Dove Allouche Point triple
Galerie d’Art graphique 26 juin – 9 septembre 2013
ÉDITIONS DILECTA
LE LENT MAIS INÉVITABLE OBSCURCISSEMENT SELON DOVE ALLOUCHE Jonas Storsve Acide nitrique, éthanol, éther, hyposulfite de soude, iodure de potassium, jaune de plomb, noir de gaz, oxyde d’argent, poudre de zinc, vapeurs de pétrole… La liste de toutes ces matières semble provenir d’une recette lacunaire de L’Œuvre au noir1, comme l’aurait transmise un des grands alchimistes du xvie siècle. Il n’en est rien. Elle est tout simplement extraite de la liste d’œuvres fournie par Dove Allouche pour son exposition à la galerie d’Art graphique du Centre Pompidou et indique bien l’extrême complexité de son travail. Lorsqu’en 2008, grâce à son exposition au Crédac d’Ivry-sur-Seine, l’artiste s’est fait connaître par un plus large public, il travaillait essentiellement à la mine graphite des petits formats dans lesquels il instaurait déjà des rapports ambigus avec la photographie. C’est notamment le cas pour la grande série des cent quarante « Melanophila » qui par certains aspects évoquent le cliché-verre, technique photographique inventée dans les années 1850 et rendue célèbre notamment par Camille Corot. À l’occasion d’un voyage au Portugal, Dove Allouche avait été le témoin de l’incendie d’une forêt d’eucalyptus et avait en très peu de temps pris de nombreuses vues de cette forêt calcinée. Pendant les cinq années suivantes, de 2003 à 2008, il a ensuite reproduit à la mine graphite2, avec des interruptions parfois longues de plusieurs semaines, cent quarante de ces photographies. À l’extrême rapidité de la prise de vue s’opposait la très longue période de travail du dessinateur. Son travail a très vite évolué, mais il reste fidèle à son propos premier : la mise en abyme de la photographie par le dessin – et du dessin par la photographie. D’abord le format a changé. En 2011 il réalise son premier dessin monumental, Le diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel, consécutif à son achat, dans un marché aux puces, d’une boîte de photographies stéréoscopiques datant de la Première Guerre mondiale. Les plaques photographiques, destinées à être regardées dans un appareil spécial, permettaient de voir une image en relief par la superposition optique de deux images identiques. Dove Allouche met à mal cette invention en juxtaposant simplement les deux images sur le papier. Par la simple répétition du motif, il crée une nouvelle image, irréelle, troublante, détournée de sa destination première. S’intéressant aux défaites de la photographie primitive, il se tourne vers les recherches de l’astronome anglais Isaac Roberts, dont il agrandit largement les petites plaques de verre conservées à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris. Ces plaques sont soit surexposées soit sous-exposées et ne représentent que des zones de clarté et d’obscurité, ainsi que des inscriptions (numéro d’inventaire, coordonnées en temps sidéral, date de prise de vue) et les stigmates du temps. Mais il complexifie également sa palette de techniques. Il se sert par exemple de l’héliogravure, technique historiquement utilisée pour imprimer en très grand nombre des images photographiques, qu’il détourne de sa fonction d’origine pour n’en tirer que cinq exemplaires ; ou alors il se tourne vers les procédés de la photographie primitive.
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Marguerite Yourcenar explique dans une note accompagnant son roman qui porte ce titre, prix Femina 1968, que ce terme « désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation et de dissolution de la substance ».
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Minerai souvent formé à partir de charbon organique, autrement dit du bois calciné.
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Dove Allouche dans Code Couleur, nº 16, Mai 2013, p. 32.
Après avoir réalisé un ensemble d’ambrotypes, Dove Allouche a tout récemment commencé à réaliser des physautotypes, une technique datant de la naissance de la photographie que l’on ne connaît aujourd’hui qu’à travers la correspondance de Niépce avec Daguerre et le travail de recherche de Jean-Louis Marignier. C’est l’unique procédé historique capable de produire des images à la fois positives et négatives. En travaillant avec de l’essence de lavande, de l’éthanol et des vapeurs de pétrole sur des plaques de cuivre argenté, il reproduit des images extraites de l’Atlas de photographies solaires que Jules Janssen publia en 1903 et dont un rare exemplaire est conservé à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris. Dove Allouche les nomme « Granulation », car elles représentent justement des granulations et taches noires de la surface du soleil. La question de la représentation est devenue secondaire, l’artiste l’avoue lui-même : « au sujet, se substitue de plus en plus l’élaboration d’une émulsion sensible à l’air faisant évoluer le dessin par évaporation puis par oxydation3. » Seraitil soupçonnable de vouloir annoncer la fin du dessin ? En tout cas dans les deux « Frayures », où ce qui ressemble à de simples tracés gestuels est en effet l'image de fusées éclairantes précédant des assauts nocturnes, l’utilisation de poudre d’argent va provoquer un assombrissement du dessin par effet d’oxydation – et à terme son obscurcissement complet.
THE SLOW BUT INEVITABLE DARKENING ACCORDING TO DOVE ALLOUCHE Jonas Storsve
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Marguerite Yourcenar explains in a note accompanying her novel which bears this title (Prix Femina 1968) that this term “refers to the phase of separation and dissolution of substance in alchemical treatises”.
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Ore often formed from organic carbon, or in other words, burnt wood.
Nitric acid, ethanol, ether, sodium thiosulfate, potassium iodide, lead chromate, gas black, silver oxide, zinc powder, petroleum vapours… The list of all of these materials appears to be an incomplete recipe of L’Œuvre au noir1 [“nigredo”] that might have come down to us from the great alchemists of the 16th century. But this is not the case. These are simply the technical details from the list of works provided by Dove Allouche for his exhibition in the Galerie d’Art graphique of the Pompidou Centre and they give an indication of the extreme complexity of his work. At the time that the artist became known to a wider audience thanks to his exhibition at the Crédac in Ivry-sur-Seine in 2008, he was working essentially with graphite in small formats in which he had already instituted an ambiguous relationship with photography. This was particularly the case for the large series of one hundred and forty “Melanophila”, which in some ways evoke the Cliché Verre, a photographic technique invented in the 1850s and popularised by Camille Corot in particular. During a trip to Portugal, Dove Allouche had witnessed a fire in a eucalyptus forest and had taken a lot of photographs of this charred forest within a short space of time. For the next five years, from 2003 to 2008, he reproduced in graphite2 one hundred and forty of these photographs, with interruptions sometimes lasting several weeks. To the extreme rapidity of the photographic session was thus opposed the very long and slow working period of the draughtsman.
His work evolved with incredible rapidity, but stayed true to its initial theme: the mise-en-abyme of photography through drawing—and of drawing through photography. Firstly, the format changed. In 2011 he produced his first monumental drawing, Le diamant d’une étoile a rayé le fond du ciel, following his purchase at a flea market of a box of stereoscopic photographs dating from WWI. The photographic plates, designed to be viewed through a special device, allow you to see an image in relief through the optical superimposing of two identical images. Dove Allouche subverted this invention by simply juxtaposing the two images onto paper. Through the simple repetition of the motif, he creates a new image—one that is unrealistic, disturbing and diverted from its original destination. As he became interested in the failings of primitive photography, he turned to the research of English astronomer Isaac Roberts and enlarged some of Roberts’ small glass plates conserved at the library of the Observatoire de Paris into large formats. These plates are either overexposed or underexposed and only represent zones of light and shade, as well as inscriptions (inventory number, coordinates in sidereal time, date of capture) and the stigmata of time. But he also complexified his palette of techniques. For instance, he used photogravure, the technique historically used to print photographic images in large quantities, which he diverted from their original function to print just five copies; or he focused on the procedures of primitive photography. After producing a set of ambrotypes, Dove Allouche has very recently started to produce physautotypes, a technique dating from the birth of photography that we only know today through the correspondence of Niépce with Daguerre and the research of Jean-Louis Marignier. It is the only historical procedure capable of producing images that are both positive and negative. By working with lavender essence, ethanol and petroleum vapours on silver-plated copper plates, he reproduced images from the Atlas de photographies solaires that Jules Janssen published in 1903, a rare copy of which is conserved at the library of the Observatoire de Paris. Dove Allouche calls them “Granulation”, since they represent the granulations and dark spots on the surface of the sun. The question of representation has become secondary, the artist himself states: “the subject is increasingly substituted by the elaboration of an emulsion sensitive to air that causes the drawing to evolve first through evaporation then oxidation.”3 Must we suspect him of wanting to announce the end of drawing? In any case, in both “Frayures”—where what resembles basic gestural lines is in fact the image of flares preceding nocturnal assaults—the use of silver powder will provoke a darkening of the drawing through oxidation and eventually, complete obscurity.
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Dove Allouche in Code Couleur, no. 16, May 2013, p. 32. [Our translation].
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1 2 140 m (Squelette d’un glacier, la Mer de glace aux environs du Montenvers) 2011
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2 Charnier 2011
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3 Chausse-trappe_gauche 2012
5 Nos lignes sous les obus toxiques_gauche 2012
4 Chausse-trappe_droite 2012
6 Nos lignes sous les obus toxiques_droite 2012
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7 Man, child and two women 2013
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8 Anonyme 2011
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9 Les pĂŠtrifiantes 2012
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9 Les pĂŠtrifiantes (dĂŠtail) 2012
9 Les pĂŠtrifiantes (dĂŠtail) 2012
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9 Les pĂŠtrifiantes (dĂŠtail) 2012
9 Les pĂŠtrifiantes (dĂŠtail) 2012
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10 Déversoirs d’orage_1 2009