürger élabore une fiction mystérieuse: trois hommes portant le même nom et un déraillement de train qui fait exploser une ville... Il y a de quoi être intrigué. À travers les existences ordinaires de ces personnages, l’auteure tente de remettre en question leur place dans le monde et leur part de responsabilité dans son dérèglement.

LE BIZARRE INCIDENT DU CHIEN PENDANT LA NUIT THÉÂTRE JEAN-DUCEPPE – 11 AU 19 AVRIL

Maintes fois montée et acclamée, cette pièce reprendra vie à Montréal dans une mise en scène d’Hugo Bélanger. L’histoire intrigante d’un adolescent qui s’improvise enquêteur et qui entretient une relation étrange avec le monde qui l’entoure. Un héros intelligent et en même temps insaisissable.


QUOI FAIRE 65

ORIGAMI

7 JOURS PAS PLUS EN SALLE LE 20 AVRIL

Dans ce long métrage de sciencefiction québécois, le comédien François Arnaud incarne David, qui a la capacité de voyager dans toutes les périodes de sa vie. Cette expérience va l’amener à se confronter à sa propre histoire, mais surtout à son passé qu’il a toujours rejeté.

Pierre et Jeanne vivent une histoire d’amour un peu terne à cause du caractère vieux garçon de Pierre. Un jour, ce dernier tombe par hasard sur Ajit, un Indien qui vient d’arriver en France pour voir son oncle. Mais le nouveau venu se retrouve seul, poussant ainsi Pierre à l’accueillir chez lui. Une rencontre qui pourrait changer la petite vie peu exaltante du couple.

L’APPARITION Jacques, un journaliste d’investigation pour un grand quotidien régional de France, est contacté par le Vatican qui lui demande d’enquêter sur une jeune fille qui affirme avoir vu la vierge Marie. Mais la rumeur de cette apparition s’est vite répandue et des milliers de pèlerins affluent dans le petit village du Sud-Est de la France, ce qui ne facilitera pas l’enquête de Jacques.

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DOIS PLACE DES ARTS – CINQUIÈME SALLE 12 AU 15 AVRIL

Faisant partie de la programmation du premier Printemps nordique, ce spectacle multidisciplinaire explore le lien fraternel qui unit les créateurs Luis et Pedro Sartori do Vale. Avec ce point de départ, ils travaillent autour de plusieurs thématiques, comme la complicité et la rivalité.

BÉA LA LICORNE – 16 AVRIL AU 4 MAI

Abordant le complexe sujet du suicide assisté à travers l’histoire de Béa, atteinte d’une maladie dégénérative, la pièce ouvre la porte à une réflexion collective. Un huis clos humoristique et grave en même temps qui renvoie à beaucoup d’histoires.

LE SCRIPTARIUM 2018 THÉÂTRE DENISE-PELLETIER –19 AVRIL AU 4 MAI

Ce nouveau projet prend la forme d’un laboratoire théâtral où émerge la parole d’adolescents qui auront reçu un thème, un univers ou une forme d’écriture à explorer. À l’origine de ce spectacle, il y a eu un échange épistolaire entre l’homme de théâtre Stéphane Crête et les jeunes auteurs.

O4 / 2O18

EN SALLE LE 27 AVRIL

EN SALLE LE 20 AVRIL

PHOTO | JOCELYN MICHEL

VO3 #O4

LA BOLDUC EN SALLE LE 6 AVRIL

Ce biopic très attendu retrace la vie de Marie Travers Bolduc, une mère de famille en situation précaire dans le Montréal des années 1920 et 1930 qui deviendra une des plus grandes chanteuses folkloriques du Québec, notamment grâce à des textes engagés sur la condition ouvrière. >

CINÉMA

VOIR MTL


LOBSTER CLAW, LE JARDIN BOTANIQUE DE BROOKLYN, 2006

LOTUS LEAF, LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL, 2006.

ARTS VISUELS

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EMBODIED OBJECTS

L’UNDERGROUND À LA LOUPE

THE GARDEN AT NIGHT

OCCURRENCE – JUSQU’AU 21 AVRIL

ARTEXTE – JUSQU’AU 19 MAI

ESPACE LA FONTAINE – JUSQU’AU 29 AVRIL

Cette exposition est la preuve de l’interdisciplinarité de l’artiste Laura Splan. Elle fait s’y dialoguer «des sculptures de fabrication numérique, des tapisseries et des œuvres sur papier de lectures électromyographiques du corps de Splan». Faisant fi des catégories, l’artiste propose une expérience entre l’art et la science, une exploration du corps humain.

Michael Blum nous invite à tourner notre regard vers le passé dans cette résidence de recherche qui dévoile des publications artistiques réalisées dans un esprit d’indépendance et de débrouillardise datant des années 1960 à 1980. Une réflexion sur la production d’images à laquelle il ajoute sa propre vision en projetant le contenu visuel sur les murs de la galerie.

Découvrir les trésors cachés d’un jardin, c’est ce que propose la photographe de renommée internationale Linda Rutenberg. Dans un voyage photographique singulier, elle met en scène la nature dans ce qu’elle révèle après que tout s’endort. Cette exposition est le résultat de nombreuses escapades dans les plus grands jardins d’Amérique du Nord et d’Angleterre.



lancement phase 2 mai 2018

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