Magazine Voir Montréal V03 #11 | Novembre 2018

Page 1

MONTRÉAL VO3 #11 | NOVEMBRE 2O18 CONSERVER LA DANSE SOMM360 GUILLAUME TREMBLAY ET OLIVIER MORIN SALOMÉ LECLERC BENOIT PARADIS TRIO CUISINE, CINÉMA ET CONFIDENCES KIM CÔTÉ CINEMANIA À TOUS CEUX QUI NE ME LISENT PAS RENOUVEAU LITTÉRAIRE JULIAN ROSEFELDT

Abonnement 12 numéros: 29,99$ + tx voir.ca/abonnement

VIRGINIE FORTIN


MA DESTINATION CADEAUX


Revoyez le film en HD accompagné d’un grand orchestre jouant la célèbre bande sonore de John Williams.

29 et 30 mars 2019 Salle Wilfrid-Pelletier

Produit par La marque de commerce et les droits d’auteur de Jurassic Park appartiennent à Universal Studios et Amblin Entertainment, Inc. Autorisé sous licence par Universal Studios. Tous droits réservés.


O3 11

V

#

MONTRÉAL | NOVEMBRE 2018

RÉDACTION

PUBLICITÉ

Rédacteur en chef national: Simon Jodoin Rédactrice en chef adjointe et chef de section musique: Valérie Thérien Coordonnatrice à la rédac­tion et journaliste: Catherine Genest Chef des sections restos, art de vivre et gastronomie: Marie Pâris Journaliste actualité culturelle: Olivier Boisvert-Magnen Producteur de contenus numériques: Antoine Bordeleau Coordonnateur des contenus: René Despars Correctrice: Marie-Claude Masse

ventespub@mishmash.ca Directeur des ventes: Maxime Alarie Adjointe / Coordonnatrice aux ventes: Karyne Dutremble Consultant médias aux comptes majeurs: Olivier Guindon Conseillers médias: Lucie Bernier, Miriam Bérubé, Catherine Bonin, Cynthia Brouillette, Guillaume Chaput, Samuel Faubert, Céline Lebrun (comptes culturels), Suzie Plante

MISHMASH MÉDIA

COLLABORATEURS Normand Baillargeon, Patrick Baillargeon, Réjean Beaucage, Vanessa Bell, Mickaël Bergeron, Ralph Boncy, Emilie Dubreuil, Christine Fortier, Catherine Genest, Jean-Baptiste Hervé, Rose Carine Henriquez, Mélanie Jannard, Jérémy Laniel, Olivier Morin, Guillaume Tremblay

OPÉRATIONS / PRODUCTION

Chef de la direction: Eric Albert Président, directeur général – Mishmash Média: Nicolas Marin Directrice finance et administration: Caroline Alary Comptable principale: Marie-Ève Besner Gestionnaire, Technologie et Innovation: Edouard Joron

DIFFUSION / MARKETING

Directrice - Production: Julie Lafrenière Directeur artistique: Luc Des­chambeault Coordonnatrice à la production: Sophie Privé Infographie: René Despars Infographe-intégrateur: Sébastien Groleau Développeur et intégrateur web: Emmanuel Laverdière Développeur web: Maxime Larrivée-Roy Coordonnateur technique: Frédéric Sauvé

Directrice - Marque et Marketing relationnel: Kim Pépin Chef Marketing - Diffusion et Relationnel: Alexandra Candet Impression: Transcontinental Interweb VOIR est distribué par Mishmash Média © 2018 Mishmash Média. Le contenu de Voir ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans autorisation écrite de l’éditeur. Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada / ISSN 0849-5920 Convention de la poste-publications: No 40010891

PHOTO COUVERTURE Maxyme G. Delisle | leconsulat.ca

DISTRIBUTION

606, rue Cathcart, 10e étage, bureau 1007 Montréal (Qc) H3B 1K9 Téléphone général: 514 848 0805

Transmet / Diffumag 514 447-4100

ABONNEZ-VOUS DÈS AUJOURD’HUI AU MAGAZINE VOIR ET RECEVEZ DANS LE CONFORT DE VOTRE FOYER 12 NUMÉROS POUR SEULEMENT 29,99$

OUI, je m‘abonne pour un an à 29,99$ plus taxes Je choisis VOIR MONTRÉAL VOIR QUÉBEC Mode de paiement VISA MASTERCARD Numéro de carte Date d’expiration (mois/année) CVV CHÈQUE de 34,48$ taxes incluses à l’attention de Mishmash Média inc.

PRÉNOM NOM ADRESSE VILLE CODE POSTAL TÉLÉPHONE COURRIEL POSTEZ À MISHMASH MÉDIA, 606 rue Cathcart, bureau 1007, Montréal (Qc) H3B 1K9 OU

COMMANDEZ EN LIGNE À VOIR.CA/ABONNEMENT PP 40010891


8

«QUAND JE SUIS À LA TÉLÉ, C’EST MON SURMOI QUI PARLE, TANDIS QUE, SUR SCÈNE, J’INCARNE LA VERSION LA PLUS CONFIANTE DE MOI-MÊME, CELLE QUI N’A PLUS DE DOUTES.» Photo | Maxyme G. Delisle (Consulat); Assistant | Julien Grimard; Maquillage | Sophie Parrot; Stylisme | Laurence Morisset-Blais; Retouche | Valérie Laliberté; Production | Vincent Boivent (Consulat) Remerciement au studio Trinidad

8

SCÈNE

Conserver la danse

18

MUSIQUE

Salomé Leclerc Benoit Paradis Trio

28

CINÉMA

Cinemania

À tous ceux qui ne me lisent pas

36

ART DE VIVRE

Cuisine, cinéma et confidences Somm360 Portrait de chef: Kim Côté

48

LIVRES

Renouveau littéraire La petite Russie Aux premiers temps de l’anthropocène La société des grands fonds Ça raconte Sarah

56

CRÉATION

Guillaume Tremblay et Olivier Morin

60

ARTS VISUELS

Julian Rosefeldt

66

QUOI FAIRE CHRONIQUES

Simon Jodoin (p6) Émilie Dubreuil (p16) Mickaël Bergeron (p26) Normand Baillargeon (p34) Catherine Genest (p64)


6 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

THÉOLOGIE MÉDIATIQUE

MOTS & PHOTO SIMON JODOIN

Question de souffle Je suis un vrai conservateur, dans le vrai sens du mot. Je veux conserver que c’est qu’on a. Y’a plus personne qui pense de même. Y ont ôté le dernier tramway à Montréal. Ben moi, ça m’a fait de la peine. J’aimais ça, moi, les p’tits chars, je trouvais ça beau pis je trouvais ça charmant. Ça marchait à l’électricité pis ça coûtait pas cher. Y remplacent ça par des autobus qui font un vacarme épouvantable, ça boucane noir, ça sent le yable, pis ça coûte une fortune. Y appellent ça le progrès. Le trafic va aller plus vite. Qui c’est qui est si pressé que ça? Où c’est qu’y veulent aller de même? — Duplessis (joué par Jean Lapointe), minisérie de Denys Arcand, 1978 ---

Il y a ici, en deux phrases, toute la chimie nécessaire pour provoquer une réaction en chaîne et un profond questionnement métaphysique. Qu’est-ce que je fais au cosmos alors que je respire? Suis-je en symbiose avec les arbres et les forêts? Quelle est donc ma place dans ces espaces infinis? D’ailleurs, ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la théologie et à la spiritualité savent que la notion de souffle est, étymologiquement et conceptuellement, liée à la notion d’esprit. Je vous le dis, moi. Maxime Bernier est un philosophe.

Nathalie Normandeau, qui était en 2011 ministre des Ressources naturelles et de la Faune, avait tenté un exercice du genre à l’époque afin de rassurer ceux qui s’inquiétaient qu’on creuse un peu partout des puits de gaz de schiste. «Une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits, proposaitelle. C’est factuellement prouvé. Alors, est-ce qu’on peut arrêter de faire de la démagogie?» Je dois avouer que la vache, comme unité de mesure, c’est assez rassurant. Tout le monde peut comprendre ça. Dans Le Devoir, à l’époque, Louis-Gilles Francœur avait publié un article question de mieux comprendre les calculs bovins de madame Normandeau. En analysant trois puits de gaz, les agronomes de Nature Québec avaient découvert que les émissions mesurées correspondaient plutôt à 107 vaches, sur une base annuelle.

J’avais une chronique toute prête à vous proposer sur la cuisine automnale quand j’ai vu passer cette sortie de Maxime Bernier à propos de la pollution et du CO2. Je ne sais pas comment vous résumer la chose. C’est comme une blague entre amis, ça ne se raconte pas. Il fallait être là. C’était sur Twitter, par un beau mercredi un peu gris à la fin octobre, juste avant Halloween.

Je pense même qu’il ne peut pas être aussi con qu’il le laisse croire. Mais qu’il sait, par ailleurs, qu’il y aura assez de cons pour le croire.

Car ça pourrait marcher. En ces matières, plus rien ne devrait nous étonner.

La vache annuelle. Voilà une nouvelle unité de mesure facile à comprendre. Comme le pied linéaire ou le mètre carré.

«Le CO2 n’est PAS de la pollution, écrivait-il. C’est ce qui sort de votre bouche quand vous respirez et ce qui nourrit les plantes.»

Face au précipice des choses complexes, celui qui brandit la corde de la simplicité pourrait connaître un certain succès. Ça s’est déjà vu.

Notez au passage qu’à la même époque, afin de démystifier tout ça, il a fallu aussi préciser que les émissions bovines n’étaient pas, comme on le croit souvent, le résultat

Là se trouve tout le nœud à dénouer.

>


de pets de vaches, mais bien de rots que font les animaux en ruminant. Toujours bon à savoir. Mais vous voyez? Le souffle encore. Respiration et digestion. Des choses simples. En brassant tout ça, on pourrait même se demander à combien de vaches annuelles équivaut le souffle hebdomadaire de Maxime Bernier. Toutes ces questions qui nous échappent.

Il y a de quoi sourciller lorsqu’on voit tous ces esprits partisans faire des simagrées et des grimaces dès qu’on amorce une réflexion écologique qui pourrait remettre en question non seulement nos modes de production, mais aussi notre mode de vie. Ce n’est pas être de droite ou de gauche que de considérer qu’il est plutôt idiot de se fatiguer inutilement et de saloper le paysage tout en rendant l’air pesant de puanteur. On peut même considérer que la remise en question de cette course effrénée à la croissance est, en soi, profondément et essentiellement conservatrice.

--Reste que l’air ambiant est en train de faire rouiller pas mal nos vieux camions et qu’on ne pourra plus creuser n’importe comment et n’importe où afin de brûler du gaz. Brûler du gaz, se fatiguer inutilement, déployer une énergie inutile. C’est bien de cela qu’il est question dans toutes ces discussions sur l’environnement.

Il est difficile de comprendre comment nous pourrions être divisés sur ces questions et sur quoi se fondent les rivalités lorsque nous considérons que nous devrions garder la maison propre, nous arrêter un instant et faire le point. D’où vient donc cette mystérieuse opposition, si ce n’est que d’un désir de préserver l’opulence de quelques industriels qui se shootent au cash en

hallucinant des mondes meilleurs qui n’arrivent jamais? Plus curieux encore, sur cette opposition, on nous propose un dilemme en forme d’acrobatie suicidaire: est-ce que l’économie doit passer avant l’écologie? Existe-t-il une question plus conne? Encore ici, les mots ont un sens têtu. Le préfixe éco-, commun à ces deux mots, vient du grec oiko, qui signifie maison ou plus justement la maisonnée, le milieu de vie, le lieu où nous habitons ensemble et que nous devons à la fois gérer et comprendre. Il n’y a pas à choisir ici… Il s’agit du recto et du verso de la même feuille de papier. Toutes ces querelles sont inutiles et devraient se régler en peu de mots: Tu brûles du gaz, man… Respire par le nez un peu. y sjodoin@voir.ca


8 SCÈNE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18


SCÈNE 9 VOIR MTL

VO3 #11

PARCOURS IMPROVISÉ IMPROVISATRICE CHEVRONNÉE, VIRGINIE FORTIN A PRIS LES DÉTOURS QU’IL FALLAIT POUR ÊTRE HEUREUSE. APRÈS S’ÊTRE CHERCHÉE DURANT UNE BONNE PARTIE DE SA VINGTAINE, LA MONTRÉALAISE DE 32 ANS A COMPRIS QU’ELLE NE FERAIT JAMAIS UNE SEULE CHOSE DE SA VIE. ENTREVUE AVEC UNE ANIMATRICE, COMÉDIENNE ET HUMORISTE QUI MULTIPLIE LES PROJETS À DÉFAUT D’AVOIR DES AMBITIONS IMMUABLES. MOTS | OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

Avec ton premier one-woman-show, ton émis­ sion bihebdomadaire L’heure est grave et ton rôle dans la série Trop, on se doute que ton horaire doit être assez chargé depuis quelques mois. En septembre dernier, tu disais d’ailleurs au journal Métro que tu allais «être gossante cet automne» tellement tu avais de projets en branle. Est-ce que ton impression est maintenant confirmée? En ce moment, je ne me trouve pas gossante, car je ne me regarde pas constamment à la télévision, mais je trouve effectivement que je suis impliquée dans trop de projets en même temps. Le plus drôle là-dedans, c’est que j’ai même pas ce désir-là d’être sur toutes les plateformes. C’est vraiment juste une question de circonstances. L’une de ces «circonstances» est sans doute la popularité de Trop, qui a repris le petit écran pour une deuxième saison. Avais-tu prévu que le jeu allait prendre une place aussi grande dans ta carrière? Sincèrement, c’était mon rêve d’enfant d’être comédienne. Mon père (Bernard Fortin) est luimême comédien et, étant l’enfant du milieu, j’ai toujours cherché beaucoup l’attention, ce qui explique en partie ce rêve-là. C’est vraiment au cégep, durant mes études en théâtre, que tout ça a changé. Je ne me trouvais pas crédible dans la peau d’un personnage qui vit une émotion. Je préférais vraiment l’improvisation. Je suis donc entrée à la Ligue nationale d’improvisation (LNI) durant mes

PHOTOS | MAXYME G. DELISLE

études universitaires et, pendant cinq ou six ans, j’ai continué à voir cette passion-là comme un simple hobby, en parallèle de ma jobine de serveuse au Centre Bell. Tout ça jusqu’au jour où je me suis dit: «Virginie, qu’est-ce que tu fais dans la vie?» J’en étais rendue à me dire qu’il fallait peut-être que j’abandonne mon rêve de jeunesse, un peu comme tous ceux qui réalisent que, finalement, ils ne pourront pas être astronautes... Bref, quand j’ai reçu l’appel de Trop, ma tête était vraiment ailleurs. J’étais rendue humoriste et j’avais vraiment le syndrome de l’imposteur. Je trouvais les textes très bons, mais je ne savais pas si j’allais être capable de laisser la place à cette grande vulnérabilité là. En fin de compte, qu’est-ce qui t’a donné la con­ fiance nécessaire pour assurer ce rôle? En fait, je pense pas que je l’avais au départ, la confiance absolue. C’est vraiment en voyant la réaction de tout le monde sur le plateau que toutes mes craintes se sont dissipées. C’est moi la dernière qui ai cru en mon potentiel! Dans la vie, je suis pas le genre de personne qui va foncer si personne n’est là pour croire en moi. Mais à défaut d’avoir ce caractère-là, je crois avoir une certaine curiosité qui m’a amenée où je suis maintenant. Il y a beaucoup de hasard là-dedans, mais finalement, toutes ces curiosités-là ont fini par connecter ensemble. Parmi les curiosités auxquelles tu fais référence, il y a sans doute l’école d’improvisation The Second City, où tu as étudié durant tes séjours à Chicago

>

11 / 2O18


10 SCÈNE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

et Toronto. C’est d’ailleurs dans la métropole ontarienne que tu as eu tes premières expériences de stand-up. Pourquoi avoir choisi cette ville? Je pourrais dire que c’est parce que je consommais davantage d’humour en anglais qu’en français, mais ce n’est pas juste ça. À ce moment-là, l’improvisation ne me stressait plus, et je cherchais un challenge différent. Je savais aussi que si je commençais le stand-up à Montréal, là où le milieu de l’impro est tissé très serré, je serais beaucoup plus stressée de me planter. Pour moi, faire de l’humour en anglais, c’était un peu comme jouer un personnage, et c’est pour cette raison que je participe encore annuellement au festival Fringe d’Édimbourg. J’aime être dans une réalité alternative qui n’a aucun impact sur ma vie au Québec. C’est vraiment l’idée de fuir la vie et de me mettre un masque. Dans plusieurs entrevues, tu dis avoir de la difficulté à t’ouvrir sur ta vie personnelle et, par conséquent, à comprendre l’intérêt des artistes qui se confient en détail aux médias et à leur public. Est-ce que ce refus du vedettariat excessif t’oblige, encore aujourd’hui, à te «mettre un masque»? Disons que j’aime pouvoir choisir la personne que je présente aux gens. Quand je suis à la télé, c’est mon surmoi qui parle, tandis que, sur scène, j’incarne la version la plus confiante de moi-même, celle qui n’a plus de doutes. Après ça, tout ce qui appartient à ma vie personnelle, j’essaie d’en donner le moins possible aux médias. Moi, je veux qu’on connaisse ce que je fais avant de s’intéresser à qui je suis. C’est probablement pour cette raison que j’ai refusé de participer à l’émission La vraie nature (à TVA). C’est un super véhicule promotionnel pour vendre des billets, mais le concept d’aller brailler dans une grange en regardant des photos de ma grand-mère morte ne m’intéresse pas. En fait, probablement que tout ça part de mon père qui faisait ce métier-là et qui, au début, avait accepté de jouer la game, d’aller prendre des photos en famille pour Le Lundi par exemple. Après un certain temps, il a décidé de tout arrêter, car il ne se sentait pas bien là-dedans. Reste que, malgré tous tes efforts, tu n’échappes pas au star-système. En cherchant «Virginie Fortin entrevue» sur Google, il y a les suggestions «Virginie Fortin enceinte» et «Virginie Fortin en couple avec» qui apparaissent avant... Effectivement, je n’y échappe pas! Le meilleur exemple pour illustrer ça, c’est mon passage au Gala des Olivier l’an dernier. J’y suis allée sans mon chum (l’humoriste Philippe Cigna de Sèxe Illégal),

et tout de suite en arrivant sur le tapis rouge, on m’a demandé: «Il est où ton chum?» J’ai répondu qu’il était en train de servir des repas au Refuge et qu’on se complétait bien comme couple, car il n’aimait pas vraiment les galas. Le lendemain, il y avait un article de six lignes à propos de moi avec, comme titre, «Un couple équilibré». J’étais découragée... À défaut de verser dans le récit anecdotique ou les confidences trop intimes, ton premier onewoman-show Du bruit dans le cosmos aborde des enjeux sociaux très actuels. On parle d’ailleurs de ton style comme d’«un humour posé et réfléchi». Es-tu à l’aise avec cette étiquette?

>


SCÈNE 11 VOIR MTL

«JE TROUVE QUE ÇA FAIT SNOB DE DIRE QUE JE RÉFLÉCHIS. T’ES PAS OBLIGÉ D’AVOIR UN PROPOS SOCIAL OU POLITIQUE POUR ÉCRIRE DE L’HUMOUR AVEC UNE RÉFLEXION.» Je trouve que ça fait snob de dire que je réfléchis. T’es pas obligé d’avoir un propos social ou politique pour écrire de l’humour avec une réflexion. Des conteurs d’histoires comme Jean-Marc Parent ou Simon Leblanc, je les trouve captivants, et ils réfléchissent tout autant que moi. C’est juste qu’on n’a pas les mêmes habiletés. Moi, ma zone de confort, c’est l’observation de l’existence au sens large. Si je parle de moi, c’est que je m’inspire d’une chose qui s’est déroulée dans ma vie pour ensuite amener un sujet plus grand. Par exemple, je peux lancer un numéro en disant que je possède 22 camisoles, mais tout ça va servir à mettre la table pour le sujet de la surconsommation et de la surproduction de linge. Je ne vais jamais faire une joke comme: «Hier, je suis allée à la quincaillerie et j’ai pété dans la rangée numéro 2!» Comment tes différentes réflexions s’intègrentelles dans le concept général de ton spectacle? La base du concept, c’est que j’observe la Terre de loin, comme si j’étais une extraterrestre. Je zoome ensuite sur les problèmes tangibles qu’on a en ce moment. C’est là que je constate que l’argent est un concept inventé qui n’a pas rapport dans le cycle de survie d’un humain, mais qui, en même temps, a fini par régir l’ensemble de nos vies et de nos sociétés, à un point où on n’est maintenant plus capables de s’en départir. Tout ça m’amène à me poser des questions sur le capitalisme et, donc, sur nos problèmes de surconsommation. Ah, et j’oubliais... À travers tout ça, il y a aussi des blagues!

VO3 #11

Et un peu de philosophie aussi? Oui, c’est une discipline qui m’habite encore beau­ coup et pour laquelle j’envisage de faire un retour à l’université. Depuis très longtemps, j’ai un vertige de l’existence. Tous les jours ou presque, je me rappelle que je suis prise dans mon corps. Avec Du bruit dans le cosmos, j’ai réalisé que, dans le fond, c’est pas grave si on comprend pas pourquoi on vit, car tout ce qu’on est existe seulement dans une petite parcelle de l’univers. En d’autres mots, tout ce qu’on vit sert à rien, donc le but, c’est juste d’avoir du fun. Pour les bienfaits de ce potentiel retour aux études, comptes-tu lâcher la scène ou la télé… ou les deux? En fait, même si je ne retourne pas étudier, je vais lâcher de quoi. Je peux pas garder un rythme comme ça. Je suis pas André Robitaille quand même! Mon but, c’est pas d’être partout le plus possible, mais bien de sentir que je fais de quoi que j’ai jamais fait dans la vie. J’aime les défis et, habituellement, j’ai tendance à aller vers les choses qui me terrifient. Quels sont ces prochains défis «terrifiants» que tu comptes relever prochainement? Je vais jouer dans une comédie musicale, un genre d’opéra rock humoristique avec un petit budget. Je peux pas trop en parler, mais ça risque fortement de faire partie de la prochaine édition du Dr. Mobilo Aquafest. Ensuite, j’aimerais aussi jouer dans un film. Je dis ça, mais en même temps, j’ai pas vraiment d’ambitions réelles. Tout ce que je veux, c’est que ma vie continue d’être le fun. Et si jamais mes affaires arrêtent de marcher un jour, je trouverai mon fun ailleurs. Dans le showbiz québécois, y a beaucoup de gens qui ont disparu de la mappe au fil du temps, et c’est pas nécessairement négatif. On se demande tous il est où Manuel Hurtubise, mais t’sais, peut-être qu’il est très heureux de ne plus être dans ce domaine-là. y Trop Diffusée à ICI Radio-Canada Télé jusqu’au 5 décembre et disponible sur Tou.tv Extra L’heure est grave Diffusée à Télé-Québec jusqu’au 9 décembre Du bruit dans le cosmos 6 et 7 novembre au Théâtre Outremont

11 / 2O18


12 SCÈNE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

CONSERVER LA DANSE DU THÉÂTRE, IL NOUS RESTE LES TEXTES ET, EN MUSIQUE, LES DISQUES SURVIVENT AUX MUSICIENS QUI LES ONT ENREGISTRÉS. OR, QU’ADVIENT-IL D’UNE CHORÉGRAPHIE À LA TOMBÉE DU RIDEAU? LA DANSE CONTEMPORAINE, TELLE QUE NOUS LA CONNAISSONS AUJOURD’HUI, EST-ELLE IRRÉMÉDIABLEMENT VOUÉE À DISPARAÎTRE? ON EN DISCUTE AVEC CEUX QUI TENTENT, ET À TOUT PRIX, D’EN PRÉSERVER LES VESTIGES. MOTS | CATHERINE GENEST

La danse, contemporaine ou non, fait partie du patrimoine immatériel. On ne cristallise pas une pièce de Marie Chouinard comme s’il s’agissait d’une toile de Marcel Barbeau, par exemple. La danse s’inscrit d’abord dans le corps des interprètes, elle s’imprime dans leurs muscles, leurs articulations jusqu’au dernier tour de piste. Trop souvent, le mouvement meurt dans un dernier geste. Peu de traces subsistent des pièces, même des plus marquantes, lorsque les représentations viennent à échéance. Alors que le ballet jouit d’un lexique standardisé (exemple: pas de bourré, saut de biche, grand jeté) pour entrer dans l’histoire, les chorégraphes contemporains n’ont jamais su faire front commun. «C’est à la base même de ce qu’est la danse contemporaine», résume Harold Rhéaume, directeur général et artistique de la compagnie Le fils d’Adrien danse et ancien président du Regroupement québécois de la danse. «Chaque chorégraphe développe sa façon de travailler, son approche.» Quand le vocabulaire et les méthodes de création varient autant, il devient virtuellement impossible de s’entendre sur une technique de notation qui conviendrait à tout le monde. La danse contemporaine, après tout, est née en réaction à la rigidité du ballet, d’un besoin de liberté. Sésame, ouvre-toi Au Québec, ces années-ci et depuis déjà longtemps, le format d’archivage préconisé est celui de la boîte chorégraphique. Une méthode que Ginelle Chagnon, directrice de répétition notoire et pédagogue, a grandement aidé à développer à l’époque où elle assistait le légendaire Jean-Pierre Perreault. La Montréalaise voue aujourd’hui sa vie à la mémoire

PHOTO | EUGENIA MAXIMOVA

des autres, à la préservation d’un certain répertoire. Une démarche qui comporte son lot de défis. «L’expérience de la danse, de l’interprétation reçue, une fois faite, ça ne s’archive pas comme tel, admet-elle. La seule place où ça s’archive, c’est dans le cœur de la personne qui l’a reçue et l’a faite.» Mais qu’advient-il lorsque les artistes et le public se meurent, qu’il n’y a plus personne pour témoigner d’une œuvre? C’est là que le travail de Ginelle prend tout son sens, que ses boîtes chorégraphiques font office d’ultime témoin. Grosso modo, il s’agit d’un grand cartable colligeant des écrits, des disques compacts, des clés USB. Des mots, des vidéos et des images, en somme, qu’elle collecte pour préserver l’essentiel. «On peut faire de la documentation sur la régie de spectacles, sur la composition de la lumière, de la scénographie, énumère-t-elle. On peut faire des entrevues avec les artistes, les concepteurs, on peut faire des entrevues avec le public aussi et on essaie de conserver les articles qui ont été écrits [au sujet du spectacle]. Tout ça contribue à faire un portrait un peu plus complet.» La multiplication des angles constitue, pour ainsi dire, le nerf de la guerre. La vision du chorégraphe n’est pas la seule qui importe. Il suffit de réunir le plus d’échos, de témoignages possible pour que s’assemblent toutes les pièces du puzzle. Il arrive aussi que des éléments de décor subsistent, préservés par des institutions muséales. À cet égard, le Musée de la civilisation de Québec fait bonne figure. Quelques années seulement après la présentation de l’exposition Corps rebelles, Ginelle Chagnon a su le convaincre d’acquérir Cabane, homonyme de la pièce de Paul-André Fortier. Une installation de grande échelle démontée et rangée dans un coffre qui gît désormais dans sa réserve.

>


GINELLE CHAGNON: «ON PEUT FAIRE DE LA DOCUMENTATION SUR LA RÉGIE DE SPECTACLES, SUR LA COMPOSITION DE LA LUMIÈRE, DE LA SCÉNOGRAPHIE… ON PEUT FAIRE DES ENTREVUES AVEC LES ARTISTES, LES CONCEPTEURS, ON PEUT FAIRE DES ENTREVUES AVEC LE PUBLIC AUSSI ET ON ESSAIE DE CONSERVER LES ARTICLES QUI ONT ÉTÉ ÉCRITS. TOUT ÇA CONTRIBUE À FAIRE UN PORTRAIT UN PEU PLUS COMPLET.»


PHOTO AHMAD ODEH

Partager l’information Conserver, c’est bien, mais diffuser, c’est mieux. Inaugurée en 2016, la plateforme EC2 de la Fondation Jean-Pierre Perreault propage des extraits de ces boîtes chorégraphiques sur la toile. Un corpus qui ratisse bien plus large que l’œuvre de l’artiste qui prête son nom à l’organisme. «La mission a changé, admet la directrice générale Lise Gagnon. Avant, c’était vraiment la valorisation et la transmission de l’œuvre de Jean-Pierre Perreault. Là, depuis cinq ans, on s’est vraiment ouverts au patrimoine chorégraphique québécois au pluriel. C’est toute une autre dimension.» Au moment d’écrire ces quelques lignes, on pouvait y consulter des extraits des boîtes de Bagne de Jeff Hall et Pierre-Paul Savoie et de Cartes postales de Chimère de Louise Bédard, notamment. L’initiative inspire. La ville de Québec a récemment vu naître le collectif Polygone formé du vidéaste David B. Ricard et des interprètes Étienne Lambert et Fabien Piché. La danseuse Geneviève Duong étudie actuellement en sciences historiques et études patrimoniales et complète le quatuor. À l’Université Laval, l’aspirante bachelière crée un précédent. Elle est la première à s’intéresser à la préservation de la danse contemporaine. «Mes possibilités de faire des liens avec le patrimoine en danse, c’est un projet de vie. Le programme est énormément teinté des démarches des enseignants, des professeurs qui sont des praticiens également. Il y en a beaucoup qui s’intéressent au patrimoine alimentaire et tout ça. Des gens qui s’intéressent au patrimoine en danse, il n’y en a pas actuellement dans le milieu universitaire à Québec.» Ensemble, les membres du groupe de recherche se livrent à un important travail de défrichage. La voie qu’ils empruntent n’est pas pavée, mais ils ont du cœur au ventre. «Il va falloir discuter avec des spécialistes dans leur domaine, prendre des modèles et voir qu’est-ce qu’on peut transposer en tout ou en partie en danse, admet Étienne Lambert.

C’est pour ça que, moi, en ce moment, c’est mon frère archéologue qui me nourrit dans sa façon de travailler. Il a une méthodologie intéressante.» Polygone travaille actuellement de pair avec Harold Rhéaume en vue du 20e anniversaire de sa pièce Les dix commandements, spectacle que le chorégraphe compte remonter avec une nouvelle distribution et transposer en film aux côtés de la réalisatrice Katrina McPherson. «Parallèlement à ça, j’ai trois beaux interprètes de Québec, Étienne, Geneviève et Fabien, qui me demandent s’ils peuvent me parler parce qu’ils ont un projet et tout ça, s’émeut Rhéaume. Je m’assois avec eux autres, moi, j’ai tout ça dans mes cartons, ils le savent pas. J’ai trouvé ça tellement touchant que des jeunes s’intéressent à la mémoire...» La première mission des quatre potes sera donc de restituer cette œuvre de 1998, le «premier gros show» d’un pilier qui fait pour eux office de mentor, une pièce qui avait jadis mis en vedette dix flamboyants danseurs, dont Dave St-Pierre et Lucie Boissinot, en plus d’avoir été présentée à la Place des Arts. Un véritable moment d’anthologie pour la danse au Québec. Évidemment, toutes les œuvres chorégraphiques ne connaîtront pas le même sort que Les dix commandements. Peu de femmes et d’hommes de danse passeront à travers le tamis, mais ceux qui y parviendront permettront à leurs héritiers de prendre du recul. Pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. «C’est pas pour dire que le passé est plus intéressant, conclut Ginelle Chagnon, ça n’a rien à voir avec ça. L’archive, c’est pas pour montrer que “ah, c’était tellement mieux dans l’ancien temps”. Arrêtons de dire ça. C’est juste des traces qu’on a laissées. La chose qui est belle quand tu vas sur la plage, c’est de voir qu’il y a eu des traces de personnes qui sont passées et qui ne sont plus là. Tu sais, il y a une poésie là-dedans.» y La suite sur voir.ca



16 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

SALE TEMPS POUR SORTIR

PAR EMILIE DUBREUIL

Qu’est devenu le trou dans la couche d’ozone ? Quand tout le monde s’est mis à capoter sur le trou dans la couche d’ozone, j’étais encore au primaire, mais comme mes parents étaient abonnés à quatre journaux et que mon frère et moi imitions les adultes et lisions le matin des papiers gorgés d’encre en déjeunant, je le savais, moi, qu’il y avait un trou dans la couche d’ozone. Je crois me souvenir qu’en 85 ou 86, j’avais même poussé mon imitation des adultes jusqu’à boire du café en tournant les pages des journaux que nous nous échangions à tour de rôle. Il y avait, bien sûr, La Presse, Le Journal de Montréal, Le Devoir, mais aussi The Globe and Mail. Ni mon frère ni moi ne maîtrisions assez l’anglais pour lire le Globe, mais on regardait la page couverture et les «cartoons». En fait, c’est pas mal ce qu’on faisait pour tous les journaux qu’il y avait sur la table: on regardait les caricatures, les «cherchez l’erreur» à la fin. L’horoscope aussi. J’ai d’ailleurs gardé cette vilaine habitude de lire mon horoscope tous les matins, sinon je me sens un peu toute nue pour le reste de la journée. Il m’est difficile de ne pas connaître mon avenir,

ne serait-ce que 24 heures. C’est comme sortir sans culotte. L’avenir, c’est la clé. Tout cela pour dire que le trou dans la couche d’ozone, on en parlait beaucoup quand j’étais au primaire. Ça faisait la manchette presque quotidiennement et j’avais beaucoup impressionné (et profondément agacé sans doute) ma maîtresse d’école, Nicole, dans la classe 6B, en lui posant – à brûle-pourpoint – une colle du genre: «Ça sert à quoi d’apprendre les mathématiques si nous allons, de toute façon, tous mourir à cause du trou dans la couche d’ozone?» Nicole ne m’aimait déjà pas beaucoup. J’avais pas mal la bougeotte, faut dire. Aujourd’hui, on dirait hyperactive, mais c’était avant le Ritalin. Nicole était une religieuse défroquée, elle roulait ses «r» et portait des bas beiges. Parfois, pour calmer les élèves, elle fermait les lumières et demandait à la classe de faire des prières. À ce moment-là, elle me disait: «Emilie, tu peux sortir?» Comme je n’étais pas baptisée, elle me faisait sortir dans le corridor! J’étais la seule non baptisée dans la classe. Et, oui, bien sûr

qu’il y avait un crucifix dans la classe! Ben oui, il y en avait dans toutes les classes. À l’école publique? Ben oui, à l’école publique. En décembre, on m’excluait même de la sortie de la classe à l’oratoire pour aller voir les crèches. Ça rendait ma mère absolument furieuse! Je me souviens d’une scène où elle avait engueulé Nicole et la directrice de l’école devant tous mes camarades de classe en lui disant: «C’est pas parce que ma fille n’est pas baptisée qu’elle ne peut pas comprendre notre culture, notre histoire.» Pour ajouter à la stigmatisation, mes parents, tous deux abonnés à quatre journaux, étaient séparés et avaient inventé un système jugé fort suspect par Nicole: la garde partagée. Un truc totalement marginal en 1985. Bref, en cette année de trou dans la couche d’ozone et de l’entrée de Pierre Lambert dans notre mémoire collective, j’étais la seule à suivre l’ennuyant cours de morale alors que tous mes amis, eux, jouissaient d’une agréable séance de détente, qu’on appelait la «catéchèse», et coloriaient des saintes vierges avec des crayons de couleur

>


17

qu’ils tiraient de leurs boîtes Prismacolor. Oui, oui, je suis vieille et d’ailleurs, je m’égare. La couche d’ozone donc. Ça me pogne souvent. Depuis des années que j’me dis: «Coudonc, pourquoi ne parle-t-on plus jamais du trou dans la couche d’ozone? J’ai fouillé un peu sur le net et il est en train de se refermer, ce fameux trou. Mais bon, faut pas croire tout ce qu’il y a sur internet, y paraît. Après la couche d’ozone, il y a eu les pluies acides. J’ai fait au moins 23 oraux, projets en groupe avec bricolages à l’appui pour expliquer le phénomène des pluies acides. Et ça aussi, ça me turlupine pas mal: les pluies acides ont-elles disparu? En tout cas, elles ont disparu des unes des journaux que nous lisions à la table du petit-déjeuner comme les cotons ouatés fluorescents de ma garde-robe. Bref, depuis que je lis les journaux et que je bois du café, ce qui est arrivé de

«MES PARENTS ÉTAIENT SÉPARÉS ET AVAIENT INVENTÉ UN SYSTÈME JUGÉ FORT SUSPECT PAR NICOLE: LA GARDE PARTAGÉE.» façon un peu précoce dans mon existence, j’en conviens, la chronique «d’une planète qui meurt» côtoie mon horoscope chaque matin.

Dans mon cours d’anglais en sixième année, l’enseignante, dont je ne me souviens plus du nom, nous avait fait apprendre par cœur Russians, une chanson de Sting. Trente ans plus tard, je suis encore capable de chanter cette chanson du début à la fin. C’est fou la mémoire. Le vidéo était hyper angoissant, en noir et blanc, avec des enfants qui dansent autour de vieux qui planifient de faire exposer la planète, avec des horloges en deuxième plan sur lesquelles il était minuit moins cinq. Le texte de cette chanson disait, essentiellement, que les Russes et les Américains devaient arrêter la course à l’armement nucléaire par amour de leurs enfants. Nucléaire, changements climatiques… Parfois, quand je lis les journaux, j’ai comme une impression de déjà-vu et je commence à me poser de quelques questions sur le sérieux des horoscopes. y

UNE COLLABORATION DE

et

Christine Beaulieu Joseph Bellerose Philippe Cousineau Mickaël Gouin Rachel Graton Jonathan Morier Jean-Philippe Perras Mathieu Quesnel Denis Trudel Rebecca Vachon Assistance à la mise en scène Marie-Christine Martel avec

Guy Jodoin Sylvie Léonard

DÈS LE 13 novembre

TNM.QC.CA



MUSIQUE 19 VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

LA FILLE DU VENT C’EST UN DISQUE QU’ON PORTE CONTRE SOI COMME UN PYJAMA DE FLANELLE. TANDIS QUE LA FROIDEUR S’INSTALLE, SALOMÉ LECLERC NOUS EMMITOUFLE DE SA PROSE DE DENTELLE. UN VENT CHAUD SOUFFLE SUR NOTRE AUTOMNE. MOTS | CATHERINE GENEST

Salomé Leclerc n’est pas née des dernières pluies. Son étoile rayonne par-delà l’Atlantique: lauréate du prix Rapsat-Lelièvre en 2015, applaudie en France, à Paris comme en province. Là-bas comme ici, les lettres de son nom s’appuient contre la lumière des marquises. Ses disques ne font qu’ajouter à l’éclat de la constellation Audiogram, cette famille qu’elle partage avec Bélanger et Lapointe. Après deux bouquets de chansons qui ne risquent pas de faner, Sous les arbres puis 27 fois l’aurore, la gracile sirène nous envoûte avec une troisième offrande. Un album pavé de paroles impudiques, de textes tendres qu’elle emballe dans un écrin rock, presque grunge par moments. Quatre ans séparent Les choses extérieures de l’avant-dernier effort. Le cycle du second album passé, la compositrice s’est terrée loin des scènes, empoignant guitare et stylo pour extraire les pépites de son cœur. C’est dans le calme de cet entre-deux qu’elle a donné vie aux 10 perles dont elle se pare aujourd’hui. «Il est temps que ça sorte! En même temps, j’ai pas chômé [...]. On m’a demandé de participer à d’autres projets, ç’a vraiment bien meublé le temps. Je pense que c’est pour ça, justement, que j’en suis à sortir quelque chose après quatre ans. J’ai enrichi mon parcours pendant ces années-là.»

PHOTOS | JERRY PIGEON

Mais quelle importance, ce trajet entre nos écou­ teurs et son cœur. Salomé est de retour, forte, solidement ancrée, elle galope jusqu’à nous et dès les premières secondes de la plage 1. Un morceau (Entre ici et chez toi) qui capture un instant de pur abandon. «C’est un espèce de laisser-aller, peutêtre un laisser-aller qui s’exprime en faisant de la route, en voulant aller plus loin, aller ailleurs et sans trop de but. Des fois, on a juste des envies de road trips et on part. Advienne que pourra.» Qu’importe où la vie la mènera, la musicienne trime dur et sans broncher, constante comme les jardi­ niers, appliquée, récoltant honneurs et critiques emballées. Une rumeur qui tarde à gagner les masses, le proverbial grand public. Mais à quoi bon s’en formaliser? Les choses extérieures, on ne les contrôle pas. Broder sur les portées Cette fois encore, l’auteure brise le mur du son, ou simplement le quatrième, en nous interpellant directement au «tu». Une récurrence dans son écriture, sa façon d’installer un climat intime. «En 2009, j’étais à l’École de la chanson à Granby et on avait des cours d’interprétation avec Marie-Claire Séguin. Une fois, elle nous avait dit: “Peu importe le texte, qu’il soit au je, au il, au elle, au nous ou au vous, imagine que tu le chantes à quelqu’un que tu connais, rien que pour cette personne-là.” Et ça marchait dans mon cas! Quand j’étais en contact avec un texte qui ne me parlait pas tant que ça, j’imaginais quelqu’un assis au fond de la salle. Peutêtre qu’après ça, inconsciemment, j’ai développé le désir de parler directement aux gens. Je voudrais que ceux qui écoutent ce disque-là, ceux qui l’ont dans les oreilles, aient l’impression que je leur chuchote la chanson, que je suis super proche.»

>


met en confiance. C’est tellement le fun d’avoir ce soutien-là des pairs, autant des journalistes que des autres musiciens.»

Réapparue à la fin de septembre avec Ton équilibre, un autre déterminant possessif à la deuxième personne du singulier, la Centricoise est venue cueillir les articles et elle a vu les billets de sa tournée s’envoler par dizaines. On ne l’avait pas oubliée. L’attente est bien réelle, grisante. «Oui, c’est une pression, mais en même temps, ça me

La brillante créatrice s’est d’abord présentée au monde sous un jour folk avant d’enchaîner avec un album tapissé de synthés. Cette fois, la réalisatrice et arrangeuse s’amuse surtout avec sa guitare électrique. «J’avais vraiment la volonté d’aller vers des instruments plus organiques, plus acoustiques cette fois-ci. [...] Je voulais écrire des chansons plutôt que de former un espèce de tapis musical et d’ajouter des mots et des mélodies par-dessus.» Dès le début, la multi-instrumentiste s’est mise en quête de tonalités chaleureuses, troquant ses pads de drums contre de la vraie batterie et mettant volontairement les Moog et Prophet de côté, ses claviers autrefois fétiches, pour renouer avec son piano. Elle s’y réinstalle sur la pièce-titre, assise sur ce siège de bois rond craquant sous son poids. De légères imperfections, des petits bruits parasites qui nous donnent l’impression d’entrer chez elle, dans sa maison. De toucher à son âme. y Les choses extérieures (Audiogram) En vente maintenant Le 9 novembre au Ministère


D E P U I S

Be r ri- UQA M

1 9 6 6

L’art de plaire

parchemin.ca


22 MUSIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

JAZZ JOURNALIER DEPUIS 2006, LE BENOIT PARADIS TRIO SE TAILLE UNE PLACE ASSEZ UNIQUE DANS L’HORIZON MUSICAL QUÉBÉCOIS. À MI-CHEMIN ENTRE JAZZ ET CHANSON, ENTRE POÉSIE ET PUNK, L’UNIVERS QUE TISSE LA FORMATION MONTRÉALAISE ÉVITE LES CONVENTIONS NATURELLEMENT, SANS ARTIFICE. À LA VEILLE DU LANCEMENT DE SON TROISIÈME OPUS, LA QUINTESSENCE DU COOL, ENTRETIEN AVEC LE PRINCIPAL INTÉRESSÉ, BENOIT PARADIS. MOTS & PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

«Eh boy, y a ben trop de mots dans cette maudite toune-là!» En pleine répétition pour son concert de lancement le 2 novembre, le Benoit Paradis Trio s’évertue à se remettre dans les doigts les chansons de l’album précédent, T’as-tu toute?, dans un appartement du Plateau transformé en local de pratique improvisé. Les trois musiciens font vibrer l’immeuble avec les portes grandes ouvertes, ce qui donne à la scène une aura de quotidien typiquement montréalais, les accords de piano soutenus par les voitures klaxonnant et se dépassant sur une avenue achalandée. C’est dans ce lieu où traînent des vinyles épars que Benoit Paradis fait naître ses chansons excentriques aux thèmes ancrés dans le day-to-day, matériel source servant de fondation aux accents jazz que la pianiste Chantale Morin et le contrebassiste Benoit Coulombe apportent à son œuvre. «J’aime ça qu’on puisse percevoir le texte et bien le comprendre, c’était comme naturel pour moi d’aller vers un genre de trio jazz acoustique pour faire vivre mes chansons, explique Paradis. Le jazz, c’est une musique élégante qui peut servir drôlement un texte qui pourrait être plus simpliste, ou même un texte très sombre mais sur une musique vraiment douce. C’est un peu ça que faisaient les grands chanteurs de l’époque swing, des tounes qui parlaient de leur vie de tous les jours, avec peu de mots, mais poétiques et remplies d’émotions. C’est un peu ça que je voulais; aller chercher quelque chose entre Ella Fitzgerald pis Tom Waits.» Sur ce nouvel album, la formation affine encore plus son esthétique unique, entre deux chaises. Alors que Paradis avait l’habitude de partir des textes pour aller vers la musique sur ses créations

précédentes, cette fois-ci, c’est les notes qui sont venues s’installer en premier. «C’est moi qui fais les propositions de départ pis qui finis par retoucher aux affaires, mais les arrangements, on fait vraiment ça tous ensemble. Les grandes lignes sont là quand j’arrive devant Chantale et Benoit, mais l’évolution de la toune est pas juste entre mes mains. Ce coup-ci, je trouve la musique plus aboutie que sur nos albums précédents, probablement parce qu’on a commencé par ça et qu’on a eu beaucoup d’échanges là-dessus avant d’y mettre des mots.» Si la musique est plus mesurée qu’avant, sa relation avec les paroles demeure un processus un peu mystérieux, du propre aveu de Benoit Paradis. «Y a pas de recette, on y va vraiment au feeling je dirais. Y a une chanson où je voulais vraiment parler de quelqu’un dans la rue qui quête, je voulais pas que ça devienne dramatique, pis finalement, c’est devenu une toune très be-bop, ben ben swing. C’est un peu le hasard qui fait bien les choses. Si ça avait pas marché de même, on aurait essayé autre chose! C’est de l’essai-erreur, pis ça fait voir un peu l’absurdité qui se dégage de tout ça.» Pour Paradis, l’inspiration naît littéralement de la vie courante. À travers ses rencontres, ses journées typiques, il écrit des tonnes de notes qui sont ensuite élaguées pour en extraire la substance et construire des textes auxquels on peut tous s’identifier. «Ça vient des interactions que j’ai avec le monde, de ce que j’apprends aux nouvelles à propos de la société, mais j’essaie de le traduire au quotidien pour pas que ce soit trop moralisateur ou facile, que ce soit un peu plus imagé. Autant des fois les textes sont retravaillés en malade, autant à

>


MUSIQUE 23 VOIR MTL

VO3 #11

BENOIT COULOMBE, CHANTALE MORIN ET BENOIT PARADIS

d’autres moments ça sort vraiment tout seul, d’un jet, pis c’est bon de même faque j’y touche pus.» Préconisant l’efficacité plutôt que la prose étoffée, il écrit des textes relativement courts et simples, qui vont droit au but. Cela apporte un contraste presque punk entre le jazz léché et les paroles qui y sont superposées. «Au niveau de la musique, on essaie d’éviter les trucs trop classiques, on veut raffiner ça autant que possible. Mais d’un autre côté, pour les textes, je suis un peu anarchiste. Y a une volonté de

pas trop pousser ça loin, de garder quelque chose de vraiment authentique et brut. Ça donne un mélange qui, je pense, est surprenant pis qui nous donne une identité qui est propre à nous. C’est ça qui est le plus important pour moi, je pense, qu’on soit aussi vrais que possible dans ce qu’on fait.» y La quintessence du cool sera en vente partout dès le 2 novembre 2018

11 / 2O18


À ÉCOUTER

24

HHHHH CLASSIQUE HHHH EXCELLENT HHH BON HH MOYEN H NUL

DEATH VALLEY GIRLS DARKNESS RAINS (Suicide Squeeze) HHH

CAT POWER WANDERER

(Domino) HHHH

La grande Cat Power évoque ses errances sur ce 10e album studio à saveur folk et blues. Sans que le disque soit un livre ouvert, on y entend la chanteuse américaine faire écho à sa personnalité énigmatique. «My cage is a weapon, it’s perfect for me», chante-t-elle en guise de délivrance et d’acceptation de soi sur la pièce phare, l’énergique Woman (où l’on entend malheureusement à peine Lana Del Rey). Wanderer est toutefois doté d’une énergie intime, sans artifice, où règnent la guitare sèche et le piano, ce qui nous ramène à The Covers Record (2000) et aux récents concerts solo de l’artiste. N’est-ce pas, après tout, la meilleure formule pour admirer cette voix si joliment feutrée et chaude? À écouter absolument: la magnifique lettre d’au revoir Me voy, aérienne et sobre, et la reprise dénudée du tube Stay de Rihanna sur laquelle Cat Power atteint un sommet de performance vocale. (V. Thérien)

Ce troisième album du groupe de L.A. reprend là où le précédent Glow in the Dark s’était arrêté deux ans plus tôt. Toujours marqué par les trémolos vocaux de la chanteuse et multi-instrumentiste Bonnie Bloomgarden et les riffs plombés du guitariste Larry Schemel (appuyés par la bassiste Alana Amram et la batteuse Laura Harris), le witch rock de Death Valley Girls est sombre et lourd, mélancolique dans le fond et vitriolique dans la forme. Oscillant entre hard rock à la Black Sabbath, spleen soundgardenesque, 60’s garage, post-psychédélique apocalyptique digne du MC5 et proto-punk stoogien époque Funhouse – la pièce Disaster (Is What We’re After), et son clip mettant en vedette Iggy Pop, est plus qu’éloquente –, le combo livre en 10 chansons une puissante charge rock teintée de romantisme noir. Il ne manque qu’un peu de folie et de danger pour qu’on y croit vraiment. (P. Baillargeon)

NOISE TRAIL IMMERSION SYMBOLOGY OF SHELTER (Moment of Collapse Records) HHH 1/2 La description «black métal dissonant mélangé à du mathcore» donne une assez bonne idée du style musical de Noise Trail Immersion, et pourtant, Symbology of Shelter ne sonne pas exactement comme on s’y attend. C’est en grande partie dû au fait que l’album a été conçu comme une seule chanson de 43 minutes puis divisé en sept pistes qui se fondent les unes dans les autres. Tout en facilitant l’absorption de Symbology of Shelter, la tactique atténue le côté mathcore du groupe italien qui nomme Converge, Frontierer et Ion Dissonance parmi ses influences. Ainsi, au lieu d’être courtes et chaotiques, les chansons du troisième disque de Noise Trail Immersion s’étirent en un flot continu de variations rythmiques qui évoquent davantage une version black métal de groupes comme Gorguts, Daylight Dies et Ulcerate. (C. Fortier)

RACHEL BARTON PINE BLUES DIALOGUES: MUSIC BY BLACK COMPOSERS (Cedille Records/Naxos) HHHH La violoniste américaine Rachel Barton Pine est une habituée du Festival de musique de chambre de Montréal, où on a pu l’entendre jouer Bach ou Paganini et même, mais oui, Metallica. La voici qui se penche cette fois sur la musique de compositeurs noirs américains de blues, et le résultat est magnifique. Certaines pièces sont plus proches des débuts du genre, comme Suite for Violin and Piano (1945) de William Grant Still, ou In a Sentimental Mood (1935) de Duke Ellington, dans un superbe arrangement pour violon et piano (Matthew Hagle). D’autres sont plus récentes, comme Filter (1992), de Daniel Bernard Roumain, où Pine se prend presque pour Johnny Winter. Elle joue ces musiques avec une virtuosité éblouissante et, surtout, un plaisir palpable. Espérons qu’il ne se trouvera pas quelques puristes pour lui en dénier le droit. (R. Beaucage)

MATHEW ROSENBLUM LAMENT/WITCHES’ SABBATH (New Focus Recordings / Naxos) HHHH Le Boston Modern Orchestra Project (BMOP) est certainement l’un des orchestres les plus intéressants à suivre et son catalogue s’augmente à un rythme fou d’enregistre­ ments plus satisfaisants les uns que les autres. C’est lui et son chef, Gil Rose, que l’on entend ici interpréter la pièce titre, un concerto pour clarinette dans lequel l’instrument de l’excellent David Krakauer se mêle à des voix préenregistrées, dont une psalmodiant une lamentation ukrainienne obsédante. Northern Flicker, pour percussion solo (Lisa Pegher), vaut également le détour, comme Falling, interprétée par le Pittsburgh New Music Ensemble, qui peut faire songer à Steve Reich par son utilisation de voix préenregistrées. Enfin, Last Round (Ostatnia Runda) est un feu d’artifice rythmique rendu avec une précision chirurgicale par le FLUX Quartet et l’ensemble Mantra Percussion. (R. Beaucage)


DISQUES 25 VOIR MTL

JACQUES SCHWARZ-BART HAZZAN

FUUDGE LES MATRICIDES

(Anja) HHH 1/2

(Lazy At Work) HHH 1/2

Jacques Schwarz-Bart est un brillant sax ténor guadeloupéen d’origine juive dont le parcours audacieux semble guidé par une profonde mystique. Lui qui puise autant dans les cadences populaires de la Caraïbe que dans le vaudou d’Haïti bifurque ici soudainement vers le Proche-Orient. Sur le simple compliment d’un rabbin qui l’a entendu jouer dans une cérémonie religieuse, Brother Jacques s’essaye à une relecture musclée des airs traditionnels et liturgiques du judaïsme. Ceux qui s’attendent à du klezmer mélancolique et larmoyant vont être déçus tant c’est enjoué et presque jubilatoire. David Linx intervient avec sa voix sur deux titres et les deux Antillais Gregory Privat (piano) et Arnaud Dolmen (batterie) confirment vraiment tout le bien qu’on pense d’eux sans cesse. (R. Boncy)

Après deux EP très bien reçus, FUUDGE présente enfin un opus initiateur à la hauteur des attentes. S’ouvrant sur une fresque de sons d’oiseaux et une ballade presque prog-rock, Les Matricides dérape assez rapidement vers des timbres acérés de guitares et de basse distorsionnées à souhait, signature de la formation psych-grunge québécomontréalaise. Valsant avec grande aise entre riffs coup-de-poing où tout veut arracher et moments de répit bien mérités, FUUDGE parvient à livrer un exemple de cohérence tout au long de l’album. Que ce soit sur le plan des intentions, des sonorités ou des structures elles-mêmes, Les Matricides donne l’impression d’une œuvre bien mûrie et réfléchie, où tout est à sa place malgré le chaos inhérent au style qu’explorent les quatre musiciens. (A. Bordeleau)

MARIANNE TRUDEL ET KAREN YOUNG PORTRAITS (SONGS OF JONI MITCHELL) (Trud / independent) HHHH Quel casting de rêve! La pianiste Marianne Trudel a cassé sa tirelire pour faire ce disque d’amour, se jetant à l’eau avec toute la créativité dont elle est capable, comptant les yeux fermés sur l’expérience et la fantaisie de Karen Young, trésor national de la spontanéité et des projets casse-gueule. Tout ça pour célébrer encore les écrits et la musique de Mrs Mitchell, l’icône canadienne, la légende, la singulière grande dame de la chanson. Mais attention! Ceci n’est pas un best of, même si l’on y retrouve California, l’incontournable Both Sides Now réinventée et une impensable version de Dry Cleaner from Des Moines sans la basse de Jaco Pastorius. Une exploration, un portrait en clair-obscur à méditer et un candidat sérieux aux meilleurs albums jazz et réinterprétation l’année prochaine! (R. Boncy)

SHAD A SHORT STORY ABOUT A WAR (Secret City Records) HHHH À une époque où les rappeurs tendent à évacuer leur propos au profit d’une trame phonétique pas toujours significative, le retour sur disque d’un artiste judicieux et clairvoyant comme Shad tombe à point. Sur son sixième album, le Kenyan d’adoption canadienne se penche sur toutes les formes de violence qui habitent notre monde, adoptant une pluralité de points de vue et d’approches qui montrent et dévoilent la complexité de l’action humaine dans ses rapports de force. Avec son flow souple, capable de varier les niveaux d’intensité sans jamais forcer la note, le rappeur de 36 ans dresse autant le portrait des tireurs d’élite et des révolutionnaires que de ces «hommes intelligents» qui perpétuent les conflits pour des raisons économiques. Sur des productions jazzy et soul placides ou, au contraire, beaucoup plus pesantes et chaotiques, Shad se fait le narrateur d’une histoire captivante et bien détaillée. (O. Boisvert-Magnen)

VO3 #11

11 / 2O18

ARIANE MOFFATT PETITES MAINS PRÉCIEUSES

(Simone Records) HHH 1/2

Avec ce sixième album studio, la fée marraine de l’électropop vogue vers des mers plus disco, vaguement soul, se prêtant à de succulents exercices de style sur La statue et Pour toi – les morceaux les plus réussis de cet opus. Mais sous ses dehors pailletés, au-delà de ces deux brûlots aigres-doux dignes d’Abba et du premier extrait (Les apparences) un brin répétitif, Ariane Moffatt se vautre dans une mélancolie qu’on lui connaissait déjà, une lenteur. Elle émeut avec Du souffle pour deux, en ouverture, un texte énigmatique sur l’amour qui s’étiole ou l’épuisement maternel, dur à dire, et davantage sur Pneumatique noir, cette chanson qui traite d’Alzheimer. La danse reprend sur la huitième piste avec O.N.O., une collaboration avec CRi, producteur d’avant-garde, avec des arrangements ancrés dans le futur qui nous révèlent l’auteure-compositrice-interprète sous un jour presque expérimental et plus rafraîchissant que jamais. (C. Genest)


26 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

ROULETTE RUSSE

PAR MICKAËL BERGERON

Le bon vote Depuis le 1er octobre, cette expression revient sous différentes formes et sousentend que certaines personnes ont gagné leurs élections et d’autres les ont perdues. Si je comprends qu’on peut avoir l’impression de gagner quand la personne pour qui on a milité devient députée, je saisis moins bien tout le reste. Je trouve ça triste comme façon de voir la politique ou la dynamique de l’Assemblée nationale. Par exemple, je lisais le commentaire d’un élu de la Côte-Nord qui se plaignait que sa circonscription n’avait pas, «encore une fois», «voté du bon bord», c’est-à-dire du côté du parti qui formera le gouvernement. Même Sébastien Bovet, le journaliste de Radio-Canada, a lâché quelques fois cette expression en parlant d’une circonscription habituellement «baromètre», c’està-dire qu’au gré des changements de gouvernements, la ou le député élu est du parti formant le gouvernement. Mais pas cette année, car cette circonscription a «voté du mauvais bord». Il me semble même l’avoir entendu dire que cette année, la circonscription s’était «trompée»! Mais qu’est-ce que voter du bon bord? Comment peut-on se tromper en votant? Il ne faut pas oublier que notre système

parlementaire a cette particularité de permettre à des gens de «gagner» même si la majorité des gens n’ont pas voté pour eux.

avec des gens qui partagent mes valeurs, le choix me semble facile. Pour moi, c’est être avec ceux et celles qui partagent mes idées.

Prenons le cas de cette circonscription baromètre de Laval-des-Rapides. Le candidat libéral Saul Polo a «gagné» avec seulement 31,5% des votes. On comprend donc que 68,5% des gens, donc une bonne majorité, ne voulaient pas de lui. Quel est le «bon bord»? Celui du gagnant ou celui de la majorité?

Je me suis toujours méfié des gens qui veulent le pouvoir pour le simple plaisir d’avoir le pouvoir. Le pouvoir a toujours l’air d’être un lieu de liberté et de contrôle, alors qu’en fait, il est difficile d’être plus libre qu’une personne incognito sans aucune responsabilité.

Normalement, nous voterions pour nos convictions, en espérant qu’une majorité de gens partagent nos convictions, permettant alors à un parti qui partage nos valeurs de former le gouvernement. À partir du moment où nous votons pour nos propres valeurs, perdons-nous vraiment même si le parti que nous avons voulu encourager ne prend pas le pouvoir? Traitez-moi d’idéaliste si vous voulez – surtout que je ne vois pas ça comme une insulte –, mais sacrifier ses convictions juste pour accéder au pouvoir me semble bien plus «loser» que ne pas avoir le «pouvoir». Entre être au pouvoir avec des gens avec qui je ne partage pas les idées ou être dans l’opposition (à l’Assemblée ou dans la rue)

Le pouvoir vient avec une si grande responsabilité, avec une si grosse structure, avec de si grands devoirs qu’il est loin d’être un lieu de réel contrôle. Tu peux certes prendre des décisions, tu as beaucoup d’influence, mais tu vas vite te rendre compte que tes décisions ont des impacts sur bien des gens, et ça, ça met de la pression! Plus encore, ce «pouvoir» ne vient pas du ciel et n’est pas un cadeau, il est prêté pour un moment déterminé. On ne gagne pas le pouvoir, on se le voit confié. Le pouvoir n’appartient à aucun parti ni à aucun élu, ministre ou premier ministre. Ni à la reine. Malgré tout le cynisme que vous avez peut-être pour le système parlementaire ou vos critiques pour ses très nombreux défauts, et malgré le pouvoir monarchique théorique. Malgré toute l’influence

>


27

QUEL EST LE «BON BORD»? CELUI DU GAGNANT OU CELUI DE LA MAJORITÉ? des multinationales et des lobbyings économiques. Malgré la rigidité du système et le peu d’ouverture à la divergence. Malgré le poids de la norme. Ultimement, il demeure que le pouvoir appartient au peuple. Si les gens, pour une raison inimaginable aujourd’hui, se tannent de Facebook, ce géant du web va tomber. Si la majorité de la population investissait réellement les

instances démocratiques qui existent en dehors des élections, plusieurs décisions gouvernementales seraient différentes. Si la majorité de la population arrêtait d’acheter des voitures, le gouvernement et les promoteurs immobiliers changeraient leur façon de concevoir l’urbanisme (et le débat du troisième lien tomberait à l’eau). Plein d’éléments viennent influencer les débats et l’opinion publique. Je ne veux pas faire comme si je ne les connaissais pas. Clairement, des organismes comme Greenpeace ou Accès transports viables n’ont pas les mêmes moyens pour débattre que l’industrie automobile. Évidemment que la finance et les banques ont plus de tribunes et d’influence que les organismes communautaires. Ceux et celles qui luttent pour un contrôle des armes à feu n’ont vraiment pas les mêmes moyens que les entreprises qui font des millions avec les armes. Je pourrais nommer des dizaines d’exemples du genre. Le débat n’est pas équilibré et ne se fait pas avec les mêmes outils, avec les mêmes

tribunes, avec les mêmes forces. C’est dur de se tenir debout souvent, dans cette dynamique. La pente est parfois raide, le vent est parfois vigoureux. La résistance n’est pas facile. Néanmoins, des changements sociaux peuvent s’imposer au «pouvoir» lorsqu’une bonne partie de la population adopte une idée, une valeur. Ou du moins, ne trouve pas ça niaiseux. Le gouvernement n’est pas une finalité, il est un outil parmi d’autres, un gros outil, mais pas le seul levier. On a un premier ministre qui ne s’affiche pas du tout féministe, mais qui a quand même formé un gouvernement paritaire. En 2015, Trudeau a justifié sa motivation. En 2018, Legault aurait dû justifier de ne pas le faire. L’éducation populaire est parfois une force lente, mais elle est une force difficile à tasser. Voter pour le bon bord, selon moi, ne peut se faire qu’en votant pour ses convictions, même si ça peut vouloir dire de ne pas aller voter. y


GUILHEM CAILLARD: «LA PERSONNE QUI REGARDE DES FILMS ET DES SÉRIES SUR NETFLIX VIT UNE AUTRE EXPÉRIENCE, PLUS SOLITAIRE, TANDIS QUE CE QUE NOUS OFFRONS EN SALLE ET LORS DES CLASSES DE MAÎTRE, C’EST LA POSSIBILITÉ DE VIVRE UNE EXPÉRIENCE COLLECTIVE.»


CINÉMA 29 VOIR MTL

VO3 #11

CINEMANIA DE SON TEMPS AVEC UNE KYRIELLE D’INVITÉS DE MARQUE ET DES PREMIÈRES NORD-AMÉRICAINES, LE FESTIVAL CINEMANIA EST RÉSOLUMENT TOURNÉ VERS L’AVENIR ET VEUT AUJOURD’HUI CRÉER L’ÉVÉNEMENT EN PLUS DE RENVERSER LA TENDANCE. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

Cela fait maintenant quatre ans que Guilhem Caillard est à la tête de Cinemania. Depuis son arrivée, les changements ont été nombreux dans ce festival qu’il a su rendre moderne et plus dynamique. Avant que le jeune directeur arrive en poste, on avait en effet l’impression que les salles de ce festival, qui était alors exclusivement consacré au cinéma français, étaient remplies de têtes blanches. Un virage était nécessaire pour que le festival perdure. «Cinemania est devenu un événement profondé­ ment tourné vers la francophonie», nous répond Guilhem Caillard, joint à son retour du Festival international du film francophone de Namur. «On offre aujourd’hui un plus large bassin de représentation de la francophonie. Depuis les quatre dernières années, notre équipe a voulu mettre l’accent sur la jeunesse du monde francophone. Cinemania avait besoin d’ouvrir ses horizons et il est hyper important ici à Montréal de veiller au renouvellement des publics.»

PHOTO | ANTOINE BORDELEAU

Alors que l’industrie du film vit de grands boule­ versements et que les salles semblent se vider, Caillard rétorque qu’il faut une offre variée et qualitative pour contrer ce phénomène, persuadé de redresser la barque. Les jeunes viennent au cinéma si le cinéma leur offre une expérience qui s’adresse à eux. Pas d’aigreur chez le dynamique directeur, juste une adaptation aux thèmes et aux formats qui interpellent les nouvelles générations. «La personne qui regarde des films et des séries sur Netflix vit une autre expérience, plus solitaire, tandis que ce que nous offrons en salle et lors des classes de maître, c’est la possibilité de vivre une expérience collective, avec d’autres personnes et des artisans du cinéma. Je crois que c’est deux choses qui ne sont pas incompatibles. Et puis, de voir un film sur un immense écran, cela change tout quand même.» Avec une projection-événement du film Le grand bain, en présence de Gilles Lellouche, à la piscine du Centre sportif MAA, le festival veut faire les choses autrement. En plus de cette primeur nordaméricaine, il y aura aussi la projection de deux nouveaux épisodes de la série Dix pour cent mettant en vedette Jean Dujardin et Monica Bellucci, le tout en présence du producteur et agent Dominique Besnehard. Des série télé dans un festival de cinéma? Oui, oui, c’est aussi cela Cinemania.

>

11 / 2O18



CINÉMA 31 VOIR MTL

> «C’est totalement nouveau pour notre événement. Nous acceptons de jouer le jeu et faisons rentrer la télévision sur le grand écran. Il y a actuellement une adaptation québécoise de la série Dix pour cent qui est en production, elle sera réalisée par Alexis Durand-Brault. On va sans doute l’inviter à nous en parler avant la projection.» Deux nouvelles salles de cinéma viennent d’ouvrir leurs portes à Montréal: le Cinéma du Musée des beaux-arts (qui est l’une des salles officielles du festival) et le Cinéma Moderne. L’heure est aujourd’hui aux cinémas de quartier, qui offrent une autre expérience que les chaînes de cinéma traditionnelles. Et ces petites salles, tout comme un festival comme Cinemania, permettent une diffusion de films qui n’auraient sans doute jamais eu de vie ici au Québec. «On vit actuellement un creux de vague pour le cinéma français au Québec, mais il existe encore des distributeurs qui continuent à y croire et ça, c’est le plus important. Quand on jette un coup d’œil au ann Voir nov18 copy.pdf

1

18-10-19

Au programme cette année à Cinemania, Mathieu Kassovitz viendra faire une classe de maître et présenter le drame de boxe Sparring, où il incarne Steve Landry, un cogneur sur le déclin. Romain Gavras viendra défendre Le monde est à toi qui met en vedette Vincent Cassel et Isabelle Adjani. Monia Chokri sera à l’affiche de deux films. Elodie Bouchez viendra aussi visiter Montréal et Olivier Gourmet sera l’invité d’honneur du festival. En plus de cette liste plus que séduisante d’invités, Edouard Baer viendra y présenter Mademoiselle de Joncquières et réaliser un épisode de son émission de radio originale et déjantée Lumières dans la nuit. Bon festival! y Du 1er au 11 novembre festivalcinemania.com

12:47 PM

Coffret cadeau Victorinox, Swiss Army Édition Karl Elsener.

Élégant porte-carte Secrid à partir de

189$

45$

L’effet Zen, élément stratégique de décoration! Mova Globe Àà partir de

239$

329$

11 / 2O18

taux de fréquentation des salles de cinéma dans les dernières décennies, il y a eu plein de périodes creuses, mais la fréquentation est toujours repartie de plus belle.»

Cadeau de Noël ou d’Anniversaire

Stylo bille Parker Sonnet Édition Spéciale Atlas

VO3 #11

20 Francs Suisse

Stylo bille Waterman Hémisphère à partir de

69$

Instruments pour écrire d’aujourd’hui et de demain...en ligne sur www.stylo.ca Boutiques à Québec / Montréal / Rosemère


32 CINÉMA VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

SE LIBÉRER DU FEU QUI NOUS DÉVORE YVES BOISVERT ÉTAIT UN POÈTE POUR QUI LA VIE N’ÉTAIT GUIDÉE QUE PAR UN IDÉAL: LA LIBERTÉ TOTALE. YAN GIROUX ET GUILLAUME CORBEIL LUI ONT CONSACRÉ UN FILM QUI TENTE DE TRADUIRE CE SENTIMENT DE LIBERTÉ EN SE TENANT LOIN DU FILM BIOGRAPHIQUE LINÉAIRE. MOTS | JEAN-BAPTISTE HERVÉ

«J’ai rencontré Yves alors que j’étais adolescent, à une époque où je commençais à écrire de la poésie», nous raconte le réalisateur Yan Giroux. «J’étais fasciné par Rimbaud et Nelligan et je n’avais aucune porte d’entrée dans la poésie contemporaine. C’est en rencontrant la fille de Dyane Gagnon [qui a été la compagne du poète pendant plus de 20 ans] que je suis entré en contact avec le monde du poète. Cela me changeait de l’univers plutôt straight de ma vie sherbrookoise de l’époque. Plusieurs années plus tard, quand j’ai commencé le cinéma et la publicité, Yves a joué le rôle de chien de garde moral par rapport à ce que je faisais.» L’histoire d’À tous ceux qui ne me lisent pas présente le poète Yves Boisvert (Martin Dubreuil), vivant dans un appart d’où il est déjà exproprié et qui tente de trouver sa vérité dans les bras de Dyane Gagnon (Céline Bonnier). Marc (Henri Picard), le fils de Dyane, devient témoin de cet amour naissant et désordonné. Il est fasciné par cet homme et nous observons la transformation du jeune homme au contact de la poésie et inversement du legs qu’apprendra à fabriquer Boisvert. À tous ceux qui ne me lisent pas est un premier long métrage de fiction pour Yan Giroux, lui qui nous avait offert le documentaire alcoolisé Élégant sur le groupe Chocolat aux Îles-de-la-Madeleine et plusieurs courts métrages de fiction dont Lost Paradise Lost. C’est aussi un premier scénario de fiction pour l’auteur Guillaume Corbeil (Trois princesses, Nous voir nous [Cinq visages pour Camille

PHOTO | LES FILMS SÉVILLE

Brunelle]). Les deux complices ont choisi de camper l’action aujourd’hui, parce que le sujet de leur film est contemporain: la place de l’artiste dans notre société québécoise. «Le danger dans ce type de film est de tenter de raconter toute la vie de l’artiste, cela crée souvent des films sans saveur», dit Giroux. «Guillaume m’a aidé à m’éloigner des faits et à circonscrire le personnage.» Le travail de coscénarisation s’est donc déroulé de façon à ce que Guillaume Corbeil distancie Giroux de sa relation de proximité avec la vie du poète. «Au début du processus d’écriture, je me méfiais des faits, mais plus on avançait dans notre travail et plus on se rendait compte de la vérité qu’ils portaient», raconte Guillaume Corbeil. «Notre objectif de départ n’était pas de faire un biopic, mais de faire un film sur un poète, dont Yves Boisvert n’est qu’une manifestation. On voulait savoir: qu’est-ce qu’un artiste? Qu’est-ce qu’un poète? Qu’est-ce que l’intégrité?» Le film de Giroux nous amène dans l’univers de la poésie et questionne la place qu’elle occupe dans notre monde québécois contemporain. Dans le film, on sent la relation de proximité entre Boisvert et son agent joué par Jacques L’Heureux. Mais ce dernier a dû vendre sa petite maison d’édition à un groupe plus grand, faisant un choix réaliste dans un monde où la poésie n’occupe plus d’espace. C’est le moment où le triptyque Cultures périphériques est refusé par son ami et éditeur, une claque dans

>


CINÉMA 33 VOIR MTL

la face du poète. C’est le triomphe de la pensée niaiseuse, du titre d’un de ses recueils. «On a choisi de présenter cet épisode de la vie du poète dans notre époque actuelle, en 2018, pour revendiquer sa pertinence», poursuit le réalisateur. «Nous appelons d’autres livres et d’autres poètes qui sauront confronter notre confort et l’ordre établi.» Car avant de brosser le portrait d’un homme habité par un feu que rien ne semble pouvoir éteindre, ce film provoque l’envie de lire et d’aller provoquer un peu de désordre dans un monde contemporain

VO3 #11

qui voit la culture comme une dépense. Ce que semblent vouloir nous dire Corbeil et Giroux, c’est que la culture n’est pas un bien matériel, c’est quelque chose qui place notre identité sur le grand échiquier américain. Ce que nous dit Boisvert, c’est qu’il faut être libre, mais que nous avons aussi besoin des autres. Se libérer du feu qui nous dévore, c’est accepter l’idée du legs. y En salle le 23 novembre

11 / 2O18


34 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

PRISE DE TÊTE

PAR NORMAND BAILLARGEON

Le séquençage de votre génome, ça vous tente? On appelle génome l’ensemble du matériel génétique d’un organisme, en un mot, de son ADN. Séquencer votre génome, cela signifie donc faire un portrait de vos gènes.

aujourd’hui devant des promesses et des périls, plus ou moins anticipés, qui soulèvent des enjeux éthiques souvent redoutables.

Voici comment cela se passera, si vous décidiez de tenter l’expérience.

C’est sur eux que je voudrais m’arrêter. C’est un très vaste sujet, avec plein d’inconnues, que je ne pourrai qu’effleurer. Je le ferai en me concentrant sur trois valeurs fondamentales que ces nouvelles technologies nous contraignent à réviser et, me semble-t-il, à vouloir défendre plus fortement encore.

Vous paierez d’abord par internet, à la compagnie de votre choix, le montant demandé – généralement quelques centaines de dollars. Vous recevrez ensuite par la poste un flacon dans lequel vous déposerez un peu de salive. Vous enverrez ensuite le flacon à l’adresse indiquée. Peu de temps après, vous obtiendrez le séquençage de votre génome. Ces gestes nous rappellent combien, en génétique, les choses avancent à une vitesse extraordinaire. Il y a une quinzaine d’années à peine, on vous aurait demandé quelques millions de dollars pour ce travail et seuls quelques très riches privilégiés auraient pu se payer ce luxe. Le séquençage du génome est désormais accessible à tout le monde. Si la procédure est interdite dans certains pays (comme la France), la simplicité de la démarche permet à quiconque le souhaite de contourner la loi. Comme c’est souvent le cas avec les avancées technologiques, on se retrouve

Autonomie L’autonomie de la personne est une des valeurs-clés de nos démocraties libérales et cela explique en partie la grande importance que nous accordons à l’éducation: la personne autonome doit en effet être outillée pour faire de manière consciente et en toute connaissance de cause les choix qu’elle fera. En médecine, cela se traduit notamment par l’exigence d’un consentement éclairé. Or ces analyses du génome peuvent être lourdes de conséquences et il est indispensable que les personnes qui choisissent de s’y prêter le fassent en toute connaissance de ce que cela implique.

On pourra, en découvrant ses résultats, apprendre des choses plutôt banales et pour certaines déjà connues: vous perdrez tôt vos cheveux; votre urine sent mauvais quand vous avez mangé des asperges; vous ne pouvez pas faire un rond en pointant votre langue; d’autres encore. Mais vous pourrez aussi apprendre des choses graves, voire dramatiques. Le souhaitez-vous? Il y a certes des arguments qui incitent à vouloir apprendre qu’on développera une maladie grave ou qu’on risque de la transmettre à nos enfants. Mais il y a aussi des arguments qui militent contre cette décision. Les connaissez-vous? Saurezvous les peser? Tout cela se complique encore en raison non seulement de tout ce que nous ignorons encore, mais aussi de l’interaction complexe entre gène, environnement et mode de vie. Par exemple, en sachant telle ou telle chose sur son bagage génétique, on pourra adopter des comportements qui retarderont le développement d’une maladie à laquelle on est prédisposé, voire qui l’empêcheront de se développer. On pourra de même apprendre comment on réagira à tel médicament et ainsi en préférer un autre. Ce que ces observations et d’autres

>


35

suggèrent, selon moi, est non seulement qu’il est sage de bien se renseigner avant de se décider à aller de l’avant avec un séquençage de son génome, mais qu’il est également sage de lire ses résultats avec une personne (médecin, généticien) capable de les interpréter correctement. On peut d’ailleurs sans risque prédire que la recherche biomédicale, armée entre autres de ses formidables outils des big data, va énormément bénéficier de l’immense réservoir de données que constituent les descriptions de ces millions de génomes. Mais vous devinez sans doute comment une deuxième valeur fondamentale de nos démocraties libérales risque à son tour d’être menacée. Confidentialité L’entreprise qui aura séquencé votre génome vous demandera si elle peut, de manière anonyme et sans révéler votre identité, rendre accessibles vos données aux chercheurs.

Compte tenu des promesses d’avancement des connaissances et des traitements, vous serez peut-être tenté de répondre oui. Mais beaucoup de gens ne le font pas par peur que l’on puisse retracer l’origine de leurs données. On comprend sans mal leurs craintes. Imaginez ce qui peut s’ensuivre si des compagnies d’assurance ou des employeurs peuvent savoir, pour m’en tenir à cet exemple, que telle ou telle personne présente un risque de développer une maladie grave. La valeur que nous accordons avec raison à l’exigence de confidentialité et à la protection de la vie privée est ici mise au défi par ces nouvelles technologies. Les simples promesses faites par les entreprises ou les gouvernements ne sont pas de nature à complètement nous rassurer.

Des limites à la marchandisation Nous vivons, pour le meilleur et pour le pire, dans un monde dominé par une économie de marché. Mais il y a de bonnes raisons de penser que certaines choses, par essence, ne devraient en aucun cas être achetées et vendues. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour cela: le fait que la marchandisation peut corrompre le bien en question en est une; une certaine idée de la dignité humaine ou des droits reconnus à chacun en est une autre. Devons-nous permettre la marchandisation et donc la privatisation des données génétiques? Si oui, jusqu’où? Par le séquençage de génome personnalisé, nous sommes déjà devant l’obligation de répondre à ces difficiles questions… y

Ce qui me conduit à la troisième valeur dont je voulais toucher un mot.

FESTIVAL DE FILMS FRANCOPHONES FILM FESTIVAL SUBTITLED IN ENGLISH

24 1–11 NOV 2018

festivalcinemania.com


36 ART DE VIVRE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18


GASTRONOMIE 37 VOIR MTL

VO3 #11

GASTRONOMIE SUR GRAND ÉCRAN LE FESTIVAL CUISINE, CINÉMA ET CONFIDENCES REVIENT À BAIE-SAINT-PAUL POUR UNE DEUXIÈME ÉDITION. AU PROGRAMME: DES FILMS ET DES DOCUMENTAIRES SUR L’ALIMENTATION ET DES SOUPERS QUI ÉVOQUENT LE CINÉMA. MOTS | MARIE PÂRIS

C’est à la croisée de deux arts que se trouve ce festival, résultat de la rencontre et de l’amitié de la productrice Lucie Tremblay et du chef Jean Soulard. Un festival où l’on mange avec les yeux, où l’on déguste des films dans l’assiette. L’année dernière, près de 500 curieux assistaient aux projections organisées par Cuisine, cinéma et confidences; pour cette édition, qui se déroule du 2 au 4 novembre prochains, 2000 personnes sont attendues dans Charlevoix. Les produits de la région seront d’ailleurs mis en avant. C’est la ville de Baie-Saint-Paul, où Lucie Tremblay a grandi et a fondé sa maison de production, et où Jean Soulard s’est installé, qui accueille cet événement pas comme les autres. Une rencontre culturelle hybride qui a le mérite de faire sortir les festivals des métropoles. Si les projections et les soupers se limitaient l’année dernière à l’Hôtel Le Germain de Baie-Saint-Paul et à la Maison Mère, le duo d’organisateurs veut investir plus de lieux pour cette édition: «On veut développer le tout à l’intérieur de la ville et on va réquisitionner de nouvelles places, comme le Musée d’art contem­ porain et le Carrefour culturel Paul-Médéric», indique Jean Soulard. Dans la programmation gastronomie qu’il cha­ peaute, on note la présence des chefs Arnaud Marchand, du restaurant Chez Boulay, David Forbes du Ciel!, Marie-Chantal Lepage du Musée des beaux-arts de Québec et Alexis Jegou, chef exécutif de l’Hôtel Le Germain. À ce beau bouquet de chefs s’ajoutent Nathalie Samson, chocolatière de TroisRivières, et le biologiste Fabien Girard, spécialiste des produits boréaux, venu du Saguenay.

JEAN SOULARD, DAVID FORBES ET ALEXIS JEGOU

Sans oublier la star de la fin de semaine, le chef français Olivier Roellinger – qui a notamment décroché trois étoiles Michelin avec sa Maison de Bricourt, en Bretagne. «Il a les mains dans les épices, Monsieur Roellinger», commente Jean Soulard, ravi de cet invité international passionné. Le chef français parrainera le souper gastronomique du samedi soir sur le thème «Épices et chocolat», qui succédera à la projection du film Le chocolat de Lasse Hallström. La programmation se construit ainsi autour de fils rouges qui traversent aussi bien les œuvres cinématographiques que les soupers gastronomiques. France et chocolat Il y a donc le thème gourmand du chocolat, qu’on retrouve dès le film d’ouverture, Como agua para chocolate (Les épices de la passion) d’Alfonso Arau. «Pour moi, c’est un Festin de Babette à la Gabriel García Márquez. Le portrait d’une femme dans toute sa passion pour la cuisine, ses plats dans lesquels elle met tout son amour, commente Lucie Tremblay. Comme on est début novembre, c’est l’occasion d’offrir des couleurs chaleureuses, d’amener du bonheur et de l’amour avec le chocolat. Ça permet aussi de faire une excursion dans la gastronomie mexicaine… Le film va très bien avec le chef de l’Hôtel Le Germain, qui se passionne pour la cuisine latine!» Si le festival commence avec le Mexique, la pro­ grammation se poursuit avec un clin d’œil à la France, en cette année qui a vu partir Paul Bocuse et Joël Robuchon. Parmi les films français à l’affiche, notons Les saveurs du palais de Christian Vincent,

>

11 / 2O18


LA RÉFÉRENCE DES MÉLOMANES - Choix inégalé de partitions - Gamme complète d’instruments - 15 magasins au Québec

ARCHAMBAULT.CA


L’AILE OU LA CUISSE, © LES FILMS CHRISTIAN FECHNER

où l’actrice Catherine Frot incarne une chef dans l’univers très masculin de la gastronomie. Un film qui permettra de lancer des discussions intéressantes sur la parité en cuisine, mais aussi, quelques mois à peine après la tenue du G7 dans Charlevoix, sur la question de nourrir les grands. Le festival est aussi l’occasion de revisiter les classiques, avec la projection du cultissime L’aile ou la cuisse de Claude Zidi, avec Louis de Funès et Coluche. «J’aime beaucoup mettre des films de répertoire dans notre programmation, souligne Lucie Tremblay. Ce film-là a 40 ans, mais il aborde déjà la thématique de la gastronomie versus le fast-food. Et c’est un film qui me fait mourir de rire!» Les cinéastes Mathieu Roy, Anaïs BarbeauLavalette, Émile Proulx-Cloutier, Nicolas Paquet et Philippe Lavalette viendront quant à eux présenter les films québécois Dépossession, Le plancher des vaches, Esprit de cantine et Chef Thémis. Parmi les 14 projections prévues pendant la fin de semaine, deux premières: Le magicien des épices, un documentaire de Jean-Pierre Petit sur Olivier Roellinger, et Les festins imaginaires d’Anne Georget. Cette dernière a retracé des livres de recettes écrits à la main par des gens dans des camps de concentration. «C’est un film qui m’a particulièrement touchée», commente la productrice charlevoisienne. «Pour être capables de survivre à l’horreur, ces gens ont partagé des recettes, imaginé des festins. Il y a beaucoup de tendresse et un fort pouvoir d’évocation dans ce film. Il me fait un peu penser à La vie est belle…»

Une soupe sur scène «Il faut faire quelque chose dans cette chapelle!», s’exclamait Christian Bégin l’année dernière, en voyant le superbe espace de la Maison Mère de Baie-Saint-Paul. Pour cette édition, le virevoltant porte-parole du festival a trouvé comment occuper la chapelle: aux côtés des comédiens Patrice Coquereau, Denis Harvey et Fannie Dubeau, il y présentera une pièce inspirée du livre de Mark Crick La soupe de Kafka – car, bien sûr, on parlera encore de bouffe. Avec le théâtre, c’est un nouveau volet artistique qui s’ajoute à la gastronomie et au cinéma. «On a beaucoup d’imagination et de créativité dans ce festival, indique Lucie Tremblay. On pense par exemple à une expo photo prochainement. Mais ça se construit une année à la fois...» En attendant, Cuisine, cinéma et confidences conti­ nue de nous en mettre plein la vue et la panse au cœur de l’automne, attirant cette année encore plus de curieux de l’extérieur de Charlevoix. «On a pu vérifier avec la première édition que le festival avait toute sa pertinence, et particulièrement ici dans la région, souligne la productrice. On a validé notre formule, festive mais aussi informative; les gens aiment habiter les lieux de Baie-Saint-Paul de façon différente et pouvoir échanger après les films.» Car au-delà des plaisirs de la table et des films, Jean Soulard et Lucie Tremblay veulent également pousser la réflexion sur la qualité de ce que nous mangeons. Le duo travaille déjà à la programmation de la troisième édition, avec un but en tête: que Cuisine, cinéma et confidences devienne le lieu de rendez-vous du monde de l’alimentation. Le cinéma est peut-être le 7e art, mais la gastrono­ mie a sans doute aussi sa place dans la liste. y Du 2 au 4 novembre À Baie-Saint-Paul cuisine-cinema-et-confidences.com


LES ATHLÈTES DE LA BOUTEILLE DANS LE SILLON DE LA GASTRONOMIE ET DE LA RESTAURATION, EN PLEIN ESSOR AU QUÉBEC, L’UNIVERS DE LA SOMMELLERIE A LE VENT EN POUPE. LES MEILLEURS PROFESSIONNELS S’AFFRONTENT LORS DE COMPÉTITIONS FÉROCES D’OÙ SONT DÉJÀ SORTIS PLUSIEURS CHAMPIONS QUÉBÉCOIS. ZOOM SUR CETTE PROFESSION À LA FOIS FASCINANTE ET INTIMIDANTE. MOTS | MARIE PÂRIS


ART DE VIVRE 41 VOIR MTL

VO3 #11

Fini le temps où l’on commandait du Mouton Cadet ou du Baby Duck: les Québécois s’y connaissent de mieux en mieux en matière de vin et savent désormais apprécier un vin nature ou un petit producteur biodynamique de Savoie. «C’est en plein développement, confirme Véronique Rivest, sommelière à la tête du bistro Soif, à Gatineau. C’est le jour et la nuit par rapport à il y a 20 ans. On voit plus de gens intéressés, et le vin a pris sa place dans nos vies aujourd’hui.» Si le Québec n’a pas de tradition viticole, il est actuellement un des rares marchés en croissance – à l’inverse par exemple du marché européen, en chute. Environ 30 000 nouveaux vins par an arrivent au Québec via les importations privées et la SAQ. L’autre caractéristique du marché local, c’est son ouverture sur le monde, que salue Véronique Rivest: «Le Québécois est vraiment un consommateur curieux. On a accès ici à une quantité de vins différents de partout dans le monde, au contraire de la France, où trouver un vin californien hors de Paris est très difficile par exemple. En tant que sommelière, j’ai évolué dans un marché où on est exposés à des vins de partout, et je n’ai rien à envier à des marchés comme New York ou Londres; tout ce que je veux, je peux l’avoir au Québec. En Ontario, c’est déjà moins évident dès qu’on sort de Toronto…» Dans les années 1970, les premiers sommeliers au Québec, venus de France, ont été en quelque sorte les premiers profs de sommellerie. À l’époque, l’École hôtelière des Laurentides était la seule qui offrait une formation en sommellerie, se souvient Véronique, contre près d’une dizaine de programmes aujourd’hui. L’intérêt du public pour le vin allant croissant, il fallait plus de gens qui s’y connaissaient pour les servir: vers les années 1990, la sommellerie a commencé à prendre de l’essor. «La restauration a été valorisée, ce n’est plus vu aujourd’hui comme une voie de garage», explique Véronique. La profession se démocratise et le sommelier est devenu un ami, alors qu’auparavant, on avait peur de discuter de vin avec lui. Mais le sommelier reste un serveur avant tout, insiste Véronique: «De nos jours, n’importe qui ayant suivi un cours de sommellerie se dit sommelier… Alors moi, je leur demande: “Vous travaillez dans quel resto?” Le sommelier est à la fois œnologue et serveur. C’est un métier très vaste, et c’est ce que je trouve fascinant! Mais ça doit être presque une vocation.» En effet, c’est aussi un métier souvent mal payé et qui oblige à travailler les soirs et les fins de semaine. Et c’est encore une autre histoire quand il s’agit de se lancer dans la compétition…

VINCENT LAFORTUNE, PHOTO KRYSTEL V. MORIN

«Réunir la planète vin» Meilleur sommelier du Canada, des Amériques, du monde… Les événements ne manquent pas pour couronner les meilleurs de la profession. Des compétitions dans lesquelles les Québécois se font d’ailleurs de plus en plus remarquer. C’est la victoire en 1994 de François Chartier au concours Sopexa du Meilleur sommelier au monde en vins et spiritueux de France, puis son accession à la troisième place au Meilleur sommelier du monde l’année suivante, qui marque la fin de l’hégémonie des Français. Depuis, on a vu régulièrement des Québécois se faire remarquer, comme Alain Bélanger (troisième en 2000) ou Véronique Rivest (deuxième en 2013, première femme finaliste). «On a une belle réputation à l’étranger, souligne la sommelière de Gatineau. Les Québécois sont considérés comme les meilleurs candidats en compétition, on est souvent dans les six ou sept favoris.» C’est dans ce contexte en ébullition que se tiendra fin novembre la première édition de SOMM360, un événement à destination des professionnels du milieu qui rassemblera formation continue, support à l’entraînement pour les compétitions et soupers. «Des conférences de sommellerie, y en a un paquet. Nous, on veut dynamiser la conférence pour sortir du cadre traditionnel, explique Vincent Lafortune, fondateur de SOMM360. Le but n’est pas non plus de lancer une école, car il y a déjà ce qu’il faut ici. C’est plutôt un complément.» Autour du slogan

>

11 / 2O18


«Déguster – apprendre – étudier», cet événement montréalais vise à créer une communauté pour que les jeunes se connaissent mieux et se soutiennent dans l’univers compétitif de la sommellerie. SOMM360 puise son inspiration dans des évé­ nements comme TechSomm ou C2 Montréal, avec l’objectif de «réunir la planète vin». Plus de 20 pays y sont en effet représentés et les billets sont achetés d’un peu partout dans le monde. «Au Canada, il n’existe rien du genre encore. On est les premiers à faire ça, avec autant de participants internationaux, assure Vincent. On veut mêler les cultures et les gens: c’est aussi comme ça qu’on apprend, en se confrontant à d’autres réalités culturelles et économiques.» Parlant de réalités économiques, SOMM360 offre une bourse à 22 jeunes sommeliers pour couvrir leurs frais de participation – l’inscription coûte plus de 500$. «Il y a une forme de compétition dans le milieu du vin. On veut faire tomber cette barrière-là pendant l’événement et être inclusif en accueillant tous les parcours possibles, à un coût accessible.»

>

Avez-vous réservé pour votre party de Noël? Que ce soit pour un dîner ou un souper Notre table saura vous charmer! Belon offre des fruits de mers d’une fraicheur sans égal . Homards, crabes, crevettes, oursins, moules, palourdes, Nous choisissons les meilleurs produits que nous propose l’océan.Mais bien sûr, c’est l’huître qui détient la place d’honneur.

1101, RUE BLEURY, MONTRÉAL réservation évènement : yamel@belon.ca I 514-397-0155 I BELON.CA


Alors que le prochain Mondial se profile à l’horizon (mars 2019), SOMM360 se veut comme une étape dans un parcours sportif. C’est que la préparation à une compétition de sommellerie est un véritable travail d’athlète. «Mais par rapport aux sportifs, les sommeliers n’ont pas beaucoup de structures pour les accompagner», regrette Vincent. Il compare en effet souvent les compétitions de sommellerie aux Olympiques, afin de mieux rendre compte du travail physique et des sacrifices qu’elles demandent. Coach sportif Mémorisation, concentration, doigté dans le service, gestion du stress… Pour former au mieux les futurs candidats, SOMM360 a demandé à Alexandre Bilodeau – ancien skieur professionnel mais aussi grand amateur de vin – de participer à l’événement. «Comment bien gérer sa course? Parfois, une étape peut capoter, mais il faut savoir se reprendre pour la suite, et c’est pareil en sommellerie, avance Vincent. Au final, le sportif est seul pendant l’épreuve, et notre but est de donner plus d’outils aux candidats pour leur permettre de bien cheminer.» Si certains y sont parvenus seuls, la formation continue et l’accompagnement permettent d’insuffler un dynamisme à la préparation. «Le Meilleur sommelier d’Europe de l’année dernière, par exemple, avait fait appel à un coach privé, confie Vincent. Nous, on a soutenu Pier-Alexis Soulière [Meilleur sommelier des Amériques 2018] dans son cheminement et ç’a marché. On a des preuves concrètes de l’efficacité de ce qu’on fait, on aide vraiment les gens à se positionner.» Pour sa part, Véronique Rivest indique avoir pris les services d’un psychologue lors de sa préparation au Meilleur sommelier du monde. C’est donc avec enthousiasme qu’elle fait aujourd’hui partie du comité consultatif de SOMM360 et y partage son expérience. «La formation continue, c’est quelque chose qui me tient énormément à cœur, que j’ai cherchée très longtemps au cours de ma carrière, raconte la sommelière. Moi, j’étais autodidacte, je n’ai fait aucune école… J’aurais tout donné pour avoir un truc comme ça! Se préparer sérieusement à un concours mondial demande entre 30 et 40 000 dollars; j’ai consacré autant de temps à trouver les ressources pour me préparer qu’à me préparer. Bref, le vin, quand on plonge dedans, c’est très absorbant…»

Nul besoin de voyager en Italie pour trouver un authentique pastificio, il suffit de se rendre au

Marché Jean-Talon!

Quant aux jeunes sommeliers, Véronique voit pour eux un avenir rayonnant: le talent est là, et ils ne partent pas de rien. Et puis, il y a SOMM360, qui prévoit devenir un grand rendez-vous annuel et faire de Montréal un hub de formation avec différentes activités proposées au cours de l’année. «On planifie déjà 2019, avec une formule d’une journée de formation concentrée à Tokyo, Barcelone, etc., selon l’intérêt», indique Vincent. En attendant, si SOMM360 est réservé à l’industrie, une soirée grand public est proposée à Montréal fin novembre pour tous ceux «qui aiment boire et manger». L’occasion de trinquer à la santé de nos brillants sommeliers. y SOMM360 Du 25 au 29 novembre à Montréal

Pastificio Sacchetto Marché Jean-Talon 7070, avenue Henri-Julien, Montréal 514 274-4443 • www.pastificio.ca


LE POINT SUR L’AG R I C U LT U R E RAISONNÉE MD

Lorsqu’on se trouve face à un tigre, il faut choisir entre le combat et la fuite. L’agriculture industrielle est devenue un défi devant lequel la dérobade n’est plus une option. Dans nos champs de blé, le gros bon sens de l’Agriculture Raisonnée MD est une belle épée. Une fierté. Petite mise en contexte agronomique : afin de répondre aux besoins toujours grandissants de la population après la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture est devenue intensive. Cet avènement a entraîné une utilisation massive d'engrais et de produits visant à lutter contre les maladies, le foisonnement des herbes indésirables et toutes ces mignonnes bestioles qui se disputent le fruit de nos efforts. Ces pratiques agricoles, on le sait, ont eu de multiples conséquences sur les eaux, la faune, la f lore et, par extension, les homo sapiens devenus aussi modernes qu’inquiets. Face à cette réalité, il se trouve que l’Agriculture Raisonnée MD apporte des solutions. En cherchant à se rapprocher de l’agriculture biologique sans toutefois en adopter toutes les contraintes, ce type de culture régie par une certification a longuement été étudié, évalué, puis privilégié par les Moulins de Soulanges, cette société chapeautée par Robert Beauchemin (La Milanaise) dans laquelle Bernard Fiset (Première Moisson) est également impliqué. Le vocable « Agriculture Raisonnée » est une adaptation française du concept « Integrated Farming » des Anglo-Saxons. À

mi-chemin entre l’agriculture intensive et l’agriculture biologique, l’agriculture raisonnée est encadrée par 103 balises visant une régie globale de l’exploitation agricole. Elle implique, par exemple, une gestion serrée de la fertilisation ; la réduction, puis l’élimination des pesticides ; le bannissement des phytocides, sauf en cas de force majeure pouvant mettre en péril la récolte ; la limitation des risques de pollution ; la gestion économe des ressources en eau ; le respect des conditions de vie des exploitants de la ferme et celui des animaux, ainsi que la protection des paysages. Un beau contrat ! On est à mille lieues d’un salto arrière dans la charrette de grand-papa. On est plutôt dans des techniques de pointe combinées à un savoir-faire « à l’ancienne » d’une valeur incontestable. Ce type d'agriculture a aussi, et peut-être surtout, le potentiel de servir de tremplin à des méthodes agricoles encore plus écologiques et durables. Il permet aux agriculteurs aux pratiques rétrogrades d’amorcer une transition vers une démarche plus responsable pour ensuite migrer vers le biologique. Ce n’est pas juste un pas en avant, ça, c’est plusieurs enjambées du côté d’une nouvelle réalité.


N o . 02

L A R É CO LT E

Les Carnets de Josée Fiset

Les Carnets de Josée Fiset

N o . 02 / 2 0 1 8 4,95 $

— Découvrez la suite de cette histoire, et d’autres histoires encore, des recettes et un contenu original dans les petits Carnets de Josée Fiset, une collection à miniprix disponible chez Première Moisson.

Les Carnets de Josée Fiset

N o . 03 L a ré c o l te 8 4 p a g e s / 4 ,95 $



GUIDE RESTOS 47 VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

PORTRAIT DE CHEF KIM CÔTÉ

Il est aux fourneaux de Côté Est à Kamouraska, une pépite culinaire du Bas-Saint-Laurent. Installé dans un bâtiment patrimonial, le resto fait face au fleuve et régale les clients des produits du coin dans une ambiance franchement chaleureuse. À l’image de son chef propriétaire, un chasseur gourmand et bon vivant... MOTS | MARIE PÂRIS

PHOTO | JULIE HOUDE-AUDET

Voir: Pourquoi le choix de Kamouraska? Kim Côté: J’étais plongeur dans un resto de Saint-Hyacinthe, puis j’ai eu une écœurantite de la ville, j’en suis parti à 20 ans. J’ai suivi un cours en protection de la faune; j’étais guide dans le nord pour la chasse au caribou. J’ai déménagé en 2000 à Kamouraska, où vivent mes beaux-parents. Et c’est vrai qu’on a les plus beaux couchers de soleil! On ne s’en lasse jamais.

Ton style de cuisine, en quelques mots? C’est une cuisine très locale. Je travaille avec trois maraîchers pendant l’été. On a aussi nos propres jardins pour faire nos fines herbes et nos pousses. Il faut s’en occuper, mais ça fait des petits breaks aux cuisiniers!

Comment es-tu venu à la cuisine? J’ai lancé en 2008 La Camarine, un restaurant sous forme de coopérative. J’ai fait ça avec des amis, cinq fous avec des jeunes enfants! Il y avait notamment Martin, de la microbrasserie La Tête d’allumette. Ç’a finalement brûlé au bout de neuf mois…

L’aliment que tu préfères? Un bon steak d’orignal! Et la seule chose que j’aime pas, c’est le sarrasin.

Je suis donc allé travailler à la boulangerie de mes beaux-parents, Niemand. Je faisais le pain et les viennoiseries. En 2012, l’opportunité de louer le presbytère s’est présentée et on a commencé avec un petit café de village tout simple. C’est un superbe bâtiment avec un des seuls accès directs au fleuve! L’intérieur est très morcelé avec ses nombreuses salles, donc le service peut être difficile. Quels sont les enjeux quand on gère un resto dans une région touristique? C’est très élastique: l’été, on est à 400 couverts par jour, et j’ai de la misère à trouver le temps de tondre mon gazon! En ce moment, c’est plutôt entre 20 et 100 couverts. Mais on fait aussi traiteur à l’année pour une grande entreprise, et on vend nos produits dans les marchés de Noël.

Quel pays aimes-tu pour sa gastronomie? L’Espagne. J’adore la paëlla! J’en fais tous les dimanches au resto.

Un producteur dont tu aimerais souligner le travail? Rémi Hudon, producteur de chevreau. Il fait 300 000 litres de lait par an, c’est un travailleur exceptionnel. Il fait aussi de la pêche à l’anguille traditionnelle; il est la troisième génération dans sa famille à faire ça. Quel est le pire inconvénient du métier de chef? Le manque de temps, pour profiter de ma famille. Mon fils nous aide volontiers, mais je ne peux pas l’obliger à venir travailler tout le temps avec nous… Le plus bel avantage? J’aime la proximité avec les producteurs et le fait de faire découvrir aux clients la gastronomie du Bas-Saint-Laurent: les champignons forestiers, le vin et le raisin du vignoble Le Raku, la bière de La Tête d’allumette, les produits de la Boulangerie Niemand, Les Jardins de la mer…

J’aime cuisiner aux gens des produits qu’ils connaissent peu ou pas, comme la pintade (certains croient que c’est un poisson!), le phoque, l’agneau de Charlevoix, et le chevreau de lait aussi bien sûr. Le chevreau, c’est un produit que tu aimes particulièrement? Je suis le seul restaurateur à offrir ça au Québec. Le chevreau, c’est un goût qui m’a marqué: mon parrain élevait des chèvres, et je me souviens d’un méchoui au chevreau chez lui... Je n’ai réussi à en retrouver le goût que cette année. Tes trucs pour rester en forme, avec ce métier stressant et physiquement demandant? Moi, c’est la chasse. J’ai commencé à sept ans. Oie blanche, coyote, outarde, loup marin, orignal… Mon camp de chasse est à 45 minutes du resto; je passe l’aprèsmidi là-bas et je décroche. J’aime bien la chasse aux champignons aussi! La gastronomie québécoise pour toi, c’est quoi? Ça passe par encourager les producteurs locaux, et laisser aller son inspiration. Et il ne faut pas se fier trop aux critiques; c’est facile de nos jours de se laisser démolir par les réseaux sociaux. On ne peut pas plaire à tout le monde! y


48 LIVRES VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18


LIVRES 49 VOIR MTL

VO3 #11

RENOUVEAU CHEZ LES ÉDITEURS UN VÉRITABLE CHANGEMENT DE GARDE S’EFFECTUE CHEZ NOS ÉDITEURS DEPUIS UN PEU PLUS D’UNE DÉCENNIE. PORTRAIT DE CES NOUVEAUX JOUEURS QUI VIENNENT BOULEVERSER LE PAYSAGE LITTÉRAIRE QUÉBÉCOIS. MOTS | VANESSA BELL

Des éditeurs viennent brouiller les frontières de la publication tradi­tionnelle, optant tantôt pour l’auto­distribution, tantôt pour une prise en charge de l’offre en traduction au Québec. Avec eux, la littérature se décloisonne, sort du livre, monte sur scène, s’incarne sur les réseaux sociaux. Et les lecteurs, curieux, sont au rendez-vous. Un pari commun Les maisons qui font parler d’elles présentent de nouveaux auteurs, sont inclusives et ont un réel souci de représentativité de la pluralité des voix issues des diverses communautés, non pas pour suivre une tendance, mais de manière tout à fait délibérée, réfléchie. Elles font le pari de célébrer une littérature en construction; celle d’une génération d’auteurs qui écrit avec des influences et des moyens technologiques différents de leurs prédécesseurs. «Les premières années étaient plus artisanales, on allait chercher de jeunes écrivains talentueux et on a continué dans cette logique, en prenant des risques dès le départ, souligne Simon-Philippe Turcot, directeur général à La Peuplade. On travaille dans une logique de littérature de découverte. À force de découvrir des auteurs, on a rencontré des lecteurs et notre réseau s’est étendu.» Doublés de couvertures attrayantes et léchées, pensés de concert avec des artistes en arts visuels, les livres que l’on découvre chez ces éditeurs sont poreux. Les genres se mélangent, la parole ose et les livres surprennent. En plus de ce souci

esthétique, certains éditeurs n’hésitent pas à se jouer de certains codes et à opter pour l’hybridité. Bref, les genres se mélangent, la parole ose et les livres surprennent, tant dans leur forme que dans leur fond. Aux Éditions de Ta Mère, par exemple, on aime les formes brouillées. On y publie, notamment, des essais hyper sérieux sur des sujets éclatés qu’on n’aurait jamais pensé être traités par le milieu universitaire. Avec des factures visuelles fortes, des maisons comme Alto, l’Écrou, Ta Mère, La Peuplade, La Pastèque ont développé une signature qui assure la confiance de leurs lecteurs. «On reconnaît les livres, il y a une écurie, on sait quel genre de texte on va se faire servir, ce qui favorise la prise de risque des lecteurs. On prend tous des risques, ensemble», dit Simon-Philippe Turcot. Plus qu’un outil marketing, les œuvres présentées en couverture font partie intégrante des œuvres. Maxime Raymond, directeur littéraire aux Éditions de Ta Mère: «On se voit plus comme une entité créative que comme une entreprise. Je pense que c’est ça la clé. Je me sens plus comme un diffuseur de culture qu’un imprimeur. Ce qu’on peut qualifier de renouveau depuis 15 ans est ancré dans cette idée de création. Nous [les nouvelles maisons] voulons mettre de l’avant la littérature. Il n’y a pas de compromis. Nous refusons de tomber dans la facilité.» Des formes mouvantes La chaîne du livre étant bien régulée, le nerf de la guerre demeure, pour ces jeunes maisons, la distribution. Les modèles économiques foisonnent pour

>

11 / 2O18


50 LIVRES VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

> LES ÉDITIONS DE TA MÈRE

les petites et moyennes maisons d’édition. Celles qui choisissent de distribuer elles-mêmes leurs livres ont à la fois une grande liberté éditoriale et des contraintes qui peuvent les garder définitivement en marge de certains marchés. Chez Les Éditions de la Tournure – Coop de solidarité, on a opté pour 10 têtes pensantes à la direction, en plus de tous les membres avec lesquels on ne manque pas de réfléchir la distribution et la diffusion des livres qui y sont créés. Le modèle de concertation permet, par exemple, de penser autant les enjeux de représentation des communautés LGBTQ2SA+ que la présence des auteurs et de leurs œuvres en région. Comme la diffusion se fait à même le réseau des membres via les librairies indépendantes, Le Pressier et certains lieux hybrides qui accueillent la littérature parmi d’autres formes d’art, le pourcentage habituellement prélevé sur les ventes par le distributeur est remis en droits d’auteurs alors que la part sociale permet de financer entièrement les œuvres littéraires. Le revers est tout de même cuisant: les

livres autodistribués, bien souvent de qualité égale aux livres institutionnalisés, sont automatiquement exclus des circuits des prix littéraires, lesquels offrent d’importantes vitrines aux livres d’ici. Dehors la littérature Si les événements littéraires dans les librairies indépendantes ont le vent en poupe, pensons notamment aux soirées Le Port de tête, la nuit à Montréal, certains se déplacent hors de celles-ci. Aux lancements traditionnels, les nouveaux éditeurs vont préférer souvent des soirées de performances dans des lieux en dehors du circuit littéraire ou encore sur les réseaux sociaux. Pour les plus petits joueurs, ces événements permettent de garder les communautés alertes quant à leur travail, en plus de développer un sentiment d’appartenance envers leur maison. La nouvelle littérature québécoise s’exporte en dehors du livre le temps d’en jeter plein les yeux sur


51

scène lors de festivals (Dans ta tête, Off-festival de poésie de Trois-Rivières, Québec en toutes lettres, La grande nuit de la poésie de Saint-Venant-dePaquette), de micros ouverts, de sorties de rési­ dences d’écriture et autres. Autre exemple: aux Éditions de Ta Mère, on se joue complètement des codes du marketing en envoyant aux abonnés une infolettre déjantée qui, au final, est tout sauf une infolettre. «On voulait diversifier notre présence en ligne, ce qui est de plus en plus difficile avec les algorithmes, indique Maxime Raymond. On voulait pas faire une infolettre plate parce qu’on haït tous ça recevoir des infolettres plates. Alex [Alexandre Fontaine Rousseau, scé­ nariste de bande dessinée et auteur aux Éditions de Ta Mère] est de plus en plus cabochon et moi je suis le méchant éditeur qui le brime dans ses élans littéraires. Ça participe à créer le rendez-vous avec les lecteurs, ça crée une discussion. Pour moi, c’est un pari gagné. Pis ça nous fait rire!»

Les Éditions de l’Écrou nous offrent, quant à elles, de superbes productions vidéographiques pour mousser la sortie de leurs recueils de poésie, empruntant au cinéma. Ce médium sert à sublimer les mots des poètes de l’oralité qui y publient. Pensons à Marjolaine Beauchamp, Alexandre Dostie, Baron Marc-André Lévesque. Vers la France et plus loin encore! Longtemps, les traductions vers la langue française ont été l’apanage des Français. À La Peuplade, on a ouvert le catalogue aux traductions étrangères avec le désir de proposer un nouveau corpus aux lecteurs québécois. Avec le souci de garder la ligne éditoriale de la maison, Mylène Bouchard, directrice littéraire, et Simon-Philippe Turcot ont réfléchi à leur positionnement géographique. «Théoriquement, être basés au Saguenay nous pose beaucoup de problèmes, mais on a plutôt réfléchi dès le début en se demandant de quelle

>

> LES ÉDITIONS DE LA TOURNURE

Salon du livre de Montréal

Planifiez votre visite au salondulivredemontreal.com

@salonlivremtl #salonlivremtl salondulivredemontreal.com

14 —19 nov. 2018 Place Bonaventure


> LES ÉDITIONS DE L’ÉCROU

façon la maison pourrait tirer profit de cette situation géographique. On a voulu s’inscrire dans la Boréalie, dans le Nord, essayer de voir ce qui se fait dans les pays nordiques pour créer un dialogue entre les écrivains québécois et scandinaves. On cherche, un peu de la même manière qu’on cherche les manuscrits francophones, des œuvres très fortes pour enrichir le catalogue. En EYM_3218_Voir_Novembre_OUT2.pdf

1

18-10-17

12:00

achetant les droits étrangers et en développant la traduction, on devait avoir une distribution dans la francophonie, ce qui nous a permis d’entrer en France. En signant avec Gallimard [le distributeur], ce qui est génial et vertigineux, c’est qu’on se développe dans l’ensemble du monde francophone.» Un tour de force auquel aspirent plusieurs maisons d’édition.


LIVRES 53 VOIR MTL

VO3 #11

> LA PEUPLADE, PHOTO SOPHIE GAGNON-BERGERON

Place aux lecteurs Bien que le milieu soit en pleine effervescence, les défis sont nombreux pour les maisons d’édition québécoises. Il y a un nombre grandissant d’édi­ teurs alors que l’espace médiatique consacré à la littérature rétrécit comme peau de chagrin. «On a de la difficulté à parler de littérature dans le paysage médiatique aujourd’hui, croit Maxime Raymond. Il n’y a presque plus de critiques, les médias parlent de moins en moins de livres, le public consomme moins les revues littéraires. Comme on sort moins de livres et qu’on a moins d’exposure que les grosses maisons, j’essaie de pousser [l’attention que l’on reçoit] comme un avantage. J’ai envie de développer l’aspect collectionneur. On privilégie le développement d’un sentiment d’appartenance et l’envie des lecteurs d’embarquer dans le trip, de s’intéresser à la globalité de la production. On publie moins de 10 livres par année, alors quelqu’un peut tous les acheter sans se ruiner. J’essaie de penser la collection comme un tout: je veux ouvrir le dialogue, mettre les auteurs de l’avant.»

Outre les lignes éditoriales cohérentes, la force des nouveaux éditeurs réside sans l’ombre d’un doute dans l’attention qu’ils portent à leur lectorat. Travaillant dans de plus petites structures, ces maisons d’édition peuvent jouer avec les para­ mètres de production qui sont les leurs. Ainsi, entre la naissance d’une idée et sa réalisation, entre la rétroaction des lecteurs et de nouveaux développements, il y a très peu d’intermédiaires. Somme toute, évoquer le changement de garde chez les éditeurs revient à parler inévitablement des voix en dormance qui attendent encore l’appel de ces maisons d’édition. Maxime Raymond croit d’ailleurs «que si on voulait faire un portrait de la littérature de notre époque, il ne faudrait pas le faire avec les livres publiés, mais avec ceux qui ne le sont pas.» N’empêche, au Québec, la littérature est en pleine ébullition. Il se fait des livres et de la littérature de manière innovante, suffit de tendre l’oreille, de demeurer curieux, pour aller à leur rencontre. Le Salon du livre du livre de Montréal, qui se déroule du 14 au 19 novembre à la Place Bonaventure, en est d’ailleurs une excellente occasion. y

11 / 2O18


Sur les rayons

Sur les rayons

LA PETITE RUSSIE FRANCIS DESHARNAIS

AUX PREMIERS TEMPS DE L’ANTHROPOCÈNE ESTHER LAFORCE

Pow Pow, 180 pages La littérature n’a souvent rien à envier aux grands documentaires lorsque vient le temps de faire découvrir des facettes de notre histoire encore méconnues. Parmi celles-ci, le petit village de Guyenne en Abitibi. «Ben voyons donc! On est pas des communistes, on est des coopérants!» Si la paroisse, au nord-ouest d’Amos, faisait autant jaser «l’extérieur», c’est que quiconque choisissait de s’y installer – comme Marcel et Antoinette Desharnais – dès sa fondation en 1947 le faisait en signant un contrat de membre: 50% de son salaire devait être versé à la communauté pour assurer son expansion; le village était géré non pas par un maire, mais par sa population. Pas de blasphèmes, pas de «bagosse» – l’Église catholique influençant évidemment une partie des règlements. «Au final, ça reste une histoire de gars pis de curés votre affaire.» Antoinette ne s’est jamais privée de dire à son mari, lui qui se dévouait corps et âme au bon fonctionnement de la colonie, qu’il était inacceptable que les femmes n’aient pas leur mot à dire lors des soirées d’étude; discours féministe teintant l’album du début à la fin, jusqu’à ce que le couple – et ses 10 enfants – quitte Guyenne 20 ans après son arrivée. Un départ qui se fait non pas sans la moindre amertume, mais avec un certain sentiment de fierté. C’est d’ailleurs sur d’époustouflantes images de la forêt abitibienne que se clôt le récit, un moment de silence et de contemplation, comme un grand remerciement aux pionnières et pionniers qui bien avant nous se sont unis en suivant leurs rêves, en travaillant pour leurs idées. Avec La petite Russie, Francis Desharnais signe sans doute son œuvre la plus grandiose, chargée d’histoire et d’émotion. Une franche poésie est menée par un rythme habile entre le texte et le dessin texturé à l’aquarelle; des chapitres s’ouvrant sur des aurores nocturnes, illustrations desquelles se dégage le froid du Nord. La postface de l’historien Frédéric Lemieux complète parfaitement l’ouvrage de celui qui, humblement, n’a pas la prétention d’avoir écrit un livre historique; il souhaitait d’abord et avant tout rendre hommage à ses grandsparents, Marcel et Antoinette Desharnais, partageant ainsi avec grande générosité une partie d’un héritage familial et collectif. Un sanababiche de bel hommage. (Mélanie Jannard) y

Leméac, 96 pages Replonger dans le passé, rester «en équilibre sur [ses] souvenirs» pour retarder la fin: voilà ce à quoi s’adonne Émilie en écrivant cette lettre à sa sœur mourante. Le premier roman d’Esther Laforce, d’une apparence délicate lorsqu’on s’arrête au petit livre blanc entre nos mains, aborde le contraste le plus pur qu’est celui entre la vie et la mort. Une opposition évidente qui réussit à nous surprendre par sa forme, à nous secouer. S’il y a souvent quelque chose de réconfortant dans l’évocation des jeux d’enfance, ceux d’Émilie et de sa sœur Mélissa, qui passaient beaucoup de temps à la campagne – royaume de la liberté pour des petites filles de la «banlieue si réglée qu’on appelait la ville» –, ont quelque chose d’inquiétant; un voile gris, une brume chaude et dense qui plane au-dessus. À commencer par la découverte du corps d’un chevreuil décapité au pit de sable: une rencontre inattendue et indésirée, comme un prélude aux embûches de leur relation. «D’instinct, tu t’étais détournée et retirée vers le chemin d’où nous venions, fuyant la mort et ses traces.» Il faudra trouver comment éviter de faire demi-tour devant le décès prématuré des parents; l’infertilité malgré un désir d’enfanter pour pallier la disparition d’une famille, des lieux et des mémoires qui l’entourent. «Devrait-on craindre la fin du monde?» Les prophéties religieuses indiffèrent la narratrice qui se raccroche plutôt du mieux qu’elle peut aux gestes banals et à la nature qui, même si elle s’éteint elle aussi à vue d’œil, permet encore de s’enraciner quelque part. «C’est ainsi que j’apaisais ma frayeur quand, il y a longtemps, assise dans des montagnes russes, j’attendais que le train se mette à tomber à toute vitesse.» Vieillir seule effraie, mais c’est davantage la chute imminente vers l’inconnu qui terrorise. Malgré un récit très sombre, à la fois réaliste et franchement confrontant, l’espoir se faufile dans un mince filet de lumière qui perce à travers les voyages et la prose: de quoi «avancer d’heure en heure» vers la fin d’un monde, sans savoir comment occuper le temps qui nous en sépare sinon que par la correspondance avec celles et ceux qui l’auront quitté en premier. (Mélanie Jannard) y


Sur les rayons

Sur les rayons

LA SOCIÉTÉ DES GRANDS FONDS DANIEL CANTY

ÇA RACONTE SARAH PAULINE DELABROY-ALLARD

La Peuplade, 208 pages

Éditions de Minuit, 188 pages

Il arrive qu’un lecteur erre devant sa bibliothèque. Il arrive que ce lecteur, parcourant du regard le dos des livres cordés sur la tablette du centre, se remémore différents souvenirs de lecture. Un souvenir de lecture est bien souvent plus que l’histoire qu’il raconte. Ce sont les lieux imaginaires de la fiction, mais aussi ceux très réels de la lecture. C’est un banc de parc, une ville étrangère, une berge tranquille. Il arrive que ce lecteur en extirpe un livre, bousculant l’inébranlable ordre des choses, l’inébranlable quiétude d’une bibliothèque. Il arrive que ce livre soit gondolé. Peut-être par une pluie soudaine, alors que le lecteur se trouvait dans un parc. Peut-être par d’interminables soirées de lecture dans une baignoire où coulait en permanence un filet d’eau chaude. Il arrive que ce lecteur, par une offrande littéraire, vous convie d’intégrer La société des grands fonds.

Ça raconte Sarah. Ça raconte une histoire d’amour, d’inconnu, de désir et de déception. Ça ressemble à plein de choses qu’on a déjà lues, mais ça pique la curiosité. Ça s’installe lentement pendant la lecture. Quelque chose comme un point, au creux du ventre, juste à côté des envies. Ça bat de phrase en phrase, de page en page, de chapitre en chapitre. C’est étonnant, parce qu’on se dit: «J’ai déjà lu ça.» C’est fascinant, parce qu’avant d’y plonger, on pensait: «Pas une autre histoire d’amour.» Ça fonctionne, mais on ne saurait dire pourquoi. C’est vivant, incandescent, brûlant. C’est comme ça les livres parfois. C’est de la magie, ça ensorcelle. Ça raconte Sarah est un tour de force littéraire, un mausolée en l’honneur de ces histoires qui ne nous quittent pas.

Après Wigrum (La Peuplade, 2011) et Les États-Unis du vent (La Peuplade, 2014), Daniel Canty poursuit une œuvre hétéroclite, éclectique. Le parcours littéraire de cet artiste pluridisciplinaire marie contrainte et liberté, érudition et ludisme. Avec ce plus récent livre, l’auteur tente de nous faire accroire qu’il nous offre un livre d’eau, alors qu’à sa lecture, on se rend compte bien assez vite qu’il nous offre un livre de lecteur. Regroupant des textes parus dans Bathyscaphe, journal inactuel paru irrégulièrement à 10 reprises entre 2008 et 2013, La société des grands fonds s’était d’abord extrait de cette première vie pour loger sur la toile, avant de prendre la forme livresque sous laquelle il se présente maintenant à nous. D’une relecture de Nine Stories de J. D. Salinger ou d’une rencontre fortuite avec Alistair MacLeod à Vancouver, Canty en fait des morceaux de bravoure fluides dans leur disparité.

C’est quelque part entre latence et fulgurance que se retrouve ce premier texte de la Française Pauline Delabroy-Allard. À sa lecture, on se rappelle pourquoi on lit. On se souvient de l’espoir qu’on porte en chaque livre dans l’expectation d’une telle révélation. Professeure de lycée, la narratrice n’est jamais nommée. Jeune célibataire et mère d’une petite fille, elle rencontre Sarah lors d’un réveillon, chez des amis. C’est à ce moment qu’une allumette tombe. Celle qui met le feu aux poudres. Tout au long de la lecture, on a cette impression de suivre cette étincelle qui serpente le bitume jusqu’à l’éclatement. Partout dans Paris, tantôt même jusqu’à la mer et jusqu’à Trieste, en Italie, pourquoi pas. Et ça revient, et ça crépite, jusque dans la chambre à coucher et sous les draps. C’est une explosion à venir, ou peutêtre même advenue. Du moins, c’est un peu ça. Et beaucoup d’autres choses aussi.

Livre d’eau, peut-être. Livre de lecteur, assurément. Mais livre d’errances aussi, surtout. Entre Montréal et New York en passant par Halifax et Huntsville, Canty arpente des territoires et en invente différentes topographies. À celui qui «ignore si le monde, à l’instar d’un livre, est véritablement constitué de signes», je peux affirmer qu’à la tombée de la nuit, lorsque j’ai fait mon entrée dans La société des grands fonds, le vent s’est levé, la pluie s’est invitée à ma fenêtre. Alors un livre d’eau? Dans le fond, oui, pourquoi pas. (Jérémy Laniel) y

De cette rencontre en découle une autre et une autre. Assez rapidement, la narratrice – comme le lecteur – tombera folle amoureuse de Sarah, cette violoncelliste qui vit comme d’autres fantasment. C’est une première d’histoire d’amour homosexuelle pour chacune d’elle, mais ça importe si peu. C’est une histoire d’amour comme un météore. C’est une histoire de mort, aussi. De violence, bien sûr. C’est un cours d’écriture et un ravissement de lecture. C’est d’une maîtrise littéraire, un tour de force. Ça raconte Sarah, oui, mais nous aussi, certainement. (Jérémy Laniel) y


56 CRÉATION VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

PAR GUILLAUME TREMBLAY ET OLIVER MORIN

ILLUSTRATION OLIVER MORIN

L’homme sans visage 2067. Le dernier baby-boomer est mort depuis longtemps, envoyé dans un «voyage» sur la lune, sans billet de retour. On les avait déclarés illégaux à l’ONU après avoir été reconnus coupables de la destruction des écosystèmes au profit de leurs volumineux REER. Depuis, le clonage humain est interdit. Des fois que quelqu’un aurait cloné un babyboomer. On n’est jamais trop prudent. Un test de sang, rien de plus banal, pendant une entrevue pour une job de bureau avait révélé à ma grande stupéfaction que j’étais… un clone. Moi, Gilles Douillette. Un clone. Les tests étaient sans équivoque. Mais le clone de qui? Clone de personne. Me voilà bien triste. Me voilà condamné. Le vide s’empare de moi. J’apprivoise ce soir ma nouvelle vie d’itinérant, en mangeant un restant de sandwich dans une ruelle partagée avec Hobo Murphy, un vieux clone itinérant (un pléonasme) qui est sur le point de s’étouffer et de mourir en citant Shakespeare un peu tout croche. Les sirènes de police se font entendre. Un troupeau de chats-chacals s’approche. Je me mets à genoux. Ils tournent autour de moi, me sentent, ronronnent.

Au moment de me croquer en équipe, un homme surgit en lançant une poubelle, m’accroche par le collet et court à toute vitesse, mon corps sur ses épaules en poche de patates. Cet homme n’a pas de visage.

L’homme sans visage tousse pas mal…

Nous voici cachés dans un vieux Tim Hortons désaffecté.

Un temps.

Sans Visage: J’ai pu de visage. Gilles: Je vois ben ça oui, mais…

Sans Visage: … Je suis un homme coquet. Sans Visage: (brusque) Assis-toi icitte, Douillette!

Gilles ne sait pas quoi répondre à ça. Mélodie, un Schubert du futur.

Gilles: (brusqué) OK, OK... Sans Visage: (raide) Veux-tu un café, Douillette? Gilles: Hein? Euh non non, c’est gentil. Sans Visage: Sûr? Tu sais pas ce que tu manques… Il prend une longue gorgée de café et l’apprécie de façon sonore. Gilles: Merci pour les chats-chacals. Froid. Temps. L’homme sans visage baisse sa capine de hoodie. On en sait pas plus sur lui. Son visage est lisse comme un derrière de genou. Gilles: Qu’est-ce qui est arrivé à votre visage?

Sans Visage: J’avais toujours rêvé d’un beau visage. J’étais pas laid mais j’étais certainement pas ce qu’on pourrait appeler un bel homme, loin de là. Ça me rendait malheureux. Très, pour être honnête. Je pensais rien qu’à ça, ma face, tel un boulet repoussant au pied de mon existence. Ça fait qu’un jour, en me rendant à la pharmacie, je me suis arrêté dans un comptoir de chirurgie plastique, machinalement, sans réfléchir. J’ai ouvert le catalogue en plein milieu pis je suis tombé sur la plus belle face d’homme que j’avais jamais vue de ma vie. Chu même venu un peu bandé (mais c’était rien de sexuel). J’ai pris mon courage, mes REER pis j’ai changé le cours de ma vie. Gilles: Pis quoi… le docteur vous a moffé? Sans Visage: Au contraire. J’étais parfait.

>


LIVRES 57 VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18


> m’a chassé à grands coups de balayeuse. J’ai refait ma vie ici, tel un barista des ténèbres.

(Il prend une grande inspiration.) J’ai TELLEMENT fourré cette semaine-là… Tout le monde me saluait, me respectait, me proposait des massages. J’étais unique. (Il devient sombre.) Les saisons passent puis viennent les soldes. Le visage que j’avais soigneusement adopté est finalement… tombé en vente. Une grande promotion. En quelques jours, tout le monde avait ma face. C’était pu ma face, c’était rendu la face à tout le monde. Je suis allé me plaindre au chirurgien, j’avais gardé mon reçu, heureuse habitude. Il me dit «très bien», il me fait m’asseoir, referme la porte de son atelier. Une heure plus tard, j’avais pu de face. Pu de nez. Pu rien. Un gros trou de face humide. J’aurais dû me méfier. C’était une offre Groupon.

Gilles: Pis pourquoi vous m’avez sauvé tantôt?

Moi, Gilles Douillette, dont l’existence à ce jour fut aussi brune qu’un bas ben ben brun, c’est la curiosité qui m’a sauvé. Ou peutêtre mon stage chez Xerox au milieu des années 2050 à Trois-Rivières. «Le bon vieux temps.»

Sans Visage: Ton visage. Je l’ai reconnu. Tu me dois un visage, Douillette. Je t’ai reconnu, Robert. Robert Douillette. Voilà donc le nom de l’homme dont je suis le clone. Si je meurs dans les prochaines secondes, au moins mon âme sera rendue en je saurai le nom de l’homme qui m’a mis au monde. L’homme sans visage approche son couteau à pâtisserie de mon visage. Je ferme les yeux. Je pèse.

La lame s’approche de ma joue. Ça sent fort la vieille roussette. Je frissonne. Gilles: Ils doivent pu en vendre beaucoup des imprimantes à face depuis que les modi­ fications génétiques pis le clonage ont été bannis par l’ONU. Sans Visage: Qu’est-ce que tu connais dins imprimantes? Gilles: Je connais un entrepôt où ils gardent des vieux modèles… Ils savent plus trop quoi faire avec… (petit rire nerveux)

Gilles: Vous avez pas eu envie de vous faire greffer un autre visage?

Pour: Si je devais perdre mon visage, peutêtre aurais-je au moins la chance de faire oublier aux autorités mon identité de clone, nouvellement révélée.

L’Homme sans visage jette son couteau par terre et sort une cartouche d’encre génétique. Une espèce de glu couleur peau.

Sans Visage: J’aurais ben voulu, Douillette, mais j’étais rendu tellement laitte, le docteur

Contre: L’identité de mon géniteur-mystère me donne envie d’en savoir plus.

Sans Visage: Connais-tu une machine qui prend les A91?

anciennement

Découvrez le savoir-faire des meilleurs artisans hôteliers du Québec avec la carte-cadeau Ôrigine artisans hôteliers. Valide dans tous les hôtels, auberges, restaurants et spas du réseau.

Visitez le www.originehotels.com et découvrez nos forfaits et promotions.


Gilles: C’est le standard. Sans Visage: Pourquoi je te croirais? Gilles: J’ai-tu l’air de quelqu’un qui a quelque chose à perdre à soir? Je viens d’apprendre que j’étais un clone. Je le connais pas votre Robert Douillette. Aidez-moi à le retrouver pis je vous répare toutes les imprimantes génétiques que vous voulez. Ou ben prenez ma face pis faites une job de cochon avec vos outils de cuisine de restauration rapide. Sans Visage: Tu viens de sauver ta face, viens-t’en. Gilles: Où on va? Sans Visage: Je connais un bonhomme qui a un voilier. Il doit avoir proche de 184 ans. Il a l’air d’en avoir 60. On dit qu’il vit sur l’intérêt de ses placements. Quand il est pas en voyage organisé, les soirs de brume, il navigue sur le canal Lachine, il fait du BBQ ben tranquille, y est ben en bédaine tout de blanc vêtu en train de jouer à Dame de Pique avec sa petite poulette de 75 ans. Y aime pas ça perdre. C’est-tu un fantôme? C’est-tu un

boomer? Quelque chose est sûr, cette entité-là doit connaître Robert Douillette. Pis si ton créateur est en vie, il va cracher le morceau: j’apporte un vin rare et exceptionnel vendu seulement 10,25$ à la SAQ. Gilles: Je pensais qu’ils étaient tous morts? Un boomer? Sans Visage: T’es naïf. Y a ben pire que les clones tsé, Gilles. Si tu savais. Prépare-toi à rencontrer quelqu’un qui va ramener toute la conversation à lui-même. Mange une bonne roue de tracteur, tu vas avoir besoin de sucre. S’il essaie de te faire croire qu’il a jamais rien eu dans la vie, chante une chanson dans ta tête. Méfie-toi, Gilles. Quand il parle de vouloir du changement, il parle jamais de changement réel, il veut juste un nouveau polo.

Gilles: J’ai pas d’argent. Sans Visage: Il va te convaincre d’emprunter. Tu vas devenir stressé, tu vas négliger les gens autour de toi… pis ça… «et c’est pas fini, c’est rien qu’un début, l’effet boomer; tu l’as pas encore vu». Il s’agit pu juste de toi, Gilles. Il s’agit de l’avenir du monde entier. Le monde est influençable Gilles. Si le mal du boomer se propage à nouveau, ce coup-là, la Terre tiendra pas le coup. On va essayer de l’attirer au Vieux-Port en faisant respirer le vin; devant ce spectre, tiens-toi les fesses ben serrées. Sinon, je te naye dans la tank à cappuccino glacé. Je serre la main de cet homme sans visage. Deal sinistre. Dans la sueur de son nonvisage se reflète mon propre visage, ou plutôt celui de Robert Douillette.

Gilles: C’est ben rushant.

Suis-je… un baby-boomer? y

Sans Visage: Il va vouloir te donner des conseils, surtout sur les sujets qu’il connaît juste un peu. Fais BEN attention. Il pourrait te convaincre d’acheter des choses dont t’as pas besoin.

Ce texte est une variation sur un chapitre de Le Clone est triste, une création du Théâtre du Futur qui sera présentée au Théâtre Aux Écuries en janvier 2019. Un maudit bon cadeau de Noël ça (wink wink).



ARTS VISUELS 61 VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

JULIAN ROSEFELDT L’ENTHOUSIASME DES UTOPIES QUE DISENT LES MANIFESTES DU SIÈCLE DERNIER SUR NOTRE SOCIÉTÉ D’AUJOURD’HUI? QUELS ÉCHOS ONT-ILS ET COMMENT NOUS PARVIENNENT-ILS? AU MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL, CE CONTACT SE FERA PAR L’INSTALLATION VISUELLE DE L’ARTISTE ALLEMAND JULIAN ROSEFELDT QUI REMET AU GOÛT DU JOUR ET EN DIALOGUE DES ÉCRITS HISTORIQUES. MOTS | ROSE CARINE HENRIQUEZ PHOTOS | MANIFESTO, JULIAN ROSEFELDT, 2015. INSTALLATION VIDÉOGRAPHIQUE À 13 CANAUX © JULIAN ROSEFELDT ET VG BILD-KUNST, BONN 2017

Flirtant avec le cinéma et la performance, Manifesto est construit en 13 tableaux projetés simultanément sur plusieurs écrans. Présentée dans une douzaine de villes depuis sa création en 2015, l’exposition itinérante est un puzzle formidable qui donne à voir l’actrice australienne Cate Blanchett dans une performance titanesque. Celle-ci se glisse dans la peau de 13 personnages différents, homme ou femme, de l’enseignante au sans-abri, en passant par la mère célibataire ou la punk.

Rosefeldt. Un travail de juxtaposition d’idées, de ferveur, «d’assurance et de fragilité». Des rencontres entre le surréalisme, le dadaïsme, le futurisme, l’art conceptuel ou populaire. La parole combative de chorégraphes, d’architectes, de cinéastes, principalement des hommes. Il s’agissait d’un choix réfléchi qu’une femme porte ces mots, explique l’artiste.

Différents accents, différents vécus, différentes vérités. La comédienne incarne à la fois ces personnes ordinaires dans leur quotidien et les auteurs de ces mots célèbres dans leur éternité.

Avec cette mise en images, Julian Rosefeldt s’interroge sur le rôle des artistes dans la société et l’héritage de leurs écrits et de leurs réflexions à travers le temps. Autant leur résistance que leur influence. Il interroge également l’appel à l’action à travers l’art, soulignant le rapport existant entre celui-ci et la politique. Bien que les textes n’aient pas tous une teneur politisée, ils ne peuvent se dégager de cette sphère, car ils ont tous en commun ce désir de changer le monde et de laisser une trace. Peut-être est-ce là, leur legs.

À travers ces voix, une soixantaine de manifestes artistiques se rendent jusqu’à nous sous la forme de monologues. Des textes centenaires qui ont certainement toujours un sens aujourd’hui, mais qui prennent également une allure nouvelle sous l’exercice de collage auquel s’adonne Julian

Héritage des manifestes

>


HMV_VOIR.pdf

1

2018-10-19

11:11

ESCAPADE au cœur du Vieux-Québec

TARIFS À PARTIR DE PAR NUIT EN OCCUPATION DOUBLE, PLUS TAXES APPLICABLES

155

$

44, Côte du Palais Vieux-Québec (Québec) G1R 4H8

★★★★ VIEUX-QUÉBEC


> L’artiste a choisi aussi de révéler les contradictions de ces œuvres. Pour un même courant, les filiations sont loin d’être les mêmes et des idées s’entrechoquent souvent. Les auteurs ne viennent pas non plus des mêmes époques, donnant à voir la manière dont certaines convictions se transforment, naissent, meurent et renaissent. «Rien n’est original, volez où vous pouvez tout ce qui est source d’inspiration ou qui nourrit votre imagination», écrit Jim Jarmusch. Des paroles que le personnage de la professeure déclame devant sa classe dans le dernier tableau consacré au cinéma. Le lieu comme symbole Les lieux de tournage choisis par Julian Rosefeldt sont très expressifs. Ce sont des lieux architecturaux importants à Berlin, des lieux porteurs d’histoire, pour la plupart des sites industriels, comme la tour d’espionnage Teufelsberg. Pourtant, les techniques de construction du récit empêchent les visiteurs, selon l’artiste, de reconnaître ces lieux. Ils deviennent intemporels et entrent dans une relation de complémentarité avec les textes. En tant que cinéaste et ancien architecte, Rosefeldt porte une attention particulière à la manière dont la narration s’imbrique dans la scénographie. Une réflexion qu’il poursuit lorsqu’il décide de faire un film indépendant avec les 13 chapitres dans un montage successif et remanié. Cate Blanchett interprète des personnages dans des situations anecdotiques qui épousent ou détournent les courants représentés. La notion de la performance, presque théâtrale, est très apparente dans la démarche de l’Allemand. L’écriture scénique et visuelle, la structure des manifestes et le jeu authentique de Blanchett font de Manifesto une œuvre fascinante. Une sorte de métamanifeste qui nous invite à puiser, peut-être, un peu d’optimisme. y Manifesto Jusqu’au 20 janvier 2019 au MACM

La toute nouvelle Boutique BILODEAU est maintenant ouverte au Centre Eaton de Montréal niveau métro Venez voir nos nouveautés et suivez-nous sur


64 CHRONIQUE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

PETITS VELOURS

PAR CATHERINE GENEST

Changement de registres Marque maison

On ne peut être femme et écrire à la première personne du singulier, paver ses textes de «je», «me» ou «moi» sans être taxée de narcissique, sans être renvoyée à l’image d’un nombril qu’on décrotte au vu et au su de tous. Marie Darsigny avance sans peur dans cet ouvrage qui dénonce au passage le sort qu’on réserve à ses semblables qui osent se raconter en public. Trente est un livre brutal, à la frontière du journal intime et de l’essai, une œuvre inclassable puisée à même ses colères, ses souffrances, ses déceptions, ses dépendances. C’est une autopsie de sa psyché livrée pour nous, la retranscription de ses pensées intrusives, un dialogue intérieur impudique, chaotique et généreux. L’encre des pages porte l’empreinte de ses larmes. L’ère emo a forcément laissé une empreinte sur sa prose: M. D. crée à contre-courant et à rebours un équivalent littéraire aux étoiles de traceur liquide au coin des yeux, aux crêtes de coq sur des tignasses faussement noires, aux disques de My Chemical Romance. Une esthétique qu’elle ressuscite comme autant de collages post-internet de son cru, des références visuelles qui résonneront fort auprès de ceux qui ont grandi avec MySpace et autres MSN Messenger. Parce que, oui, ce livre est illustré. Comme Arcan avant elle, écrivaine qu’elle porte en gloire et à fort juste titre, Darsigny

Des motifs de dragons et des graphies tribales imprimées sur des chemises ajustées, des téléphones à clapet brandis comme autant de trophées. Les gars de Qualité Motel, cousins mottés autoproclamés de Valaire, embrassent l’esthétique néo-kitsch à pleine langue sur la pochette de leur plus récent disque compact. Ils nous présentent C’est pas la qualité qui compte, un album qui accote aisément n’importe quel millésime de Danse Plus, un CD qui exalte autant qu’une compile gravée et minutieusement puisée à même les confins de Kazaa.

signe la chronique d’un suicide annoncé. Elle s’épanche sur le poids du temps qui passe, les plis que laisse sur son front et au coin de ses yeux son âge croissant. Le thème n’est pas neuf, et elle est la première à l’admettre, mais la poète montréalaise l’aborde avec vigueur et intransigeance, un sens du rythme indéniable et ce lexique créolisé, bilingue à la limite, qui choquera les puristes. On y découvre une voix franche, nouvelle, une artiste imprégnée de son art jusqu’à la moelle et qui dérangera comme Marie-Sissi et Vickie avant elle. Aux Éditions du remue-ménage.

Une pléiade de disciples unissent leurs forces sur cette offrande prodigieusement coucoune, fofolle mais diablement bien produite. Karim Ouellet, collaborateur régulier des bros de Sherby, crooner fleur bleue de son état, y chante l’Amour, encore, toujours, mais avec une pointe d’autodérision qu’on ne lui connaissait pas. Tomber en amour c’est cool C’est mieux que de tomber tout court C’est mieux qu’une claque dans face (bis) C’est mieux qu’une pelle dans le front D’autres moments forts? L’infopub pharmaceutique de Jimmy Hunt (Personnelle) destinée aux palmarès de Radio Jean Coutu, la sulfureuse ballade pour cannibales de Fanny Bloom et


les tontons LINGUEUR

F

S

BRASSERIE - RESTAURANT

SPÉCIAL MOULES ET FRITES

À VOLONTÉ QUALITÉ MOTEL, PHOTO DOMINIC LACHANCE

Marie-Élaine Thibert, la voix d’Eman, force tranquille d’Alaclair et MC constant, posée sur des rythmes funky à faire pâlir d’envie un jeune Snoop Doggy Dog. Sans surprise, Maybe Watson et Ogden s’invitent aussi à la fête et sous la bannière de Rednext Level, arrachant les rires dans une ritournelle muscle pop bien huilée, complètement deuxième niveau, critiquant subtilement et par la bande une certaine dépendance à l’automobile. Lary Kidd, Koriass et Fouki complètent l’alignement hip-hop, mais c’est vraiment Sarahmée, rappeuse québ ô combien sous-estimée, qui leur dame le pion, armée d’une plume parfaitement affûtée, la sienne, mordant dans ses mots avec une force nouvelle. Puisse cette plage, ce cadeau emballé dans des petits motifs dance volontairement datés, lui permettre de se faire connaître et respecter d’un plus vaste public. C’est pas la qualité qui compte (Costume Records) porte mal son nom, tous l’auront saisi, et sort le 2 novembre. Lancement au Club Soda (Montréal) le soir même et 20 jours plus tard à L’Anti de Québec. Sur la pointe des pieds Virginie Brunelle est une spécialiste du duo, une dissectrice du couple, quel qu’il soit. La chorégraphe revient en scène cet automne, mais là où on l’attendait le moins, sous l’égide d’Eric Gauthier, ballerin reconverti et Allemand d’adoption. Elle présente une pièce de son cru, carte postale de 20 minutes, dans le cadre d’un quadruple plateau confectionné à Stuttgart. C’est là que

le Québécois, méconnu en ses terres, a refait son nid. C’est là, à une petite centaine de kilomètres de la France, que la Montréalaise a su apprivoiser une équipe d’interprètes qui lui étaient étrangers, les employés de Gauthier Dance, chairs fraîches qu’elle aura sculptées de son vocabulaire, de ses gestes.

TOUS LES JOURS DÈS 16 HEURES

Où qu’elle soit, Brunelle reste Brunelle. Sa danse est un condensé de colère enveloppé dans un gant de soie, un amalgame habile de chutes et de portées. J’ai découvert son esthétique contrastée, aussi athlétique qu’introspective, avec Le complexe des genres il y a plusieurs années. Un spectacle si marquant que l’affiche trône encore sur mon mur de salon, ultime trace, l’image de cette femme et de cet homme entrelacés en araignée, se fondant l’un dans l’autre jusqu’à en altérer leurs chromosomes. Des X et des Y qui tournoient dans une valse infinie, jusqu’à se perdre. Une image forte. Autant dire que mes attentes sont grandes pour cette nouvelle pièce, mais je la sais capable d’honorer de telles promesses. Virginie est une grande chorégraphe, la digne héritière de Dave St-Pierre, diront certains, bien que la prémisse de Beating soit infiniment plus douce, plus tendre que ce à quoi elle nous a habitués. Cette fois, elle s’inspire des recherches de l’Université de Californie à Davis, cette étude de 2013 prouvant que les cœurs de ceux qui s’aiment battent à l’unisson. Sa courte forme s’articule autour de cette idée, celle de la pulsation, de nos corps qui se froissent et tanguent sous le poids d’une infatuation. À voir jusqu’au 3 novembre au Théâtre Maisonneuve (Montréal) et le 13 novembre au Grand Théâtre de Québec. y

5190, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal

514 733-0606


QUOI FAIRE

66

PHOTO ALEXANDRE GILBERT

SCÈNE

<

GHOST – TENTACLE TRIBE PLACE DES ARTS – CINQUIÈME SALLE – 13 AU 17 NOVEMBRE

La compagnie montréalaise Tentacle Tribe construit des spectacles qui mêlent danses de rue, danse contemporaine et arts martiaux. Dans Ghost, les six interprètes se meuvent dans des constructions humaines et des déplacements au rythme des inspirations et des expirations, dans une chorégraphie qui respire.


L’ASSEMBLÉE ESPACE GO – 13 NOVEMBRE AU 2 DÉCEMBRE

Produite par Porte Parole (qui avait aussi produit J’aime Hydro), cette pièce de théâtre documentaire aborde la question de la polarisation politique et du débat. Six comédiennes rendent sur scène le résultat de rencontres organisées par la compagnie avec des personnes de cultures et de milieux différents.

PASSAGERS – LES 7 DOIGTS TOHU, LA CITÉ DES ARTS DU CIRQUE – 14 NOVEMBRE AU 5 JANVIER

La célèbre compagnie circassienne Les 7 Doigts présente une création à huit acrobates dans l’univers du voyage, qui se déroule dans l’espace d’un wagon de train. Danses et projections s’ajoutent aux disciplines traditionnelles du cirque, sur un fond sonore de compositions originales. Spectaculaire, comme toujours.

Ici vous trouverez de superbes pièces de viande prêtes à servir ou marinées mais aussi une grande épicerie regorgeant de toutes sortes de délices!

CENTRE D’ACHATS CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI – 13 NOVEMBRE AU 1 DÉCEMBRE

Sept femmes (Anne Casabonne, Marie Charlebois, Marie-Ginette Guay, Johanne Haberlin, Tracy Marcelin, Madeleine Péloquin et Danielle Proulx) viennent magasiner... Le besoin de consommer de façon outrancière est utilisé par l’auteure Emmanuelle Jimenez comme un symbole d’aliénation – et aussi notre besoin de communauté. >

MARCHÉ JEAN-TALON PHOTO CHRISTIAN BLAIS

158, place du Marché-du-Nord Montréal – Petite-Patrie, QC 514 276-1345

www.boucheriecapitol.com


68 QUOI FAIRE VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

PHOTO PIERRE MANNING

<

HOTEL – CIRQUE ÉLOIZE

SOUVERAINES

MARTIN MATTE

PLACE DES ARTS – THÉÂTRE MAISONNEUVE –

THÉÂTRE DE QUAT’SOUS –

PLACE DES ARTS – SALLE WILFRID-PELLETIER –

14 AU 17 NOVEMBRE

20 NOVEMBRE AU 8 DÉCEMBRE

27 ET 28 NOVEMBRE

Pour son 25 anniversaire, le Cirque Éloize nous emmène dans un élégant grand hôtel. Dans cette scénographie, les acrobaties se mêlent au théâtre, à la danse et à la musique live. Un spectacle en grand où la technique rencontre la poésie.

L’auteure Rose-Maîté Erkoreka étudie la royauté féminine dans une jolie mise en abyme théâtrale. La pièce oscille entre réalité et fiction, entre théâtre et archives vidéo, abordant aussi bien MarieAntoinette que Néfertiti ou Hillary Clinton. Car le pouvoir et la volonté de gouverner se conjuguent aussi au féminin.

Après un fructueux passage dans le monde de la télévision avec sa série acclamée Les beaux malaises, Martin Matte revient sur scène. Coécrit par l’auteur François Avard, son troisième one-manshow en carrière, Eh la la..!, explore encore ses relations familiales avec une touche d’arrogance. Malgré une critique mitigée plus tôt cette année, le maître du malaise continue d’être aussi populaire.

e


NICOLET | HUBERT LENOIR PROGRAMME DOUBLE

GROUPE RUBBERBANDANCE: VRAIMENT DOUCEMENT

24 E ÉDITION DU FESTIVAL DE FILMS FRANCOPHONES CINEMANIA

2 9 n o vem br e - T h éât r e de la Ville

D u 5 a u 8 dé ce m br e Théâ tre Ma i sonne u v e , P la ce de s Ar t s

1 e r a u 11 nov e m br e 20 18 - E n sa l l e

Programme double présentant Nicolet, projet du jeune auteur-compositeurinterprète montréalais Étienne Hamel accompagné de quatre talentueux musiciens, qui propose des pièces rythmées et luxuriantes aux accents new wave et folk. Suivi de l’incomparable Hubert Lenoir et les chansons de Darlène, une œuvre pop, éclectique, dense et audacieuse.

Avec 10 interprètes accompagnés de musique live et rompus à la Méthode RUBBERBAND, le chorégraphe Victor Quijada présente Vraiment doucement: un éloge flamboyant à la transformation des corps, mariant la spontanéité et la témérité de la culture hip-hop au raffinement du ballet et de la danse contemporaine.

Le festival CINEMANIA, fondé en 1995, est l’un des plus importants évènements consacrés au cinéma francophone en Amérique du nord. Chaque année durant 11 jours, plus de 50 longs-métrages issus des plus grands festivals internationaux (Festival Cannes, TIFF, Berlinale, Angoulême, etc.) sont présentés en primeur, toujours projetés en version originale sous-titrée anglais. L’événement rassemble chaque année plus de 29 000 spectateurs.

Photo Sasha Onyshchenko

RÊVERIES SHAD 2 3 n o v em br e - Le M in is t ère

Ne manquez pas le spectacle lancement du nouvel album de Shad: ‘A Short Story About A War’. Le disque inclut des contributions de KAYTRANADA, A Tribe Called Red, Lido Pimienta, Yukon Blonde, et autres. Shad est un rappeur de renom canadien, récipiendaire d’un JUNO et animateur de la série culte Netflix’s Hip Hop Evolution.

BIL AN DE MARCEL DUBÉ, MISE EN SCÈNE BENOÎT VERMEULEN D u 1 3 nov e m br e a u 8 dé ce m br e Théâ tre du Nou v e a u Monde

Parmi les œuvres les plus marquantes de cet immense auteur qu’est Marcel Dubé, Bilan trace un portrait doux-amer et sans concession des années 60. Le metteur en scène Benoît Vermeulen, à l’impressionnante feuille de route, a réuni autour de Guy Jodoin et Sylvie Léonard de jeunes interprètes débordants de talent et d’énergie pour raconter une histoire empreinte de cynisme, mais porteuse d’espoir.

22 nov e m br e 20 18 , 19 h 3 0 Ma i son sy m ph oni qu e de Mont r é a l

Du Metropolitan Opera de New York au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg en passant par l’Opéra Bastille de Paris, la voix du baryton-basse russe Ildar Abdrazakov éblouit par sa puissance, sa profondeur et son agilité. Qui de mieux que celui qui a tenu les rôles clés dans Attila, Macbeth, Oberto et Luisa Miller pour enthousiasmer les mélomanes par son interprétation des plus grands airs de Verdi ? Yannick Nézet-Séguin dirige ce programme qui sera complété par quelques-unes des pages orchestrales les plus enlevantes du compositeur italien.


Apportez votre vin

PHOTO MAYA FUHR

MUSIQUE

<

HELENA DELAND THÉÂTRE FAIRMOUNT – 16 NOVEMBRE

Avec sa voix douce, légère mais feutrée, l’auteure-compositrice-interprète Helana Deland revient d’une tournée nord-américaine en soutien à son deuxième mini-album, paru plus tôt cette année. Révélation probante de notre scène alternative, celle qui fusionne folk, rock et pop avec une fluidité à toute épreuve revient chez elle avec les chansons tirées du nouveau volume de son recueil Altogether Unaccompanied.

GIRAFFAGE ET RYAN HEMSWORTH THÉÂTRE FAIRMOUNT – 2 NOVEMBRE

1831, rue Gilford Montréal 514 522-0487 lepegase.ca

Le producteur californien Giraffage s’amène dans la métropole avec son alliage très ingénieux d’ambient, d’électro et de R&B. Lancé l’an dernier, son troisième album Too Real a comme d’habitude séduit la critique. À ses côtés, le Néo-Écossais Ryan Hemsworth viendra présenter les pièces de son quatrième album Elsewhere, un autre témoignage convaincant de sa créativité débordante, quelque part entre trap et indie pop.

SHAD LE MINISTÈRE – 23 NOVEMBRE

Shad, l’un des rappeurs canadiens les plus respectés et les plus acclamés de la dernière décennie, revient sur les planches avec, sous le bras, un album ambitieux, A Short Story About a War, un sixième opus solo lancé à la fin octobre sous l’étiquette montréalaise Secret City Records. Le Canado-Kenyan fera un arrêt à Québec et à Montréal durant sa tournée nord-américaine.


SOULDIA CLUB SODA – 24 NOVEMBRE

Porte-étendard de la scène rap de Limoilou, l’un des quartiers le plus importants dans l’histoire du hip-hop québécois, Souldia carbure aux récits rudes avec son flow incisif, parsemé de moments plus mélodieux. Regorgeant de chansons accrocheuses, notamment des collaborations avec Rymz et Sinik, son septième album Survivant marquera sans doute un tournant dans sa carrière.

CLOUD NOTHINGS L’ASTRAL – 28 NOVEMBRE

Près de deux ans après Life Without Sound, un quatrième album à l’habillage plus lisse que son prédécesseur, le percutant et excellent Here and Nowhere Else, la formation menée par l’auteur-compositeur-interprète Dylan Baldi reprend la route pour présenter les chansons de Last Building Burning. Aux confins du indie rock et du noise rock, Cloud Nothings donne toujours un spectacle vigoureux.

ALACLAIR ENSEMBLE CLUB SODA – 30 NOVEMBRE ET 8 DÉCEMBRE

Pionniers indiscutables de la nouvelle génération de rappeurs qui secouent le hip-hop québécois depuis le début de la présente décennie, les compères d’Alaclair Ensemble se renouvellent une fois de plus avec Le sens des paroles, un cinquième opus à la facture trap. Après avoir présenté son album à son public français, le groupe revient chez lui pour un lancement à Québec et deux autres à Montréal.

MARCHÉ DE NOËL ALLEMAND DE QUÉBEC du 22 nov e m br e a u 23 dé ce m b r e Au coe ur du Vi e u x - Qu é be c , d a n s l e s j a r d in s e t la pla ce de l’ H ôt e l- de - V il l e .

Venez vivre la magie de Noël dans un décor féérique et une ambiance festive. Au pro­ gramme: traditions de Noël allemandes, animations et spectacles extraordinaires, cuisine traditionnelle allemande réinventée et une tonne d’idées-cadeaux originales parmi plus de 80 expo­sants. Une activité gratuite, pour toute la famille!


BOHEMIAN RHAPSODY EN SALLE LE 2 NOVEMBRE

Dans ce tout nouveau biopic, découvrez le parcours de l’incroyablement populaire groupe britannique Queen et de son leader Freddie Mercury, de la formation du groupe à son apparition au concert Live Aid en 1985.

CINÉMA

>

THE GIRL IN THE SPIDER’S WEB EN SALLE LE 9 NOVEMBRE

Lisbeth Salander et le journaliste Mikael Blomkvist se retrouvent aux prises avec des espions, de cybercriminels et des membres corrompus du gouvernement. Par ailleurs, Lisbeth est suivie par une mystérieuse femme blonde.

#PARTAGEZVOTREADN Aidez un patient atteint du cancer du sang à embrasser la vie. Tout ce que ça prend, c’est un prélèvement d’ADN - pas plus que ce qu’on partage dans un baiser.


QUOI FAIRE 73 VOIR MTL

VO3 #11

11 / 2O18

<

CREED II

THE FRONT RUNNER

LE POIRIER SAUVAGE

EN SALLE LE 21 NOVEMBRE

EN SALLE LE 16 NOVEMBRE

EN SALLE LE 30 NOVEMBRE

Adonis Johnson Creed va devoir affronter Viktor Drago, le fils d’Ivan Drago. Ce dernier n’est nul autre que le boxeur qui a autrefois tué son père Apollo Creed sur le ring. C’est sous la tutelle du légendaire Rocky Balboa qu’Adonis s’entraînera pour ce combat marquant.

L’histoire de l’ancien sénateur américain de l’État du Colorado Gary Hart, favori pour être à la tête du parti démocrate en 1988 mais qui dut se retirer de la course alors qu’un scandale d’adultère éclaboussa sa vie privée et sa carrière professionnelle.

De retour dans sa ville natale, un aspirant écrivain redoute de devenir enseignant comme son père, un rêveur jovial et joueur invétéré qui a plongé sa famille dans les dettes et la honte et qui, aujourd’hui, s’entête à creuser un puits sur sa terre aride.


LA PREMIÈRE PIZZERIA À MONTRÉAL

ARTS VISUELS

<

AMBERA WELLMANN, DOWNWARD FACING DOG, 2018. OIL AND ACRYLIC ON LINEN, 92 X 96 CM.

AMBERA WELLMANN PROJET PANGÉE – JUSQU’AU 17 NOVEMBRE

Diplômée de la maîtrise en beaux-arts de l’Université de Guelph, la jeune artiste Ambera Wellmann présente (Wo)man and Beast in the Round of Their Need, une exposition dans laquelle elle «poursuit ses recherches sur la porcelaine comme véhicule de perversion». La Berlinoise d’adoption manipule «la sensualité de la matière peinte» dans le but de brouiller les distinctions entre objet et chair.

SPECTRES MAISON DE LA CULTURE DE CÔTE-DES-NEIGES – JUSQU’AU 25 NOVEMBRE

Fruit d’une résidence des artistes Jean-Pierre Gauthier, Pascal Audet et Emmanuel Lagrange Paquet, Spectres «mélange l’historique et l’actuel, l’art de la peinture et l’art des écrans et du web» à travers une exposition dichotomique mettant en relation les œuvres de ces artistes avec celles du défunt peintre québécois Guido Molinari. On y retrouve notamment des sculptures interactives, un site web et une installation audiovisuelle.

FRANÇOISE SULLIVAN MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN – JUSQU’AU 20 JANVIER

Cosignataire de Refus global, Françoise Sullivan a grandement contribué à l’histoire de l’art contemporain de la province, même si son influence demeure encore méconnue. Ainsi, cette exposition «examine en profondeur les moments-clés de son parcours, tout en mettant en contexte, à l’aide de documents d’archives, les différents styles et approches qu’elle a adoptés au cours de sa carrière».


FAITES LIVRER VOS CLASSIQUES À DOMICILE POUR 2999$ PAR AN

ABONNEZ-VOUS DÈS AUJOURD’HUI AU MAGAZINE VOIR ET RECEVEZ DANS LE CONFORT DE VOTRE FOYER 12 NUMÉROS POUR SEULEMENT 2999$ *

DÉTAILS À VOIR.CA/ABONNEMENT

* Plus taxes


L’ALTERNATIVE the Alternative

FOLIE CHOCO MANGUE

UNE BOUCHÉE D’ÉTÉ EN AUTOMNE PP 40010891

PREMIEREMOISSON.COM


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.