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Pour un habitat libre: Quand penser l’architecture devient engagement politique et social
African Architecture & Urban Planning Ecole d´Architecture de Nantes, Clémence Aumond
2012 France
Tampere University of Technology, Finland Marie-Alphonse Liwata
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A partir de l´ouvrage de Christophe Hutin et Patrice Goulet, L´enseignement de Soweto, L´Impensé Actes Sud, 2009, Arles, 103 pages
Introduction
Il est rare que les bidonvilles sud-africains soient considérés comme des références architecturales. Pourtant ces baraques construites de bric et de broc par les habitants eux-mêmes dans la spontanéité et la liberté ont porté l’engagement politique et architectural de Christophe Hutin, jeune architecte bordelais. C’est donc d’abord par curiosité que j’ai choisi de lire l’Enseignement de Soweto, récit retraçant le parcours personnel et professionnel d’un architecte-humaniste qui sublime l’architecture de l’ordinaire. Comment cette expérience a-t-elle nourri l’engagement de l’architecte ? Quels changements opérera-t-il dans sa façon de penser l’architecture ?
«L’architecture est comme un iceberg. Audessus il y a la partie visible, spectaculaire, qui attire l’attention, qui contamine le regard que nous portons sur l’ensemble. Au-dessous, beaucoup plus importante, il y a la partie cachée, si facile à oublier, à négliger. Dessus ce sont les monuments, dessous, le tissu, c’est-à-dire le quotidien.» (p 11)
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Sommaire
Présentation des auteursL’Histoire d’une rencontre
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Note de lecture- L´Enseignement de Soweto
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Improviser/ Construire du bien-être
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Eduquer/ Innover
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Projet de transformation de la Florence House, Hillbrow, Johannesburg, South Africa
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Conclusion
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Sources
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Présentation des auteursL’Histoire d’une rencontre
L’ouvrage L’enseignement de Soweto est le fruit d’une collaboration étroite entre Patrice Goulet, auteur et critique d’architecture et Christophe Hutin, architecte globe-trotteur. Afin de partager son aventure Sud-Africaine, l’architecte bordelais a demandé à Patrice Goulet de transcrire sur le papier son histoire qu’il lui confia comme à un ami très proche. Christophe Hutin et Patrice Goulet n’étaient pas des inconnus avant l’écriture du livre puisque Patrice Goulet faisait partie du jury de «l’Envers des villes», programme qui a permis à Christophe Hutin de retourner en Afrique du Sud. Dans la préface de l’ouvrage, Patrice Goulet nous livre ses impressions personnelles au sujet de sa collaboration avec l’architecte.
«J’ai rarement éprouvé autant de bonheur à travailler sur un texte. Le récit de Christophe était toujours juste et émouvant, ses difficultés, ses hésitations, son obstination, son ouverture d’esprit, son engagement, sa gentillesse, ses découvertes toujours pertinentes. Comment ne pas être convaincu par son choix de partir de l’intérieur et donc de prendre comme guides des individus plutôt que des constats et des statistiques ? Comment ne pas trouver merveilleux ce changement de regard qui, grâce à ce contact rapproché, permet de découvrir que ce monde qu’on aurait pu imaginer si catastrophique recelait tant de qualités» (Patrice Goulet, Préface de l’ouvrage). Plus que l’aventure d’un seul homme, l’Enseignement de Soweto traduit donc surtout l’histoire d’une rencontre entre un architecte engagé et un auteur l’aidant à formuler ses idées et à communiquer son expérience.
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Patrice Goulet, auteur et architecte, est responsable du département Création Diffusion de l’Institut Français d’Architecture pour lequel il a produit une cinquantaine d’expositions. Il a été rédacteur en chef d’Archi Crée et a publié des articles dans Architecture d’Aujourd’hui. Il a collaboré à de nombreux ouvrages sur des architectes français (Jean Nouvel) ou étrangers (Koolas, Fuksas). Christophe Hutin décide de devenir architecte après un séjour en Afrique du Sud, en 1994. Il établit son cabinet à Bordeaux en 2003 après avoir travaillé avec les architectes Lacaton et Vassal. Il construit plusieurs maisons en France et en Mongolie et développe un projet de coopération avec l’Afrique du Sud en créant le Studio EUNIC, suite à ses recherches sur la question du logement dans les townships. «Ce que raconte Christophe montre que c’est chez nous que l’architecture a vraiment un problème, [...], un problème qui concerne ses objectifs autant que sa production. Comment se fait-il que nous, qui disposons de tant de moyens, soyons incapables de résoudre nos problèmes de logements ?» (Patrice Goulet, Préface de l’ouvrage).
Christophe Hutin
Note de lecture- L´Enseignement de Soweto
Découvrir le monde C’est en 1994, après avoir raté le concours d’entrée de l’école de la marine marchande, que le jeune bordelais Christophe Hutin décida de partir découvrir le monde. Ne voulant pas resté inactif en attendant de repasser son concours, Christophe Hutin choisit de partir à l’étranger, «non en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais dans un pays anglophone qui ait une autre culture, qui soit plus exotique» (p13). Son père travaillant pour le programme de développement des Nations Unies, le jeune homme a pu profiter de son carnet d’adresses afin d´envoyer des demandes d’emplois aux quatre coins du monde. Après avoir reçu une réponse positive d’Afrique du Sud, Christophe Hutin décida de partir à l’aventure afin de travailler pour un organisme très politisé qui négociait le financement de la presse progressiste par l’administration blanche sud-africaine. Le système politique des institutions en Afrique du Sud était très différent de celui de la France. Il n’y avait, à l´époque, qu’un syndicat national et financé par l’Etat. Sa fonction était de défendre les intérêts des ouvriers et donc, à l’époque, surtout des Noirs. Ce syndicat disposait d’une agence de communication qui travaillait dans les réseaux étudiants. Ceux-ci, en effet, en se rebellant dès 1976, furent les moteurs de la révolution politique en Afrique du Sud. La commission qui employa le jeune français vérifiait si les financements des radios et des journaux étudiants étaient repartis équitablement entre conservateurs et progressistes puis négociait d’éventuels rééquilibrages. C’est parce que les
négociations se faisaient entre une administration encore essentiellement blanche et des militants progressistes tous noirs que la commission avait trouvé utile qu’il y ait un Blanc en son sein. Christophe Hutin atterrit en Afrique du Sud le 10 Mai 1994, seulement quelques jours après l’élection au premier tour de Mandela. Le pays avait déjà bien sûr commencé à évoluer démocratiquement mais tout restait à faire afin que la situation politique puisse se stabiliser, «et moi je n’étais qu’un jeune Français un peu bourgeois qui ne connaissait rien à la politique» (p14).
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Soweto Christophe Hutin fut accueilli à l’aéroport de Johannesburg par deux membres de la commission qui l’emmenèrent là où il n’aurait jamais pensé se rendre un jour: à Soweto. «Dans l’avion j’ai feuilleté un guide et j’ai compris qu’il y avait des zones comme Soweto où il était clairement déconseillé de se rendre.» (p 14). Soweto, dont le nom vient de la contraction de «SOuth WEst TOnwship» du fait de sa localisation par rapport à la ville, est un regroupement d’un grand nombre de petits townships ou banlieues noires. Soweto comprend plusieurs quartiers, certains aisés, d’autres très pauvres et de nombreux bidonvilles. Cette région demeure encore aujoud’hui l’une des plus pauvres d’Afrique du Sud. «Ce que je découvrais en arrivant à Soweto était incroyable et m’a d’ailleurs assez traumatisé. L’urbanisme a été ici un véritable dispositif politique. Ce qu’on remarque en premier, ce sont les casernes avec leurs grands miradors qui contrôlaient les accès» (p 15). Avant l’élection de Mandela, la population de Soweto était totalement contrôlée par le gouvernement et privée de nombreuses libertés notamment de son droit de circulation. Au moment de l’arrivée du jeune français, tout évoquait ici un espace concentrationnaire, les rues étaient vides, les véhicules de police étaient des blindés, il n’y avait ni commerce, ni service, ni café. Christophe Hutin fut hébergé chez le responsable de l’organisme pour lequel il
travaillait, à Protea North, dans l’un des nombreux quartiers de Soweto. Les premiers jours à Soweto ont été assez difficiles pour le jeune français car il lui était impossible de se déplacer seul, il était constamment accompagné d’un des responsables de la commission. «Dans la rue, je voyais que les gens me regardaient d’un mauvais œil, que certains m’insultaient même. J’étais différent et minoritaire pour la première fois de ma vie. J’ai donc pu entrevoir ce que l’on peut ressentir face au racisme» (p 16). Les trois premières semaines, Christophe Hutin a été comme envahi d’une peur infinie, une peur de l’inconnu, de ce qu’il voyait, peur de se déplacer et de parler à ces habitants qui ne le regardaient à peine. Et puis tout a changé. «Au bout de quelques semaines tout mon township savait qui j’étais, d’où je venais et ce que je faisais, chez qui j’habitais et pourquoi j’étais là. Cela a complétement renversé la situation. Il n’y avait plus aucun signe d’agression, au contraire, ils venaient me voir» (p 17). Le jeune français était ici le seul Blanc, le seul étranger au milieu d’un grand village où tout le monde se connaissait depuis des années. C’est pourquoi, au début, sa présence a été mal interprétée. «Ils (les habitants) avaient cru que j’étais un policier qui s’infiltrait pour obtenir des informations. La peur de l’autorité ne les a pas quittés» (p17).
vue de Soweto
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Après avoir commencé à nouer quelques contacts avec les habitants de Soweto, Christophe Hutin a pu explorer ce nouveau monde qui l’entourait. Il découvrit alors Johannesburg, ville récente construite en 1903 selon le modèle américain, avec un centre-ville dense et une périphérie diffuse. La ville est traversée par une faille géologique. Au sud il y a les mines dominant un paysage extrêmement aride. Au nord, par contre, il y a une partie très verte, une ville arborée impressionnante. «Quand on regarde en haut d’une tour vers les quartiers résidentiels blancs, on ne voit qu’une nappe végétale semblable à ces très belles forêts africaines qu’on admire dans les films» (p 20). Les townships de Soweto sont loin de la ville. C’est là qu’habitaient les ouvriers de la mine. « Leur création est le résultat d’un urbanisme de ségrégation, les Noirs étant parqués dans les townships et les Blancs profitant des plus beaux sites et vivant dans le luxe» (p 20). Soweto a été construit par le Ministère du Logement à base d’alignements de maisons en briques surnommées «matchbox» (boîte d’allumettes). Ces maisons étaient louées aux familles, un Noir ne pouvait pas être propriétaire, ni choisir la maison dans laquelle il voulait habiter. Le contrôle de la population Noire était total. Les «matchbox», ou maisons de l’apartheid, sont décrites par Christophe Hutin comme étant simples et «plutôt bien construites» (p 21). Ce que nous décrit davantage l’auteur, avec une certaine colère, c’est l’urbanisme et l’organisation des townships. «C’est l’urbanisme qui est effrayant ici ! Partout
on ressent une violence terrible et une autorité sans pitié ! Les habitants ne peuvent pas adapter leur maison à leurs besoins et, de toute façon, ils n’en n’ont pas les moyens puisqu’ils sont payés une misère ! La surface de la maison était presque équivalente à celle de la parcelle, ce qui limitait les possibilités d’extensions» (p 21). L’auteur dénonce ici l’organisation très régulière et contrôlée de ces «lotissements» construits pendant l’apartheid par des ingénieurs très rationnels qui ont planifié ces quartiers d’une manière économique.
Retour en France Quand le jeune français est rentré en France, c’est l’enthousiasme des africains et le souvenir de la folle construction de la maison qui est restés dans son esprit. «J’ai réalisé là-bas que l’architecture, c’est aussi le quotidien, la vie de ces gens qu’on peut juger ordinaires mais qui sont en fait vraiment extraordinaires ! Parce que la vie pour eux, c’est quelque chose d’existentiel» (p 29). En Afrique du Sud, Christophe Hutin a découvert la dimension politique et poétique de l’architecture. «J’ai alors compris que l’architecture était formidable parce qu’on pouvait tout faire et qu’en fin de compte, tout était à inventer !» (p 29). Sa voie était toute tracée, Christophe Hutin voulait être architecte, un architecte du quotidien, un architecte humaniste. Mais en Octobre 1994, après s’être inscrit à l’Ecole d’Architecture de Bordeaux, le retour n’a pas été facile. Le décalage entre son expérience africaine et l’enseignement qu’on lui proposait en France était trop grand, on lui enseignait comment créer des monuments, lui ne souhaitait que révéler le quotidien. Heureusement, un jour, par hazard, le jeune étudiant a découvert la maison Latapie construite par les architectes Lacaton et Vassal avec des matériaux dits pauvres.
Maison Latapie, Anne lacaton et Philippe Vassal, Floirac, france, 1993
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La maison Latapie Cette maison très économique, part de la commande d’une famille, un couple et deux enfants, disposant d’un petit budget. Elle est située dans un quartier d’habitations discontinu. La maison s’inscrit dans le profil de la rue. C’est un volume simple sur base carrée, qui propose deux plateaux libres. Sur une charpente métallique, la moitié, côté rue, est recouverte d’un bardage opaque en fibres-ciment et l’autre moitié, côté jardin, d’un bardage en polycarbonate transparent, formant une serre. Un volume en bois, calé à l’intérieur de la charpente, derrière le bardage opaque, définit un espace d’hiver isolé et chauffé, ouvert sur la serre et sur l’extérieur, côté rue. La serre est exposée à l’est et capte les premiers rayonnements. C’est un espace habitable de la maison, équipé de larges ouvrants d’aération pour le confort d’été. La mobilité des façades est et ouest permet à la maison d’évoluer du plus fermé au plus ouvert selon les besoins et les désirs de lumière, de transparence, d’intimité, de protection ou d’aération. L’espace habitable de la maison peut varier suivant les saisons, du plus petit, séjourchambres, au plus grand, intégrant tout le jardin en plein été. «J’étais en première année. Je ne connaissais absolument personne, n’étant pas bordelais. Je suis allé à l’agence d’Anne Lacaton et Philippe Vassal. J’ai trouvé qu’ils étaient complètement en accord avec ce que j’avais appris à Soweto, avec ce qui m’intéressait et ce que j’attendais de ce métier» (p 30). La rencontre avec ces architectes engagés a motivé Christophe Hutin à poursuivre ses études d’architecture tout en lui montrant
qu’il était possible de penser autrement l’architecture, d’aller outre le conformisme qu’on lui enseignait à l’Ecole d’Architecture. Après avoir validé sa licence d’architecture à Bordeaux, Christophe Hutin a décidé de partir étudier à Paris. «Changer d’école permet de s’affranchir un peu du cadre et des contraintes trop présentes dans les programmes» (p 31). Le sujet de son diplôme de fin d’études n’avait rien à voir avec l’Afrique du Sud. Passionné par tout ce qui touchait à l’aérospatiale, Christophe Hutin a choisi de poursuivre en parallèle de ses études d’architecture un DEA de physiologie appliquée aux conditions extrêmes. «J’ai préparé mon DEA et mon diplôme d’architecture en même temps, tous deux sur le même sujet. J’ai travaillé sur un simulateur de vol spatial de longue durée. C’était un projet sans prétention qui traitait d’ergonomie, de sensations, qui sont de vraies questions d’architecture» (p 31).
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Retour à Soweto Après avoir validé son diplôme en 2003, dix ans après son voyage en Afrique du Sud, Christophe Hutin était nostalgique. «J’avais compris que ce n’était pas parce que j’étais diplômé que j’étais devenu architecte. Il me manquait quelque chose. J’avais besoin de renouer avec l’origine de mes études» (p 32). C’est alors que le jeune architecte a découvert l’existence de la bourse L’Envers des villes, programme crée par Culture France qui offre la possibilité à de jeunes professionnels de développer un projet dans le pays de leur choix chaque année. Les thématiques recherchées sont celles qui apportent une réponse innovante à une question d’actualité et qui déchiffrent un champ nouveau, notamment les espaces délaissés, les frangues, les banlieues et les quartiers défavorisés. Il s’agit d’observer autant l’envers des villes que leurs façades privilégiées. «J’ai trouvé que c’était une opportunité formidable et que je pouvais proposer de retourner dans les townships pour entreprendre un vrai travail d’investigation qui complèterait ce que j’avais fait en 1994, dix ans auparavant» (p 32). Après avoir rédigé son projet et envoyé son dossier de candidature, Christophe Hutin a été Lauréat du concours et il avait dès lors enfin la possibilité de retourner en Afrique du Sud avec un objectif et des moyens de prolonger sa première expérience.
Maria De retour en Afrique du Sud, le jeune architecte est immédiatement retourné à Soweto, dans la rue où il avait habité afin de retrouver ses amis. Pour ne pas montrer une image trop stéréotypée et superficielle de Soweto, Christophe Hutin a choisi de se concentrer sur des situations vécues en se focalisant sur les gens qu’il rencontrait afin d’élaborer un documentaire photographique autour de la situation des townships en Afrique du Sud. Christophe Hutin s’est alors intéressé à un important programme mené dans les bidonvilles par le gouvernement de l’époque. Ce programme, appelé RDP (Reconstruction Developement Program) s’inscrivait dans un plan quinquennal dont la partie logement consistait à construire des maisons en briques de trente-six mètres carrés pour remplacer les shacks. En 2004, deux millions de ces modules de base avaient déjà été construits. «J’étais persuadé que je pouvais aller plus loin grâce aux gens et que, pour cela, il fallait que je trouve des pistes me permettant de mieux comprendre leurs problèmes» (p34). La première personne qui marqua l’expérience africaine de Christophe Hutin fut Maria Masséméné, jeune serveuse qui vivait à Orange farm, un township très dur car habité par trois cent mille personnes et pourtant totalement dépourvu de services. « Maria avait une manière de parler étonnante. Tout ce qu’elle disait était toujours très construit, clair et subtil. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je l’interviewe» (p 34).
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dĂŠconstruction du shack de Maria
Christophe Hutin a alors commencé à suivre Maria afin de pouvoir comprendre «de l’intérieur» la réalité de la vie dans un township. En échange, Christophe Hutin s’était engagé à aider Maria à construire sa maison. Il voulait observer le chantier pour mieux comprendre comment les africains fonctionnaient et aida Maria concernant les formalités. Quand une personne n’avait pas le droit d’obtenir une maison RDP, elle pouvait en échange obtenir des subventions. Comme Maria travaillait, elle n’avait pas pu aller aux réunions d’informations et ignorait que de telles subventions existaient. Christophe Hutin a donc fait toutes les démarches nécessaires afin que Maria obtienne les subventions et il a ainsi pu accélérer le processus d’obtention du permis de construire. Ensuite, il a fallu libérer la parcelle et donc déconstruire le shack de Maria pour le reconstruire chez le voisin qui acceptait de l’accueillir pendant le temps du chantier. Puis, une équipe de constructeurs de shacks est arrivée afin de démonter le shack en rangeant tout pour pouvoir ensuite le remonter. « Ils récupéraient les clous, ils stockaient les tôles avec beaucoup de soin et d’attention, c’était comme un cours d’anatomie. Tu vois tout et tout ce qui était invisible se révèle. Ce que tu regardais comme une forme simple, d’un seul coup tu en comprends la complexité, tu comprends les poteaux, les tôles, les clous, tu comprends comment ça marche et le manque absolu de technique qui en fait aussi la qualité » (p 36).
Après la déconstruction du shack le matin, Christophe Hutin a pu assister l’après-midi à la reconstruction de celui-ci sur une autre parcelle. « Je trouvais que les ouvriers faisaient n’importe quoi, ils avaient posé la fenêtre de travers ! » (p 37). Au lieu de tout prévoir, l’équipe solutionnait les problèmes les uns après les autres et calait tout au fur et à mesure. Le jeune architecte filmait tout le processus mais ne pouvait s’empêcher d’intervenir pour redresser la fenêtre, pour ajouter un clou, pour tenter de leur donner des conseils. «Et puis j’ai réalisé que j’étais le seul qui était inquiet et énervé sur le chantier. Maria souriait, elle faisait des grillades, elle plaisantait avec tout le monde, elle était enchantée. Tout le monde était content» (p 37). Finalement, ce chantier a été comme une révélation pour Christophe Hutin qui a vécu cette folle ambiance comme une véritable leçon d’architecture. Il n’y avait que lui qui vivait mal la situation, qui voulait absolument que tout soit parfait, orthogonal, réglé, fini. «Je me suis rendu compte que mes préoccupations étaient issues de mon éducation et de ma culture. Cela m’a désinhibé et débarrassé de beaucoup d’a priori» (p 37). Le matin, le shack était en L et l’après-midi, l’équipe l’avait remonté en forme rectangulaire. Sa forme et son esthétique étaient différentes alors que les mêmes matériaux avaient été utilisés pour le remonter. «Je me suis dit, aujourd’hui j’ai vraiment compris quelque chose sur l’architecture qui peut s’appliquer partout: l’improvisation» (p 38).
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reconstruction du shack de Maria
Freedom Park Après avoir découvert le processus de construction d’un shack en accompagnant Maria dans son projet d’habitat, Christophe Hutin a voulu en savoir davantage concernant la réalisation des maisons RDP. L’architecte décida donc de partir en direction de Freedom Park, un « squatteur camp » situé à la périphérie Est de Soweto, le long de la «Golden Highway», à la périphérie de la périphérie. Freedom Park était un bidonville gigantesque de cinq cent mille habitants qui possédait quelques qualités paysagères parce que son site était un peu vallonné et avec quelques arbres. «Je me suis vite rendu compte que c’était là qu’avaient été construites les premières maisons RDP, huit ans auparavant. Que, sur le même territoire, il y en avait donc des nouvelles et des vieilles» (p 42). C’était donc là, à Freedom Park, que le jeune architecte a pu découvrir tous les stades de l’évolution de ce programme. Tout d’abord, Christophe Hutin s’est rendu dans la cité de chantier des maisons RDP, là où les constructeurs stockaient le matériel nécessaire à la construction des RDP. Puis, après avoir peu à peu gagné la confiance de ces constructeurs, le jeune architecte a pu suivre une équipe sur différents chantiers pendant trois semaines. Son intention était alors de saisir en plans-séquences la construction d’une maison du début jusqu’à la fin. «Chaque équipe est composée de huit personnes, des Africains, qui construisent deux maisons par jour, une le matin, une l’après-midi, du lundi au samedi, dans
des conditions de travail très dures, en plein soleil» (p 42). Les équipes que Christophe Hutin suivait, comprenaient quatre monteurs de murs et quatre manœuvres qui passaient les briques. Tout était réalisé sur place, il n’y avait aucune préfabrication parce que le gouvernement voulait que ce programme crée de l’emploi local. «Je voyais les chantiers avancer comme une vague sur le quartier. Les constructeurs ne font aucune étude. Les conducteurs de travaux arrivent le matin, ils tracent au sol l’emplacement de la maison. Les maisons sont toujours implantées face à la rue, au milieu de la parcelle» (p 72). A Freedom Park, la maison RDP venait littéralement remplacer le shack et les parcelles initialement squattées ont été données aux habitants, le tissu social n’a donc pas été détruit. De plus, les constructeurs tentaient au maximum de conserver l’organisation des quartiers en travaillant avec le parcellaire existant. De ce parcellaire spontané, ils imaginaient des plans cadastraux avec une certaine rationalité qui découlait de la taille des maisons. C’est sur les rues secondaires distribuant les parcelles que les constructeurs installaient les infrastructures. «Il est intéressant de voir que cette organisation, considérée comme informelle d’un point de vue urbanistique, fonctionne» (p73). La première phase du programme RDP consistait à amener les réseaux, l’eau, l’égout et l’électricité. Pour les maisons, les constructeurs édifiaient d’abord un petit volume en briques d’un mètre carré et demi, couvert de tôles et fermé par une porte métallique. Ce volume servait de toilettes. A l’extérieur, sur l’un des côtés, ils fixaient un évier en plastique noir comme unique point d’eau de la maison. Ensuite, il fallait couler la dalle en béton qui définit l’implantation de la maison. «Ils coulent la dalle directement sur le sol, sans isolation ni aucuns travaux de fondations, puis la lissent à la règle» (p73). La construction d’une maison proprement dite prenait une demi-journée et débutait par l’installation de la porte. «Cette porte joue toujours un rôle étonnant pour
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les shacks comme pour les maisons RDP. Son cadre métallique est rigide et c’est lui qui donne l’aplomb et la stabilité» (p74). Ensuite, l’équipe montait les murs à la périphérie de la dalle en laissant des réserves pour les fenêtres. Puis, les constructeurs posaient les pannes en bois ou en métal et la couverture en tôles avant de passer un enduit avec un balai. La maison était finie, les processus était toujours le même : d’abord les toilettes, puis la dalle et enfin la maison. «Il n’y a aucune isolation, ni en couverture, ni sur les murs. C’est surement quelque chose que l’on pourrait faire évoluer. En prenant peut être d’abord en compte l’ensoleillement pour apporter par les fenêtres le maximum de soleil dans la maison l’hiver et le minimum en été, en prolongeant les tôles du toit du côté du soleil» (p 74).
plans d´une maison RDP de base
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montage d´une maison RDP
Shacks et RDP Selon l’ANC (Congrès National Africain), il était impossible de se préoccuper de qualité architecturale alors que 20% de la population n’avait pas de logement décent. L’essentiel était de donner un abri, un module de base standard qui soit l’ébauche d’une vraie maison et son objectif était de réaliser quatre millions de maisons et de parvenir à développer une vraie politique de l’emploi. «Tous les intellectuels blancs d’Afrique du Sud critiquent ce programme RDP car il a été mis en place par l’ANC» (p77). Pour Christophe Hutin, il était impossible de s’opposer à ce programme qui permettait de donner un abri, bien que souvent précaire, à de nombreuses familles. Après avoir compris le processus de construction d’une maison RDP, l’architecte a voulu continuer son investigation en allant découvrir les premières maisons RDP construites à Freedom Park. «Quand on arrive dans les secteurs réalisés au début du programme on ne reconnaît plus du tout les maisons. Elles ont disparu, recouvertes d’un grand nombre d’éléments architecturaux curieusement assemblés, ce qui fait qu’on ne sait plus où se trouve le module standard d’origine. Toutes sans exception, ont été agrandies» (p77). Ce qui fascina alors le jeune architecte était la capacité des habitants à transformer l’habitat de base pour en faire une maison singulière. Toutes les maisons RDP avaient alors des formes différentes en fonction des opportunités techniques, financières, des envies esthétiques ou des besoins de la famille. «Une maison peut avoir été doublée de façon symétrique ou étendue par des ajouts un peu post-modernes
assez amusants. La version que je préfère est celle où la maison RDP a été entourée d’une autre enveloppe en briques. Elle a donc été dévorée par la nouvelle dont elle est ainsi devenue la partie nuit comprenant deux chambres et une salle de bains. Tout l’espace entre la nouvelle enveloppe et l’ancienne maison RDP constitue le séjour. C’est une manière de l’étendre assez intelligente. C’est aussi pour les habitants un moyen de faire disparaître la maison RDP et de revendiquer leur ascension sociale» (p78). Christophe Hutin a aussi pu constater les limites de l’utilisation d’un même module de base. Selon lui, les maisons RDP semblaient avoir oubliées une des qualités de l’architecture africaine qui concerne la relation des volumes et l’agencement des espaces extérieurs. «Dans les villages les habitants savent si habilement créer des cours qui permettent de se protéger du soleil et d’accueillir les amis. Elles sont le lieu des relations sociales. Le shack, en relation avec la RDP, aurait pu justement contribuer à reintégrer ces valeurs sous une forme plus contemporaine» (p79).
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la diversitĂŠ des shacks de Soweto
La liberté perdue «J’ai donc beaucoup appris là-bas et pas seulement d’un point de vue architectural. De toute façon, je n’ai jamais pu aborder l’architecture sous ce seul angle. Par exemple, quand tu conçois une maison, tu te trouves face à une famille. Cette famille à une histoire. Chaque personne est singulière. C’est ce qui rend l’architecture aussi intéressante: il faut tout réinventer à chaque fois» (p79). Après six mois au beau milieu de Soweto, quatre mille photos et de nombreux films, Christophe Hutin a dû mettre à l’épreuve son éducation et dépasser sa culture rationnelle pour s’ouvrir à une nouvelle façon plus spontanée de penser le monde. «Nous sommes trop immergés dans la maîtrise intellectuelle et théorique des choses. Celle-ci nous empêche de vivre. Notre approche esthétique ou culturelle est l’éternel problème des sociétés « bourgeoises ». Les Africains eux n’ont pas les moyens d’être « bourgeois ». C’est ce qui fait leur force» (p80). Ce que retient alors Christophe Hutin de son expérience sud-africaine c’est la fabuleuse liberté qu’entretiennent les Africains alors que nous semblons l’avoir perdu en Europe. Pour l’architecte, les shacks sont de vraies leçons de dignité. «Les Africains ont cette dignité de faire avec rien des choses essentielles et ça fonctionne, et c’est parfois remarquable, voilà la grande leçon!» (p81). «En fin de compte, ces shacks sont joyeux. Pas un n’est semblable. Il y en a des roses fluos, des verts bonbon. Certains sont très pop-art. Si on compare ces shacks à la
tristesse de nos façades, on est effondré. Les maisons que nous produisons sont une vraie catastrophe.» (p82). Ce que remet en cause ici l’architecte c’est l’homogénéité des constructions en France où la plupart des maisons individuelles sont semblables et ne reflètent que très peu l’individualité des habitants, leurs envies, leurs usages… Christophe Hutin a été marqué par la liberté constructive et esthétique développée dans les bidonvilles sud-africains et une dimension politique étonnante ressort de ces quartiers précaires. L’improvisation comme processus constructif apporte une poésie fabuleuse qui reste absente lorque tout est standard et homogène. A Soweto, Christophe Hutin a découvert qu’il est possible d’affirmer sa personne et sa singularité par l’acte de construire et sans avoir à dépenser plus que le nécessaire. Pour lui, l’architecture domestique est à différencier de l’architecture des monuments, elle demeure l’architecture du quotidien, n’a pas de valeur historique importante mais doit au contraire être vivante, pouvoir évoluer ou être démontée. «La vie est un perpétuel renouvellement. C’est une notion que l’architecture ne parvient pas à comprendre. Les shacks sont vivants parce qu’on les déconstruit, on les refait, on les déplace, on change les tôles, on leur ajoute une pièce. Ils sont constamment renouvelés» (p 84).
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Improviser/ Construire du bien-être
Revenu en France, Christophe Hutin a réalisé sa première maison pour une cliente qui était sur le point d’acheter un chalet préfabriqué. Elle voulait une maison en bois et un commercial l’avait presque convaincue d’acquérir une maison-type «en rondins». Après avoir visité le terrain de la construction en plein milieu de la campagne, Christophe Hutin lui a expliqué qu’il fallait absolument en préserver toutes les qualités et garder un rapport étroit avec la nature, traiter le site comme ce qu’il est, à savoir « un champs de fleurs », et ne surtout pas y introduire toute trace du vocabulaire pavillonnaire ou de maison individuelle. Pour lui, l’aspect de la maison ne lui importait peu, son unique préoccupation était le bien-être de sa cliente. Ce que je trouve intéressant dans la vision de l’architecture que développe Christophe Hutin, c’est la mise en avant de l’usage avant tout, la prise en compte du mode de vie des habitants afin de leur proposer une appropriation de leur habitat des plus simples. L’architecte prône ainsi la singularité des constructions afin de répondre à des besoins particuliers et de permettre l’adaptation de l’habitat aux envies et besoins de chacun. Je trouve également très intéressant la démarche que Christophe Hutin développe autour de la notion d’improvisation afin de proposer de nouveaux modes constructifs et de penser l’architecture en la faisant, en la construisant. Comme sa cliente n’avait que très peu de moyens, Christophe Hutin a décidé de préfabriquer la maison en atelier et de la monter ensuite directement sur le terrain sur des plôts afin de ne pas abîmer la terre. La maison a été montée en une
semaine et les finitions ont ensuite été réalisées. Je trouve cependant que l’on peut questionner l’aspect esthétique que propose Christophe Hutin à travers ses constructions. Selon lui, l’aspect d’une construction n’importe peu, cependant je trouve que ses constructions développent toujours plus ou moins la même esthétique, celle d’une architecture brute, faite de bois et de métal percée par de larges ouvertures. On retrouve dans ses premières réalisations cette même écriture qui selon moi est une bonne réinterprétation de son expérience sud-africaine. Christophe Hutin s’est emparé du vocabulaire constructif des shacks afin de penser une architecture minimaliste, préfabriquée et adaptable qui puisse répondre aux besoins d’un grand nombre d’usagers. Cependant, je trouve que l’on ne retrouve pas vraiment la folie et la poésie que développent les habitants de Soweto lorsqu’ils construisent leur habitat. La première maison qu’à pensée Christophe Hutin, se fond dans le site sans vraiment accrocher le regard. L’architecte défend alors une architecture de la non-monumentalité, un respect du site parfois un peu abusif qui relègue l’architecture au second plan. La construction se veut sobre et élégante à mille lieux de l’extravagance des shacks de Soweto. Christophe Hutin joue içi sur une vision radicale de l’architecture pour se différencier dans le monde très réglementé et lisse de l’habitat individuel européen.
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montage de la première maison réalisée par Christophe Hutin
Eduquer/ Innover
Après son expérience sud-africaine, Christophe Hutin n’a pas voulu tourner définitivement un trait sur son aventure aux milieux des shacks. Pour lui, il n’était plus question de rester simple observateur, il fallait agir. Même si l’architecture des maisons RDP pouvait être critiquée, Christophe Hutin trouvait cette politique remarquable car le programme a permis depuis son lancement la construction de plus d’un million huit cent mille logements, ce qui n’est pas négligeable. Je trouve donc très intéressant que l’architecte ait choisi de lancer une réflexion sur l’amélioration de ces maisons plutôt que d’attaquer le programme. Christophe Hutin a donc pris le parti de lancer un débat sur la production du logement économique en Afrique du Sud en réponse à cette politique volontariste RDP jamais égalée au monde. Selon lui, il faut ouvrir le champ des perspectives et convaincre qu’il n’est plus possible de continuer à faire des maisons toutes identiques sur des kilomètres, qu’il existe d’autres solutions et qu’il faut pour cela s’appuyer sur les jeunes. «Il faut que les africains comprennent qu’il y a chez eux des Jean Prouvé à chaque coin de rue et que c’est là que se trouve leur avenir.» (Christophe Hutin, conférence Envers des Villes) S’appuyant sur ses relations et amis en Afrique du Sud, Christophe Hutin a formé, depuis 2008, un réseau de collaborateurs entre l’Afrique et la France capables de questionner ce thème du logement et d’apporter, sinon des solutions, du moins des pistes en faisant participer les étudiants. Deux programmes ont ainsi été pensés par Christophe Hutin et ses collaborateurs afin
de former les étudiants à la question du logement en Afrique du Sud. Dès lors, le Studio EUNIC donne l’opportunité à des étudiants sud-africains de travailler en ateliers autour de l’amélioration de l’habitat et le module Learning From, enseignement de projet à l’Ecole d’Architecture de Toulouse en France, permet de prolonger la collaboration entre la France et l’Afrique du Sud.
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Le Studio EUNIC a été créé en 2008 par Christophe Hutin en partenariat avec l’Institut Culturel Européen établi à Johannesburg dans le but de proposer un événement annuel d’une durée d’une semaine. Il s’agit, à travers un partage d’expériences entre des professionnels de l’architecture et des étudiants, européens et africains, d’ouvrir une réflexion nouvelle sur les conditions de vie en Afrique du Sud.
Johannesburg ont été inutilement abandonnées. Chaque atelier organisé par le studio EUNIC se concentre sur cette question cruciale de l’accès au logement pour tous, proposant aussi bien à des professionnels européens et sud-africains qu’à des étudiants architectes, de trouver des solutions pratiques et abordables à des questionnements aussi bien d’ordre social, qu’urbain et architectural.
Les élèves travaillent en atelier avec la production de projets expérimentaux. Ils sont encadrés par des professionnels invités (architectes, artistes, sociologues...) qui, en parallèle, présentent leur travail au public lors de conférences.
Le Studio 2008 s’est déroulé autour de réflexions concernant l’adaptation des logements à faible coût construits par le gouvernement Sud-Africain et le programme de développement. En 2009, le studio s’est articulé autour de la question suivante: «Johannesburg: une ville pour qui ?» et les participants de l’atelier ont pu développer des projets de réhabilitation de bâtiments réels dans le centre-ville. Le Studio 2010 a mis également l’accent sur la réadaptation des logements existants par le biais d’un projet de rénovation d’une propriété en abandon sur un emplacement de choix à Johannesburg entre la Cour constitutionnelle et le Théâtre municipal, avec le soutien du gouvernement de la ville.
L’objectif est de traiter les questions d’architecture au sein de la société, ainsi que de faire émerger de jeunes talents de la place. Cet atelier se déroule dans le centre de Johannesburg et se clôture par une présentation, par les étudiants, de leurs projets devant le public et la presse. L’événement est renouvelé chaque année et investit à chaque fois une situation urbaine nouvelle à Johannesbourg. L’accès au logement constitue l’un des plus grands défis sociétaux en Afrique du Sud. Alors que le gouvernement a fait de grands progrès dans la construction de logements à faible coût depuis 1994, la qualité de ces logements a parfois été compromise et de nombreuses communautés vivent encore dans des habitats informels et très précaires. Dans le même temps, de nombreuses propriétés intéressantes dans la zone centrale de
L’enseignement de projet “Learning From” propose un travail de projet d’architecture dans un contexte international. La collaboration interculturelle, les méthodes et démarches coopératives, la prise en compte de l’altérité dans la production de l’architecture et de la ville, en sont des principes fondamentaux qui orientent les expériences proposées.
Situé dans le quartier de Hillbrow, en plein centre de Johannesburg en Afrique du Sud, la Florence House est un ancien hôpital aujourd’hui désaffecté. Comme de nombreux édifices semblables de ce quartier abandonné, le bâtiment est occupé illégalement par des centaines de familles pauvres provenant de différents pays limitrophes. Ici, il s’agit donc d’abord de réemployer ce qui existe déjà et de soutenir la nouvelle vie de l’ancien hôpital. Pour cette raison, le principe d’économie de moyens est au centre du projet de réhabilitation. Dès lors, lors du workshop, par petits groupes, les étudiants français et sudafricains ont développé des esquisses de solutions permettant d’améliorer les conditions de vie des habitants. Projet 1 : Acuponcture pour le lieu Les étudiants proposent içi de créer un espace communautaire au niveau du parking en rez-de-chaussée et de reléguer les voitures en sous-sol. Cet espace pourrait dès lors accueillir une crèche et une grande aire de jeux en plein air pour les enfants. La végétation pourrait également être utilisée afin de limiter l’espace pour des raisons de sécurité et pour faire rempart contre les nuisances sonores alentours. Les structures en acier déjà présentes pourraient également être recouvertes avec du tissu afin de créer des espaces ombragés propices à la détente.
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Projet 2 : Une façon rapide de reconfigurer l’espace La Florence House est située dans un quartier avec un grand potentiel, juste à côté de la Cour Constitutionnelle qui est l’un des bâtiments les plus visités par les touristes. Ici, les étudiants souhaitent tirer profit de cette situation géographique en créant un espace public sur le terrain libre situé en face de la Florence House. Afin de trouver un moyen rapide et économique de composer la place, des containers seront utilisés afin de créer un marché en plein air en rez de chaussée et des habitations temporaires pourront se développer sur les autres niveaux.
Projet 3 : Flexibilité/Densité Ici les étudiants ont souhaité penser un espace minimal dans lequel les habitants pourraient vivre normalement et profiter d’espaces communs supplémentaires afin d’apporter du confort en plus. Le projet s’articule donc entre différents modules de base qui peuvent être utilisés librement par les familles en fonction de leurs besoins et peuvent être étendus en fonction de l’évolution du noyau familial.
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Je trouve que les intentions qui ont servi de point de départ aux projets développés par les étudiants sont toutes pertinentes car elles partent de l’analyse des modes de vie des habitants. Les dispositifs proposés ne sont pas «prétentieux» et vraiment ancrés dans la réalité des usagers afin de proposer des améliorations rapides et économiques à leurs conditions de vie. Les interventions proposées ne sont pas irréversibles et pourront donc évoluer dans le temps en fonction des besoins des habitants. Cependant, je me questionne quant à l’intérêt réel de proposer d’aussi modestes dispositifs. Ces interventions permettront-elles réellement de proposer des conditions de vie «acceptables» aux habitants ? Parfois, quand les projets sont trop «souples» ils deviennent presque imperceptibles, invisibles et tout leur intérêt de départ peut disparaitre. A force d’avoir peur d’en faire trop, on peut ne peut pas en faire assez, c’est pour cela qu’il est important de ne pas tomber dans une accumulation de détails mais dans une vraie stratégie de projet.
Conclusion
Après avoir choisi de lire l’Enseignement de Soweto un peu par hasard, je crois que je peux dire que j’ai vraiment été touchée et séduite par la fabuleuse aventure qui nous ai présentée içi. Christophe Hutin nous questionne quand à notre manière, très standardisée et conceptuelle, de penser l’architecture en Europe. Son expérience Sud-Africaine, comme électrochoc, lui a permit de remettre en cause les fondamentaux de l’architecture occidentale afin de penser une architecture de l’improvisation, par laquelle chaque individu peut s’exprimer librement et adapter son habitat à ses habitudes. C’est l’idée d’une architecture du bien-être qui est défendue içi bien plus que l’expression d’une esthétique standardisée. « Agir sur les multiples points d’appui de l’existant et le transformer. Infléchir les usages plutôt qu’imposer des formes préconçues. » (Christophe Hutin, Conférence l´Envers des villes)
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Sources
Christophe Hutin et Patrice Goulet, L´enseignement de Soweto, L´Impensé Actes Sud, 2009, Arles, 103 pages http://www.christophehutin.com/ http://learning-from.over-blog.fr/