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REVUE BELGE D’ARCHITECTURE bimestrielle octobre – novembre 2010
interview
Atelier d’architecture Pierre Hebbelinck dossier durabilité
Projets exemplaires Composites souples Isolation bio-écologique 02260
0 977137 550701
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A+ technique Composites souples texte Grégoire Talon
matériau Isolation bio-écologique texte Stefan Devoldere
actualité Produits texte Viviane Eeman
En 1989, Ezio Manzini écrivait dans ‘La matière de l’invention’: “L’objet flexible est sans doute le précurseur de l’objet intelligent. […] A la différence des objets informatisés, leur programme de fonctionnement ne réside pas dans une mémoire numérique; il est inscrit dans leur géométrie et dans la structure même du matériau.” Depuis, la panoplie des solutions souples s’est agrandie et, quel que soit le domaine – les fluides, le sensoriel, ou l’énergie –, leur impact parfois spectaculaire, souvent discret, voire invisible, est déjà majeur dans notre quotidien.
Sophistication de la matière souple
texte grégoire talon
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Optimisation de la fonction Conçus en laboratoire et optimisés pour des applications de pointe, les ‘programmes de fonctionnement’ des matériaux souples techniques répondent à des problématiques de plus en plus exigeantes. Le sur mesure ne s’applique plus seulement à l’élaboration de l’enveloppe mais également aux fonctions propres de la matière. Contenir les hautes pressions La société ILC Dover, a récemment déposé au milieu du Pacifique un radôme géant de trente mètres de diamètre. Destiné à protéger un radar off-shore pour l’US Army, cet abri prévu pour résister à la force d’un ouragan au milieu des océans n’est pas en métal. Il est pneumatique et il nous vient de Mars, plus précisément d’un système d’airbag par grappe conçus quelques années auparavant par la même société à la demande de la Nasa. L’agence spatiale cherchait un dispositif d’amortissement pour protéger le Mars Exploration Rover, un véhicule télécommandé d’exploration scientifique, lors de son largage sur la planète rouge. L’ensemble de contraintes extrêmes nécessita l’élaboration d’un composite souple capable de garder ses propriétés malgré un confinement exigu et un froid intense pendant le voyage spatial, et apte à supporter une pression pneumatique maximum au largage, une chute de dix mètres ainsi qu’une abrasion très forte lors du contact avec le sol martien. Pour répondre à ce cahier des charges, les équipes d’ILC Dover ont mis au point un composite souple à base de Vectran, pour la solidité mécanique, et de silicone pour
l’enduit hermétique. Le radôme, quant à lui, a bénéficié d’une technologie comparable, avec un enduit adapté aux contraintes du site. Ces composites souples qui combinent la résistance de l’acier, la souplesse du textile à l’isolation hermétique offrent à l’architecture pneumatique des réponses techniques inconnues il y a encore quarante ans. A l’époque, les projets d’habitats gonflables, du collectif d’architectes français Utopie, n’avaient jamais dépassé le stade de l’esquisse, mais aujourd’hui, plus rien n’empêche leurs étranges silhouettes pneumatiques de s’imposer dans nos environnements. Isolation extrême Isoler, dans l’inconscient collectif, c’est se protéger du froid, et un procédé souple révolutionne aujourd’hui le domaine. Le matériau est l’une de ces ‘belles endormies’ dont regorge l’histoire des Sciences. Avant d’être un matériau de pointe, l’Aerogel, créé par Steven Kistler en 1931, fut d’abord un défi lancé par son collègue, Charles Learned: “Comment remplacer le liquide présent à l’intérieur d’un gel par du gaz sans provoquer la rétractation du tout?” Kistler trouve la solution. Il obtient une sorte de solide composé d’air dans une proportion supérieure à 90%, (jusqu’à 99,8% dans certaines formulations) avec un potentiel isolant inédit, il bloque la propagation de la chaleur par conduction thermique, par radiation et par convection. Ces deux particularités lui valent le titre de matériau le plus léger et le plus isolant connu à ce jour. Malgré ses états de services impressionnants, son coût prohibitif et
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son délai de production condamnent l’Aerogel aux tiroirs de la Science jusqu’au début des années 1990. Il trouve alors de nouveaux usages dans l’aérospatiale, et les procédés de production optimisés pour l’espace ouvrent la voie aux applications civiles. Dans le domaine du bâtiment, l’Aerogel est dorénavant disponible sous forme de feutre synthétique. Ce produit s’appelle le Spaceloft; il est produit par la société Aspen Aerogel, qui le présente comme la solution optimale en matière d’isolation. Son prix reste encore élevé, mais ses atouts plaident pour la dépense: pouvoir isolant maximum, hydrophobe mais respirant, peu volumineux, léger, adaptable à toute géométrie et aisé à manipuler. Bio-assimilation Historiquement, les premiers textiles dits bio-compatibles proviennent des fibres PLA (acide polyactique) produites à base d’amidon de maïs ou de betterave. Elles sont utilisées depuis de nombreuses années déjà dans le domaine médical. On les retrouve notamment sous forme de fils chirurgicaux. Le PLA se décompose au cours de la cicatrisation, et ses résidus sont absorbés par l’organisme. Il est parfaitement biodégradable, 100% assimilable. Et c’est justement de PLA que le mesh 3D Terramac de la société japonaise Unitika est tissé. L’œuvre de Makoto Azuma, Time of Moss, conçue pour l’exposition Tokyo Fiber, met en avant les possibilités de culture hors sol offertes par le Terramac, avec son paysage domestique de mousses végétales. Mais le Terramac s’adresse aussi aux architectes, aux designers et aux paysagistes car il permet
© voile
© edouard françois
L’artiste japonais Makoto Azuma conçoit un paysage domestique de mousses végétales, baptisé Time of Moss, agençant des mousses sur un textile en fibre à base d’amidon de maïs ou de betterave, 100% bioassimilable, amené à disparaître
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Systèmes de contrôle QIO system, une société spécialisée dans les interfaces souples, dites ‘e-textile’, distribue d’ores et déjà une interface de contrôle textile, l’Elektex Textile Touchpad. Elle est fournie clefs en main. Lavable en machine ou à sec, elle possède six zones de contact avec fonctions assignables, est dotée d’une connectique textile, son épaisseur est inférieure à deux millimètres. Elle s’intègre dans un circuit, comme n’importe quel accessoire
© edouard françois
© edouard françois
Perception de l’environnement Le monitoring en temps réel vient d’ouvrir de nouvelles perspectives dans le secteur géotextile pour les sites à risque et les ouvrages d’art. Grâce à un réseau de capteurs à fibres optiques intégrés, la membrane Geodetect de la société Tencate permet de visualiser, sur une série de points critiques, l’ensemble d’un site équipé. Qu’elle soit enterrée ou intégrée à la construction, l’information délivrée est immédiate, globale et analysée en temps réel. Les données sont disponibles dès les premières phases d’installation, ce qui permet de suivre l’évolution du site et de prévenir les risques néfastes dès leurs premiers signes. Qui plus est, ce dispositif remplace les campagnes
© tencate
électronique, mais on la retrouve aujourd’hui en toute discrétion et en souplesse quels que soient l’application et l’objet: des manchettes de veste, en passant par les revers de costume, les bretelles de sac à dos. Il existe par ailleurs une vaste communauté e-textile Do It Yourself (DIY) qui diffuse des projets et contribue activement à l’exploration de ce nouveau domaine. Le kit Lilypad, commercialisé par la société Sparkfun et sa conceptrice Leah Buechley, illustre parfaitement cette dynamique. Cette carte électronique de la taille d’un petit écusson, développée en open-source, est prévue pour être brodée à même le tissu et se connecter
Le textile Geodetect associe une bande de géocomposite, des fibres optiques, une instrumentisation et sa suite logicielle <
Logique d’interaction On le voit, les matériaux souples de demain seront bien plus que de simples enveloppes de protection, et certains sont d’ores et déjà rentrés de plain-pied dans l’ère des technologies communicantes et ‘pervasives’.
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de mesures et les systèmes de surveillance additionnels car le textile est lui-même le capteur. Bien évidemment, ces technologies se révèlent également utiles dans des contextes plus quotidiens. Centexbel, le centre scientifique et technique de l’industrie textile belge, très actif en R&D, présentait d’ailleurs, lors de l’édition 2008 de l’exposition Futuro textile à Courtrai, un textile avec capteurs intégrés développé spécialement pour l’usage domestique. Ce prototype est un tapis intelligent qui réagit à la pression. Centexbel évoque des usages tels que l’extinction et l’allumage des lumières sur le chemin du marcheur ou le déclenchement d’un appel d’urgence en cas de corps immobilisé au sol sur une longue période. La maison communicante n’est plus une simple affaire d’interphone ou de camera de surveillance, elle communique dorénavant avec toutes ses surfaces.
la stabilisation des terrains, le maintien de l’humidité comme la végétalisation des toits. Effectivement, grâce à sa structure en tissage tridimensionnel, il fixe le substrat et les végétaux dans leurs premières phases de croissance jusqu’à ce qu’ils assurent eux-mêmes la cohésion des sols et finissent par absorber la structure.
© tencate
© grégoire talon
Lors de Futurotextile à Courtrai en 2008, Centexbel a présenté un tapis intelligent détectant et interprétant les pressions
Sodd, mise au point par Edouard François pour la FIAC 2009, assure la consommation énergétique de ses habitants
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© courtesy of kva matx
Principe de synergie “Un entrelacs de cellules photovoltaïques souples alimente le réseau de diaphragmes photosensibles pneumatiques en façade sud tandis que la membrane dépolluante en façade nord assainit les dégagements du local technique.” Cette description n’est pas tirée d’un récit de science fiction. C’est un condensé de technologies bien réelles à l’épreuve du terrain à ce jour dans plusieurs projets d’architectes dont le français Edouard François, les américains Kennedy & Violich et l’espagnol Enric Ruiz Geli. Des exemples qui démontrent le potentiel des matériaux souples réactifs et nous offrent une vision prospective des villes du futur. En voici les prémices.
© courtesy of kva matx
< Les architectes Kennedy & Violich ont mis en œuvre, dès 2007, les cellules photovoltaïques organiques flexibles dans la Soft House: un rideau de cellules définit les contours de l’habitat et fournit l’énergie du foyer
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avec toutes sortes de capteurs et d’activateurs en réseau. Comme elle s’adapte aussi bien au développement de pièces uniques qu’au prototypage ou à la petite série, elle a très vite séduit les créateurs qui, comme Becky Stern, se sont approprié la technique pour la plier à leur propre langage et à leur propre usages. Connexions souples Mais sans connectique, pas de tissu intelligent. Comment faire pour délivrer, stocker et diffuser les flux d’énergie et d’information dans des dispositifs souples, maltraités par le mouvement et les conditions hostiles sans provoquer courts-circuits et autres
dysfonctionnements inopinés? Plusieurs principes complémentaires sont souvent associés.Les encres conductrices sont compatibles avec les procédés d’impression les plus courants – sérigraphie, offset, héliographie, jet d’encre – et s’adaptent parfaitement à la cadence industrielle. Mais les surfaces poreuses et irrégulières des matériaux textiles diminuent la conductivité des encres et fragilisent les pistes. Il est donc préférable de déposer une, voire plusieurs enductions de protection selon le support et l’usage. Les fibres conductrices, quant à elles, peuvent être confinées dans un passepoil, une doublure ou laissées apparentes, et se tissent selon les techniques traditionnelles, en étoffe unie ou à motifs, avec un espacement approprié pour éviter le contact direct. Elles existent également sous forme de rubans électroniques comme le Textro-Interconnects de Textronics ou le Conductive Ribbon de la société Ohmatex. Quelle que soit la technologie, lorsque les connexions subissent des déformations répétées, des précautions supplémentaires sont nécessaires car les fibres et les encres conductrices sont susceptibles de se toucher et de créer des courts-circuits.
Energie souple En matière d’énergie solaire, l’innovation aujourd’hui nous vient des cellules photovoltaïques organiques aussi appelées Organic PhotoVoltaic (OPV). Ce procédé relativement récent connaît déjà une large diffusion car sa technologie est très économe tant en matière première – le silicium est absent de sa composition – qu’en procédé de fabrication. Même si sa durée de vie et son rendement limité constituent encore un point faible, les améliorations sont déjà notables, et la communauté scientifique ambitionne de rattraper les performances des panneaux solaires traditionnels au coût prohibitif et aux contraintes d’installation lourdes. Les OPV, en effet, se présentent sous forme de membranes flexibles que l’on peut rouler sous le bras pour charger son ordinateur en balade ou déployer sur un parasol pour remplacer un petit générateur. L’US Army envisage d’ailleurs d’en équiper ses tentes afin d’assurer l’autonomie énergétique de ses unités mobiles. Et, parmi les architectes, on compte déjà des précurseurs comme le français Edouard François, qui présentait, il y a un an à la Foire Internationale d’Art Contemporain de Paris, une maison noire à la silhouette d’apparence traditionnelle, mais à la construction innovante. SODD, c’est son nom de code, se construit à partir d’éléments standard assemblés entre eux. Chaque module rectangulaire est gainé de
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caoutchouc noir, structuré par un cadre en bois, isolé par une bourre en ouate de cellulose et possède en façade un film OPV qui en fait un panneau solaire. Aux Etats-Unis, le bureau d’architectes Kennedy & Violich creuse la question depuis quelques années déjà. Son projet prospectif Soft House propose un système d’habitation équipé notamment d’un immense rideau photovoltaïque qui définit les contours flottants de l’habitat et fournit l’ensemble de l’énergie nécessaire au foyer. Apparemment, l’intérêt pour le photovoltaïque souple n’est pas uniquement prospectif. Depuis août 2010, Ferrari, le spécialiste français des membranes et textiles pour l’architecture, et la société PowerFilm, expert en technologies solaires, se sont associés pour développer une gamme de solutions destinées au résidentiel. Synergie La société Icare, est une joint-venture entre un spécialiste de l’architecture textile, le français Locabri, et un expert des technologies de filtrage, le finlandais Ahlstrom. Elle est à l’origine d’un système innovant de chapiteau à la toile de tente dépolluante. Celle-ci absorbe les émanations olfactives nocives grâce aux charbons actifs déposés sur sa face interne et les désintègre grâce à la photocatalyse provoquée par le dioxyde de titane qui couvre sa face externe. Le charbon actif stocke les émanations nocives en continu, et celles-ci sont peu à peu décomposées par photocatalyse grâce à l’action du soleil. Cette combinaison de fonctions complexes dans une membrane composite souple remplace un dispositif d’extraction mécanique lourd et coûteux; c’est une logique de substitution qui gagne du terrain. Dans des domaines de plus en plus variés, les réponses mécaniques sont abandonnées au profit de solutions souples. L’architecte espagnol Enric Ruiz Geli s’est emparé de ce type de technologies pour concevoir, à la demande de la ville de Barcelone, le projet Cloud 9 Media-Tic. Un peu à l’image de l’Institut du monde arabe construit en 1980 par Jean Nouvel, le bâtiment est couvert de diaphragmes photosensibles destinés à ombrager les espaces internes du bâtiment. Mais, contrairement à son aîné, Enric Ruiz Geli n’a pas choisi une solution mécanique. Son choix s’est porté sur la membrane ETFE, un matériau transparent connu pour ses qualités climatisantes et sa longévité. Les façades sud et sud-ouest ont été couvertes d’un ensemble de poches d’ETFE équipées de deux membranes internes de motifs complémentaires dont les trames se couvrent ou se découvrent selon la distance qui les sépare grâce à un système pneumatique. Ce principe permet d’occulter en totalité ou en partie la lumière du soleil, et le système est contrôlé par un réseau de capteurs sensitifs qui établit une synergie entre l’architecture et son contexte.
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Si l’objet flexible traditionnel est “le précurseur de l’objet intelligent”, que dire de ces composites souples high-tech qui nous entourent maintenant de toutes parts? Ils remettent peu à peu en question nos modes de construction, nos modes de conception et nos modes de vie, et, à y regarder de plus près, on est tenté d’y
voir une nouvelle génération de matériaux plus proches de l’organe artificiel que de la matière inerte. A mesure que tombent les barrières technologiques, on peut se demander si la relation qui se tisse entre l’homme et l’environnement qu’il façonne ne tend pas dorénavant vers un idéal de symbiose. Icare a mis au point un système de toile de dépollution qui absorbe les émanations olfactives nocives grâce aux charbons actifs déposés sur sa face interne et les désintègre grâce à la photocatalyse provoquée par le dioxyde de titane qui couvre sa face externe
Enric Ruiz Geli équipe les façades sud et sud-ouest de Cloud 9 Media-Tic d’un ensemble de poches d’ETFE dont les deux membranes internes de motifs complémentaires se couvrent ou se découvrent pour les occulter
© iwan baan
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Ces composites souples high-tech qui nous entourent remettent peu à peu en question nos modes de construction, nos modes de conception et nos modes de vie.