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Rue Arago en Martinique
Texte : Corinne Daunar
RUE ARAGO, UN BRIN D’HIER DANS UNE RUE D’AUJOURD’HUI
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Si l’on dit que le nom des rues est le point de départ d’une histoire alors la ville de Fort-de-France nous enrichit de ses brèves. Et parmi elles, la plus prisée des Foyalais est sans doute la rue François Arago, qui court de la pointe Simon à la place Clémenceau comme un dernier souffle de l’hyper-centre avant d’atteindre la rive droite du canal Levassor.
Samedi matin. Le soleil darde ses rayons sur la rue François Arago déjà grouillante de chalands affairés.
Mais avant de nous fondre dans le charivari quotidien du cœur vibrant de Foyal, remontons la grande horloge du temps et plongeons-nous dans une Martinique qui entre dans le XXe siècle avec la catastrophe du 8 mai 1902. Avec l’anéantissement de sa capitale, Saint-Pierre, fait de Fort-de-France le centre principal d'accueil des sinistrés du Nord et, de fait, l’héritière de l'activité commerciale et du négoce de la disparue Venise tropicale. Et ce n’est que le début d’un nouvel essor : dans les années trente, la ville de Fort-de-France compte déjà près de 45 000 âmes qui déambulent joyeusement dans les rues dédiées aux métiers du tissu, modistes, merceries au détail ou boutiques de tailleurs. En ce samedi donc, la rue François Arago, l’une des plus fréquentées et des plus singulières du centre-ville fait de cette journée ses choux gras. Mais l’endroit n’a pas toujours porté ce nom. C’est d’un autre François, Blondel celui-là, qu’elle tire son premier baptême, en hommage à l’ingénieur du roi qui établit les dessins de Fort Royal en 1675. Plus tard, c’est cependant un certain Arago, figure dominante de la science française et fervent partisan de l’abolition de l’esclavage qui retient l’attention des élus de l’époque. Et pourtant in fine c'est bien la malice des clients nombreux qui baptisent, dans la vraie vie, la petite chaussée étranglée : pour tous, elle est désormais la Rue des Syriens.
Et sa renommée n’est pas volée : c’est un groupe vibrant qui en fait la notoriété, celui des levantins.
Et cette communauté soudée y prospère depuis un enchainement d’années : si leur creuset est levantin, de Syrie, du Liban ou de la Palestine, la rue Arago est devenue un fief familier et rassurant pour ces voyageurs d’Orient. Rapidement, les différentes générations suivantes multiplient les pas-de-porte et ouvrent des vitrines emplies de joyeusetés. Elles attirent les élégantes, les couturières et les ménagères de tout partout : désormais l’on se vêt chez le Syrien. À tel point que cette artère et son atmosphère sont entrées dans la littérature martiniquaise. Patrick Chamoiseau évoque l’insouciance d’un gamin du quartier, au cœur « d’antan l’enfance » ; Raphaël Confiant lui aussi y prête sa plume, consacrant le destin unique de Wadi, tout juste débarqué dans ce qu’il croyait être les Amériques dans les lignes de sa « Rue des Syriens » : « Midi approchait, la meilleure heure pour faire des affaires… c’était à qui achèterait le plus de culottes en dentelles ou de robes fleuries…le bonheur de l’Orient était l’un des magasins les plus achalandés de la rue François Arago… »
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Mais cette rue Arago des années vingt est aujourd’hui bien différente
Le temps, cependant, peut se montrer cruel : l’implantation des grands centres commerciaux et les zones artisanales ont délocalisé l’offre et la demande et les vitrines fleurissantes de l’époque sont en berne. Restent, incorruptibles, le bijoutier et les échoppes d’images pieuses, les boutiques de beau linge pour toutes les occasions ou prêt-àporter à prix modéré aux noms poétiques la Bonne Aubaine, au Mercure, l'Ange Créole ou la Modestie. Mais la joyeuse animation tend à s’étioler et, ajoute Raymonde installée dans son petit commerce de colifichets, « les boutiques désormais condamnées à espérer… » La rue Arago, iconique rue des Syriens, reste pourtant ancrée à la croisée des chemins et des modes de vie. Qu’on se le dise, l’on y viendra encore de loin pour y dégoter de bonnes affaires.
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Le saviez-vous ?
Les noms de rues, les odonymes datent du Moyen Âge et étaient attribués en fonction de la situation de la rue ou du lieu qu’elle desservait. Au XVII, la dénomination fonctionnelle change pour des noms de personnages politiques, artistes ou notables qui s’affichent aux croisements. À la Révolution, ces célébrités laissent place à des valeurs du moment alors que sous l’Empire, ils rappellent plutôt les grandes victoires. De nos jours, les noms de rues n’ont plus de nomenclature précise et c’est un mélange de toutes les tendances historiques qui préside au baptême de ces petites artères citadines.