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Man Albè
Texte : Olivier Gripacus Illustration : LifeisDzign
Bonjour mes très chers lecteurs, je suis Man Albè. J'ai décidé de vous parler d'un temps que les plus de 60 ans ont forcément connu. Les moins de 20 ans évidemment ne peuvent pas le connaître. Mon histoire est celle d'une petite case créole, vivant dans un quartier en périphérie du centreville de Pointe-à-Pitre. Mes propriétaires, mes nombreuses voisines et moi, nous vivions tous très simplement. Jusqu'au jour où, en un éclair, je suis devenue populaire. –« Pourquoi ? » Vous demandez-vous. Avant de vous en dire plus, il faut que vous sachiez que le mari de ma propriétaire était docker. Il travaillait dur mais gagnait bien sa vie. Nous sommes en 1965, le mari de ma propriétaire installe dans la seule pièce de ma robe de bois, cet étrange objet. Tout à coup je sens mon chapeau de tôles s'alourdir. Il y a ces deux "manglouss" qui me marchent dessus. "Mè ka yo ka fè konsa" ? Et puis ils n'arrêtent pas de crier « i bon la? » "Nou ka touné a dwat ou a gòch" ? Mais qu'est-ce que font tous ces gens devant mes portes de bois ? Ils étaient au moins une vingtaine, là, à pointer du doigt ce bidule qui ressemblait drôlement à une boîte. Et la seule phrase qui sortait de leur bouche : " jòd la nou kay gadé télé "! Il y avait des enfants, déjà installés par terre, à fixer curieusement l'objet. Quant aux jeunes, ils jouaient des coudes pour avoir la meilleure place. Ma propriétaire elle, savait se faire entendre, et plaçait les gaillards par taille. "Vou!! métew la, intèl ay dèyè-la, é dépéché zòt sa kay koumancé" ! Je n'avais jamais vu ma propriétaire déplacer la grosse commode pour quiconque. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Je n'y comprends rien. "Lévwaz vinn édé mwen ralé sa" ! Chiiiiiiiiiiiiii ce son bizarre sortait de la boîte. Tous s'étaient tus en
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une fraction de seconde et la regardaient comme hypnotisés. Mais qu'était-ce au juste ?
Un logo ORTF était apparu, puis quelqu'un s'était mis à parler ; " Ici Basse-Terre radio-télédiffusion française. Il est 19h00" ! Oh, oh ! Voilà que la musique sortait de la boîte. C'était une chanson que toutes les personnes assises ou debout sur mes planches de bois connaissaient et chantaient d'une voix forte. Surprise, des images apparaissent ! Des images de l'outre-Atlantique mais aussi de chez nous, en Guadeloupe. Les yeux des badauds brillaient. L'excitation était encore montée d'un cran. Les enfants mangeaient des bonbons, les adultes se passaient des gâteaux ou du soda. Tout ceci était ponctué de commentaires populaires bien de chez nous. En effet, le programme avait changé. La boîte à images montrait des hommes sur des chevaux et d'autres se bagarrant. Sur ce, arrive celui que l'on surnommait "kilè" essoufflé comme un bœuf tirant. Il demande de toutes ses forces s'il a raté le western « Bonanza ». "Pé la tibwen !" fût une réponse unanime. Je n'ai compris que bien plus tard d’où il tirait son surnom de "kilè". Le pauvre bougre était toujours en retard. Il restait 2h30 sur les 3h00 de diffusion générale. Personne ne voulait perdre ne serait-ce qu'une miette des « Incorruptibles », de « Belphégor » ou de « Thierry la Fronde ». Quant aux tout-petits, ils attendaient impatients, « Nicolas et Pimprenelle ». Tous les soirs de 19h00 à 22h00, les habitués étaient au rendez-vous sous mon chapeau de tôles. La boîte à images était un luxe pour l'époque et l'attraction du quartier. Même en noir et blanc, ces 3 heures étaient toujours colorées. "Sété Man Albè an dirèk dè Kazkamo. An ka étènn bwèt a imaj-la. A dèmen sipètadié" !