Face à l'oeuvre de Gabriel Hernandez-MàNAA2

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Face à l’oeuvre de Gabriel Hernandez Conception des textes de l’exposition à la Petite Galerie, Lycée Camille Claudel par les étudiants de MàNAA 2


La marche comme pratique artistique LA M-AR(T)CHE à l’œuvre "… Je passe Beaucoup de temps à marcher autour de la ville. Le concept initial d’un projet apparaît souvent lors d’une promenade. En tant qu’artiste, ma position est semblable à celle d’un passant en essayant constamment de me situer dans un environnement mobile." Francis Alÿs, 1993 à Mexico Il y a deux sortes de chemins : celui que l’on suit et celui qu’on crée et qui devient au fil des jours, le chemin de notre quotidien. C’est ainsi que la marche devient un concept à part entière dans l’art contemporain. Gabriel Hernandez, en choisissant, à travers l’œuvre « Projet 75 », de suivre des danseurs au cours d’une journée-type, fait de la marche un fil conducteur. Cette œuvre devient en effet le lieu de la confrontation de deux positions : celui du sujet, exposé au regard du spectateur et celui du suiveur, c’est-à-dire l’artiste, opérant dans l’ombre. Et c’est bien grâce à la marche que celui-ci peut suivre et donc témoigner du quotidien de ses différents sujets. Nous pouvons dire que la marche est non seulement un moyen technique mais aussi un moyen d’expression. Aussi, c’est grâce à la marche que Francis Alÿs a pu mettre en œuvre ses différents projets comme « La ligne verte », où il trace une frontière symbolique, qui suit le rythme de ses pas. La trace de ce parcours, une longue coulée de peinture verte laissée derrière lui, fait autant référence au geste physique du déplacement, qu’à un geste symbolique à portée politique : celui de questionner la notion de frontière. La marche peut-être aussi exploitée comme moyen d’expression, à la frontière de la danse. Ainsi, le chorégraphe Brice Leroux présente des performances où la marche et le mouvement du corps sont confrontés à un rythme, régis par des tracés au sol. Ce n’est plus le corps lui-même qui produit la danse, mais elle devient le produit de ces déplacements, qui déclinent un motif. La marche se pose donc comme un moyen symbolique de signifier une trace ou encore un parcours. Si de nombreux artistes ont répertorié leurs itinéraires sous forme de cartes ou de plans, Gabriel Hernandez, en recherchant les coordonnées GPS de l’ensemble des lieux investis, réalise une carte du quotidien, accompagnant le témoignage photographique de chaque parcours. Ainsi, le geste de la marche comme le déplacement le plus anodin peuvent devenir des gestes artistiques, actes performatifs laissant une trace à travers le temps et l’espace qui nous entourent : soit une archéologie de nos trajets quotidiens. Adel FECIH, Cecile BORDAIS, Stacy BRIAULT & Cassandra PEPA



Documenter le quotidien Comment faire de l’infra-ordinaire une œuvre d’art ?

Dans son œuvre Projet 75, Gabriel Hernandez, chorégraphe, a suivi le quotidien d’une journée (du réveil au coucher) de plusieurs anonymes, prenant une photographie toutes les 5 minutes et 5 minutes de vidéo toutes les demi-heures. Grâce aux dites contraintes de prises de vues établies, il donne une singularité à son œuvre, et met en lumière une série de gestes quotidiens qu’il questionne. En 1988, Pierrick Sorin, avec sa série des « Réveils », se filme tous les matins à son réveil, et témoigne de son ressenti de la nuit, de sa fatigue, et de ses bonnes résolutions futures. Si le medium utilisé est ici la vidéo, la règle du jeu établie par l’artiste reste semblable à celle de Gabriel Hernandez : l’artiste fait usage de son médium comme un outil prise de note, en saisie de l’action à un moment précis, montrant la matière brute d’un instant quotidien. Sophie Calle, quant à elle, dans son œuvre «Les Dormeurs», adopte un protocole similaire, prenant une photographie toutes les heures tout au long de sa performance au cours de laquelle une série d’inconnus sont invités à dormir huit heures d’affilée dans son propre lit. Si Gabriel Hernandez prend en note l’action en cours, c’est en revanche la posture ou la trace du/des dormeur(s) qui intéresse Sophie Calle. Sa démarche a d’ailleurs commencé par la filature d’inconnus dans la rue, ce qui n’est pas sans rappeler la posture de l’artiste de l’œuvre « Projet 75 », à ceci près que les personnes suivies par l’artiste sont ici pleinement intégrées à l’œuvre, repoussant ainsi toute notion d’intrusion ou de voyeurisme. Gabriel Hernandez photographie donc sans fard un quotidien donné, dans son état le plus brut, y compris dans la sphère la plus privée. La démarche de Nan Goldin porte également ce désir de photographier la vie telle qu’elle est, sans censure. Sa démarche n’est pas dénuée d’affect, suscitant la compassion et l’empathie du spectateur, se concentrant souvent sur les scènes que l’on qualifierait de privées, intimistes. Par son protocole établi et régi par une règle, le travail d’Hernandez vise, quant à lui, essentiellement à l’objectivation de ce même quotidien, volontairement mis à distance. Ainsi, plutôt qu’un portrait psychologique, l’œuvre « Projet 75 » permet de porter un nouveau regard sur notre propre routine, rendant les différentes étapes d’une journéetype dignes d’un intérêt quasi-sociologique. Et si les photographies ne sont en ellesmêmes en rien esthétisantes, le simple fait de les pointer du doigt suffit à questionner ces fragments. Samantha Alexandre, Charlotte Fabritti, Gwladys Citée & Marie Siau



“ No walk, no work ” Entre espace-temps et déplacements La danse est avant tout un art de l’espace. C’est organiser des corps et des volumes, leur créer une syntaxe et une grammaire singulières dans un lieu donné. Le travail de chorégraphie de Gabriel Hernandez consiste à créer différentes relations spatiales et temporelles en fonction des déplacements des corps dans un lieu en se fixant au préalable des limites géographiques et temporelles avant de procéder. Il choisit alors comment occuper ces espaces, quels déplacements y faire, combien de temps y rester ou en partir. Dans le cadre de l’oeuvre "Des marches et des marches", il parcourt trois jours durant la ville de Vitry ; par des prises de vues systématiques, il réalise une cartographie précise des limites de la cité par un jeu d’équivalence entre des coordonnées qu’il a précédemment établies. Même si son projet se heurte à des obstacles spatiaux tels des lieux privés, infranchissables ; ces défis sont toujours surmontés et façonnent son oeuvre en y apportant un caractère particulier. Il y a de ce fait une part d’aléatoire dans son travail, des aspects qu’il ne contrôle pas et qu’il accepte comme finalité. Si cette part d’« incontrôlable » s’inscrit parfaitement dans la mécanique de sa démarche, elle s’oppose en revanche radicalement à son travail de chorégraphie et sa mise en espace calculée. A l’aide de chiffres et de suites mathématiques, il organise son espace d’interprétation. Ainsi, dans son oeuvre basée sur la phrase " No y que caminar no y nada ", ce sont les calculs, suites, diagrammes et vecteurs qui fondent finalement ses choix et décident du rendu visuel. La chorégraphie finale est dans ce cas parfaitement mesurée et gérée spatialement et temporellement parlant. Ainsi, que ce soit par la photographie, démarche quotidienne et répétée, ou par la chorégraphie, rigoureusement calculée, Gabriel Hernandez conçoit des oeuvres qui épousent nécessairement la topographie spécifique des lieux qu’il investit.

Alexandre MULA, Laura CESTO & Dimitri PARMEGIANNI



Règle, procédure & protocole Le Tempo d’Hernandez Gabriel Hernandez a fait de son sujet une œuvre vivante où le créateur devient spectateur : selon un protocole précis établi par l’artiste, c’est l’œuvre qui commande tout : à la merci de ses sujets, les suivants au gré de leurs activités quotidiennes, ce n’est plus l’artiste qui façonne une œuvre mais l’œuvre qui est dictée par le quotidien de ces anonymes. Ce quotidien va alors devenir pour Hernandez un support propice à son art qui sera à la fois photographique et filmique. En capturant un fragment de vie quotidien d’une même personne avec une précision millimétrée, Gabriel Hernandez, selon une règle du jeu établie, fige des gestes & des postures du quotidien. Dans ses « One Minute Sculptures », Erwin Wurm propose au spectateur des consignes à respecter, orchestrant une série de gestuelles plus ou moins dérisoires et absurdes : « Couchez-vous sur des balles de tennis », « Mettez un pied dans le seau et un seau sur votre tête »... Plutôt qu’orchestrer & façonner des postures, Gabriel Hernandez se contente de prendre en note méthodiquement & de façon neutre des gestes quotidiens les plus anodins, témoignant ainsi objectivement de l’ensemble de nos attitudes les plus prosaïques comme les plus inattendues. Seule exigence que soumet l’artiste à son sujet : posséder les clefs d’appartements de ce dernier afin d’assister à chaque détail d’une vie quotidienne remplie de travers, d’automatismes, mais aussi d’imprévus, et ainsi ne commettre aucun faux départ dans cette épopée artistique. Une véritable rythmique réglée sur le tempo du temps qui passe : Gabriel Hernandez donne la mesure, et la cadence régulière des clichés et des plans commence. Dès la sonnerie du réveil une photographie est prise toutes les 300 secondes, une vidéo toutes les 1800 secondes, soit un morceau de vie d’un sujet ordinaire capturé toutes les 5 minutes, filmé toutes les demi-heures. C’est seulement lorsque le sujet retournera dans les bras de Morphée que l’artiste s’éclipsera pour de nouvelles immortalisations de fragments quotidiens. Tous ces destins croisés, supposés aléatoires, dispersés aux quatre coins de la ville, vont concorder en plusieurs lieux qui seront relevés minutieusement par l’artiste grâce aux données d’une précision scientifique que nous fournissent aujourd’hui les satellites. A la fois danseur, reporter, photographe & topographe, Hernandez revêt cette fois l’habit de cartographe et réalise alors avec précision l’itinéraire journalier de ses sujets afin de retracer le ballet des déplacements d’un jour comme les autres. Bienvenue dans le « Projet 75 ». Magdalena OCAñA, Marianne JOFFRE, Axel FERTHET & Claudia ROUAI



Seriels portraits Projet 75 G. HERNANDEz Dans son oeuvre « Projet 75 », le choregraphe g. hernandez s’intéresse au quotidien de différents danseurs. L’artiste se concentre plus particulièrement sur les déplacements et les activités des danseurs effectués tout au long d’une journée. Il nous propose, grâce à des séries de prises de vues, des portraits d’individus. Ces « sériels portraits » sont-ils un moyen de description ? Le portrait, selon un genre établi, est une oeuvre picturale, sculpturale, photographique, ou littéraire, représentant une personne réelle ou fictive, d’un point de vue physique ou psychologique. Les portraits monumentaux de Thomas RUFF, font référence aux photos d’identité dans la mesure où ceux-ci en rappellent les codes : frontalité du sujet, neutralité de l’expression, format et cadrage resserrés sur le visage et le haut du buste. Pourtant, malgré cet aspect non communicatif des portraits, il est possible de cerner leur identité grâce à des signes externes tels que la tenue ou la coiffure. Thomas RUFF réaffirme ainsi la capacité de la photographie à capturer le réel. Gabriel Hernandez, quant à lui, nous donne une définition singulière du portrait : basé sur le quotidien du sujet, ses activités, ses déplacements, ses gestes au sein de la sphère privée comme de la sphère publique. Celui-ci ne capture pas ses sujets sous les caractéristiques primaires du portrait : pas de frontalité du sujet, juste une série de prise de notes brutes. à la manière de Thomas Ruff, Gabriel Hernandez se fait aussi le témoin objectif de la réalité quotidienne de ses « modèles ». Un autre photographe, August Sander, travaille sur des séries de portraits « en pieds » où les personnes photographiées prennent une pose dans leur intégralité, mettant en place une mise en scène permettant de faire ressortir la physionomie et le langage corporel de ces individus. Ces photographies donnent une lecture des caractéristiques propres à chaque sujet, reflétant une partie de l’« identité » de ces derniers. Si Gabriel Hernandez montre aussi le corps dans son intégralité, il dresse en revanche un portrait beaucoup plus approfondi de ses danseurs. Comme August Sander, il utilise l’expressivité du corps sans pour autant faire poser ses sujets : des personnes prises sur le vif, sans actions prémédités, dans leurs « postures «quotidiennes. En cela, l’artiste se rapproche largement de la description des sujets, de leur vie, leurs habitudes. Ainsi, ces séries de photos nous entraînent dans la vie quotidienne jusque dans l’intimité et la vie privée des personnes. Par son travail, Gabriel Hernandez nous donne donc une tout autre description du portrait révélant des caractéristiques physiques mais aussi des éléments descriptifs concernant les activités quotidiennes des individus : au-delà des visages et des corps, les faits et gestes ne seraient-ils pas plus révélateurs ?

Laura FUMERON, Alexandra LANDICHEFF, Julie INGLIN & Audrey DA CRUZ



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