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La carafe fait bombance

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Tataki de thon

Tataki de thon

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Texte & Photos : Corinne DAUNAR LA CARAFE FAIT BOMBANCE

Le répertoire d’aujourd’hui des tendres souvenirs d’enfance se nourrit souvent joyeusement des intérieurs chamarrés des grands parents. Là, un bataillon d’objets sans âge, aussi quotidiens que banals pour les grandes personnes, promet une ribambelle de souvenirs aux petits pouces : nasse à ouassous, bois lélé, moulin à café ou fer à repasser ancien, tous fleurent bon le temps révolu de l’enfance. Et pourtant, il en est un, héritage désaltérant, qui perle encore sur un coin de comptoir : la carafe en terre cuite, savant gardien des fraicheurs de mornes !

Histoire d’eau

Il n’y a pas si loin dans le temps, l’eau courante n’avait pas encore entamé son marathon, les fontaines publiques naissaient à peine, les réfrigérateurs n’étaient qu’une fiction. Les gardiens de foyers ne tarissaient pas d’idées pour se désaltérer avec une eau aussi fraiche qu’agréable au palais. Dans un fantastique débrouya pa peché, chacun trouvait source d’inspiration dans son environnement pour capter le précieux liquide et parer aux besoins du quotidien : case à eau, citernes, pierres à filtrer pompes et robinets pour les plus récemment équipés… l’épopée n’est pas de tout repos avant de pouvoir déposer eau pure fraiche sur la table de la salle à manger. Première étape : la captation ! Souvent, l’eau captée après la pluie, ou puisée dans la source d’une rivière était stockée dans une grande jarre non vernissée, originaire du sud de la France. Fabriquées à Biot, Vallauris ou Aubagne elle avaient servi au transport des denrées avant d’être reconverties. Ces « Dobann » comme on les appelait, étaient vendues sur le marché pour organiser les besoins en eau du quotidien. L’on y plongeait un morceau de souffre pour l’assainissement et une chassepagne (de l’anglais saucepan, casserole) équipée de son long manche et sa calebasse évidée était posée à proximité pour fournir l’eau du foyer. Pour la consommation de bouche, c’est finalement dans d’altières carafes de terre cuite que l’on conservait et rafraichissait l’eau. Bien aérées, surmontées de leurs petits bouchons de la même glaise, ces jarres s’alignaient sur le banc à potiches et étaient suffisamment espacées pour que l’air circulant la maintienne en tout temps une eau délicieusement fraîche prête à consommer.

Pas si cruche la carafe!

La carafe ou potiche emplissait son office au moment du repas. Aussi précieuse qu’une prunelle, elle était parfois dotée d’une anse ou d’un étroit col que la main ferme étranglait sans danger de la voir échapper. En ces temps-là, il était d’usage d’avoir au long court des carafes de tailles différentes posées sur le marbre d’une petite table pour conserver la fraicheur de l’eau et un arsenal de timbales dans lesquelles chacun pouvait venir se désaltérer au plus chaud de la journée. Si tailles et formes dépendaient de la fantaisie du potier, il subsiste encore de cette tradition deux modèles de carafes que l’on retrouve encore

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sur les étals du potier. Le ventre gonflé de ces petites amphores pouvait souvent recevoir d’un à deux litres de liquide. Si la forme peut varier à la marge, avec ou sans anse, bec verseur ou non, le goulot, lui, reste et le flanc bombé comme il faut.

Un savoir-faire qui se transmet avec application et passion.

Et à la genèse de toutes ces cruches, vient l’artisan-potier. Assis sur son petit banc rond et ses longues jambes enserrant la girette, Zeb, fin tourneur, s’active depuis plus de trente ans… alors les carafes il connait ! Une grosse motte de terre, trois fessées sur le flanc de la matière, et voilà bientôt que surgit des mains habiles une carafe tournoyante, où déjà se distingue le profil bombant. Encore un geste sûr, le pouce dans la colonne, et se dégage un très long col : la potiche est née. Il lui faudra encore une journée pour être sortie du four et rejoindre, à des degrés de là, le buffet du foyer. Alors qu’il suffit aujourd’hui de tourner le robinet ou d’ouvrir le réfrigérateur pour obtenir une eau aussi courante que fraiche, les intérieurs n’en démordent pas de la petite carafe en terre cuite. Son succès inépuisable continue, à tout le moins, de faire tourner à plein régime la girette des potiers.

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