Edouard François, "La bonne nature d'Edouard François"

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ARCHITECTURES

Peter Pan dans un bureau

La bonne nature d'Edouard François L'architecte Edouard François, 51 ans, est connu pour allier à la construction de logements les avantages en nature de la nature. Mais la nature de son projet pour l'agence de communication H à Suresnes est autrement singulière. Le lieu visité en sa compagnie révèle un autre versant du travail de cet architecte qui fait feu de tout bois.

L

es agences de publicité conjuguant architecture moderne, design et haute technologie sont des exceptions. La plupart sont des lieux qu'Edouard François qualifie, pour aller vite, de “corporate”.

Il n’exprime là aucun mépris pour les activités qui s'y tiennent. Ce qu'il critique, c'est juste la chape de conservatisme qui préside encore aux choix de leurs aménagements. Résultat, ces agences se ressemblent toutes. A Suresnes, pour le projet de l'agence H (H comme Havas dont elle fait partie) terminé en juin 2007, il s'agissait d'installer 250 personnes dans un nouveau lieu déjà construit. Les créatifs, les commerciaux et leur direction s'y occupent de communication globale ou de marketing relationnel. Dès les premières minutes de la visite de l'agence, il est facile d'évaluer l'aspect déterminant de la relation entre

architecte et client. C'est la quatrième fois depuis 1998 que François aménage le lieu de vie des gens de H (autrefois agence Enjoy). “Edouard faisait partie des meubles” dit la directrice. Dans cette histoire partagée, il était normal de le solliciter à nouveau pour donner des formes à l'ADN de l'agence et surtout à sa façon de travailler. Ici, l'architecte a essentiellement meublé. Pas question de mixer le mobilier d'agences précédentes d'autant plus qu'il est de tradition chez Havas de laisser les nouveaux venus choisir leur mobilier. “Il était rationnel, économique et sain de revoir complètement le mobilier” selon François. La même

François sur fond de branches d’alu au Fouquet’s Barrière (Photo : Edouard François 2006).

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1| Les cloisons Lafarge collées-customisées au silicone noir (Photo : Frank Raftery/View). 2| Des sièges de direction décalés en salle de réunion (Photo : Frank Raftery/View).

chose pour le cloisonnement de l'espace. Les structures BA 13 qu'il détourne sont du pur François, qui a remplacé le plâtre par du verre ; entre chaque panneau, une armature à montant d'aluminium. Entre elle et le verre, on observe ce que l'architecte luimême appelle des “crottes de silicone”. Des motifs noirs dansants et légers comme sur une toile de Jackson Pollock. Il a d'abord essayé en blanc puis en gris. Ce sera mieux en noir. Les ouvriers s'y sont mis, tentés de faire un trait parfait ou de se lâcher, tandis que l'architecte souhaitait quelque chose de rigoureusement précis. Et derrière le verre de la cloison, l'architecte a parfois placé de la “laine de poussin”, d'un esthétisme très contemporain de matière qui dirait la vérité. Rien de trash là-dedans, au contraire, cela ne souffre que l'excès de contrôle comme le plan d'aménagement des lieux en général, résultat d'un dosage subtil. Ironie des choses, on aperçoit fréquemment, comme une scarification sur l'aluminium séparant les cloisons, le nom du fabricant Lafarge. Or, il se trouve que c'est un homonyme de l'un des dirigeants maison.

“Tout foutre en l'air pour mettre du parquet n'aurait écologiquement et économiquement pas eu grand sens, aller tout benner au nom de la beauté, ça me paraît difficile comme décision”. Edouard François pratique souvent l'understatement ou l'euphémisme goguenard quand il s'exprime, à la manière d'un Jacques Dutronc mais dans un autre registre.

Le passé participe En fait, les nouvelles dépenses concernent plus le mobilier que la moquette, de la dalle textile Hagen anthracite, 60 par 60, toute simple qui a été conservée. On retrouve aussi chez “H” des pièces non obsolescentes du passé Enjoy de l'agence. Il s'agit d'une suite de chaises médaillon Louis XVI, tendues de skaï coloré et montées sur des roulettes. Chez Enjoy, où tout le monde était réuni tel un collectif autour de la même table, ce qui distinguait les gens, c'était juste le dossier des fauteuils devenus ainsi discrètement statutaires. On apprend que l'architecte n'avait pas lésiné, choisissant la plus belle soie d'ameublement, coûteuse,

fragile. “La mieux” coupe t-il. On se rappelle alors avoir remarqué dès l'entrée de l'immeuble, les canapés très bas qui semblent sortir de chez Missoni et qui ont été conçus spécialement pour l'agence. Comme un leitmotiv, l'architecte souhaitait apporter de la matière. En même temps, plutôt que de peindre, il s'est contenté à certains endroits de lessiver certaines surfaces. Le gestionnaire de l'immeuble était d'autant plus décontenancé qu'un nouveau genre de papier peint est venu redonner vie aux murs. Edouard François a photographié en très haute définition la brique des murs d'une ancienne usine de Halle, près de Leipzig. Le résultat a été légèrement agrandi avant de devenir le motif du papier peint de certains murs de l'agence. Pour François, c'est tout à fait cohérent avec la brique du bâtiment qui était autrefois une usine de parfums. Nous avons demandé à la charmante jeune femme de l'accueil ce qu'elle en pensait. Sans détours, elle nous a dit que par un frais matin d'hiver, ça n'était pas pareil que par une matinée de soleil et qu'elle comprenait que le >

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1 1| Des canapés sur mesure “à la Missoni” dès l’accueil (Photo : Frank Raftery/View). 2| Le papier peint vraie fausse brique du hall d’accueil (Photo : Frank Raftery/View).

> réalisme de la brique surprenne même si elle en appréciait, à l'usage, le côté décalé. Une fois monté à l'étage, ce qui surprend le plus le visiteur, passé les bureaux des créatifs, c'est cette façon qu'ont les commerciaux d'être pris jusqu'à la taille dans de longues tables à alvéoles dont, à l'origine, le modèle a été conçu mais aussi fabriqué par l'architecte luimême. Ce sont maintenant des réalisations du fabricant Bulo qui a amélioré le modèle sur des détails. Les gens sont assis de façon écoconsciente sur des sièges Håg en cuir tannage végétal, avec structures non chromées. Cependant Edouard François n’imagine pas asseoir un collaborateur ou une collaboratrice sur autre chose qu'un siège en cuir. D'alvéole en alvéole, se forment des groupes dont la composition et la taille varient au gré des thèmes de réunion. Cette façon de se greffer correspond à la réalité de leur métier. Tout le monde fonctionnant en Wifi pour l'informatique, il suffit d'un ordinateur portable et d'un tabouret pour reconstituer sans cesse son bureau, qui fait en même temps salle de réunion. Des rangements sont prévus sur le coté de ces tables. Il ya peu de tiroirs, plutôt des caissons, des boîtes et des ordinateurs. Au cœur de son alvéole, chacun a l'impression d'avoir son monde autour de soi. C'est une idée assez ancienne qui est venue à Edouard François en regardant le bureau du 18

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ministre Jack Lang conçu par Andrée Putman, un bureau banane, lointain écho des tables semelle d'une Charlotte Perriand ou d'un Jean Royère. Ici, chacun est étrangement, symboliquement et efficacement séparé de son voisin par un cactus, tel un barbelé végétal. Il définit une sorte de bulle personnelle virtuelle, alternative au bureau en espace ouvert si prisé en France. Pourtant la plupart des collaborateurs tiennent à un minimum d'intimité dans leur espace de travail. Les dirigeants, quant à eux, sont un peu à l'écart dans des bureaux, en dehors des grandes tables, mais très visibles, derrière des cloisons de verre ou simplement plantés dans l'espace à l'écart.

Le mobilier structure Au deuxième étage, des salles permettent des entretiens plus confidentiels. Partout là encore, c'est vraiment le mobilier qui fait l'architecture. Des détails continuent d'étonner : un bout de cuir, par exemple, qui suffit à faire une poignée de tiroir, une porte typiquement Lapeyre avec juste une poignée pour l'ennoblir, ou un fauteuil Grosfillex en plastique lambda qui, gainé de cuir blanc il y a quelques années déjà, ressemble aujourd'hui à un meuble Cassina vintage. L'avantage du lieu est qu'il accepte un peu de désordre, mais attention, pas

2 avec n'importe quoi et avec, quand même, de la discipline. La directrice évoque de grandes journées de rangement tous les trois mois. Il a aussi fallu à certains du temps pour s'adapter. Ces habitués de la rue de Rivoli ou du quartier du Trocadéro “auraient pu nous vomir dans les babouches” dit François qui exècre l'idée de forcer quiconque à vivre dans quoi que ce soit, de telle ou telle façon. Une personne a vécu quelque temps avec sur sa fenêtre une photo panoramique de la vue imprenable >


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A PROPOS DE “E.F.” 1957 : Edouard François signalé pour la première fois à Boulogne Billancourt. 1997-1999 : Beaubourg achète l’ensemble de ses plans, ses dessins et ses maquettes. 2000 : Immeuble qui pousse, à Montpellier ; habiter au milieu de la végétation. 2004 : Flower tower, hérissée de pots de plantes vertes, à la ZAC de la Porte d'Asnières. 2006 : Parking des Ternes à Paris avec serres intégrées. 2006 : Terrasse aux branches d'aluminium et extérieur détonnant du Fouquet's Barrière des Champs-Elysées. Résidence la Closerie à Louviers en Normandie avec façade entièrement couverte de bois. 2007 : Projet de jardin bio, au cœur de ses logements en construction rue des Vignoles à Paris. 2009 : Projet e-wood 1, à Tours, à O émission de carbone puisque que la forêt alentour est pourvoyeuse d'énergie pour les chaudières à bois. Club Med au Sénégal avec chambres en forme de cacahouète végétale sur pilotis. Actuellement, Edouard François compte plus de 1000 logements du Troisième type en commande. A lire : Construire avec la nature, par Edouard François, Duncan Lewis & Associés, collection Jardin des paradis, éditions Edisud, 1999. A visiter : www.edouardfrançois.com

A PROPOS DE “H” Baptisée H comme Havas mais aussi comme hybride, “H” est née le 11 juin 2007. Coprésidée par Christophe Lafarge, Gilbert Scher et Benoit Devarrieux, H emploie 235 personnes à Suresnes. Parmi ses principaux clients : Daunat, Labeyrie, Citroën, GAN, LCL, Darty , Flunch, Leroy Merlin, Marques Avenue, Shopi, Les Petits Débrouillards, Jacques Dessange, Narta, Lyonnaise des Eaux IDF, Française des Jeux, IDTGV, Imagine'R, Transavia.com, Bocage, Eram, Comédie Française, RTL, Orange…

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> sur les Tuileries qu’avait son ancien bureau. François réussira sans rien faire de plus par lui donner envie d'aller au travail le matin. Usage ou usure ? Usage !

Comme un bonbon La directrice souligne que même avec davantage de moyens, elle n'est pas sûre que l'agence ait été très différente, tellement elle est un “lieu de partage professionnel” adéquat. Si on demande à l'architecte s'il n'a pas livré un lieu vecteur d'image, il répond en souriant qu'il n'y a que ça qui l'intéresse, au delà de l'ergonomie des choses et des organisations humaines à préserver. Il y a des clients d’Enjoy, l'avant “H”, du temps de Clichy, qui adoraient les réunions chez eux. Jacques Calvet soimême, ex-président de PSA en était. Aujourd'hui, Vincent Bolloré et Jacques Séguéla, grands décideurs de la maison font partie de la liste des squatteurs occasionnels. Il faut croire qu'Edouard François n'effraie pas tout le monde en étant comme il dit “proche de l'os”. Il est vrai qu'ici on respire et que finalement il n'y a pas grand chose pour vous empêcher de vous concentrer, sans qu'on soit dans l'ambiance couvent de clarisses. “C'est comme un bonbon ici, on est bien non ?“ demande t-il avec sa manie des expressions qui ne sont jamais celles de tout le monde. Selon lui, un lieu comme l'agence H est le fruit de calculs au millimètre près autant qu'une question de goût. Avant d'ajouter sans une once de méchanceté, que beaucoup de gens qui ont voix au chapitre n'ont pas un goût ahurissant. Ce devrait pourtant être, selon lui, aussi simple que de s'habiller le matin. Il ne suffit pas cependant d'acheter fébrilement du mobilier chez Moroso pour que le tour soit joué. La directrice ajoute que le manque de côté apprêté dans le travail de François peut à tort donner l'impression qu'on est dans la facilité alors qu'il est du genre à faire acheter des charnières particulières, et chères, pour du contreplaqué tout simple. Elle a dit oui, comme d'autres après elle, parce que tout est parti d'une solide vision de l'entreprise, solide et surtout différente. 쮿 Guy-Claude Agboton

1| Love Table in situ (Photo : Frank Raftery/View). 2| La fameuse façade arrière de l’hôtel Fouquet’s-Barrière à Paris, sur le principe du moulé-troué (Photo : Edouard François 2006).


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