E.N.S.A. Toulouse, Septembre 2014
Mathilde MALAN
De nos oreilles dans l’espace public !
Comment les sons inscrits dans une composition socio-culturelle interagissent-ils avec les usages et les attitudes collectives ou individuelles d’appropriation et de cohabitation des espaces publics à Valence, en Espagne ? Mémoirede Mémoire demobilité mobilité , Valence, Espagne
Tuteur : Philippe LAMY
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// Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier vivement Philipe Lamy, mon tuteur de mémoire, pour son encadrement et sa disponibilité tout au long de l’élaboration de mon mémoire de mobilité. J’adresse mes remerciements à l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’E.N.S.A. de Toulouse qui m’a apportée des enseignements riches qui me serviront dans la suite de mes études et tout au long de ma future carrière. Je remercie les personnes de mon entourage qui m’ont porté leur soutient et leurs conseils lors de la rédaction de ce mémoire. Et également toutes les personnes avec qui j’ai pu m’entretenir dans le cadre de ce mémoire, à propos du paysage et de l’environnement sonores. Enfin, je tiens à remercier toutes les personnes permettant le départ en mobilité des étudiants. En effet, mon année de mobilité en Espagne, à l’E.T.S.A. de Valence à développer ma confiance concernant mes études et m’a permis de m’épanouir au sein d’une nouvelle culture. La rédaction de mon mémoire de mobilité a été un vrai régal, une expérience très riche et dynamisante !
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P1 // Sommaire // Remerciements // Introduction
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P1 // L’espace public comme paysage sonore, politique, culturel et urbain
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1. Définitions 1.1. Espace public ou espaces publics ? 1.2. Paysage sonore ou paysages sonores ? 1.3. Paysage sonore et environnement sonore
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2. Les sens dans l’espace public 2.1. La vue, un sens qui domine 2.2. L’ouïe, un sens difficile 2.3. Synesthésie 2.4. Phénoménologie
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3. L’espace public, silence et surveillance 3.1. L’architecture silencieuse 3.2. L’espace public, espace de la société visuelle 3.3. L’espace public, structure panoptique ?
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4. L’essence de l’espace public 4.1. Entendre dans l’espace public 4.2. L’espace public, espace commun, lien social 4.3. L’espace public, espace politique, débat public 4.4. L’espace public, espace sociétal, scène culturelle
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Interstice
Interstice
Interstice
Interstice 5. Entre bruits et nuisances sonores dans l’espace public 5.1. Bruit et silence 5.2. De la nuisance à la pollution sonore 5.3. Esthétique et écologie acoustiques dans leur évolution Interstice 6. Du groupe à l’individu au sein de l’espace public 6.1. Symbolisme 6.2. Morphologie 6.3. Schizophonie
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Interlude Reprises théoriques
P 2 // Cas d’études à Valence, en Espagne
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P2 // 1. Démarches d’écoute des paysages sonores à Valence, Espagne P2 // 1.3. La marche, suivi sonore P2 // 1.4. De la note à l’entretien P2 // 1.5. L’approche sensible, carte sonore mentale
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2. Valence, une culture sonore, un peuple de l’air 2.1. Culture sonore et origines 2.2. L’oreille à l’écoute de la ville 2.3. Analyse de deux espaces publics à Valence
P2 // 3. Place éparse, Place de la mairie P2 // 3.1. La place, 1933 - 1961, lieu du piéton et de ses multiples rencontres P2 // 3.2. La place actuelle, place éparse P2 // 3.3. La place éparse, un lieu de passage P2 // 3.4. La place éparse, morceaux d’ « espaces sensoriels » selon les heures P2 // 3.5. La place éparse, espace public fragmenté P2 // 3.6. La place éparse, espace public comme scène culturelle P2 // 3.7. Comparaison avec une autre place emblématique de Valence, Place de la Vierge
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99 P2 // 4. Ligne de flux, Jardin de Turia 100 P2 // 4.1. L’ancien lit du fleuve le Turia 101 P2 // 4.2. Le jardin de Turia, ligne de flux 105 P2 // 4.3. La ligne de flux, un parcours raccroché à sa ville P2 // 4.4. La ligne de flux, micro évènements sonores dans un 111 espace unifié P2 // 4.5. La ligne de flux, espace public comme scène culturelle 111 et lien social // Conclusion // Annexes et entretiens // Bibliographie
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P1 P // Introduction
« L’univers est sonore » , et pourtant dans notre ère en Occident, l’oreille a «cédé à l’œil le rôle de premier récepteur de l’information» et ce depuis la Renaissance, avec «l’invention de l’imprimerie et l’apparition de la perspective en peinture». R.Murray Schafer analyse ainsi la vue, sens qui domine aujourd’hui sur l’ouïe. Ceci se note dans toute forme de construction architecturale ou urbaine (des plans silencieux), dans la communication sociale (messages texto, mails etc.) comme dans la manière dont l’homme conçoit Dieu, qui, avant la Renaissance n’était pas image, mais n’était que son ou vibration. Or, l’ouïe est un sens très subjectif, riche et en éveil permanent (communications sociales, apprentissage, alerte de danger, épanouissement personnel, etc.). Au sein de nos espaces publics - considérés ici comme la partie non bâtie de nos villes affectée à des usages publics, des règles communes - des logiques identitaires et des rapports sociaux se mêlent. L’espace est le lieu de l’échange : de la conversation au débat public, il est de son devoir de nous laisser nous entendre. Au cours du temps les rapports sociaux et l’appropriation de l’espace public évoluent et les sons, traversés par la durée et par l’action, expriment les usages et les investissements de son espace public. Les sons, en tant que parole, symboles sociétaux et culturels, composent les environnements sonores propres à un espace public, et ceux-ci correspondent ou contredisent la conception physique de l’espace public. Notre champ d’études se situe à Valence, ville espagnole située sur la côte Est, riche de sa culture et de son histoire. Ainsi, les espaces
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publics mis en place dans cette métropole nous intéresseront dans leurs spécificités sonores en lien avec leurs rôles socio-politiques auprès des individus.
Nous posons alors la problématique suivant :
Comment les sons inscrits dans une composition socio-culturelle interagissent-ils avec les usages et les attitudes collectives ou individuelles d’appropriation et de cohabitation des espaces publics à Valence, en Espagne ?
«Etre sujet de sa ville, musicien de son quotidien, acteur dans l’espace, réceptif au monde, partie prenante des messages et des mouvements, heureux dans son environnement, au cœur des autres, au cœur de l’orchestre urbain, de la culture de son milieu».1
1 Nicolas FRIZE, Formes et Structures n°126 – sept 98 Dossier Culture et communications (Editorial)
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P1 P1 // L’espace public comme paysage sonore, social, politique, culturel et urbain
Au regard de la problématique, nous allons établir notre fil d’Ariane ; de la définition de nos termes jusqu’à l’analyse in situ des espaces publics Valenciens. Dans la première partie, « L’espace public comme paysage sonore, politique, culturel et urbain » nous aborderons les notions qui nous ont permis de mener l’étude sonore au sein de la ville de Valence. A chaque pas, nous définirons, à l’aide du dictionnaire de la langue française, les termes dans leur sens général, puis nous déploierons les théories qui nous ont intéressée. En premier lieu, où nous positionnons-nous et qu’étudionsnous ? Une première approche de l’espace public au singulier, en tant qu’élément socio-politique primaire, et des espaces publics au pluriel, en tant qu’espaces physiques et urbains, sera élaborée au regard de l’évolution de nos sociétés et de nos usages. Nous aborderons ensuite l’objet de notre étude au sein de l’espace public: le paysage sonore et l’environnement sonore. Nous verrons, après avoir rappelé ce qu’est le son, que de nombreuses interprétations sont apparues à partir de la naissance de la notion de « paysage sonore ». La différence entre environnement sonore et paysage sonore sera établie afin de suivre un cheminement cohérent. Les sens humains auxquels nous nous intéresserons sont l’ouïe et la vue. En effet, les notions d’environnement sonore et de paysage sonore passent inévitablement par le fait d’entendre ou d’écouter.
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Mais aujourd’hui, la vue domine nos sociétés et il est donc important de comprendre si la dimension visuelle nuit au rôle du son au sein de nos espaces publics. De plus, les sens génèrent des perceptions sensitives qui font objet de questionnement. Nous verrons donc, à travers la synesthésie et la phénoménologie de la perception selon Merleau-Ponty, comment les sens interagissent, se confrontent et se répondent, dans la perception de l’espace. L’analyse de ces sens physiologiques nous amène à aborder les sens (significations) et l’essence (nature profonde) de l’espace public. En effet, l’espace public est politique, social et culturel. A travers la démocratie, il se doit de répondre à certains rôles à l’égard du peuple. Nous verrons donc comment la vue influence l’essence même de l’espace public à travers des espaces publics surveillés et froids. Puis dans un second temps nous établirons les liens entre les fonctions propres à l’espace public et les multiples sons, compositeurs de l’environnement sonore, qui l’habitent. Les usages au sein de l’espace public interagissent constamment avec les sons. Les sons décrivent des usages et les usages dépendent de l’environnement sonore de l’espace public. Ainsi, l’idée de confort sonore est primordiale. Nous aborderons donc les notions de nuisance et de pollution sonores à travers le bruit et le silence, avant de définir ce que sont l’esthétique et l’écologie sonores, disciplines traitant de la qualité acoustique du paysage sonore. Nous verrons que ces théories ont évolué au cours de ces dernières années, montrant la volonté de certains acousticiens de conscientiser l’écoute des aménageurs et des utilisateurs, spectateurs et acteurs des espaces publics.
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P1 P Pour conclure cette partie théorique nous aborderons la dimension individuelle et collective de l’écoute. En effet, l’espace public appartient à une culture, dépeint une société et dépend d’une politique. Il est donc important de voir comment ces différents axes, propres à un espace public d’une ville dans un pays, influencent l’écoute et la réaction des individus à l’écoute de paysages sonores. Ces individus sont également tous dissociables, nous rappellerons donc que l’écoute n’est pas universelle, il y a autant d’écoutes et de perceptions possibles, qu’il n’y a d’Humains sur Terre.
P1 // 1. Définitions
La notion d’espace public est utilisée dans le langage courant de nos jours sans toujours savoir pour autant à quoi elle se réfère précisément. De plus, elle évolue au cours du temps en fonction des bouleversements sociétaux et prend des formes différentes selon le lieu géographique. La notion d’espace public telle que nous la présente Thierry Paquot, lui-même se référant à Jürgen Habermas, nous intéresse dans l’approche des espaces publics à Valence. Ainsi, après avoir défini les termes de « espace » et de « public », nous montrerons en quoi l’espace public est à la fois un lieu politique, culturel, social et urbain. Nous aborderons ensuite les notions de « paysage sonore » et d’ « environnement sonore » à partir de l’analyse de différentes interprétations. Au cours de ce mémoire nous tenterons de comprendre comment les environnements sonores des espaces publics et de l’espace public influent et révèlent leurs organisations, leurs usages, leurs significations, leurs évolutions et leurs vécus.
Imbrications de notions au sein de l’Espace Public de l’Humain
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P1 P1 // 1.1. Espace public ou espaces publics ?
Dans «espace public», nous relevons les mots «espace» et «public». L’espace nous intéresse dans la définition suivante d’après Le Petit Robert : « du latin spatium […] (2) surface déterminée => étendue, lieu, place, superficie, surface. »1 L ‘adjectif publicus en latin signifie « qui concerne l’Etat, qui intéresse le public » et le nom publicum, « intérêt public ». Tous deux sont des dérivés de « pubes » qui équivaut à « adulte » et de populus qui définit « peuple ». Le terme « public » porte alors la signification de tout ce qui est commun à tous, ouvert à tous. Public : « I - Adj. 1. Qui concerne le peuple pris dans son ensemble, qui appartient à la collectivité sociale, politique et en émane, qui appartient à l ‘Etat ou à une personne administrative. » Cette définition a trait au politique. « 2. Accessible, ouvert à tous. Dont l’activité s’exerce au profit de tous ». Dans espace public, le terme public s’applique bien comme un adjectif, mais la définition de public comme nom nous a tout de même intéressée. « II – N. 1. L’Etat, la collectivité. 2. Les gens, la masse de la population, la foule. 3. Ensemble des personnes que touche une œuvre, un spectacle, un média. Ensemble de personnes qui assistent effectivement à un spectacle, à une réunion, à une manifestation. Les personnes devant lesquelles on parle ou on se donne en spectacle. »2 Dans le cadre de ce mémoire, je définirai l’assemblage des termes « espace » et « public » qui donne « espace public » comme l’espace destiné au public. Au sein d’un espace, d’une surface terrestre ouverte à tous, se tient le public du monde, le public qui regarde sa 1 Le nouveau petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du petit robert de Peul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction
société, le public qui se regarde lui-même, le public qui analyse son reflet et son écho dans le comportement d’autrui. L’espace public en tant que tel a évolué au cours des siècles, de ses fonctions à son établissement, de sa composition à son utilisation. Comme le souligne Thierry Paquot, la signification de l’espace public ne correspond pas à celle de son pluriel, les espaces publics. L’espace public a trait à la philosophie politique, il est «le lieu du débat politique, de la confrontation des opinions privées que la publicité s’efforce de rendre publiques» alors que les espaces publics ont directement un rapport avec l’urbanisme, ils sont «les endroits accessibles au(x) public(s) […] des rues et des places, des parvis et des boulevards, des jardins et des parcs.» 3 En 1961, dans sa thèse, Jürgen Habermas (né en 1929) émet l’idée de l’existence de l’espace public comme une sphère entre vie privée et Etat. Jürgen Habermas (J.Habermas) explique qu’au XVIIe siècle, en France, l’espace public se développe sur les activités de la société bourgeoise et l’essor de la communication. Ainsi naît la création de places, de parcs et de promenades. L’espace public n’est cependant pas forcément géographique et physique, il inclut également la notion de l’opinion avec la naissance de la presse. Ainsi, l’espace public comprend au moins trois dispositifs qui sont le café, le salon et le journal. Entre en jeu la notion du «paraître» (salon), celle de la conversation et du débat public politique (café) et celle de l’opinion (journal). Selon lui, «l’opinion publique», «le public» ou «la sphère publique» font l’objet de «significations concurrentes». L’ «opinion», en latin opinio, traduction du grec doxa, signifie «rumeur» : «ensemble confus de bruits, de
de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2004, p. 944 2 cf note 1, p. 2114
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3 Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La découverte, « repères » 2009, p. 3
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P1 P sons, de voix provenant d’un lieu où de nombreuses personnes sont rassemblées»1. Au XVIIIe siècle, apparaît l’idée de l’espace public comme un lieu de critique envers le pouvoir. Ainsi, l’espace public se définit selon Jürgen Habermas comme un espace dans lequel « le public constitué s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’Etat. »2
L’opinion dont Jürgen Habermas a traité dans sa thèse représente donc un modèle capable de répondre et de se confronter à la voix unique de l’Etat. Il est important de rappeler que l’émergence de l’opinion publique est reliée à la démocratie, qui, au-delà de la représentation d’un idéal marqué par l’égalité et l’autonomie de chacun, est un régime politique qui instaure un espace de médiation entre le peuple et l’Etat. L’espace public constitue donc le lieu de l’exercice du pouvoir sur son peuple et dans un même temps le lieu du débat collectif qui vient contrebalancer la domination politique. Comme relevé précédemment, la ville en Europe, au XVIIIème siècle, apprend l’art de converser. Les idées fortes, les répliques, les proclamations politiques sont alors divulguées au sein des cafés (espace public).
nous le démontre l’auteur de l’ouvrage L’espace public, a fortement évolué au cours du temps depuis l’Antiquité mais également selon les cultures (lieu géographique). Nous développerons cet aspect-ci plus loin de ce mémoire.
L’espace public est donc au cœur de grandes problématiques relevant notamment des problèmes de communication et d’usage. Aujourd’hui, les espaces dans lesquels nous déambulons sont spécialisés, fragmentés, uni-fonctionnels. Les acteurs de nos villes, urbanistes, élus, architectes, nous imposent des catégorisations de l’espace public. Celui-ci est constamment surveillé, figé, déserté, fuit. Finalement, l’espace public est un espace évolutif, propre à la modernité, traversé de tensions contradictoires, où se fonde et se refonde la démocratie, au risque, à chaque fois, de se dissoudre. L’espace public est donc politique, mais également symbolique, social, culturel, historique, artistique, conflictuel, sensible, évolutif, rêveur, identitaire, …
Aujourd’hui, selon Thierry Paquot, nos espaces publics voient leurs usages évoluer. Le foisonnement de la publicité à intérêts privés tend à faire disparaître la qualité de cadre de débat public de l’espace public. Le développement de la communication technologique et mobile tend à supprimer les échanges directs au sein de l’espace public. La diminution du nombre d’espaces publics en tant qu’espaces du débat public (comme le café) pousse la sphère publique à devenir de plus en plus fermée et accentue la limite privé/public. Cette dernière, comme 1 Dictionnaire Larousse.fr, dictionnaire de langue française en ligne, recherche du mot «rumeur» 2 Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la sphère bourgeoise , Paris, Payot, 1978.
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Espaces publics : imbrications de vides, de directions, de rues et d’espaces...
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P1 P1 // 1.2. Paysage sonore ou paysages sonores ?
Certains acteurs de l’environnement sonore refusent le terme de « paysage sonore », le jugeant trop imprécis. Pourtant, le paysage sonore existe autant que le paysage visuel, et nous pouvons voir que cette imprécision donne finalement l’opportunité au paysage sonore de prendre différentes routes selon son acousticien, son musicien, son auditeur… Dans le cadre de ce mémoire, j’ai donc entrepris la lecture de différents ouvrages, articles et l’écoute d’émissions radiophoniques. Ainsi, j’ai pu entrecouper, aligner, comparer les diverses approches du paysage sonore et des notions qui s’y rattachent. Nous traiterons notamment des ouvrages et articles suivants : - Pascal AMPHOUX, Paysage sonore urbain - Matthieu CROCQ, Glossaire de l’écologie sonore - Yannick DAUBY, Paysages sonores partagés - Bernard DELAGE, entretien par Naarbed Gaaled - Nicolas FRIZE, articles sur l’écoute, le bruit, - Raymond Murray SCHAFER, Le paysage sonore
La notion de paysage sonore, en anglais « soudnscape », est apparu avec Raymond Murray Schafer, dans les années 70, à partir de landscape et de sound, dans The New Soundscape, A handbook of the modern music teching, Toronto, Berandol Music, 1969. Cependant, l’ouvrage de ce musicien acousticien canadien dont je me suis imprégnée pour réaliser ce mémoire, n’est autre que The Soundscape, our sonic environment and the tuning of the world, paru en 19771, Le paysage sonore en français. Il s’agit d’un outil méthodologique mais surtout 1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991
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d’une fenêtre ouverte sur l’interdisciplinarité de la perception sonore d’un environnement naturel et urbain. Nous y trouvons à la fois l’explication par l’auteur de la notion de paysage sonore ainsi que les implications écologiques et esthétiques de l’environnement sonore. Le but de l’ouvrage est d’étudier l’ensemble du paysage sonore en prélude à la création d’une esthétique acoustique disciplinaire. Selon R.M. Schafer, l’amélioration de la compétence sonologique d’une société nécessite de soumettre aux citoyens des exercices d’éducation de l’oreille. L’institution d’une culture auditive résoudrait les problèmes de la pollution sonore. Nous voyons donc que l’ensemble de l’ouvrage porte sur l’origine, l’évolution, la constitution, l’analyse des paysages sonores dans la lignée d’une réharmonisation du monde sonore. Le contenu de l’ouvrage développe deux visions : descriptive (étude de la relation changeante de l’homme aux sons) et prescriptive (réflexion sur le traitement de l’évolution des sons lorsque ceux-ci nuisent à l’harmonie du paysage sonore). « Quelle est la relation entre l’homme et les sons de l’environnement qui est le sien, et que se produit-il lorsque ces sons viennent à changer ? »2 En premier lieu, il me semble important de donner les définitions générales des termes « environnement », « paysage » et « sonore ». Puis, dans un second temps, nous rappellerons les caractéristiques principales du son et de sa source sonore. Enfin, nous expliquerons les diverses interprétations de la notion de « paysage sonore » et la différence faite entre « environnement sonore » et « paysage sonore ». 2 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991
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P1 P En premier lieu, il me semble important de donner les définitions générales des termes « environnement », « paysage » et « sonore ». Puis, dans un second temps, nous rappellerons les caractéristiques principales du son et de sa source sonore. Enfin, nous expliquerons les diverses interprétations de la notion de « paysage sonore » et la différence faite entre « environnement sonore » et « paysage sonore ». «Environnement : 1. Ce qui entoure de tout côté, voisinage. 2. Ensemble des éléments qui entourent un individu ou une espèce et dont certains contribuent directement à subvenir à ses besoins. 3. Ensemble des éléments objectifs (qualité de l’air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté d’un paysage, qualité d’un site, etc.) constituant le cadre de vie d’un individu. 4. Atmosphère, ambiance, climat dans lequel on se trouve ; contexte psychologique, social : Un environnement politique particulièrement hostile.»1 Selon Nicolas Frize, «l’environnement n’est pas ce qui environne mais bien ce qui est au centre des choses»2. L’environnement existe si les êtres humains l’habitent. «Paysage : 1. Etendue spatiale, naturelle ou transformée par l’homme, qui présente une certaine identité visuelle ou fonctionnelle. 2. Vue d’ensemble que l’on a d’un point donné. 3. Aspect d’ensemble que présente une situation 4. Peinture, gravure ou dessin dont le sujet principal est la représentation d’un site naturel, rural ou urbain.»3
«Sonore : 1. Qui produit un son. 2. Dont le son est puissant. 3. Qui résonne. 4. Relatif au son, phénomène physique ou sensation auditive ; de la nature du son.»4
Le son, élément fondateur
Nous abordons la source sonore qui à l’origine du son perçu par l’individu. Il est important de rappeler que les sons ne prennent naissance que dans le cerveau d’un être vivant, car avant que l’oreille ne réceptionne un son, celui-ci se nomme onde mécanique ou onde acoustique. D’après l’Encyclopedia universalis5 , un son est une «sensation auditive engendrée par une onde acoustique». Le son, ou sensation de son, correspond, d’un point de vue physique, à une onde progressive mécanique périodique de type acoustique. Il y a donc perturbation, ébranlement de la matière par transfert d’énergie dans un milieu (gazeux en ce qui nous concerne). D’un point de vue perceptif, le son est un signal perçu par le sens de l’ouïe. Le son se caractérise principalement par sa vitesse, sa fréquence, son intensité et son timbre (déterminé par la forme de l’onde sonore).
La vitesse de propagation du son ne dépend que du milieu considéré, de la température et de la pression. La célérité du son dans l’air dans une température ordinaire est de 340 m/s.
La fréquence du son indique le nombre d’oscillations complètes de l’onde effectuées par seconde. Elle s’exprime en Hertz (Hz), et dépend de données complexes. Nous retiendrons, sur l’appui des termes musicaux, que la fréquence traite de la hauteur du son : plus la fréquence est élevée, plus le son est aigu; et inversement, plus la fréquence est basse, plus le son est grave.
1 Dictionnaire Larousse.fr, dictionnaire de langue française en ligne, recherche du mot environnement 2 Nicolas Frize « Prendre place/espace public et culture dramatique » - esthétique de la démocratie Plan Urbain - Colloque de Cerisy 1993 3 Cf note 2, recherche du mot paysage 4 Cf note 2, recherche du mot sonore
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5 Encyclopedia universalis, volume 15, Smollett-théosophie, 1980, p. 168
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P1 L’intensité du son, appelée aussi volume, détermine l’amplitude de l’onde: plus l’onde est ample, plus l’intensité du son est forte et inversement, plus l’onde est serrée, plus l’intensité du son est faible. L’intensité a donc en partie à voir avec la distance entre la source sonore et l’observateur sonore. Le timbre est la caractéristique permettant de différencier deux sons de même hauteur, de même intensité. Il traite de la forme du son et donc des différents types de sons.
Notions de paysages sonores Selon R.M.Schafer, le paysage sonore fait l’objet d’un champ d’étude, c’est un environnement dont nous étudions les sons. L’aspect général de cette définition englobe donc tous les phénomènes acoustiques pour un sujet donné qui prête son attention à un environnement sonore. Lorsque nous abordons la notion d’environnement sonore, il est primordial de préciser qu’il s’agit tant d’environnements existants que de constructions abstraites (composition musicale, le résultat d’un montage de bandes magnétiques, etc.). De plus, le paysage sonore n’évoque pas spécifiquement des sonorités naturelles, nous évoquons des sons dits naturels, des sons issus d’instruments mais également de machines. Cependant, dans la notion de paysage sonore spécifique à R.M. Schafer, fondateur du courant de l’écologie sonore, une relation particulière est entretenue avec la notion de nature, les sons de la nature. Dès les premières pages du livre, les sons de la nature, dits les premiers paysages sonores, sont abordés. Les sons des éléments (l’eau, l’air) - « Les voix de la mer », « Les voix du vent » ; les sons des paysages naturels (forêts), les sons des animaux – « Le chant des oiseaux », etc. La nature est abordée dans sa position de faiblesse, de ne plus être entendue, dans sa mise en péril, due au fait de la société postindustrielle et de ses sonorités propres. En effet, R.M. Shafer estime que le son existe tant qu’il est entendu, tant qu’il y a oreille pour l’écouter et le qualifier. L’auteur défend la Nature dans la perspective d’un bien anthropologique et écologique. R.M. Schafer expose dans son ouvrage la façon dont se constitue, se compose et s’analyse un paysage sonore. Il traite d’une notion
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P1 P empruntée à la perception visuelle, qui est celle de la perspective d’un paysage sonore. Il fait donc la distinction entre figure et fond. Dans la psychologie de Gestalt, la figure est le point d’intérêt central et le fond est le cadre ou le contexte. Nous pouvons donc évoquer l’existence de sonorités maîtresses qui jouent le rôle de fond (comme le son de la mer), des sons à valeur signalétiques qui jouent le rôle de figures et, en plus, des marqueurs sonores qui surviennent ponctuellement. Henry Torgue1, chercheur, compositeur propose également la notion de perspective sonore en décomposant l’environnement sonore en trois catégories, que nous avons mises en relation avec la décomposition du paysage sonore de Murray Schafer : - le fond : situation stable, rumeur de la ville (transport) // sonorité maîtresse ou tonique de Schafer - la séquence localisée autour d’une source précise (cour d’école, marché, situation liée à un lieu d’échelle restreinte) // signalétiques, signaux de Schafer - les signaux d’évènements : émergences, sources sonores ponctuelles : éclats de voix, avertisseur, sirène de police, choc, etc. Ce sont des sons au pouvoir attractif très fort sur l’audition. // marqueurs sonores. Bernard Delage, proche de l’analyse Schaeferienne, prête au paysage sonore, une dimension hautement quotidienne. Il dit que nous « observons » le paysage sonore dans toute situation (à l’approche du métro, lors de la menace d’un orage, lors de la traversée d’une route dangereuse). Selon lui les paysages sonores sont appliqués à un environnement naturel, minéral, végétal mais également urbain. Il évoque 1 Emission de radio De la production à la nuisance - les bruits du monde (3_3) - Les bruits de la ville, l’environnement sonore, France Culture
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également la théorie de « fond » (l’horizon)/ « formes » (l’arrière-plan)/ « figures » (l’avant-plan). Selon lui, à partir de l’instant où il y a une « mise en perspective », nous pouvons parler de paysage sonore. Pascal Amphoux insiste tout d’abord sur la notion de paysage pris dans son sens large : « une forme de schématisation qui permet une appréciation esthétique »2. La notion de paysage ne définit ni le contenu sensoriel et conceptuel (cela peut être une image, un bruit, une odeur, etc.), ni la forme d’expression matérielle (cela peut être un dessin, un jardin, un texte, un enregistrement, etc.). Selon lui, il se différencie, dans son rapport au paysage sonore, de Murray Schafer ainsi que de Bernard Delage dans le fait que le paysage sonore n’est ni une vraie musique, ni conforme à des formes d’expression, mais qu’il s’agit d’une écoute esthétisante du Monde.
Le paysage sonore de Pascal Amphoux n’est fait ni par la qualité acoustique de l’environnement (bruit, calme), ni par le processus de qualification sonore d’un milieu (mode d’expression) mais par la « qualitativité phonique, c’est-à-dire, le mouvement de ce qui fait la qualité ». La qualitativité est produite par la culture et productrice de culture. Le paysage sonore est donc « projet culturel ».
Trois écoutes du Monde sonore existent selon P.Amphoux. L’auditeur va alors qualifier la séquence sonore comme : environnement sonore, milieu sonore ou paysage sonore, référé chacun à un type d’écoute. L’environnement sonore est extérieur à l’auditeur. Tout deux entretiennent des relations fonctionnelles dans lesquelles les notions 2 Pascal Amphoux Le paysage et ses grilles, colloque de Coisy « Paysage ? », 7 au 14 septembre 1992
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P1 d’émission et de réception sont à notifier. Il s’agit de « l’ensemble des faits objectivables, mesurables et maîtrisables du Monde sonore ». L’objet de ce type d’écoute est la « qualité acoustique » de l’environnement sonore.
Le milieu sonore, dans lequel est plongé l’auditeur, représente « l’ensemble des relations fusionnelles, naturelles et vivantes qu’entretient un acteur social avec le Monde sonore ». A travers le milieu sonore, l’auditeur saisit « l’expression du Monde sonore » à travers ses pratiques, ses usages ou ses coutumes. Il exerce une écoute flottante, ordinaire, qui est dépourvue d’intentionnalité particulière. L’objet de cette « ouïe » est « le confort sonore de l’usager, individuel ou collectif ». Le milieu sonore ne comporte pas de qualités propres, ce sont les individus qui le qualifient de confortable ou d’inconfortable, en lien avec leurs cultures, leurs coutumes, etc.
Le paysage sonore, décrit « l’ensemble des phénomènes qui permettent une appréciation sensible, esthétique et toujours différée du Monde sonore ». Il s’agit d’une écoute affective, émotive, voire contemplative du Monde sonore et de ce que l’auditeur absorbé en saisit. Il parle d’ « entente », de « beauté phonique » du paysage sonore au sens que nous contemplons un paysage sonore et alors nous pouvons dire que le paysage nous parle. Le terme phonique est donc choisi dans le sens où il est relatif aux sons de la voix. P. Amphoux établit neuf critères d’analyse et de conception qui sont réparties en trois catégories : - les critères spatio-temporels (échelle, orientation et atemporalité) - les critères sémantico-culturels (publicité, mémoire collective, natura-
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lité) - les critères liés à la matière sonore (réverbération, signature sonore, métabolisme sonore) Les paysages sonores regorgent donc de sons très disparates. A partir du paysage sonore de Schafer, nous pouvons donner quelques pistes d’analyse dans lesquelles il établit un type de son et son « contraire » : - sons technologiques ou humains, artificiels ou naturels, - sons continus ou discontinus, - sons à haute fréquence, moyenne ou basse fréquence, - estimation de la distance source sonore/ observateur - estimation de l’intensité du son : décibels - sons de courte, moyenne ou longue durée, - sons diurne ou nocturne - sons périodique ou apériodique - phénomène isolé ou répétitif - position de la source sonore : point de départ du son - « conditions extérieures : pas de réverbérations, réverbérations brève, longue, écho, dérive, déplacement » (selon hauteur du bâti, caractéristiques acoustiques des matériaux) - perception nette, médiocre ou nulle par rapport au bruit ambiant et à la position de l’observateur (évènements, présence de végétation ou non, présence de point d’eau ou non, climat, etc.) Dans le glossaire de l’écologie sonore, Matthieu Crocq rappelle tout d’abord que le paysage sonore, tel que Schafer l’a pensé, est l’objet d’étude de l’écologie sonore. Tout comme le fait P. Amphoux en définissant le sens de paysage dans son sens large, M. Croqc s’applique par
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P1 P la suite à transposer la notion de paysage sonore dans le domaine de la perception comme type de représentation (le paysage). Il indique que, habituellement, le paysage relève de la perception visuelle, mais que si on y applique les mêmes dimensions, le paysage sonore, dans sa notion même implique une contemplation et une appréciation auditive du monde naturel. Il compare l’objet de tableau de peinture avec le paysage sonore qui désigne alors « l’objet de la représentation mais également la représentation elle-même. » Il s’agit autant de compositions créées en utilisant les sons recueillis dans un environnement sonore, qu’un enregistrement sonore particulier ou des compositions musicales (qui peuvent être mêlées à des enregistrements sonores). Une dimension importante est relevée par M. Crocq, celle de la subjectivité. En effet, tout comme le paysage visuel et tout acte perceptif, « le paysage sonore n’est ni une réalité entièrement objective, ni une réalité entièrement subjective ». Un autre point important est souligné dans sa définition, celui du sens écologique propre au « paysage sonore ». « Le son étant une perception plus immédiatement sensible (que l’image), […] le « paysage sonore » propose un infléchissement de la notion de paysage vers une conception englobante, plus immédiate de la nature que la perception visuelle. »1
Yannick Dauby, avec qui a travaillé M. Croqc pour l’écriture du glossaire d’écologique sonore, a entrepris un projet de pratiques sonores qui ont en commun un rapport privilégié aux contextes d’une écoute partagée : la phonographie, la musique concrète, l’improvisation, l’art sonore, etc. Y.Dauby entreprend une « expérimentation ludique des technologies audionumériques et des réseaux »2. La spécification de 1 Matthieu CROCQ, avec Yannick DAUBY, Etienne NOISEAU, Baptiste LANASPEZE, Glossaire d’écologie sonore,, Ondes du monde : territoire sonores de l’écologie, numéro
cette approche prêtre à son auteur des qualifications nouvelles du paysage sonore. Tout d’abord, Yannick Dauby nous en propose la définition suivante : « La notion de paysage sonore ne correspond pas à un objet de sensations. Il s’agit d’un vecteur, d’un trait d’union qui s’établit lorsqu’un auditeur porte toute son attention envers son environnement ». Cela a de quoi dérouter lorsque nous lisons chez d’autres acousticiens que le paysage sonore aborde « l’écoute affective, émotive ». La notion qui se rencontre chez chacun d’entre eux est celle de l’attention portée par l’auditeur sur le « Monde sonore », l’environnement sonore. Pour Yannick Dauby, «Le paysage sonore repose sur le principe de l’intentionnalité d’un auditeur, qui se met à l’écoute d’un environnement sonore. C’est-à-dire qu’il lui porte une attention particulière, construisant ainsi son paysage sonore. L’émergence d’un paysage sonore est conditionnée par les capacités cognitives d’un individu [de connaissance, d’apprentissage, d’interprétation d’informations, de réaction, etc.], ainsi que par une attitude de projection.»3 L’écoute humaine présente des aspects subjectifs et objectifs selon Yannick Dauby. Ils énoncent quelques critères d’écoute que nous nous approprions de la façon suivante :
- l’aspect subjectif : l’écoute repose sur les capacités cognitives de l’individu, son ontologie (étude de l’être en tant qu’être selon Aristote), de son état physiologique (fonctions sensorielles, interactions entre un organisme vivant et son environnement) et psychologique (faits psychiques, comportements et processus mentaux qui incluent la mémoire du passé et ses symboles, ses références et ses rencontres sonores);
4, 2009, http://www.wildproject.org/journal/index 2 Yannick DAUBY, Paysages sonores partagés, juillet 2004, p. 7
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3 Cf note 2, p. 14
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P1 - l’aspect objectif: l’appartenance à une société, (Occidentale, au XXIème siècle dans notre cas), dans laquelle le son est objectif et nommé de façon universelle (exemple : bruit de moteur de voiture), l’appartenance culturelle que Yannick Dauby nomme «culture sonore».
Chaque individu détient donc son paysage sonore du fait de son histoire personnelle, de ses capacités physiques, de son âge, de sa culture sonore, etc. Mais également, l’écoute d’un environnement sonore sous-entend l’existence d’un contexte donné. De la même façon, l’entrée en matière du subjectif/objectif est à prendre en compte : - l’aspect objectif : à un instant donné, sur une durée donnée, et dans un espace donné, des évènements se produisent, des sons s’en dégagent, les propriétés acoustiques de l’espace sont identiques pour tous
- l’aspect subjectif : l’activité de l’individu (lecture, discussion, marche), sa position spatiale, la temporalité (moment où l’individu est dans l’espace donné, diurne/nocturne et sur quelle durée), l’individu est seul ou en groupe, statique ou en mouvement (paysage sonore d’un instant dans un lieu donné ou notion de parcours sonore), assis ou debout. Il n’y a pas un paysage sonore, mais bien des paysages sonores. Une formule de Murray Schafer résume bien l’un des enjeux du paysage sonore : « Nous essayons d’entendre l’environnement sonore comme si c’était une composition musicale – une composition dont nous serions en partie les auteurs. »
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P1 // 1.3. Paysage sonore et environnement sonore Dans Paysages sonores partagés, Y. Dauby donne la définition suivante d’environnement sonore : « l’espace physique, dont les limites ne sont pas forcément prédéfinies, doté de propriétés acoustiques, c’est-à-dire présentant des conditions favorables à l’émission, la transmission et la réception sonore, et accueillant des individus dotés de capacités auditives ». Selon Yannick Dauby, sans présence de sujet, nous parlerons «d’espace sonore (simple espace matériel vibratoire)». L’environnement sonore influe donc sur l’individu, seul ou en groupe, qu’il en ait conscience ou non. La définition d’environnement sonore donnée par Y. Dauby se rapporte à celle donnée par Pascal Amphoux, dans le sens où toutes deux donnent la dimension de qualité et de caractéristique acoustiques (« faits objectivables, mesurables et maîtrisables du Monde sonore» pour P. Amphoux). Cependant nous notons que P. Amphoux prête à l’environnement la notion d’écoute de la part de l’auditeur « représentation que l’on se fait du Monde sonore lorsqu’on y exerce une « écoute » objectivante, analytique et gestionnaire», alors que Y. Dauby parle « d’entendre » dans le fait où les sujets peuvent ne pas s’intéresser à leur environnement sonore. Nous rappelons, à travers la parole de Matthieu Crocq, que l’environnement sonore et donc le paysage sonore, renvoient à tous les sons (dans le domaine de l’audibilité humaine), qu’ils soient humains ou non humains, « à la fois aux voix animales, aux sons de la météorologie et aux sons créés par les hommes dans la composition musicale, au design sonore et à d’autres activités humaines ordinaires comme la conversation, le travail et les bruits d’origine mécanique des technologies industrielles. »1 1 Matthieu CROCQ, avec Yannick DAUBY, Etienne NOISEAU, Baptiste LANASPEZE, Glossaire d’écologie sonore,, Ondes du monde : territoire sonores de l’écologie, numéro 4, 2009, http://www.wildproject.org/journal/index
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P1 P Interstice
« Toute expérience de l’architecture qui nous touche est multisensoreille ; les qualités d’espace, de matière et d’échelle se mesurent également par l’œil, l’oreille, le nez, la peau, la langue, le squelette et les muscles. […] Au lieu de la vision seule ou des cinq sens classiques, l’architecture sollicite plusieurs domaines d’expérience sensorielle qui interagissent et se confondent ».1 Ainsi, à partir de cette citation de Juhani Pallasmaa nous abordons l’aspect sensoriel de l’expérience et du vécu au sein des espaces publics. Dans le cadre de ce mémoire, l’étude des usages et de l’appropriation de l’espace public passe en effet par la dimension de la perception par les sens, dans un cadre sociétal donné. Les révolutions industrielles et électroniques ont apporté de nouveaux sons et donc de nouvelles approches sensorielles. La révolution qui nous caractérise aujourd’hui est celle de la technologique et elle a renforcé la distinction établie entre les cinq sens.
1 Juhani Pallasmaa, Le regard des sens, the eyes of the skin, Architecture and the Senses, traduit de l’anglais par Mathilde Bellaigue, éditions du linteau, 2010, p. 47
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P1 P1 // 2. Les sens dans l’espace public
P1 // 2.1. La vue, un sens qui domine
Les sens dont l’Humain est doté le relient au monde extérieur. Ils sont les instruments de la perception et nous immergent dans le monde à la fois sensible et rationnel. Partout, nous sommes alertés grâce à nos cinq sens : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût. Néanmoins, bien que l’odorat et le toucher soient des sens primordiaux dans l’expérience de l’espace public (matérialité, odeurs ambiantes, etc.), nous nous en tiendrons à définir dans un premier temps le sens de la vue (sens sociétal dominant et en lien constant avec l’ouïe), puis celui de l’ouïe (sens à remettre en valeur et qui prédomine dans la notion de paysage sonore). Ensuite, nous étudierons la synesthésie, simultanéité de sensations et la phénoménologie de la perception selon Maurice Merleau-Ponty, création d’ « espaces sensoriels ».
La culture occidentale a toujours considérée la vue comme le sens le plus noble. Nous vivons visuellement et nous pensons visuellement. Cependant, des étapes, selon les inventions, ont marqué un éloignement de plus en plus marqué entre la vue et l’ouïe. Dans la pensée grecque classique la certitude se fondait sur la vision. Héraclite écrivait « Les yeux sont des témoins plus fiables que les oreilles. » Pourtant, les oreilles n’ont pas de paupière et sont toujours en alerte ; les yeux ne peuvent pas voir derrière et les oreilles préviennent d’un danger arrivant dans notre dos. Comme nous le dit Juhani Pallasmaa, « A la Renaissance, on admettait la hiérarchie des cinq sens, le premier était la vue, le dernier le toucher. Ce système hiérarchique se rapportait à l’image du corps cosmique ; la vue était liée au feu et à la lumière, l’audition à l’air, l’odorat à la vapeur, le goût à l’eau et le toucher à la terre. » 1 Ne pouvons-nous pas voir avec nos oreilles ? Ces sons qui se propagent dans l’air, ne sont-ils pas en mesure de nous informer sur la composition spatiale d’un espace ? De ses zonages, de ses matériaux mis en lumière sonore? L’invention de la perspective n’a fait qu’accentuer la domination de la vue sur l’ouïe. Non seulement nous regardons plus que nous n’entendons mais également, l’œil comme point central influence notre conception de soi et conditionne notre perception du monde. 1 Juhani Pallasmaa, Le regard des sens, the eyes of the skin, Architecture and the Senses, traduit de l’anglais par Mathilde Bellaigue, éditions du linteau, 2010, p. 18
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P1 P Pourtant, sans l’audition, nous sommes coupés du monde, autrui n’existe pas. Il existe physiquement parlant mais pas pour nous. Et si nous ne sommes pas pour les autres, nous ne sommes pas tout court.
P1 // 2.2. L’ouïe, un sens difficile
«Entendre est une manière de toucher à distance» 1
L’ouïe est le sens de l’être humain permettant l’audition, c’està-dire qu’il donne la faculté d’entendre, et est sans doute le sens qui « donne accès à la partie la plus intime de l’être »2. Le système auditif humain réagit au mieux aux sons d’une fréquence de 16 Hz à 22 000 Hz (chez les jeunes individus de moins de 20 ans). Les sons qui se situent en dehors des plages de fréquences perçues sont appelés infrasons et les sons les plus graves, ultrasons. Concernant l’intensité du son, le son le plus faible détecté par l’oreille humaine est appelé le seuil d’audition (0 dB). Néanmoins, en dessous de 15 dB, les sons restent généralement inaudibles. A contrario, les sons aux alentours de 120 ou 130 dB déterminent le seuil de douleur, ils sont alors perçus de manière insupportable et peuvent endommager l’appareil auditif. Ce sont donc ces étendues en fréquence et en puissance, ainsi que d’autres paramètres tels que le temps d’intégration et le pouvoir sélectif de l’oreille qui composent le monde sonore accessible aux humains. Comme le relève Nicolas Frize «L’ouïe est un sens difficile d’accès, difficile de pensée, difficile à partager, et ce pour des raisons très multiples qui tiennent à la subjectivité, à la nature volatile et non consommable du son, à l’absence de vocabulaire populaire pour en parler, à l’absence d’une pédagogie de l’écoute ...». Cet acousticien compositeur relève en quelques expressions un grand nombre de problèmes et d’incompréhensions posées par l’ouïe. 1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991
Herbert Bayer, Le Citadin Solitaire, 1932, détail
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2 Matthieu CROCQ, avec Yannick DAUBY, Etienne NOISEAU, Baptiste LANASPEZE, Glossaire d’écologie sonore,, Ondes du monde : territoire sonores de l’écologie, numéro 4, 2009, http://www.wildproject.org/journal/index
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P1 L’ouïe est un sens particulier, qui nous permet de percevoir les sons et donc d’absorber des informations, même pendant notre sommeil. Nous captons des choses impalpables, abstraites dont notre oreille est capable de faire la sélection (sons désirables ou indésirables). L’oreille n’a pas de paupière, et c’est par là un sens tout le temps sollicité (sauf en cas d’utilisation de bouchon d’oreille, ce qui ne suffit pas toujours à masquer les bruits de forts décibels…).
Les sons sont inscrits dans un cadre spatio-temporel. Pour qu’il y ait son, c’est qu’il se passe quelque chose, une action. Il se produit alors un ou des son(s) dans un cadre spatial, qu’il est souvent difficile de délimiter. Nicolas Frize s’exprime même de la façon suivant : « le son a tout à voir avec l’action et la durée », « Le son est à l’endroit de l’action », « Le son, c’est aussi l’endroit de la durée, le son travaille sur le temps ». Finalement il faut « être présent durant l’évènement qui se passe : en effet, il se passe quelque chose parce que vous l’entendez. »1 Le son est donc synonyme de vie et a tout à voir avec l’action et la durée; ce sont principalement ces notions qui nous permettent de définir l’aspect sonore d’un lieu. Le ronronnement d’un chat est le résultat d’un chat qui se plaît dans son milieu et donc le mécanisme anatomique produit ces sons que nous nommons «ronronnements». Le bruit d’une voiture est l’action mécanique de son moteur, dans laquelle un processus complexe de pièces métalliques et de liquides entrent en jeu. Le son du vent est en réalité l’action, le mouvement de l’air qui frappe les feuilles des arbres, les toiles des drapeaux... La sensation est alors tactile autant qu’auditive. Sans obstacles, rien ne démontre la présence du vent. La moindre petite action, la moindre petite chose traduit une action, un évènement. Même si le son est inaudible à l’oreille humaine,
s’il y a action, il y a son. Si le son s’exprime en terme de durée, d’accélération, de décélération, de commencement et de chute, il paraît important de définir le temps et la durée tel que nous l’utiliserons dans ce mémoire, à partir du livre d’André Comte-Sponville, Présentations de la philosophie. Selon son auteur, « Ce que nous appelons le temps, c’est d’abord la succession du passé, du présent et de l’avenir. Mais le passé n’est pas, puisqu’il n’est plus. Ni l’avenir, puisqu’il n’est pas encore. Quant au présent, il semble n’être du temps - et non de l’éternité - qu’en tant qu’il ne cesse, d’instant en instant, de s’abolir. Il n’est qu’en cessant d’être.»2 André Comte-Sponville met l’accent sur l’aspect éphémère et unique du présent. Les évènements se réalisent à un moment donné, à un présent qui devient passé. Parfois ils sont très brefs et nous les nommons évènements à un instant t, d’autres fois ils se prolongent, et les présents successifs s’entremêlent. Comment mesurer quelque chose qui au regard du présent instantané n’est plus? Selon Rousseau, dans Les Confessions3 «si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu’il est, lui qui ne peut être qu’en cessant d’être?». Nous déterminerons alors la durée comme «le temps objectif, du monde ou de la nature, qui n’est qu’un perpétuel maintenant» et le temps comme «le temps de la conscience ou de l’âme, qui n’est guère que la somme - dans et pour l’esprit - d’un passé et d’un avenir». Pourtant il s’agit d’une seule et même chose, «le temps n’est que la mesure humaine de la durée (...) la durée fait partie du réel (...) c’est la continuation indéfinie de son existence. Le temps, lui, n’est qu’un être de raison : c’est notre façon de 2 André Comte-Sponville, Présentations de la Philosophie, 2002, livre de poche, édition 2008, p.118
(1) Nicolas Frize « Prendre place/espace public et culture dramatique » - esthétique de la démocratie Plan Urbain - Colloque de Cerisy 1993 1
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3 Cf note 2, citation de Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions
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P1 P penser ou de mesurer l’indivisible et incommensurable durée de tout. La durée est de l’être; le temps, en ce sens, du sujet.» Le temps est infini, il est la somme de durées qui se suivent, s’entrecoupent, se superposent, se soustraient... Le temps nous permet de les délimiter et de les nommer de sorte qu’il est décomposé en années, en mois, en semaines, en jours, en heures, en minutes, en secondes. Pour entendre un son il faut donc être présent pendant que l’action se déroule : un son est unique, il ne peut être arrêté ni répété.
P1 // 2.3. Synesthésie
La synesthésie, terme issu du grec « « sunaisthêsis » qui signifie « perception simultanée » est un phénomène neurologique. La pratique de la synesthésie en littérature consiste, lorsque l’on définit une perception, en l’utilisation d’un terme théoriquement réservé à une ou des sensation(s) différente(s). Les écrivains en jouent afin d’habiller de nuances les descriptions d’impressions et de sentiments. Charles Baudelaire écrivait par exemple « Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois ». Il parvient à traiter du monde sensible, en l’interprétant comme une «forêt de symboles» en y percevant la «ténébreuse et profonde unité». « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Dans une ténébreuse et profonde unité. »
Harold Lloyd, Safety Last, 1923
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Rimbaud a également usé de cette théorie, dans plusieurs de ses œuvres littéraires. « Je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens ». Il associe alors dans ses descriptions des sensations d’ordres différents. Mais la synesthésie, telle que nous la considérerons dans la suite de ce mémoire, ne consiste pas seulement en la juxtaposition de sensations qui diffèrent. Il s’agit plus précisément d’une association de deux ou plusieurs sens. Nous allons alors mêler une expression avec une autre afin de rendre compte qu’une perception découle de la simultanéité de sensations, de perceptions et d’émotions. Les types de synesthésies sont diverses. Dans ce cas présent, nous nous intéresserons au rapprochement de l’ouïe et de la vue. Nous déterminons le terme «sensation» comme le «phénomène qui traduit, de façon interne chez un individu, une stimulation d’un
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P1 de ses organes récepteurs». La sensation définit aussi l’«état psychologique découlant des impressions reçues et à prédominance affective ou psychologique (sensation agréable/désagréable)»1. Les sensations découlent des énergies captées par les sens. Ceux-ci désignent d’un point de vue physiologique l’organe de la perception, le système de récepteurs capables de capter et traduire des formes de phénomènes.
« Des cercles de musique sourde » (Rimbaud, Illuminations)
P1 // 2.4. Phénoménologie
P1 // 2.4. Phénoménologie La perception chez Merleau-Ponty « n’est donc pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d’une manière indivisible avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens »2. Ainsi, Merleau-Ponty dans Phénoménologie de la perception, remet en cause l’idée d’un objet sensible dont l’unité serait immédiatement perçue selon des sensations homogènes. Chacun de nos sens figure un monde singulier. L’idée que notre conscience ait à faire à un monde objectif qui produirait en nous des impressions unifiées est à écarter. Chaque sens apporte une configuration du monde qui lui est propre. L’objet en tant qu’objet visuel sera différent de l’objet sonore. « Les sens sont distincts les uns des autres et distincts de l’intellection en tant que chacun d’eux apporte avec lui une structure d’être qui n’est jamais exactement transposable »3. Notre réflexion nous permet de reconnaître un objet unique dont chaque sens en fait une expérience nouvelle. Merleau-Ponty conteste l’idée Kantienne d’un « espace unique ». Kant voit dans l’espace, une forme pure de notre sensibilité dans laquelle toutes nos sensations s’ordonnent. Selon Merleau-Ponty, le corps percevant est, au contraire, porteur et créateur d’espaces pluriels, aussi divers que la façon dont chacune de nos sensations reconfigure et réinvente le monde. « La sensation telle que nous la livre l’expérience n’est plus une matière indifférente et un moment abstrait, mais une de nos surfaces de contact avec l’être, une structure de conscience, et au lieu d’un espace unique, condition universelle de toutes les qualités, nous avons avec chacune d’elles une manière particulière d’être à l’espace et en quelque sorte de faire de l’espace »4
Kandinsky, Cercles dans cercles, 1923
2 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, chapitre « Le sentir », Tel Gallimard
1 Dictionnaire Larousse.fr, dictionnaire de langue française en ligne, recherche du terme «sensation»
4 Cf note 2, p. 256
P1 // 2.4. Phénoménologie
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3 Cf note 2, p. 260
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P1 P L’espace n’est donc pas une donnée sensible propre à la vision, chaque sens créé un espace qui lui est propre, porte un « espace sensoriel ». Les sens de l’ouïe, du toucher, de l’odorat ne sont pas des sensations secondaires qui se détacheraient sur le fond d’un espace objectif et livré uniquement à la représentation de la vue. Les perspectives ne sont pas seulement visuelles : il y a des perspectives sonores qui ne répètent pas les perspectives visibles mais les transforment, les bousculent, les recréent. « Dans la salle de concert, quand je rouvre les yeux, l’espace visible me paraît étroit en regard de cet autre espace où tout à l’heure la musique se déployait, et même si je garde les yeux ouverts pendant que l’on joue le morceau, il me semble que la musique n’est pas vraiment contenue dans cet espace précis et mesquin. Elle insinue dans l’espace visible une nouvelle dimension où elle déferle, comme chez les hallucinés, l’espace clair des choses perçues se redouble mystérieusement d’un « espace noir » où d’autres présences sont possibles. » 1
L’apport de la phénoménologie de Merleau-Ponty est ainsi de reconnaître une pluralité d’espaces sensoriels liés à l’expérience sensible d’un corps dont les sensations sont porteuses de mondes toujours recréés par cette expérience sensible. La vue ordonne les catégories de la connaissance et celles de la politique, l’architecture a essentiellement considéré l’espace comme un espace visuel, objectif et géométrique. Interprétée avant tout comme « une œuvre à voir », l’architecture a ignoré la pluralité et la richesse des « espaces sensoriels » que chacun de nos sens, dans sa singularité, féconde.
Finalement, notre expérience ramène ces différents espaces sensoriels à une synthèse objective en dialoguant entre eux, en se répondant et parfois en s’opposant même. Ainsi, ne pouvons-nous pas reconnaître la spécificité d’un « espace sonore » dont la profondeur, les vibrations et le rythme propres peuvent entrer en dialogue, voire contredire « l’espace visuel » ? Considérée comme l’aune de la phénoménologie, l’architecture ne doit plus être considérée simplement comme « espace visuel » mais comme le point de rencontre de divers « espaces sensoriels ». Le corps est comme le lieu de la perception, de la pensée et de la conscience. La signification ultime de tout bâtiment se situe au-delà de l’architecture ; il ramène notre conscience au monde et la dirige vers notre propre sens du soi et de l’être. Par l’architecture de nos espaces (tant privés que publics, tant intérieurs qu’extérieurs), nous faisons l’expérience de nous-même, par l’intermédiaire de nos sens instinctifs, simultanés, qui s’interpénètrent et dialoguent. Il s’agit donc d’une interaction des sens au sein d’ « espaces sensoriels ».
1 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, chapitre « Le sentir », Tel Gallimard, p. 256-257
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P1 Interstice
L’architecture est donc au cœur des questions de l’existence de l’homme dans l’espace mais aussi dans le temps. Elle se rapporte aux questions métaphysiques du soi et du monde, de l’intériorité et de l’extériorité, du temps et de la durée, de la vie et de la mort. L’évocation du son est synonyme de vie, alors que le visuel (l’architecture) reflète l’existence humaine mais ne montre en rien la présence de la vie à un moment précis et sur une durée donnée. En effet, au regard de la photographie d’architecture, nous voyons que l’architecture est figée, et respire l’œuvre architecturale et non l’espace de vie et de hasard. Dans nos conceptions d’espaces publics autant que d’habitats, un trop
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grand nombre de projets omettent les dimensions de l’être humain, des « espaces sensoriels » perçus par les cinq sens. Pourtant, le monde est sensible, le monde est hasardeux. Juhani Pallasmaa apporte sa vision de l’architecture de la façon suivante « L’architecture est notre instrument premier pour nous relier à l’espace et au temps et donner à ces dimensions une mesure humaine ». Mais la vision fait partie du temps infini, l’architecture est construite comme visuelle et appartient donc à cette infinité, éloignée de l’Homme dont la vie s’essouffle. Il faut donc faire de l’architecture sonore ! Que nos espaces publics n’encadrent pas nos sons, mais qu’ils chantent d’eux-mêmes, qu’ils s’expriment dans une symphonie en harmonie avec les sons de nos vies. Qu’ils nous permettent de découvrir le monde, comme une expérience de nous-mêmes. Il est important de dire que nous ne prônons à aucun titre la prédominance auditive. Il ne s’agit pas d’inverser le poids de la balance mais au contraire de l’équilibrer, de prendre conscience que dans la perception, les cinq sens sont en jeu et s’influencent entre eux et qu’il ne faut plus créer des espaces publics basés seulement sur la réflexion visuelle. Les sons d’un espace public auront de l’incidence sur la perception visuelle que nous aurons du lieu et inversement. En cela, comment les sens que sont la vue et l’ouïe interagissent-ils ? Créent-ils des sensations séparées ? Le paysage sonore d’un espace public évoquet-il son milieu visuel ? Y. Leroy répond en indiquant que le concept d’Univers sonore se décrit « (...) comme des bruits et des sons présents à un moment donné dans un espace donné. Il caractérise ce milieu en même temps qu’il est déterminé par celui-ci».
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P1 P P1 // 3. L’espace public, silence et surveillance
P1 // 3.1. L’architecture silencieuse
Des traits, des plans, des surfaces, des perspectives... Le stylo et l’ordinateur sont les outils premiers de l’architecte et de l’urbaniste. Ils créent des espaces visuels, des espaces muets où chacun est silencieux. En effet, l’ordinateur établit une distance entre le créateur et l’objet, il tend à enrayer nos capacités d’imagination sensorielle. En concevant des projets sur l’ordinateur, comme nous l’indique l’ère architecturale et urbaine dans laquelle nous sommes, les architectes, les urbanistes et les paysagistes pratiquent la manipulation visuelle passive. Le dessin à la main et la maquette tendent déjà plus vers une conscience multi-sensorielle. Ils permettent de projeter corporellement et mentalement, par le biais du contact avec l’objet ou l’espace, des ambiances sensibles, qu’elles soient conceptuelles ou non en phase de projet.
David Michael Levin soutient la critique philosophique de la prédominance visuelle de la façon suivante : « Je pense qu’il convient de remettre en question l’hégémonie de la vision – le ‘’centrisme oculaire’’ de notre culture. Je pense qu’il faut examiner de façon très critique le caractère de la vision qui prédomine dans notre monde. Nous avons un besoin urgent d’un diagnostic de la pathologie psychosociale de la vision quotidienne, et d’une approche critique de nous-mêmes en tant qu’êtres voyants »1. Un appel d’alerte se fait ‘’entendre’’, mettant en critique l’homme comme un être guidé par sa vision, ce qui entraîne des problèmes sociaux au sein de l’espace public vécu comme un lieu visuel, un espace surveillé. Nous expliquerons en premier lieu comment la ville et ses espaces sont conçus silencieusement, puis nous aborderons l’espace public comme un lieu sous l’emprise de la société visuelle, et enfin nous tenterons d’appliquer le concept de structure panoptique à l’espace public de la surveillance et du paraître.
Finalement, la ville est aux yeux de la majorité un lieu fonctionnel. Nous la traversons pour nous rendre à tel endroit et pour telle raison. L’espace public est conçu de façon fragmenté : ici, le parc à enfants, là l’espace des skates, là-bas la place des bancs, etc. Des grilles, des normes conditionnent nos espaces publics. Des rues parallèles suppriment la rencontre, des grilles interdissent l’investissement, des démarcations interdissent la pluri fonctionnalité, pourtant l’espace public est un lieu sensible. Chaque infime partie d’un espace public contient ses aspects sensibles, ses détails de couleurs, de formes, d’odeurs, d’aspérités, des éléments sociaux et culturels se trouvent en chacune d’elle.
1 Citation extraite du livre Le regard des sens, Juhani Pallasmaa : D. M. Levin, « Decline and Fall – Ocularcentrism in Heidegger’s Reading of the History of Metaphysics »
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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P1 P1 // 3.2. L’espace public, espace de la société visuelle
piétonniers.
La vue fait de nous des êtres surveillés, baignant dans une agressivité venant du pouvoir. L’espace public appartient-il à tous ? Il est le lieu de la voix du peuple. C’est ici que celui-ci s’exprime, revendique, rencontre, s’épanouie, parle. Mais, est-il vraiment cela, ou devrait-il l’être ? Car si nous cherchons à construire des espaces publics du ‘’confort’’, du ‘’bien-être’’, de l’épanouissement, de loisirs, ne faut-il pas consentir à laisser une part de liberté à celui qui le pratique, dans laquelle il s’exprime (à voix haute) plutôt que de faire de lui un simple observateur et objet d’observation ?
Ainsi depuis les places publiques - espaces libres, encerclés par des bâtiments de diverses catégories - le pouvoir (tant politique, que physique) nous domine, nous observe, nous juge, nous fige, nous contrôle. Il y a également une sensation de contrôle visuel direct, entre deux citoyens de l’espace public, du moins un jugement par le regard critique de l’autre. Ainsi dès le XIXe siècle, au sein même de la ville, des espaces publics ont répondu à la demande de la société : boulevards, avenues, rues, places, squares, jardins et parcs urbains, théâtres, musées qui sont des espaces du « paraître », des lieux de représentation essentiels dans la vie d’un bourgeois. Ils assuraient également le déplacement qui s’était développé de plus en plus. Au XVIIIe siècle, les rues des villes anciennes, espaces de la vie quotidienne de proximité, ont été sujettes à de multiples préoccupations et projets, dans lesquels une vision fonctionnelle de la voie comme support de déplacement est énoncée.
David Michael Levin met en avant ce phénomène visuel de surveillance qui pollue nos sociétés. « Il y a une volonté de pouvoir très forte dans la vision. Il y a dans la vision une forte tendance à saisir et figer, à réifier et totaliser ; une tendance à dominer, sécuriser et contrôler. Elle a été si largement répandue qu’elle a finalement assumé une domination incontestée sur notre culture et son discours philosophique en établissant, conformément à la rationalité expérimentale de notre culture et au caractère technique de notre société, une métaphysique de la présence centrée sur la vue ».1
Aujourd’hui, la majorité des espaces publics comporte de nombreuses normes qui les qualifient et les dessinent. Elles devraient être décidées à ses côtés, en son sein même, et à partir de ses habitants, de ses occupants. Pourtant, elles sont élaborées loin des regards et des débats publics, dans des espaces privés, bureaux ministériels, au calme. Alors, les espaces publics mis en place sont sous le contrôle des politiques invisibles, dont l’œil caché surveille et fige les mouvements 1 Citation extraite du livre Le regard des sens, Juhani Pallasmaa : D. M. Levin, « Decline and Fall – Ocularcentrism in Heidegger’s Reading of the History of Metaphysics »
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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P1 P P1 // 3.3. L’espace public, structure panoptique ?
L’espace urbain d’aujourd’hui est entré dans une logique de contrôle. Il fait l’objet de surveillances multiples. Dans ce cadre présent il m’a semblé intéressant d’aborder le thème du panoptique. A l’origine, le panoptique résidait en un type architectural carcéral conçu au XVIIIème siècle, par le philosophe Jeremy Bentham et son frère, Samuel Bentham. La structure panoptique met en place une surveillance omniprésente de la part du gardien : celui-ci, logé dans la tour centrale, peut observer tous les prisonniers, eux-mêmes enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans qu’ils puissent savoir qu’ils sont observés. Michel Foucault a réutilisé ce modèle, dans son ouvrage Surveiller et punir (1975) afin de montrer le modèle de notre société disciplinaire, notre société de surveillance. Comme le dit Gille Deleuze « La formule abstraite du Panoptisme n’est plus « voir sans être vu », mais « imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque »1. Nous réutiliserons la réflexion de la société panoptique appliquée aux espaces publics. Par exemple, devant la Mairie d’une ville, l’agora (dans la Grèce antique) invite au rassemblement politique, c’est dans ces espaces publics que les individus, surveillés par le pouvoir, exprimeront leurs mécontentements, à coups de cris et de manifestations communes. Finalement, dans plusieurs exemples (la révolution
de 1789), nous voyons que le cri du peuple peut être plus fort que le regard du pouvoir, le son couvre le visuel. En dehors de l’espace public, reprenons le cas des prisons juste pour appuyer notre propos.
Je me souviens2, il y a six ou sept ans, un soir de réveillon pour la nouvelle année, j’étais passée près de la prison Saint Michel, bâtie au milieu du XIXe siècle et pensée sur le modèle panoptique des prisons. A travers les épaisses parois de briques rouges, giclaient des cris protestataires des détenus. Ils étaient prisonniers de ces murs, ripostaient de ne pas pouvoir fêter le temps qui passe, et malgré la surveillance certainement aiguisée du gardien, les sons du peuple dominaient…
Mais de plus en plus, l’espace public du panoptique tend à se renforcer. En effet, comme nous pouvons le voir dans la théorie de Thierry Paquot, notre société est composée de multiples moyens visuels : vidéo surveillance, communication virtuelle, qui entraînent et démontrent la crainte de la proximité sociale avec des inconnus. « Plus l’individualité d’un sujet s’affirme, plus la distinction entre « privé » et « public » lui paraît essentielle.»3 Au sein de l’espace public, les individus s’auto surveillent, se sentent observés, et l’espace public se trouve privé de ses usages propres, lieu du lien social, du débat public et de la scène culturelle.
Le peuple et l’oeil du pouvoir
2 Référence à George Perec, Je me souviens
1 Gilles Deleuze, Foucault, Editions de Minuit, 1986/2004, p.41
3 Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La découverte, « repères » 2009
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P1 Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Interstice Alors que l’espace public devrait être l’abri, l’air, le vide, la place du bien commun, de l’échange et de la relation créés ou à créer, entre des individus, nous pensons les espaces publics comme des espaces de transitions, de passage, des moyens de traverser, voire de fuir la ville. Les espaces publics sont alors pour nous des espaces sonores composés de sons non-humains, des espaces seulement fonctionnels et en service, où l’individu se déplace mais ne s’exprime pas oralement. En effet, les espaces publics sont souvent délimités, fragmentés, figés et de plus en plus dénués de vie et de surprises. L’espace public doit pourtant être libre, apte à la poly-fonctionnalité dans son utilité première. Finalement les espaces publics de sur équipement s’empêchent de vivre et de laisser vivre les individus. Souvent, l’ordre économique - qui met en valeur les ressources - entre en jeu. Ainsi, terrasses, marchés, aires de jeux, fragmentent la place publique. Nous avons alors à faire à des rythmes visuels : s’enchaînent des tronçons d’aire publique, découpés, protégés par son urbanisation. A travers leurs bancs, leurs aires de repos, leurs espaces verts, leurs micros espaces d’activité, leurs placettes, etc., les espaces publics nous invitent à s’arrêter ; parfois au contraire ils obligent à tracer notre chemin (d’un pas précipité ou d’un pas flâneur), d’autres fois, ils proposent de regarder l’eau d’une fontaine en face de laquelle sont disposés des bancs, etc. Autant d’espaces publics que nous renommons jardins publics, places publiques, rues, squares, etc. selon les matériaux utilisés, les dispositions du mobilier, la forme et la composition de leurs espaces. Nous pouvons alors nous demander, à l’instar de Nicolas Frize, si les espaces publics sont réellement faits pour répondre à des besoins, à des usages et des fonctions précis? Sont-ils faits pour être traversés, stationner debout ou assis ? Sont-ils faits pour voir, ou ne pas regarder ?
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P1 P P1 // 4. L’essence de l’espace public
Nous allons maintenant tenter d’expliquer comment l’essence de l’espace public en tant qu’entité politique, sociale et culturelle est en lien avec les sens de l’être humain ; acteur politique, social et culturel.
Nous nous interrogeons alors sur le dialogue qui s’instaure entre le paysage sonore et les espaces publics. Les paysages sonores qui découlent de certaines activités n’enrayent-elles pas la proposition d’usages par l’espace public ? Comment les sons participent-ils aux fonctions du lieu ? Les rythmes sonores qui se dégagent des surfaces visuelles sont-ils en accord avec les séquences visuelles, « aires de vie » bien définies des espaces publics? Ou au contraire, les sons viennentils à l’encontre de la maîtrise physique des espaces publics ? Comment influencent-ils notre rapport à l’espace public, l’usage que nous allons en faire, ainsi que nos attitudes politiques et nos rapports sociaux ?
P1 // 4.1. Entendre dans l’espace public
Le son de la vie n’est pas une marchandise, le monde sonore de l’espace public ne doit être ni rentable ni un objet de reproduction. Le sonore est au cœur de la vie, il est synonyme d’action produite sur une durée donnée, il est le reflet même de la vie en commun, il «nous relie malgré nous ou grâce à nous, avec ce qui est inéluctablement audible»1. Toutefois, «la société du profit ne peut pas intégrer le critère de qualité comme une valeur culturelle si cette valeur ne produit pas de plus-value»2. Nous admettons toutefois que la publicité utilise de plus en plus le son à des fins économiques et nous verrons que seuls certains évènements culturels permettent de donner de l’importance à l’écoute et à la qualité du son. Concerts, spectacles sont autant de représentations pour le public où le son est enfin étudié dans un but culturel. Il n’est pourtant pas possible ou même punissable de faire taire les choses et les hommes du quotidien, de rendre nos civilisations muettes, tranquilles et sans sons. Nous devrions jouir de nos sons, les associer, les relier, les exprimer, les contempler, les expérimenter. Certains architectes acousticiens s’éveillent de plus en plus dans l’optique de rendre à l’usager, l’écoute de son habitat, et la possibilité de bien entendre sa ville. Bernard Delage, dans un entretien avec Naarbed Gaaled, réplique à l’idée que la ville n’est bâti que pour le regard que «Non puisque quand bien même le paysage sonore serait invisible, on peut le dessiner ou le photographier»3. En effet, et c’est ce que nous avons tâché de faire durant l’élaboration de ce mémoire. Mais, comme Nicolas Frize4 le relève, «ne sont-ce pas souvent les budgets qui concernent ces revendications-là même (la compréhension et la 1 Nicolas Frize, Formes et Structures n°126 - sept 98, Dossier Culture et communication (Editorial)
2 Nicolas Frize « Prendre place/espace public et culture dramatique » - esthétique de la démocratie Plan Urbain - Colloque de Cerisy 1993 3 Entretien « Paysages sonores : écoutons voir… » de Bernard Delage par Naarbed Gaaled 4 Cf note 1
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P1 maîtrise des phénomènes acoustiques) qui sont le plus souvent mis à mal, au moment final des systématiques réductions financières qui marquent la finalisation des constructions urbaines»? Bernard Delage insiste en répliquant que les architectes, urbanistes et paysagistes «sont des professionnels qui travaillent à un résultat (...) ils n’isolent pas chacun des domaines sensoriels, ils ne séparent pas les aspects techniques des aspects artistiques (...) traçant des traits, sachant ce qu’ils seront et ce pourquoi ils compteront dans la pratiques des usagers, les architectes, les urbanistes et les paysagistes sont les compositeurs du paysage sonore». Je me permets dire que ce que développe Bernard Delage est ce qu’il devrait être mais pas ce qui est. Certes, aujourd’hui, de plus en plus d’acousticiens, d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes, de musiciens… travaillent les espaces dans une optique d’écologie sonore, mais cette poignée d’acteurs n’est cruellement pas suffisante.
Comment penser alors les volumes, les surfaces, la conception des espaces publics, afin que les passants, les visiteurs, les flâneurs, les utilisateurs puissent jouir de leurs paysages sonores et redonner aux espaces publics ses valeurs primaires de lien social, de débat public et de scène culturelle ?
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
P1 // 4.2. L’espace public, espace commun, lien social Aujourd’hui l’espace public n’est plus un espace de rencontre mais un espace transitionnel constitué de flux. Pourtant l’espace public a pour essence première d’être un monde commun dans lequel nous nous insérons par l’action et la parole. Une des caractéristiques premières de l’espace public était celle d’être un lieu de parole, dans le sens de s’exprimer en tant que citoyen mais également d’échanger en tant qu’individu avec autrui. En effet lorsqu’il y a conversations humaines et donc paroles, il y a échange, établissement de relations et (re)connaissance d’autrui. La communication s’instaure. Les espaces publics doivent être des lieux où nous parlons, où nous puissions nous entendre, et nous entendre ! Pourtant, la communication, qui fait le lien entre le singulier et le pluriel d’ « espace public », tend à disparaître et alors nous remettons en cause l’existence d’espace(s) public(s). Il nous faut retrouver le cadre d’entente de nos espaces publics ! Il me paraît important de développer à présent l’évolution de la relation entre l’espace privé et l’espace public. En effet, Thierry Paquot nous apprend qu’au Moyen-Age, l’espace public était le prolongement de la vie intime, le lieu du partage et de la communication. Nulle différenciation n’existait entre l’espace public et l’espace privé. C’est dans la société du XVIII siècle, en parallèle de l’Etat-Nation, qu’émerge une prise de conscience d’une plausible autonomie du sujet au sein de la masse de la population européenne. Une hantise de la promiscuité à la fois physique et morale se développe et le processus d’individuation entraîne l’appétence de l’intimité. La démarcation entre le public et le privé se dessine alors dans notre société qui tend vers un consensus
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P1 P qui confirme l’individualisme et non la notion du vivre ensemble dans des espaces communs.
Nous devenons les spectateurs de nos espaces urbains, alors dénués de sens et de valeurs en oubliant que nous en sommes aussi les acteurs. Selon Françoise Choay1, l’espace public a évolué selon les phases suivantes: au Moyen-Age nous parlions d’espace de contact ; à l’ère classique, d’espace de spectacle ; à l’ère industrielle, d’espace de circulation et à l’ère contemporaine, d’espace de branchement.
parti. Au sein de l’espace public, la communication respire, s’adonne, se crée. L’espace public doit être un lieu commun, de communication, d’échanges. Comme nous pouvons le lire dans Vies citadines, « L’imprévu en ville, c’est avant toute chose la possibilité d’entrer en relation avec celui qu’on n’attend pas, mais que l’on espère souvent »2. Communication signifie, « en latin, commerce, relations 1. Le fait de communiquer, d’établir une relation, un rapport avec quelqu’un, quelque chose. 2. Action de communiquer. Résultat de cette action. »3
Ainsi, alors que la proximité et la promiscuité des villes anciennes induisaient l’écoute et la tolérance de l’autre, aujourd’hui, nous nous enfermons de plus en plus dans nos bulles personnelles, composées de soi et de nos multiples « connexions ».
Communiquer signifie, « en latin être en relation avec 1. Faire connaître quelque chose à quelqu’un. Dire, divulguer, donner, livrer, publier, transmettre. 2. Faire partager. […] 4. Rendre commun à, transmettre. »4
Il faut alors rappeler la constatation de la domination de l’œil qui tend à l’isolement, au détachement et à l’intériorisation humaine. Nous nous déracinons d’autrui, du monde vivant, du monde sensible. Les sens, autres que la vue, souffrent de pathologie, et ce déséquilibre sensoriel mène à une déshumanisation du monde, et de nos espaces publics. Si la parole reprenait non pas le pouvoir mais sa place, nous retrouverions un équilibre basé sur l’échange. Dans les sons que nous produisons s’expriment non seulement la vie, mais surtout l’acte du vivre ensemble.
De plus, dans communiquer et communication, il y a « commun ». Ce mot vient du latin «communis», qui appartient à tous, à plusieurs et ordinaire, de munus « charge, fonction », « don » et « service rendu ».5
L’espace public est le lieu du hasard et de la communication, comme le soutient Thierry Paquot. Il devrait être le cœur des rencontres fortuites, des découvertes inattendues. Nous devrions pouvoir interrompre la conversation de nos voisins de l’espace public afin de prendre
La communication lie les espaces publics de la ville. Thierry Paquot nous informe que dans le dictionnaire Larousse du XIXe siècle, communication signifie « télégraphe, route, canal ». Les échanges d’informations, de marchandises entre individus passent pas les voies de communication et participent à l’échange entre espaces publics d’un point de vue politique.
2 Doier Apprill et Gervais Lombony, Vies citadines Chapitre n°8 Fêter chap. 8, p. 138 3 Dictionnaire Larousse.fr, dictionnaire de langue française en ligne, recherche du terme «communication» 4 Cf note 3, «communiquer»
1 Françoise Choay, Espacements , Milan, Skira, 2003.
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5 Cf note 3, «commun»
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P1 Dans une émission intitulée « espace public/ espaces publics » de 20131, Thierry Paquot nous conte comment les Hommes sont au fondement de leurs espaces publics : « Un homme marche et créé spontanément une rue habitable. C’est un élément humaniste de communication longitudinale et transversale. Un autre homme marche à sa rencontre, ils s’arrêtent tous les deux et se parlent. Un autre élément humaniste de communication se créé. […] La place et la rue ne sont pas des instruments rationnels, ce sont des liens mythiques et écologiques d’habitants. » Le Corbusier n’avait pas le droit d’imposer une géométrie disciplinaire avec pour base la grille, composée uniquement de lignes parallèles qui font que les objets urbains qui ne se rencontrent jamais.
De l’Humain, individu unique, à la rencontre humaine
1 25 nov 2013 16h00 public 1/5 espace public/espaces publics, politique et urbanisme, France Culture
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P1 // 4.3. L’espace public, espace politique, débat public Comme nous l’avons expliqué dans le cadre du développement de sa définition, l’espace public est un espace politique. Espace démocratique, à l’origine il sert à permettre l’expression d’une opinion publique menant à un débat contradictoire. L’espace public doit donc être un espace qui donne la parole en permettant donc à son peuple de dialoguer en son sein même et de s’exprimer auprès de son Etat. Garde donc à ne pas enrayer le dialogue politique ! Dans l’espace public comme espace de débat public, il est important de permettre l’agora, rassemblement du peuple, tant au niveau de l’espace physique que d’un point de vue sonore. Il faut que les voix du peuple puissent être entendues par l’Etat et par tous. Deux exemples appuieront nos propos dans le cas où la parole de l’Etat prend le pouvoir et tétanise celle du peuple. Le premier exemple glaçant permet de montrer comment la maîtrise politique peut s’abattre sur un peuple par le biais du son. En effet, Hitler, en 1938 aurait pris la parole de la façon suivante : « Nous n’aurions pas conquis l’Allemagne sans le hautparleur ». Il a donc usé de la « dimension sonore du processus d’adhésion et de son efficacité sur un groupe humain » Le deuxième exemple évoqué par Henri Torgue, dans son article Agir sur l’environnement sonore, de la lutte contre le bruit à la maîtrise du confort sonore (Regards croisés), explique l’exemple d’un phénomène paradoxal. Il cite lui-même Luis Sepulveda2 « En 1977, durant la dictature argentine, un colonel des Fusiliers de Chubut eut une idée géniale – génie militaire, il va de soi – pour empêcher d’éventuelles manifestations de conspirateurs. A chaque carrefour, il fit accrocher 2 Luis Sepulveda, Le neveu d’Amérique, éditions Métailié, 1996 , points seuils, p 98
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P1 P aux poteaux de l’éclairage des hauts parleurs qui bombardaient la ville de musique militaire – qu’on me pardonne de l’appeler musique – de sept heures du matin à sept heures du soir. Lorsque l’Argentine réintégra la communauté internationale, malgré une démocratie sous haute surveillance, les nouvelles autorités ne voulurent pas retirer les hauts parleurs pour éviter de contrarier les militaires, si bien que la population de Rio Mayo continua d’endurer douze heures quotidiennes de bombardement de décibels. Depuis 1977, les oiseaux de Patagonie évitent de survoler la ville et la plupart des habitants souffrent de problèmes auditifs. »
sonore est une métaphore de la vie publique et de la politique. »
Nous admettrons que nous ne pouvons pas parler d’espace public d’un point de vue politique, car l’Argentine était sous dictature et que la démocratie est nécessaire pour aborder la notion d’espace public. Néanmoins nous voyons dans cet exemple très révélateur que la maîtrise sonore politique est essentielle dans l’expression de l’opinion publique tant dans un sens que dans l’autre. Autant l’Etat peut détruire l’espace public et contrôler son peuple en empoignant des hautparleurs, autant le peuple peut défendre la démocratie de son espace public en se regroupant et user de ses multiples voix pour clamer ses revendications et se faire entendre.
L’espace public doit conserver son usage comme lieu de parole, de rassemblement, physique comme politique. Finalement l’espace public doit parler pour son peuple, et faire parler son peuple. La communauté se donne à penser à elle-même en pratiquant devant tout le monde.
Comme le souligne Henri Torgue, deux attitudes sont visibles aujourd’hui dans l’espace public : celle de « l’harmonie obligatoire » et celle de la « cacophonie permanente. » « Un régime sonore type décrété par un ordre supérieur, «dictatorial ou artistique » ne peut être imposé. Mais il ne s’agit pas non plus de laisser toutes les voix s’élever sans que personne n’entende plus rien. Il faut rétablir un équilibre entre « la voix unique et la cacophonie ». « Il faut rendre possible l’harmonie de chants multiples, complémentaires ou contradictoires. En ce sens le
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Nous pouvons également aborder la notion de l’espace public politique, comme le lieu du débat à proprement dit. Il ne s’agit pas obligatoirement d’une manifestation mais également d’échanges d’opinions. Pour se faire, une fois de plus, l’espace public doit être apte à recevoir ses citoyens et leur laisser l’espace physique apte à la communication de l’opinion publique. La liberté, l’égalité, la démocratie et le bien communautaire sont des notions qui doivent être portées par nos sons au sein de notre espace public.
Interractions, échanges, l’espace public comme lieu de débat public
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P1 P1 // 4.4. L’espace public, espace sociétal, scène culturelle
Une société est lisible dans son monde sonore. Les sons détiennent donc un statut symbolique qui dépeint une communauté donnée. L’espace public qui est un espace culturel présente des ambiances sonores propres à sa société. Nous abordons l’espace public comme scène culturelle au sens où son peuple se montre et revendique sa culture. Les spectacles, les festivités traditionnelles sont autant de signes identitaires qui font sonner sa foule au sein des espaces publics. Ainsi, « La fête se déroule de plus en plus souvent en milieu urbain. Ayant pour cadre des espaces publics (la rue, la place, la zone piétonne…) […]»1. La fête est comme un laboratoire sonore : « laboratoire social de la ville en train de se faire, sur les dynamiques identitaires qu’elle engendre, les formes de domination sociale qu’elle révèle, les instrumentalisations politiques dont elle fait l’objet, sur les représentations collectives qu’elle propose de la ville elle-même ou de communautés qu’elle célèbre en son sein ».
l’espace public. L’urbaniste, l’élu, l’architecte sont, malgré eux, les créateurs des environnements sonores d’une ville mais également les responsables de ses conditions d’écoute. Les usagers des espaces publics prêtent alors plus ou moins attention aux sons qui leur parvienne jusqu’aux oreilles. La composition de l’espace public donne à voir ou non, une «audition collective fructueuse et égalitaire, «la perception que les gens ont d’eux, ont entre eux, ont du monde»2. Finalement, c’est dans l’espace public que nous nous rappelons que nous faisons partie d’une société, d’une culture, du Monde. Il nous faut apprendre à apprécier les sons d’autrui et à en faire sa propre composition musicale.
Les festivités d’une ville, souvent traditionnelles et donc historiques, proposent un panorama sur la diversité des populations qui peuplent la ville et sur les dynamiques identitaires qui sont à l’œuvre de la mise en scène sonore. Les auteurs de Vies citadines nous parlent d’« ethnicité urbaine », qui permet de redonner de l’importance au concept de « localité » qui est de plus en plus pensé comme « global » (phénomène de mondialisation). Les racines culturelles au sein de la fête sont mises en expérimentation comme de nouveaux signes de distinctions ethniques. Il s’agit de se mettre à l’écoute du son de la foule, des procédures festives, comme une musique ethnique qui se joue au sein de 1 Doier Apprill et Gervais Lombony, Vies citadines Chapitre n°8 Fêter chap. 8, p. 171
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2 Nicolas Frize, Formes et Structures n°126 - sept 98, Dossier Culture et communication (Editorial)
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P1 P Interstice
Pour que l’espace public réponde à ses fonctions propres constamment liées à l’espace sonore - que nous venons de développer, il faut que le terrain d’écoute y soit propice. Nous avons traité brièvement de l’écoute et de l’entente au sein de l’espace public, ce qui inclue alors les notions de bruits, de nuisances et de pollutions, et donc de confort acoustique que nous expliquerons ci-après. Nous admettrons que l’acoustique d’un espace public (nature des matériaux, conception des volumes) influence directement le paysage sonore et donc les gênes potentiellement occasionnées. Néanmoins nous nous intéresserons davantage à la nature de la source sonore des sons appelés bruits et des éléments sonores nommés nuisances ou pollutions sonores.
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P1 P1 // 5. Entre bruits et nuisances sonores dans l’espace public
Nous étudierons en premier lieu la signification du bruit et de son contraire, le silence. Puis nous verrons en quoi un son peut devenir bruit et donc nuisance ou pollution sonore. Enfin, nous développerons les notions de l’écologie et de l’esthétique sonore, appréhendées à l’origine par Murray Schafer, avant d’évoluer au cours du temps et en fonction de ses théoriciens.
La conscientisation de la nuisance sonore nous intéresse particulièrement dans l’appréhension sonore de l’usage de l’espace public. En effet, comme nous l’avons souligné, l’ouïe n’est pas encore assez prise en considération. Néanmoins, petit à petit l’inquiétude face à la nuisance sonore et le souhait de (re) trouver la qualité de «l’ouïe claire»1 se met en marche, mais avec difficulté et résistance de la part de bien des acteurs fondamentaux dans l’évolution de nos paysages sonores.
P1 // 5.1. Bruit et silence Bruit Le bruit, nom masculin, de bruire, en latin « brugitum », se défini comme : « 1 – Sensation auditive produite par des vibrations irrégulières. Emettre, produire faire un bruit. Ecouter, entendre, percevoir un bruit. Niveau sonore du bruit => décibel. Les bruits de la nature. Les bruits du vent, du tonnerre, de la pluie, des vagues. Les bruits de la rue. Bruit de moteur, de moto. Bruits de voix. […] 3 - Phénomène aléatoire gênant qui se superpose à un signal utile et en perturbe la réception. 4 – Redondance d’information. CONTR. Silence »2. Comme nous l’avons dit, le son est produit par la vibration d’un objet qui se transmet dans l’air, créant une onde vibratoire qui se propage dans toutes les directions. Il existe des sons purs et des sons complexes. Un son pur correspond à une onde sinusoïdale dont la fréquence et l’amplitude maximale sont constantes au cours du temps (exemple le diapason). Un son complexe est composé de plusieurs sons purs de fréquences et d’amplitudes différentes. Or, notre environnement nous propose d’écouter des sons complexes dans sa majorité. Ainsi, lorsque le nombre de sons purs mélangés est trop important, nous nommons le son que nous percevons : bruit. Le bruit perçu comme négatif est généralement défini par sa puissance, mesurée en décibels (dB). Pourtant, nous pouvons nous questionner sur nos sociétés actuelles, où climatisation, ventilation envahissent nos intérieurs comme nos extérieurs. Ne sommes-nous pas gênés, déconcentrés même, par ces bruits parasites qui, non pas désagréables par leur puissance mais par leur régularité ennuyeuse, leur absence d’humanisme, nous rendent conscients de leur existence seulement lorsqu’ils cessent ?
1 R. Murray Schaffer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès., p.376. L’ouïe claire désigne « une
2 Le nouveau petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du petit robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction
acuité auditive exceptionnelle, en particulier pour les sons de l’environnement. Les capacités auditives pourront être améliorées par les exercices d’éducation de l’oreille ».
de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2004, p. 310
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P1 P Une étude présentée dans Le paysage sonore1 de R.M. Schafer prouve très clairement que les bruits du quotidien les plus dérangeants ne sont pas les mêmes selon le lieu géographique. Il s’agit du projet mondial d’environnement sonore qui est né en 1971, dans l’optique d’étudier et de comparer les paysages sonores du monde. Cela a entrainé un grand nombre de chercheurs, à l’internationale, à mener des recherches à toutes les échelles au sujet de la pollution sonore, du symbolisme, de la perception des sons, etc. En effet, les variations de nos perceptions sonores selon notre culture dépendent également de la présence d’un son en termes de puissance et de temps dans notre quotidien. Un son qui est évènementiel pour une culture, sera bruit récurent pour une autre. A titre d’exemple, les bruits responsables du nombre de plaintes le plus élevées à Chicago aux Etats-Unis en 1971 sont ceux des climatiseurs, à Johannesburg (Afrique du Sud, 1972), ceux des animaux et oiseaux, à Londres (Grande-Bretagne, 1969), ceux de la circulation, à Paris (France, 1972) ceux des bruits domestiques et des voisins, et enfin à Munich (Allemagne, 1972), ceux des restaurants bruyants.
Ainsi, nous pouvons nous demander, de quelle manière la société culturelle d’un lieu influence le rapport entre les individus et les paysages sonores de leur ville.
Silence
Qu’est-ce que le silence ? Existe-il seulement ? Pouvons-nous écouter le silence ?
Le silence2, du latin « silencium », est un nom masculin. « P1 // 1 – Fait de ne pas parler, attitude de quelqu’un qui reste sans parler. […] II – 2 – Absence de bruit, d’agitation, état d’un lieu où aucun son n’est perceptible. ». Voici les définitions de « silence », dans le dictionnaire, qui nous intéressent dans le cadre de ce mémoire. Le silence est donc l’absence de son. Mais, comme le relève Matthieu Crocq, « tout produit du son », nous pouvons donc dire que « le silence n’existe qu’en l’absence de toute vie et de tout mouvement ». Le silence est donc un terme comparatif. Expliquons-nous.
Le silence s’applique en fonction de lieux donnés ou de moments donnés. Nous pouvons parler de silence pour qualifier un espace dont le bruit de fond est faible par rapport à un autre espace (jardin/route de trafic important). Et nous pouvons également évoquer le silence d’un lieu à un moment de calme comparé à un moment d’agitation (nuit/jour). R.M. Schafer nous indique que « L’homme aime à produire des sons pour se rappeler qu’il n’est pas seul. » Ainsi, si le son est synonyme de vie, et le silence, synonyme de mort, il est facile d’imaginer que, surtout dans la société occidentale où l’homme craint la mort, le silence est négatif. De plus, l’absence de communication, le « fait de ne pas parler » peut mettre mal à l’aise les individus de notre société, ainsi le silence à la fois porteur et marqueur de la rupture.
2 Le nouveau petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du petit robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction 1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991, p. 259
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de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2004, p. 2427
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P1 P1 // 5.2. De la nuisance à la pollution sonore
Il est important de définir la différence entre nuisance et pollution sonore. D’après Encyclopedia Universalis1, le terme nuisance désigne « toute dégradation de l’environnement qui ne présente pas d’impact écotoxicologique mais qui a pour conséquence d’induire une gêne pour les personnes qui la subissent. À la différence des pollutions, les nuisances ne provoquent pas d’effet néfaste sur la santé humaine et/ou sur le plan écologique. Toutefois, elles sont perçues à juste titre par ceux qui y sont exposés comme une modification défavorable de l’environnement. » La nuisance sonore a donc trait aux bruits liés au voisinage, à la circulation ou encore aux activités industrielles, ces bruits ayant différentes intensités, inférieures au seuil de lésions psychologiques. La pollution sonore est réglementée dans le but de protéger l’environnement sonore de l’homme. En effet, la pollution sonore altère le système auditif de l’être humain alors que la nuisance sonore provoque une gêne entrainant fatigue et déconcentration. Alors que la pollution sonore est prise en considération par les instances gouvernementales et environnementales, la nuisance sonore reste encore insuffisamment prise en compte.
Le premier communiqué s’est établi aux Etats-Unis, à Boston dans les années 1920. C’est après la seconde guerre mondiale que des seuils de limites sonores ont vu le jour en Europe. Enfin, la loi cadre de 1992 sur la répression et la prévention des pollutions sonore naît en France. Les villes restent toujours très bruyantes et on prend conscience des problèmes de santé engendrés (stress, fatigue, déconcentration, baisse de l’audition, etc.). En 2002 paraît la directive Européenne qui consiste en une évaluation et gestion du bruit dans l’environnement. Des plans de prévention des bruits dans l’environnement ainsi que l’information à la population sont des éléments de cette directive. Au fur et à mesure que les sociétés évoluent, les sons composent de nouveaux paysages sonores. La société dans laquelle nous vivons a créé de nombreux bruits non humains, parfois discrets, d’autres fois bruyants, qui nuisent à notre confort et nos rapports sociaux.
L’homme s’est donc préoccupé des pollutions sonores dès son apparition. En effet, dans les cités grecques de l’Antiquité, les choses bruyantes étaient placées en dehors de la ville. A Rome, les chars qui circulaient au niveau du forum rendaient des gens malades, il y a alors eu une régulation des chars. Au XIXe siècle, la réflexion et diffraction du son ont fait l’objet de préoccupations sonores. Au XXe siècle des lois, des arrêtés ont été fondés afin de lutter contre la pollution sonore.
Comme nous le dit Murray Schafer, le bruit est « un terme subjectif. La musique peut être le bruit de l’autre.»2 Finalement, entre bruit et nuisance sonore, nulle différence n’existe. Tout est histoire d’écoute. Evidemment, des bruits sont universellement reconnus comme «agréables» (son des vagues, chants des oiseaux) et d’autres comme «désagréables» (moteurs de voitures, bruits de climatisation). Mais par exemple, si nous travaillons assis dans notre chambre et qu’un oiseau (il en existe tant d’espèces différentes, et chaque oiseau a son timbre unique!) décide de chanter sans cesse dans l’arbre, juste devant la fenêtre ouverte, et que son timbre n’est pas des plus mélodieux, ne serez-vous pas déconcentré et alors gêné, voire agacé? Ne préfèreriezvous pas à cet instant donné, le ronronnement régulier des voitures qui passent dans la rue de l’autre côté?
1 Encyclopedia Universalis, http://www.universalis.fr/
2 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991, p. 373
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P1 P Tout est question d’auditeur, lui-même soumis à un contexte donné (temporalité, spatialité, caractéristiques physiologiques et psychologiques, etc.). Nous définirons la nuisance sonore comme les bruits que nous ne souhaitons pas écouter et qui nuisent à notre confort acoustique. Entre en jeu la sélection de l’oreille. Cette dernière a la très forte capacité de choisir ce qu’elle décide d’écouter ou non. Elle entend un certain nombre de sons, mais son attention portera sur les sons qui lui seront agréables.
Supprimer systématiquement la source sonore de la nuisance sonore signifie confondre ennemie et adversaire. Il s’agit de proposer des alternatives au réel qui nous est imposé. Faire taire et rendre muette toute source sonore dérangeante revient à éviter le problème. Par exemple, la mécanique des machines, des métros, des appareils, ne pourrait-elle pas être réfléchie de façon à la rendre harmonieuse, composition musicale? Un travail entre mécaniciens, ouvriers, architectures, urbanistes, élus, habitants serait alors à envisager, et le paysage sonore serait celui de tous et pour tous, dès ses plus lointaines origines. Par ailleurs, il faut retrouver le côté positif du bruit, le silence absolu serait invivable. Il nous faut, au-delà des bruits réellement gênants et perturbants, apprendre à accepter les bruits de l’autre, les bruits utiles comme sécurisants (la rumeur de la ville lorsqu’une femme marche seule la nuit). Finalement, le bruit n’est pas un objet à éradiquer, les choses sont complexes et à analyser à échelle locale, puis corporelle, humaine, en fonction d’une situation donnée. Un bruit cache l’autre, il faut donc démêler les choses et tenir compte de tous les paramètres. Une réglementation technique pure ne peut en rien résoudre les problèmes de nuisances sonores entendus comme des gênes du quotidien. Il nous faudrait traiter le problème en amont, et agir avec une logique de construction architecturale et urbaine sur les choix des maté-
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riaux, des espaces et des mouvements de trafics. Finalement, les urbanistes et les paysagistes sont les compositeurs, les auteurs des paysages sonores, les habitants et les usagers en sont les interprètes, à la fois à la source des bruits et à la réception des bruits et du sens que nous en donnons à l’instant où nous les percevons. Il nous faut donc prendre en compte l’aspect nuisible des sons, nommé nuisances sonores, au sein de notre société. En effet, que l’individu en soit conscient ou non, des bruits au sein des espaces publics perturbent l’écoute, dérangent et influent nos rapports sociaux (énervement, agressivité, etc.).
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P1 P1 // 5.3. Esthétique et écologie acoustiques dans leur évolution
Raymond Murray Schafer émet dans Le paysage sonore un jugement esthétique très fort sur le paysage sonore. Il traite d’esthétique acoustique1, comme « Une nouvelle discipline qui requiert les talents de scientifiques, de spécialistes des sciences sociales et d’artistes. […] L’esthétique acoustique est à la recherche des principes qui permettront d’améliorer la qualité esthétique de l’environnement acoustique ou paysage sonore. […] Ainsi l’esthétique acoustique aura, entre autres rôles, celui d’éliminer ou de réduire un certain nombre de sons (lutte contre le bruit), de contrôler tous ceux, nouveaux, que l’on destine à l’environnement, mais également celui de conserver (empreintes sonores), et surtout d’imaginer pour le futur un environnement acoustique agréable et stimulant .» Cette notion est en lien avec l’écologie acoustique2 qui est « l’étude des rapports entre les êtres vivants et leur environnement ». Elle étudie donc l’influence qu’un environnement acoustique ou un paysage sonore a sur « les caractères physiques et les comportements des êtres humains qui l’habitent. Elle a pour objectif de signaler les déséquilibres qui peuvent se révéler malsains ou dangereux. » Le lo-fi, (haute-fidélité, milieu rural) et le hi-fi (basse fidélité, milieu urbain) sont des notions schaferiennes également importantes dans mon analyse des espaces publics. Selon Schafer, dans un contexte naturel, le rapport signal/bruit est assez bas pour que chaque son puisse être entendu clairement et dans un contexte postindustriel d’urbanisation, le rapport signal/bruit est tel que l’information acoustique est trop dense, densité qui peut perturber l’écoute et la perception sonore. De plus, la périodicité des sons diverge. Les sons naturels manifestent
une originalité et une diversité que les sons artificiels, issus de nos machines, n’égalent nullement. Les chants d’oiseaux sont l’exemple même de sonorités complexes et diversifiées alors que les sons artificiels ont tendance à être répétitifs et tous se ressembler. Aujourd’hui, les réflexions vont plus loin et comme nous l’avons expliqué, touchent à la complexité du vécu dans sa richesse urbaine sans avoir une vision hiérarchique entre les qualités de paysages sonores. Nous ne pouvons pas constamment analyser les choses dans une notion d’écologie esthétique. Par exemple, une situation ordinaire, plongée dans la ville d’origine dont les sons sont considérés comme bruits de fond, résiduels, conséquences de la vie quotidienne, peut aussi être écoutée avec attention et alors nous percevons la richesse des sons, des éléments entre eux, du sens qu’ils prennent. Une signature naturelle est nécessaire dans nos espaces publics urbains mais la richesse du paysage sonore n’est pas contenue seulement dans les sons naturels. Il faut créer alors de l’interaction entre nature et culture et conserver les signatures sonores spécifiques à chaque société. La maîtrise du confort sonore se fera donc en écoutant, si nous savons lire une nuisance sonore mais également les beautés d’un paysage sonore, nous sommes aptes à agir sur l’environnement sonore. Finalement, chaque groupe, chaque culture entend son environnement à sa manière, « chacun compose au moins partiellement la bande son complexe et mouvante du film de sa vie »3. « L’architecture est perçue comme donnant à entendre autant qu’elle donne à voir et l’on comprend que la qualité de la vie passe aussi par l’esthétique sonore »4.
1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991, le glossaire, p. 374
3 Emission de radio, De la production à la nuisance _ les bruits du monde (2_3) - Lutter contre la pollution sonore, France Culture
2 Cf note 1, p. 373
4 Henry Torgue, Agir sur l’environnement sonore, de la lutte contre le bruit à la maîtrise du confort sonore (Regards croisés), p.20
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P1 P Interstice
L’appartenance culturelle joue donc un rôle majeur sur la perception des sons, outre les goûts et la psychologie propres à chacun. En effet, à titre d’exemple, dans une culture où les travaux sont synonymes de développement économique et de dynamisme urbain, le bruit que fait l’ouvrier pendant son travail aura une connotation «positive» pour celui qui l’écoute. A contrario, dans une culture où les travaux ne sont que synonymes de nouvelles transformations dans nos rues, le bruit des outils ne sera que nuisance sonore (voire pollution sonore) en référence à la destruction du patrimoine et à la présence de perturbations et de dangers (aspects physique et fonctionnel des travaux). Ainsi, notre cerveau effectue une ascension sensible à toute perception sonore. Après avoir réceptionné et perçu un son par l’oreille, notre cerveau l’intègre et le traite de façon personnelle: qu’est-ce que nous évoque ce bruit, ce son? Le monde est définitivement sensible et chacun réagit et agit de façon propre face à l’écoute d’un paysage sonore. Ainsi, de la particularité culturelle à l’appréhension personnelle de chacun, des liens se tissent.
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P1 P1 // 6. Du groupe à l’individu au sein de l’espace public
De notre société, ressortent de nombreux symboles sonores (la cloche de l’Eglise qui nous rappelle que nous ne sommes pas immortels), de référentiels (la sirène d’une voiture de police qui nous indiquent de lui laisser le passage) et de signaux sonores (le klaxon d’une voiture qui alerte d’un danger). Ainsi, au-delà d’une normalisation sonore, notre société évolue de façon sonore et nous n’entendons pas les mêmes sons à l’ère d’aujourd’hui (moteurs de voitures, climatisation, etc.) qu’à celle du XVIIIème siècle (calèches, sons des outils...). De plus, comme nous l’avons relevé, selon le lieu géographique et les données qui s’influencent les unes les autres - le climat, les habitudes, les modes de vie, etc. – l’appropriation du monde sonore diffère. Ainsi, nous appréhenderons trois notions qui nous permettent de montrer que l’écoute est singulière du fait de notre unicité mais également de notre appartenance à telle ou telle société culturelle. En premier lieu nous expliquerons la notion de symbolisme définie différemment selon P. Amphoux et M. Schafer. En second lieu, la notion de Morphologie sera expliquée dans l’optique de montrer que selon le lieu géographique et le moment (société), nous rencontrons différentes interprétations et réactions face à un même paysage sonore. Enfin, nous développerons la notion de schizophonie interprétée différemment selon P. Amphoux et M. Schafer. Cette notion nous permet d’étudier certains comportements d’un individu lorsqu’il se trouve au sein d’un environnement sonore.
P1 // 6.1. Symbolisme Le symbole1, du latin chrétien symbolum « symbole de foi », du latin classique symbolus « signe de reconnaissance », du grec sumbolon « objet coupé en deux constituant un signe de reconnaissance quand les porteurs pouvaient assembler les deux morceaux », signifie : « Ce qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique 1- Objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées spontanée (dans un groupe social donné) avec quelque chose d’abstrait ou d’absent. Objet ou image ayant une valeur évocatrice, magique et mystique. Elément ou énoncé descriptif ou narratif qui est susceptible d’une double interprétation, sur le plan réaliste et sur le plan des idées. 2 – Ce qui, en vertu d’une convention arbitraire, correspond à une chose ou à une opération qu’il désigne. Signe établissant un rapport non causal. » Le symbolisme, dans sa définition au sens large, signifie : n.m 1- Emploi de symboles ; figuration par des symboles ; système de symboles. Symbolisme religieux. 2 – théorie de symboles ; interprétation symbolique des évènements de l’histoire. Dans Le paysage sonore, R.M. Schafer aborde le symbolisme comme étant les sens référentiels des sons qui composent l’environnement sonore. Il fait la différence entre signe, signal et symboles. Selon lui, le signe est la représentation d’une réalité physique, un signe indique et un symbole possède des « connotations plus riches ». Outre les pensées créées par l’action mécanique ou la fonction de signal d’un fait sonore, ce dernier est symbolique lorsqu’il provoque des émotions ou des pensées porteuses de noumènes, de réverbérations… 1 Le nouveau petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2004, p. 2539
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P1 P Pascal Amphoux fait référence dans sa définition de « symbole » à Charles Sanders Peirce1, qui dit que « Un Symbole est un signe qui se réfère à l’Objet qu’il dénote en vertu d’une loi, habituellement une association générale d’idées, qui provoque le fait que le Symbole est interprété comme référant à l’Objet ».
Dans L’écoute paysagère des représentations du paysage sonore, la notion de symbolisme est abordée autrement que dans Le paysage sonore. C’est la représentativité, un des critères de l’écoute paysagère, qui est décrite. Il s’agit à la fois des capacités de représentations cachées (du côté du paysage sonore) et la relation au processus de représentation ( du côté de l’auditeur). « Ce n’est donc pas une relation symbolique mais une relation à la fonction symbolique que cherche à nommer le critère de typicité ». La typicité du paysage sonore est jouissive selon Pascal Amphoux lorsque nous reconnaissons ce que fait son typique. Il s’agit donc de jouir de la marque sonore en tant que telle et de la façon propre qu’elle a de symboliser le lieu. Néanmoins, un paysage sonore qui ne « parle qu’à travers son emblématique » peut être perçu comme négatif, réducteur. Plus loin, P. Amphoux nous donne trois formes de signatures sonores en fonction de la relation sociale et culturelle : « l’emblème sonore, le cliché sonore et la carte postale sonore. » 2
Le cliché sonore correspond à une « codification plus collective que sociale », un son qui appartient au quotidien. Il symbolise donc la ville mais « il faut déjà bien connaître la ville pour le reconnaître. » La carte postale sonore est un ensemble de sons complexes dont l’agencement est clairement perçu. Il représente la ville à travers des « éléments sonores divers, emblèmes et clichés ».
L’emblème sonore a trait à la « forme de signature » institutionnelle, représentative de la ville toute entière, et peut être reconnu par le monde entier (étranger ou autochtone). Il représente donc l’idée d’un « son unique ».
1 Charles Sanders Peirce, Éléments of Logic, (1903), in Collected Papers, Harvard University Press, 1960 2 Pascal Amphoux Le paysage et ses grilles, colloque de Coisy « Paysage ? », 7 au 14 septembre 1992
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P1 P1 // 6.2. Morphologie
La morphologie, étude des formes et des structures, date du XIXe siècle. Murray Schaefer applique cette notion dans les « changements de forme des sons dans le temps et dans l’espace »1. Il s’agit donc de regrouper chronologiquement ou géographiquement, les sons de formes et fonctions similaires. La première approche porte sur le matériau de base d’une société ou d’une culture. Les bâtiments, les outils, les objets sont autant d’accumulations de matériaux que nous aurons de sonorités variées. Il est important d’étudier la morphologie des sons de transports. En effet, comme le souligne Schafer, le temps quotidien donné par les individus à cette activité (le déplacement) lui confère une place importante. « Ce n’est pas aux battements de son cœur que l’on juge de l’état d’une société, mais à son pas »2. Ainsi, selon les chaussures, la vitesse de déplacement (société de vitesse, société de lenteur), les revêtements de sol (bois, béton, pierre, dimensions de pavés, etc.) les bruits sont divers et variés, et le paysage sonore s’en trouve influencé.
l’appréciation du bruit et du silence s’en trouve alors influencée ? Nicolas Frize nous donne l’exemple de Cuba où l’appréciation du silence n’existe pas. On nous apprend à entendre la complexité du monde par le fait que le climat chaud oblige à mêler intérieur et extérieur et donc à constamment entendre les bruits de la rue. Il s’agit d’une accumulation du bruit telle que les sons des petites choses sont tues. Au Japon, au contraire, « il existe une sorte d’audibilité de la présence »3. Du fait des constructions antisismiques, les matériaux de constructions et de cloisonnements sont à la fois mous et minces et tous les sons passent. Ainsi, « chacun fait preuve d’une grande discrétion dans ses bruits, ses paroles et ses actes » car nous entendons tout de partout. La situation géographique et géologique du Japon induit donc des comportements sonores particuliers qui ont développé une profondeur de champ sonore, une sorte de silence humain.
Ainsi, l’évolution de nos sociétés a supprimé, remplacé, créé des sons qui nous influencent, nous gênent, nous plaisent. D’autre part, le milieu étudié présente une culture spécifique qui est influencée et déterminée à la fois par le climat (chaud, froid, humide), par les coutumes (facilité de communication ou non, vitesse de vie...), par l’environnement urbain (matériaux, hauteur de bâti...). Ces différents facteurs se nourrissent non seulement les uns les autres, mais induisent également des milieux sonores différents qui ne seront pas appréciés de la même façon par un habitant du nord qu’un habitant du sud. L’idée de l’habitude et de l’histoire culturelle est fortement présente. Comment 1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991, p. 223 2 Cf note 1, p. 227
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3 Nicolas Frize, Le Visiteur n°8, printemps 2002, Propos recueillis par Solin Nivet et Luc Baboulet
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P1 P P1 // 6.3. Schizophonie
Le rapport entre le son et l’image m’a paru primordial dans le paysage sonore d’un espace public. Nous nous sommes demandée si l’environnement sonore d’un espace public correspond à son visuel. Maintenant nous nous intéresserons à l’individu, entendeur voire écouteur, au sein d’un environnement sonore ou paysage sonore.
Il est courant, notamment dans le vocabulaire du cinéma, de parler de son off et de son in. Le son off est extérieur au plan visuel et à l’histoire alors que le son in traite d’un son dont nous voyons la source sonore sur le plan visuel. Un troisième type de son dans le cinéma implique le fait que le plan visuel ne dévoile pas la source mais que nous en avons connaissance, c’est le son hors-champ. La notion de « shizophonie », abordée par R.M. Schafer1 et par P. Amphoux2 nous apportent des éléments théoriques sur les situations où les perceptions de l’individu sont fragmentées entre perception visuelle et perception sonore
Le préfixe grec « schizo » signifie fendre, fragmenter et le mot grec « phônê », voix. La schizonophonie est définie selon R.M.Schafer comme « la séparation d’un son original de sa transmission ou de sa reproduction électro-acoustique. » Dans ce cadre défini, c’est une invention du XXe siècle. Avant cela, chaque son était unique, éphémère dans son intégralité, et ne se produisait que dans un seul moment et lieu à la fois. Il fallait être présent à ce moment précis pour avoir connaissance du son qui venait de se produire depuis sa source sonore. Ainsi, l’invention des techniques électroacoustiques de transmission et de conserva1 R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991 2 Pascal Amphoux Le paysage et ses grilles, colloque de Coisy « Paysage ? », 7 au 14 septembre 1992
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tion a entrainé la possibilité d’envoyer tout son dans n’importe quel lieu du monde ou de le conserver, ce que R.M. Schafer reconnaît utile (dans certains cas). Le phénomène ainsi engendré lorsque le son est dissocié de sa source sonore, arraché de son « orbite naturelle », est l’existence surnaturelle, amplifiée du son. Nous sommes alors éloignés du monde, de la vie, de l’humain. Les sons, alors uniques, deviennent immortels. Nous rajouterons que de la rediffusion de sons, ressort un paysage sonore atemporel, intégré à un paysage sonore inscrit dans le présent. Une mise en abyme se met en place : les sons qu’émet la télévision sont un enchaînement de rediffusion de paysages sonores du monde entier qui s’ajoutent au paysage sonore du salon ou du bar.
P. Amphoux utilise cette expression d’une autre manière, intégrant néanmoins la notion de séparation. Il s’agit de la situation où deux espaces sonores, de « qualités acoustiques » différentes, se trouvent séparés par une limite virtuelle forte. L’individu, attentif aux sons, est placé sur cette limite. Il peut donc ajuster sa position afin de trouver un équilibre et jouir des sons qui proviennent de chacun des deux espaces. L’architecte prend l’exemple des villes suisses où bords de lac et espaces urbains sont juxtaposés. Ainsi, la schizophonie est définie dans ce cadre-ci comme une écoute dichotomique. P. Amphoux nous donne deux niveaux de lecture : une écoute qui sépare les deux espaces sonores, et la deuxième, qui redouble à son insu une logique de séparation entre les deux espaces sonores. Ainsi, prenons le cas où l’auditeur, qui se situe à la limite entre les deux espaces sonores, va se tourner naturellement vers celui qu’il valorise (le lac). Ou bien, les sons de la ville ne sont plus audibles et il y a ce que l’auteur décrit comme « schizohonie faible » : l’adéquation
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P1 entre sa perception visuelle et sa perception sonore l’empêche totalement de voir et d’entendre l’autre espace sonore. Ou, dans l’autre cas, la perception sonore de l’autre côté est possible, et s’instaure un conflit avec l’image visuelle, appelé « schizophonie forte ». La perception visuelle est séparée de la perception auditive. « A la structure schizonophique de l’environnement répond la structure shizomorphe de la perception ». L’individu ne peut pas entendre la même chose que ce qu’il voit, il vit donc une expérience sensible paradoxale dans laquelle il divise le monde.
Interviennent alors les dimensions de la conscience et de l’écoute. « Si l’auditeur prend conscience du paradoxe perceptif dans lequel il est impliqué, il peut y avoir jouissance esthétique, mais s’il n’en a pas conscience, il fait le jeu de l’idéologie ».
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Interlude Reprises théoriques
Espace public/ espaces publics : A l’instar de Thierry Paquot, nous retiendrons la différence faite entre le singulier et le pluriel d’espace(s) public(s) comme un lieu politique et des lieux urbains. Nous nous appuierons également sur le concept de l’espace public comme lien social, débat public et scène culturelle. Environnement sonore : Se basant sur les définitions de Y. Dauby et de M. Crocq, l’environnement sonore est un espace sonore dans lequel des individus « dotés de capacités auditives » peuvent entendre les sons qui les entourent. L’environnement se compose des sons que nous entendons, malgré nous, sans attention particulière. Esthétique et écologie acoustique : Nous retiendrons que la nécessité de sonorités naturelles est importante au cœur des espaces publics, mais, à l’instar des acousticiens actuels, nous maintenons que l’écoute n’est pas universelle et que pour obtenir une esthétique et une écologie acoustique il faut mobiliser acteurs urbains et acteurs citoyens, autant d’oreilles locales qui ne créeront pas des environnements acoustiques standards. Paysage sonore : A la manière de M. Crocq et P. Amphoux, je suis partie de la notion de « paysage ». Si « paysage » est étendue spatiale, «vue d’ensemble depuis un point donné » et « aspect d’ensemble d’une situation » et que ceci est rapporté à la dimension sonore, alors le paysage sonore implique l’écoute, depuis le lieu, du résultat sonore découlant de situations produites dans un espace donné. Il s’agit de l’observer auditivement et de l’interpréter de façon à créer son paysage sonore.
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En effet, comme nous l’indique M. Crocq, tout comme dans le paysage visuel, et tout acte perceptif, le paysage sonore n’est ni entièrement objectif ni entièrement subjectif. De plus, comme la dimension de paysage visuel, le paysage sonore intègre la notion de cadre, de fenêtre (ici sonore, impliquée par notre positionnement et notre oreille) dont les limites sont parfois floues par l’existence de la périphérie. Comme le dit Y. Dauby, notre paysage sonore est composé d’individus qui ont conscience de leur environnement sonore et donc y prêtent une attention particulière, celle de l’écoute. Selon l’idée de P. Amphoux, la notion d’écoute englobe donc l’acception d’entendre et l’attention portée aux sons, aux bruits, à son environnement sonore, allant même jusqu’à la contemplation de ce dernier. Dans notre cas, il s’agira de l’écoute du quotidien. Perspective du paysage sonore : Elle sera retenue selon la grille d’analyse en trois catégories de Henry Torgue : fond – séquence localisée – signaux d’évènements Phénoménologie de la perception : Merleau-Ponty nous intéressera dans sa façon de déceler des « espaces sensoriels » indépendants selon nos sensations diverses qui finalement se rencontrent au cœur de l’expérience (de l’espace public) et se questionnent, se répondent, etc. Nous nous intéresserons donc aux relations entre l’espace visuel (vue) et l’espace sonore (ouïe) lors de l’étude des espaces publics à Valence. Pollutions et nuisances sonores : La différence retenue est celle où la nuisance est synonyme de bruit et fait référence à une gêne, alors que la pollution sonore engendre un réel danger physique pour le système auditif.
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Schizophonie : Le thème de la Schizophonie nous intéressera dans l’interprétation donnée par Pascal Amphoux. Elle donne à interroger la situation où un individu se situe entre deux espaces sonores (sources sonores différentes) et est donc amené à ne pas voir ce qu’il entend. Quelles incidences sur les comportements sociaux ? Son, entre durée et action : Nous retiendrons constamment dans notre analyse que le son est placé dans le temps et est synonyme d’action, à la manière dont Nicolas Frize nous l’exprime. Son, caractéristiques : A l’ origine du son, il y a l’onde acoustique. A l’origine de l’onde acoustique, il y a la source sonore qui varie selon le type d’activités et la composition des espaces publics. Nous retiendrons, sous forme de tableau, les pistes d’analyse des sons (un type et son « contraire ») de Muray Schafer. Subjectif/objectif : Nous nous appuierons sur la dualité subjectif/objectif de Yannick Dauby qui interroge les aspects propres à chacun selon nos caractéristiques individuelles et selon notre appartenance à une société : son histoire (traditions), sa situation géographique (climat) et sa culture (mœurs et modes de vie), etc. De plus, les caractères subjectifs/objectifs sont posés dans une situation d’écoute donnée (activité, caractère spatio-temporel, etc.) Symbolisme : Nous retiendrons le symbolisme selon Pascal Amphoux, décomposé en trois types de signatures sonores (emblème sonore, cliché sonore et carte postale sonore).
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P2 P P 2 // Cas d’études à Valence, en Espagne
Dans le cadre de mes recherches théoriques, je me suis appuyée sur les approches qui me paraissaient les plus pertinentes au regard de mon cas d’étude, la ville de Valence, (Valencia en castillan). En effet, étudiante en mobilité pendant un an à l’Université Polytechnique de Valence en Espagne, j’ai pu appréhender les mœurs rencontrés dans l’espace public, les détails des vies quotidiennes, à la fois par le biais de mon regard étranger et de celui qui s’approprie petit à petit la ville au fil du temps…
P2 // 1. Démarches d’écoute des paysages sonores à Valence, Espagne Dans mon approche de l’espace public, je pars toujours des gens, du cas par cas, in situ. Entre prise de note, entretiens, observations, enregistrements sonores, mes démarches de « capture » des paysages sonores des deux espaces publics à Valence ont varié afin d’en tirer un large panel de couleurs sonores. J’exposerai dans un premier temps ma démarche d’analyse sonore effectuée in situ et à pied. Ensuite, je développerai mon attitude entre observation et entretiens. Enfin, j’expliquerai en quoi l’approche sensible de ces paysages sonores m’a permis d’interpréter mes analyses et même de les guider.
Benimaclet
Parc du Jardin Turia
Universités
Bord de mer
Centre de Valence
Russafa Port Cité des sciences
Carte de Valence, Espagne - quartiers
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P2 P2 // 1.3. La marche, suivi sonore
La ville est l’emblème d’un peuple, le milieu physique de rencontres, le choc de cultures, l’espace de vie… Au-delà d’une conception et d’une représentation cartographique, photographique, elle est un lieu à pratiquer, à pénétrer, dont nous devons faire l’expérience avec tous nos sens avant de dire que nous la connaissons. Nous pouvons lire tous les livres possibles et imaginables à propos d’une ville, nous pouvons en avoir vu toutes les photos dans ses multiples recoins, nous pouvons nous être « baladés » en elle par des moyens technologiques tels que Google Maps ou Google Earth… rien ne change au fait que nous ne pouvons dire que nous avons découvert une ville que lorsque nous l’avons pratiquée. D’une heure à une vie, en passant par une année, l’expérimentation citadine et le degré de connaissance varient amplement, nous l’admettons. Mais nous insisterons sur le fait qu’une ville - ses espaces publics, ses creux, ses pleins, ses respirations et ses vides - est à vivre et à saisir par notre corps tout entier. Il ne s’agit pas de regarder des images plates, fades. Il nous faut traverser l’écran, l’image, afin de rentrer dans le cœur de la vie d’une ville. En effet, à partir des multiples images de la ville que nous avons accumulées dans nos yeux, nous avons élaboré une première image de la ville. Finalement, en s’immisçant physiquement dans la ville, l’image, et même les images que nous avions d’elle, se reconstruisent, se meuvent… Nous percevons alors l’espace autrement que lors de la saisie de la première image. Et c’est ainsi que nous parviennent les sons du quotidien, les paysages sonores du présent. Ceux qui nous donnent le ton même d’une ville et de ses espaces publics. Notre société actuelle inclut bien des modes de déplacement différents, tels que la voiture, le scooter, la moto, le vélo, etc. Dans l’ana-
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lyse des paysages sonores effectuée à Valence, j’ai choisi d’effectuer seulement mon analyse à pied portant spécifiquement sur les piétons, afin de garder un rythme identique d’un espace à l’autre, d’un jour à l’autre, et de me centrer sur les comportements sociaux (conversations) et les comportements physiques (flânerie, déplacements, etc.). Comme nous l’indique Michel de Certeau1, « La volonté de voir la ville a précédé les moyens de la satisfaire. […] La ville-panorama est un simulacre « théorique » (c’est-à-dire visuel), en somme un tableau, qui a pour condition de possibilité un oubli et une méconnaissance des pratiques ». En somme, la ville visuelle n’est autre qu’une représentation, qu’une mise à distance du quotidien. Michel de Certeau s’applique à capter l’ « étrangeté du quotidien qui ne fait pas surface, […] repérer des pratiques étrangères à l’espace « géométrique » ou « géographique » des constructions visuelles, panoptiques ou théoriques ». Ainsi, moi-même, en amont de mon analyse, je me suis directement plongée dans le quotidien des espaces publics de Valence, à la mouvance de la ville habitée. Ultérieurement j’ai essayé de déchiffrer la ville planifiée qui se dessine sous les couches humaines à partir de plans, de cartes, etc. Michel de Certeau explique que même si la ville est symbole de l’emprise socio-économique et politique, aujourd’hui, la vie urbaine laisse ressortir ce que le projet urbain excluait. Ainsi, la ville se livre à des « mouvement contradictoires qui se compensent et se combinent hors du pouvoir panoptique ».2 J’ai souhaité développer dans le contenu de mon mémoire l’aspect sonore de l’espace public vécu par ses utilisateurs, ses investisseurs autant spectateurs qu’acteurs. Ainsi, être au plus proche d’eux, au sein même de la vie sociale de la ville, a été ma façon de procéder. J’ai alterné entre l’observation extérieure 1 L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, Paris 1990 dans le chapitre VII, Marches dans la ville, p. 140-141 2 cf note 1, p.146
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P2 P - changeant de point physique de stratégie, j’essayais de noter objectivement les grandes lignes des comportements sonores – et l’approche directe – toujours à différents points spatiaux, j’engageais une conversation sous forme d’entretien avec des habitants de l’espace public étudié afin d’aborder le subjectif.
Elle manifeste la propriété (vorace) qu’à le système géographique de métamorphoser l’agir en lisibilité, mais elle y fait oublier une manière d’être au monde ». Ainsi comment cartographier l’espace sonore sans le figer alors que l’action, le mouvement est au cœur même des sons que nous percevons ?
« L’histoire en commence au ras du sol, avec des pas. Ils sont le nombre, mais un nombre qui ne fait pas série. […] Leur grouillement est un innumérable de singularités.» Michel de Certeau dégage ici une idée fondatrice de l’espace public : ce dernier est constitué d’une façon singulière, intacte physiquement, du jour au lendemain, et pourtant, il n’est jamais fidèle à son image de la veille, il est en constante métamorphose, au rythme irrégulier des « jeux de pas », des petites conversations et évènements qui façonnent les espaces. Les pas « trament les lieux ». Les motricités piétonnières « ne se localisent pas : ce sont elles qui spatialisent ». Les paroles des conversations, les bruits inattendus, les frottements des pas, les chocs corporels, tous ces sons humains, eux-mêmes à l’écoute des sons non-humains, dessinent les vides et les pleins de nos espaces publics, esquissent les contours des microespaces.
L’analyse des paysages sonores à Valence nécessitait de se plonger au cœur des choses, d’expérimenter l’espace sonore. « L’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation est à la langue ou aux énoncés proférés. ». Selon Michel de Certeau, la marche a une triple fonction et il les compare ces fonctions à celles de l’énonciation : celle de s’approprier le système topographie (comme le locuteur qui s’approprie la langue), celle de la réalisation spatiale du lieu (comme la réalisation sonore de la langue en parlant), celle d’impliquer des relations entre les positions différentes (comme le fait de mettre en dialogue à travers l’énonciation, différents locuteurs). Ainsi, marche et énonciation sont rapprochées, comme je l’ai fait durant ma pratique des espaces publics sonores à Valence. A travers ma marche, j’écoutais, je discutais, j’interrogeais, j’observais les sons, les bruits et leurs incidences comportementales… « La marche semble donc trouver une première définition comme espace d’énonciation ». Qu’est-ce qu’un espace public qui invite à la marche et un autre qui au contraire contraint à la marche ? En quoi les sons produisent-ils des déplacements de différentes qualités, allures et formes et influencent-ils nos comportements sociaux ?
Lorsque je notais, observais, enregistrais, dessinais, gribouillais, je ne pouvais m’empêcher de courir d’un bout à l’autre de notre espace public. Tout est à saisir et pourtant rien n’est à gagner. « Les relevés de parcours perdent ce qui a été : l’acte même de passer ». Je dirais alors que les relevés sonores perdent ce qu’ils ont été : l’acte même de s’exprimer. Ainsi, comment exprimer ce que j’ai pu percevoir de mes oreilles, interpréter ce que mes yeux ont entendu, mettre sur papier, de ma main, dessiner ce que j’ai extirpé de cet entrelacement de vies, d’espaces insaisissables ? « La trace est substituée à la pratique.
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Les tableaux ci-dessous ont servi de mise en note des sons qui englobent l’espace public étudié. Le premier aborde le paysage sonore de l’espace public dans son ensemble et le deuxième étudie l’environnement sonore d’un point précis de l’espace public :
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P2 Raison du son, action, ambiance
Exemple : trafic routier
Exemple : discussions
Exemple : vent
Exemple : jeux de ballon
Exemple : Pas des coureurs sur le sol
Caractéristiques source sonore / son
Source sonore : mobile / immobile
Abords du paysage sonore d’un espace public dans son ensemble
Fréquence son de la source sonore Type source sonore Symbole, culturel Ligne droite pic
Intensité Dépend de la position de lʼindividu Confort/ inconfort
Perception du son (approche du subjectif)
Raison du son, action, ambiance
Exemple : trafic routier
Exemple : discussions
Exemple : vent
Exemple : jeux de ballon
Exemple : Pas des coureurs sur le sol
Caractéristiques source sonore / son
Etude de l’environnement sonore d’un point précis de l’espace public
Distance
Mobilité/ Immobilité Durée perçue Durée réelle Visibilité source sonore Notes particularités
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P2 P P2 // 1.4. De la note à l’entretien
A partir de l’environnement sonore d’espaces publics à Valence, en Espagne, j’ai écouté, interrogé, noté, analysé, le paysage sonore et sa composition en son sein même. J’ai donc pris le temps de m’installer sur les bancs, dans l’herbe, sur les terrasses des espaces publics étudiés. En alternance, je m’adonnais à l’observation « passive » et à l’observation « active ». Je m’assois, observe, me laisse porter par le rythme environnant des passants... Finalement je me lève et me laisse aller à la marche. Selon le lieu, ma marche sera douce, lente ou bien vive et éparpillée…
Rapidement je me mets à noter, selon la méthode de George Perec, dans son ouvrage Tentative d’épuisement d’un lieu parisien1, dans lequel il énumère brièvement les faits qui l’entourent en en donnant à la fois l’aspect objectif (date, lieu, température, évènements, symboles, objets, etc.) et le ton subjectif (nous sentons une personne derrière son écrit très bref et étiqueté. Il nous guide dans sa trajectoire, ses choix du regard, etc.). (Voir annexe)
En alternance avec mes marches et mes notes, je vais à la rencontre d’autrui. La rencontre se fait parfois de façon conventionnelle au sens où je me présente, j’expose le contenu de mon travail, demande la permission de m’entretenir avec la personne, puis je me lance. Mais d’autres fois, je parviens à rentrer directement en contact avec une personne en m’asseyant à ses côtés, en commentant l’environnement dans lequel nous baignons, puis petit à petit je lui fais part de mes observations penchées sur le paysage et l’environnement sonores, et alors démarre une discussion questionnée à propos du paysage sonore de l’espace public où nous nous trouvons. Parfois, la réalisation d’entretiens avec des individus qui entendent seulement, permettaient de les rendre à l’écoute et donc de faire évoluer l’«environnement sonore» en «paysage sonore ». De cette façon, j’ai pu m’apercevoir non seulement que chaque individu perçoit différemment les sons, ne les nomme, ni ne les juge de la même manière, mais également des idées se rejoignent d’une personne à l’autre, selon sa culture, ses gouts, son écoute…
Parallèlement, je me prête au jeu du journal sonore dans lequel je prête une plume qui rédige sous forme de phrases, laissant mon oreille - à la fois d’étrangère et d’étudiante résidant à Valence - se frotter aux environnements sonores de Valence et permettant à des paysages sonores de pénétrer mon écoute personnelle. J’y note alors mes remarques, mes expériences et mes interrogations. 1 George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, édition Christian Bourgois, Paris 1974
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P2 P2 // 1.5. L’approche sensible, carte sonore mentale nore.
Chaque son a sa couleur, chaque espace a son paysage so-
En m’adonnant à la marche – ses arrêts compris – j’ai donc noté ce que j’entendais, j’ai également enregistré mais aussi dessiné le paysage sonore que je percevais. Cela m’a montré que chaque son a sa forme, son épaisseur, son intensité, sa durée… Chaque paysage sonore est une peinture. Ainsi, le dessin permet de superposer les sons perçus simultanément et d’en faire ressortir l’allure. A partir de mes notes, de mes enregistrements, de mes écrits, de mes dessins, de mes schémas et de mes souvenirs, je me suis plongée dans l’encre de chine, multiples pinceaux et papier épais et j’ai peint, dessiné, projeté les paysages sonores des deux espaces que j’ai choisi d’étudier. Pour ce faire, en projetant sur papier les sons entendus, je tentais de reproduire les sons réels en mettant en contact les poils du pinceau et le papier. En effet, selon le pinceau et le papier, le rythme et la forme que j’y donne, le son diffère et son image aussi…
Je me suis rendu compte de l’écoute différente que l’on porte selon l’espace public dans lequel nous nous trouvons.
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P2 P P2 // 2. Valence, une culture sonore, un peuple de l’air
La culture, les modes de vie, la langue, le climat, l’histoire, sont autant de notions primordiales qui interfèrent les unes avec les autres ; et qui influencent les paysages sonores d’un peuple, d’une ville, d’un pays et qui sont représentées par eux. Il me paraît important, d’approcher petit à petit les cas précis d’espaces publics à Valence en expliquant la perception des paysages sonores à l’échelle de la ville, en relation avec sa culture et son histoire, inscrites dans celles de l’Espagne en général. Nous aborderons tout d’abord les paysages sonores à l’échelle de Valence en relation avec les caractéristiques culturelles espagnoles. Puis nous étudierons deux espaces publics emblématiques de la ville de Valence. Dans un premier temps, la Place de la Mairie, que nous appellerons place éparse. Puis, dans un deuxième temps, le Jardin de Turia, que nous nommerons ligne de flux. Il est intéressant de noter qu’en amont, l’idée que nous pouvons nous faire de la ligne de flux est celle d’un espace vert en longueur, découpé en zones, en micro-paysages tant sonores que visuels, et de la place éparse, celle d’une place triangulaire, dotée d’une ambiance spécifique et unique, malgré les intensités différentes des sons selon notre positionnement. Pourtant, il en est autrement, et je tenterai d’expliquer comment les sons présents dans chacun de ces espaces - eux-mêmes en interaction avec la culture et l’aménagement du lieu - influencent la perception physique/ visuelle que nous avons de notre espace public et, nos marches et démarches sociales.
P2 // 2.1. Culture sonore et origines
Il est fréquent d’entendre et de dire que l’Espagne est un pays festif, où les gens parlent fort et fréquentent les rues à toute heure et à tout âge ! Les fêtes espagnoles, qui ont souvent pour origine la tradition religieuse, montrent que la culture espagnole est très charnelle, corporelle, sonore. Au-delà de l’aspect très conservateur, traditionnel des espagnols, nous pouvons noter dans beaucoup de leurs fêtes un rapport au corps, à la sensation, à l’adrénaline important. La tomatina à Brunol, commune de Valence, fait partie de ces fêtes populaires qui reposent entièrement sur un rituel lié « au barbouillage du corps » et sur « toute une implication corporelle des participants qui n’en finit pas de faire la joie des anthropologues.»1. L’origine de cette « bataille » de tomates remonte à une dispute entre jeunes, survenue en 1945. La foule, approvisionnée en munitions de tomates, improvise des batailles, des jeux, des maquillages. Les cris fusent, les lieux se teintent de rouge, l’ambiance espagnole est là ! Par ailleurs, comme nous l’avons dit, les espagnols sont réputés pour parler fort. Est-ce la fierté de leur pays, la défense de leur région ou les sonorités de la langue qui leur donnent une puissance vocale importante ? En effet, l’Espagne, divisée en plusieurs provinces, se montre partagée entre plusieurs langues et cultures. Chaque province est fière et prête à défendre sa singularité. Ainsi, à Valence, le Valencien est parlé par la moitié de la population. Les espagnols sont fiers de leur pays, de leur région, et cette appartenance culturelle, au-delà des sonorités fortes des langues parlées en Espagne, peut influencer l’intensité de leurs paroles. 1 Dominique Leroy, Annie Sidro, Peuples en fête, p. 73
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P2 Valencia est la troisième ville Espagnole, après Barcelone et Madrid. Elle compte près de 800 000 habitants et incarne la capitale de la Communauté Valencienne composée de trois provinces. Située à l’Est de l’Espagne, sur la côte méditerranéenne, la ville bénéficie d’un climat méditerranéen semi-aride, climat agréable toute l’année. Les précipitations à Valence sont rares en été et un peu plus abondantes en automne et à la fin de l’hiver. L’histoire de Valence en Espagne est riche et mouvementée. S’y sont succédés depuis l’Antiquité, les Romains, les Wisigoths, les Arabes et les Catholiques. L’installation sur les rives du fleuve Turia de l’Empire Romain remonte à l’an 138 avant J.C. Les romains y ont construit une Cité appelée « Valentina » et ont aménagé un système d’irrigation de la région, construit des bâtiments dont il reste des ruines archéologiques (plazza de la Almoina).
Outre la partie historique qui influence la composition architecturale de Valence, les aspects climatiques, culturels et sociaux nous intéresseront fortement dans l’étude des paysages sonores des espaces publics à Valence. A Valence, la réputation des espagnols qui font la sieste est confirmée. En effet, entre 14 heures et 17 heures, de nombreux commerces sont fermés, peu de gens circulent dans les rues. Ils sont chez eux, auprès de leur famille, à table puis à la sieste ! Ainsi, nous notons dans la totalité du centre-ville, lieu d’étude de ce mémoire, une baisse sonore importante tous les jours entre 14 heures et 17 heures due au climat de la ville et aux mœurs qui en découlent.
Après l’effondrement de l’Empire Romain, les Wisigothes, tribu d’origine germanique, ont pris possession de Valence durant deux siècles. Mais lorsque leur règne était en déclin, la société a été victime de conflits intérieurs, d’épidémies et de multiples crises. Les Maures ont alors envahi la ville et en prirent le contrôle jusqu’à l’arrivée de Jacques Ier qui les expulsa en 1238. Aujourd’hui, Valence conserve ses différents héritages. Le centre de ravitaillement et de commerce qu’elle était sous l’emprise de l’Empire Romain, ainsi que la culture islamique qui avait enrichit la ville par l’agriculture, font aujourd’hui de l’économie de Valence une balance qui s’équilibre entre commerce et agriculture.
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Jeunes filles aux cafés et aux tee-shirts, 26 juin, 10h30, rue de Rumbau
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P2 P P2 // 2.2. L’oreille à l’écoute de la ville
Il y a des sons emblématiques à chaque ville. Certains ne sont présents que dans une ville, d’autres se retrouvent dans plusieurs en tant que signaux sonores, mais ils comportent tous des sonorités différentes. Les sons que j’ai perçus et surtout retenus sont ceux de la ville en générale, des sons spécifiques à Valence, des sons que j’entendais depuis ma chambre, au premier étage, donnant sur la rue, dans un appartement sur cour, dans le centre historique de Valence (le Carmen). La ville qui tourne le dos à la mer Je me promène à Valence, dans son cœur historique, comme je me promène dans une ville entourée de terre et de villes qui s’étaleraient à perpétuité, une ville comme un point dans un territoire. Pourtant, Valence se frotte à la mer et est pourvue de nombreuses plages le long de la côte. Petit à petit, en s’approchant d’elle, l’air marin s’en mêle, les cris des mouettes nous informent, les bruits du port interpellent. Mais Valence tourne le dos à la mer, elle s’est construite sur elle-même et, pour se rendre à la mer, nul chemin aux bruits marins ne nous guide pleinement, il faut naviguer entre bâti et terrains laissés à l’abandon ou bien prendre la route rigide et large qui n’évoque en rien la présence d’étendue d’eau en son point final. Les sons perçus au sein de Valence ne sont pas ceux d’une ville maritime. Seul le vent, propre à l’air marin, se fait entendre et sentir afin de ne pas se laisser oublier. La cloche de la cathédrale A Valence, la cathédrale crache les heures qui passent, faisant sonner la cloche en haut de sa tour. De près, lors de ma visite de cette tour - afin de découvrir la ville, vue de haut, où j’ai vécu un an – la cloche semble frapper les temps seulement pour ses voisins. Pourtant, lorsque
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je me balade sur la place de la Reina, sur laquelle se situe la cathédrale, la musique de la cloche me parvient aux oreilles comme des sons qui englobent la ville. Plus loin, dans les petites rues du Carme, je sais que je peux toujours savoir l’heure si jamais ma montre n’est pas à mon poignet. La cloche de la cathédrale de Valence nous rappelle à tous que nous sommes mortels et que le temps passe… Le stade de football, soir de match Au mois d’avril, nous avons découvert, mes colocataires et moi-même, que notre immeuble était doté d’un toit accessible. Je n’oserais le nommer toit terrasse car la pente se faisait tout de même sentir ! C’est ainsi que j’ai découvert Valence et ses multiples toits. Je me trouvais alors dans un cœur urbain, montrant ses faces cachées, ses vies éparpillées et entremêlées. J’y suis allée la première fois en journée et d’autres fois lorsqu’il faisait déjà nuit. Je me suis rendu compte que de là, à 8 étages du sol de la rue, les bruits du trafic et des exclamations humaines ne se faisaient plus entendre. Pourtant j’étais toujours en plein cœur du centre historique de Valence ! Mais alors me sont apparus d’autres sons. Le cliché sonore de la cloche de la cathédrale de Valence m’apparaissait très nettement, il me semblait que je faisais partie de sa « sphère » sonore. Un soir, j’ai été saisie par des exclamations de foule, j’ai alors réalisé que je voyais au loin le stade de football de Valence, pourtant situé de l’autre côté du jardin vert (l’autre rive). En effet, les hurlements d’encouragement ou bien de déception portaient loin mais jamais je n’avais pu les entendre dans ma chambre ou dans les rues du centre-ville. Ainsi, le son traversait l’air…et moi, du fait de ma position, perchée sur ce toit immiscé dans le centre, je pouvais saisir une ambiance sonore évènementielle, à plusieurs kilomètres de moi. J’étais, d’une certaine façon, liée à la foule, grâce à ses sons et à ma position.
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P2 Les Valenciens, un peuple de l’air Je remarque que les Valenciens sont presque constamment dehors à partir de 19 heures. Il semble, dans la façon de se comporter, de communiquer, que leur espace privé se prolonge dans l’espace public et inversement. La rue est leur couloir, les places sont leurs salons, les parcs sont leurs jardins. Ils sont très souvent en groupe, et il est rare de voir des gens seuls, repliés sur soi. Les espagnols, du fait des logements qui sont élevés en prix, du fait de leur conservation des traditions, sont très souvent en famille, vivent ensemble et nous pouvons rencontrer fréquemment des groupes de tout âge dans les espaces publics. Même jusqu’à minuit et même un peu au-delà, les enfants, dans des poussettes ou tenant la main d’un parent, se baladent dans les rues de Valence. La vie nocturne de Valencia est à son apogée aux alentours de 23 heures et ne s’interrompt qu’au lever du soleil, autant dire que la ville n’est jamais endormie. Je m’amuse à sortir à toute heure lorsque l’insomnie m’atteint. Bien sûr, certains lieux sont vides mais il suffit de marcher un peu plus pour rencontrer de la vie, du son. Alors qu’en France, les bars doivent fermer à 2 heures du matin, ceux d’Espagne sont plus communément fermés à 4 heures. Et finalement, je me sens en sécurité en déambulant dans les rues nocturnes de Valence… Les pavés du centre historique et les vélos A Valence, dans le centre historique, nombreuses sont les rues dotées de pavés sonores que martèlent les roues de vélo dont le tintement de la mécanique retentit bruyamment. Les roues de voitures jouent également des notes musicales différentes à chaque tour de roue… Cet élément sonore a accompagné tous mes débuts de trajets à vélo effectués dans le Carmen. Et sans cette matérialité particulière et les effets sonores qu’elle engendre ; le centre de Valence ne vivrait pas de ses habitants à bicyclettes, à roulettes et à roues ! Les cafés sans musique Alors qu’en France je m’étais fâcheusement habituée à entendre de la musique dans les bars au lieu de pouvoir écouter mes amis, en Espagne, j’ai remarqué un fait particulier. Hormis les bars musicaux, comme le Jimmy Glass Jazz dans le Carmen, où se produisent des concerts de jazz et où les individus ont fait le choix de venir écouter de la musique, nulle musique ne vient déranger les conversations des
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gens. Finalement, le caf et le bar, lieux d’échange, de rencontres, de partage et donc de liens sociaux, répondent à leur rôle en laissant parler et s’écouter les individus Pétards, feux d’artifices, feux de tous jours Coups de feu ou feux d’artifice? Ces derniers se voient très régulièrement lancer au sein de Valence. A toute heure de la journée, à toute date dans l’année, les Valenciens apprécient le bruit qui sonne fort, synonyme de fête. Au début, un peu surprise, je cherchais la raison de l’éclat, puis, comprenant la gratuité de l’évènement et surtout le feu d’artifice ou pétard comme synonymes de plaisir, j’ai appris à écouter ces détonements, qui résonnent dans la cour d’immeuble, qui animent les rues et réveillent la nuit…
Eclats de feux et de pétards dans les rues de Valence
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P2 P Fenêtres ouvertes de l’espace privé sur l’espace public De plus, à Valence, la température est telle que les isolations sont presque inexistantes et les fenêtres souvent ouvertes. Dans le vieux Valence, les parois entre appartements sont également très fines. Ainsi, lorsqu’une chambre ou une pièce à vivre donne sur la rue, les sons de celle-ci s’introduisent dans les vies des espaces privés. Ma chambre qui était située au premier étage d’une rue du vieux centre (Le Carmen), emportait avec elle les rires des jeunes qui se baladent en groupe, les claquements des poubelles… Ainsi, j’entendais les gens vivre, et non « la rumeur de la ville » ; « chaque espace privé trouve sa place dans le temps de l’espace public, il ne se positionne pas contre lui. Il en est la prolongation. » (Nicolas Frize Hommes & libertés n°83 1995) ? Les cours d’immeuble A Valence, nous rencontrons dans les immeubles des cours étroites, sombres, qui filent en hauteur, sur cinq à dix étages. Chaque appartement détient des pièces qui s’ouvrent sur cet espace qui devient alors un tube d’entremêlement de vies actives et sonores : bruits de vaisselle qui s’entrechoque, son de salle de bain, de télévision, de radiophonie, de conversations animées…A toute heure, les sons résonnent, les ondes mécaniques se répercutent sur les murs. En effet, lors de mon premier mois passé à Valence, je logeais dans un appartement au premier étage, dans le quartier de Benimaclet, où ma chambre, ni plus ni moins de la taille d’une cellule, grilles à la fenêtre, donnait sur un patio encerclé de 12 étages d’appartements. Ainsi, le sommeil perturbé du début de ma mobilité n’en était pas moins intrigué par cet individu qui chaque nuit, entre trois heures et quatre heures, radio allumée, faisait sonner sa vaisselle. Allait-il se coucher ou se levait-t-il ? Plus tard, vers sept heures du matin, j’entendais les premiers enfants jouer ou pleurer. Le soir, les bruits de télévision, de repas de famille ne cessaient d’habiter le patio. J’ai pu confirmer l’existence de cette boucle interminable de vie sonore lors de visites d’amis dans leurs appartements également disposés autour d’une cour et également dans mon second appartement. Finalement, l’espace privé ne se tait jamais et nous le fait savoir par le biais de ces trous remplis de sons.
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Plein / Vide des bâtiments d’habitation à Valence, schéma à l’encre
Au sein de la cours, résonance des ondes sonores, schéma à l’encre
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P2 P2 // 2.3. Analyse de deux espaces publics à Valence
Valencia comporte dix-sept quartiers. Celui dans lequel je vivais se nomme le Carmen, dit ciutat vella (vieille ville) et est très riche en monuments historiques et par sa diversité d’activités. J’ai donc pu, du logement à la rue, observé, noté, contemplé de nombreux paysages sonores différents. Valencia est composée de nombreux parcs et jardins, de places publiques, grandes ou petites, piétonnes ou non, où un grand nombre de personnes, de toutes générations, se retrouvent à toute heure de la journée, malgré le creux entre 14heures et 17heures. Les rues sont également très occupées par les piétons, les terrasses de bars improvisées sur les trottoirs. J’ai par la suite choisi deux espaces publics, le Jardin de Turia tout en longueur qui embrasse le centre-ville, et la Place de la Mairie en triangle, qui se situe en plein cœur du centre. Ces deux espaces publics sont non seulement emblématiques de Valencia mais surtout intéressants dans les liens tissés entre conception du lieu et sons qui s’en dégagent. Ces deux cas d’études m’ont permis d’effectuer des rapprochements et des divergences à partir de méthodes d’analyse similaires.
La Plaza Ayuntamiento, Place de la Mairie, Place éparse El Jardin del Turia, le Jardin de Turia, Ligne de flux
Espaces publics étudiés à Valence, schéma et carte
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P2 P P2 // 3. Place éparse, Place de la mairie
Dans un premier temps, il a été primordial d’aborder l’histoire et les origines de la place de la Mairie afin d’en comprendre la composition actuelle. Par la suite, nous verrons en quoi cet espace public est un lieu de passage au lieu d’être le berceau de rencontres et d’échanges humains. Ceci s’expliquerait par la multitude de paysages sonores présents sur cette place, que nous tenterons d’exploiter via les différentes méthodes d’analyse retenues. Enfin, nous expliquerons l’aspect culturel de l’aménagement de la place à travers l’histoire et l’organisation des Fallas et des Mascletas que nous définirons également.
Carte de la Place Ayuntamiento
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P2 P2 // 3.1. La place, 1933 - 1961, lieu du piéton et de ses multiples rencontres
La place de la Mairie est la plus grande place de Valence (en Espagne). Elle occupe l’emplacement de l’ancien couvent de Saint François détruit en 1881. La réforme de la place qui nous intéresse est celle qui date de 1933, effectuée par l’architecte municipal de l’époque, Javier Goerlich Lleo. Il a surélevé de 4 mètres le centre de la place de façon à créer une plateforme piétonne et il a inauguré un espace souterrain. Les postes de vente de fleurs qui étaient alors placés à la surface depuis le début du siècle se sont installés dans le marché aux fleurs souterrain. Au centre du souterrain a été placée une fontaine, source d’eau potable pour les fleuristes. Dès 1909 une fontaine occupait déjà le centre de la Place. Avec la réforme, sur la plate-forme, trois grandes fontaines ont été bâties. Au-dessus de la fontaine souterraine un grand vide protégé par une balustrade permettait un apport lumineux et des jeux de regards. De 1936 à 1961, un réel espace de vie se tenait au cœur de la place de la mairie. Les gens investissaient l’espace public : du loisir à la manifestation, la place était un lieu de vie, de promiscuité et de rencontres. De 1936 à 1939, la place a été le berceau de la guerre civile espagnole à Valence. Elle tenait un rôle particulier où confrontations civiles et présence des pouvoirs s’entremêlaient et, elle a été baptisée Plaça Emili Castelar, en hommage à l’homme politique républicain Emilio Castelar. La place éparse porte ainsi bien son nom du fait de ses multiples appellations en valencien. Durant le franquisme, elle a été nommée Plaça del Caudillo (Place du Caudillo). Puis, à la sortie du franquisme et au passage à la démocratie, elle a été dénommée Plaça del Pais Valencia (Place du Pays Valencien) jusqu’en 1987 où elle reçut l’appellation de Plaça de l’Ayuntamiento (Place de la Mairie), nom actuel.
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
La place, entre 1933 et 1961, marché aux fleurs souterrain, place unifiée photo de «la plaza ayuntamiento desde 1930 - 2012»
La place en 1964,occupation du carré de la place par les bus, photo de «la plaza ayuntamiento desde 1930 - 2012»
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P2 P P2 // 3.2. La place actuelle, place éparse
En 1961, à la fois critiquée par certains et très louée par d’autres, la réforme de la place est éliminée et laisse place à un grand espace vide central. Pendant plusieurs années, celui-ci a servi de parking, où voitures de l’époque étaient en vitrines au milieu de la place en plein soleil. La vente de fleurs dans le marché souterrain qui avait été détruit reprend vie quelques années plus tard, dans des nouveaux kiosques revenus à la surface, très épurés et sans charme.
Rencontre avec la place de la Mairie à Valence, septembre 2013 C’est donc cette place que j’ai connue. La première fois que j’ai vu la place, c’était sur la carte de mon guide, « Valence, Cartoville ». J’y devinais un grand espace public triangulaire situé en plein cœur de Valence et dont des artères principales étaient reliées. Sur la carte schématique, au sein du triangle, deux « zones vertes » étaient représentées. Je lisais dans la description de la Plaza Ayuntamiento : « Eclatante incarnation de la Valence du début du XXe siècle, la place de la Mairie fut aménagée sur le site d’un ancien palais maure. On dégagea l’esplanade triangulaire pour édifier des palaces et l’hôtel de ville, de style éclectique (1905). Couvert de bas-reliefs et de balustrades, il abrite un musée sur Valence. Les VIP, les falleras, le roi et la reine y paraissent au balcon lors d’occasions officielles. En face, une rivale : la poste néoclassique de 1923 ». Et la place ? C’est en y allant que j’ai découvert une place qui se vit comme un triangle qui pointe vers le nord. Un triangle entrecoupé, divisé, au sein duquel de nouvelles formes se seraient intégrées. Carré, rectangle, cercle. Des choses superposées, une stratification de circulation, informations, publicités…et à la fois rien n’habite cette place
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
éparse! Nulle unité ne réside dans cette place hormis les façades prestigieuses qui encerclent l’intégralité de la place. Si, aujourd’hui, grands nombres de touristes s’y rendent comme pour y voir un lieu authentique et incontournable, c’est bien pour venir y admirer ses grandes et impressionnantes façades ornementées, comme indiqué dans les guides touristiques...
La place éparse se décompose donc en « zones » que nous nommerons ainsi :
- la croûte piétonne, première couche extérieure, tout autour de la place, constituée des trottoirs qui servent à se déplacer sur la place et à accueillir des terrasses de cafés et restaurants, ou bien des stands de magasins ; - le nuage noir, seconde couche, celle de la chaussée : le trafic encercle la place ; - au sud, le carré vide, vaste place dénuée de tout, en pavés de granit, entourée des kiosques à fleuristes, de quelques bancs et d’arbres, et servant seulement lors des fêtes de Valence deux semaines par an ;
- plus haut, une autre zone, la zone entrecoupée, divisée en trois. Il s’agit d’un espace enherbé qu’un chemin de graviers collés pourvu de bancs vient traverser et découper en deux parties: l’une contient une fontaine circulaire et l’autre une statue. Nous appellerons ce lieu traversant, chemin de vitrines.
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P2 Ainsi, les deux zones enherbées n’accueillent point de visiteurs, elles sont délimitées par des parterres de fleurs et semblent n’être que des scènes végétales accueillant leur « objet » de vitrine. Ainsi, les bancs présents sur le chemin sont disposés de façon à contempler statue et fontaine et à scruter les passages humains. Au nord, la pointe de la place ne se montre que routière hormis les trottoirs qui sont encore le siège de quelques tables et chaises de cafés. Auparavant, le tramway occupait l’espace et comme nous pouvons le voir sur les photos ci-contre, les piétons se sentaient bien plus les bienvenus que de nos jours.
La place Ayuntamiento, 1929
La place Ayuntamiento, 1912
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P2 P Place éparse, Plan schématique composition et fonctionnement
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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P2 La date : jeudi 15 mai 2014 L’heure : 8 h. 30 Le lieu : Place de la Mairie Posture : déambulation, inventaire
La place de la mairie de Valence est occupée de multiples éléments qui se rétractent contre les façades ou bien s’éparpillent au sein du vide et du trafic. J’en fais le tour, parcours ses zones et j’y compte: - 1 mairie en bas, à l’ouest, - 1 poste, en bas à l’est, dont des gens entrent et sortent - 1 théâtre : rien - 1 cinéma : rien - 15 boutiques allant de la vente de vêtements à celle de cartes postales et souvenirs ouvertes sur la place et habillées d’un fond sonore musical (radio ?) - 6 banques, - 3 pharmacies, - 2 fastfoods sans espace extérieur - 1 Burger King avec terrasse - 5 cafés qui sortent tables et chaises sur le trottoir - des hôtels et des appartements dans les hauteurs d’immeubles qui vont jusqu’à 8 étages (on se doute que la hauteur sous plafond est au minimum de 3,50 mètres à la vue des façades !), - 1 fontaine - 1 statue - 32 bancs classiques en bois - 13 kiosques de vente de fleurs - 1 grand espace vide - Tout autour de la place des chaussées de 2 à 5 voies générales + 1 voie TAXI/EMT + 1 espace d’arrêt d’autobus + 1 zone de stationne-
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ment - 5 points d’abris bus - 1 point de borne à vélib (vélos à louer) - 8 parkings à vélos - 15 rues connectées à la place - des signalisations au sol : bandes blanches, flèches blanches, écritures (« TAXI », « EMT »), - 6 arrêts réservés aux bus : zébras jaunes - De multiples feux tricolores qui un endroit indique le temps de passage piétons/ voitures - De multiples panneaux : sens interdit, « excepté taxis », indication de directions (tourner à gauche) - 1 panneau indiquant l’heure et la température - Des lampadaires - De la pierre : granit sur le carré vide, marbre sur les trottoirs - De l’asphalte en majorité (pour les chaussées) - De l’herbe avec des arbustes - Un grand nombre d’arbres (de différentes espèces : palmier, etc.) éparpillés sur différents trottoirs contre les façades et autour du carré vide - Un grand nombre de bus qui passent, s’arrêtent et redémarrent : 4, 6, 8, 9, 10, 11, 13, 16, 19, 28, 32, 62, 67, 70, 71, 81, 86, N1, N2, N3, N6, N8, N10
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P2 P P2 // 3.3. La place éparse, un lieu de passage La date : jeudi 15 mai 2014 L’heure : 8 h. 55 Le lieu : Place de la Mairie Posture : déplacement rapide/arrêt en alternance
Je me pose à un point névralgique de la place, juste au-dessus du carré vide, face à la fontaine. Devant moi, il y a du trafic. A ma gauche, il y a du trafic, à ma droite, il y a du trafic. J’hésite à m’asseoir sur un des bancs derrière moi, mais je me rends compte que je n’y verrais pas autant de choses. Les voitures ont le feu vert à ma droite : taxis, motos, scooters les accompagnent. Des piétons s’affairent devant moi. Ils se dirigent vers les passages piétons de part et d’autre. Pas de discussions Marches rapides Sons des pas qui glissent sur les pavés de marbre Sacs à dos, sacs à main ou rien Deux cyclistes l’un derrière l’autre roulent sur la chaussée, en sens interdit Le bus 72 s’arrête devant moi Je ne vois plus rien devant moi J’entends la fontaine dont je vois dépasser les jets derrière le bus Le bus 72 redémarre Le son de roulettes de skate qui se frottent au sol derrière moi sur le carré vide Je tourne la tête à droite : défilé de bus
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81,10, 71, 70 Derrière moi les bancs sont vides Brise légère dans les feuilles d’arbres
Je me dirige vers la gauche, j’attends avant de traverser Cinq personnes, dont deux nous rejoignent rapidement Nous traversons J’attends de nouveau de l’autre côté Un taxi passe Un autre Je traverse encore Nouveau trottoir Je marche Une vingtaine de personnes sur le même trottoir que moi Ils marchent tous 9 h. sonnées : cloche de la cathédrale, cloche de la Mairie s’entremêlent Autre passage piéton Je traverse avec six autres personnes Station vélib : Une fille pose son vélo Un homme est à la borne pour en retirer un Un cycliste se dirige vers le passage piéton Son de la chaine de vélo qui frotte En face, la fontaine. Le son de l’eau englobe l’espace Une dizaine de personnes marchent sur le chemin de vitrines Personne sur les bancs du chemin de vitrines Bus 9 arrive et se met à l’arrêt Bruits de moteur qui tourne
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P2 Fumées et odeurs d’essence Je m’avance vers l’arrêt de bus Six personnes attendent Sept personnes montent dans le bus 9 Bus 9 part Discussion et rires dans un groupe de trois jeunes Bus 8 arrive
Je traverse avec trois personnes Une devant moi Une à mes côtés Une autre un peu en retrait C’est un homme Ses chaussures martèlent le sol Il me dépasse Personne assis sur les bancs du chemin de vitrines Je traverse au rouge pour piéton Autre arrêt de bus en face Le 16 est à l’arrêt Moteur qui tourne Indication de l’horloge électronique : 9 h. 12 Deux secondes après : 23°C Je traverse Burger King fermé Bar d’à côté ouvert Un homme prend son café tout seul Journal en main Je m’approche du café Pas de musique à l’intérieur J’entends des bruits de tasses qui choquent le comptoir
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La serveuse arrive d’un pas vif 9 h. 15 sonnées par la cloche de la Mairie Dépôt de tasses sur une table où un couple est assis Je m’éloigne vers le sud J’attends pour traverser Plus de dix personnes attendent aussi Une personne court Risque d’accident Indication du feu rouge piéton : 9 secondes avant de traverser Une maman avec une poussette Un duo de jeunes filles Trafic qui passe : voiture voiture bus scooter voiture moto moto voiture voiture voiture voiture Ça va trop vite Traversée Je vois la poste Devant l’arrêt des bus 6, 8, 10, 11, 28, 32, 70, 71, 81, N1, N8 Un 11. Un 71. Un 81 Ils s’enchaînent Un par un arrêt devant l’abri bus Sirène de voiture de police Montées / descentes du 71 Montées / descentes du 81 Peu de discussions à l’arrêt de bus Plus d’écoliers qu’aux autres abris bus Un homme passe devant moi Montée dans un 10 qui vient d’arriver Roues qui frottent les pavés du sol Musique urbaine
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P2 P Demi-tour vers la terrasse de café Un policier se tient devant les portes de la banque à l’angle Le mendiant est arrivé Violon Interrogation en espagnol adressée au policier « Est-il permis de jouer dans la rue ? » Réponse souriante en espagnol « Oui tant que ça ne gêne pas » Remerciements Traversée du passage piéton Terrasse du café L’homme au journal est parti Le couple est toujours là De nouvelles personnes sont assises à des tables Je m’assois à une table Fond : Bruit ambiant de la fontaine Juste devant moi : un bus 16 Séquence localisée : Bruits du moteur Signaux d’évènements : Bruits de vaisselle Quelques sons de voix Bruits de pas de la serveuse Commande d’un café auprès de la serveuse « Hola ! Que quieres ? » « Un cafecito por favor ! » 9 h. 45 et 24°C
Triangle assourdissant de la place éparse : carré vide, fontaine, trafic, encre de chine
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P2 Les couleurs sonores d’un café, jeudi 15 mai 2014, 9 h. 50, place de la Mairie J’ai commandé un café, la serveuse me l’a apporté peu de temps après. J’écoute le café. Tout est affaire d’écoute, de détail. Il y a, posé sur la table en plastique de la terrasse, un gobelet en carton dans lequel dort un liquide que l’on nomme café, mélange d’eau et de caféine. J’en approche mon oreille, la place juste au-dessus. Alors que les bulles sont immobiles, que le liquide semble au repos, je me mets à voyager. Mon paysage sonore caféiné me fait voyager. Il semble qu’un homme ou une femme marche doucement, dans un rythme assez régulier de pas lents, sur un tapis de feuille, peut être un lit de paille ou même une nappe de neige? Des crépitements nous enveloppent. Au début on pourrait penser à une eau qui bout. Mais ce n’est pas une simple casserole remplie d’eau, non un plat, un ragoût, le plat de grand-mère qui attend ses petits enfants pour le repas de midi. Je décolle, je voyage, je me pose dans divers lieux qui me laissent imaginer, découvrir leurs couleurs et leurs goûts. Je m’extirpe, bois une gorgée, puis, après hésitation, une deuxième. Les crépitements sont moindres, la danse s’efface petit à petit mais se montre tout de même. Je reporte une fois encore mon gobelet à mes lèvres. Le liquide, peu avant porteur de sons, créateur de voyage, coule dans ma gorge. Il est chaud, ça brûle le palais. Je ne renonce pas à de nouveau tenter l’expérience sonore. Un nouveau paysage sonore m’apparaît : un insecte agite ses antennes. Si nous y prêtons bien attention, la mécanique des insectes est sonore, comme tout le reste. Je prête alors attention au contenu de mon récipient : une couche épaisse de mousse est restée collée sur les parois. Mais de nouveau, l’oreille en éveil perçoit les doux mouvements des bulles d’air qui sont restées en petit nombre. J’écouterai le son de la tasse vide après en avoir extirpé le reste
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de la mousse. L’univers est sonore. Si nous écoutons nos objets, si nous écoutons nos proches, si nous écoutons nos murs, nos arbres, nos corps, nous comprenons alors le monde. Le monde est définitivement sonore. Finalement, la place est le nœud du trafic du centre de la ville de Valence. En effet, avec les quinze rues qui déversent leurs flux, les chaussées encombrées qui font le tour de la place, la place de la mairie est un vide rempli de passages. Du point de vue des transports en commun (bus), c’est un vrai défilé…pas étonnant lorsque nous savons que vingt-trois lignes passent par la place et que trois d’entre elles desservent les grandes universités de Valence! Pour les piétons, il est également difficile de la contourner, d’autant plus si nous ne connaissons pas bien la ville. En effet, la gare se situe juste en-dessous, au Sud ; au Nord, des rues commerçantes mènent au marché de la ville et à la place de la cathédrale ; à l’Ouest se trouve le vieux centre historique et à l’Est la partie avec tous les grands commerces… Mais le nombre de piétons sur la place est ridicule comparé à la surface de la place. Bien sûr, ils la traversent de long en large et se prêtent même à quelques instants de caféine ou de bière sur une terrasse de café ou de restaurant, mais on sent un mouvement constant, rapide et insaisissable au cœur de cette place éparse qui est elle-même indéfinissable ! La place est comme un lieu de passage. Néanmoins, la place a ses heures.
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P2 P P2 // 3.4. La place éparse, morceaux d’ « espaces sensoriels » selon les heures
Alors que je pensais analyser cette place dans son ensemble, dans son rôle de place publique, de débat public, de lien social et de scène culturelle, je me suis confrontée à une multitude de morceaux sonores éparpillés ici et là… En effet, la place de la Mairie est éparse, changeante et multiple. En m’y rendant à plusieurs reprises, dans mes trajets quotidiens, dans mes études analytiques, je me suis rendue compte de l’existence de points spatiaux stratégiques qui expliquent la diversité des sons de cette place. Fontaine, trafic routier, cloche de la mairie, bus, terrasses de cafés, bruits humains sont autant de sons du quotidien que nous rencontrons sur cette place. Plus ou moins présents sur l’ensemble de la place, j’ai sélectionné quatre points dont les micro-paysages sonores sont les plus révélateurs, les plus parlants selon moi :
- chemin de vitrines : bancs, fontaine, piétons - régulation urbaine : passage piéton où le trafic routier est le plus important et où il y a un décomptage des secondes pour les temps de passage piétons/voitures - carré vide : la place dénudée, les kiosques à fleurs, les arbres, les bancs autour - défilé de bus : arrêt de bus où il y a le plus de lignes de bus qui passent Je me suis rendue sur la place à toute heure de la journée, en semaine comme en week-end. Les horaires retenus pour mon analyse sont les suivants : - en semaine : de 7h à 8h30 et de 11h à 14h - en week-end : de 17h à 20h
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Exemple d’espace: Carré vide de la place éparse, encre de chine
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P2 Eau de la fontaine Trafic routier voitures : klaxon, frottements roues/ sol, moteur
Trafic routier bus : klaxon, frottements roues/ sol, moteur
Discussions entre individus : rires, paroles, cris, etc.
Cloche de la Mairie
Pas des piétons sur le sol
Source sonore : Immobile (système mobile immobile de fontaine, eau qui jaillit)
Alternance immobile/ mobile (feu rouge/ feu vert)
Alternance Mobile/ immobile (feu vert/ feu rouge, montée passagers)
Alternance mobile/ immobile (marche/ arrêt, banc ou terrasses)
Immobile (dans le bâtiment de la mairie)
Mobile (partout sauf dans l’herbe)
Fréquence son de la source sonore
Constante de 8h à 20h
Constante avec des pics et des baisses (la nuit) et régulation par les feux de signalisation
Constante de 7h à 21h
Présente la journée avec pics en fin de journée (moins fréquent la nuit)
Tous les quarts d’heure
Type source sonore
Présente avec des pics et des baisses (la nuit) et régulation par les feux de signalisation
Non humain, naturelle (eau)
Non humain, mécanique (moteurs) et frottements (pavés, goudron)
Humain
Non humain
Humain
Symbole, culturel
Non humain, mécanique (moteurs) et frottements (pavés, goudron)
Nature, culture
Pollution planétaire, possibilité de mobilité
Transports en commun, mobilité partagée
Echange, sociabilité, vivre ensemble
Notion du temps qui passe
Déplacements, société active
Ligne droite, bourdonnement monotone
Bourdonnement avec signaux sonores des klaxons
ligne droite avec signaux sonores : moteurs, etc.
Pics (éclats de rires) superposition
Pics
Pics
Importante
Importante
Importante
Importante
Faible
Confort/ inconfort
Moyenne la journée par le nombre d’individus, faible la nuit sauf lors de passage de groupes (fête)
Confort de masque ?
Inconfort
Inconfort
Pas d’inconfort
Pas d’inconfort
Perception du son (approche du subjectif)
Pas d’inconfort mais gêne si groupes juxtaposés
Très présent Englobant
Très présent, Encerclant
Présent, Encerclant
de la position et des conditions (seul, accompagné)
Signal sonore Englobant
Pas très présent
Ligne droite pic Intensité Dépend de la position de l’individu
Paysage sonore d’ensemble, Place éparse, un jour ordinaire
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P2 P La place Eparse, zones d’études et paysages sonores : Chemin de vitrines, fontaine
Régulation urbaine, passage piéton
Carré vide, kiosques, vide, rumeur de la ville Défilé de bus, arrêt de bus
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P2 Chemin de vitrines, fontaine
La date : samedi 14 juin 2014 L’heure : 11 h. 30 Le lieu : Chemin de vitrines Posture : assise sur un banc face à la fontaine
Deux bancs face à la fontaine et quatre autres qui lui tournent le dos Je regarde les gens passer Sensation d’assister à un défilé Contradiction rythmique Immobilité contre le mouvement des autres Des gens passent Seuls, à deux, à trois Discussion ou non Pas lent, pas rapide Sac à main, sac à dos Chemise en carton, appareil photo Glace, rien Des pas secs, d’autres doux Martèlement du sol Des gens s’assoient sur les bancs quelques temps Gens en vitrines D’autre en défilé, en spectacle Les rôles tournent Jeu des chaises musicales Le trafic ronronne autour de moi Un bus, un taxi, des voitures Un homme d’environ 70 ans est venu lire son journal à côté de moi Les autres bancs sont vides
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La cloche de la mairie sonne la demi-heure Personne ne traverse le chemin de vitrines Le feu est rouge pour les piétons sur le passage piétons d’à côté Le son de la fontaine est permanent Je vois l’herbe très verte, des fleurs rouges et des cactus devant la fontaine Le feu piéton passe au vert Un homme avec une pochette bleue passe devant moi Un autre homme en blouse blanche passe aussi devant moi et va s’asseoir sur l’autre banc en face de la fontaine Un duo homme/femme d’environ 45 ans passe Plus personne ne passe Un bus 6 passe sur la chaussée à droite et s’arrête pour prendre ou laisser des gens (je ne le vois pas) Des gens circulent sur les trottoirs de la place
Chemin de vitrine, homme lisant sur un banc face à la fontaine, photo mai 14
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P2 I Face à la fontaine, samedi 21 juin, 17 h. 00
Assise sur un banc face à la fontaine, mon attention ne porte que sur ce qui se passe sur le chemin de vitrines et sur ses bancs : les gens qui passent et les gens qui s’arrêtent. Le regard est parfois même focalisé sur la fontaine. Le son de la fontaine est absorbant et je ne perçois que difficilement le bruit des conversations et surtout celui du trafic. Seules les voix qui portent, les exclamations parviennent à mes oreilles qui sont alors des signaux d’évènements humains. Le bruit émis par la fontaine est presque agressif. A raison de huit jets, l’eau fuse de façon imposante avant de tomber dans le premier bassin de la fontaine et de se répandre dans le second. Alors que la fontaine ne représente guère plus physiquement de 2% de la surface totale de la place éparse, il me semble qu’elle est la place elle-même lorsque je suis en face d’elle ou que me trouve dans les alentours. Lorsque je ne la vois pas il me semble qu’elle est comme un fond sonore ambiant, alors que lorsque je me focalise sur elle, bien que régulière et constante, je la perçois comme une séquence localisée. Le bourdonnement de la fontaine a donc un effet de masque sur le trafic. Mais elle empêche parfois les gens de s’entendre et de communiquer lorsqu’ils sont assis sur les bancs tant le son est fort. A vingt heures, lorsqu’elle s’interrompt, les bruits du trafic sont plus aptes à être entendus, non plus comme une rumeur urbaine mais comme des bruits bien distincts. Néanmoins, du fait de l’heure, le trafic est moindre.
Chemin de vitrine, la fontaine de mille et un jets, photo 8 mai 2014
Chemin de vitrine,passants, homme assis sur un banc, photo 8 mai 2014
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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I
à l’écoute de la fontaine,
depuis le chemin de vitrine
Carte sonore mentale du paysage sonore, à l’encre de chine
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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P2 P Chemin de vitrines, fontaine
Eau de la fontaine
Trafic routier : voitures, scoo- Discussions entre piétons ters, motos, etc.
Pas des piétons sur le sol
Distance
20 mètres
10 mètres des deux côtés
De 0.50 mètres à 7 mètres
De 0.50 mètres à 7 mètres
Mobilité/ Immobilité
Immobile
Mobile
Mobiles/ Immobiles
Mobiles/ Immobiles
Durée perçue
Constant – monotone 7heures à 20 heures
Constant avec arrêts épars
Très aléatoire
Très aléatoire
Durée réelle
Constant 7heures à 20 heures
Constant avec arrêts épars
Très aléatoire
Très aléatoire
Visibilité source sonore
4 bancs en face de la fontaine Dépend de l’individu (visibilité Oui : vue de l’eau sur les côtés) 2 bancs dos à la fontaine
Notes particularités
Le son de la fontaine consti- Le son du trafic routier est tue un masque sonore perçu comme un fond sonore plus lointain qu’il ne l’est réellement
Oui
Selon la distance, le son des voix et pas humains est masqué par le son de la fontaine. Je note qu’il y a plus de personnes assises seules sur les bancs qu’à deux ou en groupe. Les gens poursuivent souvent leur chemin. Sinon, ils se rapprochent et parlent fort pour s’entendre (son fontaine de très forte intensité). Le soir, à partir de 20heures, il y a plus de groupes sur les bancs, qui discutent tranquillement (plus le son de la fontaine)
Paysage sonore sur le Chemin de vitrine, fontaine
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P2 Régulation urbaine, passage piéton La date : vendredi 22 mai 2014 L’heure : 8 h. 15 Le lieu : Passage piéton Posture : Immobile d’un côté du passage piéton
Attente au passage piéton Une dizaine de personnes sur le trottoir d’en face Huit personnes de mon côté rejointes par un groupe de trois personnes Passage des voitures Grise, blanche, verte Bus rouge Un taxi On voit nos reflets dans les vitres du bus Son de la fontaine Traversée des gens en masse éparpillée Un couple Une jeune femme Une femme âgée avec une canne Bruit de la canne qui s’appuie sur le sol Couple de touristes (flânerie, chapeaux, appareil photo à la main) Course d’une famille avec poussette, avant que le feu passe au rouge pour les piétons Deux secondes d’attente Reprise du ronronnement urbain 28, 27, 26… Son au maximum quand voiture passe devant nous Sensation de rapprochement du son Il est 12 h. 38
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Apparaît le son de la fontaine On la regarde alors Passage tranquille d’un jeune homme parlant avec une jeune femme Une personne sur un fauteuil roulant Une famille de cinq personnes Rouge pour les piétons Un bus laisse passer un autre La fontaine paraît plus loin Crissement de roues Moteur qui grince Vert 20 (secondes) affiché Les nombres défilent Fontaine se fait de nouveau entendre Petits bruits de conversations à mes côtés Courte absence de voitures Reprise du trafic quelques instants Cssss Crrrrr VRRRMMM Vert piéton Brise légère Son du violon Conversations multiples Un couple de personnes âgées se tenant par le bras discute en traversant Une femme âgée avec une jeune femme Une jeune femme traverse en courant avec un sac plastique à la main Un homme prend un risque Traversée au dernier moment Il reste 10 secondes pour les voitures Nous attendons 8 secondes avant de traverser
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P2 I Au passage piéton, régulation urbaine
Finalement, la signalisation donne un rythme au paysage sonore : 28 secondes de trafic - moteurs de voitures, scooters et bus qui grondent - et 20 secondes de piétons – bruit de la fontaine, rires, conversations, roues des poussettes sur le sol, musique du mendiant. Les individus ne semblent pas prendre conscience de ce contraste sidérant entre les 28 secondes assourdissantes et les 20 autres secondes plus légères. Pourtant, c’est bien l’urbanisation, l’organisation générale de la place du point de vue du trafic qui impose l’écoute duelle entre ces deux ambiances sonores.
Il est intéressant de rappeler l’origine de la voiture dans ce contexte du passage piéton, afin d’en comprendre la perception et l’interprétation humaine. Lors de la révolution industrielle, qui débute dans le dernier quart du XVIII° en France, a lieu l’essor du machinisme, de la mécanisation, la disponibilité d’une énergie nouvelle (la vapeur), l’essor des transports (rails, navigation) permettant l’amélioration de l’approvisionnement et de la distribution. Ces nouveaux moyens et progrès techniques permettent la naissance d’infrastructures nécessaires à l’adaptation de la ville à la mobilité des Hommes qui se singularise depuis le XVIIIe siècle. L’importante évolution des modes de vie au XIXème siècle introduit donc le succès de l’automobile. Ainsi, elle répond aux deux caractères essentiels de la modernité en associant autonomie de l’individu et mobilité. L’automobile devient alors un outil d’émancipation pour la population de l’ère industrielle. Ce n’est pas l’automobile qui a entraîné l’aspiration à la mobilité, mais à contrario, ce nouveau besoin de se déplacer qui a engendré la naissance de l’automobile. Ainsi, un aspect positif de liberté et de déplacement se lit dans l’utilisation de l’automobile. Mais à l’heure actuelle, ce que nous y trouvons le plus,
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
sont bien les dégâts de pollution causés sur la planète. Ainsi, la pollution atmosphérique se frotte à la nuisance, voire la pollution sonore des bruits du trafic routier. De plus, j’ai remarqué que les espagnols conduisent vite et de façon agressive ce qui ne facilite pas l’appropriation d’un espace public où le trafic routier est très présent.
Passage piéton, feu vert pour les piétons, photo 22 mai 2014
Passage piéton, 28 secondes, feu rouge pour les piétons, photo 22 mai 2014
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I Au passage piéton, régulation urbaine, trafic en passage, encre de chine
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Au passage piéton, régulation urbaine, les individus traversent, encre de chine
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P2 P régulation urbaine, passage piéton
Eau de la fontaine
Trafic routier : voitures, scoo- Piétons : discussions/ pas sur Mendiant jouant du violon ters, motos, etc. le sol
Distance
50 mètres
1 à 2 mètres minimum
Aux alentours proches
10 mètres
Mobilité/ Immobilité
Immobile
Mobiles/ Immobiles
Mobiles/ Immobiles
Immobile
Durée perçue
Constant
28 secondes
20 secondes
20 secondes
Durée réelle
Constant
Constant (plus loin)
Constant (plus loin)
Constant
Visibilité source sonore
Non
Oui
Oui
Non
Notes particularités
Le son de la fontaine est présent surtout lors du passage des piétons. Le reste du temps, la fontaine paraît plus éloignée qu’elle ne l’est réellement
Quelques klaxons s’échappent et le ronronnement des moteurs est présent à l’arrêt des véhicules à moteurs
Bruits des discussions cou- Le son du violon n’est perçu verts par le passage des véhi- qu’à l’arrêt des véhicules à cules à moteur. Son de place moteur publique, comme un salon lors du passage des piétons
Paysage sonore de la Régulation urbain, passage piéton
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
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P2 Carré vide, kiosques, vide, rumeur de la ville La date : vendredi 22 mai 2014 L’heure : 8 h. 15 Le lieu : Passage piéton Posture : Immobile d’un côté du passage piéton
Des pavés de granit au sol Du vide Rien Personne Rumeur de la ville tout autour Une personne qui arrive du côté de la mairie Elle traverse le vide et poursuit sa route vers la rue commerçante Je m’approche du bord Une moto qui fait vibrer son moteur Des voix de cyclistes à l’arrêt Un groupe de six jeunes marche tranquillement sous les arbres Rien Bruit monotone de la fontaine au loin Trafic augmente Bruits aigus d’un bus Impossible d’en voir le numéro Un deuxième Un groupe de touriste pose Fontaine en fond Et puis s’en va La cloche de la mairie sonne Tintadadam Tindindimdam Difficile d’écrire les sonorités avec des onomatopées
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Culture sonore : sonorités rapportées à des onomatopées différentes selon le pays Un homme passe, sans bruit, un sac plastique à la main Un groupe de jeunes filles approche et reste quelque temps près d’un arbre Personne sur les bancs au soleil Brise légère dans les feuilles d’arbres Roulettes qui frottent les pavés de la place Personne dans le vide Un couple passe rapidement avec un grand chien en laisse Ils se dirigent vers l’ombre Le groupe de jeunes filles est encore sous l’arbre Le trafic est léger Les jeunes filles récupèrent leurs sacs posés au sol et se dirigent vers la gare Les bancs situés sur le tour du carré vide face à la fontaine sont les seuls à être occupés Les voitures passent devant Les gens n’y restent pas longtemps
Carré vide, Pose touristique devant la fontaine, photo, 22 mai 14
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P2 I Dans le carré vide
Cet espace m’a immédiatement interloquée la première fois où je suis venue. De loin, arbres, kiosques et bancs qui en font le contour nous laissent croire qu’ils abritent un espace plein de vie. En le pénétrant, l’absence de petits sons humains est saisissante. J’entends les moteurs qui grondent et entourent l’espace. La fontaine est présente sans possibilité de bien la voir. Quelques personnes passent et fuient avant de retrouverl’ombre dans une petite rue accrochée à la place…
Pourtant, un soir, je me souviens y avoir vu deux jeunes filles s’allonger par terre. Plusieurs personnes les regardaient, intriguées, mais elles paraissaient seulement avoir choisir un endroit qui leur semblait agréable pour s’y poser. Et il est vrai qu’à partir de 19 heures, les bancs qui donnent sur la place se remplissent, quelques personnes âgées seules ou en petits groupes y discutent, des familles avec des enfants s’amusent au centre de la place, des groupes de jeunes s’assoient par terre… Mais vers 22 heures, la musique humaine s’interrompt petit à petit pour se répandre sur les petites places du vieux centre…
Carré vide, Passants et vos d’oiseaux, photo, 22 mai 2014
Toute la journée, le symbole, qui donne sens à la société, est présent sur la Place Ayuntamiento par l’horloge de la Mairie qui nous indique l’heure, et donc le temps qui passe. La société prend alors conscience d’elle-même. En conflit ou en réponse à la cloche de la cathédrale, nous nous rendons compte que le symbolique constitue un réseau de significations que l’individu perçoit. Ainsi, le temps du sacré (cloche de la cathédrale) s’impose à celui de la démocratie (cloche de la mairie). Des déséquilibres de symboles créent des conflits permanents.
Carré vide, rempli d’une foule lors d’une manifestation, photo tirée d’un article
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I Dans le carré vide, jour ordinaire, trafic intense qui englobe le vide, encre chine
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Dans le carré vide, jour de rassemblement, d’évènement culturel, encre chine
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P2 P Carré vide
Eau de la fontaine
Trafic routier : voitures, Piétons : discussions/ pas Frottements roues skate, vélos Cloche de la Mairie scooters, motos, etc. sur le sol
Distance
50 mètres
Encerclée de véhicules Aux alentours (de 2mètres Aléatoire, aux alentours à moteur (cercle de 25 à 40mètres) mètres de rayon)
Mobilité/ Immobilité Immobile
Mobile
Durée perçue
Constant – monotone Constant 7heures à 20 heures
Durée réelle
Constant 7heures à 20 heures
Visibilité sonore
source Non
Notes particularités Le son de la fontaine constitue un fond sonore assez présent. Il s’entend plus que lorsque je suis au niveau du passage piéton
Mobiles en majorité, im- Mobiles mobiles en minorité Aléatoire
Constant avec arrêts Aléatoire en fonction des feux de signalisation de part et d’autre de la place
Immobile
Traversée de la place en vélo : Tous les quarts d’heure 10 secondes En skate : ? pendant 10 secondes Plus la source se rapproche plus Aléatoire
Oui/ Non selon la posi- Oui (champ de vision très Oui tion (présence d’arbres libre sur la place vide et de kiosques) même) J’entends bien le trafic routier en dehors de la place, mais la perception visuelle influence : je me sens à part du reste.
30 mètres du bâtiment de la mairie
Les gens autour de moi ne s’arrêtent pas sur la place, véritable espace à ciel ouvert et baigné de lumière. Ils la traversent, parfois regardent autour d’eux (touristes) ; seuls les bancs sous les arbres, près des kiosques des fleuristes, sont occupés. Véritable lieu de passage, les skateurs, les cyclistes la coupent en plein diagonale afin de regagner l’autre côté. Les roues du skate frottent avec le sol de dalles de granit (son notable). A partir de 19heures, les enfants viennent jouer avec leur ballon, des groupes de jeunes s’installent par terre près des bancs pour y passer un bout de soirée.
Tous les quarts d’heure pendant 10 secondes Non
La cloche de la mairie s’entend depuis tout endroit de la place Ayuntamiento. Néanmoins, de ma propre expérience, nous n’y prêtons attention seulement lorsque nous sommes en face du bâtiment, et d’autant plus sur cet îlot vide.
Paysage sonore depuis le Carré vide
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P2 Défilé de bus, arrêt de bus
La date : vendredi 22 mai 2014 L’heure : 7 h. 30 Le lieu : Arrêt d’autobus, près de la poste, série de bus 6, 8, 10, 11, 28, 32, 70, 71, 81, N1, N8 Posture : Petits déplacements à l’arrêt d’autobus Au bord du trottoir En avant de l’arrêt Défilé de bus Un 71 à l’approche Roues qui roulent sur le sol de pavés Drrrrrrrrrrr Sensation qu’il arrive sur moi Arrêt Vision sur le bus Six personnes descendent Impossible de compter celles qui montent Gens assis à l’intérieur de l’autobus Regards tournés vers l’extérieur Le 71 repart Direction l’Université Polytechnique de Valence Un 81 enchaîne Même processus à quelques dixièmes de secondes près A quelques sonorités près Bruit étouffé lorsque le bus s’approche Bruit aigu des freins Comme un cri de baleine ? Portes s’ouvrent juste devant moi
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Bruit des portes qui s’ouvrent Le bus crache de l’air Redémarre dans un crissement doux de roues Défilé de personnes devant moi Quelques conversations derrière moi Groupe de jeunes arrivent Arrêt à l’autobus Un 11 arrive S’arrête un peu plus loin que les autres Arrière du bus juste devant moi Champ de vue élargi au-delà du bus Bruit du moteur qui tourne d’autant plus fort Eclats de rire dans le groupe de jeunes gens Un 6 arrive immédiatement La couleur rouge des bus défile Couinements Sortie d’air Rrrrrrrrr Chhhouuuuuu Tktktktkktkttktktktktk Enchainement incessant de bruits Similitude des types de sons Irrégularité dans les enchainements des sons Durées différentes Les bus s’enchaînent incessamment Atmosphère à part Attente d’un départ pour autre part
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P2 I Défilé de bus, arrêt de bus
81, 70, 71, 10, 6, 8, 81, 71… Des bus qui se suivent, avalent et recrachent des individus sur leur passage. Toujours au même endroit. Devant ou à proximité de cet abri bus. Les conversations se font rares. Ici, nous sommes dans l’attente de quelque chose. Nous attendons d’être menés ailleurs. Le ronflement des moteurs est incessant. A l’arrivée, à l’arrêt, au départ, crissements de roues, soufflements d’air, une musique mécanique qui tourne en boucle et nous enveloppe. Au sol, les pavés qui délimitent la zone d’arrêt de bus font chanter les roues qui leur roulent dessus. Quelques rires, quelques échanges de voix fusent sous les bruits de ces bêtes rouges lorsque nous nous rapprochons de l’endroit où sont assises certaines personnes. Certaines personnes se demandent des renseignements dans la langue chantante des espagnols « Que hora es por favor ? », « Sabes que autobus va a la clinica veterinaria en la avenida blasco ibanez? »
Arrêt de bus, arrière d’un bus 70, individus qui attendent, photo 22 mai 2014
La fontaine et la cloche de la mairie n’existent plus. Le trafic est incessant, mais nous savons que nous allons en partir. Ou bien que nous ne faisons qu’y passer. Ces sons n’existent que partiellement dans les consciences et n’appartiennent plus à leur espace public. Ce gros cœur de ville bourdonnant de moteurs de bus ne répond-il pas au besoin gêné ailleurs par l’étroitesse des rues du centre historique?
Arrêt de bus, avant d’un bus 6, une personne qui attend, photo 22 mai 2014
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I
Depuis l’abri bus,
défilé de bus
Carte sonore mentale du paysage sonore, encre de chine
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P2 P Défilé de bus ; abri bus
Bus : frottements roues, moteurs à Trafic routier : voitures, scooters, Individus : discussions l’arrêt, roues qui crissent motos, etc.
Eau de la fontaine
Distance
Devant l’arrêt : 1 mètre
5 mètres minimum
1 à 5 mètres
60 mètres
Mobilité/ Immobilité
Mobile/ Immobile
Mobile/ Immobile
Immobiles à l’arrêt
Immobile
Durée perçue
Constant (le moteur s’entend très Constant fortement à l’arrêt)
Pas de discussion
Constant – monotone 7 heures à 20 heures
Durée réelle
Constant
Aléatoire
Constant 7heures à 20 heures
Constant
Visibilité source sonore Oui
Oui/ Non : les bus empêchent Oui souvent la visibilité des autres véhicules.
Notes particularités
Les sons émis par les bus (frottements roue/sol, moteur) masquent les sons des autres véhicules.
C’est un véritable défilé d’autobus qui se déroule à cet arrêt. Entre 7h30 et 9h, les bus se suivent sans interruption. Les roues des bus roulent sur le revêtement du sol devant l’arrêt (pavés), différent de celui de la route (goudron) : son spécifique à cet endroit de la place.
Non
A l’arrêt, je ne prête pas beau- Le son de la fontaine coup attention aux individus paraît presque inexisqui discutent. Souvent, les tant. gens seuls discutent entre eux quelque temps à propos des horaires. Chacun est à l’affût de l’arrivée de son bus.
Paysage sonore depuisl l’abri bus, défilé de bus
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P2 P2 // 3.5. La place éparse, espace public fragmenté
Finalement, le matin, la place - lieu de transit - voit ses habitants courir après leur bus, traverser d’un pas vif pour se rendre d’une rue à une autre. Les bus, comme nous l’avons dit, défilent sans arrêt, le ronronnement agressif des moteurs est constamment présent. Nous sentons une ville qui court, une société qui se presse, qui ouvre ses magasins, ses cafés, qui envoie ses habitants étudier, travailler… En résultante, entre 11 heures et 18 heures, la majorité des personnes présentes traversent la place pour se rendre quelque part, seules ou en duo et plus rarement en groupe. Les arrêts de bus voient leurs acteurs défiler constamment, les passages piétons accueillent des va-et-vient humains. Quelques personnes, souvent solitaires, viennent s’installer sur les bancs du chemin de la vitrines journal en main ou cigarette à rouler en train de se faire, ou seulement pour regarder les gens passer. D’une manière générale, ce type d’appropriation quotidienne des bancs de la place ne dure qu’entre deux à vingt minutes. Les duos ou les groupes de jeunes le traversent mais ne s’y arrêtent pas. Les groupes en plus grand nombre errent un peu plus longtemps, le temps certainement de décider où aller. Parfois ils partent se poser sur une terrasse de café, d’autres fois, ils poursuivent leur chemin dans un autre lieu du centre-ville. Dans le carré vide, personne n’est présent à part, encore une fois, pour le traverser, « C’est juste un grand vide ! C’est creux, y a rien ! » (Entretien n°7). Finalement, c’est au moment où le soleil se couche, jusqu’à ce que la nuit tombe, que la place compte le plus de visiteurs. Entre 19 heures 30 et 22 heures, nous voyons de la vie et des usages polyvalents arriver. Les terrasses de café de la croute piétonne,
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déjà occupées dans la journée, se voient plus bondées. Dans le nuage noir, le trafic baisse et les bus ne fonctionnent plus. Dans le carré vide, apparaissent des enfants jouant au ballon, des personnes âgées discutant sur les bancs, des groupes de jeunes s’asseyant par terre. Dans la zone entrecoupée, la fontaine s’interrompt à partir de 20 heures, laissant les conversations s’entendre. Néanmoins le bruit du trafic est alors moins masqué, mais du fait qu’il y ait moins de voitures, nous nous y retrouvons ! Sur le chemin de vitrines, des groupes de jeunes ou de moins jeunes s’installent donc sur les bancs, nourriture ou rafraîchissements en main… La nuit, la place éparse n’est pas occupée par les groupes de jeunes afin de festoyer, en dehors des jours exceptionnels (Fallas, 1er de l’an, etc.). En effet, il se pourrait que la place soit trop vaste, ou bien que le symbole du pouvoir, présent par le bâtiment de la mairie, confie à l’espace public un aspect surveillé, contrôlé, que les gens refusent. Nous pouvons nous poser les questions suivantes : l’usage diurne contraignant de la place éparse empêche-t-il un usage nocturne agréable ? La composition de la place nuit-t-elle directement à son appréciation ou bien est-ce son ambiance sonore qui désaffecte le rôle de cette place publique? A quoi tient cette vie découpée de la place éparse ? Alors que nous pouvons y admirer des façades et une fontaine majestueuses, proportionnellement à la taille et l’importance de la place, peu de personnes prennent le temps de s’y arrêter alors que les espagnols sont la majeure partie de leur vie dehors. Est-ce une rupture entre la source sonore et son image qui nuit à l’appropriation de la place ? Une accumulation de micro-paysages sonores détachés de leurs racines visuelles ? En effet, les individus sont souvent dans une situation de schizophonie
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P2 P sur la place éparse : les bus et les voitures nous empêchent de voir la fontaine ou au contraire nous permettent de l’apercevoir mais pas de l’entendre. La place de la Mairie est-elle victime de son aménagement qui empêche alors le développement de comportements sociaux corrects à cause de nuisances sonores ? Porte-t-elle les rôles d’une place principale d’une ville que sont le lien social, la scène culturelle et le débat public ?
Les entretiens réalisés sur la place m’ont apporté différents éléments de réponses mais surtout de nouvelles questions. Il s’avère indéniable que le bruit du trafic engage les Valenciens à fuir la place et que les étrangers - qui pensent d’ailleurs ne pas pouvoir me parler d’un environnement sonore dont ils ne connaissent pas la ville (entretien 1 et 2) - ne perçoivent pas réellement ce qu’il se passe sur cette place en seulement quelques instants. Finalement, pour saisir le paysage sonore de la place éparse il nous faut l’arpenter à maintes reprises, s’y asseoir, y écouter à différents endroits et moments de la journée… Le chemin de vitrines, lieu le plus petit mais pourtant le plus fréquenté de la place est prisé du fait de sa position près de la fontaine, masque sonore du trafic : « avec la fontaine on n’entend plus le bruit des voitures… Je regarde le soleil, j’écoute le bruit de l’eau, ça me repose, je suis bien… » (Entretien n°4). A contrario, le carré vide est très peu investi en dehors des événements tels que les manifestations, car le lieu ne dégage aucune poésie sonore. En effet, entouré par les bruits du trafic routier et inondé de soleil, le carré vide n’invite aucune personne à se prêter à la conversation et en découle une absence de vie. Lorsqu’il y a rassemblement, comme pour la Gay Pride à laquelle j’étais présente le 28 juin 2014, le trafic est interrompu, des choses se passent
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sur la chaussée, elle prend un tout autre aspect, et spontanément les groupes s’étalent dans le vide et cela attire de nouveaux groupes, invite de nouvelles personnes à investir le lieu, à s’approprier la place... Le vide fonctionne alors comme lien social et scène culturelle et même débat politique…
Ainsi, lors d’évènements particuliers - culturels comme les fêtes populaires, politiques comme les manifestations - la place est méconnaissable : un véritable enchevêtrement d’espaces vides qui devient un seul et unique espace rempli de vie. Le peuple, la foule masquent les zones. Malgré la présence de la statue et de la fontaine qui ne fonctionne alors plus, la place prend forme et paraît alors n’être qu’un immense triangle public. Les zones enherbées, habituellement inoccupées, étaient par exemple totalement investies lors du premier de l’an : un feu d’artifice était tiré depuis la place éparse. Par ailleurs, le carré vide pourrait par exemple être investi par un marché, des manifestations sportives dans les jours du quotidien… Mais entre la présence du nuage noir et l’absence d’ombre, nul évènement régulier ne se tient sur cet espace.
La place éparse est donc un espace public urbain de grande dimension et très fragmenté tant physiquement que d’un point de vue sonore. La couche du trafic tout autour de la place et qui même l’entrecoupe ne permet pas l’appropriation de l’espace public dans son intégralité car chaque fois nous avons la sensation de devoir franchir un brouhaha de moteur, l’écoute se brouille… Le lien social a bien été tenté par le biais de quelques bancs installés ici et là, mais le trafic est présent partout et ne laisse pas de place à la voix humaine ! La fontaine, qui fait acte de présence sonore jusqu’à l’espace vide, perd de son fonctionnement et devient presque nuisance sonore en empêchant également le
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P2 dialogue. Les individus évitent ou en tout cas n’affectionnent pas cette place qui était auparavant constamment appropriée, habitée et en activité. Il m’a été dévoilé à l’occasion d’un entretien (n°10) que lors des manifestations, l’espace du débat public ne répond pas à ses devoirs. En effet, la voix du peuple n’est plus permise face à l’œil du pouvoir de la Mairie. Les personnes qui utilisent des hauts parleurs pour s’exprimer plus fort sont chassées par les policiers présents sur la place…Pourtant cette place répond à son devoir de scène culturelle, mais seulement de manière ponctuelle et jamais spontanée. Ce grand vide qui représente la fierté valencienne des Fallas annule la considération du groupe des individus et ne met en valeur que celle de l’histoire du peuple valencien…
P2 // 3.6. La place éparse, espace public comme scène culturelle Nous allons maintenant aborder la raison de ce vide incroyable en pleine place de la Mairie. En effet, la culture valencienne a pris la décision de créer ce vide humain du quotidien pour en faire une véritable scène culturelle deux semaines par an, 7 minutes par jour, pour les mascletas, vrai spectacle pour ses habitants et les étrangers durant les fêtes populaires de Valence, les Fallas... Origine des Fallas Le terme de « falla » a pour origine latine la signification de « petite torche ». Selon la grande majorité des historiens, au Moyen-Age, à la fin de l’hiver, alors que les charpentiers étaient amenés à brûler le support en bois qui servait à accrocher leur torche, les autres habitants profitaient du grand feu pour se débarrasser de tout détritus de bois et tissus dont ils ne voulaient plus. C’est au XVIIIe siècle, que les charpentiers commencent à créer des fallas qui sont brûlées chaque 19 mars. Les fallas sont souvent constituées de plusieurs figurines de 10 à 30 mètres, appelés les ninots, qui forment une scène à but d’expression libre politique, sociale, religieuse ou morale. A l’origine, elles n’étaient pas si grandes et étaient en bois, en roseaux et en papier mâché pour finalement devenir gigantesques et composées d’une structure bois et de matériaux composites (notons le côté anti-écologique, surtout lorsque nous savons qu’elles sont brûlées à la fin…).
Falla près de la rue Garrigues, croquis 17 mars 2014
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P2 P Déroulement des Fallas
Les festivités de Las fallas (en castillan) se déroulent dans tout Valence (rues, places, etc.) et dans une centaine de villes de la Communauté Valencienne à partir de début mars jusqu’au 19. L’apogée de la fête se situe néanmoins entre le 15 et le 19 mars, jour de la Saint Joseph.
C’est tout au long de l’année que les valenciens préparent cette fête régionale qui leur est chère. Plus précisément, ce sont les casales (associations de quartiers) qui rassemblent des bénévoles afin de récolter des fonds et d’organiser la fête. Les casales ont une fallera major (reine de la falla, de la figure). Il est intéressant de mettre l’accent sur l’organisation poussée et l’investissement colossal de la part d’une grande partie des valenciens afin de montrer l’importance de cette fête culturelle et tout ce qu’elle englobe, pour la ville de Valence. Finalement, au total, 760 fallas sont dispersées dans tout Valence du 15 au 19 mars. J’ai noté que, outre les fallas qui sont mises en place quelques jours précédant la fête, ce qui symbolise le départ des fêtes est indéniablement le signal sonore qui a lieu le dernier dimanche de février à 7h30 du matin: la Desperta qui signifie le réveil. Il s’agit de pétards qui agitent et éveillent toute la ville de Valence… Ce même jour, à 20 heures, à lieu la Crida qui signifie l’appel, durant lequel la fallera major de la ville proclame l’ouverture des festivités officielles. Cette année, cela a eu lieu près d’une tour (Tour des Seranos) de Valence où accumulation de musiques, de cris de foule résonnaient contre les murs de pierre de la tour. Les Fallas regroupent un nombre incroyable de touristes du
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monde entier, d’espagnols et indéniablement de Valenciens. Les rues du centre-ville sont de 10heures du matin jusqu’à 5heures du matin encombrées de monde du 14 au 19 mars. Néanmoins, avant, du 1er au 19 mars, se déroulent les mascletas, tous les jours à 14 heures place de la Ayuntamiento. Cet élément primordial des fêtes a constitué un point principal dans mon analyse du paysage sonore de cette place. De plus, le dernier jour des Fallas, le 19 mars au soir, entre minuit et une heure du matin, a lieu la Crema. Toutes les œuvres d’art (car outre les avis et goûts partagés sur l’esthétique des fallas, nous nous devons de noter le travail et l’imagination de la part des falleros et des falleras) sont brûlées dans un emportement de feux d’artifice. J’ai donc été à la Crema se déroulant sur la place Ayuntamiento, où se tenait une des plus grandes et des plus coûteuses fallas des festivités. Les Fallas, fêtes du bruit
Finalement, les Fallas sont des fêtes avant tout culturelles qui représentent la fierté et la notoriété de la ville de Valence et de sa région. L’art éphémère est également à noter dans le cadre de ces fêtes. Les flammes qui viennent détruire les créations pensées tout au long de l’année montrent le côté festif mais aussi sacré de la culture espagnole. D’ailleurs, ces fêtes sont également très religieuses : chaque année, une offrande de fleurs à la vierge s’effectue Place de la Vierge avec énormément de succès. Enfin, l’aspect social est également très présent. En effet, lors des Fallas, dans l’attente des feux d’artifices, des mascletas ou de la Crema, les individus s’installent partout sur la chaussée, discutent en groupe et s’approprient chaque coin et espace de la place. Nous sentons alors un réel partage émotionnel, une identité commune. Par ailleurs, lorsque l’évènement est terminé, les gens s’en vont massivement de la place, notamment lors de la fin des mascletas...
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P2 Attente de la Crema, 19 mars 2014, minuit
Dans une heure, la Crema va commencer… Chaises, tables sont installées plein milieu de la chaussée, alors que les feux de signalisation tournent encore : vert, orange, rouge… La foule s’accumule de minute en minute, l’imposante falla en bois attend son heure en plein cœur de la place… Les gens discutent en groupe, pour ma part je suis venue toute seule. Nous sommes tellement serrés que j’ai la sensation de faire partie des groupes d’amis tout autour de moi. J’entends toutes les conversations, regarde le groupe assis par terre à mes côté qui joue aux cartes. Nous attendons dans des éclats de voix, que la musique sonore commence. Je ne reconnais rien de la place que j’ai vue le premier jour. Elle me paraît tout sauf être un lieu de passage, mais bel et bien un lieu de rassemblement. Nous nous tenons tous ici depuis une heure, deux heures pour certains. Le spectacle démarre dans des feux d’artifices accompagnés de musiques. Petit à petit, la place laissera sonner le feu qui envahit la falla depuis l’intérieur. Sa structure en bois craque bruyamment, s’effondre de bout en bout, les flammes envahissent la place de sa fumée, ses couleurs et ses crépitements… La foule n’est qu’une seule personne qui donne à entendre ses multiples clameurs, ses frappements de mains, ses sifflements… La place ne mettra pas moins d’une heure, dans un brouhaha incroyable, pour se vider de sa foule qui file vers les multiples rues tout autour. Nous pouvons donc parler de fêtes de sons, d’art du bruit. Tout d’abord, durant les fêtes, une centaine de bandas viennent à Valence pour jouer des airs folkloriques dès le matin et jusque tard dans la soirée. Viennent prendre le relais les concerts gratuits organisés partout dans la ville par les quartiers. Depuis les appartements situés en centre-ville, s’exerce une véritable superposition d’ambiances menant même à une
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saturation du son. Ce qui m’a particulièrement intriguée dans l’aspect sonore des Fallas est l’attirance pour les bruits forts, c’est-à-dire les pétards. Depuis leur plus jeune âge, dès lors qu’ils sont en mesure de lancer un pétard, les enfants de Valence envoient ces petits explosifs à tout va dans les rues. En tant qu’étrangère, j’avais presque peur de sortir de chez moi la première journée. Petit à petit je me suis prise au jeu, ayant la sensation d’être dans un pays agité, presque comme un pays en guerre, avec des bruits qui claquent, l’odeur de la poudre constamment présente dans les rues du centre-ville, les gens qui lancent d’un geste vif et qui fuient la seconde d’après. Nous
Place Ayuntamiento, individus investissant la chaussée, soir de la Crema, 19 mars 2014
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P2 P La mascleta
La mascleta est un spectacle pyrotechnique qui pour certains (certains touristes et étrangers) n’est que « feux d’artifices en plein jour » (entretien n°4), et pour d’autres (les valenciens notamment) est une « vraie musique» (entretien n°9) créée à partir de bruits, c’est « du bruit pour quelque chose » (entretien n°7). Comme indiqué précédemment, tous les jours entre le 1er et le 19 mars, à 14 heures précises, la Place Ayuntamiento remplit son espace d’une foule - plusieurs milliers de personnes - qui déborde dans chacune des rues s’y accrochant. Tant l’installation que le spectacle des masletas nécessitent une vraie petite entreprise. Une mascleta nécessite 4 heures de mise en place et un dispositif de 100 à 120 kg d’explosifs pour 7 minutes de spectacle. En terme de sécurité, l’espace vide - en face du bâtiment de la mairie, voué à ces deux semaines de mascletas - est entouré de clôtures métalliques. Au cœur de l’espace sont positionnés les maslects : ils sont suspendus par des cordes, dont la couleur indique la puissance, et disposés de telle façon que leur explosion est contrôlée en rythme et en cadence, produisant l’effet musical, rythmique et symphonique de la mascleta. Le maître pyrotechnique étudie donc la disposition des pétards (masclets) afin d’obtenir les rythmes souhaités.
Les 7 minutes de mascleta sont généralement divisées en trois parties. Le premier lancer est toujours très prenant bien que la première partie se dit plus tranquille que les suivantes dans le sens où le rythme est lent, les effets sont à la fois sonores et visuels. Petit à petit, la mascleta accélère le rythme et amplifie l’intensité pour finalement arriver au tremblement final dans lequel les masclets de grande puissance éclatent à haute fréquence. La fin de la mascleta est généralement marquée par des pétards aériens.
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Les Valenciens vouent une véritable fascination et assiduité pour les mascletas. Pour eux, elles sont associées à l’héritage sur lequel s’est forgée leur identité. Je ne suis pas parvenue à trouver le moment où les mascletas ont pris leur place dans les Fallas, même auprès des valenciens, mais je sais qu’au départ elles ne se déroulaient que le 19 mars puis se sont finalement étendues sur deux semaines. Néanmoins, j’ai trouvé l’information que la poudre à canon était à l’origine utilisée dans le cadre militaire, puis, dès le XVIIe siècle, Valence s’est spécialisée dans la fabrication et la vente de feux d’artifice.
La mascleta est un véritable choc pour les sens. Nous avons plus l’habitude de regarder un spectacle que de l’écouter. Par exemple, les feux d’artifices en France sont souvent couverts d’une musique décalée de la rythmique des feux, et finalement ce qui prône est l’esthétique visuelle. A Valence, la majorité de la population qualifie les mascletas de « véritable composition musicale » même si certains les nomment encore « explosions de pétards en plein jour ». Finalement, bien que l’aspect visuel de l’explosion de poudre soit une perception importante dans les mascletas, ainsi que l’odeur de poudre, ce qui prône est bel et bien le son ! Ainsi, chaque année, un chef d’orchestre coordonne ses musiciens afin de montrer que la mascleta est bien de la musique et non du bruit ! Il est incroyable de voir jouer l’orchestre et d’y reconnaître les sonorités, les couleurs sonores et les rythmiques d’adrénaline données par les mascletas. Ainsi la mascleta, telle qu’elle retentit dans toute la ville, est synonyme de « tremblement de terre » comme l’a nommé une personne que j’ai interrogée (entretien n°10), des coups de tonnerre qui dépassent l’entendement. Les Valenciens que j’ai interrogés m’ont également parlé « d’adrénaline », et m’ont dit que « ça fait mal aux tympans ». En effet, il m’a déjà été conté que certaines personnes y ont perdu la faculté d’un tympan en s’approchant trop près de la source sonore. De
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P2 sonore. De plus, on donne aux enfants le conseil d’ouvrir grand la bouche pendant les mascletas afin de protéger les tympans… Journal sonore, ma rencontre avec les mascletas
Depuis midi et demi les gens s’accumulent, discutent sur toute la place de la Mairie et dans les rues autour. Finalement quelques minutes avant le départ, tel un compte à rebours, les gens commencent à crier, une symphonie de bruits, accompagnée des hymnes et chants populaires des Fallas, se fait entendre, avant que l’emplacement des masclets ne soit envahi par la fumée, le sol se met à trembler, les cordes de toutes les couleurs se secouent violemment, et enfin, le bruit assourdissant qui dépasse les 120 décibels est émis pour 7 minutes d’expérience sonore.
sons. Lorsque tu es plus loin, à dix minutes à pied, derrière de multiples couches de bâti, tu perçois comme un ronronnement d’explosif au loin, mais le sol tremble encore ! La culture espagnole est dite «culture du bruit».
La première fois, le spectacle reste inconnu avant de le vivre. Car nous vivons la mascleta, nous ne faisons pas que voir ou écouter. Les pétards font vibrer le corps entier, on se sent englobé dans une atmosphère sonore embuée. Dans le bain de la foule sur place, tu vois la fumée monter, tu es au coeur des explosions. Coincé dans une rue en angle, tu ne perçois pas forcément la fumée mais tu t’imprègnes des sons, et chacun écoute. Il est rare de percevoir tant de gens écouter des explosifs. Lorsque tu déambules dans les rues, sans savoir qu’à 14h pétante la mascleta va retentir, tu entends brusquement des coups retentir…Coups de feu? Et les gens autour de toi se mettent à courir vers la source sonore. Tu as la sensation d’être rentré en temps de guerre tant le son, même si tu ne l’as jamais connu en vrai, te fait penser à des explosifs lancés volontairement de façon meurtrière. Mais là, à l’inverse du regard effrayant des gens qui fuient à l’opposé d’où viennent les bruits, les personnes filent dans la rue pour rattraper le temps des
Rue Garrigues, 14h02, mascletas, foule, bruits, croquis, 16 mars 2014
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I
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« L’art de la rue est le mouvement même des peuples de plein air » Robert de Souza
Carte sonore mentale du paysage sonore des mascletas, encre de chine
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I MĂŠmoire de mobilitĂŠ, Valence, Espagne
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P2 P P2 // 3.7. Comparaison avec une autre place emblématique de Valence, Place de la Vierge
Il est intéressant de comparer la place de la Mairie et la place de la Vierge (Plaza de la Vigen) à Valence. C’est une place également pourvue d’une fontaine, d’un grand vide et de trafic routier. Pourtant, elle fonctionne très différemment de la place de la Mairie. Les gens s’approprient le lieu ; la fontaine, placée au centre de son vide, sert d’appui aux flâneurs. Le trafic routier ne passe qu’au nord de la place et reste discret. Le sol de la place est en marbre, donnant une ambiance sonore particulière. La journée les sons rebondissent, les pas frottent, glissent, et la nuit les skateurs rythment la place avec leur roulettes qui patinent allègrement le sol. Cette place laisse l’humain parler, elle l’invite à s’appuyer contre elle, à y rester et à écouter. En effet, j’ai noté très clairement, moi-même l’ayant expérimenté, que lorsque nous sommes appuyés contre la fontaine, le son de l’eau est tel que nous parlons beaucoup plus fort, nous nous rapprochons de notre interlocuteur. Mais cela ne rebute aucunement les gens. Les bruits du trafic routier ne se superposent pas, la parole est laissée à la fontaine dialoguant avec les humains…
Place de la Vijen, Valence, au centre ville historique, fontaine, photo tirée d’un site
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P2 P2 // 4. Ligne de flux, Jardin de Turia
A l’instar de l’analyse effectuée sur la place de la Mairie, nous étudierons l’antécédent du jardin de Turia. Puis, nous en expliquerons la configuration actuelle : ses espaces, ses matériaux, etc. Nous verrons alors en quoi le jardin de Turia est un parcours en longueur qui traverse la ville, une ligne de flux qui laisse écouter chacun de ses éléments, créant des paysages sonores cohérents et unifiés. Enfin, nous étudierons l’aspect social et celui culturel de cet espace public.
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P2 P P2 // 4.1. L’ancien lit du fleuve le Turia
Le jardin de Turia se situe sur l’ancien lit du fleuve le Turia, qui divisait Valence en deux rives jusqu’en 1957. Cette année-ci, entre le 13 et le 14 octobre, de terribles intempéries ont touché la région de Valence et ont inondé la ville. 80 personnes y ont trouvé la mort et de nombreux arbres, bancs, etc. ont été arrachés. La décision de détourner le fleuve au sud de l’agglomération a alors été prise par la communauté valencienne. Le lit du Turia est donc asséché et les autorités – gouvernement espagnol et mairie de valence – décident de créer une autoroute à place. Qu’aurait été à Valence si elle avait laissé ses deux rives être séparées par une autoroute bruyante et à vitesse inhumaine ? Un mouvement civil se soulève et demande un fleuve vert « Queremos un rio verde ». L’espace devient de plus en plus végétal et au milieu des années 80 la municipalité met en place la création d’un parc public tout le long du creux.
1959, L’ancien lit du fleuve le Turia, «la plaza ayuntamiento desde 1930 - 2012»
2012, Jardin Le Turia, photo de «la plaza ayuntamiento desde 1930 - 2012»
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P2 P2 // 4.2. Le jardin de Turia, ligne de flux
C’est Ricardo Boffil qui a dessiné le tronçon du jardin dans la zone noble de la ville. Orangers, palmiers ont alors vu le jour. L’équipe « Vetges Tu – Mediterrania » s’est occupée de la réalisation du tronçon depuis la Maison de l’Eau jusqu’au nouveau centre avec l’installation de fontaines et d’équipements sportifs. Et le conseil de l’agriculture de la ville a entrepris l’organisation de la zone sportive près de la Tour Serrano avec la plantation de 1000 pins. C’est donc en 1986 que les Jardins du Turia ont été inaugurés. Doit-on parler d’un jardin au singulier ou de jardins au pluriel ?
Aujourd’hui, le Jardin del Turia est un des parcs les plus visités de l’Espagne et le plus visité de Valence. Il s’étend d’un bout à l’autre de Valence, reliant la campagne à la mer. Avec ses 110 hectares, les activités proposées sont très diversifiées. En effet, nous comptons au sein du parc un grand nombre de bâtiments, de promenades, de fontaines, d’espaces particuliers etc. La nuit, le jardin est pratiquement vide et laisse dormir ses créatures. Dès le petit matin, il commence à voir des lignes de pas le parcourir et cela jusqu’au soir, à la tombée de la nuit.
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P2 P La date : samedi 3 mai L’heure : 16 h. 30 Le lieu : Le long du Jardin de Turia Posture : Parcours piéton d’un jour ordinaire, inventaire sur la longueur A l’extrémité du parc, côté mer Une Cité des arts et des sciences Des sortes de grands animaux de mer Pureté et blancheur de béton Avec l’Opéra de Valence Chants et décors L’océanographique Des poissons en pagaille L’Agora de Valence Place couverte L’Hémisphère L’Umbracle Paillettes et discothèque sous serre Tout au long de la ligne de flux Des terrains de sports Pratique du Foot Culture sportive espagnole Des équipements de musculation De l’herbe, des étendues d’herbes Des arbres Encore des arbres Des orangers Des palmiers Des pins Des fontaines
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Des colonnes en béton Un lac Des rochers Des jeux d’enfants Un sentier en stabilisé Qui se promène Un Parc avec un Gulliver A l’autre bout de la mer Le Bioparc Des sentiers des deux côtés Des ponts comme des balcons Des ponts comme un plafond Des bancs Des poubelles Des lampadaires Des jets d’eau Des fleurs Des esplanades
Des rampes Des étroites, des larges, En pavés de pierres, en cailloux, en béton Pentues, moins pentues, Pour piétons seulement, Pour piétons et vélos, Accompagnées de fleurs et d’odeurs Lavande Fleurs rouges
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P2 Vingt ponts qui nous passent au-dessus Vingt balcons sur le jardin Pont piéton Pont en béton Pont en pierre Pont divisé entre piétons et voitures De larges trottoirs De petits trottoirs Pont à sens unique Pont à 4 voies Pont fleuri Pont en bois pour piéton Pont moderne Pont ancien Des vélos Des piétons Des coureurs Des jeunes Des moins jeunes Des personnes âgées Très âgées Pas très âgées Des oiseaux Des bébés Des enfants Des animaux Des amoureux Des amis Des sportifs
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Des filles Des garçons Des garçons et des filles Des gens assis Des gens debout Des gens allongés Des gens dans l’herbe Des gens sur le chemin Des gens près du chemin Des gens en plein milieu de l’herbe Des gens sous les arbres Des gens qui courent Des chants d’oiseaux Du vent dans les feuilles des arbres Des gens qui dorment Des gens qui rient Des gens qui parlent Des gens qui lisent Des gens qui écoutent de la musique Ou la radio Ou leurs oreilles Des gens qui contemplent ? Des gens qui cherchent Un peu de gens qui attendent Des gens qui marchent Des gens qui mangent Des gens qui jouent Des ballons Des élastiques géants Des tables en bois
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P2 P Des tables en plastiques amenées Des paquets de chips Des chiens qui aboient Des bébés qui pleurent Des bruits de pas feutrés dans l’herbe Des chants d’oiseaux Parcours le long de chemins Lignes de flux
Au loin, La rumeur urbaine
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P2 P2 // 4.3. La ligne de flux, un parcours raccroché à sa ville
La date : samedi 10 mai 2014 L’heure : 11 h. 00 Le lieu : Jardin del Turia, départ en haut de la rampe face à la tour Serano Posture : Flânerie, déambulation, parcours du quotidien Rampe très large Pente moyennement importante Sol de galets Difficulté de descendre en vélo Passage sous la passerelle en bois piétonne Sur le balcon de bois, un homme qui chante Chaque jour, même endroit D’ordinaire, écoute depuis le pont Je l’écoute Autre écoute qu’ordinaire Regards échangés En haut, en bas Chanson anglaise Une flaque d’eau au sol Stabilisé craque sous mes pieds Des gens essoufflés Tchh tchh tchh tchh Pas de course Deux jeunes filles Chemin en stabilisé Une sirène de police Là-bas au loin
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Une rumeur de la ville Presque oubliée Trois jeunes parlent Deux filles et un garçon Paroles en anglais Une des jeunes filles monopolise la parole Des bruits de pas Des bruits de pas contre le sol Les rythmes différents Des chemins qui se rencontrent Le coureur s’approche Son augmente Et puis s’éloigne Les marcheurs s’accompagnent Les coureurs se doublent Se croisent Se regardent Ils partagent Des bruits de pas qui martèlent le sol Des paroles d’oiseaux Les graviers et les chaussures Nouveau pont Pierre Arcades Une moto gronde sur le pont Passage en dessous Plus sombre Résonance des pas Les pleurs d’un bébé dans une poussette Les roues de la poussette accrochent le sol
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P2 P Des gens qui soufflent Des gens qui courent Sortie Lumière Chemin se poursuit Choix Plusieurs chemins Le mien traverse une étendue d’herbe Du vent dans les feuilles d’arbres Mes pieds écorchent le sol L’odeur des pins Le bruit des arbres Eloignement du sentier Les feuilles qui craquent sous les pas Un groupe d’une dizaine de personnes Certaines allongées D’autres assises Je devine des rires et des conversations Certaines personnes sont debout Élastique tendu entre les arbres Jeu d’équilibre De l’herbe autour De l’espace De l’air Plus loin Une famille Plusieurs générations Une grande table en plastique installée Des bouteilles sorties Des ballons accrochés dans les arbres
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Orchestration d’oiseaux Les enfants rigolent Un ballon est tapé plus loin Demi-tour Une femme sur un banc au bord du chemin Discussion avec une autre femme Deux enfants jouent devant elles au ballon Reprise du sentier Défilé de coureurs Discussions autour Sensation d’infinité du parcours Sensation de cocon en longueur Sensation de protection Repos sonore Profondeur de champ sonore On entend tout On a envie d’écouter Fond sonore : La rumeur des moteurs Multiples petits signaux sonores humains : Rires, pas, conversations, soufflements La séquence localisée : Le jardin tout entier Le jardin Turia est une carte postale sonore Une petite rampe plus loin à droite Où va-t-elle me mener ? Perte de repère Quelle position géographique dans la ville ? La même rumeur urbaine Les oiseaux chantant
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P2 Les pas qui courent Les arbres qui murmurent des mots Je devine des bâtiments en haut Où suis-je exactement ? Repérage d’un pont plus loin Pont del Real ! Qui sera bientôt mon balcon Pour regarder d’en haut Des trajectoires dans un sens et dans l’autre Un lit d’arbres qui dansent Une rumeur naturelle et humaine De vie et d’appropriation spatiale
Au sein de la ligne de flux, la rumeur de la ville est constamment présente (voitures, sirènes de police, travaux) mais elle se propose comme un chuchotement lointain qui émet quelques souffles plus forts que d’autres, par moment. La présence des sportifs, des enfants jouant au ballon, des jeunes discutant, sont autant de sons dont nous pouvons écouter tous les aspects. En effet, l’idée de parcours est représentative de cet espace. On y effectue des arrêts (pique-nique dans l’herbe, pause sur un banc, etc.), mais tant la configuration de l’espace (en longueur) que les usages proposés (sentiers destinés aux cyclistes, aux piétons, aux coureurs) impliquent le cheminement, le déplacement doux, la flânerie, la déambulation. Et, depuis ce parcours, nous pouvons nous extirper afin de profiter de telle ou telle aire d’herbe ou sportive qui s’y raccroche. Les représentations graphiques que j’ai obtenues du paysage sonore du lit fluctuant ont été instinctivement des couches qui s’entremêlent, comme si nous coupions dans la tranche de l’oreille de cet espace public qui fonctionne de façon globale, unique et unifiée.
Coupe sonore, Ligne de flux, encre de chine
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P2 P Lorsque je souhaitais réaliser mon journal sonore sur le jardin de turia, il m’était difficile de procéder par thème ou par idée, car tous se mélangent et s’influencent. La ligne de flux est un parcours cohérent, un creux de flux qui laisse entendre ce qu’il y a à entendre… J’ai tout de même abordé une par une les choses qui m’ont marquée lors de mes parcours sonores.
Balcons sur le jardin Jardin qui creuse et traverse la ville ou la ville qui monte et surplombe le jardin ? Le jardin de Turia appartient pleinement à la ville tout en étant une entité complètement à part. Les balcons qui passent au-dessus du jardin offrent des jeux de regards, des jeux sonores qui rappellent que la ville est là, que les gens au-dessus la parcourent. Chaque fois, à vélo ou à pied, lorsque je traverse la passerelle en bois, j’écoute cet homme, qui est présent tous les jours, chanter en anglais. Il a une voix grave qui résonne et qui porte. Il fait partie du pont. Je ne connais pas la passerelle sans lui et je le chercherais s’il n’y était plus. Aujourd’hui, je me suis promenée dans le Rio, je me suis positionnée spontanément sous la passerelle en bois, intriguée par les chants en anglais. Je suis restée là quelques secondes, sous la passerelle, les yeux levés, il m’a vue et a lâché un « gracias » avant de reprendre avec des sonorités anglaises. Merci de l’écouter ? Lorsque je courais dans le jardin, il m’accompagnait également. Je m’interrogeais sur la différence de perception des sons selon notre position (à côté ou en dessous), le fait d’être ou non dans le même milieu (ville ou jardin) et selon l’activité (sportive ou pratique). De plus, il est amusant de noter que lorsque nous sommes sur la passerelle, notre trajectoire est sur l’axe nord-sud alors que dans le jardin elle est sur l’axe est-ouest. Ainsi, les sons ne nous accompagnent pas de la même façon selon la diffusion des ondes, et pas sur la même durée...
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Le son et sa propagation, entre pont et jardin
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P2 Echappatoires, entre ville et jardin
Les rampes constituent des échappatoires depuis la ville, présentes tout le long du parcours au sein de la ville. Elles sont là comme des connexions physiques qui relient la ville à son jardin. Parfois nous sommes en haut et nous avons envie d’être en bas, avec les êtres de natures. Nous marchons alors encore un peu plus dans l’espoir de rencontrer une échappatoire. Souvent elle est bien cachée, en retrait dans le jardin. On y rentre alors, on descend contre les murs de pierre qui protègent le jardin, on se coupe petit à petit de la ville. Les rampes sont les lieux de transition tant physiques que sonores. Chacune d’entre elles est unique mais on y retrouve le même sentiment d’appartenance à la fois à l’urbain et à la nature. En quittant le jardin, nous avons fait un choix. Nous souhaitons retrouver le brouhaha, le chaos de la ville, ou bien simplement un devoir nous appelle et nous extrait de ce paysage sonore naturel. Rumeur urbaine
Le jardin est à part, détaché de sa ville, « de ses fonctions, de sa vitesse, de sa densité »1. La ville est là sans être là, elle est présente comme concept, comme « image sonore diffuse, rumeur presque rassurante, toujours égale »2. Les moteurs donnent l’impression de tourner constamment à la même vitesse, au même rythme, dans un ronronnement cohérent. Quelques klaxons et sirènes de police traversent l’air et nous rappelle l’incertitude et le hasard de la ville. La rumeur urbaine raccroche son auditeur à ses sources, au lieu d’où il vient et où il repartira. La rumeur urbaine est telle que la ville nous paraît bien plus loin qu’elle ne l’est en réalité. En descendant dans ce lit de flux, ce creux de
nature, nous nous extirpons de la ville, nous partons loin, coupé de la ville sonore. Profondeur de champ, lieu unique Il est incroyable de prendre conscience comme nous entendons l’humain au sein de la ligne de flux. De multiples événements sonores décrivent une multitude de petites actions qui ont lieu simultanément le long du parcours de chacun. Selon notre chemin, nos arrêts, notre rythme, nous écrirons une partition sonore différente qui se mêle parfois à celle de quelqu’un d’autre. Le ballon frappé d’un enfant, les cris joyeux d’enfants qui jouent, les oiseaux qui chantent, les roulettes d’une poussette qui frottent le stabilisé, une conversation sur le chemin, la brise qui siffle à nos oreilles, autant d’éléments qui viennent, repartent et sont remplacés par d’autres très naturellement. Finalement seule la rumeur urbaine est constante et pourtant elle constitue le son le plus éloigné. La promenade sonore que nous vivons au sein de ce jardin nous rattache pleinement à la vie de notre parcours, et quoique nous fassions, nous faisons partie du paysage sonore d’autrui. D’un bout à l’autre de notre parcours, qu’il soit sur toute la longueur du jardin ou seulement sur un tronçon entre deux ponts, qu’il soit ponctué d’une pause enherbée ou de course à pied, il nous inclut dans une unité sonore qui évolue au gré de notre marche, sans « à-coup » sonore. C’est en redonnant notre âme et notre oreille à la ville que nous quittons cette profondeur de champ sonore où les sons environnants sont clairement perçus, dans leur intensité, dans leur signification et dans leur poésie sonore.
1 Nicolas Frize « Prendre place/espace public et culture dramatique » - esthétique de la démocratie Plan Urbain - Colloque de Cerisy 1993 2 Cf note 1
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P2 P Source sonore : mobile immobile
Discussions entre Rumeur de la ville : Stade de football : Vent dans les Frottements au Eau individus : rires, pa- klaxon, moteur, si- cris, ballons frap- arbres sol : vélo, piéroles, cris, etc. rène de police pés tons, coureurs Mobile (déplacement Mobile sur les chemins) ou immobile (pause sur les bancs ou dans l’herbe)
Fréquence Inconstante selon l’en- Constante son de la droit source sonore Type source Humain (rire, parole) sonore
Mobile
Immobile
Inconstante selon les Constante heures et la position de l’auditeur
Chants des oiseaux
Mobile (partout Immobile (fontaine, Mobiles sauf dans l’herbe) lac, jet d’eau pour arroser l’herbe)
Inconstante selon Constante pour le Inconstante l’endroit lac, inconstante pour la fontaine et l’arrosage
Non humain, méca- Humain, cris d’encounique (moteurs), ragement, pied dans signaux sonores, un ballon klaxons
Naturel, action Humain de l’air, du vent dans les feuilles des arbres
Non humain, natu- Naturel relle (eau)
Ligne droite superposition de pic conversations Pics : éclats de rires, pleurs d’un bébé
R o n r o n n e m e n t Signaux sonores, pic constant avec si- des frappes de balgnaux sonores qui lon, des cris ressortent : klaxons, sirène de police
Pic selon les jours, le nombre et le type d’arbre (+/- feuillu)
Chaque ensemble de sons, de frottements de pied sur le sol est dans sa propre ligne droite
Intensité
Silencieuse (lac), ligne droite pour la fontaine, zig zag pour jets d’arrosage qui pivotent sur eux-mêmes
Irrégularité selon espèce, nombre d’oiseaux, les arbres environnants, les chants d’oiseaux sont irréguliers
Faible
Faible car éloignée
Faible
Faible
Faible
Faible mais sonore, sonorités aigues
Comme une rumeur urbaine, un murmure de la ville, pas de gêne pour s’entendre, pas d’inconfort acoustique
Les stades de foot sont regroupés vers le milieu du parcours, disposés contre un bord. On entend peu les matchs d’entraînement, juste l’ambiance joyeuse
Le jardin n’est pas étroit donc le vent ne siffle pas dans les oreilles. Je n’ai jamais été gênée par la brise présente dans le jardin.
Les frottements Apaisant, ne couvre des pieds sur le sol pas les voies huindiquent l’arrivée maines de quelqu’un, son allure, la raison de son parcours. Pas de sensation d’inconfort
S y m b o l e , Echange, flânerie, La ville tourne et Loisir, culture spor- La nature, l’air Déplacement, san- Nature, culture de Communication des culturel sociabilité, vivre en- s’agite en haut de la tive espagnole maritime té, sport, balade, l’eau, beaucoup de espèces animales. semble, partage ligne de flux loisir, flânerie fontaines à Valence Nature, liberté
Faible
Confort/ in- On entend les gens, on confort est libre de les écouter et de même en comprendre certaines conversations. Les sons humains vivent leurs temps
On entend bien les oiseaux, sensation de bien-être et de havre de paix de nature.
Paysage sonore de la Ligne de flux, au quotidien
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P2 P2 // 4.4. La ligne de flux, micro évènements sonores dans un espace unifié
P2 // 4.5. La ligne de flux, espace public comme scène culturelle et lien social
Le jardin de Turia est un parcours en longueur, constitué d’espaces aux attraits particuliers - terrains de football, parc à jeux pour enfant, lac, zones enherbées, etc. - qui pourtant s’unifient au reste du jardin. Ils s’accrochent et s’accordent aux chemins qui les relient et leurs sons s’entremêlent. C’est donc bien un parcours unifié d’un bout à l’autre, dans lequel nous nous prêtons aux sons de flânerie, de déplacements doux, de poésie et d’écoute. Que notre parcours soit ponctué d’arrêts ou non, le jardin se prête à l’écoute du lieu, à l’écoute d’une multitude de petites actions qui se déroulent autour de nous : derrière, devant, à côté... Le lieu de passage n’en est pas un. Il est lieu de parcours et de promenade dans lequel cohabitent des lieux d’arrêts cohérents qui se fondent dans le parcours. Finalement, la ligne de flux est un lieu calme et « silencieux » où nous laissons parler et écouter l’humain, la nature et ses espèces vivantes.
Au sein de la ligne de flux, selon la saison, le jour, l’heure, nous rencontrons des évènements culturels : concerts, stands de dégustations, etc. Ils n’interrompent pas le paysage sonore global du jardin, calme et à l’écoute, mais au contraire interagissent avec l’aspect silencieux du jardin.
Afin de montrer ma propre appropriation des espaces publics de la Place éparse et de la Ligne de flux, j’ai pris la décision de ne pas effectuer d’entretien dans le Jardin de Turia, contrairement à la Place Ayuntamiento. En effet, l’observation, l’écoute, la prise de note découlaient de l’environnement sonore de cet espace public. Chaque personne semble être là par choix, dans une conscientisation bien heureuse et il m’a parut intéressant de souligner la tranquilité de ce lieu en m’insérant qu’en tant qu’observatrice.
Un dimanche, au mois de mai, je me promenais avec une amie le long du jardin. Au retour nous avons repéré de loin une foule regroupée autour d’une scène. Le son du concert était inaudible à 30 mètres de la scène, mais lorsque nous avons pénétré la foule, nous nous sommes retrouvées en plein cœur de vibrations sonores : guitare, batterie, voix… Et il suffisait de s’en extraire, de s’allonger à quelques mètres dans l’herbe pour de nouveau écouter les chants des oiseaux, le murmure des voix humaines, sa propre respiration. Les évènements culturels ne nuisent pas à l’environnement sonore originel du jardin. Il en a été de même lorsque un grand nombre de stands (vin, tapas, etc.) se sont installés sur une grande partie du jardin sans plafond végétal au début du mois de juin. En effet, nous rentrions dans un nouvel environnement sonore sans profondeur de champ sonore (diffusion de musique et voix humaines en grand nombre), lui-même inclu dans un environnement sonore à part (sons de nature, sons de petites choses). Il s’agissait donc d’une bulle sonore bruyante qui ne dénaturait pas sa sphère sonore environnante. De plus, la présence d’un grand nombre de sportifs au quotidien au sein du jardin dévoile un aspect culturel très fort. En effet, de plus en plus d’habitants se livrent à des activités sportives dans les
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P2 P espaces publics de nos villes occidentales actuelles. Ainsi, le sport a changé progressivement de nature pour occuper l’espace urbain et devenir un élément fondamental de la culture de l’espace public. Néanmoins, jamais je n’ai aperçu aucun individu pratiquer le footing et autre sport sur la place de la Mairie alors que le jardin de Turia en est constamment occupé. Les joggers et les cyclistes utilisent en effet de façon privilégiée les chemins de la ligne de flux mais les promeneurs et les flâneurs se mêlent à eux sans aucun souci et se prêtent même au jeu d’observation. Dans le jardin de Turia, la qualité du sol, pour éviter les problèmes de dos (stabilité, sol souple), est complétée par celle d’être isolé du trafic urbain. La culture espagnole actuelle, très portée sur le culte du corps et donc sur la pratique du sport, donne à voir au sein du jardin de Turia un défilé de coureurs qui s’exposent sans retenue face aux promeneurs. C’est donc un « nouveau type de relations [qui s’instaure] entre les pratiquants ou entre les pratiquants et les autres citadins »1. Nous pouvons alors parler de lien social qui se constitue autour des pratiques sportives présentes au sein du jardin. Des groupes de deux, de trois voire de dix personnes courent ensemble. L’allure, le nombre de tours donnent des rythmes et des intensités différents aux frottements de pas au sol. Les planches à roulettes filent entre les passants, les roues des cyclistes répondent aux pas de course, autant de « rythmes de passage […] improvisés », le long de ce circuit où naturellement un ordre de passage s’est instauré. Finalement, au sein de ce parcours, « le culte de la forme, du dynamisme, du corps actif et performant » prend part aux paysages sonores que nous percevons.
Rythmes de pas sur le sol en stabilité de La ligne de flux
1 Sportifs en vue - Les sportifs dans les rues de Lyon, Jean Camy, Eric Adamkiewics, Pascal Chantelat, Les annales de la recherche urbaine, n° 57-58, 1992-1993, p. 159
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P // Conclusion
Entre paysages sonores et attitudes collectives ou individuelles Au sein de nos espaces publics, nous marchons aux rythmes de nos sons, nous parlons à l’intensité de nos sons, nous agissons en fonction – nous nous rapprochons, nous montons ou baissons le ton – et nous créons des sons qui interagissent avec notre environnement sonore. Nous co-habitons avec lui et selon notre culture, nous tolérons tel ou tel son ou bien nous fuyons tel autre alors appelé bruit. Chaque son doit avoir son moment et doit exprimer sa ville. Au Maroc, la place de la Médina à Marrakech évolue constamment au cours du temps d’un point de vue sonore. Chaque paysage sonore a son moment, tout comme chaque activité prend place sur cette place sans jamais laisser la ville s’endormir, et les sons l’expriment. Il nous faut mettre l’humain au cœur des choses, le placer au centre de la source sonore et dans une conscientisation de sa propre écoute. Les bruits gênants ne sont pas à masquer. Nous tendrions alors à la nuisance sonore. Nombreux sont les exemples où pour masquer certains bruits (lesquels?), un masque sonore est mis en place (musique, faux bruits d’eau ou d’oiseaux, comme au Centre Commercial de Nailloux Village) et remplit alors constamment les oreilles et empêche la bouche de s’exprimer. Il nous faut redonner le rôle d’acteur à l’être humain et laisser dialoguer l’espace public et ses occupants. Un dispositif intéressant a été mis en place en plein centre de Montréal, au Canada, dans lequel les designeuses québécoises Mouna Andraos et Melissa Mongiat ont installé 21 balançoires sonores. Il s’agit d’un instrument collectif mis à disposition du passant, où la balançoire émet une note chaque fois qu’elle en croise une autre. Le résultat serait celui d’une musique collective et communicante qui reste discrète et poétique et invite à la participation.
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Les deux espaces publics que j’ai étudiés, la place de la Mairie, place éparse et le jardin de Turia, ligne de flux, sont dédiés au peuple et à sa culture. Néanmoins, alors que la ligne de flux s’adresse aux individus dans le cadre des liens sociaux et des activités sportives, la place éparse ne se préoccupe que de la richesse culturelle traditionnelle, les Fallas, et oublie son devoir de place publique en tant qu’Agora et celui de salon urbain où les individus participent. Ceux-ci occupent alors la place dans une rythmique instable et insaisissable.
Rythmique insaisissable des traversées humaines de la Place éparse, schéma
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L’homme public actuel est pressé et « n’a pas le temps de s’engager de manière intense dans un rapport à autrui »1. Néanmoins, cela ne signifie pas que la présentation de soi au sein de l’espace public n’a plus lieu. Seulement, elle est devenue représentation, au sens où le citadin se montre comme image, s’exprime à travers son apparence. Le citadin est atteint d’une « hypertrophie de l’œil », comme nous le dit Georg Simmel. Ainsi, la ville est un « espace d’observabilité réciproque» dans lequel le jugement de soi par l’autre ne sera fabriqué qu’à partir de notre image visuelle et non de notre intérieur sonore. Nous oublions que l’espace public n’est pas qu’un espace de passage, d’indifférence, de trafic et de politesse minimale, il est aussi un espace où l’autre nous influence, et avec lequel nous interagissons. Nous participons inconsciemment aux musiques urbaines de nos espaces publics. Il est donc important que l’homme moderne soit attentif au concert collectif. En effet, les sons rencontrés au sein des espaces publics sont le reflet de nos inventions, de nos sociétés et de nos cultures. Pour ce faire, les espaces publics doivent pouvoir accueillir librement ses individus et ses groupes sociétaux. Les deux espaces publics étudiés sont dits « gratuits » dans le sens où ils sont en accès libre et que les évènements et activités s’y produisant sont également gratuits. Néanmoins, sur la place éparse, nous notons que le trafic qui tourne autour de l’Homme angoisse les conversations, enraye le bien commun et oblige les individus qui s’y rendent à user de leur patience et à vendre leur temps. Mais les choses sont plus complexes qu’une révélation unique. En effet nous rencontrons aussi des gens qui s’accommodent et ont justement appris à vivre avec tous les sons de leurs sociétés, comme les bruits de moteur ou de machine. Ces personnes-ci ; comme l’homme de l’entretien n°10, sont alors rassurées de se trouver au cœur du brou1 Sportifs en vue - Les sportifs dans les rues de Lyon, Jean Camy, Eric Adamkiewics, Pascal Chantelat, Les annales de la recherche urbaine, n° 57-58, 1992-1993, p. 161
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haha de la ville, rumeur de trafic comprise. Chaque son doit donc avoir son moment, sa durée, dans la limite de la gêne et de la douleur sonore. Il faut ainsi retrouver le côté positif du bruit, le silence absolu nous serait invivable. Il nous faut, au-delà des bruits réellement gênants et perturbants, apprendre à accepter les bruits de l’autre, les bruits utiles comme sécurisants (la rumeur de la ville lorsqu’une femme marche seule la nuit). Finalement, le bruit n’est pas un objet à éradiquer, les choses sont complexes et à analyser à échelle locale, puis corporelle, humaine, en fonction d’une situation physique. Un bruit cache l’autre, il faut donc démêler les choses et tenir compte de tous les paramètres. Une réglementation technique pure ne peut en rien résoudre les problèmes de nuisances sonores, vécues de façon subjective, comme des gênes du quotidien. Il nous faudrait traiter le problème en amont, et agir avec une logique de construction architecturale et urbaine sur les choix des matériaux, des espaces et des mouvements de trafics et surtout redonner à l’espace public la possibilité de répondre à ses devoirs : lieu de l’échange, du débat et de la culture. Mais l’espace public répond parfois à des attentes culturelles au point de le dénaturer et de le rendre désagréable le reste du temps. En effet, le cas des Fallas sur la place éparse illustre cette idée. La création du carré vide pour pouvoir le remplir au maximum de bruits donneurs d’adrénaline créé un trouble quotidien au sein de cet espace public! La place de la Mairie n’est pas un espace du public, ni ouverte au public du quotidien ; elle est un espace créé pour un public ponctuel. A contrario, la ligne de flux, creux en longueur dans la ville, qui devait à l’origine accueillir une autoroute et des bruits de trafics monumentaux, est finalement une étendue d’aire naturelle, à l’écoute de ses bruits et de ceux qui la parcourent. C’est un espace constamment dédié et ouvert au public dans lequel nos sons guident nos pas humains.
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Finalement, la place de la Mairie, qui est l’espace public représentatif de la ville (bâtiment de la mairie, présence du pouvoir) devrait rassembler constamment la population de Valence, qui est un peuple de l’air, mais il en est autrement. En quoi la configuration de la place et son organisation apportent-elles un environnement sonore inadapté à l’appropriation et à l’investissement de l’espace public ? L’espace de la place éparse est fragmenté, découpé menant à l’écoute de multiples paysages sonores. En son sein, nous ne nous entendons pas, il est difficile d’y trouver sa place du fait de la présence omniprésente du trafic tout au long de la journée. Finalement, nous traversons cette place comme un lieu de passage au lieu de s’y installer, de cohabiter, de se l’approprier… La multitude de sons différents et incohérents accentue l’effet de zonage de la place. Il est difficile de s’entendre, impossible d’écouter ce qui nous entoure. En effet, les sons parlent en même temps au lieu de se questionner et de se répondre, ce qui fait alors de la place un lieu de passage.
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La Place éparse, Pensée anticipée: une place de rassemblement triangulaire et unifiée. Découverte: une place entrecoupée, éparpillée, lieu de passage.
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Le jardin est composé d’un grand nombre d’espaces soit polyvalents soit à usage spécifiques. Des fragmentations physiques sont présentes par le biais de matériaux (herbe/stabilisé), d’équipements (bancs, instruments sportifs, etc.) et néanmoins, la ligne de flux fonctionne comme une seule et unique entité. Il s’agit d’un parcours qui propose de multiples possibilités, mais qui reste cohérent du début à la fin lorsqu’on en écoute les paysages sonores. En effet, les parois massives de pierres de l’ancien fleuve protègent la nature sonore du jardin, des sons agressifs de la ville. Nous nous y sentons tout de même inscrits grâce à sa rumeur qui nous parvient au-dessus des arbres et grâce aux liens visuels et sonores avec elle avec les ponts. L’omniprésence de la nature (eau, végétation, oiseaux, humains, etc.) permet d’entendre et d’écouter les individus, leurs bruits, leurs pas, leurs paroles. Nous pouvons écouter ce qui nous entoure et nous rend aptes à communiquer, ce qui fait alors du jardin un lieu d’échange.
La ligne de flux, Pensée anticipée: un lieu composé de parcours et d’espaces bien séparés et non homogènes.
La ligne de flux, Découverte: un espace de parcours où des espaces viennent s’accrocher et se fondre dans la promenade sonore, lieu d’échange.
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Et au coeur de notre écoute, s’instaure un dialogue avec l’espace. Ainsi, en prenant pour appui l’exemple des non voyants, nous nous rendons compte à quel point l’écoute de notre environnement sonore nous donne des informations, nous guident dans nos appropriations du lieux et dans le choix de nos trajectoires. En effet, lors d’un entretien avec une non voyante (Entretien n°11), j’ai pu réaliser à quel point de petits éléments sonores pour les mal voyants, correspondent à des signaux visuels très forts pour les voyants. Alors qu’un apport sonore sera pour moi dérangeant, il sera pour un non voyant, précieux dans sa trajectoire. La personne avec qui je me suis entretenue m’a cité l’exemple de passages piétons aménagés à Madrid. Il s’agit d’un espace sonore conçu à partir de chants d’oiseaux. Le son est perçu tout le long de la traversée, si nous nous en écartons, nous l’entendons et les fréquences varient selon si le feu est vert ou rouge pour les piétons. Ainsi, ces signaux sonores primordiaux pour un mal voyant, seront pour moi anecdotiques. De plus, cette personne se guide grâce à l’écholocalisation qui consiste à se repérer spatialement selon les échos des sons émis. Par exemple, elle tape avec sa canne afin d’écouter les échos sur les façades, et ainsi elle sait face à quel type de bâtiment elle se trouve (hauteaur importante ou pas) et surtout si l’espace est vaste ou étroit...
S’il n’y a pas d’écoute universelle, Nous n’en concluons pas moins que
Le monde est définitivement sonore.
Il importe que le paysage s’honore.
Les oiseaux eux-mêmes nous apportent des informations sur notre environnement sonore. Par exemple, les martinets, pour des raisons d’envols, se placent sur les toitures rugeuses des anciens bâtiments. Ainsi, nous savons, à l’écoute des chants des oiseaux, quelles espèces sont présentes, et selon les caractéristiques propres de chaque espèce, nous pouvons deviner le type de bâti nous entourent, ou encore, quelles espèces d’arbres nous environnent.
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// Annexes et entretiens Chaque fois je me suis présentée de la façon suivante, en espagnol : Mathilde (M) : « Hola. Soy francesa, estudiante en arquitectura. En el contexto de mi memoria, hago un analisis de la ambiante sonora de este espacio publico. Me intereso mucho de tener otro opinion, es posible de preguntarle algunas preguntas por favor ? » Ce qui donne en français : M : « Bonjour. Je suis française, étudiante en architecture. Dans le cadre de mon mémoire j’effectue une analyse de l’ambiance sonore de cet espace public et il me semble intéressant d’avoir l’avis d’autres personnes. Je peux vous poser quelques questions s’il vous plait ? » (Place de la Mairie ou Jardin de Turia). Puis, à partir de cette grille, je les interroge : - Vive en Valencia ? En cual bario y desde cuanto tiempo? Vivez-vous à Valencia ? Si oui, depuis combien de temps et dans quel quartier ? - En algunas palabras, como puedes definir el «paisaje sonoro»? En quelques mots, comment pouvez-vous définir ce qu’est le « paysage sonore » ? - Vas a menudo en la plaza Ayutamiento? Porque vas ahi? (actividad, compras, cafe, lugar de paseo) Venez-vous souvent sur cette place/ dans ce jardin ? Pour quelles raisons y venez-vous ? (Flânerie, ballade, prendre un café, faire des achats, des activités particulières, juste un lieu de passage) - Vas lo mas solo o con personas? Y allez-vous le plus souvent seul ou avec des gens ? - Para ti, es mas un lugar de paseo o para quedar y sentarse? Porque? Pour vous est-ce plus un lieu de passage ou pour s’asseoir et rester ?
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Pourquoi ? - Que piensas de la ambiante sonora de este plaza ? (el ruido del fuente, de los coches, etc.) ? Que pensez-vous de l’ambiance sonore de cette place ? (le bruit de la fontaine, des gens, des voitures, de la cloche/ de la ville, des enfants, des oiseaux, des sportifs) - Cambiarias de la organización spacial de este plaza? (bancos, arboles, las vias de los coches y autobus...?) Changeriez-vous l’organisation spatiale de cet espace public ? (banc, arbres, la chaussées des voitures et autobus/ de nouveaux espaces, des espaces à modifier ou supprimer) ? - Puedes describir como vives las mazcletas que se pasan en la plaza ayutamiento? Comment vivez vous les mascletas qui se passent sur la place Ayuntamiento ? - Vas a menudo al jardin del Rio? que tipo de actividad haces ahi? Quelles - Vas lo mas solo o con personas? - Para ti, es mas un lugar de paseo o para quedar ? - Que piensas de la ambiante sonora del Rio? es particular? - Que aporta este jardín al Valencia según tu opinión?
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Entretien n°1 La date : samedi 14 juin 2014 L’heure : 11 h. 00 Le lieu : Chemin de vitrine Un couple homme/femme d’environ 70 ans se tient debout, sur le chemin de vitrine, de profil à la fontaine. Je me présente (M), en espagnol. La femme (F) me répond : « F : Nous ne comprenons pas l’espagnol (en anglais) M : Je peux parler anglais ! Je suis donc française, étudiante en architecture et dans le cadre de mon mémoire je m’intéresse à l’ambiance sonore de la Place de la Mairie F : Nous ne sommes pas d’ici, nous sommes en vacances, nous ne pouvons rien dire M : Justement ça m’intéresse d’avoir un avis étranger, c’est tout à fait possible ! F : Mais nous ne savons pas. Nous ne connaissons pas ici. M : C’est pas un problème, au contraire, c’est intéressant , vraiment ! F : Bon, d’accord, d’accord… M : Merci beaucoup…! C’est donc la première fois que vous venez sur cette place ? F : Oui M : Depuis combien de temps êtes vous à Valence ? F : Depuis deux jours. M : Pourquoi êtes-vous venus sur la Place de la Mairie ? F : Notre guide nous la conseille. M : D’accord… Et comment trouvez-vous cette place ? Vous avez envie de vous asseoir sur les bancs par exemple ? F : Pas vraiment… C’est une place fermée ! M : D’accord… et comment trouvez-vous l’ambiance sonore de cette
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place ? F : Bien mais pas plus, la fontaine fait trop de bruit on ne peut pas s’entendre. M : Très bien, je vous remercie F : De rien, au revoir ! »
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Entretien n°2 La date : samedi 14 juin 2014 L’heure : 11 h. 10 Le lieu : Chemin de vitrine
M : Ah… Je trouve que c’est important d’écouter les sons de sa ville, et moi ça m’intéresse (sourire) . Je vous remercie beaucoup et vous souhaite une bonne journée ! »
Un autre couple homme/femme d’environ 60 ans est installé à la sortie du chemin de vitrine, l’homme contre une voiture stationnée, la femme assis sur une bordure de trottoir. Je me présente (M) en espagnol la femme (F) me répond, sandwich à la main, son mari (H) est à l’écoute également : « Oui mais nous ne sommes pas d’ici. M : Ca m’intéresse tout de même ! D’où êtes-vous ? F : D’argentine. M : Ah j’ai rencontré beaucoup d’argentins qui vivent ici depuis plusieurs années. Donc, que signifie pour vous « paysage sonore » ? F : je sais pas… rien ! M : C’est la première fois que vous venez ici ? H : Oui. M : Vous trouvez l’ambiance sonore comment ? Par exemple comparé aux autres lieux de Valence ou votre lieu de vie en Argentine ? F : C’est plus tranquille que d’autres lieux ! Oui, c’est tranquille. M : Et ça ne vous dérange pas le bruit des voitures, des bus, alors que vous mangez là ? H : Non, c’est normal, c’est le bruit de la ville… M : Vous ne préfèreriez pas qu’il n’y ait pas de trafic ? F : Peut-être … En argentine c’est vrai qu’il y a des centres sans voitures, mais les gens ne font pas plus attention aux sons. M : D’accord… F : Mais pourquoi tu t’intéresses au paysage sonore ? c’est drôle comme idée (sourire)
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Entretien n°3 La date : samedi 14 juin 2014 L’heure : 11 h. 21 Le lieu : Chemin de vitrine Une jeune fille (F) est venue s’asseoir sur un banc dos à la fontaine. Elle sort son paquet de cigarettes à rouler, je m’approche d’elle, me présente et lui demande si je peux m’asseoir à côté d’elle. Elle me répond que « oui ». « M : Donc, pour commencer, tu viens de Valence ? F : Oui M : Et de quel quartier ? F : Le Carmen M : Ah ce n’est pas loin. Et sinon, qu’est-ce que ça t’évoque « paysage sonore » ? F : je ne sais pas… le bruit de la nuit, ou même les oiseaux. C’est ni bien ni mal. M : Ok. Très bien. Et tu viens souvent sur cette place ? F : Non, pas beaucoup. M : Et si c’est pas indiscret, tu y viens pour là ? F : J’étudie pas loin, donc je viens de temps en temps… M : D’accord. Et donc pour toi, c’est plus un lieu de passage ou un lieu pour s’asseoir, rester ? F : Pour passer plutôt. M : Et là tu viens y faire une pause ? F : Oui, enfin je reste pas longtemps, je suis venue juste deux minutes, fumer et je repars là-bas (elle fait un signe de main vers une rue) M : Et elle te paraît comment l’ambiance sonore ici ? F : Pas terrible, y a beaucoup de voitures. M : Et la fontaine, tu en penses quoi ?
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F : C’est bien ! Ca cache le bruit des voitures. M : Et il y a un endroit dans Valence où tu aimes l’ambiance sonore ? F : Heu… oui, le Carmen c’est bien par exemple, c’est plus tranquille avec les petites rues. M : Et tu viens ici pendant les Fallas pour voir les Mascletas ? F : Non pas trop, j’aime pas les mascletas. M : Ah oui pourquoi ? F : C’est du bruit pour du bruit. J’aime bien juste de loin… De près ça fait mal aux tympans et je ne veux pas comme je suis violoniste. M : Ah oui je comprends, moi aussi je le suis ! ça rend les oreilles sensibles. Bon je te remercie, bonne journée ! F : Au revoir. »
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Entretien n°4 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 11 h. 55 Le lieu : Chemin de vitrine Près de la fontaine, je m’approche de l’homme assis sur un banc face à la fontaine depuis dix minutes. Je me présente en espagnol et en rigolant il me dit « tu es française non ? » « M : Oui effectivement ! Toi aussi donc ? H : Oui, je suis à Valence depuis six moi. Je viens de Montpellier à l’origine. M : A très bien, première fois où je vais parler français… Donc comme je t’ai dit en espagnol, j’étudie la place pour mon mémoire de master sur le paysage sonore dans l’espace public et du coup je fais des entretiens sur la place de la Mairie… Je vais commencer par les questions générales… H : Ok… M : Tu vis à Valence depuis six mois donc … et tu vis vers ici ? Tu es venu à Valence dans quel but? H : Je n’habite pas loin oui. Je travaille dans un restaurant dans une rue qui donne sur la place, juste là (en me désignant une des petites rues à droite de la place) M : Ok… Et tu viens souvent sur ce banc du coup ? H : Oui tous les jours pour ma pause. Mais je viens juste cinq minutes avec ma clope et mon café. M : Et tu viens jamais sinon ? H : Si si… Pour les manifestations au milieu là. M : Y a beaucoup de monde dans ces moments là non ? H : Ah oui carrément, c’est plus du tout vide comme les autres jours… M : Et t’aimes bien l’ambiance sonore de l’endroit où tu es actuellement
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? H : Oui avec la fontaine on entend plus le bruit des voitures… Je regarde le soleil, j’écoute le bruit de l’eau, ça me repose, je suis bien… M : Et la fontaine tu la trouves pas trop présente d’un point de vue du son ? H : Non, c’est pas gênant… Bon c’est sur, c’est pas un endroit qui vaut vraiment la peine, mais pour ma pause, comme petit endroit c’est sympas. M : D’accord… Et t’es allé aux mascletas pendant les fallas ? H : Ouai, ce n’est pas exceptionnel… C’est des feux d’artifices en plein jour quoi. C’est de la rythmique soit disant, mais moi je ne comprends pas. M : Et tu changerais quelque chose sinon sur la place pour que ce soit plus agréable ? H : Ouai, ça serait bien qu’il n’y ait que des piétons, plus de voitures. C’est logique et beaucoup plus pratique en fait.
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Entretien n°5 La date : samedi 14 juin 2014 L’heure : 12 h. 15 Le lieu : le bâtiment de la mairie Je suis rentrée au sein de la mairie. J’ai vu qu’il n’y avait personne, je me suis approchée d’un guichet et me suis adressée à un homme d’environ 50 ans. « M : Bonjour. Je suis étudiante en architecture et dans le cadre de mon mémoire j’effectue une analyse de l’ambiance sonore sur la place de la Mairie. Je voudrais avoir quelques renseignements sur la place. H : Je vous en prie, dites-moi. M : Tout d’abord savez-vous les projets envisagés pour la place de la mairie ? On m’a dit qu’il était question que tout devienne piétonnier… H : En effet, mais les projets sont très peu avancés et on ne sait pas grand chose ici. M : D’accord. Et sinon concernant les bus, comment puis-je savoir quel bus passe où ? Vous auriez un plan de la place et des réseaux bus ? H : Alors…Le mieux serait de se rendre sur Valencia.es, et de choisir la case « callejero ». De là vous trouverez le plan de la ville avec les bus, les stations de vélos… Vous pouvez choisir selon les calques. M : Je note… Merci ! Et vu que je vois qu’il n’y a personne, je peux vous poser quelques questions comme j’ai fait sur la place avec d’autres personnes ? H : Heu oui d’accord. M : Super ! Donc… D’abord, à quoi pensez-vous quand je vous dis « paysage sonore » ? H : Heu…A la campagne, aux oiseaux… C’est lorsqu’on oberve et écoute un paysage de campagne ? M : OK très bien… Et vous travaillez dans la mairie depuis longtemps ?
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H : Oui, mais normalement je ne suis pas dans la mairie principale… M : Ah d’accord… Mais vous venez souvent sur la place sinon ? H : Non jamais… Je l’évite même, il n’y a rien ! M : Je comprends… Et donc vous pensez quoi de l’ambiance sonore de la place ? H : Il y a trop de bruit tout le temps ! M : Vous changeriez quoi pour arrangez ça ? H : Je ferais la place juste pour les piétons du coup ! Je garderais la fontaine par contre, c’est agréable ! M : Et les mascletas, vous appréciez ? H : Je ne vis pas à Valence même donc je n’y vais jamais… M : Ah d’accord… ! Bon eh bien merci beaucoup ! Bonne journée ! H : Au revoir ! »
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Entretien n°6 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 17 h. 25 Le lieu : Croute piétonne, côté poste Je m’éloigne du passage piéton et repère une jeune fille (F), d’une vingtaine d’année qui vend de la orchata, boisson espagnole très répandue, derrière un stand installé provisoirement. Lorsque je vois qu’aucun client ne se dirige vers elle, j’en profite pour aller la voir. « M : Bonjour, excuse moi de te déranger, je suis étudiante en architecture et dans le cadre de mon mémoire j’analyse l’ambiance sonore de la place. Tu veux bien répondre à quelques questions ? F : Heu oui d’accord… M : Super merci ! Tu vis à Valence donc ? F : Oui, près d’ici mais je ne suis pas née à Valence. M : Et tu aimes bien cette place, le son, l’ambiance… ? F : Non pas trop, c’est pas agréable… Il y a trop de voitures… La fontaine c’est agréable mais d’ici j’entends surtout les voitures. M : Ok… Et si je te dis « paysage sonore » tu penses à quoi ? F : Heu…A n’importe quel bruit. M : Et les mascletas tu apprécies ? F : Oui j’aime bien parce que ça dure que cinq minutes… Plus, je n’aimerais pas. M : Et selon toi, ça représente quoi ? Du bruit, de la musique, autre chose ? F : C’est de la musique. M : Bon je vois que des clients arrivent… merci beaucoup et bon courage ! F : Au revoir. »
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Entretien n°7 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 17 h. 45 Le lieu : Carré vide, kiosque de vente de fleurs Je me suis dit qu’interroger une fleuriste (ce ne sont que des femmes qui vendent des fleurs ici) serait intéressant pour avoir un point de vue sur cet espace vide. J’ai hésité et finalement une fleuriste (F) est venue d’elle-même vers moi. Son magasin se nomme Mele et est positionné en face de la poste. « F : Bonjour, vous avez besoin de quelque chose ? M : Oui bonjour, je suis étudiante en architecture et je m’intéresse à la place de la Mairie dans le cadre de mon mémoire… J’y l’ambiance sonore et j’aurais aimé avoir l’avis de quelqu’un qui est présent au quotidien… Il vous serait possible de vous poser quelques questions ? F : Oui allez-y, il n’y a personne de toutes façons à cette heure-ci… M : Alors, ça fait combien de temps que vous travaillez ici ? F : Environ cinq ans… Oui je suis arrivée en février 2009. M : Comment vous vivez la place d’un point de vue sonore depuis votre kiosque ? F : Trop de bruit. Y a vraiment trop de bruit. Toute la journée, des autobus, des voitures, les cloches de la mairie tous les quarts d’heure… C’est insupportable ! M : Et vous notez une différence selon les différentes heures de la journée ? L’après-midi, le matin, la semaine ou le week-end…? F : Oui ! Le matin il y a plus de trafic pendant la semaine. Pendant le week-end il y a moins de trafic en général. Et en semaine comme en week-end, à partir de l’après midi le trafic, vers 14 heures, il y a beaucoup moins de bruits de voitures… M : Et vous qualifierez comment cet espace vide ? Les sons, son image
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? F : oh.. C’est juste un grand vide ! C’est creux, y a rien ! M : Et les mascletas qui s’y déroulent, vous y allez ? F : Ah oui ! Les mascletas j’aime bien ! C’est du bruit pour quelque chose… ça bouge ! M : Finalement, vous qualifierez la place de la Mairie d’espace de passage, de traversée ou d’espace public pour se poser ? F : Les deux je pense… Vers la fontaine, sur les bancs ça peut être agréable… Mais en même temps, c’est un espace tout le temps traversé pour aller d’un bout à l’autre du centre ville ! M : Ok… Merci beaucoup ! Et bonne soirée ! F : De rien, au revoir ! »
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Entretien n°8 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 18 h. 15 Le lieu : carré vide , au cœur Un homme âgé est assis sur un banc en face de la mairie, à l’ombre sous un arbre. Je me suis présentée à lui et il a volontiers accepté de répondre à mes questions. « M : Alors, vous vivez à Valence depuis longtemps ? H : Avant je vivais à côté dans un village, et depuis 21 ans je vis à Valence, pas loin de la place. M : Si je vous dis « paysage sonore » vous pensez à quoi ? H : A des oiseaux, des sons calmes et agréables… M : Vous venez souvent ici ? H : Tous les jours… pendant une demi heure, une heure, je m’installe sur ce banc. C’est agréable, il y a une belle lumière, je vois des gens passer… M : Vous avez connu la place comme elle était avant ? H : Oh oui… ! J’y allais moins souvent qu’aujourd’hui mais je l’aimais d’autant plus ! Il y avait niveaux différents niveaux , un joli marché de fleurs souterrain en rond… c’ était bien plus agréable d’y rester qu’aujourd’hui… Ce grand vide creuse la place, il n’y a rien ni personne ! M : Mais vous y venez encore ! (sourire) H : Oui…ça reste la place de la Mairie ! Et sur les bancs c’est déjà mieux, on est à l’ombre ! M : Et les mascletas vous trouvez ça comment ? H : Aujourd’hui c’est trop fort pour moi… Mais oui j’y allais chaque année avant. Et tous les jours pendant les deux semaines !
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Entretien n°9 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 18 h. 35 Le lieu : Chemin de vitrine, debout Un homme (H) de 55 ans est assis sur un banc face à la fontaine, je me lève du banc où j’étais assise et viens m’asseoir à côté de lui et me présente. Il accepte de répondre à mes questions, je lui en remercie. « M : Alors… Vous êtes de Valence ? H : Oui. J’habite ici depuis toujours, dans le quartier Jesus. M : Ah… bien. Et vous venez souvent sur cette place ? H : Oui, très souvent, depuis que je suis petit, je passe par ici. M : Et maintenant vous venez seul ou avec d’autres personnes ? H : Non tout seul…quand je passe sur la place, je m’assoie ici. M : Et vous pensez quoi de cette place ? H : C’est le centre de Valence, c’est la place principale d’un point de vue géographique. M : D’accord… Et alors, quand je vous dis paysage sonore, ça vous fait penser à quo ? H : Heu…la fontaine, le bruit, le mugissement de la vache, mais ici il n’y a pas de vaches… M : Effectivement ! Et c’est important pour vous ? H : Oui ! Le bruit c’est quelque chose d’important et souvent mis au second plan. Pourtant les espagnols parlent fort, ça représente le cœur de la fête, c’est l’expression de la vie, de la ville… M : Et vous pensez que le son de cette place représente sa ville ? Vous trouvez agréable de venir ici alors ? H : Oui, c’est assez tranquille. Il n’y a pas beaucoup de trafic et donc de bruit quand on est assis ici. M : Et vous changeriez tout de même quelque chose pour la place?
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H : Heu…oui, ça serait mieux que ce soit plus piéton et qu’il n’y ait plus de bus. C’est d’ailleurs un projet de la ville…! Mais avec l’esplanade construite pour les mascletas, le plan est conditionné. M : Et vous en savez plus sur le projet de la mairie pour la place ? H : Un peu… J’ai entendu dire qu’ils souhaiteraient faire un parking souterrain sous l’esplanade, que ce soit plus vert et moins minéral… Parce que pour le moment, il n’y a aucun espace vert ! Mais avec la crise… M : Et les mascletas, vous les vivez comment ? H : J’adore ! Je suis même un fallero ! Le bruit est incroyable !... Ce que j’aime vraiment c’est l’adrénaline qu’on ressent. M : C’est de la musique pou vous ? H : Complètement, de la vraie musique! D’ailleurs l’orchestre reproduit les rythmes et sons des mascletas chaque année. M : Oui j’ai vu ça… C’est une vraie création musicale ! Bon merci beaucoup pour cet échange ! H : Avec plaisir. Au revoir ! »
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Entretien n°10 La date : samedi 21 juin 2014 L’heure : 18 h. 50 Le lieu : Chemin de vitrine Je repère un duo de deux hommes assis (P et A) sur un banc qui discutent. Je m’approche d’eux : M : Bonsoir, je suis française et étudiante en architecture. J’analyse l’ambiance sonore de la place dans le cadre de mon mémoire... Je peux vous poser quelques questions s’il vous plait ? P : Oui bien sur (en français). Je suis français moi et lui parle français (en me désignant l’autre homme à côté de lui). M : Ah deuxième fois que je rencontre des français lors de mes entretiens ! P : Y en a pas mal en même temps à Valence… Du coup, moi c’est Paul et lui Arthur. M : Enchantée, Mathilde. Donc… Vous vivez à Valence ? P : Oui, depuis neuf ans pour moi… A : Et 14 ans pour moi. M : Et vous vivez ou respectivement dans Valence ? P : On vit ensemble, dans le Carmen. M : Ok. Et si je vous dis « paysage sonore » vous pensez à quoi ? P : Moi ça me fait penser aux fallas, aux oiseaux, je vois le printemps… Des oiseaux qui tournent autour des villes. M : Et vous ? A : Personnellement j’imagine des installations d’art contemporain. L’utilisation du paysage sonore ça te rappelle que t’es la… Je sais pas… J’imagine un cube blanc dans un musée. C’est comme un micro espace, découpé de la réalité mentale… Ou sinon ça peut être aussi une sirène de police…
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M : ok intéressant… Et vous venez souvent ici ? A : Heu non pas souvent. La on passait parce qu’on est allé au corte ingles à pied mais sinon non. P : Si quand même, on vient ici sur ce banc parfois. On achète un burger king juste à côté et on le mange en regardant les gens passer… C’est comme une vitrine un peu non ? Les gens s’asseoient, ils te voient passer… Et puis y a la fontaine à regarder… M : Effectivement… Et vous venez vers quelle heure ? P : Si on vient c’est toujours vers cette heure là, entre 18 heures et 19 heures quand le soleil s’en va. Sinon c’est invivable l’après midi. D’ailleurs il n’y a jamais personne. C’est que le soir que les gens s’arrêtent sur cette place. M : Et sinon vous pensez quoi de l’ambiance sonore spécifiquement ? P : Ici, depuis les bancs je trouve qu’on entend les voitures… Et surtout quand la fontaine s’arrête, on entend les moteurs encore plus forts ! Mais on entend aussi les voix, c’est mieux. M : Et vous en pensez quoi ? P : Moi ça me rassure tous ces sons… c’est comme un bordel de bruits qui te rassure. La tranquillité ça m’ennuie, c’est même inquiétant… A : Moi je n’aime pas tous ces sons au contraire ! P : Ah si, les klaxons, les bruits de couverts, des voitures mêmes, les bruits de fond, des fanfares, de la police, des gens qui parlent, c’est ça la vie ! M : Et les mascletas vous les vivez comment ? P : Pour moi c’est du bruit, y a l’adrénaline qui monte, avec tous ces gens qui se regroupe en plus… Ca fait penser à un tremblement de terre ! A : Oui, le mieux c’est la fin d’ailleurs, y a le sol qui se met vraiment à trembler. M : et vous changeriez quelque chose à la place ?
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P : Ben t’as du voir dans l’histoire, avant c’était beaucoup mieux ! Il y avait plusieurs fontaines, plus de vie… Et les manifestations, même si elles y sont encore avant les gens ils parlaient avec des hauts parleurs, mais on les a viré… Et par exemple, après les mascletas, les gens partent. Ils ne boivent pas leur bière sur la place alors qu’ils pourraient s’y installer, mais ils ont pas envie… M : Bon… je vous remercie beaucoup ! Bonne fin de soirée alors ! P : Avec plaisir ! A : Au revoir ! »
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Entretien n°11 La date : mardi 22 juillet 2014 L’heure : 19 h. 10 Le lieu : Café aux Carmes Je souhaitais rencontrer une femme (F) mal voyante dans le cadre de mon mémoire. En effet, il me paraissait intéressant d’aborder le sujet du son avec une personne qui se sert de l’ouïe comme nous nous servons de la vue. Par le biais de connaissance, j’ai réussi à obtenir un contact. J’avais donc rendez-vous avec une personne non voyante, mardi 22 juillet, à 19 h 00, au métro des Carmes, près des machines à friandises. Je l’ai rapidement repéré lorsqu’elle est sortie du métro. Nous sommes allées prendre un verre sur une terrasse de café derrière le marché des Carmes. Après quelques brefs échanges, nous avons commencé l’entretien : M : Quel espace public appréciez-vous à Toulouse et pourquoi ? F : Heu… Il n’y en a pas vraiment… Mais enfin si j’aime beaucoup la place Rouaix, je ne sais pas trop pourquoi… C’est calme et souvent animé malgré tout. M : D’accord… Donc vous aimez que ce soit animé mais que les gens s’entendent tout de même. F : Oui voilà ! M : Quand vous entendez des sons dans un espace public en général, ça vous fait imaginez quelque chose ? Vous arrivez à vous imaginer l’action produite ? C’est juste un brouhaha ? Ou des actions précises ? F : Heu… Je vois où il y a des gens. On dirait qu’il y a une troupe vers ici, de ce côté là. M : Daccord, est-ce que par exemple Place Rouaix, vous entendez les sons des terrasses, vous savez qu’un vélo passe, quelle action se pro-
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duite ? Car tout son est action finalement, mais ils sont peut être entremêlés… F : Non les terrasse de café je les reconnais, il ya une foule qui est statique. M : Les sons ils rythment votre marche, vos arrêts ? F : oui alors je déborde un peu mais… M : Non non allez-y F : Il y a ce qu’on appelle l’éccholocalisation qui est très important pour moi. Avec mes oreilles je sens les basses. C’est par rapport aux bruits qui vont se cogner par exemple sur un mur, ou même une personne qui passe à côté de moi…Et donc je me situe constamment par rapport à ça. Il y a des études qui ont été faites pour montrer que nous nous dirigeons par rapport à ça. Des choses sont activées de la même façon que la vue dans notre cerveau. Par exemple dans une rue, évidemment je vais aimer un lieu qui est large mais toute seule je ne vais pas apprécié car je n’aurai pas de point de repère. Donc je vais aimer la liberté, mais toute seule je ne vais pas savoir me diriger. M : Parce que les sons sont trop vastes, ils partent partout ? F : Voilà. M : Mais en écoutant les sons, vous percevez les dimensions de l’espace ? F : Oui un peu, oui. M : Et je mettais poser la question si les sons étaient rassurant, effrayant… Et ca dépend vraiment des fois non ? F ; Ah ben par exemple les travaux c’est pas du tout rassurant. Je suis clouée sur place lorsque j’entends un marteau piqueur ! Je suis incapable de me rendre compte si je dois passer à droite ou à gauche ou tout droit, jusqu’à ce qu’un ouvrier me repère et m’aide. C’est comme si vous on vous mettez une lumière très forte dans vos yeux, eh bien pour nous un bruit très fort nous empêche de nous situer et nous effraie.
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M : Je voulais aussi aborder le lien entre l’espace visuel et l’espace sonore. En fait, de plus en plus les lieux sont fragmentés, parfois il y a des espaces assez libres, une place polyvalente, alors que parfois l’espace est fragmenté avec des aires de jeux. Donc vous vous le sentez très libre ou très fragmenté ? F : Non, moi je vais juste entendre les concentrations des gens. S’il y a des bruits d’enfants, je me doute qu’il y a des jeux d’enfants. M : Oui d’accord. En fait quand nous voyons un espace à part, on ne s’apperçoit même pas si les sons passent ou pas. F : Par exemple, l’autre jour j’étais sur le marché et je suis passée accidentellement derrière un stand, là où il ne faut pas aller. J’ai pas perçu que c’était un espace à part. M : Et quand il y a des voitures dans l’espaces publics, vous percevez tout de même les bruits humains ? F : Heu oui on entend que ça , quand il y a des voitures, ce sont elles qui dominent. Par exemple du métro à canal du midi jusqu’à mon travail, c’est la voiture qui domine. Le quartier n’est pour moi pas intéressant, il n’y a rien d’hospitalier, de boulangerie, de café, etc. Pour moi, sur un boulevard, il n’y a que des voitures. M : Et si je vous demandes ce que c’est un idéal sonore pour l’espace public, vous me dites quoi ? F : Qu’on entende les choses. Par exemple les escaliers roulants s’arrêtent s’il n’y a personne dessus. Du coup, je ne sais pas où il se trouve. Pour les magasins aussi, lorsqu’ils sont fermés, je n’entend pas ce qu’il y a dedans, le boucher parler, le marchant de pain, et je ne sais pas par où rentrer. M : D’accord…Et par rapport aux sons et leurs émissions et les résonnances, vous sentez si les immeubles sont hauts autour de vous ? F ; Oui, en fonction du bruit que la circulation fait, j’entend si les immeubles sont hauts ou pas. C’est comme dans les rues où il y a des
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maisons avec des haies, les voitures ne font pas les mêmes bruits que dans la ville où habite ma mère, où il n’y habite pas du tout de haies. Elle habite dans le centre ville d’une petite ville de 4000 habitants, et les voitures ne font pas du tout le même bruit. Et aux bruits des voitures je sais tout de suite qu’il y a des murs. M : D’accord…Et pour vous le silence existe t-il ? Il a quoi comme signification ? F : Le silence, pour moi c’est lorsque je n’entend que mes bruits intérieurs. Il y a beaucoup de bruits à l’intérieur de soi. Et quand on entend ça c’est qu’il n’y a rien d’autre autour. Je sais pas si j’aime le silence totale. J’aime bien le calme, que les bruits soient atténués. M : Atténués… C’est en fonction des bruits produits qui sont faibles ou alors de l’espace qui n’est pas très réverbérant ? F : Ben par exemple dans mon jardin, il y a beaucoup de végétation et mon mari aime avoir des plantes dans tous les sens. Et donc quant on est dedans les bruits sont très adoucis, on a l’impression d’être dans un écrin. Moi j’ai l’impression d’être protéger à l’intérieur de quelque chose de doux, d’être vraiment protégée des choses brutales. M : Et il y a une jardin que vous connaissez comme ça qui est public ? F : oui oui il y en a, où les choses, les bruits des voitures nous paraissent plus lointain. M : Oui, c’est comme une rumeur de ville qui est lointaine. F : Oui après je me sens pas protégée dans les jardins publics. C’est juste la verdure qui me repose. M : Donc la verdure permet vraiment d’atténuer les sons ? F : Oui mais pas l’hiver, c’est vraiment le feuillage qui atténue les sons. M : Oui la densité du feuillage… F : Les arbres ils sont aussi intéressants pour autre choses. C’est comme une moitié, un quart de maison. C’est une masse, et avec le vent qui souffle dedans, ça fait pas le même bruit.
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M : Tout à fait ! Et par exemple, il n’y a pas les mêmes espèces d’oiseaux d’un arbre à un autre. F : Oui certainement. Mais aussi en fonction de l’habitat ! Alors ça ça m’aide vraiment à avoir un paysage à l’esprit. Quand j’entends des corneilles çaa me donne une information…Ou des martinets, ça me dit que ce sont des constructions anciennes. Et maintenant je sais pourquoi. C’est parce que les martinets ne partent pas du sol. Il faut qu’ils soient sur un toit, parce qu’ils partent de haut. Ils ne savent pas descendre trop bas et remonter. Et les bâtiments anciens sont plus rugueux. Alors que les modernes sont plus lisses, et ils ne peuvent pas se poser dessus, d’après ce qu’on m’a expliqué. M : Et vous avez beaucoup de repères comme ça ? Car nous on se guide toujours par rapport à la vue et on perd en ouïe. F : Oui, après les odeurs sont importantes aussi. Mais les odeurs se perdent maintenant. Les odeurs des commerces existent moins aujourd’hui à part les boulangeries. Il faudrait que je me ballde plus toute seule et sans but. M : C’est-à-dire ? F : Eh bien je sais toujours où je vais. SI je sors j’ai toujours quelque chose à aller faire si je sors. Juste une fois je l’ai fait par hasard et j’espérais que personne ne me demande où je vais. M : On vous demande souvent où vous allez ? F : Oui souvent pour m’aider on me dit « vous allez quelque part ? » M : Et vous avez des repères sonores pour vous guider ? Je sais qu’il y en a au niveau du toucher. Les dalles podotactiles, les matérialités rugeuses, etc. mais les signaux sonores ? F : Alors justement il y a à Toulouse, des télécommandes pour actionner des feux sonores. Nous demandons dans des associations, des feux sonores avec des couloirs sonores pour traverser. Par exemple j’ai vu ça à Madrid, aux feux ce sont des oiseaux qui chantent. Selon
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qu’on peut passer ou pas ce n’est pas la même fréquence et quant on traverse, on a le bruit qui est tout le long de la traversée, d’un trottoir à l’autre. Ça fait qu’on sait exactement qu’on n’est pas en train de dévier et qu’on va retrouver le trottoir d’en face. Parce que moi c’est ma hantise de traverser des rues vastes, de déviées, de me retrouver au milieu. Je fais du coup jouer l’écholocalisation en tapent avec ma canne pour faire sonner le mur d’en face quand ce sont des petites rues. Et donc à Madrid, ces sortes de oiseaux sont diffusés parallèlement à nous sur toute la zone où il faut traverser. Le son est émis sur tout le long de la voie. M : Et on sent quand on sort du champ de chant d’oiseaux ? F : oui ! Mais dans tous les cas je dois bien connaître mon chemin pour m’en sortir ! M : Oui je comprends ! […]
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P // Annexe
George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien
Le 96 va à la gare Montparnasse Le 84 va à la porte de Champerret Le 70 va Place du Dr Hayem , Maison de l’O.R.T.F. Le 86 va à Saint-Germain-desPrés »
P. 12, 13 & 14
P. 18 & 19
« La date : 18 octobre 1974 L’heure 10 h. 30 Le lieu Tabac Saint-Sulpice Le temps : Froid sec. Ciel gris. Quelques éclaircies. Esquisse d’un inventaire de quelques-unes des choses strictement visibles : […] - Des slogans fugitifs : « De l’ autobus , je regarde Paris » - De la terre : du gravier tassé et du sable. - De la pierre : la bordure des trottoirs, une fontaine , une église , des maisons... - De l’asphalte - Des arbres ( feuilles, souvent jaunissants ) - Un morceau assez grand de ciel (peut-être 1/6e de mon champ visuel) - Une nuée de pigeons qui s’abat soudain sur le terre-plein central, entre l’église et la fontaine - Des véhicules (leur inventaire reste à faire) - Des êtres humains - Une espèce de basset - Un pain (baguette) - Une salade (frisée ?) débordant partiellement d’un cabas Trajectoires:
« La date : 18 octobre 1974 L’heure 12 h. 40 Le lieu Café de la Mairie Plusieurs dizaines, plusieurs centaines d’actions simultanées, de microévénements dont chacun implique des postures, des actes moteurs , des dépenses d’énergie spécifiques : discussions à deux , discussions à trois, discussions à plusieurs : le mouvement des lèvres, les gestes , les mimiques expressives modes de locomotion : marche, véhicule à deux roues (sans moteur, à moteur), automobiles ( voitures privées, voitures de firmes, voitures de louage, auto-école), véhicules utilitaires, services publics, transports en communs , cars de touristes modes de portage (à.la main, sous le bras , sur le dos ) modes de traction (cabas à roulettes) degrés de détermination ou de motivation attendre , flâner , traîner , errer , aller, courir vers, se précipiter (vers un taxi libre, par exemple), chercher , musarder, hésiter, marcher d’un pas décidé positions du corps : être assis (dans les autobus , dans les voitures , dans les cafés, sur les banc s ) être debout (près des arrêts d’ autobus , devant une vitrine (Laffont, pompes funèbres), à côté d’un taxi (le payant) »
Inspiration de démarche
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P // Bibliographie
Ouvrages et sites internet:
André Comte-Sponville, Présentations de la Philosophie, 2002, livre de poche, édition 2008, p.118 Nicolas Frize Prendre place/espace public et culture dramatique - esthétique de la démocratie Plan Urbain - Colloque de Cerisy 1993 Nicolas Frize, Formes et Structures n°126 - sept 98, Dossier Culture et communication (Editorial) Nicolas Frize, Hommes & libertés n° 83, 1995 Nicolas Frize, Le Visiteur n°8, printemps 2002, Propos recueillis par Solin Nivet et Luc Baboulet Sportifs en vue - Les sportifs dans les rues de Lyon, Jean Camy, Eric Adamkiewics, Pascal Chantelat, Les annales de la recherche urbaine, n° 57-58, 1992-1993 Dominique Leroy, Annie Sidro, Peuples en fête Le nouveau petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du petit robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2004 Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La découverte, « repères » 2009
Mémoire de mobilité, Valence, Espagne
Dictionnaire Larousse.fr, dictionnaire de langue française en ligne, recherche du terme Jürgen Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la sphère bourgeoise , Paris, Payot, 1978. Françoise Choay, Espacements , Milan, Skira, 2003. Pascal Amphoux, Paysage sonore urbain, Introduction aux écoutes de la ville, Institut de Recherche sur l’Environnement Construit Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne Matthieu CROCQ, avec Yannick DAUBY, Etienne NOISEAU, Baptiste LANASPEZE, Glossaire d’écologie sonore, Ondes du monde : territoire sonores de l’écologie, numéro 4, 2009, http://www.wildproject.org/journal/index Entretien « Paysages sonores : écoutons voir… » de Bernard Delage par Naarbed Gaaled R. Murray Schafer, Le paysage sonore, Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, fondation de France, JClattès, 1991 Encyclopedia universalis, volume 15, Smollett-théosophie, 1980 Henry Torgue, Agir sur l’environnement sonore, de la lutte contre le bruit à la maîtrise du confort sonore (Regards croisés), Pascal Amphoux Le paysage et ses grilles, colloque de Coisy « Paysage ? », 7 au 14 septembre 1992
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Yannick DAUBY, Paysages sonores partagés, juillet 2004
Emissions :
Juhani Pallasmaa, Le regard des sens, the eyes of the skin, Architecture and the Senses, traduit de l’anglais par Mathilde Bellaigue, éditions du linteau, 2010,
De la production à la nuisance - les bruits du monde (1_3) - Mettre en scène l’acoustique, le design sonore, France Culture
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, chapitre « Le sentir », Tel Gallimard
De la production à la nuisance _ les bruits du monde (2_3) - Lutter contre la pollution sonore, France Culture
Michel Foucault, Surveiller et punir, éditions Gallimard, 1975
De la production à la nuisance - les bruits du monde (3_3) - Les bruits de la ville, l’environnement sonore, France Culture
Gilles Deleuze, Foucault, Editions de Minuit, 1986/2004, p.41
Ouï dire, France Culture
Doier Apprill et Gervais Lombony, Vies citadines Chapitre n°8 Fêter chap. 8,
L’image sonore, Daniel Deshays, France Culture
Encyclopedia Universalis, http://www.universalis.fr/
Espace public / Espaces publics, Politique et Urbanisme, 25 nov 2013 16h00 Emission Public 1/5, France culture
Le neveu d’Amérique, éditions Métailié, 1996 , points seuils, p 98 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, Paris 1990 dans le chapitre VII, Marches dans la ville, George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, édition Christian Bourgois, Paris 1974
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De nos oreilles dans l’espace public !