Magazine Voir Québec V03 #08 | Août 2018

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QUÉBEC VO3 #O8 | AOÛT 2O18 L’ÉTÉ DE 84 STACY-ANN OLIVER CANNABIS LES NOUVEAUX CAVISTES CHRISTIAN LAPOINTE MAUDE LANDRY LUCIEN RATIO YES MCCAN CHOSES SAUVAGES PHILIPPE GAGNÉ

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QUÉBEC | AOÛT 2018

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Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Coordonnatrice à la rédac­tion et journaliste: Catherine Genest Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Chef des sections restos, art de vivre et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnateur des contenus: René Despars Correctrice: Marie-Claude Masse

Directeur des ventes: Maxime Alarie Adjointe / Coordonnatrice aux ventes: Karyne Dutremble Consultante médias aux comptes majeurs: Alexandra Labarre Conseillères médias: Lucie Bernier, Suzie Plante

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Président: Michel Fortin Vice-président: Hugues Mailhot Impression: Transcontinental Interweb

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«LES ARTISTES AUTOCHTONES DE LA RELÈVE ONT BIEN L’INTENTION DE POURSUIVRE LE DIALOGUE ET DE FAIRE TOURNER LA ROUE POUR LEURS PROCHAINS.» Photo | Kelly Jacob (Consulat) Assistant | Thibaut Ketterer Maquillage / coiffure | Amélie Thomas Production Consulat | Vincent Boivent

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SCÈNE

Christian Lapointe Maude Landry Lucien Ratio

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MUSIQUE

Philippe Gagné Yes Mccan Choses sauvages

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CINÉMA

L’été de 84

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ART DE VIVRE

Cannabis

Les nouveaux cavistes

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ARTS VISUELS

Stacy-Ann Oliver

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LIVRES

La rentrée littéraire Crapalachia Foudroyée

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QUOI FAIRE CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Mickaël Bergeron (p16) Monique Giroux (p32) Normand Baillargeon (p38)


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SIMON JODOIN THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

LA PEINTURE À NUMÉROS Il y a des textes, comme celui-ci, où je me demande, devant la page blanche, par où je pourrais bien commencer. Je vais vous parler de mon enfance, tiens, si ça peut détendre l’atmosphère. Lorsque j’étais enfant, donc, on m’avait offert un ensemble de peinture à numéros. J’adorais ce truc. Il y avait sur des cartons des formes numérotées qu’il suffisait de remplir avec la couleur qui se trouvait dans un petit pot portant le bon numéro. C’était facile et sans risque. Pour se tromper, il fallait être un peu con. C’est écrit 14 sur le carton et le pot numéro 14, c’est la peinture verte. Tu comprends, il suffit de ne pas dépasser la ligne. À chaque case sa couleur, et hop! voilà, tu ne t’embêtes pas trop. Il s’agit de suivre une règle simple, d’obéir. J’ai su beaucoup plus tard, alors que je me promenais dans une exposition avec mon père, que l’expression «peinture à numéros» était utilisée de manière péjorative dans le milieu des arts, justement parce que c’est facile et sans risque. C’est un procédé banal qui va de soi. Je n’ai pas vu le spectacle SLĀV qui a fait grand bruit au cours des dernières semaines et je ne le verrai pas de sitôt puisqu’il a été retiré de l’affiche. Je suis depuis une quinzaine d’années le travail de Betty Bonifassi, chanteuse que j’ai découverte en 2003 avec le succès Belleville rendez-vous, chanson thème du film d’animation Les triplettes de Belleville. Un immense tube signé par Ben Charest, sauce swing tzigane. J’ai suivi sa carrière, depuis, dans ses explorations. Une femme solide, originale, qui ne marche pas dans les sentiers battus. Une défricheuse. Je n’ai pas vu SLĀV, donc, mais je n’ai pas manqué une seconde de l’opéra tragi-comique qui s’est joué devant le théâtre et partout dans les médias depuis le premier soir.

Le tableau d’ouverture portait un titre sans équivoque: Retirez de la scène ce spectacle raciste. Je sais... Vous allez me dire qu’il y avait autre chose dans le programme de beaucoup plus important que le titre. Vous allez me dire qu’il aurait fallu faire mieux, qu’on aurait pu discuter, établir un dialogue, entamer une conversation, se tendre la main, aller prendre l’apéro, tenir compte de l’avis de monsieur Untel ou de madame Machin ou mieux encore de toute la communauté noire pleine et entière d’un seul coup. J’ai bien lu tout ça, ça va, j’ai compris. Mais ce titre, quand même, relisons-le ensemble: Retirez de la scène ce spectacle raciste. À partir de là, je vais vous avouer que vous m’avez grandement étonné. J’ai été stupéfait de constater à quel point vous êtes nombreux à vouloir faire de l’aquaforme dans un bénitier. De la nage synchronisée même, chacun connaissant par cœur les mouvements des autres, tentant d’atteindre la perfection pour le salut de nos âmes. Trêve de natation, je vais pour ma part me mettre au plongeon. Allez, je saute, tête première, pour vous dire que devant une telle sommation à se taire, il n’y a qu’une seule réponse possible: non. Il n’y a rien à négocier. On ne retire pas un spectacle sous prétexte qu’il ne répond pas à telle ou telle règle esthétique ou morale. On le critique, on le dénonce, on le boycotte, on en crée un autre pour lui répondre, mais on ne retire pas un spectacle de la scène, pas plus qu’un livre des librairies. Personne ne semble avoir pris la pleine mesure de ce dilemme qui mène à un cul-de-sac dont on discute ces jours-ci. On nous dit que puisqu’ils n’ont pas amorcé

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le dialogue qu’on leur réclamait, parce qu’ils n’ont pas eu l’attitude souhaitée par quelques-uns, on peut très bien s’accommoder de faire taire des artistes. Par ailleurs, nous sommes depuis le début de cette saga devant un grand mystère. Avec qui aurait-il fallu dialoguer, au juste? Avec Will Prosper, qui considère que Maka Kotto est un «nègre de service», ou avec Kattia Thony, cette interprète haïtienne qui prenait part avec fierté au spectacle et que Maïtée LabrecqueSaganash, dans un élan de justice sociale sans doute, a qualifiée de «token noire» anonyme dans une récente chronique? Qu’est-ce à dire? Il y aurait de bons et de mauvais noirs? Certains qu’il faudrait écouter et d’autres qu’on devrait considérer comme de simples jetons? Qui devrais-je choisir, dites-moi? Et en s’imaginant que cette grande conversation à laquelle on les invite aurait pu avoir lieu, au terme de celle-ci, si des artistes devaient choisir de ne pas tenir compte de l’opinion des uns ou des autres, faudrait-il pour autant y voir une raison suffisante pour les faire taire?

À vous entendre, il suffirait de choisir le bon numéro pour appliquer la bonne couleur au bon endroit. Ce serait une simple question de respect, ai-je pu comprendre. Nous n’aurions qu’à obéir à certaines règles de base. C’est pourtant tout le contraire de la simplicité, car les bonnes réponses sont multiples. Nous pouvons très bien imaginer que toute cette grande conversation sociale qui apparaît nécessaire puisse se faire en même temps que Betty Bonifassi interprète des chants d’esclaves avec qui elle le souhaite, tout comme feu Dédé Fortin dansait le gumboot avec sa bande, cette danse créée par des mineurs noirs d’Afrique du Sud durant l’Apartheid. J’oserais même parier que la liberté artistique est une condition essentielle et nécessaire à la progression d’une société plus juste et que partout où on a tenté de suspendre la première pour obtenir la seconde, on a perdu les deux, toujours. Je vais miser là-dessus et permettez-moi, dans ce pari, de considérer que les individus ne sont pas que de simples jetons de couleur. y sjodoin@voir.ca



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DÉMOCRATIE DIRECTE LES GOUVERNEMENTS ÉCHOUENT SYSTÉMATIQUEMENT À LA METTRE EN PLACE: VOICI DONC UN HOMME DE THÉÂTRE RÉSOLU À FAIRE ADVENIR UNE VÉRITABLE DÉMOCRATIE POPULAIRE. ZOOM SUR LE PROJET THÉÂTRAL ET CITOYEN CONSTITUONS!, PENSÉ PAR CHRISTIAN LAPOINTE. MOTS | PHILIPPE COUTURE

La chose se répète à chaque élection, inlassablement. Quand un parti promet d’implanter un mode de scrutin proportionnel et des mécanismes de démocratie directe, on esquisse un rictus de scepticisme. Les structures du pouvoir politique étant ce qu’elles sont, aucun élu n’a le courage de rénover notre démocratie de fond en comble, même si la promesse est sans cesse reconduite. Et si le théâtre était l’espace d’expérimentation privilégié pour essayer? Le metteur en scène Milo Rau a tenté le coup à Berlin dans un spectacle intitulé General Assembly. La compagnie suisse-allemande Rimini Protokoll avait balisé le chemin un peu partout dans le monde avec sa série 100% qui donne la parole à 100 citoyens d’une même ville. Voici maintenant venir Christian Lapointe avec un projet québécois dont les ambitions démocratiques sont encore plus affirmées. Rien d’étonnant de la part d’un homme de théâtre de sa trempe, abonné aux projets démesurés, comme la fois où il a lu Artaud sans interruption pendant près de trois jours au Théâtre La Chapelle. Le 25 août au Périscope, à Québec, 42 citoyens choisis au hasard pour former un groupe représen­ tatif de la démographie québécoise vont entamer l’exercice politique jamais achevé: rédiger une constitution québécoise. À quelques pas du Parle­ ment où s’agitent les hommes de loi, ils donneront le coup d’envoi d’une longue série d’assemblées constituantes se déroulant dans les théâtres de toutes les régions du Québec, laquelle aboutira en un

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grand texte constitutionnel mais aussi en un grand spectacle documentaire participatif. Rien de moins. Une utopie qui devient réalité Est-ce une lubie d’artiste indépendantiste en mal de ferveur souverainiste? Que nenni! Le Québec n’a pas signé le rapatriement de la constitution canadienne en 1982 et peut légitimement procéder à cet exercice en tant que nation à l’intérieur du Canada, comme l’a d’ailleurs fait la ColombieBritannique en 1996 pour établir les balises de son pouvoir législatif et exécutif. Christian Lapointe insiste: l’exercice de simulation qu’il propose est réalisé de façon absolument non partisane. Dans de nombreuses entrevues à la radio, on l’a entendu répéter que la constitution servira à discuter de qui nous sommes et de ce que nous voulons pour notre société, et finalement à établir les modalités du vivre-ensemble. Il aimerait, bien sûr, que le texte final puisse être considéré par l’Assemblée nationale. Ce serait l’un des rares textes politiques de cette importance à être rédigé par des citoyens. Une utopie de démocratie populaire, certes, mais réalisée avec le plus grand sérieux. L’Institut du Nouveau Monde est aux commandes du processus d’assemblées constituantes, en collaboration avec la firme de sondages Léger 360 qui a sélectionné les 42 participants au hasard, respectant la com­ position démographique du Québec, et leur propo­ sant cette aventure comme un devoir citoyen,

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à la manière de la participation à un jury. Les discussions s’appuieront entre autres sur des mémoires soumis par la population civile, dans un processus rigoureux. Tapi dans l’ombre, Christian Lapointe va observer et documenter l’expérience, qui s’annonce passionnante. Le théâtre comme agora Si le théâtre documentaire est dans l’air du temps, comme en témoigne par exemple le succès de J’aime Hydro, de Christine Beaulieu, c’est qu’il y a une soif de démocratie et de dialogue que nos institutions n’arrivent pas à sustenter. Vaut mieux revenir au bon vieux théâtre, dont le rôle historique a toujours été d’être une agora. C’est précisément ce que veut retrouver Christian Lapointe, loin d’un théâtre prisonnier de ses quatre murs et trop souvent adressé au même public. «À notre époque et dans le contexte politique hautement toxique où nous nous trouvons, dit-il, le théâtre peut sans doute venir jeter une lumière salvatrice sur les questions essentielles soulevées par les besoins de balises que nécessite toute entreprise de nomination des “règles” du vivre-ensemble. L’enjeu est de reconférer au théâtre sa dimension fondamentale d’agora, c’est-à-dire, au sens grec du terme, de lieu de rassemblement social et politique.» Artisan d’un théâtre tantôt symboliste et cérébral, tantôt performatif et festif, Lapointe nous fait remarquer qu’il a intégré, ces dernières années, différentes formes de mise en scène de l’assemblée des spectateurs, qu’il se plaît à nommer «l’assis­ tance». C’était particulièrement le cas de sa mise en scène en 2013 de la pièce Outrage au public, un spectacle sans acteurs, énoncé par des voix de synthèse, et dont l’unique support visuel était une projection en miroir des gradins remplis de

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spectateurs. La pièce documentaire qu’il mettra en scène autour de ce projet de constitution en est une suite directe, se proposant de «documenter le processus constituant pour en faire le rejeu avec la salle chaque soir». En gros, l’artiste proposera au public, par un système de votation, de se prononcer sur les grands enjeux sociétaux et de «refaire en quelque sorte la rédaction de la Constitution du Québec». «Chaque soir, ajoute-t-il, je proposerai aux spectateurs de faire comme s’ils étaient les membres de l’Assem­ blée constituante qui furent tirés au hasard. Nous observerons ensuite ensemble la différence entre ce que “rédige” la salle chaque soir et ce qui fut réellement rédigé par les membres de l’Assemblée constituante.» Et comme «toutte est dans toutte», le metteur en scène prépare pour 2018-2019 deux autres mises en scène qui feront écho à ce projet. Pourtant basés sur des fictions pures, Les Phéniciennes d’Euripide, réécrite par le Britannique Martin Crimp, et Les beaux dimanches de Marcel Dubé, tous ces projets «se nourrissent et s’emboîtent». Le reste vous le connaissez par le cinéma, à voir en septembre à l’Espace Go à Montréal et en novembre à Ottawa au Théâtre Français du CNA, «met en relief le choix mince qui nous est donné entre tyrannie ou alternance au pouvoir, et remet en question notre démocratie comme extension à la culture guerrière». Les beaux dimanches, une pièce pas très souvent rejouée et que Lapointe a d’abord créée en tant que professeur invité à l’École nationale de théâtre, «met en scène l’échec du projet de société québécoise». Gros programme. y Pour suivre le projet Constituons! inm.qc.ca/constituons

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LES BONNES PRÉMISSES MULTIPLIANT LES APPARITIONS DANS LES NOMBREUSES SOIRÉES D’HUMOUR DE LA PROVINCE DEPUIS TROIS ANS, MAUDE LANDRY S’AMÈNE AU FESTIVAL COMEDIHA! AVEC SA PRESTANCE DÉSINVOLTE ET SON REGARD DÉCALÉ SUR LE MONDE. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

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enouant en partie avec le matériel de ses spectacles Rock & Roll, Carpe Diem et Subtile, qu’elle a respectivement présentés au Zoofest et au Dr. Mobilo Aquafest, l’humoriste profitera également de ce 60 minutes pour tester de nouvelles blagues. «Jusqu’à maintenant, c’est un casse-tête, mais je sais qu’en fin de compte, j’ai pas trop le choix de mettre de l’avant mon meilleur matériel, car on m’a pas vue souvent en show à Québec. C’est un métier qui me demande d’écrire constamment, alors des fois, je trouve ça un peu ingrat de devoir répéter les mêmes blagues soir après soir. Reste que ça fait partie de la game: je suis encore en train de me faire découvrir, donc c’est mieux de m’appuyer sur mes valeurs sûres plutôt que de tester du nouveau stock plus chambranlant. En racontant une vieille joke sur scène, j’essaie de me rappeler pourquoi elle est drôle. C’est ça qui vient appuyer mon delivery et ma personnalité.» Avec Maude Landry, c’est d’abord l’expérience qui parle. Sans diplôme de l’École nationale de l’humour, où elle a toutefois complété quelques cours de soir, la Montréalaise s’est démenée à sa manière pour se faire entendre à la grandeur de la province, tout particulièrement dans la grande région métropolitaine. «On m’a déjà catégorisée “humoriste street”, car je débarque souvent à l’improviste dans les soirées pour tester des numé­ros devant n’importe quel public», dit celle qui a animé un événement d’humour hebdomadaire à Longueuil pendant un an. «Pour vrai, ça doit faire trois ans que je fais de la scène pas mal tous les soirs de la semaine et que je vis de ce métier-là. Le secret numéro 1, c’est de jouer sans arrêt. Plus tu joues, plus tu t’améliores. Je peux dire que c’est vraiment après 500 shows que l’expérience commence à te rentrer dans le corps. Et je suis heureuse de pouvoir maintenant faire des heures complètes plutôt que juste des 10 ou 15 minutes ici et là.» Comme beaucoup de ses compères de la relève, c’est l’improvisation qui l’a menée à l’humour. Étudiante au Cégep du Vieux Montréal au début de la décennie, elle avait l’ambition d’être cinéaste avant de tomber en amour avec ce «phénomène pas calculable» qu’est de faire rire les gens sur une scène. «C’est en impro que j’ai réalisé que j’aimais provoquer les rires. C’est spécial parce que, dans la vie, j’aime vraiment être en contrôle de tout et, sur scène, c’est la partie de ma vie où je ne le suis pas totalement. En fait, tout dépend de la foule, du moment, de ma spontanéité. Des fois, je m’acharne à raconter certaines jokes, car je sais que je vais finir par trouver la bonne tournure, les bonnes prémisses.»

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Et pour en arriver à construire la blague parfaite, Maude Landry enregistre chacune de ses prestations. Difficile, l’exercice de réécoute qui s’ensuit lui permet de parfaire son élocution. «C’est surtout pertinent lorsque mon numéro a bien fonctionné. J’analyse ma musicalité, mes pauses... Je m’écoute aussi me planter lorsque ça arrive, et ça m’a amenée à développer des réflexes. Je suis capable de rattraper une joke qui a pas marché en disant des phrases comme “désolée, cette joke-là, je l’ai écrite en me chatouillant”. C’est aussi dans ces moments-là que mon expérience en impro aide. Je peux, par exemple, changer le mood en interagissant avec un spectateur.» Davantage influencée par l’humour américain (Maria Bamford, Sarah Silverman) et britannique (Phil Wang) que québécois, la jeune femme de 26 ans accueille à bras ouverts les moments de silence, les voyant comme une forme d’écoute et d’attention de la part du public plutôt que comme un malaise à éviter à tout prix. «C’est comme tirer avec un arc à flèche. Le silence, c’est le moment où la flèche s’apprête à être envoyée», image-t-elle. Bien maîtrisé, son personnage désinvolte lui permet d’analyser ce qui l’entoure avec une candeur décalée. «C’est une facette de moi que j’exagère. Si j’étais sur scène comme je suis dans la vie de tous les jours, ce qui veut dire relativement polie et gentille, je serais plate. J’aime ajouter une petite twist d’irrévérence, un peu comme si j’avais l’air de pas avoir d’amis et que ça me dérangeait pas pantoute!» Loin de donner dans l’humour d’observation typique, comme le font certains de ses collègues en abordant sans grande originalité des sujets convenus comme les médias sociaux ou les relations hommes-femmes, Maude Landry a du plaisir à regarder le monde sous un autre angle, beaucoup plus insolite. C’est ce qui l’amène à critiquer les gens qui s’expriment mal en parlant à Siri ou à s’interroger sur l’absurdité des noms de compagnies répétitifs, tels que Pizza Pizza ou Manteaux Manteaux. «J’ai toujours mieux aimé parler d’une situation ou d’un phénomène que de moi. En fait, j’aime pas vraiment exposer ma vie en public. C’est plate, mais je pense que je passerai jamais dans le Clin d’œil.» y En spectacle à ComediHa! 17 août, Taverne Grande-Allée

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CECI N’EST PAS UN PREMIER MINISTRE EN PLEIN CLIMAT ÉLECTORAL AUTOMNAL, L’ACTEUR ET AUTEUR LUCIEN RATIO PRÉSENTE SA TROISIÈME PIÈCE ORIGINALE; UN MONOLOGUE DÉCAPANT, TANT POLITIQUE QUE FANTASTIQUE, QUI CONSTRUIT SOUS NOS YEUX UN PERSONNAGE FICTIF BEAUCOUP PLUS RÉEL QUE TOUS LES GOUVERNANTS ACTUELS. MOTS | ÉMILIE RIOUX

ILLUSTRATION | GUILLAUME PERREAULT

Passionné de politique, Lucien Ratio suit avec intérêt l’actualité depuis plusieurs années. Fort de cinq ans à l’écriture et à la mise en scène du Beu-Bye, revue de l’année présentée à La Bordée, il s’attaque maintenant aux politiciens, plus précisément à l’image que ceux-ci renvoient au public. «À la dernière élection fédérale, j’ai été frappé par la manière dont Justin Trudeau a gagné les élections et par sa campagne électorale. On entendait plus parler de ses bains de foule que des politiques de son parti», indique le dramaturge, citant cette fameuse balade dans un métro de sa circonscription pour remercier humblement ses électeurs. «Il le fait, mais il le filme et se sert de ça comme outil promotionnel. On dirait que ça efface toute la bonne action.» Même si le premier ministre canadien lui aura servi de muse pour le projet, le détestable personnage qu’incarnera Lucien Ratio sur scène sera plutôt une créature cousue des pires travers de politiciens tels que Rob Ford, Sarkozy et, bien sûr, l’explosif Donald Trump. Pour fracasser l’image immaculée du parfait chef, Just In présente au public un être humain fondamentalement immoral qui serait tout de même à la tête d’un pays. «J’avais envie de faire un show l’fun et ludique. Le personnage est tellement gros, presque bouffon, que ça crée quelque chose de drôle.» Aussi grand amateur d’horreur, l’auteur décrit la pièce comme un conte fantastique un peu sombre, où on suivra le protagoniste lors de sa première journée de

chef d’État, qui commence sur le plancher d’une chambre d’hôtel. Nu comme un vers, au lendemain d’une cuite dont il n’a aucun souvenir, le très honorable personnage tentera de reconstituer sa soirée, pendant que le public remontera plus loin, dans le passé décomposé, pour se remémorer le parcours surréaliste de cet antihéros imaginaire. Jouer faux pour vrai Entouré d’une solide équipe avec laquelle il a souvent travaillé, notamment Jocelyn Pelletier à la mise en scène et Millimetrik à la conception sonore, Lucien Ratio s’approprie la satire politique d’une nouvelle manière pour contrer le désintéressement citoyen. Cette pièce est aussi un appel à la vigilance inscrit stratégiquement dans un cadre théâtral. «Quand quelqu’un joue faux, je le vois. Et je pense qu’il y a beaucoup de monde qui le voit, insiste Ratio. Il faut faire attention parce que c’est pas quelqu’un de réel qui nous parle. C’est plusieurs personnes qui ont façonné un personnage pour obtenir notre vote, pour nous vendre quelque chose. Il ne faut pas qu’on l’oublie, parce que quand on oublie ça, on fait confiance aveuglément. Ce qu’on nous présente, c’est monté de toutes pièces.» Preuve que le théâtre et la politique ont parfois plus en commun qu’il n’y paraît. Après tout, c’est une matière que Justin Trudeau a déjà enseignée au secondaire. y Du 11 au 22 septembre à Premier Acte


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MICKAËL BERGERON ROULETTE RUSSE

LA MEILLEURE HISTOIRE On dit parfois que Netflix a changé la télévision, propulsant les séries télévisées dans un âge d’or. Je pense que Netflix en profite plus qu’il l’a propulsé, mais il est vrai qu’on a rehaussé notre façon de raconter les histoires.

Maintenant, on en sait presque autant sur Loki que sur Thor. On développe un univers si riche autour des méchants qu’on s’y attache. Si ça se trouve, le méchant demi-frère de Thor a un plus gros fanbase que le dieu asgardien lui-même.

Les gens sont nostalgiques, mais ils ne veulent pas vraiment revenir en arrière, c’est pour ça qu’on fait tant de remakes. Si le film original des années 1980 était si bon, les gens le réécouteraient, comme ils réécoutent Harmonium ou ABBA.

Plus encore, même les personnages secondaires ont maintenant des personnalités riches et complexes, avec des histoires qui sont parfois plus approfondies que l’entière histoire de certains héros des années 1970.

La vérité, c’est que plusieurs de ces films refaits avaient un rythme lent auquel les gens ne sont plus habitués. Même les films d’action de l’époque sont lents par rapport à ceux d’aujourd’hui.

La nostalgie nous fait nous ennuyer d’un personnage. On aimerait le revoir, mais avec son histoire racontée au goût du jour, pas comme à l’époque. Donc on fait des remakes. On fait des préquels. On invente même des sous-histoires entre deux moments de la grande histoire.

Est-ce bien ou non? À chacun ses goûts. Je pense qu’il y a des bijoux qui sont très bien déjà comme ils sont et que d’autres ont mal vieilli. Mais notre manière de raconter les histoires a sans contredit changé. Pas seulement dans notre technique ou avec les effets spéciaux, mais aussi dans les scénarios. La base demeure assez similaire, une relation hyper simple à la source de la grande majorité des histoires. Une victime, un bourreau, un héros. La victime peut être une personne, un groupe social, la nature, qu’importe. Le bourreau peut être un tyran, un super vilain, un système, un ordinateur, qu’importe. Même chose avec le héros ou l’héroïne. Il n’y a pas si longtemps, on prenait le temps de construire l’identité du héros et des victimes sans insister sur la raison pour laquelle le méchant agissait comme un méchant. C’était un méchant qui voulait juste être méchant.

Pourquoi peaufine-t-on autant notre façon de raconter des histoires? Parce qu’on en raffole, depuis toujours! On aime tellement ça que les industries de la télévision, du cinéma, de la littérature, de la bande dessinée, du théâtre, et j’en oublie sûrement, valent des milliards de dollars. On raffole des histoires. On s’attache aux personnages. Certaines histoires sont tellement développées et durent si longtemps qu’on a presque l’impression qu’elles font partie de nos vies. Même les médias ont peaufiné leur manière de raconter les histoires. Le new journalism a mis la littérature dans le journalisme, le storytelling a encore plus brouillé les cartes. On fait du docuthéâtre et du bédéreportage.

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La politique aussi, maintenant, a adopté la narration moderne. Programme politique? Même plus besoin. Donald Trump l’a démontré, sans faire semblant. Doug Ford l’a confirmé. Ce n’est plus qui propose la meilleure vision pour la société, c’est qui raconte la meilleure histoire. Quel parti cernera les meilleures victimes? Les bons méchants? Qui aura l’air d’avoir ce qu’il faut pour sauver la société du désastre? Qui racontera le meilleur désastre? Qui proposera la plus belle fin? Dans certaines histoires, les méchantes personnes sont les immigrant.e.s et les pauvres. Parfois, ce sont les anciens héros (politiciens). Parfois, c’est tout le monde sauf nous (sans jamais dire qui est qui). Et ça, c’est dur pour la gauche, parce que la gauche pointe parfois du doigt un modèle auquel les gens aspirent ou leur manière de vivre. Les gens ont besoin de sentir qu’ils peuvent être les héros de l’histoire. Ce n’est pas pour rien que Hollywood met toujours un Blanc comme héros, même dans les histoires qui se passent il y a 1000 ans en Asie ou en Afrique.

C’est dur, parce que la gauche essaie de nuancer les choses. La victime est parfois, aussi, le bourreau, mais peut aussi être la solution. Pour faire ça, il faut être un sacré narrateur ou une sacrée narratrice. Sur deux saisons de douze épisodes, la gauche arriverait à expliquer les nuances; mais avec des slogans, avec des clips de treize secondes à la télévision, c’est difficile. Tout un défi pour Québec solidaire d’apprendre à raconter des histoires… Surtout quand une partie de ton électorat n’aime pas ce genre d’histoires. Si Philippe Couillard tente de montrer qu’il a changé pour la deuxième saison, François Legault se présente clairement comme un remake. Rien de neuf, des personnages que l’on connaît déjà, mais avec une nouvelle histoire. Les gens aiment les remakes. Même quand ils n’ont pas aimé l’original. Parce qu’on aime se faire raconter des histoires. Pas nécessairement des nouvelles. Juste racontées différemment. y

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LA PUISSANCE DES ORIGINES LES ARTISTES AUTOCHTONES DE LA RELÈVE ONT BIEN L’INTENTION DE POURSUIVRE LE DIALOGUE ET DE FAIRE TOURNER LA ROUE POUR LEURS PROCHAINS. ENTRETIEN AVEC LES PARTICIPANTS DE LA GRANDE FÊTE NIKAMOTAN MTL – NICW. MOTS | VALÉRIE THÉRIEN

PHOTOS | KELLY JACOB (CONSULAT)

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u studio photo, chacun arrive à l’heure prévue. La cadette du quintette d’invités, Anachnid, est là avant nous et nous accueille avec un sourire radieux. Allan et Christian, deux frères, s’introduisent dans le plus grand calme avec des t-shirts à l’effigie de leur groupe, Violent Ground. Iskwé, confiante, sort une jolie robe colorée qu’elle portait sur scène à Ottawa il y a quelques jours, lors des célébrations de la Fête nationale. Annie Sama se change plus vite que Clark Kent dans la cabine d’essayage et en sort avec ses longues tresses et un magnifique complet. Par un samedi soir d’été, tout ce beau monde sera sur la grande scène de la place des Festivals à Montréal pour le spectacle Nikamotan MTL – nicw, présenté dans le cadre de Présence autochtone. Il s’agit d’un grand rassemblement musical mis sur pied par Musique nomade, un organisme à but non lucratif fondé par Manon Barbeau (Wapikoni mobile) en 2011. Musique nomade encadre la relève musicale autochtone en lui offrant des outils et des ressources pour développer sa carrière. L’événement Nikamotan MTL – nicw, comme l’an dernier (nicw désigne le mot «deux» en atikamekw, puisqu’il s’agit de la deuxième édition), est un rendez-vous avec cette scène émergente et actuelle autochtone et des artistes collaborateurs issus de différentes cultures. À cette occasion, les mondes électropop du trio Chances et d’Iskwé se

ANACHNID & ANNIE SAMA >

rencontrent, tout comme ceux d’Anachnid, artiste multidisciplinaire d’origine autochtone, et d’Annie Sama, d’origine québécoise et congolaise et qui a amorcé sa carrière musicale sous le nom APigeon. En studio récemment pour l’enregistrement du titre Now Wow We, les deux femmes ont mis à profit le mariage de musiques contemporaines, la puissance de leurs héritages et leur désir de revendication. «J’ai écrit des paroles en espagnol pour représenter le mur qui se construit au Mexique et les enfants immigrants qui se font enlever de leurs parents, explique Anachnid. Je voulais faire quelque chose de proactif et constructif avec mes frustrations envers Trump. Puisque c’est en espagnol, les gens ne penseront pas que je parle nécessairement de mes origines, mais celles-ci peuvent s’appliquer tout autant dans ce contexte contemporain. Y a comme un cycle historique qui se régénère lorsqu’on pense à divers peuples et populations dominés. Et je pense que la meilleure façon que je peux en parler c’est à travers la musique.» «Quand j’ai amené le beat de la chanson, je voyais totalement Anachnid là-dessus, avec sa puissance et sa belle profondeur», dit Annie Sama à propos de cette collaboration bien dansante. «J’ai voulu souligner cette énergie et cette revendication dans la musique, alors que la voix pouvait naviguer à travers des sons ancestraux. On voulait ainsi travailler avec quelque chose d’ancien, mais l’appliquer dans le futur. C’était important pour moi qu’il y ait une dénonciation dans les paroles, mais aussi un appel à nos ancêtres africains et autochtones.»

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c’était une passion commune. Aujourd’hui, ils font des concerts, ils développent leur marque et ils ont complété l’enregistrement d’un premier album ce printemps. Si la vie les a menés à sortir de leur village – Christian est maintenant à Montréal et Allan est à Sept-Îles –, c’est la vie en réserve qui les inspire toujours et ils souhaitent faire tourner la roue avec leur musique. «On veut être des inspirations pour les jeunes de notre communauté, leur faire comprendre qu’on essaie de mettre notre nation naskapie sur la mappe et qu’ils le peuvent aussi, dit l’aîné des deux frères, Allan. On espère qu’en gagnant en notoriété, on aidera des gens. Notre équipe de hockey a gagné un tournoi au moment où on finissait notre album et ça nous a vraiment donné beaucoup de fierté envers notre peuple!» Les gars de Violent Ground se démarquent par leur honnête portrait de la dure réalité d’habiter dans la «rez» (réserve). «On dit ce qui doit être dit sur notre extrait Difference, dit Allan. C’est à propos des épreuves à traverser, les douleurs causées par toutes sortes de choses: des femmes assassinées au mercure dans notre eau, en passant par le suicide et les questions de logement.» Son cadet, Christian, poursuit: «Ça parle de tous les problèmes qu’on a au Canada, mais ça s’applique aussi au reste du monde. Notre musique est créée en pensant aux habitants de notre communauté, mais les gens à l’extérieur peuvent s’y reconnaître aussi.» Allan reprend: «On aime penser qu’on est des voix pour ceux qui n’en ont pas. Y a bien des gens qui ont des problèmes, mais qui ne se font pas entendre. La musique est un bon moyen de communication parce que c’est ouvert et disponible partout en ligne.»

Ce mélange de passé/futur, cette communion entre les racines et des musiques contemporaines, est aussi bien présent dans le travail d’Iskwé (originaire du territoire du Traité no 1 au Manitoba) et de Violent Ground (originaires de la communauté naskapie Kawawachikamach près de Schefferville). Ces derniers évoluent dans le monde du hip-hop. Alors qu’ils étaient encore tout jeunes – 12 et 16 ans –, Allan et Christian se sont mis à prendre goût au rap, chacun de son côté, avant de réaliser que

Anachnid remet les choses en perspective, s’adressant aux mauvaises langues qui diront que les artistes autochtones ne font que parler de leurs problèmes: «Les gens ne peuvent pas dire: “Oh, vous autres, vous vous victimisez et vous ne faites rien pour changer les choses.” Si vous nous donnez les outils, ça va se passer! On va prendre soin de nos communautés, un pas à la fois. La colonisation a cessé il y a 22 ans seulement. Est-ce qu’on peut nous laisser une chance de nous exprimer? Laissez-nous l’espace pour faire de l’art, ne parlez pas pour nous. Et je ne parle pas que des peuples autochtones, mais d’autres minorités.» Iskwé, qui a quelques années de carrière derrière la cravate, dit se concentrer désormais davantage sur des chansons axées sur la conscience sociale.

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Pour elle, il fallait que sa musique devienne une source de conversation avec son public. Nobody Knows, extrait sorti en 2015 et qui traite des femmes autochtones disparues ou assassinées, a été le point de départ d’une nouvelle voie pour la chanteuse. «T’arrives à un moment où, lorsque tu as les yeux ouverts sur quelque chose, tu ne peux plus les refermer, dit-elle. J’étais fatiguée de me sentir comme si j’étais contre un mur de briques et de ne rien faire. J’ai eu tellement de gens de l’extérieur qui disaient: “Tu n’auras jamais de carrière si tu parles de ça, personne ne veut entendre parler de femmes mortes.” Mais c’est de ça qu’on parle dans nos communautés. Nous avons des conversations avec nos jeunes filles qui grandissent sur les façons de se protéger. À Winnipeg, nous avons un service de taxi différent pour les femmes autochtones parce que nous sommes trop en danger. Pourquoi donc ne parlerais-je pas de ces réalités? Heureusement, les choses changent et les gens semblent comprendre que c’est terrible et qu’il faudrait nous écouter.» La chanteuse manitobaine, qui a vécu un temps à Mistassini, croit qu’il y a un intérêt accru envers les artistes autochtones depuis quelques années (on pense entre autres à Tanya Tagaq, A Tribe Called Red, Jeremy Dutcher et Matiu) et elle profite de cette visibilité pour poursuivre un dialogue important. «Dans le passé, c’était très séparé. Nous, les artistes autochtones, partagions des chansons, des histoires et nous avons fait des choses géniales, mais sans la plateforme pour nous pousser vers le succès à travers les médias traditionnels. Y a eu du changement. Je pense que nous sommes dans une ère de prise de conscience. Quand vous regardez la musique pop par exemple, je trouve ça très cyclique. Nous passons de périodes où nous sommes très conscients en ce qui a trait à la musique populaire, l’art, l’activisme politique, puis les gens ont besoin de revenir à écouter quelque chose qui est facile à digérer. À l’heure actuelle, nous sommes de retour dans une époque de conscientisation, alors que nous avons des conversations sur les droits des femmes, les droits des Autochtones, la représentation des femmes et les abus sexuels. Les gens sont ouverts en ce moment aux histoires des uns et des autres.» Et on souhaite que toutes ces histoires voyagent et résonnent sur les scènes. y

Nikamotan MTL – nicw Avec Iskué, Chances, Anachnid, Annie Sama, Violent Ground et plus Le 11 août à la Place des festivals Au festival Innu Nikamu à Sept-Îles Avec Shauit, La Bronze, Matiu et plus Le 2 août

> ISKWÉ < ALLAN & CHRISTIAN, DE VIOLENT GROUND


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SOUS LES NUAGES UNE INSTRUMENTATION WORLD SANS TOMBER DANS LE PIÈGE DE L’EXOTISME, DES TRÉSORS COLLECTÉS EN VOYAGE QU’IL INCORPORE À SES COMPOSITIONS INCLASSABLES, SI PERSONNELLES. AVEC SON DIDGERIDOO FABRIQUÉ À LIMOILOU ET SON HANDPAN, PHILIPPE GAGNÉ RALLIE TOUTES LES NATIONALITÉS. MOTS | CATHERINE GENEST

Il vit de macadam et d’eau fraîche, meuble la cité intramuros de ses rythmes. Depuis six ans, l’homme-orchestre gagne sa vie au détour du Vieux-Québec sous le regard émerveillé des passants. Un souvenir dans un téléphone, une vidéo postée en ligne à l’intention des amis restés à la maison, une carte postale… Souvent, Philippe Gagné est le premier et seul contact que les visiteurs auront avec la scène musicale locale. Un public éphémère et généreux. «Une fois, il y a un couple qui m’a vu jouer dans le Petit Champlain. Ils étaient censés partir le soir même et, finalement, ils sont restés deux jours de plus. Ils m’ont écrit sur Instagram “Hé! Tu joues où aujourd’hui?” et ils sont venus voir tous mes spectacles. Ils étaient vraiment, vraiment fins. Des témoignages comme ça, j’en ai peut-être à tous les jours.» Le hic, au moment d’écrire ces quelques lignes, c’est que le règlement municipal s’est resserré. Considérablement. De nouvelles mesures qui le privent d’une des scènes où il se produisait, celle au coin des rues Saint-Jean et Saint-Stanislas, trottoir prisé des touristes et des gens en vacances, surtout à l’heure du souper. «En plus d’avoir enlevé ce lieu-là, on a diminué de moitié les heures d’utilisation de l’autre sur la même artère. Ça nous oblige à aller à la pige, parce que ça marche comme ça, et à rentrer chez nous avec tout notre stock quand il n’y a plus de place.» Philippe, pragmatique, y voit un signe. «C’est la vie qui me dit d’élargir mes horizons, de ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier.» Hors du circuit traditionnel depuis une demi-douzaine d’étés, il s’apprête à suivre les pas de Jérôme 50, son grand ami et collègue, recrue récente de Dare to Care, en préparant un disque de chansons. Sa musique, habituellement confinée aux rencontres fortuites ou à ses concerts au Monastère des Augustines (en duo avec un joueur de bol tibétain), résonnera enfin au-delà des pavés et des temples – dans les festivals (on lui souhaite), les bars-spectacles et les bureaux d’une maison de disques qui, avec un peu de chance, désirera le signer. Il amorce un changement de cycle, une coupure avec ses deux autres offrandes

PHOTOS | ARNAUD VAILLANCOURT

discrètement téléversées sur Bandcamp: Somnium | Tempus | Insomnium (2016) et A Whale and a Church, sortie à l’hiver 2017. «Ça, c’était relax, dreamy comme on dit, sauf que là, j’essaie de sortir de ce créneau-là parce qu’à la base, moi, ce que j’aime, c’est chanter et faire de la musique reggae soul. On dirait que dans les dernières années, j’étais plus dans un mood de méditation.» Bien qu’introspectives et propices à la détente (Gagné est souvent engagé par des spas), ses pièces antérieures, même celle ponctuée de chants grégoriens, ne se conjuguent à aucun dogme. Il insiste. Une sorte d’aura holistique ou new age colle aux parois du handpan, coupelles d’acier assemblées l’une sur l’autre, invention encore toute jeune, hybride sonore entre cloche et harpe, mais le musicien s’en dissocie froidement, esquivant tout quiproquo. «Pour moi, c’est vraiment juste un instrument.» À cheval entre électronique et organique, une formule qu’on lui pique, le soliste jongle avec le chant, la guitare électrique (malgré son atrophie musculaire à la main), le pedal board, l’harmonica, le didgeridoo, le handpan et l’échantillonneur qui lui confère ce don d’ubiquité, le pouvoir de se multiplier. À l’ombre des chemins qui ont également reçu un Hubert Lenoir d’entre The Seasons et la gloire, Philippe Gagné fignole son style en s’inspirant du vocaliste américain Bobby McFerrin et du glorieux Bob Marley. Un filon peu exploité dans la langue de Félix depuis la fin des années 1970. «Je trouve qu’il n’y a pas vraiment de bon reggae soul en français. Serge Gainsbourg et Claude Dubois sont pas mal les seuls à avoir fait quelque chose dans cette vibe-là et ça date. Je dis ça, j’ai fait de la recherche, mais peut-être pas au point de trouver tous les bands qui en font. Chose certaine, je compose en français ces temps-ci, en anglais encore un peu aussi, mais j’essaie de m’immiscer dans l’univers de la chanson francophone.» Un album qui devrait voir le jour d’ici à la fin de 2018, une nouvelle saison dans sa carrière prête à fleurir au moyen de ses réserves de chlorophylle. C’est en automne que le soleil brillera enfin pour Philippe Gagné. y


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APPELEZ-LE OUI TRAVERSANT UNE PÉRIODE À LA FOIS FASTE ET TORTUEUSE, PARSEMÉE DE SUCCÈS ET D’OPPORTUNITÉS, MAIS AUSSI DE DOUTES, DE STRESS ET DE REMISES EN QUESTION, LE RAPPEUR YES MCCAN FAIT LE VIDE SUR OUI (TOUT, TOUT, TOUT, TOUTTTTE), UN PREMIER ALBUM SOLO EN GRANDE PARTIE ÉCRIT DANS L’URGENCE À LA SUITE DE SON DÉPART DE DEAD OBIES. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

Lorsqu’il nous rejoint dans les bureaux de son étiquette de disques à la mi-juillet, Jean-François Ruel (alias Yes Mccan) semble plutôt essoufflé. Entre deux déménagements, il a dû retourner vivre chez ses parents, à Granby. «Je suis toujours à la course ces temps-ci», nous confie-t-il, s’excusant au passage pour son retard de 40 minutes en raison du trafic. «Tout ce qui est censé être simple est super compliqué. Par exemple, on était censés recevoir les mix finaux de l’album hier, mais on n’a rien finalement. On vient de demander au label une extension d’une semaine pour l’envoi.» Fixée au 31 août, la date de sortie de ce premier album solo cause du stress à Mccan depuis un moment déjà. Pourtant, c’est bel et bien lui qui, un an auparavant, s’était donné l’objectif de faire paraître cet opus à la rentrée de 2018, histoire de donner à ses fans autre chose à se mettre sous la dent que son EP PS. Merci pour le love, un ramassis «de freestyles et d’affaires écrites sur un coin de table». «Quand j’ai remarqué que cet EP-là devenait big et qu’on en parlait autant dans les médias, je suis allé voir le label pour lui dire que je voulais faire de quoi de plus complet. Ils m’ont donné le go pour un projet solo, et ça me donnait un an pour l’écrire. Je suis allé m’enfermer dans un chalet en mai 2017 avec plusieurs producteurs [Ruffsound, Yen Dough, Vnce Carter et Realmind], et ç’a donné lieu à Désirée et Forêts. Après ça, j’ai tourné non-stop avec Dead Obies ici et en Europe», explique celui qui, durant cette période, a également campé le rôle du redoutable proxénète Damien de la populaire série Fugueuse. «Après tout ça, fallait travailler sur le troisième album du groupe, ce qui impliquait des chalets

PHOTO | JOHN LONDOÑO (CONSULAT)

de création et beaucoup d’investissement de temps. À un moment donné, le label est revenu me voir pour me demander quand est-ce que mon album serait prêt... Mais j’avais toujours juste deux tounes en banque, malgré les multiples sessions que j’avais faites. Là, fallait que ça goale et que les tounes se passent.» Aux côtés de Yen Dough, jeune producteur montréalais de 20 ans reconnu pour ses mélanges de trap, de pop et de R&B, Mccan a alors mis les bouchées doubles pour tenter de réussir l’impossible: finaliser un album à peine entamé en un peu plus de deux mois. «On s’est mis à jammer ensemble et, sincèrement, on s’est vraiment bien entendus. C’est un humain vraiment super. Pendant un bout, j’avais le syndrome de la page blanche et je faisais des trucs très nuls. Lui, il était patient avec moi, il croyait en moi et il m’encourageait à des moments où je me demandais si j’avais encore envie de rapper. Pour vrai, ç’a été tout un réapprentissage, autant dans mon approche du rap que de la vie. J’ai fait plein de changements dans la dernière année: j’ai brisé des patterns qui allaient finir par m’autodétruire, j’ai commencé la méditation, j’ai arrêté de boire et de fumer... Tout ça m’a amené à tout remettre en question, notamment ma façon d’écrire du rap.» Jadis reconnu pour son franglais exacerbé, qu’il a défendu maintes fois dans les médias face aux critiques de chroniqueurs réactionnaires comme Christian Rioux et Mathieu Bock-Côté, Mccan s’en remet ici à une parole moins relâchée et à un accent français plus international que joual. Dès les premiers instants de l’album, le changement de cap est frappant. «J’ai jamais été à l’aise à l’idée de rester trop longtemps à la même place. Faut que

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ça évolue et que ça change. Et de toute façon, en dehors de Dead Obies, je suis pas super anglophone. Oui, je suis bilingue, mais j’ai un accent, et cette forme d’expression là ne me rejoignait plus. J’avais envie de plus de clarté.» Ce n’est toutefois pas ce changement de registre qui a motivé son départ de Dead Obies au printemps dernier. C’est davantage une volonté de se libérer de l’engrenage commercial inhérent à la popularité de la formation. «J’ai quitté le groupe parce que j’avais besoin de le quitter, sinon je faisais semblant. Quand j’ai rencontré ces gars-là, c’était formidable. Mais à un moment, c’est devenu une obligation de continuer, car on était six à devoir payer le loyer avec ça. Fallait donc partir en tournée, faire un autre album... Je me suis demandé quand est-ce que tout ça allait arrêter, quand est-ce que j’allais pouvoir reconnecter avec ma folie pour faire des choix qui ont pas de sens. J’avais besoin de suivre mon instinct et de faire une scission avec tout ce qui brimait mon feeling pur.» Le mantra du OUI Le titre de ce premier album embrasse cette idée bien vaste de «tout, tout, tout, toutttte» renouveler. Le «OUI» agit ici comme un mantra, une façon pour le rappeur de dire qu’il ouvre son esprit aux nouveaux horizons qui se profilent devant lui. «À un moment donné, je voulais même changer de nom pour OUI, mais le label

présente

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capotait parce que j’allais perdre mes stats. J’ai quand même continué à buzzer sur ce mot-là pour tout ce qu’il englobe. Pour moi, c’est un mot qui envoie une wave particulière: l’acceptation de tout, l’ouverture... Aussi, la nature particulière qu’il a avec l’histoire politique du Québec, ça me fascinait. J’étais appelé par cette énergie-là.» C’est ce pouvoir insaisissable des mots que le rappeur de 28 ans aborde dans l’ouverture Temps. «Tout ce dont j’ai ever rêvé, je l’ai d’abord rap dans mes verses/Avant de le voir comme par magie apparaître devant mes yeux», lance-t-il, revendiquant la valeur prophétique de ses écrits. «Ça, c’est une croyance ferme que j’ai, soutient-il. À chaque nouvelle étape de ma carrière, je me suis créé de la réalité dans ma musique, comme on le fait généralement dans le rap en se mettant de l’avant. Et souvent, après ça, je me rendais compte que la réalité rattrapait ce que j’avais écrit. En fait, c’est vraiment une question de minding. Avant l’album, je me suis rendu compte que ma vitesse neutre dans la vie, c’était toujours une force négative ou bien une critique de quelque chose. J’ai fait le travail interne de tout changer ça, et ça se reflète [dans cet album]. Encore aujourd’hui, je sais pas si c’est bon ou si c’est nul [comme approche], mais je sais que j’ai fait le travail d’essayer des trucs et de me mettre en danger.»


> En résulte un album plus lumineux, autant dans les sonorités résolument pop que dans les textes, essentiellement marqués par le récit optimiste d’un rappeur qui gravit les échelons de la célébrité avec le désir ardent d’atteindre le sommet. À travers cette quête obsessive, Mccan proclame sa vénération de l’argent, érigé comme principal moteur de motivation et d’interaction sociale. «C’est vraiment une figure d’exagération, nuance-t-il. Pour être franc, l’argent m’intéresse pas du tout. Ce qui m’intéresse, c’est d’être libre.» Sans avoir eu un impact direct, son expérience dans Fugueuse et, tout particulièrement, les retombées que la série a eues sur sa carrière l’ont influencé incons­ ciemment dans sa création. «C’est la première année de ma vie où j’ai fait de l’argent pour vrai. J’avais accumulé plein de dettes pendant 10 ans et, enfin, j’ai pu les régler. C’est la première fois que je vivais sans stresser et c’est probablement pour ça que l’album parle autant

«À UN MOMENT DONNÉ, JE VOULAIS MÊME CHANGER DE NOM POUR OUI, MAIS LE LABEL CAPOTAIT PARCE QUE J’ALLAIS PERDRE MES STATS.»

Tombez sous le char me de la 3 e Avenue

[d’argent]. Au-delà de ça, j’ai tellement le nez collé dessus que c’est difficile d’en parler avec du recul... Mais bon, je suis plutôt fier de m’être fié à mon instinct et à ma première idée plutôt que de chercher à m’appuyer sur une critique comme je le faisais [avec Dead Obies]. Cette fois, ce sera aux autres d’analyser mon album. Si, en l’écoutant, les gens en viennent à la conclusion que je suis brainwashé par l’argent, ça dira bien ce que ç’a à dire sur la société dans laquelle on vit.» y

OUI (tout, tout, tout, toutttte) (Make it Rain Records) En vente le 31 août Lancement le 14 septembre au Théâtre Rialto QUÉBEC En spectacle le 21 septembre à la Salle Multi de Méduse

Disponible chez vos commerçants de la 3 e Avenue Murale propriété de Article 721 artiste MC GROU


Félix Bélisle, Thierry Malépart, Tony Bélisle, Philippe Gauthier-Boudreau et Marc-Antoine Barbier

HISTOIRE DE CHUMS QUELQUE PART ENTRE MAC DEMARCO ET CHIC, LE GROUPE CHOSES SAUVAGES DÉVOILE UN GROOVE RONDEMENT TRAVAILLÉ SUR SON PREMIER ALBUM HOMONYME, UNE SUITE DE CHANSONS CRÉÉES DANS LA CAMARADERIE ET LA COLLÉGIALITÉ. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU


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> Tissé serré, le quintette est curieusement amputé d’un de ses membres lorsqu’on le rejoint dans un café du centre-ville un vendredi midi. Injoignable, le chanteur, bassiste et barman Félix Bélisle est fort probablement dans les bras de Morphée à l’heure qu’il est. «Il closait le bar hier et il a dû se coucher à six heures du matin… On vient d’appeler sa voisine. D’après moi, dans 20 minutes, il devrait être levé», s’imagine naïvement le claviériste Tommy Bélisle, croyant (à tort) que son ami ayant le même patronyme finira par nous rejoindre.

Parmi les cinq musiciens, «personne joue de la guit tout seul chez lui en pratiquant des accords» et, par conséquent, «personne arrive en studio avec un riff précis auquel il est très attaché». Au contraire, tout se passe de manière spontanée lorsqu’ils se réunissent pour pratiquer. «Une session typique, c’est plusieurs jams de 20 minutes. On enregistre tout ça et, quelques jours après, on réécoute ça pour trouver la cohésion et le groove qui fonctionnent. Ça devient un collage», explique le batteur Philippe Gauthier-Boudreau.

Visiblement, l’image ludique et slacker sur les bords que le groupe met de l’avant sur internet n’a pas mis de temps à se confirmer. Pourtant, lorsqu’on écoute son premier album, c’est une tout autre impression qu’on reçoit. Mixé avec minutie par les renommés ingénieurs de son Emmanuel Éthier et Samuel Gemme, l’opus marque par ses compositions soignées, ses structures de chansons rigoureuses et ses textes mélancoliques, qui incarnent les angoisses et les histoires d’amour sinueuses d’une jeunesse vivant ses émotions fortes la nuit. «Nos photos nous montrent boire dans la rue ou chiller dans les parcs et, en quelque sorte, nos textes parlent de ça aussi. C’est juste un autre point de vue, comme l’envers de la photo, le négatif», analyse le guitariste Marc-Antoine Barbier.

«Ça cache juste le fait qu’on est trop paresseux pour composer chez nous. On vient puncher à la job, blague Marc-Antoine Barbier. Dès qu’on a commencé à composer cet album-là, on a remarqué qu’on était dans un mood très smooth et sexy, ce qui était très différent de nos shows, qui virent constamment en party où tout le monde trashe et danse.»

«Dans la vie, on est des super bons chums: on fait de la marde non-stop, on est jamais sérieux quand on se parle... Mais nos textes, c’est différent», poursuit Tommy Bélisle. «C’est le seul moment où l’on se parle des vraies affaires... ou presque, renchérit Barbier. À la base, Félix avait écrit des trucs assez dark qui ont établi les thématiques de l’album et, après, on a juste poursuivi là-dessus. On s’est aussi assuré de trouver un équilibre pour pas non plus tomber dans la grande poésie ou dans le senti trop intense. En fait, on voulait surtout s’écarter de la chanson. On voulait pas que la voix de Félix embarque par-dessus tout le reste, on voulait qu’elle reste un instrument parmi les autres.» Ce procédé d’enregistrement témoigne de la dynamique très équilibrée du groupe.

«Et vu qu’on voulait un album homogène, on a choisi de calmer les guits pour l’album, mais de se permettre de les crasser pas mal plus durant nos spectacles», image Bélisle pour terminer l’idée de son collègue. «C’est à ce moment-là que ça vire plus rock.» Naissance du dreamy funk Cette énergie plus brute est à la base de l’essence qui anime Choses sauvages. Dans sa version adolescente et embryonnaire, quelque part en 2007 ou 2008, la formation originaire de Saint-Eustache cultivait déjà cette idée maintenant bien éprouvée de créer quelque chose à partir d’à peu près rien, si ce n’est que de la complicité et de la persévérance. «Dès qu’on avait du temps, on allait jammer dans le sous-sol de mes parents. N’importe qui qui savait pas jouer du clavier ou de la basse pouvait venir jouer avec nous», se rappelle Barbier. De multiples reformulations du projet plus tard, les musiciens ont amélioré leur jeu respectif pour en arriver à créer Late Night, un EP bilingue au funk omniprésent, mais à la ligne directrice plutôt insaisissable. «C’était très juvénile. Ça partait vraiment dans tous les sens», reconnaît le guitariste, à propos de ce premier mini-album paru en

2013. «Le but, c’était de faire des tounes au plus vite pour pouvoir faire notre premier show quatre mois après. On voulait juste créer un ostie de party.» En 2015, Japanese Jazz, un EP totalement en anglais cette fois, poursuivait sur cette voie dansante et très éclectique. «L’identité était pas claire non plus. Ça manquait de cohésion», admet à son tour Philippe Gauthier-Boudreau. Quelques mois après, l’arrivée de Thierry Malépart comme deuxième claviériste et guitariste est venue raffermir la proposition du groupe, à l’instar d’une prise de conscience générale sur la langue de création. «On réécoutait nos chansons et on trouvait qu’en français, il se passait quelque chose de plus, se souvient Barbier. On a choisi d’y aller avec ça plutôt que de se battre contre la marée anglophone, alors qu’on est même pas anglos du tout... Dans le fond, on était des imposteurs!» Deux années ont ensuite été nécessaires pour que les cinq camarades trouvent leur son. Avec l’appui et les conseils de Samuel Gemme, ils ont tracé l’esquisse de leur style dreamy funk sur L’épave trouée, chanson parue en 2016 qui a donné le coup d’envoi aux sessions de ce premier album. «C’est ce son-là qui nous permet de varier les tons, d’alterner entre des tounes disco rapides et d’autres R&B plus lentes. On a assez expérimenté de trucs dans le passé qu’on sait ce qu’on veut maintenant», explique Malépart. Enregistré à l’été 2017, Choses sauvages a mis du temps avant d’être finalisé sur la table de mixage. Tranquillement, la spontanéité qui a caractérisé les premiers jams du groupe laisse place à un souci du détail qui frôle le perfectionnisme. «On a tellement travaillé sur cet album qu’on voulait qu’il soit parfait, explique le batteur. On a pris le temps de s’assurer de pas avoir de regrets.» y Choses sauvages (Audiogram) en vente le 31 août Le 12 septembre à l’Université Laval


À ÉCOUTER

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HHHHH CLASSIQUE HHHH EXCELLENT HHH BON HH MOYEN H NUL

ARTISTES VARIÉS BLESS VOL. 2

(Inner Ocean Records) HHHH

Dans cet océan mondial de hip-hop où voguent sans concession les basses saturées et les doubles cymbales sautillantes, l’audace sert de rempart pour ramer à contre-courant. C’est ce que fait avec beaucoup d’aplomb et d’adresse l’étiquette Inner Ocean Records depuis 2012, en offrant à ses auditeurs un hip-hop instrumental à l’esthétique lo-fi et aux teintes jazzy rutilantes. Sur Bless vol. 2, un assemblage homogène de 99 chansons (!) visant à collecter des fonds pour différents programmes sociaux et culturels, le label fondé à Calgary offre un panorama international de ce qui se fait de mieux chez ces beatmakers qui ont choisi la douceur et la fragilité du lo-fi plutôt que la lourdeur et la puissance du trap. Dans l’ensemble, les 99 producteurs en vedette sur cette compilation livrent des bribes convaincantes de leur univers respectif, même s’ils ne sont pas tous dotés du même talent. Au passage, on retient l’apport éloquent des révélations québécoises Kawfee, Slumgod et Blankanvas. (O. Boisvert-Magnen)

DEPTHS OF HATRED BLOODGUILT

DIOGO RAMOS SAMBA SANS FRONTIÈRES

(Prosthetic Records) HHHH

(Diram) HHH 1/2

Deux mois après sa signature avec le label américain, le groupe death métal technique montréalais lance un premier EP avec son nouveau chanteur, Nico Monette (My Home, The Catacombs). Au lieu de remettre les compteurs à zéro, Depths Of Hatred poursuit le travail entamé sur les albums Aversionist (2012) et Hellborn (2014), notamment du côté du chant de Monette, qui alterne entre voix d’outre-tombe et crissements aigus qui s’accordent aux influences black du groupe. Sur ce plan, Depths of Hatred n’aurait pas pu trouver un meilleur remplaçant à Dominic D.D. Le EP se démarque aussi par ses chansons aux refrains accrocheurs et aux solos mélodieux qui n’enlèvent rien à la brutalité mordante du son de Depths of Hatred. (C. Fortier)

Installé à Montréal depuis un bail, l’excellent guitariste et arrangeur brésilien Diogo de Almeida Ramos a travaillé auparavant avec Chico César, vedette de son pays natal, avant de réaliser ici un compact percutant (Egologico/Recycle) pour son compatriote et ami Rommel Ribeiro. Cette fois, c’est à lui de prendre la parole. Pas comme un chanteur à voix, mais plutôt comme un artiste vrai qui sait se montrer touchant avec son naturel et sa fragilité. Tout en finesse et en français, s’il vous plaît. Au passage, Diogo emprunte volontiers les mots et la musique de Vigneault qu’il transforme en une samba authentique sur la question des migrants. Pourquoi pas? «On ne sait jamais qui frappe à la porte, on ne sait jamais ce qu’il nous apporte. Il ne faut pas fermer son cœur à l’étranger, au voyageur.» (R. Boncy)

BRAD MEHLDAU TRIO SEYMOUR READS THE CONSTITUTION (Nonesuch) HHHH Brad Mehldau a rêvé, en janvier 2014, que son acteur favori, Philip Seymour Hoffman, lui lisait la Constitution des États-Unis d’Amérique dans le décor cossu d’une grande bibliothèque avec une voix stoïque et triste à la fois. Il y avait, en toile de fond, une mélodie que le pianiste s’est empressé de transcrire sur un morceau de papier avant de se rendormir. Dix jours plus tard, on apprenait le suicide du comédien oscarisé pour son incarnation de Capote. Pourtant, il n’est pas tout lugubre, ce 21e album de Mehldau comme leader. Son trio de prédilection complété par le contrebassiste Larry Grenadier et le batteur Jeff Ballard nous offre un pur régal. On révise au passage McCartney, les Beach Boys, Sam Rivers et le Great American Songbook. Où la créativité et l’intégrité se dressent contre Trump et le «arrange-toi a’ec ça!» (R. Boncy)

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL LEONARD BERNSTEIN: A QUIET PLACE (Decca/Universal) HHH 1/2 La dernière œuvre pour la scène de Leonard Bernstein a une histoire un peu compliquée, et cette version de chambre avec 18 musiciens arrive après deux révisions du projet original de 1983. Kent Nagano a créé cette version en 2013 avec l’Ensemble Modern à Berlin, puis il l’a reprise à Montréal l’année suivante et, enfin, en 2017 pour cet enregistre­ ment. C’est tout autre chose que Trouble in Tahiti (1952), premier opéra de Bernstein, jazzé à fond, dont A Quiet Place est en fait la suite... Le personnage de Sam est de retour, entouré de ses enfants, tandis que son épouse Dinah meurt dès le prologue. La suite n’est pas si «tranquille», on s’en doute. Il s’agit du premier enregistrement de cette version, un bon coup pour l’OSM. (R. Beaucage)


DISQUES 31 VOIR QC

HANNOVER PHILARMONIE / IAIN SUTHERLAND BERNSTEIN: BROADWAY TO HOLLYWOOD (Ariadne/Naxos) HHH 1/2 Le grand Lenny Bernstein aurait 100 ans le 25 août 2018, alors, forcément, ils sont nombreux à lui rendre hommage, et on ne s’en plaint pas. Cet enregistre­ ment en concert, bien que publié pour la première fois, date de 1993, alors que l’Orchestre philharmonique de Hanovre lui rendait hommage trois ans après son décès. Le programme que dirige Iain Sutherland offre trois suites pour orchestre: On the Waterfront, Fancy Free, et les superbes Symphonic Dances from West Side Story. Avec l’ouverture de Candide et deux extraits de On the Town, ça donne une bonne idée du bonhomme. Les percussionnistes et les cuivres sont contents, l’orchestre sonne à fond et il n’est pas gêné de swinger, comme c’est souvent le cas. Le Royal Liverpool Philhar­monic Orchestra a fait paraître pratiquement le même programme chez BIS en février; chacun a ses mérites. (R. Beaucage)

RAVENS CREED GET KILLED OR DIE TRYING (Xtreem Music) HHH 1/2 Celles et ceux qui considèrent que le métal était meilleur «dans le temps» seront comblés par le quatrième disque du quatuor britannique. Fondé en 2008 par les guitaristes Steve Watson (Iron Monkey, Cerebral Fix) et Jay Graham (Skyclad), Ravens Creed propose un amalgame de death métal, de thrash et de crust grandement inspiré par Venom, Celtic Frost, Slayer et même Napalm Death. Sur Get Killed or Die Trying, pas de fioritures inutiles, que des morceaux courts parsemés de riffs accrocheurs qui font hocher la tête. Le son de l’album enregistré aux Tenko Studios de Jay Graham est cru, ce qui renforce le côté nostalgique de Ravens Creed. Les fans d’Albion Thunder (2009) et Ravens Krieg (2015) ne seront pas déçus. (C. Fortier)

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MITSKI BE THE COWBOY (Dead Oceans) HHH Mitski a été révélée dans la scène indie-rock comme la petite sœur de St. Vincent avec Puberty 2 en 2016, son album de la consacration. Si sur ce dernier, elle s’enflammait telle une tornade avec des propos passionnés, ici, l’artiste américaine d’origine japonaise peint le portrait d’une femme qui veut être forte, mais qui au final est prisonnière de sa solitude, comme sur la funky Nobody, et nostalgique de ses amours brisées ou impossibles («Why am I lonely for lonesome love?», se demande-t-elle). Elle s’éparpille quand même, Mitski, sur ces 14 titres, dont 12 font moins de 3 minutes, et les textes sont assurément moins intéres­ sants que sur son prédécesseur. Mais la saveur pop fait du bien et les élans grunge y sont toujours assez jouissifs. (V. Thérien)

BODEGA ENDLESS SCROLL (What’s Your Rupture?) HHHH Bodega est probablement une coche au-dessus de tous ceux qui essaient de faire leur place dans le circuit souvent un peu trop élitiste du art-rock. Sur disque, la claque est un peu moins intense, mais assez pour qu’on prenne cette formation au sérieux. Elle balance un solide mélange de post-punk angulaire et d’avant-pop vitaminée sur ce premier effort. La musique, croisement libre entre Wire, Talking Heads, Crisis, Elastica, Kleenex et Pylon (entre autres), appuie les manifestes antitechnologie ou les critiques socioculturelles du groupe, le tout ponctué d’une bonne dose de cynisme, d’ironie et de dérision. La bande ne craint pas non plus de dévoiler un côté plus vulnérable, comme en témoigne la touchante Charlie, souvenir douloureux d’un ami disparu. Si les Bodega ne font pas mouche à tous coups, ils signent là un des albums les plus significatifs à être paru cette année. (P. Baillargeon)

JEREMY DUTCHER WOLASTOQIYIK LINTUWA­ KONAWA

(Fontana North) HHHH

Voici un album sorti au printemps, mais on se devait d’en parler dans nos pages tant il est d’une importance capitale. Nommé sur la courte liste du prestigieux prix Polaris, Wolastoqiyik Lintuwakonawa est le premier album du chanteur ténor et compositeur canadien qui puise dans les mélodies traditionnelles de sa nation Wolastoq (Nouveau-Brunswick) pour s’inspirer. Quel beau cadeau il fait à sa nation en utilisant ainsi les archives et cette langue qui se meurt! Les échantillons sonores s’insèrent de façon tout à fait naturelle dans ses jolies compositions classiques et pop de chambre. Si Essuwonike en début de disque rappelle l’univers d’Antony and the Johnsons, on pense à Owen Pallett à d’autres moments. Magique, élégant, entraînant et complètement unique, cet album. À écouter absolument. (V. Thérien)


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MONIQUE GIROUX SUR MESURE

ET SI JE NE DEVAIS JOUER QUE LES LESBIENNES À LUNETTES On met une vie à apprendre à vivre et il semble qu’il ne soit pas aussi simple qu’on le croit… de mourir. Alors après quoi courir, puisque peu importe la voie qu’on empruntera, on finira bien par arriver à destination. On se croise souvent, mon passé et moi. Comme s’il m’attendait au tournant. La plupart du temps, je feins de ne pas l’avoir vu, espérant secrètement qu’il passera son chemin sans laisser de trace. Et surtout, je m’empresse d’oublier la séquence. Foncer, aller droit devant, vivre ici, maintenant, et investir dans l’avenir. Mais depuis quelque temps, j’ai vaguement l’impression de revenir en arrière. Je vous l’ai dit déjà, je me suis racheté une table tournante. Je me suis procuré des bottines Clark en suède beige, des Stan Smith – ceux-là, on me les a offerts et je les entretiens avec soin dans l’espoir de les garder toujours. Je vais bientôt retourner voir Les fées ont soif. Non, je n’ai pas eu le temps de voir SLĀV. J’achète de la tire-éponge quand j’en vois et je ne résiste pas à une tranche de pain blanc toastée, beurrée, trempée dans la mélasse, comme Donalda en offrait à Séraphin pour déjeuner. Ce que je donnerais pour racheter ma Renault 5 rouge, sièges pied-depoule en velours, cinq vitesses et toit ouvrant, avec en prime le poste de radio cinq haut-parleurs Blaupunkt! J’ai gagné une fois à la loterie. Je devais avoir 20 ans. Ma mère se chargeait et se charge toujours avec assiduité de prendre des billets. Nous avions cinq bons numéros sur six. Cinq sur six, vous vous rendez

compte? N’y connaissant rien, j’étais persuadée d’avoir réglé mon avenir, avec ce lot partagé en trois parce que ma cousine Suzanne avait misé avec nous. On a gagné 2700$ à trois. Pour avoir trouvé cinq bons numéros sur six, avouez que ça fait de la peine… Bref, j’ai gagné juste assez pour m’offrir un radio de char Blaupunkt – 900$, c’était toute une somme en 1983. Après tout, je rêvais de faire de la radio, ça me prenait bien ça. Il me raconte tout ça, mon passé, quand on se rencontre lui et moi. Depuis quelques mois, quand je rentre à Radio-Canada, je réalise que les jours de cette maison sont comptés. On nous prédit un déménagement pour 2020. À ceux qui me demandent où nous irons, je réponds «dans le stationnement», ce qui fait rire systématiquement. Mais c’est pourtant vrai. Nos vingt-trois étages se transformeront en trois. Avant de quitter le studio pour l’été, j’ai croisé mon passé sur le parvis de RadioCanada, où j’attendais ma poutine au food truck. Il sortait les bras remplis de disques, de livres, de rubans ¼ de pouce, de vieilles lames rouillées et de petits rouleaux de scotch tape pro pour effectuer de minutieux montages. Il portait péniblement des dossiers de presse d’artistes oubliés ou devenus des stars, des photos de Guy Mauffette, de Myra Cree, de Judith Jasmin, d’Andréanne Lafond, de Lisette Gervais, de Chantal Jolis, de Jean-François Doré. Cette fois-là, je ne l’ai pas évité, je lui ai même proposé un coup de main. Un de ces vendredis, il finira bien, mon passé, par sortir aussi quantité de Steinway, de consoles, de U-87

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– mon arme préférée pour vous parler rondement, un micro comme une Rolls Royce –, de fauteuils ayant accueilli les plus célèbres arrière-trains de la francophonie. Je roulais avec mon amoureuse dans une voiture de l’année en direction du Maine quand, arrivé à la frontière, j’ai croisé mon passé. Le douanier avait des allures de Tante Lydia dans La servante écarlate. Après avoir tenté d’annuler notre séjour pour plutôt loger dans une auberge du Bas-du-Fleuve, nous nous sommes résignées à ne pas perdre les gras dollars investis et à regarder la mer, manger du homard et rentrer fissa. Après avoir cavalièrement arraché des mains de mon amoureuse nos deux passeports, leur avoir fait passer une IRM – on n’est jamais trop prudent –, il a daigné ouvrir sa minable fenêtre en plexi pour nous japper: «What kind of relationship???» Ma blonde m’a regardée, aussi dépitée qu’incrédule. Elle n’aime pas trop regarder La servante écarlate, elle, ça lui fait faire des cauchemars. «Que répondre à ça?» ai-je eu le réflexe de demander à mon passé. Et puis, qu’est-ce que ça peut te foutre que cette femme soit la mienne,

toi, douanier américain? En quoi ça te regarde qu’on soit épouses, friends, sisters, ou carrément strangers? M’aurais-tu posé la question si je n’avais pas eu une gueule de l’emploi? On m’a remis le prix Laurent McCutcheon, prix de lutte, et j’ai répondu friends pour avoir la paix, pour aller manger du homard et parce que ça ne te regarde tout simplement pas, que je ne vais pas t’élever, que c’est peine perdue. Est-ce que je te demande à toi ce que tu fais de ta vie et dans ton lit, toi, douanier américain, petit lutin dirigé à la baguette de ton roi à toupet? On a beau tout faire pour avancer, mais comme dans les piscines à vagues, quand on les prend de face, j’ai l’impression qu’on nage pour pas grand-chose. On crawle tant qu’on peut, mais ça résiste. Mon passé qui a beaucoup marché et manifesté, qui s’est rebellé aussi et qui a frondé les convenances avec espoir et autant de candeur… commence à avoir un peu peur. Et si je ne devais que jouer les lesbiennes à lunettes, comme les musiciens de Québec devraient jouer aux musiciens de Québec et les blacks jouer aux blacks? Si vous croisez votre passé, posez-lui la question. y



CINÉMA 35 VOIR QC

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L’AMÉRIQUE QUI S’EFFRITE AVEC SUMMER OF 84 (L’ÉTÉ DE 84), LE TRIO DE RÉALISATEURS RKSS NOUS RAMÈNE À L’ÉPOQUE ÉLECTORALE DU DEUXIÈME MANDAT DE RONALD REAGAN DANS UNE BANLIEUE OÙ SÉVIT UN TUEUR EN SÉRIE. UN PREMIER SUSPENSE INTRIGANT DE CEUX QUI NOUS ONT DONNÉ TURBO KID EN 2015. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

«On a décidé de faire ce film parce que le scénario prenait des risques», avoue d’entrée de jeu François Simard, l’une des trois têtes pensantes de RKSS. «On aime des films comme The Goonies, The Birds ou encore Stand by Me, mais la tangente prise par le scénario amenait quelque chose de neuf qui allait faire de ce film un objet cinématographique mémorable.» RKSS, c’est François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell, qui travaillent ensemble depuis maintenant plus de 15 ans. Ils se sont d’abord fait connaître avec des courts métrages comme Bagman, Demonitron ou encore le désopilant Ninja Eliminator. Bien connu des événements et festivals axés sur les films de genre comme Spasm et Vitesse Lumière, le trio a lancé Summer of 84 à Sundance un peu plus tôt cette année. Voir les a rencontrés après la projection montréalaise du film dans le cadre de Fantasia. «On est heureux que l’étape de la première soit derrière nous. On a passé le test de la projection devant nos proches», commente Yoann-Karl Whissell. L’histoire de ce film met en scène le jeune Davey Armstrong (Graham Verchere) et sa bande d’amis dans la banlieue d’Ipswich en Oregon. C’est un été de découvertes où l’on apprend à boire, à flirter

et à s’échanger des magazines pornos. Cet été-là, une étrange vague de disparitions a lieu et Davey croit avoir repéré le tueur en série: son voisin, le policier Wayne Mackey (Rich Sommer). Les quatre amis inséparables mèneront l’enquête et tenteront de prouver la culpabilité du policier. D’entrée de jeu, ce qui fascine chez le trio RKSS, c’est justement le travail de réalisation à trois têtes. Comment fonctionne un plateau sous la supervision du triumvirat? «Ça fait plus de 15 ans qu’on travaille à trois, et cela a toujours été la façon de faire», précise Yoann-Karl Whissell. «Nous arrivons sur le plateau très préparés. Je m’occupe de la direction des comédiens, François s’occupe de l’équipe caméra et Anouk coordonne les chefs de département. On se sépare les forces et on partage nos cerveaux. C’est un peu comme faire partie d’un band», ajoute François Simard. Avec Turbo Kid il y a trois ans, le trio avait déjà entamé un pastiche, un hommage et une plongée dans le langage esthétique des années 1980, et cela bien avant la sortie de la série aujourd’hui culte Stranger Things. Le retour en arrière à cette époque permet de traiter de sujets actuels et de comprendre la désillusion ambiante avant l’élection du deuxième mandat de Reagan.

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> «On retourne aux années 1980, car cette époque est le puits dans lequel on a puisé notre imaginaire et on a vécu notre enfance», explique Yoann-Karl Whissell, en verve. «Il y avait aussi une façon de faire dans les années 1980 qui n’existe plus aujourd’hui. Je suis convaincu que bon nombre de films faits à cette époque n’auraient plus aujourd’hui le feu vert des producteurs. C’est une époque en cinéma où l’on osait encore et où l’on faisait confiance aux spectateurs. Summer of 1984 est un film sur la paranoïa et la peur de son voisin.» À la direction photo, on retrouve le fidèle JeanPhilippe Bernier, également membre du duo musical Le Matos qu’il complète avec Jean-Nicolas Leupi. Le Matos, faut-il le rappeler, compose la musique de ce film, une musique dense et inquiétante qui vient souligner le climat de peur et d’insécurité propre aux années 1980. «On commence à parler de la musique dès l’étape du scénario. La musique est super importante, nous dit Anouk Whissell. Ils disposent de tout juste un mois pour composer la bande sonore du film. Étant donné que Jean-Philippe est notre directeur photo, il connaît le scénario par cœur, ce qui contribue à la justesse de la musique composée.» Après ce hiatus du côté du film de suspense, on voulait savoir ce qu’ils nous réservaient pour leur prochain long métrage, ou du moins ce qu’ils souhaiteraient tourner et dans quel genre, eux qui sont les maîtres du pastiche. «J’aimerais beaucoup faire un film de sciencefiction même si pour le moment nous travaillons sur un film d’horreur pur», nous répond YoannKarl Whissell. «Moi, j’aimerais faire un film d’horreur dans l’espace, car c’est un endroit qui m’insécurise au plus haut point», avoue de son côté Anouk Whissell. «J’aimerais faire un film de kung-fu et un western», révèle François Simard. En attendant cet hypothétique troisième long métrage, leur second prend l’affiche ces jours-ci. y En salle le 3 août



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NORMAND BAILLARGEON PRISE DE TÊTE

EN VACANCES AVEC ARISTOTE Vous êtes peut-être en vacances en lisant ceci. Ou vous l’avez récemment été. Ou alors vous le serez sous peu. En tout cas, c’est actuellement, pour la majorité d’entre nous, le temps de l’année où l’on prend ses vacances.

reste du travail; et ils (pas elles…) s’occupent de politique.

Quel rapport avec Aristote?

De nos jours, pour la plupart des gens, c’est pour un salaire qu’on fait ce travail, plus ou moins agréable – et certains parlent parfois à ce sujet d’esclavage salarial, mais c’est un autre sujet.

Outre le fait qu’il a, sur cette question comme sur tant d’autres, des choses fort éclairantes à dire, j’avoue que je me cherchais depuis longtemps une occasion de parler en ces pages de celui qui reste mon philosophe préféré; les vacances me la fournissent.

Il y a ensuite, selon Aristote, ce temps durant lequel on refait ses forces, notamment pour ensuite continuer à travailler. Ce temps-là est celui du repos, du divertissement, de l’amusement, du jeu. Ce serait là, avec d’autres jours, ce que nous appelons aujourd’hui nos vacances.

C’est qu’Aristote est, avec raison, souvent donné pour celui qui, le premier, a proposé une substantielle réflexion sur les loisirs, le temps libre et, au fond, sur ce qui est aujourd’hui appelé vacances.

Mais Aristote pense que ce serait une erreur d’en rester là. C’est que ce temps-là, celui du repos, n’est pas plus que le précédent une fin en soi: il a pour but de nous refaire des forces – pour travailler de nouveau, il est vrai, mais aussi pour accéder à cette troisième activité qu’Aristote distingue. Notons déjà qu’il rappelle aussi qu’il y a même des dangers, y compris pour la santé physique, de se complaire trop et trop longtemps dans ces divertissements (on pense ici sans mal à certaines activités de vacances… je dis ça en regardant vers le bar, là-bas…).

Trois types d’activité Nous distinguons spontanément aujourd’hui deux choses: le travail, d’un côté; les loisirs, le temps libre ou les vacances de l’autre. Aristote, lui, distingue dans tout cela trois choses, trois temps, trois types d’activité. Il y a d’abord ce qu’on appellerait le temps du travail. Ce temps est celui de la première nécessité pour les êtres humains, qui doivent assurer leur survie, leur sécurité et un certain bien-être. On dirait aujourd’hui que c’est le temps des activités économiques et politiques. À l’époque d’Aristote, en Grèce, les esclaves font le gros de ce travail économique, celui qui est le plus désagréable; les citoyens et les femmes en font une autre part, qui peut être plus agréable, mais qui

Arrive donc la troisième catégorie d’activité, d’occupation du temps, que les deux précédentes ont préparée: c’est le temps des loisirs nobles, si je puis dire. Les deux catégories d’activité précédentes ne sont pas une fin en soi: mais celle-là, oui. Elle se concentre parmi les activités spécifiquement humaines les plus élevées, celles qui contribuent à nous rendre meilleurs en tant qu’êtres humains doués de raison et qui désirent connaître. Ces activités sont accessibles à des êtres libres et reposés,

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qui ont accompli leurs devoirs politiques et économiques et qui disposent de temps et de ressources. Ce sont, selon Aristote, toutes ces activités contemplatives centrées sur les plus hauts objets de l’activité humaine: l’art et la connaissance, pour parler en des mots que nous utilisons aujourd’hui. Et aujourd’hui? Aristote habitait un monde bien différent du nôtre, il est vrai. Mais il me semble néanmoins que ce qu’il avance devrait nous parler et qu’on manquerait une belle occasion de réfléchir à notre monde en ne l’écoutant pas et en le taxant par exemple d’élitiste. L’idée que le travail ne peut être une fin en soi et doit ouvrir sur autre chose devrait d’ailleurs faire consensus. Que cette autre chose ne soit pas seulement un temps de repos et de divertissement me semble aussi admissible. Encore plus si on porte attention aux dangers qu’il y a de s’y complaire. L’alcool et les autres stimulants en sont un; mais comment ne pas penser aussi à toute cette commercialisation du divertissement et à la menace d’abrutissement qu’elle entraîne? Si je devais nommer un lieu sur Terre qui incarne ces menaces, je donnerais pour ma part Las Vegas…

L’idée qu’il existe des loisirs nobles consacrés à la contemplation des plus hautes activités de l’esprit humain peut, il est vrai, sembler bien élitiste. Mais dans un monde où on s’active sans cesse, et pas toujours en pensant à ce que l’on fait, la proposition me semble plus que défendable. Certes, Aristote l’expose dans une société où tous et toutes n’ont pas accès à ces hautes activités: mais n’est-ce pas un des buts d’une démocratie que d’en généraliser l’accès, idéalement à tout le monde, et cela par l’éducation? Cet idéal me semble bien défendable. Et pour finir sur une note optimiste, ne voit-on pas, justement, à l’heure des vacances, bien des gens qui, après le repos et les divertissements bien mérités, recherchent passionnément ces activités contemplatives? Livres, cinéma, musées sont des lieux où on les trouve, sinon toujours, du moins parfois. Que voulez-vous, pour paraphraser le vieil Aristote, un être humain, par nature, ça désire connaître, contempler, comprendre. Bonnes vacances à ceux qui les commencent. y

POUR UNE PREMIÈRE FOIS EN AMÉRIQUE DU NORD

vernissage en présence de l’artiste

sur réservation

418.692.4772 / info@galerie-perreault.com GALERIE PERREAULT - 205 ST-PAUL, VIEUX-QUÉBEC



ART DE VIVRE 41 VOIR QC

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ENTREPRENEURS EN HERBE AVEC SA LÉGALISATION PRÉVUE POUR OCTOBRE PROCHAIN, LE CANNABIS INSPIRE AUSSI LES NON-FUMEURS. ZOOM SUR DEUX ENTREPRENEURS QUI ONT FLAIRÉ LE BON FILON. MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | ROBERT NELSON

Bière «gros pétard» L’idée d’une bière au cannabis n’avait pas effleuré Martin Guimond, propriétaire de la microbrasserie montréalaise Le Saint-Bock, avant qu’un ami ne lui en parle. Ce dernier, avocat criminaliste qui a défendu plusieurs clients dans le domaine du cannabis, connaît bien le sujet. En janvier dernier, voyant venir la légalisation, il propose au brasseur de rencontrer deux entrepreneurs dans le cannabis pour réfléchir à la réalisation d’une bière. Pas question ici d’être gelé: la compagnie Cannabis and Grow fournit au SaintBock des extraits de «cannabis sans cannabis». «On en a retiré les substances hallucinogènes, explique Martin. C’est comme du café décaféiné: on a toute la saveur, sans les excès ni les substances nuisibles à la santé!» L’équipe fait des essais pendant plusieurs semaines; c’est qu’il y a des centaines de sortes de cannabis, et autant d’extraits disponibles. «Ça goûtait vraiment le cannabis. Presque trop, en fait», se souvient le brasseur. Il commande donc une analyse chimique complète de ses bières à un laboratoire indépendant pour être sûr qu’elles soient aux normes. Finalement, sept bières sont produites. Et les noms résultent d’un fin travail de recherche: la High-PA, la Gros Pétard (ainsi nommée en hommage à Dédé Fortin), la Fourire, la Munchies, la Pot Pas d’Pot… D’autres sont baptisées d’après le cannabis utilisé lors du brassage, comme la Pineapple Express ou la Jack L’Éventreur.

En tout, Martin investit près de 10 000$ dans le développement de ces produits. Il travaille notam­ ment avec deux avocats sur les intitulés des bières, les étiquettes et les mots utilisés dans la communication. Actuellement, deux bières sont sur le marché et deux nouvelles sont attendues ce mois-ci. La réaction des clients? «Ils trouvent ça très bon, affirme le brasseur. On a une clientèle pas forcément consommatrice de cannabis, mais curieuse de goûter sans avoir à se droguer. Au Mondial de la bière, on présentait seulement deux produits, mais on a eu le kiosque le plus achalandé!» Au total, 6000 litres des bières au cannabis du Saint-Bock ont été mis sur le marché, et pratiquement tout est vendu à ce jour. Et une bière au vrai cannabis, c’est pour quand? Le jour où ça sera légal, Martin prévoit une course des microbrasseries. «Mais ça m’étonnerait que de la bière au vrai cannabis soit vendue prochainement dans les bars. C’est une trop grosse responsabilité pour le propriétaire... Je ne suis pas contre, mais va falloir que ça soit bien encadré.» D’ici là, plusieurs brasseurs lui ont déjà demandé ses contacts pour obtenir des extraits de cannabis sans cannabinoïde – pas de chance, leur contrat est exclusif. Quant à la rumeur selon laquelle Molson préparerait également une bière au cannabis, la brasserie l’a démentie – mais sans cacher un certain intérêt: «Il n’y a pas de volonté en ce moment de produire une bière. C’est un nouveau marché et on est en train

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d’évaluer les possibilités. On a regardé les coûts, les opportunités de développement, mais il n’y a pas eu de décision d’investir et de brasser une bière…» En attendant, le Saint-Bock prévoit un événement spécial le 17 octobre pour fêter la légalisation, avec une dizaine de lignes de bières prévues. Crème au chanvre Graydon Moffat, c’est une ancienne prof de yoga qui s’est reconvertie dans les cosmétiques en lançant sa collection éponyme de produits naturels. Elle propose notamment dans sa gamme The Putty, une lotion pour la peau qui utilise les propriétés apaisantes et anti-irritantes de l’huile de Cannabis sativa, ou encore un shampooing qui hydrate les cheveux et prévient les cassures grâce à l’huile de chanvre. Elle travaille aussi depuis un an et demi à mettre au point huiles, baumes, crèmes hydratantes, vaporisateurs et autres mélanges à base de cannabinoïde. «On a parlé avec plusieurs producteurs de cannabis pour voir qui serait le meilleur partenaire. C’est encore en développement...» indique Graydon.

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PHOTOS (EN-HAUT) DOMINIC GRAVEL; (EN-BAS) ANTOINE BORDELEAU


43 Graydon parle d’un «beau mouvement», bénéfi­ que autant pour les consommateurs que pour les entreprises de cannabis, et auquel elle sent les clients très réceptifs. Des industries qui augmentent considérablement le bassin de consommateurs de cannabis: «Il y a différentes sortes de consom­ mateurs, et pas seulement le cliché des hippies qui fument. C’est une chose de fumer le cannabis, c’en est une autre de le mettre sur sa peau», souligne l’entrepreneure. «Le secteur des soins de la peau est une industrie à 900 milliards de dollars, et celui du cannabis est en pleine floraison. Marier ces deux industries, c’est créer des perspectives exponentielles en termes d’affaires, mais aussi en termes d’aide aux gens. Pour moi, c’est orienté vers la beauté, car c’est ce que j’aime, mais il y a de la place pour d’autres produits de niche, pour lutter contre la douleur musculaire par exemple, ou contre les gênes et douleurs lors de relations sexuelles… Je pense que d’ici cinq ans, le marché va être envahi! Et ça va rendre le Canada encore plus spécial...» y

L’atout du cannabis pour elle, c’est sa propriété antiinflammatoire, dans la mesure où la plupart des problèmes de peau (acné, psoriasis, eczéma…) sont causés par des inflammations. «Ça serait super d’utiliser un cannabinoïde comme le CBD pour soulager les inflammations topiques en réduisant les rougeurs, les squames ou la douleur. Le monde se porterait tellement mieux sans crème cortisone!» Dans le domaine de la santé, une chaire de recherche sur le cannabis médical a d’ailleurs été créée à l’Uni­ versité de Sherbrooke pour étudier toutes les vertus de la plante, qui seraient nombreuses. Pas étonnant que l’industrie des cosmétiques soit sur le coup. Graydon mène ses recherches avec précaution, notamment par rapport à la législation sur le can­ nabis. «Il faut faire très attention. J’ai plus d’une vingtaine de produits et je n’ai pas envie de mettre toute ma gamme en danger à cause d’un seul d’entre eux. Il y a toujours eu une zone grise au Canada, des gens qui travaillent en cachette sur le cannabis dans des dispensaires… Mais le futur de cette plante a commencé récemment à changer. Et je veux vraiment être un des chefs de file dans ce domaine.» Une file qui s’allonge; Aurora, l’un des plus gros producteurs de cannabis au Canada, a annoncé il y a quelques mois vouloir lancer une gamme de produits pour la peau infusés au CBD.


44 ART DE VIVRE VOIR QC

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LES NOUVEAUX CAVISTES ACTUELLEMENT, POUR VENDRE DE L’ALCOOL, IL FAUT ENCORE VENDRE UN REPAS. MAIS CERTAINS RESTOS JOUENT AVEC LE FLOU LÉGISLATIF POUR VENDRE DU VIN, SE RAPPROCHANT AINSI DU MODÈLE DES CAVES QU’ON TROUVE EN EUROPE. UN BON MOYEN DE CONTOURNER LE MONOPOLE DE LA SAQ? MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTOS | ANTOINE BORDELEAU

«Malheureusement au Québec, l’un ne va pas sans l’autre, le vin et la bouffe. Si t’as un permis de bar, tu peux vendre juste du vin, mais pas pour emporter», résume le chef Martin Juneau, qui a ouvert le Cul-Sec dans Rosemont. On connaissait déjà à Montréal Les Cavistes sur la rue Saint-Denis, ou Le Quartet dans le Vieux. Ces établissements proposent un beau choix de bouteilles, avec lesquelles les clients peuvent repartir après s’être acquittés d’un repas parfois symbolique. C’est la chaîne St-Hubert, qui a commencé à livrer du vin avec ses repas, qui a inspiré Martin Juneau à ouvrir son établissement. «On s’est dit: “Ça marche pour eux, alors on va le faire”. Mais en étant super tight: chaque facture doit compter un repas», raconte le chef. En 2015, quand lui et son associé ouvrent leur établissement, ils travaillent avec un partenaire avocat pour voir exactement ce qui est légal – et toléré – en matière de vente de vin, et quelle est précisément la définition d’un repas. La loi est en effet un peu vague sur cette définition, expliquant finalement surtout ce qui n’est pas un repas – une planche de fromages ou de charcuteries, un plateau d’huîtres ou des bouchées, par exemple. Jouant avec le concept de repas et gardant les prix bas, Cul-Sec propose un sandwich baptisé Le Prétexte, au tarif minimum. «Tu le manges si t’as envie, tu peux le donner à un itinérant, tu le prends pas si tu veux pas, mais ça doit apparaître sur la facture. C’est comme un cover charge pour pouvoir acheter du vin», résume Martin. Le chef reconnaît manœuvrer dans «une zone grise», d’autant qu’il n’y a pas de limite quant à la quantité de vin achetée – certains clients repartent avec des dizaines de bouteilles.

Une zone grise qui reste dans le viseur du gouver­ nement. «Ils ont dû rapidement être au courant qu’on vendait du vin pour emporter. Je pense que oui, ils surveillent, confie le chef. Mais on a toujours fait ça dans les règles de l’art.» La brigade des mœurs est en effet venue il y a peu pour vérifier que tout était en règle en matière de vin. La Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) précise pour sa part que les quelque 24 000 titulaires de permis bar et restaurant au Québec sont contrôlés au moins une fois par an. Quant au repas, «c’est une question d’interprétation, indique Joyce Tremblay, de la RACJ. On ne peut pas être derrière chaque restaurateur. Je fais le parallèle avec les excès de vitesse sur la route; c’est une question de jugement.» Compléter l’offre de la SAQ Mais un modèle comme Cul-Sec a ses limites. D’abord dans sa définition de «cave et cantine»: «Les gens au Québec ne comprennent pas le concept de cave, contrairement aux Européens», raconte Martin. Dans sa cantine, la cuisine est là pour mettre en valeur, supporter le vin. Mais il manque la demande, de la part d’une population encore trop habituée à aller à la SAQ pour acheter du vin. Pour la plupart des clients qui viennent au Cul-Sec, ils sont au restaurant, pas dans une cave. «Il faut un minimum d’encadrement. Ça fait trois ans qu’on est ouvert, et on est encore souvent dans l’explication, regrette Martin. La SAQ est toujours très présente dans l’esprit des gens; c’est l’ultime caviste…» Cul-Sec, spécialisé en vins nature, offre cependant un choix de 140 références de vins à

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ART DE VIVRE 45 VOIR QC

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> la carte. Pour Louis-Philippe Breton, associé de Martin Juneau, c’est ce qui confère à l’établissement une clientèle de niche, qui recherche vraiment ces produits introuvables à la SAQ. «Si c’est pour offrir un vin conventionnel 10$ plus cher qu’à la SAQ, y a pas d’intérêt à avoir une cave, tranche le chef. Avec la rareté des petits producteurs, le caviste offrirait un créneau qui viendrait juste compléter l’offre de la SAQ, au lieu de la concurrencer.» La SAQ s’est déjà beaucoup ouverte à l’univers des vins nature, mais cela reste un créneau non profitable pour elle, selon les associés de Cul-Sec, car il lui faut des vins de volume et de stabilité. «On espère une ouverture du côté du gouvernement, on aimerait bien qu’il y ait des permis de caviste, ou même de vente à emporter dans des restos sans avoir à manger, explique Martin. Nous, on importe du vin, on est prêts. Dès qu’il y aura une possibilité, on va le faire.» «Des grands vins avec un petit repas, c’est pas légitime» Du côté des agences d’importation, on est plus mitigés. «Si ça prend trop d’ampleur, les épiceries pourraient demander jurisprudence pour pouvoir aussi vendre du vin, avance un agent sous couvert d’anonymat. Vendre des grands vins avec un petit

«VENDRE DU VIN À EMPORTER, C’EST PAS SUPER PAYANT. ON VA FINIR AVEC DES MAGASINS QUI N’AURONT QUE DU KIM CRAWFORD OU DU RED REVOLUTION…» repas, c’est pas légitime. La SAQ va resserrer ses critères; c’est toléré actuellement, mais c’est pas accepté pour autant. Ça doit pas faire ombrage au monopole.» Pour lui, la possibilité d’avoir un permis de caviste ouvre la porte à la privatisation de la vente d’alcool, ce qui amènerait alors de nouveaux problèmes. «Vendre du vin à emporter, c’est pas super payant. On va finir avec des maga­ sins qui n’auront que du Kim Crawford ou du Red Revolution…» L’offre de vins de la SAQ est en outre loin devant les autres marchés, souligne cet agent: le nombre de références disponibles au Québec, pour un marché de huit millions d’habitants, est presque aussi élevé qu’à New York. Au milieu de cet argumentaire, un projet de loi sanctionné en mai dernier prévoit d’«assouplir la notion de repas», indique Joyce Tremblay de la RACJ. «Ça faisait 15 ans qu’on n’avait pas modifié cette loi. Le but reste de ne pas compétitionner avec les épiceries ou la SAQ.» Le projet de loi 170 prévoit en outre d’autoriser aux titulaires de permis de restaurant de servir de l’alcool sans obligation de consommer un repas. La date d’entrée en vigueur et les modalités de cette mesure doivent cependant encore être fixées par règlement. En attendant, ce projet de loi a été très chaleureusement accueilli par l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), qui y voit une modernisation du régime juridique applicable aux permis d’alcool, selon François Meunier, vice-président: «C’est un gain historique pour l’ARQ et pour tous les titulaires de permis d’alcool, car ces lois étaient désuètes». Quant au monopole de la SAQ, la Coalition avenir Québec annonçait le mois dernier qu’elle souhaitait libéraliser le marché de l’alcool dans la province si le parti gagnait les élections en octobre prochain. Un débat qui n’en finit pas de déchaîner les passions. En attendant, s’il y a bien un moment où le CulSec se fait remarquer, c’est pendant les jours fériés, quand la SAQ est fermée: à Noël ou à la Saint-Jean, c’est le gros achalandage à la cave et cantine... y



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LES LIGNES DU TERRITOIRE LA JEUNE ARTISTE D’ORIGINE JAMÉSIENNE PART SUR LA TRACE DE VILLES QUI N’EXISTENT PLUS ET ARTICULE SA DÉMARCHE ARTISTIQUE AUTOUR DU TERRITOIRE ET DE LA MANIÈRE DONT NOUS LE FAÇONNONS.

MOTS | ROSE CARINE HENRIQUEZ

PHOTOS | COURTOISIE DE L’ARTISTE

Sa participation à la sixième édition du Symposium arts et rives de Lac-Etchemin est l’une des premières expériences importantes de l’artiste. «Ça s’imbrique vraiment bien dans mon travail, parce que j’essaie toujours de démystifier ma région d’origine et de propager les mythes relatifs à celle-ci. Je vais justement travailler avec le public pour ça.»

À travers plusieurs prismes

Il s’agit de la Jamésie, région du Nord-du-Québec communément appelée la Baie-James. «C’est une région qui est très jeune, elle n’a pas beaucoup de passé historique, elle n’a pas beaucoup de passé culturel, les gens n’ont pas tellement d’identité propre en tant que Jamésiens. Ils vont s’identifier plus à l’Abitibi ou au Saguenay–Lac-Saint-Jean.»

C’est d’abord par son regard de photographe que l’artiste appréhende l’espace et que celui-ci cesse d’être théorique. Ensuite, ce sensible capturé devient sculptures ou peintures. «Puisque mon travail de création explore plusieurs aspects dif­ férents du territoire et du paysage, l’utilisation de plusieurs médiums simultanément me permet à la fois de morceler l’idée du territoire et, surtout, d’inclure individuellement plusieurs concepts qui construisent cette idée.»

Le projet de Stacy-Ann Oliver tentera de contribuer à cette identité dans une série de tableaux et de sculptures créés à partir des réponses des visiteurs à la question: «À quoi pensez-vous lorsque je vous dis Baie-James?» Elle y voit une tentative de construire ou déconstruire les histoires relatives à l’éloignement et au Nord.

Mais ce mot si vaste qu’est le territoire ne se résume pas qu’à la géographie et à la politique. «Je préfère parler de paysages même si ça va ensemble. C’est en regardant le paysage qu’on mesure notre influence sur le territoire.»

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50 ARTS VISUELS VOIR QC

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En quête de traces Adoptant une méthode documentaire, Stacy-Ann Oliver part à la recherche du banal et du particulier. Entre les archives, la collecte d’images et les témoi­ gnages se cachent des histoires. Comme celles de villes disparues. C’est le cas du village minier de Joutel, construit en 1965 et rasé en 1998, auquel l’artiste consacre une œuvre évolutive. «C’est quelque chose qui a quand même marqué mon enfance de voir que ça n’existe plus et de me dire que peut-être que ça va arriver à ma ville. Un jour, je risque de dire que je viens d’un endroit qui n’existe plus.»

Cette réflexion rejoint la démarche de la jeune femme, qui est celle de montrer comment on habite le territoire, comment on le perçoit et comment on participe à son évolution. Ou à sa survivance à travers l’attachement de ceux qui s’en souviennent. «Le manque de culture que les gens ont par rapport à la nature, ça me frappe beaucoup et ça nourrit aussi ma pratique. J’essaie de rendre compte qu’en dehors des villes, le territoire est oublié.» L’un des objectifs de l’artiste est de pousser les gens à regarder véritablement les choses qui sont pourtant sous leurs yeux. y Les 25 et 26 août de 10h à 16h Sanctuaire Notre-Dame d’Etchemin (Dans le cadre du Symposium arts et rives)


SAVOIR OÙ DONNER DE LA TÊTE PARCE QU’UNE RENTRÉE LITTÉRAIRE EST AUTANT UNE FÊTE QU’UN CAPHARNAÜM, QU’EN L’INSTANT DE QUELQUES SEMAINES DES CENTAINES DE LIVRES ARRIVENT SUR LES TABLETTES ET QUE LE VERTIGE EST UNE SECONDE NATURE EN LIBRAIRIE AU TOURNANT DU MOIS DE SEPTEMBRE, VOICI UNE LISTE – LOIN D’ÊTRE EXHAUSTIVE – DE QUELQUES LIVRES À SURVEILLER CET AUTOMNE. MOTS | JÉRÉMY LANIEL


LIVRES 53 VOIR QC

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UIESH. QUELQUE PART

LES BLEED

Joséphine Bacon, Mémoire d’encrier

Dimitri Nasrallah, La Peuplade

Après Bâtons à message et Un thé dans la toundra, la poète innue Joséphine Bacon revient avec un recueil de poésie abordant à la fois l’âge vénérable qui est le sien et le territoire qui l’accompagne depuis si longtemps. Ayant pour titre Uiesh. Quelque part, on imagine déjà une errance en des lieux aux frontières plus souples que celles que nous connaissons, une immersion poétique où la langue de Bacon illumine les chemins à prendre.

Éditeur chez Vehicule Press, traducteur du triptyque 1984 d’Éric Plamondon (Le Quartanier, 2011-2013), Dimitri Nasrallah s’est fait connaître du public francophone avec la publication de la traduction de son deuxième roman, Niko. Ce lauréat du Hugh MacLennan Prize for Fiction revient à La Peuplade avec Les Bleed, un thriller politique qui, comme Niko, s’interroge sur la manière que se façonne une relation père-fils. Toujours traduit par Daniel Grenier, cet auteur anglo-montréalais peut maintenant être certain d’avoir une voix au cœur de la métropole francophone.

LES BAINS ÉLECTRIQUES Jean-Michel Fortier, La Mèche Après Le chasseur inconnu, un premier roman prometteur paru en 2014, Jean-Michel Fortier revient à La Mèche avec Les bains électriques. Il ne semble pas s’éloigner des thèmes qui lui étaient chers dans ce premier opus: commérages de village, mystères de campagne et truculence des personnages. Cette fois-ci, le retour aux sources de la comédienne Louisa Louis bouscule le quotidien d’un village perdu. Jean-Michel Fortier a l’habitude de faire de grands personnages avec de petites gens. On peut donc s’attendre à une lecture tout aussi efficace que surprenante.

THELMA, LOUISE & MOI Martine Delvaux, Héliotrope Martine Delvaux prend depuis quelques années un immense plaisir à nous surprendre. Entre un essai sur Nan Goldin, un roman sur l’absence du père (Blanc dehors) ou une lettre d’amour à sa fille (Le monde est à toi), elle nous étonne par ses choix et réussit grâce à son talent. Cet automne, elle propose Thelma, Louise & moi, un livre dans lequel l’autrice saute dans la Thunderbird du mythique film pour retrouver qui elle était au début des années 1990 tout en réfléchissant et en célébrant la nécessité de toutes les Thelma et les Louise qui nous entourent.

LA MAISON MÈRE Alexandre Soublière, Éditions du Boréal Arrivé en littérature québécoise avec Charlotte before Christ alors âgé de 26 ans, Alexandre Soublière en avait surpris plus d’un avec un roman éclaté et générationnel, à la langue maîtrisée et choquante. Son prochain livre, un essai publié dans la collection «Liberté grande» dirigée par Robert Lévesque au Boréal, devrait surprendre tout autant. Intitulé La maison mère, Soublière, qui a habité Vancouver ces dernières années, remet en question le mythe du Canadien français tout en mettant l’identité québécoise face à ses contradictions.

MÈRE D’INVENTION Clara Dupuis-Morency, Triptyque Avec Mère d’invention, Clara Dupuis-Morency propose un premier livre à mi-chemin entre le récit et l’essai, un ouvrage réflexif autour de la maternité. Présenté par sa maison d’édition comme un hybride entre Marcel Proust – sur qui elle a travaillé lors de son doctorat et qu’elle cite en exergue du livre – et Christine Angot, ce premier ouvrage pourrait bien être l’une des surprises de la rentrée littéraire. Un livre qui n’est pas sans rappeler des essais comme Le monde est à toi de Martine Delvaux ou encore Les argonautes de Maggie Nelson.

QUELQU’UN Nicholas Giguère, Hamac Avec Queues, son premier livre, Nicholas Giguère en avait saisi plus d’un en abordant sans détour ses bassesses les plus intimes et les clichés hétéronormatifs qui se perpétuent dans la communauté LGBTQ. Avec le même dispositif que son précédent livre, Nicholas Giguère propose un récit poétique versifié, abordant cette fois-ci une jeunesse en Beauce et les premières expériences sexuelles qui s’ensuivent. Au bar L’Envol, on se commande un coke aux cerises et on espère ne pas finir la soirée seul.

MOI, CE QUE J’AIME, C’EST LES MONSTRES Emil Ferris, Alto Emil Ferris s’est réveillée trois semaines après s’être fait piquer par un moustique et avoir contracté un virus rare. On a dit à cette illustratrice qu’elle ne pourra fort probablement plus marcher ni écrire. Et pourtant. À force de persévérance surhumaine, Ferris travaille sur un manuscrit d’un roman graphique de plus de 800 pages qui sera refusé par près de 50 éditeurs avant de faire sensation. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est un livreévénement qui puise dans le fantastique pour nous expliquer le réel. L’un des incontournables de l’automne.

FRÈRES AMIS, FRÈRES ENNEMIS Frédérick et Jasmin Lavoie, Somme toute Après Allers simples: aventures journalistiques en Post-Soviétie, Ukraine à fragmentation et Avant l’après: voyage à Cuba avec George Orwell, Frédérick Lavoie, en concert avec son frère Jasmin, nous propose une correspondance fraternelle. Les deux sont journalistes, l’un est basé en Inde, l’autre, au Pakistan. Les 35 lettres qui forment cette correspondance devraient parvenir à jumeler la fraternité qui les unit, en plus de mettre en lumière les enjeux sociaux, politiques et économiques qui divisent ces deux pays voisins.

L’IVRESSE DU JOUR 1 Shanti Van Dun, Leméac Shanti Van Dun, professeure de littérature au cégep, nous propose ici un premier livre à mi-chemin entre le récit et le roman. Si l’éditeur situe le livre entre Christian Bobin et Nancy Huston, ce n’est pas sans piquer notre intérêt. S’articulant autour de la maternité, L’ivresse du jour 1 semble s’éloigner avec brio du premier roman de prof de cégep qui sombre trop souvent dans le piège d’un livre d’initiés et propose plutôt une ode au pacte infrangible inhérent à une naissance. y


Sur les rayons

Sur les rayons

CRAPALACHIA SCOTT MCCLANAHAN

FOUDROYÉE GRACE O’CONNELL

Cambourakis, 201 pages

Éditions du Boréal, 392 pages

Si pour Sartre, l’enfer c’était les autres, pour Scott McClanahan, l’enfer c’est la Virginie-Occidentale. Avec son premier roman, Crapalachia, il nous offre la «biographie d’un lieu», comme nous promet le sous-titre. Drôle, absurde, white trash sans pour autant manquer de tendresse, l’adolescence de McClanahan dans un bled perdu des États-Unis est un feu roulant d’anecdotes tout aussi improbables qu’hilarantes, bien qu’ici les rires et les pleurs semblent se côtoyer plus souvent qu’à leur tour. Si leur réalité est stagnante, l’écrivain la dynamise avec une galerie de personnages tout aussi truculente qu’attachante. Crapalachia est peut-être bien la biographie d’un lieu, mais elle est surtout l’autopsie grinçante d’un mode de vie impensable que certains appellent leur quotidien.

La publication de Foudroyée de Grace O’Connell chez Boréal démontre l’importance d’une littérature canadienne-anglaise accessible, ainsi que l’intérêt d’une traduction de qualité. Deuxième roman de l’écrivaine torontoise, Foudroyée revêt les sobres habits de la traduction de Fanny Britt qui parvient rapidement à mettre en lumière toute la subtilité romanesque de cette proposition littéraire. Roman en deux temps, à cheval entre Vancouver et New York, il nous amène au cœur des violences quotidiennes, proposant un efficace récit initiatique qui plonge le lecteur au centre d’un temps où l’immuabilité des choses est mise à mal. Car comme l’a déjà écrit James Matthew Barrie: «Tous les enfants grandissent. Tous, sauf un.»

Les premiers chapitres défilent comme les pages d’un album photo que l’on feuillette. Rapidement, le portrait de famille prend place, les visages sont campés. Scott ira vivre avec sa grand-mère Ruby et son oncle Nathan. Si l’une est fascinée par les morts qui l’entourent, l’autre, prisonnier de son fauteuil roulant et de son silence, écoute les preachers américains pendant que son neveu siffle un six packs de bières à même sa sonde alimentaire. Bien sûr, le tout peut sembler grotesque et risible, mais on s’attache rapidement à ces êtres perdus que le cours des jours avalera bien avant la fin du roman. Un monde de déchéance, oui, mais non sans amour, car Scott McClanahan aime véritablement chacun des énergumènes qui peuplent ses pages. Bien que le chat s’appelle Sida, que la grand-mère espère de tout cœur être atteinte du cancer du sein et que le coloc aux multiples TOC écoute sans cesse Dust in the Wind de Kansas, le burlesque ne monopolise jamais l’ensemble du projet. L’entreprise de McClanahan est multiple et beaucoup plus brillante qu’une simple caricature. L’écriture est ici sans filet, jamais l’écrivain ne prêche ni par pudeur ni par excès, le court roman se développe comme une lettre d’amour s’adressant à tous ceux qui habitent les marges bien trop grandes d’une société qui en oublie plusieurs derrière. Le pari était difficile, le projet risqué, mais c’est avec succès que l’écrivain américain propose un premier roman aux allures de John Fante sans pour autant baigner dans le pastiche. (Jérémy Laniel) y

En plein New York, une Vancouveroise court pour ne pas manquer son autobus. Quelques minutes après s’être faufilée dans la foule hétéroclite du véhicule, un homme sort une arme et abat le chauffeur. Ainsi commence Foudroyée. Dans ce chassé-croisé entre une jeunesse rangée sur la côte ouestcanadienne et cet attentat dans la Grosse Pomme, O’Connell trace la vie de Veda, sœur de Conrad, amie d’Annie et Al, et amoureuse de Ted, le meilleur ami de son grand frère. Ce club des cinq passera de l’adolescence à l’âge adulte en se tenant les coudes serrés, avant d’apprendre lentement mais sûrement que ces relations sont rarement inaltérables. Un se retrouve en prison, l’autre à New York, une à San Francisco, pendant que le dernier vide les bières sur un bateau de croisière. Il y a quelque chose d’éminemment subtil, mais de terriblement efficace dans ce roman. À plusieurs reprises le lecteur pense être en mesure de cerner le début et la fin des différents arcs narratifs qui se déplient devant lui, mais à tout coup il a tort. Au moment où l’on croit que l’écrivaine va nous surprendre, elle ralentit le rythme; quand on croit qu’elle perd de sa superbe, elle nous épate. L’écriture d’O’Connell n’est pas sans rappeler celle de Miriam Toews, une proposition qui n’aspire pas nécessairement aux grands rebonds romanesques, laissant la force du livre résider dans les nombreux vases communicants. Roman sur les ingérables violences qu’on porte en soi, Foudroyée est aussi une ode à l’enfance et au lieu qu’on oublie d’habiter. (Jérémy Laniel) y


QUOI FAIRE

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YANN PERREAU, PHOTO JOHN LONDOÑO (CONSULAT)

MUSIQUE

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YANN PERREAU ET DE LA REINE PLACE D’YOUVILLE – 31 AOÛT

Le chanteur à l’énergie à revendre et qui aime les oiseaux viendra brasser la Fête arc-en-ciel de Québec, un événement gratuit de trois jours qui agit comme célébration annuelle de la fierté LGBT+. Le trio local d’indie-pop De la reine assurera la première partie.


56 QUOI FAIRE VO3 #O8

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FÉRIA DE FLIP FABRIQUE AGORA DU VIEUX-PORT – 7 AOÛT AU 2 SEPTEMBRE

Événement gratuit en plein air, Féria parle «d’un territoire où les mots ne s’aventurent pas, où le bruit de nos pas se transforme en musique». Conçu par Flip FabriQue, jeune organisme formé d’amis issus du milieu du cirque professionnel, ce spectacle de 55 minutes mêle virtuosité et poésie à travers une mise en scène d’Olivier Normand.

GALA DE FABIEN CLOUTIER PALAIS MONTCALM (DANS LE CADRE DE COMEDIHA!) – 18 AOÛT

PHOTO DIANE TELL

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DIANE TELL

ALEXANDRE THARAUD

C’est une consécration en soi, le signe que le dramaturge et comédien a réussi à infiltrer le château fort des humoristes. ComediHa! lui confie l’animation d’un gala qui promet d’être mordant et champ gauche, à l’image de son premier one-man-show intitulé Assume. Parmi ses invités: MC Gilles, Daniel Grenier et Franky.

7 TÊTES DU ROI PARC NATUREL RÉGIONAL DE PORTNEUF

MOULIN DU PORTAGE – 6 AOÛT

ÉGLISE DE SAINTE-PÉTRONILLE – 16 AOÛT

23 AU 26 AOÛT

Ses chansons sont intemporelles, d’une douceur inouïe. La plus française des chanteuses québécoises revient chez elle dans le cadre d’une tournée avec le ROSEQ, une série de concerts intimistes qui la mènera jusqu’à Lotbinière.

Retour en ville de ce grand pianiste français après 13 ans d’absence à Musique de chambre à Sainte-Pétronille! Le programme de la soirée inclut des pièces de Couperin, Beethoven et Debussy. L’artiste jouera sa propre transcription du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy.

Le collectif L’orchestre d’hommes-orchestres et l’artiste multidisciplinaire Claudie Gagnon s’offrent un beau terrain de jeu forestier pour leur première collaboration où se mêlent musique, performance et installations. Voilà une promenade en sentier comme si on plongeait tout droit dans un conte.

VOIVOD FESTIVENT – 4 AOÛT

Les légendes du heavy métal québécois seront du prochain Festivent de Lévis, au même titre que NOFX, Bryan Adams, Billy Talent et Dead Obies. Célébrant son 35e anniversaire d’existence cette année, Voivod viendra présenter ses plus grands succès ainsi que certaines nouvelles chansons de The Wake, 17e album studio dont la sortie est prévue le 21 septembre prochain.

VITALIC IMPÉRIAL BELL – 1ER SEPTEMBRE

Le Français Pascal Arbez-Nicolas (alias Vitalic) fait vibrer les planchers de danse internationaux depuis plus de 15 ans. Révélé dans les années 2000 avec son premier album OK Cowboy, vendu à plus de 75 000 exemplaires en Europe, il a déployé sa signature électro house avec inventivité sur ses albums suivants, notamment sur Voyager, son quatrième et plus récent opus paru en janvier 2017.

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KNLO & JAZZ TRIO FESTIVAL JAZZ ETCETERA LÉVIS – 9 AOÛT

Figure de proue de la scène rap de Québec, KNLO donnera une toute nouvelle impulsion aux chansons de son répertoire en les adaptant au jeu d’un trio jazz. Empreinte de soul, de funk, d’électro et, évidemment, de jazz, la musique du talentueux et prolifique rappeur et producteur du groupe Alaclair Ensemble se prête à merveille à ce genre de relecture organique.

TOPS DISTRICT SAINT-JOSEPH – 16 AOÛT

Originaire de Montréal, TOPS roule sa bosse depuis une décennie avec une esthétique D.I.Y. qui définit avec panache sa proposition indie pop. Signé sous Arbutus Records, étiquette montréalaise qui s’est illustrée à l’international grâce au succès de Grimes, Blue Hawaii et Majical Cloudz, le groupe a fait paraître l’été dernier son troisième album Sugar at the Gate, salué par différentes publications, dont Pitchfork. PHOTO CLAUDIE GAGNON ET L’ODHO

SCÈNE

VOIR QC


FESTIVAL ENVOL ET MACADAM 6 AU 8 SEPTEMBRE PARC DE L’ILOT FLEURIE ET SALLES DU QUARTIER ST-ROCH

CINÉMA

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Tenu annuellement au mois de septembre et consacré aux nouvelles tendances musicales. Il s’inscrit dans le circuit des événements majeurs de la Ville de Québec comme la seule manifestation consacrée aux musiques alternatives.

THE DARKEST MINDS EN SALLE LE 3 AOÛT

À la suite d’une épidémie mondiale qui a décimé 98% des enfants et des adolescents, de jeunes survivants développent des pouvoirs psychiques extraordinaires. Un gouvernement craintif les réunit dans des «camps de réhabilitation». La jeune Ruby, 16 ans, parvient à s’échapper et rejoint un petit groupe de résistants.

MANDY EN SALLE LE 1ER AOÛT

Red Miller et Mandy Bloom mènent une existence paisible et empreinte d’amour. Quand leur refuge entouré de pinèdes est sauvagement détruit par les membres d’une secte dirigée par le sadique Jérémie Sand, Red est catapulté dans un voyage fantasmagorique marqué par la vengeance, le sang et le feu.

LES BRUNANTES DE SAINT-ALBAN PARC NATUREL RÉGIONAL DE PORTNEUF 4, 5, 17 ET 18 AOÛT

L’art se marie avec la nature dans le cadre de ces projections en plein air, une proposition aussi féérique que rassembleuse. Au programme: les coquets petits bonshommes de Diane Obomsawin, un film expérimental et carrément visionnaire de Norman McLaren, des courts métrages d’ici ou d’ailleurs qui nous laisseront rêveurs.

SLENDER MAN EN SALLE LE 24 AOÛT

Slender Man raconte l’histoire d’une grande et effrayante silhouette avec des bras anormalement longs et un visage sans traits, qui est soi-disant responsable de la disparition d’innombrables enfants et adolescents. Ce personnage a été créé de toutes pièces sur des sites «creepypasta» en 2009.

30E ÉDITION, CARREFOUR MONDIAL DE L’ACCORDÉON 30 AOÛT AU 3 SEPTEMBRE

La Carrefour c’est 80 musiciens d’exception venus de 9 pays qui vous présentent plus de 30 concerts intérieurs et extérieurs de tous les styles. La diversité des sons et des courants musicaux de l’accordéon saura vous séduire!


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L’ULTIME VOYAGE EN SALLE LE 24 AOÛT

Abraham Bursztein, un tailleur juif de 88 ans, s’enfuit de Buenos Aires pour la Pologne, où il espère trouver un ami qui l’a sauvé d’une mort certaine à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après sept décennies sans aucune nouvelle de lui, Abraham va essayer de retrouver son vieil ami et tenir sa promesse de revenir un jour.

SYMPOSIUM DE BAIE-SAINT-PAUL ÉCOLE THOMAS-TREMBLAY – JUSQU’AU 26 AOÛT

Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de l’entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins de fermer totalement le site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte-parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi.

Événement artistique majeur de Charlevoix, le Symposium provoque la rencontre de 12 artistes de disciplines variées qui sont invités à créer une œuvre publique pendant un mois et à prendre part à des conférences et autres événements. Le spectacle de clôture a été confié à l’auteure, militante et comédienne Natasha Kanapé Fontaine.

WARTIN PANTOIS ET GIORGIA VOLPE LE NID EN SALLE LE 31 AOÛT

Afin de sauver sa relation amoureuse en déclin, un comédien accepte de participer à une étrange expérience orchestrée par sa conjointe. Confiné à un endroit lugubre et à une routine inquiétante, il devra prendre part à un jeu de vérité qui le mènera au plus profond de son âme tourmentée.

REGART, CENTRE D’ARTISTES EN ART ACTUEL JUSQU’AU 26 AOÛT

Lui, on le connaît pour ses collages monochromes parsemés aux quatre coins de la ville, des œuvres politiques qui font bien souvent la manchette. Giorgia, elle, sort régulièrement du cadre muséal strict et des centres d’artistes pour rejoindre le grand public. Cet été, ils enjolivent la façade extérieure et la vitrine de Regart, à Lévis.

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OEUVRE DE WARTIN PANTOIS, PHOTO JÉRÔME BOURQUE

ARTS VISUELS

EN GUERRE EN SALLE LE 31 AOÛT


OBTENIR

PLUS

D’ARGENT POUR MANGER AU RESTO ?

OUI C’EST POSSIBLE !


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