Pablo Reinoso, Madame Magazine, Juin 2016

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Culture

RENCONTRE AVEC PABLO REINOSO AUX FRONTIÈRES DE L’ART ET DU DESIGN ENCOUNTER WITH PABLO REINOSO AT THE FRONTIERS OF ART & DESIGN Bénédicte GIMONNET

Artiste ou designer? Pablo Reinoso, artiste franco-argentin né à Buenos Aires en 1955, ne se pose pas la question: il embrasse les deux disciplines avec brio. Tout en les distinguant, il les croisent, les complètent et les marient. Voici au travers d’une rencontre, l’histoire d’un sculpteur hors normes, passionné d’architecture, art et design, venu s’installer en France en 1978. Ses œuvres publiques et privées ont été exposées sur la scène internationale (Biennale de Venise, Centre Pompidou à Paris, Malba de Buenos Aires, Macro de Rosario en Argentine, Museum of Arts and Design à New York)

Translation Rana ASFOUR

Artist or designer? To French-Argentinian artist Pablo Reinoso, born in Buenos Aires in 1955, this is a question he never asks. Instead he embraces the two disciplines brilliantly; while keeping them distinguishable, he crosses the two together, complements and marries them. Here is the story of a sculptor who is anything but ordinary, passionate about architecture, art and design, who settled in France in 1978. Both his public and private artworks have been exhibited internationally (Biennale of Venice, Centre Pompidou in Paris, Malba of Buenos Aires, Macro de Rosario in Argentina, Museum of Arts and Design in New York).

2014-Laocoonte - Photo Pablo Reinoso studio

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Madame Magazine - Comment êtes-vous devenu sculpteur? Racontez-nous votre parcours. Pablo Reinoso - Je suis sculpteur de pu i s tout p e t it . J ’e n a i pr i s conscience à 13 ans à Paris pour la première fois, quand je suis allé visiter le musée Rodin et que je me suis surpris à observer un personnage, son appui par rapport au sol. Je suis entré dans ce musée en touriste et sorti en sculpteur! J’étais déjà très bricoleur, toujours autour de la fabrication des choses. Mes parents avaient une maison de campagne avec un atelier et je passais mes week-ends dedans. Le deuxième choc a été la visite en 1969 de la «Maison de Verre», bâtiment des années 30 dans le 6ème arrondissement de Paris, réalisée par l’architecte et designer Pierre Circular bench - 2012 - Photography: E. Sander pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2012

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Madame Magazine - How did you become a sculptor? Tell us about your career. Pablo Reinoso - I am a sculptor since childhood. I became conscious of that for the first time at age 13 in Paris when I went to visit the Rodin museum and I was surprised to find myself watching a character, examining its ground support. I entered the museum as a tourist and left it as a sculptor! I was already a very good handyman, always in the ‘making of things’. My parents owned a country home with a workshop and I spent my weekends there. The second shock was the visit in 1969 to the ‘House of Glass’; a 30-yearold building in the 6th district in Paris, completed by the architect and designer Pierre Chareau. This house was a revolution for architecture: a

Talking bench - 2011 - Photo Pablo Reinoso studio

Pablo Reinoso

Chareau. Cette maison a été une révolution pour l’architecture: remplie d’objets et œuvres originales d’artistes (Picasso, Max Ernst, Miró), de ces parpaings de verre inventés pour cette maison, des poutres apparentes aussi. Ma mère et moi étions invités à déjeuner chez la famille Dalsace, les propriétaires. Et pour moi, ce fut une évidence: j’étais fasciné par cette modernité et ces matériaux, un peu comme si c’était l’amour de ma vie en morceaux; je savais que c’était «là», mais je ne savais pas comment le prendre. Car ça s’appelait verre, caoutchouc, poutre, mais comment marier tout ça? En rentrant en Argentine, je me suis demandé ce que je voulais faire. La sculpture était une passion mais il n’y avait pas de canalisation. J’ai alors commencé à salir toute la maison ! Je travaillais avec tous les matériaux, mais j’ai rapidement découvert et travaillé le bois, puis la pierre, tout cela de manière rudimentaire, avec les outils que je trouvais. Et là, à 18 ans

place filled with objects and original artworks of various artists (Picasso, Max Ernst, M iró), glass blocks invented specially for that house, as well as its visible beams. My mother and I were invited for lunch by its owners, the Dalsace family. And for me, it was obvious: I was fascinated w it h t hat moder n it y and t hose materials, as if they were the love of my life scattered in pieces; I knew it was ‘there’ but I did not know how to take it. As such it was glass, rubber, beam, but how to combine all that? On my return to Argentina, I asked myself what I wanted to do. Sculpting was a passion but there was no channel to it. So, I started to mess up the whole house! I worked with all available materials, and quickly discovered and worked with wood and then stone, all in a rudimentary fashion, with the tools that I could find. And then, at age 18, I encountered a great Argentinian sculptor who detected something in me, and taught me all his techniques. He nearly put himself in the service of

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j’ai rencontré un grand sculpteur argentin qui a décelé en moi quelque chose, et m’a enseigné toute sa technique. Il s’est presque mis au service de mon œuvre. Ca marque d’un point de vue humain et émotionnel, et j’ai atteint rapidement une maturité dans l’exécution et le travail de ces matériaux nobles (le bois, la pierre, le bronze, le marbre). J’ai alors commencé par des études d’a rch itect u re, d iscipl i ne qu i me passionnait. J’ai suivi la voie de cette «Maison de Verre», car à l’époque les études de design graphique ou d’objets, n’existaient pas, seulement le design industriel. Comme je suis dans le détail des choses, il y avait un problème d’échelle avec l’architecture: en fait je n’avais qu’une envie, c’était de sculpter. Ce n’était pas négociable, c’était comme une obsession. J’ai donc débuté cette formation d’architecture qui a été interrompue à cause de la vie politique en Argentine. A 23 ans, je suis alors parti en exil en Europe pour fuir la dictature. Comme je commençais à gagner ma vie avec mes sculptures, alors ça s’est passé comme ça: je sculptais mes meubles. Puis je me suis présenté à une bourse pour travailler les techniques de marbre à Carrare et y vivre une année. Il y avait tout ça, la passion des matériaux, la jeunesse, quelque chose de très sensuel, une force que l’on ne peut arrêter. MM - Pouvez-vous analyser votre œuvre? PR - L’œuvre est un travail de toute une vie qui se révèle «après coup». Nous, les artistes, on fait, on vérifie et comprend après. Quand on produit, on a une intuition et on la suit, on conceptualise, on post-conceptualise, on analyse et on part. Mais à un moment donné, il y a des choses qui commencent à prendre un sens. Une œuvre nous renvoie à nous-même,

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my work. It really affected me humanly and emotionally and I quickly reached maturity in the execution of my work as well as working with noble materials (wood, stone, bronze, marble). And thus, I started my studies in Architecture, the discipline that was my passion. I followed the path of the ‘House of Glass’ because at the time, the study of graphic design or objects did not yet exist; there was only industrial design. As I like the detail of things, I found there was a scale issue in architecture. In fact I had only one wish: to sculpt. It wasn’t negotiable; it was like an obsession. So I started my training in architecture that was interrupted because of the political situation in Argentina. By the age of 23 I had already left for exile in Europe to flee the dictatorship. As I was starting to make a living out of my sculptures, things proceeded and I carved furniture. After that, I submitted a grant to study the techniques of Carrara marble and to live there for a year. There was all of that, the passion of materials, youth, sensuality, a force that could not be stopped.

1998 - La Parole (Malakoff)

Talking Bench-2011 - © Rodrigo Reinoso

MM - Can you analyze your work? PR - Artwork is a lifetime’s worth of work to reveal ‘afterthought’. We artists, we ‘make’, and only later verify and understand. When producing, we have intuition and we follow it, we conceptualize, we post-conceptualize, we analyze and then we ‘go’. However, at some point, there are things that start to make sense. A work returns us to ourselves, when very young, and creates a path for us to follow, giving us direction. I always believed that artwork would be something I would discover later; that I had a great mastery of craft, I could sculpt, that all I was doing was different, but I could not find the words nor people La parole (Palau de Congress) - 1998 - Photo Pablo Reinoso

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tout petit, nous donne le chemin à parcourir après, elle nous donne la direction. J’ai toujours cru qu’une œuvre était quelque chose que j’allais découvrir plus tard, que j’avais une grande maîtrise du métier, je savais faire de la sculpture, que tout ce que je faisais était différent des autres, mais je n’arrivais pas à trouver les mots ni trouver les gens qui pouvaient en mettre pour m’éclairer davantage. Ce n’est que maintenant, dans la deuxième moitié de ma carrière, que je commence à comprendre les intuitions que j’avais petit. Par exemple, un jour à la maison, il y avait un meuble dont le pied était parti. J’ai coupé ce meuble à la section, au grand dam de ma mère qui n’en voyait pas l’intérêt et j’en ai

Spaghetti - Photo Pablo Reinoso studio

who could further illuminate me. It is only recently, in the second half of my career that I have started to understand the intuitions that I had from a young age. For example, one day at home, there was a piece of furniture with a missing leg. I cut it at the section to the chagrin of my mother who did not see the interest and I made an artwork. And that is exactly the section and form of my spaghetti sculptures that I am working on right now. I was 14 years old at the time, I did not have the proper keys for constructing my work, but now finally I have found the meaning. I can look for some elements in the past and re-integrate them in my present work. Variation of Z

fait une œuvre. Et c’est exactement la section et la forme de mes sculptures spaghettis que je fais maintenant. J’avais 14 ans à l’époque, je n’avais pas encore les clés pour construire mon œuvre mais finalement maintenant j’en ai trouvé le sens. Je peux aller chercher les éléments dans le passé et les réintégrer dans l’œuvre actuelle. MM - Quand vous êtes-vous orienté vers le design? Comment gérez-vous ces deux activités en tant qu’artiste et designer ? Expliquez au travers de trois œuvres de votre choix. PR - En 1994, tel que j’avançais en sculpture, j’étais arrivé à un point où je butais, je m’étais égaré, je n’avançais plus: c’était le mur. Et là je me suis dit, que j’allais «ouvrir la vanne» du design. Il y a une triade dans le design (producteur, client, designer), qui permet une certaine distance des choses. Même si le designer est convaincu, il doit convaincre le client. Il faut respecter le budget, trouver une équation, et ensuite réaliser l’œuvre. Vous pouvez y mettre «votre patte». Mais il y a un marché. En

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MM - When did you turn towards design? How do you manage both the activities of artist and designer? Explain through three works of your choice. PR - In 1994, as I was progressing in sculpture, I reached a point where I stumbled, lost my way and could go no further: it was the wall. That was the critical point when I decided to ‘turn on the valve’ of design. There is a triad in design (producer, client, designer) that allows a certain distance from things. Even if the designer is satisfied, he has to convince the client. One must respect the budget, find an equation, and then try to achieve the work. You can put your ‘paw prints’. But there is a market. In sculpture, there are no such requirements. We can have them, but we can avoid them as well. And on that front, I reach the point of exhaustion. This activity of design rose very rapidly. This gave me the oxygen and the boost that I needed for further research into sculpture without anyone interfering and without needing to refer to the market or taking care of whether there is a sale or not. So I started my ‘breathable’

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sculpture il n’y a pas ces besoins. On sculpt ures, made peut les avoir, mais on peut s’en passer. basically from tissue Et moi j’avais saturé de ce côté-là. and ai r. T hese Cette activité de design a commencé a r t work s breat he; à monter très vite. Elle m’a donné they are the breath of de l’oxygène et m’a en quelque sorte life. They are certainly donné une bourse pour faire mes diff icult to sell, but recherches en sculpture, sans que they are magnificent. personne s’en mêle et que je n’aie plus For a sculptor to be à me référer au marché, m’occuper de able to work with air la vente ou pas. J’ai alors démarré des and about air is great sculptures «respirantes», faites à base b e c au se t h i s i s t he de tissu et d’air. Ces œuvres respirent, ultimate intangible. I elles sont le souffle de la vie. Elles went from very heavy sont certes difficiles à vendre, mais to nothing at all and sont magnifiques. Pour un sculpteur at t he sa me t i me, it pouvoir travailler avec l’air et sur l’air, was ver y power f u l. c’est quand même génial, car c’est T he museu ms were Milonga - 2015 - © Rodrigo Reinoso l’immatériel total. J’ai suis passé du interested and I très lourd à rien du tout et en même s t a r t e d t o h ave a n temps c’était très puissant. Les musées s’y sont intéressés international career that I couldn’t have with my et j’ai commencé à avoir un parcours international que je previous work. n’arrivais pas à avoir avec mon travail précédent. All my design activities have in a way strengthened Toute mon activité de design a en quelque sorte fortifié my sculpture activity, until the day I decided to cross mon activité de sculpteur, jusqu’au jour où je me suis dit, them, and play with both. I will bring an element maintenant je vais les croiser, je vais jouer avec. Je vais of design into the territory of sculpture. And this is ramener un élément du design en territoire de la sculpture. when I started my iconic pieces, like the spaghetti Et c’est là où ont commencé mes pièces iconiques, les benches and others. They remain objects that we bancs spaghettis et autres. Ils restent des objets que l’on understand, that we could use or not. comprend, qui peuvent être utilisés ou pas. There is in fact a dual tension in my artwork. Il y a en fait cette double tension dans mes œuvres. Par For example, at the Custot Gallery in Dubai, there exemple à la Custot Gallery à Dubai, il y a trois chaises are three 5 meter-high chairs ‘Variation of Z’ de cinq mètres de haut, « Variation of Z » inspirées de inspired by the ‘Z Chair’ by Rietveld, a designer la «Chaise Z» de Rietveld, designer que j’adore. C’est I admire. This is a utilitarian artwork, which is une œuvre utilitaire, qui est pourtant sortie du monde however, a product of the design world: I took it du design : je l’ai emmenée dans le monde poétique de into the poetic world of art. Another example is l’art. Un autre exemple, «Milonga» : ce sont deux paires ‘Milonga’: these are two pairs of shoes that are de chaussures qui sont en train de danser, avec les traces dancing with traces of footsteps … In these two des pas…Dans ces deux cas, je peux prétendre à ce cases, I can claim to a porosity between borders, travail de porosité entre les frontières, entre sculpture et between sculpture and design, without confusing design, sans les confondre. Enfin, dans «Two for Tango», them. At last, in ‘Two for Tango’, the ‘picture les «cadres» prennent la place de l’œuvre. Je libère l’objet frames’ take the place of the artwork. I free objects de certaines contraintes pour l’emmener dans celles de from certain constraints to take them into those l’œuvre contemporaine. of contemporary Art.

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Two for tango - 2012 Photo Pablo Reinoso studio

MM - Votre prochain projet? PR - J’ai un projet magnifique : j’ai gagné un concours pour réaliser une sculpture monumentale à Londres qui sera bientôt installée sur le parvis de la Tate Britain à 30 mètres de «Locking Piece», la sculpture de Henry Moore, fin de sa recherche sur la «Reclining Figure». Avec mon langage, j’en ai fait le pendant, une «Reclining Figure» en hommage à lui.

MM - Your future project? PR - I have a magnificent project: I won a contest to make a monumental sculpture in London that will soon be installed in the forecourt of the Tate Britain, at a 30 meter distance from ‘Locking Piece’, a sculpture by Henry Moore, last of his research on the ‘Reclining Figure’. With my own language, I am making a ‘Reclining Figure’ as a tribute to him.

Pour plus d’informations: www.pabloreinoso.com

For more information: www.pabloreinoso.com

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