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Les randonnées et leurs vestiges
Texte et Photos : Corinne DAUNAR
Zébrure à travers morne, lacets interminables sur le flanc infini d’un piton capricieux, horizon long du trait de côte sans brume, à chacun son souvenir impérissable d’un temps de randonnée. Parfois, ces chemins balisés s’invitent en cœur de ville, où détournent via un hameau paisible. Le point commun de l’ensemble de ces traces ? Elles donnent à voir, au mitan de bucoliques parcours, les marques encore vivaces des vestiges bâtis de l’île.
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Des lignes en terre
Certains sentiers de la Martinique puisent leur originalité des patrimoines aux fondements encore puissamment élancés qu’ils donnent à voir. Pour ces premières foulées, rendez-vous sur la côte Atlantique, au-delà de Tartane, sur l’un des sites naturels les plus singuliers de l’île : la presqu’île de la Caravelle. Premier jalon, l’insolite château Dubuc et ses ruines hérissées. Bâtie dès 1725, l’exploitation agricole est abandonnée aux affres du temps à partir du début XIXe, après avoir souffert d’un pillage par les Anglais, de la faillite familiale et du départ des derniers héritiers. Restauré, nettoyé, le site est désormais offert aux randonneurs du Parc Naturel Régional de la Martinique, où quelques moellons de basalte, chaux et coraux témoignent encore de la demeure coloniale.
Aux panoramas perchés
Haut encore sur la même presqu’île, c’est une tourelle plus aérienne qui se dégage avec le Phare de la Caravelle, sémaphore le plus élevé de France qui culmine a près de 162m. Si ses proportions sont modestes (quelque 14 mètres de pierre basaltique et de structure métal), il survit pourtant à toutes les tempêtes, et offre ses façades vermeilles


à la satisfaction de nombre de marcheurs. L’emplacement, lui, est précieux, pour qui souhaite capturer l’imprenable panorama de la région, parfois par-delà le canal, vers la Dominique. En changeant de sentier, et l’en retrouvant la fraicheur vallonnée de Fonds Saint-Denis, serpente une autre puissante présence historique : celle du canal de Beauregard, monumental goulot accroché entre 1760 et 1770 à flanc de morne par des centaines d’esclaves, sous l’impulsion de M. Beauregard. L’objectif de cette entreprise faramineuse : irriguer les moulins puis les villes de la côte Caraïbe par temps de carême. L’immense construction constitue un patrimoine en lui-même, où les 35cm d’épaisseur du mur de soutènement mènent par moment à des à-pics profonds. Les ravins et courbes de niveau offrent ici de splendides paysages et rappellent l’ingéniosité des bâtisseurs, au couvert de la rivière du Carbet.
Et sentiers littoraux
Nouveau bond, nouvelle côte, c’est au Lorrain que peut se poursuivre la marche archéologique : sur les traces du tout récent et premier sentier de Grande Randonnée de la Martinique, le SLNA (Sentier Littoral Nord Atlantique) se dévoile un facétieux et encore peu foulé parcours, qui mène le randonneur au chevet des vestiges de l’habitation la Crabière. Sur le tracé, une apparition inattendue : les lourdes piles d’un ancien viaduc ferré, partie intégrante d’un réseau vapeur de l’époque du sucre intensif.
Plus loin, ce sont les derniers pans de bâtiments de stockage et d’une jetée d’embarquement, pour l’envoi de la production en baril vers les goélettes mouillées plus au large. C’est une occurrence similaire qui surgit aux premiers pas de la somptueuse randonnée qui relie le Prêcheur, côté Caraïbe, à Grand-Rivière, côte Atlantique. Ici, ce sont les rares marques de l’habitation Couleuvre qui s’offrent à de nombreux curieux : sucrière, productrice de rhum, de cacao, de citron même, l’exploitation semble portée par mille destinées : lourdement blessée par l’éruption de la montagne Pelée, l'habitation se replie à mesure sur elle-même : son ultime occupante, Manon Tardon, s’y éteint en 1989. Depuis, ses ruines ont intégré le Conservatoire du Littoral : la nature, elle, y reprend pleinement possession de ses droits, à tel point que l’on peine à y retrouver les anciennes traces de culture.


