Man Sésé

Enfin un peu de lumière. Il me tardait vraiment que mes portes de bois soient ouvertes. Cela fait si longtemps, que je ne sais même pas en quelle année nous sommes. Personne ne venait me voir. Ni les enfants, ni même les petits enfants. « Apa jé, pa mènm on koud balé yo pa vinn passé pou wòté twèl zanrégné é poul bwa ». Mes seuls visiteurs et amis étaient les chats de gouttière.Ma propriétaire avait raison quand elle disait de son vivant : « Timoun, pi yo ka grandi, pi yo ka vinn engra ». Et pourtant, vous savez, tous les enfants de ma propriétaire sont venus au monde sous ma grande robe de bois. Que voulez-vous c'est la vie !!! Mais quand même, je ne demandais pas grand-chose, juste une petite visite, de temps en temps pour faire passer le vent sous mon chapeau de tôle.

Enfin bref, ce n'est pas grave, heureusement que ces étrangers sont

Man Sésé Texte : Olivier Gripacus Illustration : LifeisDzign

venus me voir aujourd'hui. Je suis sûre qu'ils voudront prendre des photos avec moi ! Même si an ni on bèl laj, je suis certaine qu'ils me trouvent belle. N'est-ce pas messieurs ? Bonjour je suis Man Sésé de kazkamo. D'ailleurs, laissez-moi demander à mes voisines comment elles me trouvent depuis le temps. « Man Ava, Man Netty!!! Mè pouki yo paka réponn mwen? Man Wowo ! Konsi yo pala ankò ! Où sontelles ? » Attendez, c'est quoi ça ? Ce ne sont pas des cases créoles ? Elles ne sont pas en bois ? Yo té ké di masonn ! Et en plus il y en a plein autour de moi! Je n'avais jamais vu ça avant ! Ka yo ka gadé kon sa ! Et puis, pourquoi suis-je dans un tel état ? Mon chapeau de tôles est tout troué, et quant à ma belle robe de bois, elle est toute déchirée ! Mwen an chèpi ! Ce n'est pas possible ! Que m'est-il arrivé ? Pourquoi mes parents m'ont-ils abandonnée ? Pourquoi m'ont-ils laissée seule, subir tant de malheurs ? Moi qui pensais être le « poto mitan » de cette famille, moi qui pensais que notre héritage était solide. Malheureusement rien de tout cela n'a évité leur trou de mémoire. Ces messieurs vont sans doute faire ce qu'il faut, j'en suis sûre. Car on ne peut laisser l'histoire et le patrimoine disparaître ainsi. Je voulais vous raconter mon histoire, mais je pense que je n'en aurai pas le temps. Il faut que je les laisse remettre mon ossature en forme.

Bizarrement, ils n'ont pas les mêmes outils qu'avait ma propriétaire, quand elle voulait me refaire une « tite » beauté. Il n'y a que cet engin qui fume sans cesse en faisant un bruit assourdissant. « Gwo machinn lasa ka fè mwen pè o séryé ! » On dirait vraiment qu'il veut me dévorer avec ses grosses dents pointues. « An ka mandé mwen ka yo kay fè avè sa ? »