Le retour du Romantisme

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Paul Ranc

Le retour du Romantisme

A l’aube de ce troisième millénaire, chacun est convaincu qu’il se passera «quelque chose». Certains disent: «Le monde va s’améliorer!» D’autres affirment: «Nous courons à la catastrophe!» Qui a raison? Puisse cet ouvrage contribuer à proposer quelques pistes de réflexion...

L’auteur est né à Paris en 1945. Marié, deux enfants et trois petits-enfants. Formation de photographe, puis études théologiques à l’Institut biblique de Nogentsur-Marne. En 1982, il est consacré diacre de l’Eglise Réformée du canton de Vaud. Son ministère l’amène à s’intéresser aux divers mouvement religieux, et plus encore à l’Histoire. Il a écrit des études historiques et donne des conférences sur les thèmes de la Réforme et des Réveils.

Romantisme Paul Ranc

Le retour du Romantisme

Le Romantisme nouveau est là. Il est déjà présent dans tous les rouages de notre société. Le combat des nouveaux romantiques, comme celui du XIXe siècle, est désespéré, sinon perdu d’avance. Mais la lutte ne fait que commencer. Aboutira-t-elle?

Le retour du

ISBN 978-2-8260-2009-7

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Regards sur le monde contemporain


Paul Ranc

Le Retour du Romantisme

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Editions Contrastes Collection Apologia Paul Ranc, Et si ce n’était pas vrai ? (épuisé) Paul Ranc, La Rose-Croix, mythe ou réalité ? (épuisé) Paul Ranc, Le Bonheur à tout prix? (1ère édition, épuisé) Paul Ranc, La Franc-Maconnerie sous l’éclairage biblique, (épuisé) Paul Ranc, Une secte dangereuse: la Scientologie Paul Ranc, Le Bonheur à tout prix? 2ème édition

Collection Témoins Jacqueline Ranc, Je suis la maman d’un enfant handicapé (épuisé) Jacqueline Ranc, La foi n’est pas une drogue (épuisé) Paul Ranc, Je ne fais aucun cas de ma vie

Collection Didaké Paul Wells, Entre Ciel et Terre (épuisé)

Collection Art et Bible Paul Arnéra, Cet après-midi au temple (épuisé)

Editions La Maison de la Bible Paul Ranc, La Troisième voie

ISBN 978-2-8260-2009-7 Conception graphique: William Audeoud Photo couverture: Helder Almeida (Agence diffusion 123rf) Mise en page: Paul Ranc (Adobe InDesign CS4) Imprimé en UE sur les Presses de Lightning Source


Avant-propos de l’auteur

C’est sur une mélodie de la Cinquième symphonie de Bruckner que je mets le point final à ce livre. Commencé il y a plus de dix ans, il est le fruit d’une très longue réflexion. Car un tel sujet, infiniment vaste et passionnant, ne pouvait pas être abordé suite à un coup de foudre! Et pourtant, coup de foudre il y eut! Du moins au départ. Le souvenir est là, toujours présent. C’est au cours d’une promenade sur les hauteurs du Léman, près du château de Blonay, au-dessus de Vevey, que l’idée, à la fois lumineuse et sereine, s’est imposée: celle d’écrire un ouvrage sur la société moderne, et plus particulièrement sur l’impact de la technique par rapport à notre vie de tous les jours. La fin de l’été annonçait un bel automne, la nature conservait encore ses belles couleurs. Tout allait bien, ou presque... Ni malheureux, ni vraiment heureux, seulement à la croisée des chemins. Mais la vue sur le Léman et les Dents du Midi ravivait en moi le souvenir des longues balades d’autre7


fois dans les forêts.1 Et le bruissement des arbres, le ruissellement de l’eau et le chant des oiseaux se révélaient être pour moi source de réflexion intérieure. Quarante ans plus tard, au pied du même château, ce fut la redécouverte du monde qui avait été le mien durant les années de mon enfance: la campagne, les forêts, les rivières... Puis, peu à peu, la nature a été envahie par le béton, la vidéo et l’informatique ont fait irruption dans la société et les violences sont apparues dans les cités. Depuis lors, le monde s’est trouvé chamboulé. Dans la vie de chacun, il y a des hauts et des bas. Nul ne peut prétendre à une stabilité de tous les instants. Il y a des moments de bonheur, mais aussi des moments d’épreuves ou d’incertitude. Et c’est précisément dans ces circonstances là, face à nous-mêmes, que nous sommes conduits à réfléchir intensément aux questions qui viennent et reviennent sans cesse à notre esprit. Le présent ouvrage est le fruit d’une profonde remise en question. Une succession d’épreuves et de difficultés, notamment la perte subite de l’ouïe et un avenir incertain, ont profondément changé ma manière de penser. Un sentiment d’inutilité et de faiblesse dû à cette nouvelle situation (retraite anticipée pour cause d’invalidité), a fait que j’ai acquis en peu de temps une nouvelle vision du monde. Mon regard s’est alors tourné vers le passé, et aussi vers l’avenir. Et là, j’ai vu, ressenti au plus haut degré, le mal-vivre de notre société moderne. D’où le désir de mettre mes réflexions sur papier. Ce recul a été bénéfique sur un point: celui d’analyser et de comprendre l’évolution de notre civilisation. D’agraire qu’elle était, elle est devenue peu à peu industrielle, puis technicienne. Mais entre-temps, un courant de contestation a émergé: le Romantisme ou, plus exactement, le néo Romantisme. Le Romantisme, dont ses lointaines origines remontent à l’Antiquité avec Platon, en passant par le Moyen Age avec Joachim de Flore et Campanella, n’a pas été seulement un courant lié aux sentiments parfois exacerbés, mais aussi un mouvement politique et social. Alphonse de Lamartine et Victor Hugo, pour ne citer que les plus connus, ont été des hommes politiques. Ils ont été des observateurs attentifs de la société industrielle et n’ont pas ménagé leurs critiques à l’égard du développement de la société moderne naissante. 1

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Cf. Paul Ranc, Je ne fais aucun cas de ma vie, p.19, Editions Contrastes, Saint-Légier, 1991.


Aujourd’hui, imperceptiblement, alors que notre monde atteint un sommet inimaginable de perfection technologique, un néo Romantisme, teinté de spiritualisme, pointe à l’horizon. De tous côtés, des mouvements de contestation apparaissent. Des gens de lettres renommés prennent vigoureusement position contre l’ultra libéralisme galopant, de même que des organisations non gouvernementales et des courants de pensées s’attaquent aux dérives économiques. Par ailleurs, les arts, le cinéma en particulier, prônent des valeurs nouvelles, entre autres le retour à la Nature qui est celui du Romantisme d’autrefois. Au sein de notre civilisation éprise de techniques et d’innovations, le matérialisme ambiant fait des ravages chez les jeunes comme chez les moins jeunes, et cela se traduit par une insatisfaction toujours plus grande. Et, en contrepartie, une autre spiritualité, centrée sur l’Homme et la Nature, tend à remplacer les religions traditionnelles. Un grand chamboulement philosophique, politique et religieux se développe très rapidement et crée une nouvelle civilisation de type babylonien, c’est-à-dire universaliste. Le nivellement des cultures, des religions et des systèmes politiques sont-ils les prémices d’un mondialisme de mauvais augure? Le monde est à la recherche d’une âme. Au fil des années, j’ai constaté une lente déshumanisation de notre société. Les relations humaines sont de plus en plus remplacées par les connexions, via Internet ou les SMS. Plus les gens sont «connectés», plus la solitude s’accroît. Plus on parle de solidarité, plus l’individualisme s’accentue. Le paradoxe de notre civilisation moderne n’est plus à démontrer tant les contradictions sont flagrantes. La technique a tué les relations, d’où le mal-vivre avec son cortège de désillusions. Le monde est-il en train de creuser sa propre tombe? Chaque jour qui passe nous rapproche des temps de la fin, de la disparition irrémédiable de toute forme de vie. En effet, notre écosystème se détruit chaque jour un peu plus. La destruction des forêts, des mangroves et des coraux, la pollution atmosphérique et maritime, le bétonnage à tout va, etc., font que notre planète est devenue un lieu de plus en plus invivable, avec son lot de catastrophes et de cataclysmes. Alors, que faire? Croiser les bras et attendre? Sombrer dans la résignation? Non! Car la planète Terre n’appartient pas aux hommes, encore moins à l’Ennemi des âmes, mais à Dieu. Le devoir premier du chrétien est de soutenir la Création de Dieu. Si la foi est importante, la préservation de la Création l’est aussi! Je comprends les nouveaux romantiques! Et les écologistes en particulier. Certes, et on le verra plus loin, je n’approuve pas toutes leurs idées ou 9


options idéologiques, mais j’admire leur courage et leur ténacité. Comme eux, je discerne une angoisse face à l’avenir et, plus encore, une révolte à peine contenue. L’avenir est incertain, et l’inquiétude croît. Des temps difficiles s’annoncent… Pour moi, le souvenir du chemin de Blonay est déjà lointain car bien des années ont passé. Entre-temps, le 11 septembre 2001, le tsunami du Sud-est asiatique le 26 décembre 2004, la crise des subprimes en 2007 aux USA qui engendra par la suite un grave désordre financier à l’echelle planétaire et le terrifiant tremblement de terre le 11 mars 2011 qui a violemment secoué le nord du Japon, suivi d’un gigantesque tsunami aux effets dévastateurs, ont provoqué un changement de mentalité dans le monde. Et beaucoup disent: «Ça ne sera plus jamais comme avant»… Et pourtant, la Terre continue de tourner… Le Romantisme nouveau est là. Il est déjà présent dans tous les rouages de notre société. Le combat des nouveaux romantiques, comme celui du XIXe siècle, est désespéré, sinon perdu d’avance. Mais la lutte ne fait que commencer. Aboutira-t-elle? A l’aube de ce troisième millénaire, chacun est convaincu qu’il se passera «quelque chose». Certains disent: Le monde va s’améliorer! D’autres: Nous courons à la catastrophe! Qui a raison? Puisse cet ouvrage contribuer à proposer quelques pistes de réflexion...

Delle, août 2011 et Vouvry, janvier 2012

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CHAPITRE I

Le retour du Romantisme

Il y a dans le coeur de tout homme un relent de romantisme. Autrefois, nos aînés parlaient souvent, avec nostalgie et regret, du «bon vieux temps». Le «bon vieux temps»? C’était la «Belle Epoque», ce temps d’insouciance qui précéda la première guerre mondiale avec Mistinguett1, la Belle Otéro2, Max Dearly3 ou Mata-Hari4; ce fut aussi la période de l’entre-deux guerres, les «Années folles», avec Maurice Chevalier, Marie Dubas, Damia5, Lys Gauty6 ou encore Lucienne Boyer.7 Aujourd’hui, le romantisme est de retour. Un romantisme qui ne porte pas encore de nom, mais qui se manifeste imperceptiblement dans notre société.8 Certes, il se présente sous une autre forme, mais l’esprit et le fond en sont les mêmes. Le retour à la Nature et à l’exaltation du moi qui permettent de l’identifier se retrouvent chez bon nombre de nos contemporains. Les chrétiens 1 2 3 4 5 6 7 8

Jeanne Bourgeois était son nom de famille. Elle s’appelait Caroline Otero. Roland Lucien était son vrai nom. Son patronyme était Margaretha Zelle. De son vrai nom Marie-Louise Damien. Son nom était Alice Gauthier. Elle se prénommait Micheline Boyer. Une publicité d’une grande maison de meubles helvétique avait comme slogan «Romantisme et confort».

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eux-mêmes, et notamment ceux qui prônent l’expérience religieuse, n’échappent pas à la tentation de ce néo Romantisme. Car le Romantisme9 revient en force. Et il tend à se développer en particulier dans les milieux artistiques, intellectuels, et mêmes scientifiques. Et finalement partout! En ce début de millénaire, nous assistons progressivement à l’éclosion de nouveaux modes de pensée. La vie trépidante que nous menons jour après jour nous amène à nous poser des questions de plus en plus précises sur le sens et le but de la vie: «Pourquoi se tuer au boulot, pourquoi travailler pour travailler, pourquoi courir sans cesse?» etc. Certes, il y a les loisirs, mais quels loisirs? Pour se retrouver assis des heures derrière un écran vidéo ou pianoter sans cesse sur le clavier de son ordinateur? Les vacances? Après des bouchons interminables... Nous arrivons ainsi à ce paradoxe: l’homme du XXIe siècle s’ennuie. En dehors de son travail (idole ou corvée), il passe la plus grande partie de son temps à ne rien faire: il fait la grasse matinée, remplit une grille de sudoku, regarde la télévision, promène son chien... L’homme moderne est déboussolé. Il a cru de tout son cœur que la technique allait transformer son existence et lui procurer enfin le bonheur. Aujourd’hui, il déchante. Au lieu du bonheur attendu, il expérimente une certaine saturation. Quant à l’avenir politique et économique, il est sombre et de plus en plus nombreux sont ceux qui prédisent que notre société court à la catastrophe. Un climat de crainte commence à envahir nos cœurs et nos pensées. Et l’homme, cet être doué de volonté et de réflexion s’interroge: Où va le monde? Et surtout, quelle sera la place de l’homme dans le troisième millénaire? Sera-t-il un homme nouveau? Connaîtra-t-il enfin la joie de vivre?... Les hommes et les femmes de notre temps sont de plus en plus nombreux à être lassés d’une vie où s’enchaînent travail et loisirs, une vie vouée à de petits désirs et de petites ambitions, une vie sans but apparent. La morosité économique, l’instabilité politique contribuent fortement à saper le moral du pays. Aujourd’hui, plus personne, ou presque, ne croit aux promesses des hommes politiques. Le problème est crucial. L’homme d’aujourd’hui est à la recherche d’un nouveau style de vie. Il cherche, mais en vain, une vie qui soit plus en harmonie 9

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Pour une meilleure compréhension du sujet, nous avons choisi de délimiter «les» romantismes. En effet, nous faisons la distinction entre le pré Romantisme, le Romantisme et le néo Romantisme. Le premier correspond à l’époque de Jean-Jacques Rousseau tandis que le Romantisme a pour point de départ l’année 1830 (La «bataille d’Hernani»). Nous admettons, cependant, que les frontières entre le pré Romantisme et le Romantisme sont floues... Quant à l’avènement du néo Romantisme, nous pouvons le situer vers 1960 avec l’avènement de l’écologie.


avec la nature et la Création, plus calme, une vie qui lui permette d’exprimer ses sentiments, sa joie ou sa douleur, dans un voyage sans fin. L’homme du XXIe siècle rêve de liberté, d’espace infini et son âme aspire à redécouvrir la beauté perdue de la Nature. Tout son être tend vers l’absolu. Il est à la recherche de son âme et de son identité. Voilà le drame de l’homme occidental: la technique l’a rendu profondément malheureux. L’homme cherche le bonheur, mais il ne trouve en fin de compte que tristesse et désillusion... La destinée de l’homme est - et restera - un mystère. Créature de Dieu, l’homme semblait promis au bonheur éternel. Mais le péché, le mal, est apparu et la vie est devenue un cauchemar. La maladie et la mort ont fait leur apparition. Un mur de séparation a été dressé entre Dieu et sa créature: l’homme a dû quitter le jardin d’Eden, ce lieu du bonheur. Par la suite, la haine viendra bouleverser les relations humaines, Abel est assassiné par son frère. Dès lors, l’histoire des hommes ne sera qu’une longue suite de calamités et de désastres. Un enfer quotidien chaque jour reflété sur les écrans de télévision.

L’apprentissage de la Liberté Le romantisme est donc de retour. Face à la vie moderne que d’aucuns qualifieraient d’absurde, les hommes de notre génération poussent des soupirs et parfois se révoltent ou fuient le climat empoisonné de notre civilisation. Malgré la morosité ambiante, l’homme espère un changement. A vrai dire, il n’y croit pas, mais il aspire timidement à un renouveau de la qualité de vie. En attendant, l’homme moderne fuit dans ses pensées, il tourne en lui-même et sur lui-même. Ses états d’âme le troublent ou le passionnent. Il s’écoute plus qu’il n’écoute les autres; cependant, il cherche au plus profond de son être la vérité. Car son bonheur est au centre de ses préoccupations. Pour cela, il se remet en question et, peu à peu, il va s’éloigner du «système technicien» pour retrouver les «valeurs simples» de la Nature. Il fuira le bruit infernal ou incessant de son travail pour retrouver le calme et la quiétude, il cessera de courir ici et là pour s’arrêter et contempler d’un regard nouveau la Nature. Le contact s’établit aussitôt. La Nature, à l’inverse de la Machine10 - froide, logique et impersonnelle - est vivante et source d’inspiration et de repos. Au milieu de la Nature, l’homme retrouve ses origines et son cœur se libère de toute contrainte: c’est la liberté. Or, le Romantisme est précisément ce sentiment de liberté que procure l’épanouissement de l’âme, ou du Moi, au contact de la Nature...

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Cf. Chapitre II.

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Le Romantisme est dans son ensemble un idéalisme poussé à l’extrême, une soif de perfection dans l’amour et une métaphysique panthéiste. L’amour, la paix, le bonheur, tels sont les désirs des hommes de notre temps. De nos jours, le mot «romantisme» est galvaudé ou, tout simplement, mal compris. Pour beaucoup de gens, les expressions «rétro» et «romantique» sont équivalentes. Or être «rétro», c’est être nostalgique d’un passé relativement récent, c’est revivre tant bien que mal un passé révolu. Ainsi, le collectionneur de voitures anciennes, la passion pour les locomotives à vapeur ou pour les grands voiliers. Etre «rétro», c’est recréer une ambiance, un lieu, une œuvre artistique. Finalement, le «rétro» n’est qu’une mode ou un hobby. D’autres confondent «sentimentalité» et «romantisme». Là encore, il faut être clair. Les ruptures de fiançailles sont une épreuve qui meurtrit, mais ce n’est pas encore du romantisme! Se promener au bord d’un lac par un magnifique soleil couchant ou pleurer de tout son être sous un saule pleureur n’est pas davantage du romantisme! Le Romantisme est bien plus que cela, c’est bien plus que des battements accélérés du cœur ou des larmes, mêmes très chaudes! Le Romantisme est un art et une philosophie humaniste. C’est pourquoi, il nous apparaît nécessaire de définir le Romantisme du XIXe siècle puis, dans les chapitres suivants, de le mettre en parallèle avec le néo Romantisme.

Définition du Romantisme Face au destin implacable et à la douleur, le «héros romantique» espère à la folie, ou désespère de tout. Le romantique est une personne déchirée: il vit un drame quasi perpétuel, il est victime des circonstances, des vicissitudes de l’existence, il ne triomphe jamais. C’est est un homme vaincu, un homme à l’âme brisée. Le Romantisme peut ainsi se définir comme une maladie de l’âme. Le cri pathétique de l’homme romantique est avant tout le cri du cœur, un cri de l’âme. C’est un cri qui se perd dans la nuit, dans la nature ou dans l’espace mais un cri essentiellement humain... Certes, et c’est là le défaut majeur du Romantisme, les sentiments tendent parfois à la démesure ou à l’exaspération. Mais ce cri de douleur de l’âme, a de quoi nous interpeller au plus profond de nous-mêmes et, aussitôt, une question se pose: Pourquoi le Romantisme? Et surtout, il faut avoir le courage de se poser une autre question: Sommes-nous romantiques?

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A la découverte de nouvelles valeurs Le romantisme est de retour et beaucoup d’hommes et de femmes abandonnent leurs valeurs traditionnelles subitement périmées par le matérialisme11 pour se tourner vers d’autres vertus ou principes. La tendance actuelle montre bien que bon nombre de nos contemporains sont bel et bien des romantiques qui s’ignorent. Car les sentiments humains, mais aussi religieux sont toujours là et mettent en évidence un état d’insatisfaction. Le Romantisme s’exprime entre autres choses par la révolte intérieure de l’homme face à ses limitations et aux injustices criantes de notre société. Mais le Romantisme est plus qu’une révolte contre l’arbitraire d’un régime politique ou d’une économie dévoyée, c’est un message qui se projette dans l’avenir. Georges Gusdorf le dit en langage clair: «La fonction du poète ne consiste pas à construire des vers selon certaines règles, pour le plaisir de l’oreille et l’agrément de l’imagination; le poète, l’artiste a une mission sacrée d’éveilleur des âmes, d’annonciateur prophétique d’une vérité qui échappe au commun des hommes.»12 Les Romantiques sont en quelque sorte des prophètes méconnus. Avant les autres, ils ont «senti» la dérive du monde industriel, ils ont alerté leurs contemporains du danger imminent, mais personne n’a prêté l’oreille à leurs appels. Et le monde s’est enfoncé peu à peu dans le matérialisme ambiant, synonyme de réussite sociale, morale ou esthétique. En l’état de notre réflexion, il nous apparaît nécessaire de fournir une définition du Romantisme ancien et moderne et ce n’est pas, loin de là, une tâche facile. En effet, les explications de ce mot ne manquent pas, les critiques et les contradictions non plus. La difficulté vient principalement de ce que le Romantisme n’est pas une philosophie structurée, ni même une pensée homogène. Même si le panthéisme constitue un tronc commun, l’individualisme des Romantiques a rendu impossible l’élaboration d’un concept philosophique ou doctrinal. D’ailleurs, la pensée romantique a été reprise par des non romantiques, les sectes ésotériques et le Nouvel Age. Les cas de Johann Gottlieb Fichte, de Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling ou Ernst Haeckel sont explicites: leurs philosophies d’essence panthéiste n’ont jamais fait d’eux des romantiques au sens propre du terme.

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Par matérialisme, nous entendons l’état d’esprit caractérisé par la recherche du plaisir et des biens matériels. G. Gusdorf, Le Romantisme, tome 1, p 466, Editions Payot & Rivages, Paris, 1993.

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Elargissement du «Romantisme» dans le monde moderne Le Romantisme du XIXe siècle demeure présent dans notre société moderne. En effet, la technique n’a pas amélioré la condition humaine, loin de là, et il semblerait que l’état moral et spirituel de notre monde aboutit à la décadence et à la dégradation des mœurs et des vertus fondamentales. Ce qui était vrai autrefois l’est encore aujourd’hui, nous assistons au déferlement d’autres valeurs pour le moins contestables, notamment éthiques. Le simple citoyen a l’impression d’être gouverné par des hommes ou des femmes esclaves d’un système politique qui permet de trop grandes inégalités. Le peuple soit il réagit violemment, soit il ne réagit plus, ou mollement, et l’écart entre les classes sociales se creuse peu à peu... Face à ce déséquilibre croissant, entre riches et pauvres, les nouveaux romantiques commencent à se faire entendre. Des voix, comme celles de Viviane Forrester ou d’Albert Jacquard s’élèvent contre la tyrannie de l’économie et de la technique. Par ailleurs, et dans un autre registre, José Bové s’oppose vainement à l’hégémonie politique et économique des Etats-Unis, dont les Mac Donald’s seraient le symbole. Il y a chez ce paysan syndicaliste des traces d’un romantisme à tendance révolutionnaire. Sa volonté à défendre l’agriculture traditionnelle et ce combat désespéré, pour une cause perdue (les OGM), suscite tantôt l’admiration tantôt la sympathie. Car la liberté d’expression disparaît peu à peu et le monde croule sous des lois de plus en plus contestables. Les grandes «conquêtes» révolutionnaires ou politiques, la liberté d’expression entre autres, sont plus ou moins muselées par des lois de plus en plus oppressantes. Dès lors, nous comprenons les romantiques d’aujourd’hui! Face au danger (les OGM en particulier) qui menace notre planète, des hommes et des femmes, dans un élan désordonné, lancent des avertissements afin de responsabiliser nos contemporains. Le nouveau Romantisme essaie de découvrir de nouvelles valeurs morales, mais aussi économiques et politiques. Les romantiques d’aujourd’hui ne sont plus de perpétuels «pleurnichards», saisis de frissons et d’angoisse, mais des hommes et des femmes qui se battent pour que la Terre redevienne un «Paradis», ou à défaut un lieu vivable. De nos jours, le romantisme se veut à la fois proche de la Nature13 et proche des hommes. Etant généralement apolitique et très souvent anti religieuse, la nouvelle vague romantique comprend non seulement des lettrés, mais aussi des hommes et des femmes issus de toutes les classes de la société. Avec les années, le Romantisme nouveau prend de l’ampleur et, de tous les côtés, un 13

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Le goût récent des jardins individuels proposés pour logements sociaux n’est-il pas un signe annonciateur du retour à la Nature?


climat de protestation, d’actions violentes parfois, se manifeste au gré des événements politiques, en particulier lors des grandes réunions mondialistes. Pour bien comprendre le retour du Romantisme, il est nécessaire de comprendre ce que furent les vagues pré romantique et romantique qui secouèrent le continent européen aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces deux types de romantisme historique révèlent, en effet, d’étranges similitudes, notamment dans les arts et l’écologie (redécouverte de la Nature) mais aussi de profondes contradictions dans l’application des solutions proposées: Comment peut-on vivre heureux sur cette terre? Telle était la perpétuelle question des romantiques… Le Romantisme est encore et toujours synonyme de malaise, de mal-vivre et parfois d’angoisse face aux événements politiques ou économiques. Les romantiques ont toujours eu l’intuition d’une catastrophe, en ce sens qu’ils pressentent au plus profond d’eux-mêmes le malheur qui va les frapper et, plus encore, un terrible fléau qui, tôt ou tard, va frapper le monde. Les néo romantiques pressentent une rupture, idéologique ou politique. Ce fut le cas autrefois avec Victor Hugo contre «Napoléon le petit».14 Le problème est le même: la fracture entre la pensée romantico-écologiste et l’idéologie dominante de notre époque, celle de la révolution informatique qui a succédé à la révolution industrielle. Le nouveau Romantisme n’est autre qu’une fracture entre la Nature et la société moderne, symbolisée par la Machine. On peut donc imputer ce retour du romantisme par l’attitude constante du romantique de tout temps qui s’est opposé à la destruction de la Nature. Hier comme aujourd’hui, l’intuition romantique a toujours été présente, mais apparemment personne n’a prêté oreille aux appels. Car le Romantisme nouveau est déjà une réalité... Le romantisme est de retour! Il se retrouve sous différentes appellations. Sous le couvert de l’écologie, des mouvements alternatifs, mais aussi des échecs de la science («bavures nucléaires», pollution, «vache folle», déréglementation climatique, etc.). Les hommes commencent à comprendre que la technique est allée peut être trop loin et un certain nombre d’entre eux ont l’impression que notre propre destruction se planifie d’année en année… Plus qu’une impression, c’est un constat. L’écologie, née dans les années 1960, en est la manifestation la plus visible. Peu à peu, les événements vont dans le sens d’une action concertée. L’écologie va se structurer et devenir une force politique dans nos pays industrialisés.15 Cela a été d’autant plus facile que les désastres écologiques (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima), et en particulier les dérèglements clima14 15

Napoléon III. Qui est devenu depuis lors un parti politique très proche de la gauche.

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tiques, ont sensibilisé un grand nombre de gens aux méfaits de la pollution. Surtout l’influence des médias... Dans les années quatre-vingt, le Nouvel Age va connaître un succès foudroyant et rivaliser avec l’écologie. Sous couvert de défense de la nature, ces deux courants de pensée apparemment antagonistes16 vont s’imposer tant au niveau des idées que de la politique. Désormais, la «fibre écologique» devient peu à peu une composante de notre société moderne. Les thèmes de Nature et de Bonheur fusent de partout. Prenons le cas du cinéma. C’est un fait incontestable que de nos jours le 7e art connaît un regain de qualité dans ses productions. Les «bons films» ne sont plus rares, et le public ne s’y trompe pas. L’amour romantique est de plus en plus prisé par les réalisateurs, notamment ceux d’outre-Atlantique.17 De même la peinture affiche un retour vers l’impressionnisme18 et nombre de galeries que nous avons visitées ont remis la Nature au premier plan. La forme, les lignes, les couleurs où les thèmes expriment un sentiment de bonheur et de quiétude (sauf exceptions!). Seule la littérature ne suit pas le mouvement, sauf aux États-Unis. Nous y trouvons une aspiration profonde de l’âme à surmonter ses problèmes et à vaincre le destin, ou plutôt la crainte d’un avenir inconnu. Un dernier constat sera celui du retour du Romantisme politique, surtout depuis le fameux 11 septembre 2001. Face au terrorisme islamique, et à son prolongement, la guerre en Irak et en Afghanistan, un vaste courant pacifiste s’est développé à travers le monde. La paix? Qui ne la désire pas au plus profond de lui-même? Les romantiques d’autrefois aspiraient à la quiétude et à la paix de l’âme; les néo romantiques, eux, soupirent après la paix, ou plus exactement l’absence de conflits, même si le régime de Saddam Hussein persécutait avec une extrême cruauté ses opposants. Au moment où ces lignes ont été écrites (2006), malgré la disparition de ce régime dictatorial, les soldats américains étaient toujours présents... Et le monde se berce toujours d’illusions à propos d’un «monde meilleur». Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des guerres! Le Romantisme nouveau est bel et bien présent dans notre monde, bien qu’il soit pour le moment invisible, du moins aux non-initiés. Car l’exaltation des sentiments et du concept de Nature salvatrice va se manifester dans tous les domaines de la vie, parallèlement au thème du bonheur perpétuel, comme autrefois au Moyen Age 16 17 18

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Le Nouvel Age est d’essence spiritualiste tandis que les mouvements écologistes se sont depuis lors politisés. Dans le film Titanic, nous voyons l’amour le plus sublime côtoyer la mort... Il ne faut pas confondre l’impressionnisme, dont les maîtres furent Edouard Manet, Claude Monet, Paul Cézanne, Edgar Degas, Vincent van Gogh, Auguste Renoir, etc., avec l’art conceptuel apparu dans les années 60.


avec Nicolas Flamel et les alchimistes. L’ancienne alchimie ressuscite discrètement et, d’ores et déjà, on peut s’attendre à des rhétoriques triomphalistes. Notre Humanité s’apparente à un perpétuel balancier: Tantôt la raison et ses stratégies, tantôt les sentiments et les arts ou les deux ensemble, selon les situations! Entre les deux une incompatibilité quasi absolue. L’opposition entre le réalisme scientifique et l’idéalisme artistique est une réalité que nul ne peut ignorer. Elle traduit l’état de notre société. En contrepoint à la puissance montante de la technologie, la réaction romantique se profile avec vigueur par le biais des arts. A l’heure de la civilisation informatique, nous sommes obligés de constater que le nombre d’artistes, de galeries, de «marchés de Noël» et d’artisans se multiplient d’année en année.19 Certains prétendent que le nouveau Romantisme n’est autre qu’une nostalgie du passé, un passé à tout jamais révolu. Dans un certain sens, c’est vrai, mais c’est plus qu’une rétrospection du passé. C’est l’art de vivre en harmonie avec la Nature. Plus encore, vivre en osmose avec la Création. Les nouveaux romantiques, et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit, ont le désir secret de revivre le bon vieux temps.20 En d’autres termes, retrouver les lieux de son enfance, les vieux copains d’autrefois... Le romantisme, tel un phénix, renaît dans tous les secteurs de la vie politique, économique et culturelle. Un écrivain bien connu, Christian Signol, éminent romancier de l’Ecole de Brive, a retracé avec quelques serrements de cœur son enfance et ses moments de bonheur d’autrefois. Le temps a passé, les souvenirs restent et le vague à l’âme le saisit dans son être tout entier. Nous nous risquons à appeler cela du «Romantisme»... Ces lignes expriment parfaitement ces moments de contentement à jamais révolus: «Tant de trésors me reviennent à la mémoire; tant de choses qui restent intactes et le resteront toujours. Car, au-dessus de mon village, le ciel est toujours bleu; il est sorti du temps. Il vit en moi, comme vivent tous ceux qui l’habitaient alors, à commencer par mon grand-père et ma grand-mère qui furent les premières pierres précieuses d’un monde, d’une époque, dont je n’ai pas assez profité, pour n’en avoir vraiment

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Le Marché de Montreux a attiré plus de 400’000 personnes en 2010! Les brasseries romantiques sont de nos jours très recherchées. Le «Bar américain & Café anglais» de Lyon, que nous avons connu dans les années 50, est une véritable institution. L’intérieur, restauré à l’original, est cossu et les fresques, boiseries et mobilier sont du style Second Empire; de même, les restaurants à l’ancienne connaissent un regain d’intérêt: tel est le cas du Restaurant «Bel Air» à Saint-Victor, Allier.

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mesuré la richesse et la fragilité que trop tard. Ce village, je le sais, j’en suis sûr, c’était un avant-goût du paradis».21 Qu’on le veuille ou non, le Romantisme nouveau pointe à l’horizon! Reste à savoir s’il va s’imposer. Pour le moment, du moins en Europe, il ne semble pas avoir pris son essor. Le déclic aura-t-il lieu? L’avenir nous le dira…

Du Romantisme d’autrefois au neo Romantisme Pour beaucoup d’hommes et de femmes d’hier et d’aujourd’hui, la Nature, c’est la Vie. C’est apparemment le seul lieu où l’homme peut s’épanouir sans contrainte. Notre Romantisme du XXIe siècle prend ses sources au XVIIIe siècle déjà. L’influence de la Réforme s’estompe, le libéralisme théologique et philosophique prend son essor et va marquer la société tout entière, surtout le monde artistique. Ce sont les nobles qui cautionneront ce courant de pensée d’où émergera peu à peu une nouvelle façon de vivre et de raisonner. Désormais, le monde était entré dans l’ère moderne. Chacun pouvait exprimer ses idées sans pour autant encourir les foudres du clergé ou de la maréchaussée. C’est dans ces circonstances-là que le Romantisme fraya le sentier qui devait conduire notre civilisation à l’état actuel. Dès le milieu du XVIIIe siècle, le pré Romantisme22 est en rupture avec tout un système de pensée - le classicisme - puis avec les Lumières. Le caractère parfaitement antinomique de ces deux courants d’idées n’empêchera pas le pré Romantisme, et plus tard le Romantisme, de se dresser face à leurs prétentions respectives, littéraires et idéologiques. Le pré Romantisme se définit surtout comme un Romantisme informel (dominance du sentiment, états d’âme...). Il n’a pas de frontières nettes et pas de doctrine. Cette nouvelle école surgira à l’aube de la Révolution française. Cette réaction, en fait une profonde mutation, va bouleverser de fond en comble le monde littéraire, et même politique. A l’origine de cette «révolution», la «découverte» du cœur et des sentiments, de la Nature et du bonheur possible. Désormais, sous le couvert de la liberté d’expression et de la fraternité entre les hommes, une nouvelle communauté pourrait effectivement naître. Le monde deviendrait meilleur et le bonheur, une réalité tangible. Tels étaient les objectifs des premiers romantiques… Qui sont aussi les nôtres en ce XXIe siècle.

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Christian Signol, Bonheurs d’enfance, Editions V.D.B., 237 p., 1998, Paris. Le pré Romantisme est ce mouvement littéraire et artistique qui apparut à la fin du XVIIIe siècle et qui s’appuie sur les sentiments, l’imagination, l’intuition et la sensibilité. Ainsi, on peut considérer en Jean-Jacques Rousseau un préromantique. En d’autres termes, il s’agit d’une réaction contre les Lumières.


La Révolution a joué pour tous les romantiques un rôle charnière, notamment avec la Terreur, mais aussi avec l’exaltation du règne de la raison. Par réaction, l’imagination et la sensibilité des romantiques deviennent des facultés intellectuelles qui font du poète un prophète ou un mage. Ce fut le cas pour Victor Hugo. En effet, l’idée de puissance et d’énergie est la source des écrits hugoliens. Dans son ouvrage Fonction du poète, l’écrivain devient prophète, le guide de l’Humanité, éclairant les hommes à la lumière de son savoir et de sa clairvoyance. Ces versets le prouvent: «Peuples! écoutez le poète! Ecoutez le rêveur sacré! Dans votre nuit, sans lui complète, Lui seul a le front éclairé. Des temps futurs perçant les ombres, Lui seul distingue en leurs flancs sombres Le germe qui n’est pas éclos. Homme, il est doux comme une femme. Dieu parle à voix basse à son âme Comme aux forêts et comme aux flots.»23 Etre romantique, c’était se situer dans un autre monde, vivre autrement, avec des sentiments parfois exacerbés. Le romantique est celui qui vit le mal du siècle comme une épreuve perpétuelle; et le paradoxe est vivace chez lui: alors que tout ce qui l’entoure est beau et merveilleux, l’inquiétude et la mélancolie le saisissent et l’amènent à expérimenter une sorte de fusion avec une Nature à la foi impersonnelle, sauvage et indomptable. Le romantique est victime d’une tension entre le «maintenant» et le «pas encore», entre le monde réel et le monde irréel ou utopique. Les nouveaux romantiques vivent la même situation que nos contemporains, du moins au niveau des sentiments. Certes, les conditions ne sont pas les mêmes, mais l’état d’âme est identique. En effet, le néo romantique espère, envers et contre tout, à l’avènement d’un monde meilleur, notamment par le moyen de l’égalité sociale et de la fraternité des peuples. Il est intéressant de comparer le Romantisme du XIXe siècle avec le néo Romantisme du XXIe siècle. Certes, il y a des différences, notamment sur le plan social (Assurance maladie, caisses de retraites, etc.), mais l’état d’esprit est, à peu de choses près, le même, notamment par rapport à l’âme. En effet, l’homme d’hier et d’aujourd’hui réagira de façon identique en fonction des

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V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, p. 249, Gallimard, 1970.

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aléas de la vie. La joie ou la tristesse, le bonheur ou le malheur, etc., seront toujours là au moment où l’on ne s’y attend pas...

Eléments constitutifs du Romantisme Le néo Romantisme de notre époque est une résurgence du pré Romantisme du XVIIIe siècle et, plus encore, du Romantisme24 du XIXe siècle. Pour bien comprendre le retour du Romantisme, il nous fait saisir ce que furent les romantismes des XVIIIe et XIXe siècles. En effet, l’histoire des hommes est constituée de «découvertes» qui ne sont en fait que des phénomènes récurrents! Dans tous les cas, le cadre du Romantisme est la Nature. Le lieu est aussi très important, il est beau, agréable. Ce sera un lac, un paysage idyllique, etc. Une fois le décor planté, l’homme va essayer de vivre dans la quiétude et le bonheur. Et la complexité de l’âme romantique va apparaître dans toute son ampleur...

Le Moi Ce qui frappe d’emblée dans le Romantisme, c’est le Moi. Georges Gusdorf l’affirme justement: «l’âge romantique est le temps de la première personne.»25 Il est évident que le Romantisme du XIXe siècle est une réaction contre l’universalisme des Lumières, mais aussi contre le moi «haïssable» de la morale chrétienne. De ce fait, l’émotion devient une dimension essentielle de l’existence et de la réalité. Le Moi est donc central dans le Romantisme car il peut déterminer ou juger l’intimité de la conscience. Le Moi serait donc à la base de notre vie. Non seulement il détermine nos émotions mais aussi notre façon de penser ou d’agir. Nous citons à nouveau Gérard Gengembre: «Il s’agit d’une réalité sensible et affective à la fois, une sensibilité vitale qui exprime à la conscience l’état global de l’organisme, toile de fond pour les états d’âme. On perçoit donc l’existence d’un inconscient. Toute la psychologie romantique en procède. L’ordre émotionnel devient une dimension essentielle de la réalité et de l’existence humaine.»26 Le Moi est donc à la première place. Mieux, il est exalté. Il est aussi l’objet et la cause du mal vivre des romantiques. Le Moi espère ou désespère, mais il est au centre de toute l’existence romantique.

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Il serait peut-être plus juste de parler de romantismes. En effet, l’adjectif, devenu avec le temps un substantif, provient du mot «roman», issu de «romano» qui signifiait «écrit d’un genre nouveau non soumis à des règles.» G. Gusdorf in G. Gengembre, Le Romantisme, p. 30, Editions Ellipses, Paris, 2008. G. Gengembre, ibid., p. 30.


Ce Moi va s’extérioriser de diverses façons. Tantôt, ce sera le ravissement et la joie parfaite, tantôt ce sera la mélancolie et la tristesse. Le Moi, quelle que soit la situation vécue est, et sera, toujours au centre du romantique. Alfred de Vigny s’exprime sur un registre négatif. Ces lignes énoncent le désespoir du poète face aux «fléaux du ciel»: «Or, il faut le dire hautement, depuis ce matin j’ai le spleen,27 et un tel spleen, que tout ce que je vois, depuis qu’on m’a laissé seul, m’est en dégoût profond. J’ai le soleil en haine et la pluie en horreur. Le soleil est si pompeux, aux yeux fatigués d’un malade, qu’il semble un insolent parvenu; et la pluie! Ah! de tous les fléaux qui tombent du ciel, c’est le pire à mon sens. Je crois que je vais aujourd’hui l’accuser de ce que j’éprouve. Quelle forme symbolique pourrais-je donner jamais à cette incroyable souffrance? Ah! j’y entrevois quelque possibilité, grâce à un savant. Honneur soit rendu au bon docteur Gall (pauvre crâne que j’ai connu!). Il a si bien numéroté toutes les formes de la tête humaine, que l’on peut se reconnaître sur cette carte comme sur celle des départements, et que nous ne recevrons pas un coup sur le crâne sans savoir avec précision quelle faculté est menacée dans notre intelligence».28 Gérard de Nerval s’exprime dans un autre registre. Il croit au retour du Paradis terrestre! Ces lignes montent bien l’illusion des romantiques, celle de Nerval en particulier: «Je me promenai le soir plein de sérénité aux rayons de la lune, et, en levant les yeux vers les arbres, il me semblait que les feuilles se roulaient capricieusement de manière à former des images de cavaliers et de dames portés par des chevaux caparaçonnés. C’étaient pour moi les figures triomphantes des aïeux. Cette pensée me conduisit à celle qu’il y avait une vaste conspiration de tous les êtres animés pour rétablir le monde dans son harmonie première, et que les communications avaient lieu par le magnétisme des astres, qu’une chaîne non interrompue liait autour de la terre les intelligences dévouées à cette communication générale, et les chants, les danses, les regards, aimantés de proche en proche, traduisaient la même aspiration. La lune était pour moi le refuge des âmes fraternelles qui, délivrées de leurs corps mortels, travaillaient plus librement à la régénération de l’univers».29

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Le spleen est la mélancolie passagère sans cause apparente et qui est caractérisée par le dégoût de toute chose. A. de Vigny, Stello, p. 35, G.F. Flammarion, Paris, 2008. G. de Nerval, Aurélia, pp. 302-303, G.F. Flammarion, Paris, 1990.

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L’âme du romantique est complexe! La diversité des états d’âme y est pour quelque chose et cela va se traduire par une vie chaotique dans une époque qui ne l’est pas moins. Il ne faut pas oublier, en effet, le contexte historique du Romantisme: les Révolutions de 1789, 1830 et 1848 et la Commune (1871). Le contexte révolutionnaire a fortement influencé la pensée romantique. De l’espoir d’un monde meilleur à la désillusion, tel a été le cheminement des romantiques du XIXe siècle.

De la complaisance à la mélancolie Et le premier «symptôme» romantique n’est autre que la mélancolie,30 ou plutôt comme nous l’avons effleuré avec Vigny, le spleen. Charles Baudelaire est celui qui a popularisé ce terme. Ses poèmes expriment un état de mélancolie extrême. Nous lisons: «Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle Il nous fait un jour noir plus triste que les nuits.»31 Et encore: «Je suis comme le roi d’un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux, Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes, S’ennuie avec ses chiens comme avec d’autres bêtes. Rien ne peut l’égayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en face du balcon. Du bouffon favori la grotesque ballade Ne distrait plus le front de ce cruel malade; Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau, Et les dames d’atour, pour qui tout prince est beau, Ne savent plus trouver d’impudique toilette Pour tirer un souris de ce jeune squelette. Le savant qui lui fait de l’or n’a jamais pu De son être extirper l’élément corrompu, Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent, Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,

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Du grec melagcoli,a, mélagkolia. Ce mot signifie littéralement «bile noire», d’où «humeur noire» ou «mélancolie». Ch. Baudelaire, Spleen LXXVIII in Les Fleurs du Mal, p. 113, Gallimard, Paris, 1996.


Il n’a su réchauffer ce cadavre hébété Où coule au lieu de sang l’eau verte du Léthé.»32 Dans les Fleurs du Mal, Baudelaire retrace la tragédie de l’être humain. Cette démarche est louable, mais laisse un peu songeur... En effet, la «beauté du mal» est, pour lui, une réalité. Malgré cela, il va de l’avant, et le spleen va se révéler dévastateur: Baudelaire fait appel au vice, à la luxure, aux «paradis artificiels», et même à la mystique occulte. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que Baudelaire soit une personne mélancolique, et même dépressive. En effet, ses «élans» vers une vie idéale sont constamment freinés par la pauvreté ou la maladie. Bref, le «spleen» prend le dessus en toute occasion. Pourtant, Baudelaire ne reste pas inactif. La poésie, l’amour, les «paradis artificiels», l’occultisme sont pour lui les seuls remèdes à sa mélancolie noire... Pour lui, le dernier remède n’est autre que le grand voyage vers un «autre monde»! Ainsi donc, pour la plupart des romantiques, l’homme est voué à la souffrance. Pire, c’est une fatalité. D’où la complaisance à la mélancolie. Le romantique finit par s’enfermer dans la tristesse dont il semble avoir besoin! En fin de compte, l’homme est voué à la douleur et au déchirement. Finalement, la mélancolie, synonyme de déclin, est symbolisée par l’automne et ses tempêtes. Un automne empreint de tristesse et de mélancolie. Et l’hiver va mettre fin au bonheur...

«Le Mal du siècle» Chaque siècle apporte son lot d’événements plus ou moins heureux. Il n’y a jamais eu de siècle heureux! A chaque fois, l’homme a dû s’adapter aux circonstances favorables ou non. L’homme a dû dans tous les cas s’accommoder aux situations! Le XIXe siècle est celui du «Mal du siècle». De Chateaubriand à Hugo en passant par Musset ou Vigny, ce fléau est quasi universel. Le «mal du siècle» n’est autre que l’ennui, ou plutôt le mal-vivre. Certes l’oisiveté, à ne pas confondre avec la paresse, a été au centre de l’état moral et spirituel des romantiques. C’est un malaise lié à l’insatisfaction qui se répercute sur le moral de la personne. En d’autres termes, au lieu de vaincre une situation difficile, le romantique va, au contraire, subir les effets négatifs liés à des difficultés soi-disant insurmontables. 32

Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen LXXVII, ibid., p. 112, Gallimard, Paris, 1996. Le Léthé serait un des fleuves de l’Enfer. Les ombres étaient obligées de boire pour oublier le passé.

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Au lieu d’apporter un remède au «mal du siècle» qui sévit chez les jeunes gens de l’époque, Chateaubriand, dans René, met la mélancolie à la mode; il influence aussi, plus ou moins directement, Alfred de Musset avec la Confession d’un enfant du siècle. Chateaubriand écrit ces lignes en 1802: «Heureux Sauvages! Oh! que ne puis-je jouir de la paix qui vous accompagne toujours! Tandis qu’avec si peu de fruit je parcourais tant de contrées, vous, assis tranquillement sous vos chênes, vous laissiez couler les jours sans les compter. Votre raison n’était que vos besoins, et vous arriviez mieux que moi au résultat de la sagesse, comme l’enfant, entre les jeux et le sommeil. Si cette mélancolie qui s’engendre de l’excès du bonheur atteignait quelquefois votre âme, bientôt vous sortiez de cette tristesse passagère et votre regard levé vers le Ciel cherchait avec attendrissement ce je ne sais quoi inconnu qui prend pitié du pauvre Sauvage».33 La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe ont été marqués par la Révolution française, les guerres napoléoniennes et la Révolution de 1830 a pour tous un rôle charnière, celui de la terreur et l’exaltation du règne de la raison. Par réaction, l’imagination et la sensibilité deviennent des facultés intellectuelles qui font du poète un prophète (Victor Hugo) ou même un mage. Alfred de Musset résume en 1836 de façon très claire l’état d’esprit de ses compatriotes: «Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes; le peuple qui a passé par 93 et par 1814 porte au cœur deux blessures.34 Tout ce qui était n’est plus; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux».35 En effet, la Révolution Française et l’Empire napoléonien sont les causes plus ou moins directes du Romantisme du XIXe siècle. L’échec de la Révolution et la défaite de Napoléon 1er ont suscité beaucoup de nostalgie dans les milieux intellectuels, notamment chez les écrivains et chez certains compositeurs, dont Hector Berlioz. Ce «mal du siècle» est l’apanage de tous les romantiques. Plus qu’un malaise existentiel, le romantisme se caractérise par la sensation d’être laissé pour le 33 34

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Chateaubriand F. R., Attala, René, Les aventures du dernier Abencérage, p. 175, Flammarion, Paris, 1996. La date de 1793 est très importante. Elle correspond à l’exécution de Louis XVI, de la reine Marie-Antoinette, des Girondins et du duc d’Orléans, Philippe-Egalité, de son vrai nom Louis-Philippe d’Orléans. Par ailleurs, la Convention instaure la Terreur. L’année 1814 est celle de la restauration du Royaume de France avec Louis XVIII. A. de Musset, La confession d’un enfant du siècle, p.35, Editions Gallimard, Paris, 1973.


compte, pire d’être incompris dans une société qui évolue dans la technique et le matérialisme. La société évolue trop vite, l’industrialisation tend de plus en plus à s’imposer, ceci au dépend de la Nature. Les véritables origines du Mal du siècle ne sont autres que les Lumières et surtout la Révolution française de 1789. Toute la société a été chamboulée. La confrontation entre les nantis contre les pauvres est devenue une réalité. Désormais, la société ne sera plus comme avant. Surtout qu’une certaine liberté d’expression se répand très rapidement chez les nobles comme chez les écrivains ou artistes. Pourtant, le romantique du XIXe siècle, en proie d’un idéalisme violent, «vague des passions», s’en prend à la société, à l’esprit «bourgeois». Face à l’évolution de la civilisation, le romantique éprouve un profond malaise et devient, malgré lui, un anticonformiste. Le Mal du Siècle est aussi un malaise existentiel que vivent les intellectuels, surtout les écrivains et les poètes. Ils ont l’impression qu’ils sont des laisséspour-compte par l’Histoire et, surtout, par la société de leur temps. Or, il s’avère que le romantique éprouve un sentiment d’inadaptation face aux bouleversements historique ou sociologique. Le Romantique ne parvient pas à s’identifier au monde; pire, il s’accuse lui-même, critique la société, l’«esprit bourgeois» notamment. Bref, le romantique moderne n’est autre qu’un anti conformiste. Car le monde évolue très vite, trop vite. Cela était vrai au XIXe siècle, c’est toujours le cas de nos jours. Face au développement rapide de la société, l’homme doit s’adapter, de gré ou de force, sous peine d’être relégué dans les bas-fonds de la collectivité. Bref, les romantiques ont l’impression d’être des perpétuels incompris. C’est la raison pour laquelle ils éprouvent une continuelle incertitude dans leur existence. Dès lors, ils se sentent blessés dans leur âme, et cela se manifeste par une mélancolie exacerbée par l’alternance des désirs et des doutes, des enthousiasmes et des chagrins. Le Mal du Siècle, c’est aussi le désenchantement. Balzac dans Peau de Chagrin et Stendhal dans Le Rouge et Noir, mettent en évidence la perte des repères spirituels et moraux contrariés par les Lumières et le cours trop rapide des événements. Mais c’est aussi le refus, du moins la méfiance à l’égard du progrès. Victor Hugo le dit en des termes clairs: «Nous appelons science un tâtonnement sombre. L’abîme, autour de nous, lugubre tremblement, S’ouvre et se ferme; et l’œil s’effraie également De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage. 27


Sans cesse le progrès, roue au double engrenage, Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un.»36 Le culte du progrès technique et matériel, les conquêtes scientifiques avec le développement de l’industrie n’est qu’une facette du «mal du siècle». Ce que Hugo dénonce, c’est le déclin, c’est la face sombre de l’économie et son revers inhumain. La civilisation du XIXe siècle est le prélude du mal vivre de notre présent siècle. Nous développerons ce thème pour le moins important au chapitre suivant

Le destin Le destin romantique est impitoyable. Nul ne peut y échapper. Là encore les romantiques ont été à la fois des acteurs et des victimes d’un destin parfois impitoyable. Le premier qui fit scandale ne fut autre que Victor Hugo dans une pièce qui fit grand bruit, Hernani.37 C’est une histoire d’amour de trois hommes: don Carlos (le futur Charles Quint), le vieux don Ruy Gomez de Silva et Hernani qui aiment secrètement Doña Sol de Silva. L’action se situe en Espagne, en 1519. Mais la jalousie de don Ruy Gomez va contraindre doña Sol et son amant Hernani au suicide. L’homme est impitoyablement marqué par le destin. Le héros romantique, en l’occurence Hernani, sait qu’il ne peut pas faire autrement, le destin l’attend au contour. Il s’écrie: «Oh! par pitié pour toi, fuis! Tu me crois peut-être Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva. Détrompe-toi! Je suis une force qui va! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres! Une âme de malheur faite avec des ténèbres! Où vais-je? Je ne sais. Mais je me sens poussé D’un souffle impétueux, d’un destin insensé. Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête. Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête, Une voix me dit: Marche! Et l’abîme est profond, Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond! Cependant, à l’entour de ma course farouche, Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche!

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V. Hugo, Voyage de Nuit in Les Contemplations, p. 358, Gallimard, Paris, 1973. La première représentation eut lieu à Paris, le 25 février 1830, à la Comédie Française.


Oh! fuis! Détourne-toi de mon chemin fatal. Hélas! Sans le vouloir, je te ferais du mal!»38 Le destin romantique est effroyable, nul ne peut y échapper. Pire, c’est, à la limite, du fatalisme. Hernani et Doña Sol sont irrémédiablement condamnés. Pour eux, plus d’espoir, ils vont vont mourir. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que cette pièce fît scandale. La fin tragique de Doña Sol et celle d’Hernani par empoisonnement, et pour finir, celui de Don Ruy Gomez qui se poignarde alors sur leurs corps, marqua le début du Romantisme en France. A l’issue de la représentation, une violente échauffourée opposa les classiques aux romantiques. La Bataille d’Hernani fut le point de départ de l’évolution d’un nouveau type société. Ce fut une révolution éthique et sociologique dont le moteur fut le libéralisme de pensée. Désormais, la création artistique ou littéraire prime sur l’éthique, chrétienne en particulier. Et, de nos jours, qu’on le veuille ou non, l’œuvre de Victor Hugo est toujours d’actualité. Selon Hugo, le romantique, cet être à part, est voué à un destin sur lequel il n’a aucune prise et il est destiné à souffrir. Le romantique va mettre à profit cette insatisfaction pour échapper au monde soit par le rêve (l’imagination) qui est «la reine des facultés». Il s’agit, en fait, d’une évasion dans le temps et dans l’espace...

Rêve, rêverie et désenchantement Tous les romantiques ont été des rêveurs. Certes, tous ne l’étaient pas, ils ont aussi été des réalistes, notamment sur le plan de l’évolution de la société. Mais l’homme romantique est toujours en quête de bonheur et de félicité. Et, dans bien des cas, ce fut l’échec. Seul l’état de rêve parvient à apaiser les tourments de leur âme. Mais le rêve romantique est très souvent de la rêverie. Si le rêve tient de la normalité, notamment les rêves qui se produisent durant note sommeil. La rêverie, en revanche, est un état de conscience passif dans lequel l’âme médite. A la base, il y a l’intuition psychique ou parapsychologique qui fait que celui qui s’y adonne reste passif. Il ne pense pas, il ne réfléchit pas, il ressent... Celui qui s’adonne à la rêverie peut passer des heures à méditer; il se trouve alors dans un état second. Lamartine rêve... A Milly, lorsqu’il était jeune, il rêvait... Parvenu à l’âge adulte, il s’adonne toujours à la rêverie. Il pense, il se souvient du passé, il tourne en rond dans ses pensées... Et, en arrière-fond, il y a Elvire. Elle n’est 38

V. Hugo, Hernani, Acte III, scène IV, p. 109, Gallimard, Paris, 1995.

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plus et l’automne est déjà là. Et Lamartine pense à l’avenir, il se met à rêver... Il met en vers ses pensées: «Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire; J’aime à revoir encore, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois.»39 Les romantiques ont tous rêvé d’un monde meilleur. Ils ont cru que la Nature allait les consoler. Mais la Nature est parfois désarmante. Face au destin impitoyable, le rêve serait de prime abord la solution pour résoudre ses problèmes existentiels. Et c’est également vrai pour Gérard de Nerval: «Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres: le monde des Esprits s’ouvre pour nous.»40 Aujourd’hui, ce sont les hommes politiques ou les écologistes qui rêvent d’un monde meilleur. Une société égalitaire et juste n’est qu’une illusion qui ne touche plus le peuple. Pour la décennie qui vient de s’écouler, les statistiques montrent bien que le peuple a subi une perte de moral, et qu’il ne se fait plus d’illusions... Le rêve s’efface devant la réalité des faits. Seuls quelques «rêveurs» s’illusionnent encore d’un monde meilleur. Des hommes politiques, de même que certains écologistes, rêvent d’une société idéale. Mais, ils sont de plus en plus rares. En effet, pour la décennie qui vient de s’écouler, les événements montrent bien que le peuple a subi une perte de moral, et qu’il ne se fait plus d’illusions, notamment à propos d’une société égalitaire et humaniste. De plus en plus, les hommes et les femmes voient leurs espoirs s’évanouir. Le monde est-il en train de perdre ses certitudes? Le désenchantement moral et spirituel réapparaîtrait-il? Car, il faut souligner que le problème n’est pas nouveau...

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A. de Lamartine, Méditations poétiques, L’automne, p. 111, Gallimard, Paris, 1981. G. de Nerval, Aurélia, p. 251, Flammarion, Paris, 1990.


Ce fut le philosophe allemand Max Weber (1864-1920) qui, le premier, utilisa l’expression «désenchantement du monde» (Entzauberung der Welt). Pour lui, le désenchantement est perçu principalement comme un déclin des religions. Par ailleurs, il désigne clairement l’avènement de la science moderne comme une autre cause du désenchantement du monde: le progrès de la science, en écartant toute possibilité d’explication surnaturelle, semble atrophier la place accordée au rêve et à l’imagination humaine et, de ce fait, crée une certaine souffrance. L’expression de Max Weber va être reprise par Marcel Gauchet.41 Ce que le philosophe allemand avait préssenti, Gauchet va donner un sens plus spirituel au mot «désenchantement». Dans son livre, Le Désenchantement du monde publié en 1985, il met en parallèle le passage du polythéisme au monothéisme avec comme corollaire la naissance de l’État. Ce désenchantement est dû à l’effondrement du religieux dans l’action politique. Autrement dit, le religieux est peu à peu éliminé tant sur le plan social que politique. La philosophie de Marcel Gauchet42 est consacrée à l’histoire du sujet démocratique. Ce projet d’anthropologie démocratique dépasse le domaine de l’histoire politique et se présente comme une enquête philosophique sur l’être-ensemble, l’autonomie comme programme collectif, la conjonction de la souveraineté sur soi et de la souveraineté politique. C’est pourquoi ses livres parcourent d’un même mouvement l’histoire de l’Etat, l’histoire politique de la religion, l’histoire de l’émergence de l’individu et celle des formes politiques en France depuis la Révolution. Ainsi donc, pour Gauchet, le monde est désenchanté parce qu’ils a perdu ses repères religieux. Autrement dit, la «sortie de la religion» est la cause de l’hétéronomie43 qui sévit dans notre société moderne. L’abandon de la foi serait la cause indirecte du désanchantement du monde. Mais précisons que Gauchet, qui reste bien un intellectuel marxiste, ne regarde pas ce phénomène comme étant réellement un désenchantement mais comme une transformation. La simple constatation qui établit que le mot de «désenchantement» n’apparaît en réalité pas une seule fois dans le contenu 41 42

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Marcel Gauchet, né en 1946 à Poilley (Manche), est un historien français. Il est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et rédacteur en chef de la revue Le Débat (Gallimard).. La pensée de Gauchet est à la fois compliquée et subtile. En effet, elle traite le sujet de la société moderne en trois axes principaux: l‘anthropologie, la politique et la philosophie. Ces trois thèmes sont la base de la philosophie du «désenchantement du monde». Par ailleurs, il met en parallèle le passage du polythéisme au monothéisme avec la naissance de l’Etat. L’hétéronomie est le fait d’être influencé par des facteurs extérieurs, d’être soumis à des lois ou des règles dépendant d’une entité extérieure (TLF).

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de son livre doit conduire le lecteur à comprendre que Gauchet n’envisage pas cette transformation comme étant une perte. Quoiqu’il en soit, cette vision du monde de Gauchet, censée rendre compte d’un progrès dans l’humanité, reste foncièrement abstraite et ne fournit pas de clés permettant de véritablement «penser» un monde malade et menacé, comme cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises dans ce livre. Et, justement, un autre intellectuel, Jean-Pierre Dupuy,44 a écrit un petit livre au titre étonnant: Pour un catastrophisme éclairé. Cet ouvrage, qui se lit facilement, a le mérite de poser les vraies questions, celles de la probabilité d’une catastrophe à l’échelle planétaire. Ses propos nous interpellent: «La catastrophe a ceci de terrible que non seulement on ne croit pas qu’elle va se produire alors même qu’on a toutes les raisons de savoir qu’elle va se produire, mais qu’une fois qu’elle s’est produite elle apparaît comme relevant de l’ordre normal des choses. Sa réalité même la rend banale.»45 Par ailleurs, il écrit: «Le monde a vécu l’événement du 11 septembre moins comme l’inscription dans le réel de quelque chose d’insensé, donc d’impossible, que comme l’irruption du possible dans l’impossible. La pire horreur devient désormais possible, a-t-on dit ici et là. Si elle devient possible, c’est qu’elle ne l’était pas. Et pourtant, objecte le bon sens (?), si elle s’est produite, c’est bien qu’elle était possible.»46 Entre l’impossible et le possible, la marge est infime. Le catastrophisme éclairé de Dupuis montre bien que tout est possible. En définitive, la pensée de Gauchet, et plus encore celle de Dupuis, nous rappelle que l’avenir du monde ne tient qu’à un fil... Et n’oublions pas de rappeler le livre de l’apôtre Jean, l’Apocalypse. qui nous rappelle avec force les temps de la fin. Autrement dit la fin du monde, de notre monde... Revers de la médaille, un autre philosophe, Frédéric Lenoir47, né en 1962 à Madagascar, tient un tout autre langage. Sa philosophie se base sur les personnes de Socrate, Jésus et Bouddha. Pour comprendre la vie, il faudrait, 44 45 46 47

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Jean-Pierre Dupuy est professeur de philosophie sociale à l’Ecole polytechnique et à l’université Stanford /Silicon Valley, sud de San Francisco. J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, p. 85, Editions du Seuil, Paris, 2002. J.-P. Dupuis, ibid., p.10. Philosophe et écrivain français, il est docteur de l’École des hautes études en sciences sociales avec une thèse sur le bouddhisme par rapport à l’Occident. Il est aussi chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales depuis 1991.


selon lui, opérer un retour sur soi, si l’on veut avoir une chance de changer le monde. Son dernier livre, La guérison du monde, paru en 2012, est un best-seller. Se basant sur l’état actuel du monde, il démontre avec justesse l’état du monde actuel. Pour lui, le monde est malade. Les multiples crises, qu’elles soient écologiques ou financières, prouvent que le monde va une une catastrophe... Mais à l’inverse de Max Weber, Marcel Gauchet ou de Jean-Pierre Dupuy qui affirment que la destinée du monde est plutôt négative, Frédéric Lenoir, lui, fait preuve d’un optimisme étonnant. Pour lui, le monde peut se guérir. La pensée de Lenoir s’inspire du Romantisme. Nous lisons: «Loin de se réduire à un courant poétique ou une forme d’expression littéraire, le romantisme constitue une authentique vision du monde. Multidimensionnel, l’impératif romantique est une contestation en règle de la conception matérialiste, mécaniste et désenchantée qui prévaut dans la civilisation moderne occidentale. Face aux tenants du mécanisme qui privilégient l’approche rationnelle et cartésienne d’une nature objectivable, il s’inspire des divers courants (...) pour leur opposer la vision d’une nature vivante, c’est-à-dire organique. Les romantiques montrent que la vision mécaniste affecte l’ensemble de l’existence humaine, et sont convaincus qu’elle est l’expression d’une logique de mort. Ce qui se joue là, dans la culture européenne, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, c’est l’élaboration d’une pensée aux accents divers qui entend proposer une alternative à la vision mécaniste du monde héritée du réductionnisme et qui imprègne déjà en GrandeBretagne, comme elle le fera bientôt en France, la civilisation capitaliste issue de la révolution industrielle»48 La conclusion de Lenoir est très personnelle: «Si le capitalisme traduit, selon la célèbre définition de Max Weber, le désenchantement du monde, l’alternative romantique constitue une tentative désespérée de ré-enchantement du monde».49 Ainsi donc, il y a, d’un côté, les partisans du désenchantement du monde et, de l’autre, le défenseur de la «guérison du monde». Les avis des scientifiques et des philosophes sont de toute évidence contradictoires. Entre le rêve et la réalité, il y a un mur infranchissable. Sans pour autant être négatif, nous pensons plutôt que l’avenir de notre planète va dans le sens du «désenchantement»... 48 49

F. Lenoir, La guérison du monde, pp. 243-244, Arthème Fayard, Paris, 2012 F. Lenoir, ibid., p. 244.

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Paul Ranc

Le retour du Romantisme

A l’aube de ce troisième millénaire, chacun est convaincu qu’il se passera «quelque chose». Certains disent: «Le monde va s’améliorer!» D’autres affirment: «Nous courons à la catastrophe!» Qui a raison? Puisse cet ouvrage contribuer à proposer quelques pistes de réflexion...

L’auteur est né à Paris en 1945. Marié, deux enfants et trois petits-enfants. Formation de photographe, puis études théologiques à l’Institut biblique de Nogentsur-Marne. En 1982, il est consacré diacre de l’Eglise Réformée du canton de Vaud. Son ministère l’amène à s’intéresser aux divers mouvement religieux, et plus encore à l’Histoire. Il a écrit des études historiques et donne des conférences sur les thèmes de la Réforme et des Réveils.

Romantisme Paul Ranc

Le retour du Romantisme

Le Romantisme nouveau est là. Il est déjà présent dans tous les rouages de notre société. Le combat des nouveaux romantiques, comme celui du XIXe siècle, est désespéré, sinon perdu d’avance. Mais la lutte ne fait que commencer. Aboutira-t-elle?

Le retour du

ISBN 978-2-8260-2009-7

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