Mémoire de Recherche - Marie Damide - Juin 2019

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Parcours Recherche

DU PATRIMOINE INDUSTRIEL DU XIXe SIÈCLE AUX TIERS-LIEUX CULTURELS DU XXIe SIÈCLE. De l’idée à la réalité : comparaison de transformations d’espaces de production par Marie Damide

Directeur de mémoire : Kévin Jacquot, architecte, docteur en sciences de l’architecture, ENSAL, domaine d’études Sciences et techniques pour l’architecture - STA.

Mémoire de recherche, Master 2 - 14 janvier 2019 - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon Laboratoire MAP-Aria

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REMERCIEMENTS

Je tenais à remercier tout d’abord mon directeur de mémoire Kévin Jacquot, qui m’a fait confiance et m’a aidée à porter ce projet depuis un an et demi maintenant. Il m’a laissée avancer dans ma recherche et a su m’aiguiller dans le choix de mon sujet malgré de nombreux doutes. De part son encadrement, grâce à son aide et ses conseils, j’ai pu pousser ma démarche plus loin. J’aimerais également remercier l’ensemble du laboratoire MAP-Aria qui m’a accueillie durant tout un semestre afin de réaliser un stage un peu particulier. Cela a été l’occasion de discuter de mon mémoire, de présenter mon avancement, d’ouvrir des pistes mais surtout, cela m’a offert l’opportunité de découvrir le monde de la recherche qui m’a donnée l’envie de continuer ce parcours au prochain semestre en proposant un projet de fin d’étude avec une mention recherche. Je remercie tout particulièrement Hervé Lequay pour son enthousiasme et sa réactivité, son écoute et ses conseils avisés qui m’ont donnée l’envie de poursuivre la recherche. J’adresse mes remerciements à Lamia Solh Kabra pour son expertise, son enthousiasme, ses conseils et son écoute qui m’ont aidée dans l’élaboration de ma problématique. Et enfin à mes parents, mes grands-parents, pour leur soutien, leurs relectures ainsi que mes amis, Anaïs, Noémie, Antoine R, Antoine T, Chloé et Thomas qui m’ont conseillée, et confortée dans ma démarche lors de discussions ou relectures de ce mémoire.

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LIMINAIRE

La recherche n’est pas une discipline à laquelle je me prédestinais lorsque je suis arrivée à l’école d’architecture de Lyon en master. Aujourd’hui, je peux désormais affirmer qu’elle est complémentaire dans le parcours que je me suis construit. La recherche, tout comme l’enseignement de projet nécessitent de la curiosité, de l’autonomie et une multidisciplinarité. L’apprentissage de la méthodologie universitaire permet d’approfondir la formation et de renforcer ma rigueur dans les projets que j’entreprends. Cette mention recherche est donc un moyen de lier les deux pratiques. L’écriture et le choix de la thématique de ce mémoire sont, selon moi, une retranscription de mes convictions et valeurs dans la pratique de l’architecture aujourd’hui. Mon choix s’est tout d’abord porté sur le Fablab patrimonial, thématique proposée par Hervé Lequay, au sein du laboratoire Map-Aria pour participer à un appel à projet en lien avec la Maison du Chamarier, dans le vieux Lyon. Cette nouvelle appellation m’était encore inconnue et m’a interpellée. Comment la définir et déterminer ses enjeux ? Je suis petit à petit entrée dans le sujet ce qui m’a permis de dégager différentes typologies d’espaces : j’ai ainsi découvert le monde des Tiers-Lieux. Terme apparu en 1989 par le sociologue Ray Oldenburg, pour qualifier l’ensemble des lieux entre la maison et le travail, ce terme aux multiples définitions, qualifie, tous les lieux proposant une programmation basée sur l’échange entre différentes communautés hétéroclites. Mais également pour nommer un espace virtuel où des individus disposant de compétences hybrides se rencontrent bien qu’ils n’auraient pas vocation de se croiser initialement. Comment s’approprier cette notion ? Au départ, je n’étais pas une spécialiste de ce genre de démarche, ni de l’aspect virtuel de cce type d’espace. Ce qui m’intéressait surtout dans cette notion était le caractère innovant de sa pratique de part ses processus établis au sein de ces espaces réels ou virtuels. C’est de là qu’est apparu la notion de patrimoine et le rapport à l’architecture. Le patrimoine industriel est aujourd’hui en proie à de nombreuses transformations pour faire vivre à nouveaux des lieux vacants. Comment l’architecte se positionne aujourd’hui pour être innovant face à l’existant ? Il a alors été intéressant d'établir un parallèle entre les processus établis au sein des lieux tiers et ceux des lieux en reconversion pour comprendre ce qui diffère au sein de ces processus pour que l’on parle d’innovation. Ce mémoire de recherche a été l’occasion de mettre en lien différentes notions actuelles. Je suis persuadée que la pratique de l’architecture et la recherche sont intimement liées. Aujourd’hui, je cherche à comprendre comment les transformations des édifices industriels du point de vue spatial, illustrent les processus établis au sein des tiers-lieux et font évoluer la pratique de l’architecture.


RESUME Selon le sociologue Ray Oldenburg, les tiers-lieux définissent l’ensemble des lieux entre la maison et le travail. Mais, ils qualifient également tous les lieux proposant une programmation basée sur l’échange entre des communautés hétéroclites. Dans un contexte où nos modes de vie engagent de nouvelles méthodes de travail, favorisant le partage des savoirs, les processus établis au sein des tiers-lieux ont leur importance. Le patrimoine industriel, ré-exploité pour ses nombreux espaces vacants, participe à la création de nouveaux usages pour construire la ville de demain. C’est donc une manière d’appréhender un des procédés parmi lesquels le monde cherche, aujourd’hui, à se réinventer. A l’occasion de ce mémoire, je cherche donc à savoir en quoi les processus alternatifs de mise en valeur des édifices patrimoniaux industriels français du XIXe siècle participent à la matérialisation des enjeux des tiers-lieux. Ce mémoire propose une étude des méthodes utilisées au sein des espaces réels ou virtuels qualifiés de tiers-lieux pour mener à bien leurs différents projets. Tout d’abord à travers une étude théorique, historique et sociale. Par l’illustration de différents tiers-lieux répartis en Europe durant ces 20 dernières années, nous mènerons une analyse sur le fonctionnement de ces espaces en marge ainsi que leurs enjeux. Cela nous permettra d’avoir un premier recul sur cette notion encore aujourd’hui controversée. Puis nous continuerons par une analyse architectonique de transformations d’édifices industriels. Elle montrera le caractère expérimental de chaque projet de reconversion. Cette étude nous permettra d’apporter une critique sur les qualités spatiales et de mettre en lien les limites de ces reconversions avec celles des tiers-lieux. L’analyse de ces deux thématiques distinctes montre un élément commun caractéristique : le besoin d’une architecture appropriable par tous dans ces espaces impersonnels. Les enjeux au sein des tierslieux tout comme les processus de transformation s’attachent à prendre en compte les besoins réels des usagers et ce, grâce à l’expérimentation. Le corpus étudié permet ainsi l’apport d’une nouvelle définition de ce que peut être qualifié un espace de tiers-lieu. Nous conclurons donc que les différents scénarios étudiés nous montrent des types de processus singuliers et empiriques au sein de reconversions industrielles qui participent à la dynamique institutionnelle des Tiers-lieux. Ces procédés portent ainsi un nouveau regard sur ce que peut être la pratique de l’architecture aujourd’hui et prennent part à la constitution d’une architecture ancrée dans son temps.

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ABSTRACT

In a context dozens our lifestyles involved new working method, supporting exchanges and the sharing of knowledge for the common good, processes established in third places are important. They are the result of interactions between individuals. Studying these processes is an opportunity to understand historical and social contexts. Thus, apprehending one of the processes among the world seeks to reinvent itself. This memoir lets us to know the alternative processes of nineteenth century French industrial heritage buildings which participate in the materialization of third places issues. Then, the goal was to analyze methods used within the real or virtual spaces qualified by third places to carry out their various projects. Through a theoretical, historical and social study. By illustrating various non-exhaustive third-places spread across Europe over the past 20 years, we will understand the functioning of these marginal spaces and their challenges. This will allow us a first step back on this notion still controversial. Then, by an architectural analysis of industrial buildings transformations. They will show the experimental character of each reconversion project. This study will allow us to give us a spatial point of view to link the limits and realities of these reconversions with those of third places. This corpus will allow the contribution of a new definition of third-place concept. The scenarios studied will show us empirical processes within industrial reconversions that participate in the third-places institutional dynamics. These processes take a look at the practice of architecture can be today, and take part in the constitution of an architecture rooted in its time.

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PROBLEMATIQUE : En quoi les processus alternatifs de mise en valeur des édifices patrimoniaux industriels français du XIXe siècle participent-ils à la matérialisation des enjeux des tiers-lieux ?

HYPOTHESES : -

Le Tiers-lieu est une notion conceptuelle complexe qui requiert un terrain physique pour mieux l’appréhender.

-

Les reconversions de bâtiments industriels participent à l’émergence d’un nouveau programme type : les tiers-lieux.

MOTS-CLES : Tiers-Lieu, Reconversion, Patrimoine Industriel, Numérique, Architecture, Processus, Communauté, Expérimentation, Idéation

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SOMMAIRE INTRODUCTION........................................................................................................................................................................ 5! METHODOLOGIE ...................................................................................................................................................................... 8! DEROULEMENT DU MEMOIRE ............................................................................................................................................ 10! I.! LE TIERS-LIEU : LA THEORISATION D’UN CONCEPT INCERTAIN ....................................................................... 11! A. ! La%notion%de%tiers.lieu%:%un%trop%large%spectre%de%lieux%. ...................................%1 4 ! 1.! Une définition minimale du tiers-lieu .......................................................................................... 14! 2.! La construction d’un imaginaire commun ................................................................................. 22!

B. ! Une%vocation%sociale%avérée%........................................................................%2 5 ! 1.! Une méthode d’innovation ouverte ............................................................................................. 25! 2.! Des modèles de gouvernance qui favorisent le droit à l’erreur ................................................ 26! 3.! Le lieu : un ancrage physique majeur ......................................................................................... 27!

C. ! Un%processus%de%«%tangibilisation%»%..............................................................%2 9 ! 1.! Une nouvelle approche culturelle basée sur la culture libre ..................................................... 29! 2.! Le tiers-lieu : l’interface d’une méthode de production d’un service ........................................ 30! 3.! Des difficultés lors du passage de données en réalité ............................................................. 32!

II.! LES TIERS-LIEUX A LA CONQUÊTE DU PATRIMOINE INDUSTRIEL DU XIXe SIECLE .................................. 35! A. ! Le%patrimoine%industriel%:%des%espaces%vacants%en%devenir%..............................%3 7 ! 1.! Un patrimoine économique et utilitaire ...................................................................................... 37! 2.! La réversibilité : l’enjeu majeur d’une reconversion industrielle ............................................... 41!

B. ! De%la%mise%en%valeur%du%patrimoine%industriel%:%l’émergence%d’une% programmation%majoritairement%culturelle%. .........................................................%4 2 ! 1.! Une programmation multifonctionnelle, « libre » et ouverte à tous ......................................... 42! 2.! Des espaces modulaires et adaptables ..................................................................................... 44!

C. ! Vers%une%culture%de%l’Architecture%favorisant%l’expérimentation%. .....................%4 5 ! 1.! Une valorisation de la pratique et des compétences des différents acteurs .......................... 45! 2.! Réintroduire du sens dans la construction ................................................................................ 47!

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D. ! A%des%enjeux%politiques%et%économiques%qui%remettent%en%cause%les%principes% fondateurs%du%tiers.lieu%. ....................................................................................%4 8 ! 1.! L’occupation temporaire : une politisation des espaces ......................................................... 48! 2.! Des stratégies pour faire vivre le lieu ......................................................................................... 49! 3.! Des lieux dé-territorialisés ........................................................................................................... 50!

III.! L’ARCHITECTURE DES TIERS-LIEUX : DES ESPACES TRANSITIONNELS ...................................................... 53! A. ! Des%transformations%opérées%par%un%état%transitoire%d’une%communauté%. .........%5 4 ! 1.! Le bâti : activateur d’un mouvement collectif ............................................................................ 54! 2.! Une méthodologie singulière et temporaire basée sur l’incertitude......................................... 54!

B. ! Les%tiers.lieux%:%des%architectures%open'source%. ..............................................%5 6 ! 1.! Des espaces complexes en perpétuel transformation ............................................................. 56! 2.! Le tiers-lieu : une nouvelle appellation d’un programme existant ............................................ 58!

C. ! Une%redéfinition%du%rôle%de%l’architecte%........................................................%6 0 ! 1.! Une réglementation trop contraignante ..................................................................................... 60! 2.! De nouveaux outils d’expérimentation pour de nouveaux modes de conception ................... 61! 3.! Une nouvelle définition des tiers-lieux........................................................................................ 62!

CONCLUSION ........................................................................................................................................................................ 63! BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................................................... 68! GLOSSAIRE ............................................................................................................................................................................. 72!

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INTRODUCTION

« Chaque génération sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande, elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».

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On assiste aujourd’hui à une redéfinition des modes de vie et de travail. L’arrivée du numérique a bouleversé nos manière de faire, voyager, consommer. Conséquence, de nouveaux usages et programmes au sein des villes apparaissent. En effet, La vague digitale ne se limite pas au travail et touche également les territoires. Les villes (et villages) de demain se construisent autour des technologies (smart grids, open data), de nouveaux usages numériques, mais aussi de nouveaux modes de consommation (économie collaborative, du partage, sociale et solidaire). C’est pourquoi penser et faire autrement deviennent des exigences, dans une société où les problématiques environnementales signalent l’urgence d’une redéfinition des modes de conception et de production. Selon Pascal Nicolas-Le-Strat, un autre monde est possible, mais il est rendu possible par nos actes et 3

nos expérimentations, en fait, par l’ensemble des dispositions prises en commun” . Il devrait donc être nécessaire de faire évoluer ces modes de pensées et de “faire” pour tendre vers une société plus consciente de ses ressources. Il y a alors un nouvel enjeu dans la définition des processus communs lors de productions diverses. Les procédés de mise en place d’une action, d’un produit doivent davantage être au coeur des préoccupations des différents acteurs pour que le produit fini dure dans le temps. Cela donne ainsi à ce dernier une valeur tout autre. La phase amont organisationnelle devient plus importante que la construction finale du produit. C’est pourquoi, Etienne Delprat est convaincu que « ce temps de la mise en place du cadre de projet et de son modèle de financement constituent un véritable niveau d’expérimentation qui opère sur le « déplacement » de la valeur du 4

projet et de sa reconnaissance » . Ainsi, on peut voir apparaître une méthodologie alternative basée sur la mise en action de la pensée par l’expérimentation. Comment peut-on alors analyser ce type de pratique ? Quels sont les lieux qui illustrent ce schéma de pensée ? Les tiers-lieux sont une conséquence des modifications des modes de travail, davantage basé sur l'entrepreneuriat. Utilisé pour la première fois par le professeur de sociologie urbaine Ray 2

Albert Camus, Extrait du discours au prix Nobel à Stockholm, 10 décembre 1957 Pascal Nicolas-Le-Strat, “un déboîtement radical”, consulté le 15 décembre 2018, http://www.lecommun.fr/index.php?page=le-travail-du-commun-2016. Introduction à l’ouvrage : Pascal Nicolas-Le-Strat, Le travail du commun, Saint-Germain-sur-IIIe: Editions du Commun, 2016 4 Etienne Delprat, l’expérimentation : pour un réengagement de la pratique, article du manifeste Construire avec l’immatériel, temps, usages, communautés, droit, climat… de nouvelles ressources pour l’architecture, sous la direction de Jana Revedin, p.105, collection manifestö, editions gallimard, 2018 3

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Oldenburg en 1989 dans le premier chapitre de son ouvrage The Great Good Place, ce terme caractérise un lieu, un entre-deux se situant entre l’habitation et le lieu de travail. Aujourd’hui, il est utilisé pour qualifier l’ensemble des environnements collaboratifs, alternatifs, et les besoins collectifs d’une génération d’individus en recherche de repères et où la production et l’innovation s’opèrent au travers de nouveaux processus de travail. Il est alors intéressant d’étudier le mode de fonctionnement des tiers-lieux comme une source sociologique d’expérimentations diverses de communautés hétéroclites. De part l’augmentation exponentielle d’espaces se revendiquant comme tiers-lieu, nous pouvons déceler un engagement certain dans la mise en place de nouvelles méthodes, façons de faire qui participent à l’élaboration d’un nouveau paradigme, où le lieu est au centre des interactions. Selon moi, nous avons beaucoup à apprendre des processus établis au sein des tiers-lieux. Leurs pratiques mettent en avant la participation des usagers, et étendent les savoirs au sein de la société. De même, l’architecte est bien placé pour parler d’interdisciplinarité de part sa capacité à communiquer avec différents corps de métier. Cela amène fondamentalement, nous, architectes, urbanistes à repenser les espaces et modes d’habiter en ville. Confrontés à de nouvelles problématiques, climatiques, numériques, usuelles, comment composer face à ces données immatérielles ? Formés pour rendre compte des espaces physiques, où sont les lieux de rencontre dans un monde qui devient de plus en plus dématérialisé ? Nous sommes alors tous à la recherche de nouvelles formes de travail qui compensent avec toutes ces immatérialités. Le tiers-lieu est-il une manière de réinventer le travail et par conséquent la ville ? La reconversion d’édifices patrimoniaux est une des nombreuses formes de pratique qui justifie le 5

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métier d’architecte. Par la reconversion réversible d’édifices patrimoniaux, la notion d’usage a son importance. Comment déterminer la future programmation au sein d’un lieu vacant pour qu’elle soit la 7

plus utile et évolutive possible ? C’est pourquoi, on peut voir apparaître des pratiques d’architectes ou de collectifs basés sur l'expérimentation par la collaboration avec les (futurs) usagers des lieux. A travers ce mémoire, je cherche donc à savoir en quoi les processus alternatifs de mise en valeur des édifices patrimoniaux industriels français du XIXe siècle participent-ils à la matérialisation des enjeux des Tiers-Lieux. A partir de l’étude de transformations d’édifices industriels du XIXe siècle, il s’agit de comprendre les processus où l’expérimentation prend forme dès le début du projet de reconversion. La spatialité d’un édifice en reconversion a-t-elle un rôle à jouer lors des processus de conception et de construction d’un présupposé tiers-lieu ?

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Capacité d’un lieu ou d’un bâtiment à évoluer, se transformer et revenir à un état antérieur. Pratique, manière d'agir ancienne et fréquente, ne comportant pas d'impératif moral, qui est habituellement et normalement observée par les membres d'une société déterminée, d'un groupe social donné. 7 Capacité d‘évolution d’un ouvrage, anticipée dès sa conception. 6

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Afin de traiter cette problématique, je m’intéresse plus particulièrement aux reconversions d’édifices du XIXe siècle, construits à l’ère industrielle où leur but premier reposait sur des principes utilitaires.

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Ces bâtiments sont les témoins de cette période où les enjeux se basaient surtout sur la rentabilité et l’économie. Par les questions qu’ils provoquent, il me paraît donc essentiel de comparer ces édifices en transformation avec la notion de tiers-lieu dans le but de comprendre dans quelle mesure s’exprime l’innovation au sein de ces processus. Cette étude nous permettra de comprendre pourquoi cette notion de troisième lieu est autant plébiscité aujourd’hui .

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Propos déclaré pour la première fois en 1832 dans le dictionnaire d’architecture Quatremère de Quincy. Real, Emmanuelle. 2015. « Reconversions. L’architecture industrielle réinventée ». In Situ. Revue des patrimoines, no 26 (juillet).p.15 https://doi.org/10.4000/insitu.11745.

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METHODOLOGIE

L’axe de recherche se porte sur le parallèle entre les processus établis au sein des tiers-lieu et celui des réhabilitations industrielles françaises du point de vue architectural, c’est-à-dire lors de leur processus de transformation ; de la conception à la réalisation de ces espaces. C’est pourquoi, je me suis appuyée sur l’analyse d’un corpus de cinq lieux ancrés au sein d’un patrimoine industriel délaissé. Leur programmation est majoritairement culturelle. Ce choix s’explique par le caractère multifonctionnel des usages au sein de ces lieux. Mais aussi par l’abondance de ce type de programme dans ces réhabilitations. Par conséquent, l’ensemble des tiers lieux immatériels, vocation essentiellement économique (espaces de coworking, fablabs et living labs au sein des entreprises) ou thématiques dans des domaines différents sont écartés de la réflexion. Un état de l’art sera néanmoins proposé dans la première partie de ce mémoire afin de comprendre le fonctionnement ainsi que les enjeux de la notion de tiers-lieu de même que son impact sociologique à l’échelle du territoire. A la suite de cet état de l’art, il a alors été intéressant de comparer si le processus de transformation de ces lieux reconquis répondent similairement aux critères établis dans l’analyse théorique d’un tiers-lieux. Seconde possibilité : ces transformations sont qualifiées de tiers-lieu uniquement par leur démarche qui contourne les réglementations en vigueur. Un autre critère a été déterminant dans l’identification de ces études de cas : celui de la faisabilité de l’analyse et de l’accès aux informations, aux acteurs et documents majeurs. De ce fait, j’ai donc sélectionné des projets que je connais, sur lesquels j’ai déjà pu me rendre ou et j’ai pu participer à des évènements (à l’exception de la friche de la belle de mai). Enfin, il m’a semblé essentiel d’identifier des cas où l’architecte procédait de façon nouvelle et jouait un rôle majeur, tant dans le processus de conception que dans sa gouvernance durant la réalisation et une fois le bâtiment construit. Un état de l’art pour comprendre l’évolution de ces édifices au fil du temps et ses enjeux a d’abord été constitué. J’ai pour cela établi un inventaire sous forme d’une grille d’analyse de douze lieux qui reprend les caractéristiques principales : localisation, structure, organisation, gouvernance etc... Cela m’a permis de faire des typologies et de resserrer mon corpus. Une seconde étape s’est portée sur le processus de transformation de ces réhabilitations. Quelle(s) nouvelle(s) méthode(s) utilisent les architectes et autres acteurs pour transformer un lieu vacant et le faire vivre à nouveau ? Ainsi, j’ai accumulé des informations que j’ai croisées et mis en lien afin de mettre en valeur les caractéristiques méthodologiques de ces lieux en transition. Cette analyse m’a permis d’affiner au fur et à mesure la recherche et a guidé l’ensemble de ma pensée pour clarifier le fil conducteur du mémoire.

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A partir de la grille d’analyse de bâtiments en transformation, j’ai donc sélectionné cinq tiers-lieux dispersés dans l’ensemble du territoire français. L’analyse d’un seul terrain permet de recueillir un matériau empirique, de comparer les caractéristiques essentielles des processus à différentes échelles au sein d’un même territoire, et d’établir des similitudes et différences concernant les contraintes et conduites à tenir dans ces types d’interventions. Effectivement, l’analyse de plusieurs territoires m’aurait permis de multiplier les cas et de saisir des contextes socio-économiques différents qui aurait élargi mon étude de processus émergents. Mais il me semble que la diversité en termes de contextes historiques, corporalités, programmes, superficies, de modèles de gouvernance est caractéristique des typologies de transformations possibles. L’étude des différents lieux s’effectuera au travers d’une analyse essentiellement qualitative. La matière récoltée est restituée principalement par des schémas diagrammatiques qui m’ont aidée à dégager les idées tout au long de ce travail. De même, l’apport de photographies personnelles et/ou collectées au fur et à mesure de mes lectures illustrent mon propos et témoignent du processus établi au sein des réhabilitations. Enfin, des témoignages de responsables et/ou architectes des lieux que j’ai pu recueillir de même que la construction de frises chronologiques des différents bâtiments du corpus permettent une meilleure compréhension du contexte (historique, politique, social, économique) dans lequel s’inscrivent chaque transformation. Les témoignages m’ont permis de mieux appréhender la façon dont la réhabilitation s’est mise en place, notamment les moyens, le contexte, les questionnements et difficultés relevés et les méthodes adoptées. J’ai alors pu établir les limites auxquelles ces lieux sont confrontés et ainsi dégager les véritables enjeux pour le création de ces nouveaux espaces. L’ensemble de mon travail a également été enrichi par l’étude de documents récents : dossiers de presse, articles de recherche, études, livres et vidéos. En tant qu’étudiante en architecture, cette proposition d’analyse de la notion de tiers-lieu est orientée d’un point de vue spatial et donc physique au travers du regard d’une future architecte. Ce point de vue vise alors à questionner la pratique et le rôle de ce dernier face à aux nouvelles problématiques contemporaines et à la réinvention nécessaire du métier dans une société en pleine mutation.

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DEROULEMENT DU MEMOIRE

Dans ce mémoire, nous discuterons de deux grandes thématiques qui peuvent en apparence ne pas être liées ; la notion de tiers-lieux et la transformation du patrimoine industriel français du XIXe. Cela répondra à la question suivante : En quoi les processus alternatifs de mise en valeur des édifices patrimoniaux industriels français du XIXe siècle participent-ils à la matérialisation des enjeux des tiers-lieux ? Nous expliquerons dans un premier temps pourquoi la notion de Tiers-lieu est contestée. Pour cela, nous détaillerons ses enjeux et ambitions, son histoire et par quels moyens ces espaces changent nos façons de faire et produire. Puis, nous analyserons la méthodologie mise en place pour créer un service au sein des organisations considérés comme des Tiers-Lieux. Ensuite, nous verrons en quoi la vocation sociale établie au sein de ce schéma est déterminée par la localité de cette nouvelle méthode de production. Dans un second temps, nous ciblerons des lieux plus précis : les reconversions industrielles françaises du XIXe siècle. Nous porterons une attention particulière à la programmation ainsi qu’au caractère expérimental du processus de réhabilitation mis en place au sein de ces transformations. Pourquoi ces nouvelles méthodologies mettent-elles en cause les normes rigoureuses établies dans la pratique de l’architecture ? Pour finir, nous exposerons les limites de ces processus alternatifs de part les enjeux politiques et économiques en lien avec ces lieux. Cette analyse comparative de procédés au sein d’un lieu spatialisé nous permettra d’apporter une nouvelle définition de que peut-être la notion de Tiers-lieu.

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I.

LE TIERS-LIEU : LA THEORISATION D’UN CONCEPT INCERTAIN

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UNE ETYMOLOGIE AUX SENS MULTIPLES

Le terme Tiers-Lieu est apparu la première fois en 1989, dans les travaux du sociologue Ray Oldenburg. Traduit de l’anglais Third Place, troisième lieu, il met en évidence l’ensemble des environnements sociaux qui viennent après la maison et le travail. L’ensemble de ces lieux aux programmes initiaux divers (bibliothèques, cafés, aéroports…) sont, pour lui, des entre-deux où le lien social est remis au devant de la scène dans un contexte où les espaces sont peu favorables aux relations sociales. Il définit alors ces espaces comme étant des « lieu[x] où l’on prend plaisir à se rassembler, où l’on tient des conversations, où l’on échange. Une sorte d’agora, publique ou privée, un 9

café du commerce, ou comme dans son temps le lavoir » . Ce sont donc des lieux souvent à usage commercial qui, par le manque de structures spatiales adaptées à la socialisation, proposent des solutions pour combler ce manque et favoriser les échanges. On remarque donc que cette définition sociologique enveloppe une très grande partie des espaces publics qui nous entourent et propose une définition qui reste très vague. Ces lieux tiers caractérisés par Oldenburg ont-ils des particularités au sein des sociabilités ? Y-a-t-il des analogies en terme de spatialité au sein de ces espaces ? Avant d’expliquer les enjeux et ambitions de ce concept récent, il est toutefois intéressant d’analyser son étymologie. Si l’on vient décomposer le mot, l’appellation tiers-lieux a de multiples sens dès la racine. La combinaison des deux termes tiers et lieu énonce des dimensions disparates : physique, spatiale, temporelle, sociale. En effet, tiers signifie à la fois troisième mais également qui s'ajoute, qui est étranger à un ensemble de deux personnes, de deux groupes. Il y a donc un entre-deux à définir dans la définition que l’on se fait d’un Tiers-Lieu. Tiers fait également référence, dans le monde de l’architecture et du paysage, au 10

tiers paysage de Gilles Clément qui désigne « l'ensemble des espaces qui, négligés ou inexploités par l'homme, présentent davantage de richesses naturelles sur le plan de la biodiversité que les 11

espaces sylvicoles et agricoles. » Il est donc intéressant de remarquer que cet entre-deux est pour lui un espace délaissé mais qui développe une diversité supérieure dans l’accroissement biologique des espèces que celles soumis à l’anthropisation, c’est à dire, aux espaces entretenues par l’activité humaine. Il fait d’ailleurs lui-même référence au Tiers état dans l'Ancien Régime, c'est-à-dire à la partie la plus nombreuse mais la moins privilégiée de la population par rapport au clergé et à la noblesse. Gilles Clément cite ainsi le pamphlet publié par l'abbé Sieyès en 1789 : « Qu'est-ce que le Tiers Etat ? – 12

Tout. Qu'a-t-il fait jusqu'à présent ? – Rien. Qu'aspire-t-il à devenir ? – Quelque chose. » . Selon Antoine Burret, le mot tiers à un sens historique. C’est un « Élément qui unifie un ensemble hétérogène d’individus autour d’une histoire commune ». Figure abstraite, confuse, en devenir, à l’instar d’Hannah

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Oldenburg, Ray., The great good place : cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons, and other hangouts at the heart of a community, Marlowe, 1999 10 Clément, Gilles, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Éditions Sujet/Objet, 2004. 11 Ibid. p.3 12 Ibid. p.4

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Arendt pour qui le Tiers monde n’est pas une réalité mais une idéologie, une représentation subjective du monde. Le mot tiers fait ainsi référence à une une transition, un passage d’un état à un autre et non en un état qui existe déjà. Le lieu (topos) est quant à lui un terme vague qui peut se définir à la fois physiquement, temporellement et socialement. Si l’on analyse les définitions du mot lieu provenant du cnrtl, il est d’abord défini par une « portion déterminée de l’espace ». On peut alors introduire la notion de spatialité, qui se définit d’un point de vue sociologique par un « espace vécu, fondement de toute relation significative entre un sujet et son environnement ». Le terme lieu est donc caractéristique d’un espace physique où l’on interagit. D’un point de vue physique, le lieu fait aussi référence à la « relation par laquelle un objet (ou le déroulement d'un procès) est situé dans l’espace ». Il n’est pas seulement caractérisé par l’espace spatial en tant que tel mais aussi par les objets qui entrent en interactions dans cet espace. Le lieu peut donc dépendre d’un référentiel physique et mobile et par conséquent être perçu de manière subjective. Il peut également être défini par sa qualité topographique ou historique. C’est un mot qui peut être destiné spécifiquement à quelque chose. Selon Michel de Certeau, l’espace serait donc au 13

lieu ce que devient le mot quand il est parlé . A une échelle plus large, le terme lieu vient en complément et précise « l’endroit où l'on est, où l'on va, et par où l'on passe ». Il renvoie donc à une localité, un pays, au déplacement. Enfin, d’un point de vue sociologique, le lieu peut suggérer la position ou la situation dans une hiérarchie sociale ou politique. De même, elle peut signifier la place, le rang, la portion de l'espace qui est assignée, réservée à une chose ou à une personne. Le lieu a donc également une signification sociale. Le sens de cette définition suggère ainsi une interprétation et appropriation singulière et renforce le caractère ambigu de ce que peut renvoyer sa fonction. Le terme est ainsi aussi vague que la représentation que l’on se fait d’un tiers-lieu.

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De Certeau, Michel, « L’invention du quotidien » ,p.173, Editions Folio Essais, 1990

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A.

La%notion%de%tiers.lieu%:%un%trop%large% spectre%de%lieux% 1.

Une définition minimale du tiers-lieu a)

Une histoire basée sur un besoin social

D’après l’analyse de Oldenburg, les tiers-lieux se sont développés aux Etats-Unis, suite au contexte économique des années 80. Après la seconde guerre mondiale, la politique mise en place aux Etats-Unis a provoqué un étalement urbain sans équivoque. La construction de grandes banlieues aménagés de pavillons résidentiels dans les périphéries avait pour but premier de capter une population afin d’améliorer son milieu de production et de vie. Cependant, à la différence de l’Europe, l’ensemble des commerces de proximité et autres lieux

Figure 1: le phénomène d’ « Urban Sprawl »

conviviaux soumis aux réglementations d’urbanisme furent

http://danielkimsgeographyblog.blogspot.com/2011/03/ urban-sprawl-and-consolidation.html

prohibés. Dès lors, les classes moyennes et moyennes supérieures emménageant ces banlieues sont obligées de prendre la voiture chaque jour pour faire le trajet entre la maison et le travail. De ce fait, Oldenburg observe la dégradation des liens sociaux et démontre ainsi l’importance des 3e lieux, comme les bars, et dans une certaine mesure les bibliothèques, qui selon Antoine 14

Burret , « sont le reflet de cet entre-deux et la forme la plus 15

aboutie ». En effet, dans son livre, Burret montre que finalement le 3e lieu a toujours existé sous différentes formes : la double fonction lieu de travail/lieu de sociabilité de ces espaces jalonne l’histoire culturelle occidentale. Selon Jean Giono, Homère aurait écrit l’Odyssée dans une taverne, tout comme Hemingway qui passait son temps à composer dans les cafés parisiens. C’est pourquoi Oldenburg, dans son étude, insiste sur la grande importance sociale et le regret de l’absence de tiers-lieux dans les plans de conception des nouvelles urbanités. En effet, les 14

Sociologue, Antoine Burret est diplômé en management et politiques culturelles dans les Balkans, et doctorant en socio-anthropologie au Centre Max-Weber, université Lyon-II. 15 Burret, Antoine. 2015. Tiers-lieux Et plus si affinités. p.68, Limoges: FYP EDITIONS.

14


tiers-lieux sont les seuls endroits où les débats peuvent perdurer. « The conversational superiority of the third place is also evident 16

in the harm that the bore can inflect ». Ce sont des endroits où les conversations peuvent encore avoir du sens. En 1889, Alphonse Daudet décrit les débits de boissons comme les seuls lieux d’opposition au lendemain du coup d’Etat de 1851 de Bonaparte « [...] ces réunions de jeunesse studieuse et généreuse, véritables écoles d’opposition, ou plutôt de résistance légale, demeurent les seuls endroits où pouvait encore se faire entendre une voix libre ». Didier Nourrisson

17

constate l’horizontalité des échanges

générées par ces lieux. « La microsociété du café rural est une démocratie. Le fermier côtoie le propriétaire, l’ouvrier agricole y 18

serre la main du maître ». Pour ces auteurs, le tiers-lieu est donc un lieu public de débauche, un lieu rencontre, de convivialité, de culture, un lieu où l’on parle et où on fait de la politique. En 1997, Starbucks tire parti des attributs positifs de la notion de 3e lieu. En effet, le directeur affirme son intention de faire des cafés des endroits familiers, confortables, accessibles, avec un accès à la Wi-fi pour faciliter les rencontres informelles. Son but: prendre position sur les usagers émergents. Il vise une clientèle bien particulière : urbaine, dynamique et mobile. Ce sont des cadres, entrepreneurs, et travailleurs indépendants. Selon Richard Florida, elle correspond à la « classe créative

19

». La

communication soignée de la marque fait de Starbucks un 3e lieu où l’on peut rencontrer ses amis, découvrir de nouvelles personnes, organiser des réunions professionnelles, travailler sur un ordinateur. Se caractérisant comme bien plus qu’un simple café, Starbucks vend surtout une nouvelle façon de travailler

Figure 2 : Aménagement d'un Starbucks https://www.starbucks.fr/about-us/notreenterprise

16

“Les conversations au sein des tiers-lieux sont évidemment supérieures face à l’inflation de propos ennuyeux voir méchants que peuvent provoquer certains discours “ traduction de l’auteur Oldenburg, Ray., The great good place : cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons, and other hangouts at the heart of a community, p.29 Marlowe, 1999 17 Professeur d'histoire contemporaine à l'IUFM de Lyon, spécialiste de l'histoire des comportements, des pratiques sociales et des politiques en matière de santé publique. 18 Burret, Antoine. 2015. Tiers-lieux Et plus si affinités. p.70, Limoges: FYP EDITIONS 19 Pour l’économiste Richard Florida, la classe créative regroupe les personnes qui élaborent de nouvelles idées, technologies et contenus créatifs comme les métiers de la haute technologie, du divertissement, du journalisme, de la finance, ou de l’artisanat d’art. Martin-Brelot, Denis Eckert & Michel Grossetti & Hélène. « La classe créative au secours des villes"? » La Vie des idées, 28 février 2012. http://www.laviedesidees.fr/La-classe-creative-ausecours-des.html.

15


davantage basée sur l’entreprenariat. La notion arrive en France qu’à partir des années 2000. Grâce au contexte

de

développement

des

politiques

favorisant

le

télétravail et l’entreprenariat numérique, le phénomène des 3e lieu et le développement des Starbucks en France explose. Cependant, les cafés traditionnels sont abandonnés, passant de 200 000 en France à moins de 40 000. C’est ainsi que Third place laisse place à tiers-lieu. Le tiers devient l’entre-deux, le terme qui qualifie et synthétise le lieu où l’on est comme à la maison et où l’on travaille comme au bureau. Selon Burret, il s’agit donc « de la réunification d’une dualité entre à la fois un ressenti (se sentir comme à la maison) et comme une 20

activité (où l’on travaille) » . On assiste alors à l’essor des télécentres et espaces de travail collaboratif (coworking). Le terme tiers-lieu est alors utilisé pour tout et par tout le monde et offre la possibilité de nouer des relations sociales. C’est pourquoi cette notion reste imprécise et indéfinissable. Figure 3 : Espace de travail : La Cordée, Lyon Opéra,http://www.lacordee.net/cordee/lyon/opera/

b)

Des non-lieux aux hyper-lieux

Il est également intéressant de comparer cette définition de Ray Oldenburg avec celle de Marc Augé qui, lui, qualifie ces espaces de consommation de « non-lieux ». Ce sont des espaces interchangeables où l’être humain reste anonyme. Ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes que les moyens de transports eux-mêmes. En effet, pour lui, l’homme ne vit pas ces espaces et ne se les approprie pas. Il est tout le contraire d’une résidence, d’un lieu au sens commun

du

terme.

Les

non-lieux

font

référence

à

la

« surmodernité du monde contemporain » caractérisé par ses excès comme la difficulté à percevoir l’usage du temps, le changement d’échelle de la terre et les modifications physiques considérables des espaces (concentrations urbaines, transferts de

populations..).

Ils

font

également

référence

à

l’individualisation des populations au sein des territoires, qui 20

Burret, Antoine. 2015. Tiers-lieux Et plus si affinités. p.71, Limoges: FYP EDITIONS

16


entend interpréter par et pour lui-même l’ensemble des informations qui lui sont délivrées. « Le monde de la surmodernité n’est pas aux mesures exactes de celui dans lequel nous croyons vivre, car nous vivons dans un monde que nous n’avons pas genre appris à regarder. il nous faut réapprendre à penser l’espace

21

». Cela diffère avec la définition d’Oldenburg où

ces lieux interchangeables sont le moyen pour chacun d’échanger et de communiquer. Pour Augé, cette surmodernité produit des non-lieux qui ne sont ni des lieux identitaires, ni 22

relationnels, ni historique. Cependant, selon Vincent Decombes , dans les non-lieux, « on est à la fois toujours et plus jamais « chez soi ». ». Ces espaces seraient donc caractéristiques d’un entredeux où la frontière entre le confort de nos habitudes individualistes et la découverte de nouvelles interdépendances indéterminable au sein des espaces. Pour Augé, les non-lieux correspondent à deux réalités complémentaires mais distinctes qui sont à la fois des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir) mais aussi le rapport entretenu par les individus avec ces espaces (mots, textes). Cela pose alors inévitablement la question de la notion d’Habiter un lieu, un espace et de la perception que l’on se fait d’un élément. Tout dépend de la vision de chacun, de ses interactions dans un espace donné et de sa capacité à s’approprier un espace. Selon Heidegger, ce n’est pas que se loger, mais « être sur terre comme mortel » , c’est à dire une expérience du monde. Pour Henri Maldiney, c’est « entrer en connexion avec le lieu ». Cela nécessite d’être engagé. Se rendre dans un tiers-lieu est 23

donc une expérience qui nous transforme . Ainsi, les hypers-lieux, caractérisés par Michel Lussault

24

tendent

davantage vers la définition du tiers-lieu. « Des lieux intenses où

21

Augé, Marc, Non-Lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992 Seuil, Paris. Philosophe français, spécialisé dans la philosophie de l’esprit 23 Cattant, Julie, Conférence n°1 “enjeux urbains & enjeux humains, [re]habiliter le monde”, incertitude, un monde [in]habitable, 27 novembre 2017. 24 Géographe français 22

17


25

s’inventent des nouvelles formes de vie politiques et sociales ». Connecté sur le monde par les réseaux-sociaux, l’intensité des regroupements par affinité à différentes échelles engendre un bon nombres d’expériences partagées.

c)

Différentes approches pour des enjeux similaires

Par la définition démontrée plus haut, il n’y a donc pas un tiers-lieu mais des tiers-lieux. Ils qualifient une posture existentielle d’un dispositif, avec une volonté affirmée de générer des liens communautaires entre ses usagers. Aujourd’hui, on peine encore à définir cette notion qui est complexe tant à la fois dans son étymologie, son historique, sa programmation mais également par ses usages au sein d’un espace. Terme incertain, où chacun détermine sa propre définition, il est d’autant plus compliqué d’établir des typologies fixes puisque, selon Laurence Dahan-Gaida, il est possible de qualifier tout espace comme un tiers-lieu « dès lors qu’on met en place un dispositif contribuant à la formation d’un bien commun, une manière de « faire autrement » ». Selon elle, « le lieu de la relation, n’est pas tant le lieu de l’échange que celui où le message se change : il est un lieu de médiation et d’innovation, d’émergence pour des significations 26

nouvelles ». 27

Pour la coopérative des tiers-lieux , le tiers-lieu a davantage une

Figure 4 : Pourquoi travailler autrement ? Etude de la Coopérative des tiers-lieux https://coop.tierslieux.net/la-cooperative/donnees/

représentation culturelle que cadastrale. Elle a davantage une approche tournée vers le travail communautaire virtuel. Les tierslieux permettent aux actifs de travailler à distance, à proximité de leur domicile et dans le même confort, dans des lieux aussi bien équipés et aménagés que l’entreprise.

25

Lussault MichelHyper-lieux : les nouvelles géographies de la mondialisation « Les hyper-lieux : une nouvelle espèce d’espace ». Les Inrocks. Consultation le 12 janvier 2019. https://www.lesinrocks.com/2017/02/18/idees/hyper-lieux-nouvelle-espece-despace-11913609 26

Dahan-Gaida, Laurence, Logiques du tiers : littérature, culture, société,p.24, Presses Univ. Franche-Comté, 2007 27 collectif constitué de créateurs et animateurs de tiers-lieux qui se sont réunis pour partager leurs expériences avec d’autres porteurs de projets et pour faire connaître ces nouvelles organisations du travail. Consulté le 5 janvier 2019, https://coop.tierslieux.net/la-cooperative/historique/

18


28

Le Medialab du MIT , par exemple, fonctionne sur le mode interdisciplinaire. Le rapprochement de différents spécialistes est original dans un monde scientifique aux approches protocolaires. Ici, le monde des sciences propose un centre pour faire de la recherche par le projet et l’expérimentation. Dès lors, l’innovation repose sur l’abondance des connaissances mobilisées et la capacité des usagers à concevoir des solutions originales et différentes de celles prévues initialement par les concepteurs. C’est pourquoi la coopérative des tiers-lieux a annoncé de plus débattre « sur la terminologie « tiers-lieux » car il y a autant de définitions qu’il y a de modèles ou d’usages de ces espaces. Les modes opératoires sont différents mais dans les faits [ils sont] tous d’accord sur l’aspect du travailler autrement

29

».

Antoine Burret affirme l’aspect sociologique de sa définition. Ce sont des lieux de « configuration sociale où la rencontre entre les entités individuées engage intentionnellement à la conception de représentations communes L’agence Prima Terra

31

30

».

a davantage une vision spatiale. Sa

plateforme « Créativité & Territoires »

a pour mission de

généraliser des modèles ouverts collaboratifs et responsables. Une communauté diverse publie du contenu, conçoit et anime des événements locaux et nationaux ce qui nourrit le débat public. Peu importe l’approche observée, l’enjeu commun réside dans les relations portées par individus pour faire évoluer la

Figure 5 : Des espaces hybrides http://prima-terra.fr/

société.

Le caractère foisonnant et instable des tiers-lieux justifie cette réticence à l’égard des tentatives de définition et catégorisation de ces espaces. En effet, la diversité d’initiatives marque le choix de garder ce concept en mouvement, à la capacité à se réinventer en continu. 28

MIT : Massachusetts Institute of Technology. Le MIT Media Lab est un labo de recherche interdisciplinaire qui encourage les échanges non conventionnels et l’association de domaines de recherche apparemment disparates. 29 Extrait de la définition de tiers-lieu de la Coopérative des tiers-lieux. Consulté le 5 janvier 2019, https://coop.tierslieux.net/la-cooperative/historique/ 30 Burret, Antoine, « Etude de la configuration en Tiers-Lieu : la repolitisation par le service ». Phdthesis, 2017, Université de Lyon. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01587759/document. 31 « L’ART DE FABRIQUER l’alchimie heureuse - PrimaTerral’Agence BÊTA v22 07 2015.pdf ». Le Cloud par esprit libre. Consultation le 12 janvier 2019. https://cloud-esprit-libre.ovh/index.php /s/OTa1hP7gJlcYQtP.

19


Les tiers-lieux accueillent tous les fantasmes, désirs, besoins collectifs d’une génération d’individus à la recherche de repères. Ce grand monde où réside l’ensemble des lieux de partage, les tiers-lieux appartiennent à différentes catégories d’espaces et de transitions : scientifiques,

écologiques, sociales, numériques, culturelles, démocratiques,

citoyennes,

alimentaires,

organisationnelles.

Néanmoins trois typologies se distinguent. Selon l’étude du 32

Baromètre Actineo/CSA de 2016 , les tiers-lieux sont composés de tiers-lieux de travail, de tiers-lieux publics et de tiers lieux d’innovation. Au sein des tiers-lieux de travail, favorisant ainsi l’entreprenariat, 96% des personnes sont salariée: soit au sein des locaux d’entreprises (55%), soit au domicile (43%), soit au sein des locaux des clients (28%). Si on prend la définition d’un tiers-lieu de manière très large, quasiment l’ensemble des salariés travaille déjà en dehors de l’entreprise.

Concernant les tiers-lieux publics, c’est à dire l’ensemble des lieux qui deviennent « partagés », comme les restaurants, cafés, transports en commun, les espaces voyageurs trains/aéroports, les hôtels, les bibliothèques publiques, 54% des cadres salariés utilisent ces lieux, ces « non-lieux » caractérisés par Marc Augé. (restaurants, cafés, transports en commun, espaces voyageurs trains, aéroports, hôtels, bibliothèques publiques.

Selon le baromètre Néo-Nomade, trois fois plus de tiers-lieux se sont créées en six ans. En 2016, ils ont ainsi relevé 816 espaces de travail (espaces de coworking ou télécentres). Bars, commerces, cafés internet n’avaient pas pour but premier d'accueillir les travailleurs. La montée du numérique a provoqué cette rencontre entre ces lieux d’échange et le travail.

32

Chiffres extrait du rapport Actineo/CSA de 2015. Consulté le 5 janvier 2019 http://www.actineo.fr/article/barometre-actineocsa-2015

Figure 6 : Les tiers-lieux en France http://tcrmblida.com/les-espaces

20


Pour finir, les tiers-lieux d’innovation sont représentés par 24% des

salariés.

Les

makerspaces,

Fablabs,

Living

Labs,

Hackerspaces, laboratoires urbains, les incubateurs, les smartcity, sont à la fois des lieux transformés, créés de toute pièce ou des lieux reconquis. Dans le contexte socio-politico-économique actuel, les tiers-lieux d’innovation permettent de réaliser un produit sous un format collaboratif et contributif. Il peut-être de l’ordre

de

cellules

crowdfunding

d'innovation

urbain,

stratégies

ouverte, de

lieux

plateformes

de

partagés,

kit

d’intervention urbaine.

La plateforme communautaire TCRM - BLIDA (Metz-Marseille), peut regrouper divers types de tiers-lieux au sein d’un immense centre de création de 25 000m2.

De même, à Sarcelles, de

nouveaux événements participent à l’innovation sociale. En octobre 2016, la soirée disco soupe a contribuée au partage de nourritures, savoirs, compétences pour venir en aide aux sansabris et aux migrants.

Figure 7 : Différentes programmations http://tcrmblida.com/les-espaces

Ces tiers-lieux peuvent être éphémères et reposent sur un travail commun ponctuel, dans un temps donné. Des individus aux intérêts divers travaillent sur le développement de projets communs. Cependant, la programmation n’est pas suffisante au sein du tiers-lieu. Il y un réel besoin de médiation pour gérer les échanges entre les individus et les espaces entre l’intérieur et l’extérieur.

La

Casemate

de

Grenoble

33

développe

des

expositions

interactives, des événements comme la fête de la Science, La Maker Faire, permettant la rencontre avec des intervenants de toutes sortes (scientifiques, youtubeurs…). Les valeurs de ce type de lieux reposent sur la durabilité

Figure 8 : Campagne publicitaire Maker Faire Grenoble https://lacasemate.fr/wpcontent/uploads/2018/0 2/Maker-Faire-Grenoble-2017_TousMakers.pdf

(l’autonomie et la libre expression), l’aspect communautaire (le partage des mêmes valeurs, incarné par le modèle de 33

Centre de culture scientifique (CCSTI) fondé en 1979 à l’initiative de représentants des universités et centres de recherche locaux et des collectivités locales. Consulté le 5 janvier, https://lacasemate.fr/qui-sommes-nous/lacasemate/

21


gouvernance), l’ouverture (l’inscription de ses

actions sur un

territoire), l’accessibilité (la non-discrimination à tous types de projets), et la coopération (la création de liens sociaux professionnels et hors professionnels). Différents structures d’aménagements sont possibles. Une portion d’espace délimité peut être spécifique à un tiers-lieu comme une salle au sein d’une université, école, mairie, entreprise. De même, un espace public peut être considéré comme un tiers-lieu tout comme les pépinières d’entreprise, les réunions de copropriété, le restaurant. Pour cela, différents outils sont mis à la disposition des usagers ; locaux meublés et équipés à des prix préférentiels, espaces de travail, machines de fabrication numérique, ordinateurs.

2.

La construction d’un imaginaire commun a) 34

Selon Movilab

Concilier collectif et individuel 35

et le manifeste des tiers-lieux , le tiers-

lieux correspond à une « interface ouverte et indépendante permettant l’interconnexion ainsi que le partage de biens et de 36

savoirs » . C’est donc un espace neutre, physique ou virtuel où interagissent des individus de manière informelle. Ainsi, la forme du lieu dépend du collectif qui le porte et du territoire qui l’accueille. L’enjeu premier du tiers-lieu est de travailler autrement, ensemble. Il peut être représenté comme une zone

37

indéfinie. Le

tiers-lieu peut ainsi s’étendre jusqu’au territoire, au delà de la simple limite physique du bâtiment. Sa spatialité permet de déterminer la fonction précise et unique du lieu par une volonté 34

Méthodologie de documentation libre d’actions remarquables en open source qui s'appuie principalement sur la configuration sociale et le processus singulier des Tiers Lieux pour être mise en œuvre localement « Movilab.org ». Consulté le 5 novembre 2018. http://movilab.org/index.php?mobileaction=toggle_view_mobile. 35 Ouvrage collectif qui vise à améliorer la compréhension de la dynamique des Tiers-Lieux de manière à diffuser ses valeurs et à démultiplier son impact sur la société. 36 « Manifeste – TiLiOS – Tiers Lieux Libres et Open Source ». Consulté le 5 novembre 2018. http://tierslieux.org/manifeste/. 37 Le terme zone ici est définie par la partie d’un terrain, étendue de territoire sur laquelle s’exerce un certain type d’activité. Le zonage accompagne la lisibilité d’un espace, c’est, par exemple, une manière de se repérer sur un terrain vague.

22


structurelle ou esthétique. Mais dans ce cas, le tiers-lieu est amené à évoluer et se renouveler. Sa vocation sociale permet une connexion aux autres espaces du territoire en amenant un échange humain. Chaque zone d’un tiers-lieu donne lieu à une manière différente d’investir et de partager l’espace.

Le tiers-lieu est donc à l’image des personnes qui les font vivre. Il qualifie une posture ontologique au sein d’un dispositif, dont le but est d’établir des liens fédérateurs entre les usagers. Dans une société de souffrance au travail qui ne se fait plus confiance, entreprendre, vivre ses passions, rencontrer, développer ses idées, partager un projet collectif deviennent de véritables enjeux sociaux.

Des livings labs urbains à l’image du Nantes City Lab défendent un processus de co-création avec les habitants dans des conditions réelles.

Figure 9 : Construction d’une vraie maison d’habitat social en 3D https://www.nantesmetropole.fr/actualite/l-actualitethematique/nantes-city-lab-le-laboratoire-de-toutesles-innovations-nantaises-emploi-economie92892.kjsp

Le travail est basé autour d’un référentiel commun qui se décrit par des dialogues et échanges, ce qui signifie qu’il n’y a pas de leader défini. Le tiers-lieu permet ainsi de modifier les pratiques de travail et proposer des approches alternatives où l’on peut développer des projets au spectres plus larges entre les domaines artistiques et scientifiques. Dès lors, l’innovation repose sur l’ampleur des connaissances mobilisées et la capacité des usagers à concevoir des solutions originales et différentes de celles prévues initialement par les concepteurs.

23


b)

Stimuler les interactions communes 38

« Un tiers-lieu ne se crée pas, il se révèle ».

Ces troisièmes lieux sont caractérisés par une ambiance agréable, où les relations avec les individus sont courtoises. Les tiers-lieux sont donc des lieux qui stimulent les interactions sociales. En effet, ils permettent de nouer davantage de liens entre les acteurs hétérogènes. L’implications des individus par le biais de workshops, ateliers participatifs, créatifs permet une vision plus ouverte. Ainsi, les échanges informels sont favorisés permettant des rencontres inattendues. Ce sont des endroits accessibles, avec des horaires flexibles. La simplicité du décor permet alors à l’usager de se l’approprier. Ainsi, les membres de

Figure 10 : Principes du Living-Lab Nancy http://lf2l.fr/fr/concept/

la communauté et le monde extérieur sont interconnectés. Le cadre de vie proposé donne lieu aux usagers l’occasion de revenir régulièrement au sein du lieu et leur permet de construire petit à petit une structure communautaire. Il provoque alors un sentiment d’appartenance au lieu qui agit comme « une maison hors de la maison »

39

et produit une confiance tacite entre les

individus, un comportement naturel voire familial. La diversité des usagers favorise la rencontre avec des populations et permet un apprentissage varié où les relations sont basées sur une forme de camaraderie occasionnelle, distinguées des liens d’amitié.

Ces espaces sont une nouvelle génération de lieux qui évoluent en fonction de ceux qui les font vivre. Les usagers appartiennent donc à une communauté qui s’est appropriée les lieux où la liberté d’être et de faire s’impose. « Pansement, interférence, vecteur de soulagement , support naissant d’un tremblement » , ces espaces sont pour A.Burret, un phénomène qui ne va qu’accroître. La force productive engendrée mobilise les compétences à disposition en fonction des besoins du projet. 38 39

Burret, Antoine,Tiers-lieux Et plus si affinités,p.50. Limoges: FYP EDITIONS, 2015.

Ibid.

24


Cependant, un tiers-lieu ne se résume pas à son aspect matériel. il relève davantage d’un processus qui va permettre aux usagers de s’approprier l’interface. il y a donc une mise en mouvement au sein de ces zones. L’intérêt de ces lieux réside alors au sein de ces interactions.

B.

Une vocation sociale avérée 1.

Une méthode d’innovation ouverte

Cette approche expérimentale amène à développer des initiatives d'innovation sociale locales. Le but est de faciliter la production commune en amenant les habitants vivant à proximité des tiers-lieux à participer à ces interactions. Les tierslieux sont une manière d’articuler différentes ressources d’un territoire pour générer de nouvelles valeurs. Ces initiatives d’innovation sociales permettent de « fabriquer du souvenir commun ». L’usager a ainsi l’impression de participer à quelque chose de plus grand que lui.

Figure 11 : Conception design de nouveaux services de territoire – Imaginations fertiles , fév 2016 https://www.imaginationsfertiles.fr/creativiteet-innovation-au-service-de-lentreprise/

Deux rapports d’échanges sont visibles : un rapport classique basé sur une approche marchande ou non marchande. On observe alors une consommation basique au sein du tiers-lieu. Une deuxième version participe et améliore des services existants au sein du tiers-lieu. L’individu travaille avec d’autres personnes, donne de son temps et offre un service. L’utilisation active du lieu peut permettre l’amélioration de certains logiciels voir même l’installation d’un nouveau service au sein du lieu.

Figure 12 : Deux rapports d’échanges : un rapport d’échanges classique et un rapport participatif basé sur l’amélioration des services existants. Source : Auteur

A travers ces objectifs ambitieux, l’un des enjeux est d’impliquer le plus grand nombre d’acteurs et de favoriser les initiatives ascendantes. Le travail au sein des tiers-lieux repose sur l’ouverture, la collaboration, l’échange, l’interdisciplinarité, et la co-production. L’utilisation de la technologie au sein des lieux est un des facteurs à l’origine de cet engouement pour les tiers-lieux.

25


Ils sont un moyen d’expérimenter, de chercher à comprendre par l’utilisation et le détournement de machines, au travers de pratiques, systèmes, outils divers que se crée chaque institution. Ce phénomène de « résilience transformatrice » permet d’améliorer la qualité de vie.

2.

Des modèles de gouvernance40 qui favorisent le droit à l’erreur

Le modèle économique des tiers lieux est avant tout hybride. Il émane de plusieurs sources de financement : subventions, adhésions, locations, prestations, crowdfunding… Les formes d’association de même que les règles communes qui régissent les organisations peuvent alors être modifiées.

De même, les

réglementations au sein des tiers-lieux sont

flexibles. La gouvernance repose sur trois points clés. L'Open Process, Le FeedBack et la Bienveillance. Il ya une totale liberté d’expression et d’action à partir du moment où la restitution est transparente c’est-à-dire rendue lisible, visible et accessible. De

Figure 13 : Co-production avec les habitants d’un projet de régénération urbaine dans le quartier Virgen de Begoña à Madrid, Paisaje Transversal) https://paisajetransversal.com

même, il est nécessaire de documenter, et partager l’ensemble des faits qui ont fonctionné ou non dans le projet. Pour finir les tiers-lieux ne jugent pas un projet mais fonctionnent par la coopération.

Chaque individu peut ainsi poursuivre ses intérêts personnels. Le but de ces lieux n’est pas d’instaurer une hiérarchie. Cependant, on peut voir apparaître des dénominations bien précises comme le facilitateur ou la conciergerie

41

qui sont les médiateurs et

référents de ces espaces ouverts.

On peut alors se demander si se rendre dans ce type de lieu est un acte social, un besoin de voir et d’être vu en pleine activité, ou 40

exercice du pouvoir, reposant sur une plus grande ouverture du processus de décision, sa décentralisation, la mise en présence simultanée de plusieurs statuts d’acteurs. Pitseys, John. « Le concept de gouvernance ». o Revue interdisciplinaire d’études juridiques Volume 65, n 2 (2010): 207-28, p.18. https://www.cairn.info/revueinterdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2010-2-page-207.htm. 41

Processus d'accueil et d'animation d'un Tiers Lieux. Il se formalise par l'action du concierge qui met en relation les compétences, les ressources et les volontés de chacun au sein d'une communauté. http://movilab.org/index.php?title=La_conciergerie consulté le 11 janvier 2019

26


un acte politique. Pour la coopérative des Tiers-Lieux, il « ne [faut] pas attendre de permission pour agir mais se mettre en capacité de le faire. Autrement dit, d’acquérir un niveau de savoir assez grand pour élaborer un service offrant un pouvoir de décision. C’est une chose de manifester contre le système économique, ça en est une autre que de travailler à l’élaboration d’un service bancaire dont la gouvernance serait partagée par chacun de ses 42

usagers ». Travailler dans un tiers-lieu est donc une critique en acte où le travail sert à traduire ses valeurs morales et politiques en valeurs juridiques et économiques. Ainsi, par le biais des tiers-lieux, les individus ont la possibilité de s’engager ensemble, mais sans être liés par des relations contractuelles ou hiérarchiques, pour concevoir des services visant le bien commun

43

et l’amélioration

des modes de vies durables. Favoriser les liens sociaux sans proposer la logique économique en amont est un enjeu majeur. La communauté apporte ainsi une troisième valeur vers une philosophie culturelle, collaborative qui tend

vers

l’économie

sociale

&

solidaire.

L’agencement

réglementé des relations de même que les intérêts individuels permettant la création entrepreneuriale mais diffère des starts-up où l’enjeu est de produire une valeur marchande.

3.

Le lieu : un ancrage physique majeur

Selon Antoine Burret, les tiers-lieux symbolisent « l’interface entre les services marchands et non marchands

44

».

C’est un « ancrage localisé où les savoirs, les idées, les concepts 45

rencontrent ceux qui les font vivre et évoluer au quotidien ».

Le patrimoine informationnel commun réside à la fois dans ses murs par les ressources matérielles qui y sont alloués mais

42

« Tiers-lieux": les nouvelles fabriques du bien commun ». ConsoCollaborative (blog), 21 septembre 2016, Consulté le 10 décembre 2018, http://consocollaborative.com/reportage/tiers-lieux-les-fabriques-du-biencommun/. 43 Ensemble de ressources dont l'appropriation, la jouissance ou l'exploitation est collective. (Larousse) 44 Burret, Antoine,Tiers-lieux Et plus si affinités,p.104. Limoges: FYP EDITIONS, 2015. 45 Ibid. p.92

27


également par la communauté qui apporte la ressources au sein des plateformes, logiciels, différents services qui animent le tierslieu. Selon Burret, l’espace physique correspond au « boîtier », et ne suffit pas à la réalité même d’un tiers-lieu. En effet, les tierslieux se caractérisent par des lieux neutres, qui réduisent les relations hiérarchiques de travail, les différences sociales, et favorisent les rencontres informelles et personnelles. La réunion de travailleurs nomades a juste besoin d’un poste de travail et internet. Cependant, la convivialité et la flexibilité des tiers-lieux (atmosphère ludique, créative) sont tout aussi essentielles pour créer un sentiment de vie communautaire. Cela crée ainsi des relations

de

confiance

entre

les

différents

acteurs

socioéconomiques et culturels, qui ont des habitudes de travail et logiques de pensées qui leurs sont propres. 46

De même Martine Azam, Nathalie Chauvac et Laurence Cloutier

affirment l’importance du rôle du lieu qui accueille les activités. Il sert tout d’abord de prétexte car le besoin d’un local pour se réunir est essentiel. Mais le lieu peut également se comporter

Figure 14 : Barcelone, Valldaura Self Sufficient Labs http://valldaura.net/spaces/

comme élément catalyseur dans la construction du tiers-lieu. Il est à la fois une ressource et une contrainte. Il participe à la création d’une identité collective et permet d’exister aux yeux des partenaires pour des demandes de soutien. Mais il engage vers la recherche de nouveaux modes de financements dans les activités économiques pour financer les charges qui lui sont attribuées. Chaque tiers-lieu a une personnalité qui lui est propre qui est directement rattachée à l'endroit d'implantation du tiers-lieu. C’est

pourquoi,

deux

tiers-lieux

similaires

seront

parfois

totalement différents tout en assurant que ces différentes approches

amènent

à

une

multiplication

des

biens

informationnels collectés dans chacun d'eux. Plusieurs institutions tels que les bibliothèques, les centres socio-culturel, les espaces publics numériques cherchent à 46

Azam, Martine, Chauvac Nathalie, et Cloutier Laurence. « Quand un Tiers-lieu devient Multiple » p.13, 2017 https://hal-univ-tlse2.archives-ouvertes.fr/hal-01519640

28


redéfinir leur architecture et leur organisation intérieure pour attirer un nouveau public et répondre aux nouvelles attentes des usagers. Ils tentent de se rapprocher, autant que chaque institution le permet, de la définition du tiers-lieu. Au delà de la simple programmation, multitâche, comment faire pour cet incubateur de nouvelles formes de création diffère d'un lieu traditionnel ?

C.

Un processus de « tangibilisation47 » 1.

Une nouvelle approche culturelle basée sur la culture libre

« La majorité des tiers-lieux ne fonctionnent pas sur un système de concurrence et cherchent à voir leur initiative se reproduire ailleurs, ils ne se basent pas sur un système de patrimoine informationnel classique mais sur des biens communs informationnels

alimentant

un

patrimoine

informationnel

48

commun ».

La numérisation des savoirs permet le partage sur des plateformes ouvertes à tous. Ce patrimoine informationnel est modifiable et améliorable par tous. Cela a été grandement facilité par la culture libre et le développement des licences libres informatiques. Cellesci ont évolué en ne s'appliquant plus seulement aux codes-sources

Figure 15 : plateforme open-source OUI SHARE, réseau international qui réinterroge, expérimente et déconstruit les myhtes de notre époque. https://www.ouishare.net/our-dna

logiciels mais également à toute documentation nécessaire à entamer une initiative citoyenne. Nous utilisons tous aujourd’hui cette culture libre lorsque nous faisons une recherche sur wikipédia. Le parallèle entre la culture libre, les logiciels libres et les tiers-lieux ne s'arrêtent pas là. La mention au principe de dictateur bienveillant, meneur, personnage charismatique et de confiance établi au sein de la culture libre est reprise dans le modèle de gouvernance d'un tiers-lieu. Cette dynamique remet néanmoins en cause de la propriété intellectuelle classique et de promotion du « libre » ou de « l’open source ». 47 48

Terme utilisé par A.Burret pour qualifier le passage d’une donnée virtuelle à une réalité tangible. « Movilab.org ». Consulté le 5 novembre 2018. http://movilab.org/index.php?mobileaction=toggle_view_mobile.

29


Selon

Antoine

Burret,

l’utilisation

d’un

mot

complexe

et

historiquement marquée tel que tiers n’est pas un hasard. La motivation à fréquenter les lieux tiers est intimement liée avec une forme d'inadéquation avec les institutions (qu’elles soient formelles ou informelles). L’entrepreneur travaille en fonction de ses opportunités auxquelles les normes ne peuvent répondre. Lorsque les institutions ne sont plus à même de répondre aux attentes, la mise en place de négociations provoque une évolution des

réglementations

sous

forme

de

remaniements,

d’arrangements, pour redonner une stabilité à l’institution. De même pour les tiers-lieux, les entrepreneurs créent leur propre système de gouvernance pour une meilleure qualité de vie. L'entrepreneuriat a plusieurs raisons pour ne pas être intégré au marché du travail : elle peut-être volontaire, contraire à l’éthique, ou tout simplement inadaptée.

2. Le tiers-lieu : l’interface d’une méthode de production d’un service Pour que des travaux effectués soient mis en ligne et accessibles à d’autres tiers-lieux, à l’instar des travaux de recherche, il y a un gros travail de documentation sur l’ensemble d’un sujet. « La plateforme de partage de connaissances est 49

l’artefact digital censée générer le partage des connaissances ». La production immatérielle se partage alors entre une ou plusieurs communautés. Selon Burret, le processus d’un tiers-lieu suit cette logique. Le

Figure 16 : La MYNE : laboratoire citoyen des transitions. https://www.lamyne.org/project/

développement d’une solution technique contribue à la production d’un document qui prend la forme d’un cahier des charges. De ce fait, cette production commune est partagée au niveau d’une plateforme. Il y a donc un don de temps et une mise en commun des données qui est maintenu dans la durée. En effet, au sein de ce cahier des charges, les individus ajoutent, modifient, améliorent le contenu qui se construit et s’enrichit au fil du temps. Une fois abouti, le produit de ce cahier des charges peut désormais être construit.

49

Burret, Antoine,Tiers-lieux Et plus si affinités,p.100. Limoges: FYP EDITIONS, 2015

30


Les données virtuelles (en attente sur une plateforme) ou réelles (les information puisées directement dans la communauté des tiers-lieux), sont appréhendées simultanément au sein du tiers-lieu physique. La concrétisation peut prendre forme. Le lieu permet le passage entre la donnée virtuelle et la réalité construite. On peut ainsi procéder au design du produit, et à la formalisation du service. La finalité ne se trouve pas uniquement dans la constitution du produit mais aussi dans la façon de consommer et produire. Par ce procédé, la perception du produit fini change et augmente sa valeur.

Figure 17 : Processus de « tangibilisation » : du passage de la donnée à la réalité « tangible ». Source : Auteur

La méthodologie d’un tiers-lieu réside dans l’étude des outils mis en place pour faire fonctionner une activité. Ainsi, les Tiers lieux facilitent le passage à l’expérimentation échelle 1.

Celle du Movilab s'articule autour de 3 étapes. Une première basée sur la documentation.

31


Sur

un

territoire

donné,

différents

acteurs

rédigent

une

méthodologie commune pouvant être appliquée sur n’importe quel autre territoire. La deuxième étape consiste à appliquer cette méthodologie en la testant sur une autre communauté non initiée. Le processus est alors décortiqué et recensé sur une plateforme en ligne permettant l’apport d’expérimentations à reproduire ou non. La dernière étape, une fois la méthodologie vérifiée, et validée, soumet le protocole de production d’un service valable via l’utilisation des outils collaboratifs issus du web.

Figure 18 : Méthodologie de l’agence Prima Terra http://prima-terra.fr/

Ainsi, d'acteur passif, le tiers-lieu permet à l’usager de devenir actif et entreprenant de part sa capacité à fixer lui-même les paramètres d’un projet. Selon T.S.Eliot « the journey, not the destination matters

50

». Ces processus mettent en avant l’action où le « faire »

compte davantage que le résultat final. La méthodologie est ainsi étudiée, analysée, critiquée pour pouvoir l’améliorer. Ainsi, les tierslieux interrogent la finalité des productions. Qu’est-ce que ces processus nous apportent ? Par quels moyens pouvons-nous être plus efficaces dans l’approche ? Et quels outils sont les plus à même de participer à ce processus.

3.

Des difficultés lors du passage de données en réalité

La maîtrise du code informatique, de raisonnements, des méthodes d’analyse, de design, d’agilité, de règles et modes de production

implique

d’autres

types

de

communautés

très

scientifiques comme très créatives. Le tiers-lieu peut se réduire à un ordinateur personnel d’un quartier, ville, organisation, puisqu’il va suivre la même logique. Les tiers-lieux sont sous la responsabilité de leurs fondateurs, acteurs publics (associatifs) ou privés (société). Cependant, la plupart

du

temps,

les

individus

exercent

une

activité

professionnelle en relation ou en complément du tiers-lieu. La mise en place d’une infrastructure et de l'animation du lieu engendre un coût temps/homme considérable. Selon A.Burret, la recherche de 50

T.S. Eliot, poète, dramaturge, poète littéraire américain qui affirme « le plus important est le chemin parcouru »

32


personnes pour louer ces espaces,

les transformer en usage

commerciaux est un problème récurrent à cause du poids de gestion. Cette charge peut avoir des conséquences au sein de la communauté. Ce système d’entraide est prometteur mais la formation d’assistance peut parfois être lourde à porter. Une autre limite de ces espaces innovants réside dans la valeur marchande. La rentabilité de ces lieux est contestée. Au lieu de rapporter de l’argent, il en coûte. Cet investissement peut se compenser par des initiatives individuelles, de création collectives de services. Peu de personnes vivent de ces initiatives mais elles répondent à des besoins d’intérêts généraux.

33


Les territoires d’implantation sont

multiples

périurbains,

:

urbains,

naturels,

ruraux, centraux,

interstitiels, périphériques. Les espaces se déploient et varient en termes de taille, d’architecture, de design et de fonctionnalité. Finalement, à défaut de comprendre un vaste ensemble, il est plus facile de reprendre l’étymologie du mot et d’ajouter une façon de faire en catégorisant son travail dans le tiers. L’imprécision évite l’exclusion, et offre un

grand

L’innovation

champ

des

réside

alors

possibles. dans

la

proposition d’un cadre de confiance neutre. Ces tiers-lieux sont ancrés localement et prétendent à jouer un rôle actif

dans

fonctionnement

la

fabrique des

villes

et et

le des

territoires. Cependant, la rentabilité et la gestion du lieu mettent en péril le fonctionnement de ces espaces. Quels sont

alors

les

outils

et

les

méthodologies mis en place au sein du patrimoine industriel pour faire vivre à nouveau ces espaces vacants ?

Figure 20 Figure 19 : L’innovation et les limites des tiers-lieux Source : Auteur

34


II.

LES TIERS-LIEUX A LA CONQUÊTE DU PATRIMOINE INDUSTRIEL DU XIXe SIECLE

35


Le lieu est, pour tout architecte, la base sur laquelle commence tout travail de conception. Il prend donc un place importante car c’est par et à travers lui que se dessine le futur. Aujourd’hui, beaucoup de lieux que l’on qualifie de tiers-lieux émergent d’un bâtiment existant qui s’est transformé. L’évolution de la société nous pousse à concevoir de manière durable, en pensant aux générations qui vont nous suivre. Les lieux infinis présents à la Biennale de l’Architecture à Venise cette année illustrent parfaitement ces processus. “Ce sont des bâtiments dans des lieux qui s’écrivent sur eux-mêmes comme des strates qui s’ajoutent les unes aux autres. Ce sont des lieux qui se transmettent, qui s’auto-organisent et créent des éléments nouveaux dans l’instant présent. Ce sont des lieux qui répondent aux besoins de chaque usagers. Ce sont des lieux ouverts même s’ils ont une forme, une trame. Le lieu devient une narration à retranscrire, un texte à trou, que nous nous devons de réinventer par une proposition d’un nouveau récit.”

51

Ces lieux sont donc une source d’inspirations pour des possibles usages où l’idée a la mainmise sur la forme finie. Le corpus étudié est composé de cinq édifices CALAIS

répartis dans l’ensemble du territoire français.

ROUBAIX

Trois projets de l’agence Construire dirigée par Patrick Bouchain : la Condition Publique à

PARIS

Roubaix, ancienne usine de produits textiles (1902), le Lieu Unique à Nantes, ancienne biscuiterie (1886) et le Channel à Calais,

NANTES

anciens abattoirs, (1850). Un projet du collectif Encore Heureux, la friche de la Belle de Mai à Marseille, ancienne manufacture de tabac (1868) et un du collectif YesWeCamp à Paris avec les Grands-Voisins, ancien hôpital SaintVincent-de-Paul (1880). Confronter ces projets

MARSEILLE

de transformation permet d’avoir une vision d’ensemble sur le caractère innovant de ces processus et voir en quoi ils enrichissent la pratique de l’architecture.

1850 : Le Channel, Patrick Bouchain 1868 : La Friche de la Belle de Mai, Encore Heureux 1880 : Les Grands-Voisins, YesWeCamp 1886 : Le Lieu Unique, Patrick Bouchain 1902 : La Condition Publique, Patrick Bouchain

Figure 21 : Carte de localisation du corpus analysé

51

Extrait du podcast « Le propos ». s. d. Lieux Infinis (blog). Consultation le 10 septembre 2018. disponible sur http://lieuxinfinis.com/le-propos/.

36


A.

Le patrimoine industriel : des espaces vacants en devenir 1.

Un patrimoine économique et utilitaire a)

Des lieux en devenir

Selon les historiens, la friche industrielle est un objet d’étude intéressant puisqu’elle reconstitue l’histoire d’un site industriel mais aussi la mémoire ouvrière d’un établissement productif, voir de tout un quartier. Cet intérêt pour les friches industrielles date de 1985, suite au rapport Lazare commandé par 52

la DATAR . Il dresse un état des lieux alarmant recensant près de 20 000 ha de friches industrielles. Ces espaces ont une fonction bien précise lors de leur construction. Que ce soit pour stocker du coton à la condition publique que pour fabriquer des biscuits dans l’ancienne biscuiterie de Nantes, ou alors du tabac au sein de la manufacture de Marseille,

ces lieux génèrent un flux de marchandises

conséquent mais emploient également de nombreuses personnes, insérées dans le quartier. L’enjeu économique est important. La fermeture de ces usines engendre une disparition de ce réseau de relations fondées sur le travail et sur l’activité économique. Effectivement, à Marseille, la fermeture de l’usine en 1990 a provoqué de gros changements pour son environnement. L’usine structurait le quartier puisqu’une partie de l’encadrement ainsi que les ouvriers habitaient à proximité. Tous les commerces alentours dépendent de la bonne santé de la manufacture. Ce changement a provoqué la perte d’un millier d’emplois et la genèse de

Figure 22 : Ouvriers de la manufacture de tabac de Marseille https://i1.wp.com/www.toutsurmarseille.fr/wpcontent/uploads/2014/05/TABAC.jpg?ssl=1

protestations contre la fermeture de l’usine. Un des objectifs de la DATAR est donc d’abord économique. L’objectif est d’implanter de nouvelles entreprises créatrices d’emploi. Pour cela différentes possibilités sont proposées. Un traitement paysager qui recrée de l’activité et attire les investisseurs ou proposer aux collectivités territoriales

de

suivre

les

exemples

de

reconversions

multifonctionnelles.

52

Délégation interministérielle de l’Aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.

37


On peut ainsi constater trois temporalités au sein des friches : une première historique, fonction première des édifices construits. Une deuxième qui correspond à la vacance du lieu. Laissé à l’abandon, quel usage peut-on en faire ? En attendant la reconversion éventuelle du lieu, le temps d’attente pose problème car l’ancienne usine,

abandonnée,

se

dégrade.

Elle

est

alors

connotée

négativement ainsi que le quartier qui l’entoure. C’est ainsi que des personnes viennent squatter les friches libres de tout utilisation comme pour le channel, à Calais qui ont investi les abattoirs de façon provisoire de 1994 à 2000 . La dernière étape se réfère à la transformation en un nouveau lieu. Il développe d’autres fonctions et fait appels à de nouveaux acteurs. Ce lieu s’insère ainsi dans d’autres types de flux. C’est une nouvelle aventure qui commence. Des changements économiques et sociaux émanent du territoire à différentes échelles (quartier, habitants, agglomération). La friche est intéressante lorsqu’elle se trouve dans un périmètre

Figure 23 : Plan Masse Friche de la Belle de Mai, source : Auteur

urbain complexe comme par exemple le friche de la Belle de Mai. Créé en 1868, la manufacture, industrie d’Etat à Marseille, proche de la nouvelle gare Saint-Charles, occupe une place centrale dans le dispositif industriel du quartier et de la ville. Le choix de l’emplacement est stratégique ; à côté des voies ferrées et au sommet du quartier de la Belle de Mai. L’usine reste alors en contact avec les autres industries de première transformation et le port de la Joliette en croissance. De même, Calais, très abîmée par la destruction de la dernière

LYCEE SOPHIE BERTHELOT

guerre, est sinistrée sur le plan économique. Loïc Julienne la LE CHANNEL

53

qualifie même de “pauvreté généreuse” . Le site des anciens abattoirs fermé depuis 1993,

est entouré d’un parking, d’un ECOLE MATERNELLE DES CAILLOUX

alignement de pavillons tous identiques, du canal des pierrettes, du quartier des cailloux à l’Est. Et il borde les voies ferrées ainsi que l’avenue Gambetta qui mène à Calais. Cependant il se situe à proximité de la rocade sud permet de rejoindre l’autoroute qui conduit à la gare de Fréthun. Ainsi, l’intersection périphérique, déjà internationale, relie la ville ancienne aux développements récents liés au tunnel sous la manche. Les abattoirs se sont fait absorbés par l’extension urbaine, se retrouvant au coeur d’un morceaux de

Figure 24 : Plan masse du Channel, Calais source : Auteur

ville.

53

Fèvre, Anne-Marie, Le Channel, préface Loïc Julienne, p.8, 2007, Arles, Actes sud.

38


Les friches industrielles sont donc le témoin d’une époque révolue. Ce sont des lieux à part, hybride, à la fois révolu et en devenir. Leur histoire est ainsi une amorce du processus de réhabilitation.

b)

Différentes valeurs patrimoniales

La prise de conscience de la valeur patrimoniale d’un édifice a réellement vu le jour après la destruction des halles de Baltard à Paris, en 1971. Les intérêts économiques priment. Leur destruction est justifiée par des arguments modernistes et hygiénistes, malgré l’avis de la commission supérieure des Monuments historiques en faveur de leur classement. La rénovation du quartier doit permettre la construction d’un grand espace commercial, associé à une gare RER en sous-sol. Dans ce contexte, des associations de sauvegarde se créent et se multiplient. Suite à cet évènement, par quels moyens peut-on mesurer la valeur patrimoniale d’un édifice ? Le patrimoine est une notion qui se construit. La singularité de l’objet se fait par la comparaison avec d’autres qui montre ainsi son authenticité. En effet, la

patrimonialisation

est

un

processus

de

création

permanente qui évolue au regard des questions de société. De ce fait, différentes valeurs sont à prendre en compte. Témoigner de la valeur d’usage d’un édifice est primordial. Le but est de réactiver un bâtiment qui a une histoire, et utiliser ce qui est présent pour le transformer,

l’améliorer et ainsi prolonger

l’Histoire. Pour le Channel, l’agence Construire se demande comment accompagner le passage de cet état de souffrance de ces anciens abattoirs vers un monde de représentation artistique. Le cirque est, selon eux, la seule activité qui relie l’homme à l’animal. La vie est le symbole clé de tout projet. Ainsi, la construction d’un studio cirque témoigne de ce passage entre la vie et la mort. De même la valeur structurelle montre la pérennité de l’édifice et sa capacité à traverser le temps.

Le studio cirque du Channel, vue depuis la rue centrale, 2015, photo personnelle

En effet, Emmanuelle Real

affirme que « la nature des matériaux employés et leur mise en oeuvre, tout comme le soin apporté à la conception et à la réalisation des volumes et des détails architecturaux, témoignent

39


de la volonté des concepteurs de produire une architecture non 54

seulement efficace, mais aussi de haute qualité ». L’ancienne manufacture de tabac est pourvue d’une certaine qualité architecturale de part des bâtiments aux structures solides, déployant des possibles sur 4 hectares. La réutilisation offre alors un grand champ de possibles. De même, contrairement à la plupart des lieux industriels, dont les toitures laissent entrer de la lumière par des sheds, la condition publique est dotée d’un toit plat constituée d’une dalle de béton 55

armé, construite selon le procédé hennebique . La toiture est composée d’une couverture de végétation sauvage. Le substrat

Figure 25 : Façade de la Manufacture de tabacs, https://i1.wp.com/www.toutsurmarseille.fr/wp -content/uploads/2014/05/belle-demai_940x705.jpg?ssl=1

développé au fur et à mesure des années est devenue le support d’une végétation résistante. La terre étant la trace de toutes les migrations, elle est par conséquent patrimoniale. De même, P.Bouchain propose une simple remise en état des façades plutôt qu’une restauration complète bien que celles-ci soient classées Monument historique. Selon lui, le contraste aurait été trop grand entre la condition publique florissante et le quartier ouvrier environnant. La valeur de mémoire témoigne, quant à elle, de l’environnement dans lequel le bâtiment s’intègre et le regarde vivre. Comprendre son passé est alors indispensable pour le révéler, le réutiliser et rendre pertinent la mise en valeur du site. Le lieu unique participe au passé historique du lieu par le choix de ses matériaux qui dénonce une pratique de régulation. En effet, le choix de réaliser la passerelle

avec

des

morceaux

de

chalutiers

démobilisés

questionne les conséquences de la réduction de la pêche et ses implications sociales dans les milieux qui en vivaient dans la région. De même, la valeur symbolique met en lumière les éléments architecturaux remarquables de l’édifice. Le bâtiment réhabilité par P.Bouchain n’est qu’une petite partie de la célèbre biscuiterie Lefèvre-Utile, qui a cessé de fonctionner en 1986. Une des deux

54

Real, Emmanuelle. 2015. « Reconversions. L’architecture industrielle réinventée », p.15 In Situ. Revue des patrimoines, n°26 (juillet). https://doi.org/10.4000/insitu.11745 55 Solution mixte de construction alliant des pièces de fer autonomes et du béton. Universalis, Encyclopédia. « FRANВOIS HENNEBIQUE ». Encyclopédia Universalis. Consulté le 11 janvier 2019. http://www.universalis.fr/encyclopedie/francois-hennebique/.

40


tours, symbole du complexe industriel a donc été reconstruite de manière plus ou moins fidèle en 1998.

2.

La réversibilité56 : l’enjeu majeur d’une reconversion industrielle

Pour qu’un bâtiment puisse évoluer, et passer d’un état à un autre, il est nécessaire de penser à son éventuelle déconstruction. Pour Nicolas Delon « anticipe[r] les assemblages, les modes constructifs, vont permettre dans 20 ou 30 ans de 57

démonter, déconstruire, et non pas démolir » . Les friches offrent la possibilité de mettre en place un système, un processus quand un bâtiment neuf ne propose que des solutions définitives. Il ne s’agit pas d’un objet fini. L’ensemble des projets étudiés montre une intervention modeste sur l’existant. Patrick Bouchain, pour

Figure 26 : Tour du Lieu Unique, 2017, photo personnelle

nombre de ses projets insiste « le réinvestissement des lieux reste volontairement inachevé, corrosion et autres stigmates du temps étant conservés comme témoignages de l'activité passée.»

58

L'important est de mettre aux normes l’ensemble de la réhabilitation et se concentrer sur l’essentiel. Certains espaces jusqu’alors privatifs sont mis en valeur et accessibles comme la toiture terrasse de la Condition Publique qui était jusqu’alors réservé au directeur de la manufacture. Seule la cheminée par laquelle s'échappait la fumée des restes brûlés du Channel est détruite. L’unique élément qui émergeait de l’enceinte est remplacé par la seule architecture qui met à égalité hommes et animaux, celle du cirque. La condition publique témoigne de cet état de flottement propice à la création. L’ajout d’une scène nationale sans se figer dans un cadre fini demande une réponse architecturale adaptée. Ici, les deux corps de bâtiments sont traités de manière distinctes : la halle A est réservée à l'accueil du public et aux manifestations culturelles et est colorée jusqu’à la verrière tandis que la halle B restera dans son état initial, et est juste repeinte en blanc. C’est donc une architecture qui ne se voit pas, qui semble avoir été toujours la, 56

capacité d’un lieu ou d’un bâtiment à évoluer, se transformer et revenir à un état antérieur. (Larousse) Rubin, Patrick, Construire réversible, p.13, 2017, Paris, Canal architecture. 58 Bouchain, Patrick, Construire autrement, Arles!: Actes Sud, 2006. 57

41


comme une évidence. En somme, l’idée est d’en faire le moins possible de façon à révéler le site. Mais ce n’est pas le cas pour les Grands-Voisins ou la Friche de la Belle de Mai qui sont des tentatives d'urbanisme transitoire. Les friches industrielles sont se développées à partir des années 196070, aux Etats-unis puis en Europe du Nord. « Ces occupations provisoires, encadrées, sont les héritières des squats, spontanées 59

et autogérés, voire auto-construits ». Ainsi, les friches offrent des possibilités plus grandes quand un bâtiment neuf ne propose que des solutions définitives. Les aménagements ont peu d'impact sur l’existant puisqu’ils sont investis temporairement.

B. De la mise en valeur du patrimoine industriel : l’émergence d’une programmation majoritairement culturelle 1. Une programmation multifonctionnelle, « libre » et ouverte à tous La programmation d’un projet peut-être établie par une personne autre que l’architecte. Appelé, programmiste, ce métier consiste à collecter, et synthétiser les données, contraintes, et besoins auprès des décideurs et des utilisateurs. De fait, après avoir

consulté

les

études

antérieures,

les

diagnostics

et

réglementations en vigueur, la phase pré-opérationnelle consiste à discuter avec les différents acteurs et de consulter les expériences 60

extérieures. Cependant, l’augmentation croissante accordée aux nouveaux usages lié avec le développement du numérique démontre la capacité qu’ont les futurs usagers des lieux à matérialiser leurs besoins pour vivre le lieu. Appelée, maîtrise d'usage

61

(MUE), ce nouvel acteur peut désormais apporter une

voix sur les futurs aménagements spatiaux.

59

« Qu’est-ce que l’urbanisme transitoire et comment le penser ? - Construction21 ». construction21.org. Consultion le 02 janvier 2019. https://www.construction21.org/france/articles/fr/qu-est-ce-que-l-urbanismetransitoire-et-comment-le-penser.html 60 Définition extraite du dossier du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement de la Seine-Maritime, « La programmation en architecture et en aménagement concevoir et agir pour une opération de qualité », http://caue76.org/IMG/pdf_Programmation_architecturale.pdf 61 concept complémentaire du binôme associant les notions de maîtrise d'ouvrage (MOA) et de maîtrise d'œuvre (MOE).

42


Les programmations mises en place au sein de ces lieux témoignent de la valeur la pratique en son sein. Tout comme les tiers-lieux, l’expérimentation et l’écoute de tous les usagers du lieu, même temporaires, sont mis en avant dans la conception. Cela permet d’éviter les préjugés, erreurs d’usages et par conséquent la mort d’un lieu. « Plus un équipement est déterminé dans son 62

programme initial, moins a-t-il de chance de vivre longtemps. » Ce

nouveau

type

de

réhabilitation

propose

donc

une Figure 27 : Plan programmatique de la

programmation qui s’ajuste au fil des discussions, du temps, et

Condition Publique

des événements. Les usagers participent à l’élaboration du lieu par les liens créés quotidiennement dans toutes les phases de projet. Les processus de réinsertion sont visibles aux Grands-Voisins mettant à disponibilité des logements d’urgence. Ces lieux, par leur programmation critiquent les modèles existants et contribuent à inventer de nouvelles pratiques et de nouveaux usages. Les échanges et la transmission d’un savoir-faire sont mis en valeur, c’est pourquoi les édifices ont des programmes davantage liés à la culture. Que ce soit pour le Channel, la Condition Publique Figure 28 : Répartition des programmes, Les et le Lieu Unique, les salles de spectacles restent des valeurs sûres Grands-Voisins, Saison 1, couplées à des usages qui s’y rapprochent (ateliers d’artistes,

http://lesgrandsvoisins.org/lesite

librairie, restaurant, salle d’exposition..). De même, les Grands-Voisins évoquent des programmes flous qui évoluent dans le temps. Ces grands espaces ne seront pas remis à neuf avant la réhabilitation officielle de l’éco-quartier. Ils offrent davantage la place à de petites inventions éphémères autour du site qui répondent aux besoins primaires. Un dispositif de retour à l’emploi est mis en lien avec le fonctionnement du site grâce à une conciergerie solidaire. De même, différents dispositifs sont imaginés au fil du temps : le cinéma, le camping, la serre aquaponique, la pergola, la halle de restauration et des comptoirs au printemps. On assiste alors à une culture de la densité d’usage. De même pour la friche de la Belle de Mai avec ses salles de

62

Figure 29, Répartition des programmes, la Friche de la Belle de Mai, https://palimpsestesblog.wordpress.com/20 16/05/08/carte-didentite-du-projet-de-lafriche-de-la-belle-de-mai-a-marseille/

Extrait de l’article Patrick Perez, architecte, anthropologue, « Le désir et le déjà-là »,

43


spectacles, le restaurant, les ateliers, la crèche, les lieux d'exposition, le skatepark, les jardins partagés, l’aire de jeux, l’école des métiers du spectacle, la, librairie et la terrasse publique offrant un panorama sur ville. Cet environnement est codifié par des aménagements qui renvoient au village d’autrefois. : serre bio, jardins partagés, composteurs, ruches, cantines bio, grandes tables et estrades en palettes, bibliothèques improvisées... Cet imaginaire semble accueillant et festif mais paraît parfois surfait et déjà vu.

2.

Figure 30, La lingerie, restaurant/café solidaire, les GrandsVoisins, 2015, http://lesgrandsvoisins.org/lesite

Des espaces modulaires et adaptables

Construire plus avec moins d’argent est un enjeu économique majeur pour transformer un lieu déshumanisé et en friche en lieu de vie. La surabondance n’a plus lieu d’être. En effet, « La bonne architecture n’est plus une question de FORME mais de 63

bonne interaction entre VIE et FORME » . Cette contrainte éthique supplémentaire fait référence à la temporalité et à la bonne pratique de l’architecture. L’invention modeste ne relève donc pas de modification de la structure primaire, ni de restauration complète. Le peu de cloisonnements de même que les circulations libres participent à la modularité des espaces. L’intervention proposée au sein de ces réhabilitations offre une valeur ajoutée au lieu. l’augmentation de la superficie d’un espace, sa forme, sa matière, le coeur du projet réside dans la révélation de ses atouts. Un des enjeux de la transformation de la Condition Publique était d’apporter de la lumière naturelle. La dalle de la halle A est alors percée dans l’entrepôt, ce qui permet, après avoir supprimé une travée de poteaux, de gagner de la hauteur et de la largeur. Le nouveau bâti se distingue juste d’un simple toit lanterneau et d’un Figure 31 : Principe structurel de la Condition support technique scénique. Ainsi les deux nouvelles poutres Publique, Surélévation des bâtiments pour apporter de la lumière, Castany, Laurence, La condition

reposant sur un ouvrage neuf assurent l’autonomie structurelle de publique, Paris!!: Sujet/Objet, 2004 63

Collectifs, Jana Revedin. Construire avec l’immatériel: Temps, usages, communautés, droit, climat... de nouvelles ressources pour l’architecture - « les flux : comment rendre visibles les usages » p.80, Manifestô, 2018.

44


la salle. Par ce dispositif, le programme reste ouvert et la qualité spatiale est améliorée. La principale modification du Lieu Unique réside dans le changement de l’orientation de l’édifice. Mais l’apport d’une nouvelle toiture translucide maintient au coeur du bâtiment la grande halle centrale et offre des espaces supplémentaires. Par la conception de ce type de lieu, nous pouvons nous questionner sur le besoin réel d’espaces défini. Une nouvelle façon d’appréhender l’espace, modifiable à l’infini, peut devenir une qualité pour la pérennité d’un bâtiment qui s’enrichit au fil du temps.

C.

Vers une culture de l’Architecture favorisant l’expérimentation 1.

Une valorisation de la pratique et des compétences des différents acteurs

Par la concertation, la population peut être amenée à donner son avis sur la base de documents techniques pas toujours compréhensibles par le public. Ces méthodes ne permettent pas aux usagers d’être véritablement écoutées ce qui a pour effet inverse de celui escompté, et provoque du mécontentement. Pour Bouchain, la méthode devient active « lorsqu’elle relie un bâtiment à ses usagers, qu’elle transforme le verbe « construire » en acte de « se réunir » et rapproche l’ensemble des acteurs à la naissance d’un édifice

64

». Répondre au besoin de l'utilisateur et défier les

procédures établies introduit une autre vision de la pratique. Une stratégie utilisée pour la transformation de ces lieux réside dans l’expérimentation de valeurs communes en adoptant une hiérarchie horizontale. La prise en compte des compétences de chaque usager est alors valorisée. L’architecte se positionne au même niveau que n’importe quel usager qui a des compétences dans un domaine au même titre que toute autre personne. Il y a

64

Bouchain, Patrick, Construire autrement, Arles!: Actes Sud, 2006.

45


ainsi un respect mutuel entre tous les acteurs. Elle se formalise par l’analyse de pratiques, le récit d’expériences, le journal collectif, des cercles de discussion dans tous les lieux étudiés. Concernant la condition publique, la mise en place d’un marché de définition en amont a joué un rôle dans la programmation. Les futurs utilisateurs ont travaillé en amont de la proposition architecturale avec plusieurs équipes d’architectes afin de définir ensemble du programme, de la méthode et du projet sur lequel sera choisie l’équipe de maîtrise d’oeuvre. De même, le fait de tenir compte de l’occupant du site, une partie du programme définie initialement a pu être modifiée. La discussion avec les utilisateurs de la condition publique a révélé un problème dans la mise en place de la salle de spectacle. Le besoin d’un espace de stockage était indispensable ce à quoi l’architecte n’avait pas pensé. Ils ont alors placé la salle au milieu de la halle entre les lieux de vie publique et techniques. Ainsi, lorsque les gens travaillent, ils ont l’impression d’être sur le plateau. Dès lors, l’équilibre du projet était trouvé.

Pour le Channel, l’inspiration du projet s’est nourrit de la vie Calaisienne, de ses fêtes, de la générosité de ses habitants. Ce sont les usagers qui ont fait le lieu. On peut alors voir apparaître de nouveaux métiers aux compétences multidisciplinaires pour la fabrique de la ville, qui renvoie à la médiation, à l’animation ou au bricolage. Concevoir des espaces attractifs qui tentent de faire cohabiter des fonctions multiples et des groupes sociaux différents. Ces interactions créent ainsi de l’intensité temporaire, de l’émotion et du lien.

Figure 32 : repas au sein de du Channel avec les Calaisiens. http://construirearchitectes.over-blog.com/le-channel

Ils relèvent de ce que Oskar Negt nomme des « espaces publics oppositionnels »

65

à savoir des espaces investis collectivement

dans lesquels une façon de faire le monde se cherche. La dynamique est à la fois critique et contributive. Le lieu participe à l’animation des quartiers. En effet, les fabriques des espaces

65

Nicolas-Le Strat, Pascal, Sociologue, Des lieux en recherche, Collectif B42. Lieux Infinis, Construire des Bâtiments ou des Lieux!? Institut français d’architecture, B42, 2018

46


publics ne sont jamais finis puisque les sujets abordés sont universels (habiter, cultiver, manger, se déplacer…).

2.

Réintroduire du sens dans la construction

Pour Bouchain, l’acte de construire est un « acte culturel

66

» qui permet l’expression des savoirs faire des arts et métiers. Le chantier est un moment clé dans la transformation d’un édifice. Ses bâtiments ont réussi le pari d’obtenir des réglementations plus souples. Différents procédés sont possibles. Patrick Bouchain préfère décrire les grands principes plutôt que d’imposer les interventions. Il donne sa confiance aux entrepreneurs face à des situations qui relève d’un savoir-faire. De même il voit le chantier comme un lieu de réunion et de rencontres qui appartient au processus d’appropriation du lieu. Réduire la distance entre le concepteur et le construction, connaître l’ensemble de la chaîne des intervenants permet de simplifier les interactions entre les corps de métier. La mise en place de maison de chantier permet à tous les usagers de venir vivre dans le lieu pour régler les problèmes. « La pratique de la permanence architecturale cherche à se familiariser avec les lieux. L’architecte tend à y devenir un 67

Figure 33, La cité de chantier du channel, http://construire-architectes.over-blog.com/lechannel

habitant familier, ordinaire. » . Selon Bouchain, intégrer le chantier dans les processus de conception valorise le travail manuel et aide à démontrer que tout ce qui nous entoure est fait à la main. Les

chantiers

participatifs

sont

également

un

moyen

d’expérimenter puisque l’acte modifie toujours la pensée initiale. L’enjeu le plus difficile à atteindre est de couvrir les charges de fonctionnement et de respecter la durée des travaux. S’adapter aux imprévus c’est aussi accepter le manque de finitions et mettre en valeur la technicité et la sécurité du lieu. C’est pourquoi il s’attache à donner des documents précis mais fait à la main pour se mettre à la place de l’ouvrier. Par une réflexion commune, sans imposer de plans côtés contraignants, il offre à l’ouvrier la liberté de trouver la meilleure réponse plutôt que se plier à la contrainte.

Figure 34, initiation à la construction pour les élèves de Calais http://construirearchitectes.over-blog.com/le-channel

66

Théorie de P.Bouchain selon laquelle la pratique est ... E.Hallauer, « Habiter en construisant, construire en habitant ; la « permanence architecturale », outil de développement urbain? », Métropoles, N°17, 2015, (journals.openedition.org/metropoles/5185/). Se reporter aussi à la Permanence architecturale (Acte de la rencontre au Point haut, 17 octobre 2015), Hyperville, 2016. 67

47


Bouchain tient également à l’importation de produits finis plutôt que des matières premières afin de favoriser le recyclage et réemploi et utilise des matériaux industriels aux prix les plus bas. Les

normes

industrielles

ont

un

but

fonctionnaliste

plus

qu’esthétique, c’est alors l’acte et non la matérialité qui est valorisée.

D. A des enjeux politiques et économiques qui remettent en cause les principes fondateurs du tiers-lieu 1.

L’occupation temporaire : une politisation68 des espaces

La manière d’investir le lieu peut se faire légalement ou non. En effet, il arrive souvent que l’appropriation du lieu soit illégale, par le biais de squats. L’investissement temporaire d’un lieu démarre le processus de transformation. Le lieu, jusqu’alors vacant devient actif du mouvement et se sont les usagers qui participent à sa dynamisation. De ce fait, l’incertitude est totale. Parfois, l’occupation temporaire est définie. Elle est aussi le point de départ de projets qui deviennent pérennes. Concernant les Grands-voisins à Paris, la réussite de la saison 1 a modifié le plan initial du futur éco-quartier et permis de faire perdurer l’occupation des lieux durant la phase de travaux. Pour le cas du Channel, à Calais, Francis Peduzzi, directeur du Channel expérimente la reconversion du Channel avec Patrick Bouchain ayant déjà eu une expérience avec le Lieu Unique. L’aménagement clandestin jusqu’en 2000 puis la reconquête progressive du lieu l’incite à continuer cette programmation en marche.

Cependant,

Peduzzi,

n’obtient

pas

de

crédits

d’investissement pour les travaux. Il prend alors le pari d’utiliser le budget de la création, en s’associant à François Delarozière pour réhabiliter les anciens abattoirs. Garder le principe expérimental de « faire soi-même » les travaux était l’argument pour obtenir de la municipalité la transformation complète des abattoirs. 68

processus de socialisation par lequel un individu ou une association est amené à s'intéresser à la politique et à développer des réflexions et des pratiques qui en relèvent.

48


Ces types d’affranchissements participent à l’urbanisme transitoire et à l’acceptation du droit à l’erreur. Ainsi, le choix de devenir acteur du lieu devient plus facile à faire entendre de la part des acteurs publics puisqu’il réside dans l’amélioration du lieu, du quartier et participe à la dynamique de la ville. Ces lieux ouverts sur l’environnement tentent de capter un maximum de populations, et proposent un système de gouvernance horizontal. Les Grands Voisins partagent la gestion entre trois associations : Plateau urbain, Aurore et YesWeCamp. Ces acteurs entrent directement en relation avec le conseil des voisins (visiteurs, résidents et visiteurs) pour prendre les décisions. De même pour la Friche de la Belle de Mai, le conseil d’administration du lieu, est en lien avec un collège de proximité constitué de douze personnes permettant d’avoir accès aux informations sur la vie du lieu.

2.

Des stratégies pour faire vivre le lieu

La vie courante d’un bâtiment demande beaucoup d’investissements.

Qu’ils

soient

physiques

ou

économique,

différentes stratégies sont utilisées. les acteurs locaux tout comme les habitants au sein des lieux permettent de faire vivre la structure à faible coûts. Au sein des Grands voisins, chaque résident participe à la vie collective du microcosme. Le bar restaurant de la lingerie est autogéré par les usagers en situation de précarité. Des marchés solidaires mensuels sont également organisés au sein de la structure. Les résidents des centres

Figure 35 : le marché solidaire des GrandsVoisins, http://lesgrandsvoisins.org/lesite

d’hébergement, les associations du site et les voisins du 14e arrondissement vendent ainsi des objets d’occasion ou des créations artisanales et artistiques. De même, la location à loyer réduit d’espaces de travail sont dédiés à une classe créative précaire permet aux Grands voisins de faire vivre le lieu annuellement. Des financements de la ville et de l’état peuvent être accordées selon la gouvernance établie. En effet, le lieu unique, a bénéficié de subventions de la ville, du ministère de la culture et du pays de la loire et de la loire atlantique. De même, la friche de la Belle de Mai

49


fait partie du programme européen « Cities on the Edge » . L’Europe a ainsi participé au développement de ce projet à travers les fonds FEDER. Enfin, la proposition de services marchands au sein du lieu, notamment

par

une

programmation

marchande

(librairie,

restaurants, animations, recycleries..) offrent d’autres activités au delà de simples programmations culturelles permettant l’emploi de différents usagers du lieu. Le système friche théâtre de Marseille doit gérer un budget annuel de deux millions d’euros avec une multiplicité de programmes à faire vivre. Grâce aux prestations payantes, aux ateliers d’artistes, aux espaces de coworking, elle bénéficie aujourd’hui de 45 salariés et 350 artistes permanents.

3.

Des lieux dé-territorialisés

« L’intérêt suscité par les sites industriels désaffectés place désormais leur reconversion au coeur de questions beaucoup plus vastes que la simple conservation d’un monument. On passe de l’échelle du bâtiment à celle du territoire, dans une perspective plus large de recomposition globale du tissu urbain, avec les multiples enjeux culturels, sociaux, économiques et écologiques que cela induit. De fait, la reconversion devient un moyen de repenser le territoire dans sa globalité.»

69

Ces lieux sont perçus comme une vitrine à l’échelle du territoire et participent à la dynamisation de la ville. De nombreuses difficultés sont néanmoins récurrentes. De part, les problèmes techniques, les problèmes de financements, les problèmes de communication et d’organisation, la peur de l’échec est omniprésente. L’institution et les pouvoirs publics sont au coeur de la transformation.

On

peut

voir

des

croisements

entre

les

associations de différents domaines. La mixité des usagers et acteurs (privés publics) permet de changer le rapport du public à l’institution.

69

Real, Emmanuelle. 2015. « Reconversions. L’architecture industrielle réinventée », p.58 In Situ. Revue des patrimoines, n°26 (juillet). https://doi.org/10.4000/insitu.11745

50


Au sein de ce corpus, les réhabilitations sont implantées au sein d’un territoire marqué socialement par une population en difficulté. Le lieu permet ainsi d’activer et d’aider ce type de population par des actions sociales. Peut-on alors considérer que l’intégration du lieu au contexte est réussie ? La réalité n’est pas toujours à la hauteur des attentes malgré de bonnes intentions. On constate que ce type de lieu, à l’échelle du quartier peut faire peur et souvent les habitants du quartiers n’osent pas s’y aventurer. C’est le cas du Channel. Sylvie, une habitante du quartier ne connaît pas l’endroit et paraît « un peu intimidée en pénétrant dans le lieu, [et] se dit 70

impressionnée par son ampleur ». De même, la localisation excentrée de la friche de la Belle de Mai de même que son architecture qui évoque une forteresse a parfois du mal à s’intégrer dans le quartier malgré son rayonnement national voir même européen. Philippe Foulquié déplore le manque

Figure 36 : plan masse de la Friche de la Belle de Mai, Marseille

d’accessibilité du lieu « au sommet du quartier mais qui lui tourne le dos, qui fait face au chemin de fer et auquel on n’accède que 71

par trois tunnels » . La friche n’étant pas destinée à recevoir du public, ou à fonctionner comme un lieu ouvert, elle reste donc un établissement peu séduisant vu de l’extérieur.

70

Fèvre, Anne-Marie, Le Channel, p.43, Arles": Actes sud, 2007 Grésillon, Boris. « La reconversion d’un espace productif au cœur d’une métropole": l’exemple de la Friche de o la Belle de Mai à Marseille ». Rives méditerranéennes, n 38 (15 février 2011): 87 101. https://doi.org/10.4000/rives.3977. 71

51


Ces lieux hybrides posent un regard différent sur la ville et le vivre ensemble. « Cet art de la citoyenneté 72

» comme le souligne Mamadou

Diouf invite à réfléchir autrement à nos façons d’habiter l’espace public. Si l’on ne perçoit pas encore la signification

d’ensemble

de

ces

émergences ni le principe politique général qui s’en dégage, on sent pourtant que quelque chose se joue. Les processus étudiés

mesurent

l’impact de l’intervention sur ces espaces en transition et mettent en avant le rôle du citoyen acteur dans toutes les phases de transformation. L’innovation

réside

alors

dans

l’expérimentation de la construction et la qualité des usages proposés. La réalité

montre

pourtant

une

intégration au contexte qui ne répond pas

Figure 37 : L’innovation dans les processus de reconversions architecturales 72

Diouf, Mamadou, Rasalind Fredericks, les Arts de la Citoyenneté au Sénégal, Paris, Karthala, 2013

52


III.

L’ARCHITECTURE DES TIERS-LIEUX : DES ESPACES TRANSITIONNELS

53


A.

Des transformations opérées par un état transitoire d’une communauté 1.

Le bâti : activateur d’un mouvement collectif

Le bâti rénové est révélateur d’un embellissement du passé du lieu. La valeur de mémoire prend forme au sein du lieu par les transformations et les expérimentations qui s’y passe. Ces espaces sont malléables dans leur espaces et dans leur temporalité,

sans

que

leurs

qualités

architecturales

et

fonctionnelles en soient affectées. L’enjeu est de faire vivre en continu les processus d’intervention et d’expérimentation. De même, par la production d’expériences communes, le tierslieu est capable de produire un objet physique. Cette état transitoire d’un mouvement collectif est activité par le lieu en transformation au sein des architectures. Ce microcosme offre des productions et transformations infinies. Ainsi, la qualité architectonique établie au sein de ces deux types lieux comporte des analogies. Que se soit au sein des tiers-lieux que lors de reconversions industrielles, le besoin d’espaces flexibles et appropriables est présent. Les lieux ont un rôle moteur

pour

ces

transformations

communautaires.

Les

architectes doivent donc être capables de construire des espaces s’adaptant en permanence aux reconversions d’usage pour être qualifiés de tiers-lieu.

2.

Une méthodologie singulière et temporaire basée sur l’incertitude

De nouveaux types de gouvernance à l’écoute de la vie du lieu sont recensés. La prise en compte des futurs usagers dans les processus de mise en place de ces types de lieux produisent de nouvelles méthodes de construction de projets basées sur

54


l’indétermination. Tout comme les tiers-lieux, les différentes phases de ces transformations laissent à ses résidents le temps de s’approprier le lieu. En effet, ces processus ont en commun une marge de manoeuvre qui laisse place à l’incertitude du début à la fin. Cet état d’indéterminisme provoque ainsi des résultats divergents de ceux imaginés initialement. Les tiers-lieux sont en mesure de modifier les étapes d’une future réalisation à tout moment

tandis

que

les

usages

observés

au

sein

des

reconversions industrielles peuvent remettre en cause la programmation future d’un lieu. Les méthodes appliquées démontrent que les acteurs impliquées dans la création soit d’un tiers-lieu, soit d’une réhabilitation industrielle, sont spécifiques de ceux que l’on peut observer traditionnellement.

Cependant, la collaboration horizontale de

plusieurs associations pour la gestion d’un même espace n’est pas sans risques. Les premiers moments d’échange entre les associations YesWeCamp et Aurore sont compliqués. Les chocs de culture et les différents environnements culturels demandent une période d’adaptation pour réussir à se comprendre et travailler ensemble. De même, la décision de tenter l’aventure malgré le désengagement des partenaires financier était un pari risqué. En effet, des difficultés peuvent déstabiliser l’équilibre de ces processus. Pour les Grands-Voisins, l’année 2015 est remplie de doutes quant à la possible ouverture au public des lieux. De gros problèmes techniques surviennent entraînant des coûts non anticipés. Fuites d’eau à répétition, intrusions dans les espaces inoccupés

et

une

fuite

de

vapeur

d’eau

avec

risque

d’électrocution si des personnes s’introduisent dans le lieu mettent en péril l’ouverture du lieu au public. De plus, répondre aux curieux de passage, aux photographes souhaitant prendre des images du lieu et créer de la confiance avec les partenaires locaux (mairie et association de quartier) provoquent de nombreuses attentes déstabilisantes face à l’immensité de la tâche.

55


Le lien qui unit les deux notions proposées réside donc dans le caractère transitoire de communautés, c’est à dire dans le passage d’un état primaire à un état secondaire.

B.

Les tiers-lieux : des architectures open-source73 1.

Des espaces complexes en perpétuel transformation

Les processus de transformation étudiés au sein des reconversions,

sont

similaires

dans

leur

méthodologie.

Cependant, la communauté qui va investir ces lieux est singulière. Tout comme les usagers des tiers-lieux, l’unicité de l'organisme réside dans la combinaison entre le lieu et ses utilisateurs. Mais au fil du temps, les expérimentations s'essoufflent, évoluent et mettent en péril l’équilibre de la structure. Les Grands voisins, par la programmation proposée, incitent à la mixité sociale. Qu’en est-il réellement ? Peut-elle perdurer dans le temps ? Le café, restaurant du site, la lingerie est autogéré par les résidents des Grands-Voisins.

Intégrés

dans

un

parcours

d’insertion

professionnel, ils perçoivent un salaire. Ainsi, la création de liens au quotidien crée une habitude

et fait que les résidents

deviennent rapidement familiers les uns les autres, sans s’en

Figure 38 : une soirée à la lingerie, GrandsVoisins,

rendre compte. Cette méthode permet alors de dépasser les barrières sociales. L‘association de tous les types de citoyens de toutes

nationalités

observée

est

unique

en

France.

Ce

microcosme montre ainsi une vie possible partagée par différentes cultures. Les échanges entres les différents résidents par les programmes et usages proposés incitent à l’interaction entre différentes populations. En effet, le carnaval des GrandsVoisins en février 2016 a permis une cohésion entre les résidents et habitants du quartier.

73

Concept qui se traduit par une plateforme web. https://www.architectureopensource.be/ Ici, le terme architecture open source se traduit par des espaces en transformation perpétuel, au même titre que les tierslieux.

56


Cependant, dans d’autres lieux, comme le Channel, malgré cette même volonté de mixité, on peut constater un même type de population qui adhère à ces espaces. A proximité des grands axes, et des bureaux permet au Channel d’attirer un type population (majoritairement des cadres) pour le déjeuner. Les croisements ne se font pas toujours, même si la méthodologie proposée séduit de plus en plus notamment grâce aux ateliers participatifs. Le lieu, malgré des processus de transformation qui se croisent, évolue en fonction de son contexte, économique, politique, et sociologique. Ainsi, l’architecture est en perpétuel évolution tout comme ce qui s’y passe en son sein. On constate également que les générations futures sont davantage sensibilisés à ce type de lieux (tiers-lieux ou reconversion aux programmes multiples) par rapport aux générations précédentes. L’apprentissage est inversé et fait évoluer les cultures. Il y a une remise en question des pratiques économiques,

écologiques,

culturelles

de

ces

cinquante

dernières années par les usages et expérimentations produites au sein de ces lieux. Concernant les tiers-lieux c’est ce passage de l’idée au concret qui est la plus délicate. Les démarches des collectifs ou architectes sont intéressantes puisqu’elles permettent de rendre visible une réalité par l’espace qu’il investit. Cette anticipation de la réalité grâce à l’expérimentation du chantier, par exemple, est intéressante. « En s’ancrant dans le monde réel, ils échappent aux qualificatifs de rêverie comme autant de preuves qu’un « 74

autre monde est possible » ». Les architectes de ces lieux par choix et contraintes financières, décident de faire juste le nécessaire. Cette intervention peut paraître insignifiante voir incomplète

mais

c’est

la

justesse

et

la

pertinence

de

l’intervention qui prime. On décèle ainsi des valeurs communes entre la structure tierslieu et les reconversions architecturales. Le besoin d’une communauté, la mise en valeur des usages et de l’individu sont 74

Gwiazdzinski, Luc, géographe, Localiser les infinis, p. 47 Collectif B42. Lieux Infinis, Construire des Bâtiments ou des Lieux!? Institut français d’architecture, B42, 2018.

57


des enjeux communs dans la construction de ces structures. Confronter la notion de tiers-lieu avec le patrimoine industriel propose une orientation spatiale d’un processus idéalisé. Les limites

de

ces

méthodes

sont

ainsi

remarquables

plus

rapidement. Ils sont de l’ordre économique (question de rentabilité et de business plan), territorial (les lieux complètement sortis de leur contexte), spatial (finalement des lieux qui sont en perpétuel évolution et dont on ne peut maîtriser ses trajectoires) et social (la mixité n’est pas toujours au rendez-vous). En effet, l’appropriation d’un espace ne se fait pas de manière forcée. Il est de donc de notre devoir, nous, architectes de mettre nos compétences à profit pour déceler ces espaces de vie. Le parvis de l’opéra de Lyon, illustre bien la façon qu’ont les usagers de s’approprier cet espace au fil de la journée. Nous pouvons alors dire que ces transformations qualifiées de tiers-lieux sont des lieux d’accueil qui prennent en considération le passé, le présent, le futur ; « des lieux où la magie du lieu opère

75

». La transition permanente qui s’opère au sein des

transformations industrielles créés par l’architecte a un impact dans la façon de s’approprier l’espace et d'interagir avec son environnement.

2. Le tiers-lieu : une nouvelle appellation d’un programme existant On peut néanmoins se demander dans quelle mesure la programmation tiers-lieu est novatrice ? De nombreux espaces ne finissent pas de s’approprier cette notion pour qualifier des lieux d’expérimentations. Les tiers-lieux ne sont pas les premiers à proposer des programmes de production culturelle. D’autres espaces de ce type ont déjà été établis précédemment comme les smacs, les

Figure 39 : La salle de spectacle de l’aéronef, Lille, SMAC

maisons de la culture, les Maison des jeunes et de la Culture. 75

Extrait du podcast « Le propos ». s. d. Lieux Infinis (blog). Consultation le 10 septembre 2018. disponible sur http://lieuxinfinis.com/le-propos/.

58


Les scènes de musiques actuelles (SMAC) sont créés par les directions régionales des Affaires culturelles en France en 1993. Elles désignent les scènes où sont produites des musiques utilisant des amplificateurs. Leur mission est de diffuser les musiques actuelles (comme le rock, la pop, la culture hip-hop, les musiques du monde ou le jazz). Ce programme propose la diffusion régulière de concerts professionnels.Tel l’Aéronef à Lille, La Laiterie à Strasbourg, La Coopérative de Mai à ClermontFerrand ou Le Brise-Glace à Annecy, ces espaces ont été créées à l’époque pour répondre aux besoins d’espaces consacrés aux musiques amplifiées. Au delà d’une volonté culturelle, il s’agissait de rendre accessible les lieux de concert à moindre coût, tout en prenant soin de la sécurité en empêchant les nuisances sonores. De même, les maisons de la culture ont été créées en 1961, à l’initiative d’André Malraux, ministre des affaires culturelles. L’enjeu est de créer des structures d’accueil permettant la diffusion du savoir sur l’ensemble du territoire. Cependant, ces maisons excluent tout médiation culturelle, privilégiant la confrontation directe aux oeuvres. Le Palais des Beaux-Arts de

Figure 40 : La salle de spectacle de la maison de la culture à Tournai

Bruxelles, tout comme la maison de la culture à Tournai en font parti. Mais la réversibilité de ces lieux pose question, la baisse de subventions publiques, et l’évolution du rapport des jeunes à la musique remettent en cause le modèle. La différence avec les tiers-lieux réside dans l’aspect résilient de ces espaces qui, aujourd'hui sont moins attractifs et ont du mal à se renouveler. Les enjeux aujourd’hui ne sont plus les mêmes, le tiers-lieu est davantage ancré dans son temps puisqu’à la différences de ces lieux, en perte d’activité, ils sont transformables en de nouveaux usages.

59


C.

Une redéfinition du rôle de l’architecte 1.

Une réglementation trop contraignante

Les reconversions de friches ou édifices industriels modifient

les

processus

de

conception

et

constructions

réglementés par la pratique de l’architecture. Ces projets questionnent les procédures réglementaires. En effet, en France, les permis de construire sont attribués à la vue d’une esquisse tandis qu’en Europe, on exige la présentation d’un avant projet détaillé (APD). Ce qui est discuté en amont en Europe, l’est plus tard en France. De même, l’obligation d’anonymat lors de concours publics interdit toute modification du projet lauréat par respect de la décision prise et engendrent des « bâtiments moyens, dessinés par des architectes moyens, pour un jury 76

moyen ». Les concours sont analysés par une commission technique qui examine les projets sous l’angle fonctionnel, constructif, financier. Or les propositions des architectes sont validées par les bureaux d’étude rompant l’anonymat. Par cette analyse, on observe une position de l’architecte, « chef d’orchestre » et maître des décisions qui évolue. En effet, Etienne Delprat affirme « Expérimenter dans le champ de l’architecture, c’est, dès lors, éprouver ce cadre, celui de la commande et de la production. C’est également éprouver les cadres culturels et politiques dans lesquels l’architecture s’imagine, se conçoit, se construit et se pratique

77

». Il est donc impératif de continuer à

expérimenter en architecture sans laquelle, toute proposition innovante, n’aurait pas lieu d’être. Un autre enjeu réside dans l’identification de la juste intervention de la puissance publique. Procéder par essai ou erreur dans la construction des politiques publiques, ne peut fonctionner sans la collaboration entre l’architecte et l’élu chargé de proposer des politiques

favorisant

l’autonomie

des

individus

et

des

76

op.cit. Franck LLoyd Wright, Tretiack, Philippe, Faut-il pendre les architectes!? p.78, Editions du Seuil. Points, 2001 77 Etienne Delprat, l’expérimentation : pour un réengagement de la pratique, article du manifeste Construire avec l’immatériel, temps, usages, communautés, droit, climat… de nouvelles ressources pour l’architecture, sous la direction de Jana Revedin, p.106, collection manifestö, editions gallimard, 2018

60


organisations

pour

ouvrir

davantage

l’expérimentation.

L’architecte devient donc le facilitateur, le médiateur au sein de ces tiers-lieux.

2. De nouveaux outils d’expérimentation pour de nouveaux modes de conception Architectes et ingénieurs ont toujours privilégié la conception, les idées et dessins avec la réalité du chantier. Aujourd’hui, les pratiques d’enseignement tout comme les études sur la représentation des métiers de l’architecture favorisent le dessin et l’image comme outil principal de conception. Patrick Bouchain met en place une cité de chantier dans tous ces projets, qui devient un lieu de vie pour tous les utilisateurs et un puissant moyen de communication. Cet espace central, au coeur des sites, que ce soit pour le Channel, la Condition Publique, ou le Lieu Unique, sont des moyens de transmission des informations de façon simple et claire qui permet de faire des modifications insitu plus rapidement. Le rôle de l’architecte n’est donc plus de vendre un projet par la force et imposer ses idées mais de faire corps avec l’environnement et ses habitants pour faire émerger un projet pertinent. Il doit réussir à répondre aux besoins de son temps. Un des enjeux nécessaire de l’architecte est de questionner le lieu et son devenir c’est à dire être acteur du lieu. Pour le collectif Encore Heureux, le rôle de l’architecte aujourd’hui est de « figer un mouvement ». « L’architecture s’y exprime dans la rencontre entre des qualités spatiales préexistantes et un processus organique de transformation qui n’a de sens que s’il répond aux besoins de tous et aux désirs de ceux qui s’y engagent avec courage et détermination. Dans cet accompagnement spatial et temporel, l’architecte généraliste se révèle un guide nécessaire, aux frontières de la mission qui lui est traditionnellement attribuée: il ne se limite pas là à construire des bâtiments mais cherche également à faire des lieux. »

78

78

« Le propos ». Lieux Infinis (blog). Consulté le 10 septembre 2018. http://lieuxinfinis.com/le-propos/.

61


Incontestablement ces types de projets se multiplient et interrogent l’’aménagement des territoires, et plus largement de la notion « d’Habiter », du rapport aux lieux. Se mettre en quête de ce qui est invisible est important pour l’architecte, car pour reprendre les termes de Gilles Deleuze, la création consiste à « 79

voir quelque chose que les autres ne voient pas» . Accompagner les processus et les expériences sont donc des nouvelles missions qui enrichissent la pratique de la conception. Ainsi, la gouvernance

des

tiers-lieux

modifient

les

processus

de

conception réglementés de l’architecte et par conséquent le rôle initial conféré à ce dernier

3.

Une nouvelle définition des tierslieux

L’importance dans cette notion de tiers-lieux réside donc dans son caractère transitoire et éphémère. De même, la combinaison de

différents

usagers

au

sein

d’un

lieu

engendre

des

transformations infinies. Suite à cette analyse architecturale, nous considérons la notion de tiers-lieu comme un espace défini. La nouvelle définition proposée se justifie au travers de l’analyse qui précède mais n’est pas définitive. Elle vient enrichir l’univers des possibles exposé en première partie au travers d’une analyse spatiale spécifique. Ainsi, un tiers lieu se caractérise par un espace physique et appropriable au sein duquel une communauté hétéroclite, hors de la

communauté

qui

participe

initialement,

cohabite

temporairement. L’enjeu consiste alors à transformer et produire un service pour le bien commun. La création de nouveaux outils in-situ au sein des tiers-lieux est donc un moyen de renouveler la formation et la pratique de l’architecture. L’expérimentation et la mise en valeur de cette pratique engendre la création de nouveaux outils in-situ. De même que Les halles du faubourg ou la Commune à Lyon, ces 79

« Qu’est-ce-que l’acte de création? » , conférence donnée dans le cadre des mardis de la Fondation, 17 Mars 1987.

62


lieux de création, en transition, évoluent en fonction des personnes qui les font vivre. Ce mémoire, au delà d’un travail universitaire vient enrichir le monde des tiers-lieux face à la richesse et aux potentialités de ces espaces émergents. Il se rattache à la dynamique et au processus de ces lieux puisqu’il participe à l’élaboration et l’enrichissement d’une notion qui se veut commune et ouverte qui s’enrichit. C’est pourquoi je suis convaincue que le domaine de l’architecture devrait davantage s’inspirer de ces approches concrètes, au coeur des réalités. De même, pour l’enrichissement du savoir, les processus de construction

de

projets

d’architecture

mériteraient

davantage diffusées, à l’instar d’un « Wikibuilding

80

d’être ». Ce

recensement ouvrirait ainsi un grand champ des possibles pour tendre vers une architecture connectée et dans son temps.

80

« Pour des espaces transitionnels » Raphaël Besson, économistes, urbaniste Collectif B42. Lieux Infinis, Construire des Bâtiments ou des Lieux!? Institut français d’architecture, B42, 2018.

63


Figure 41 : Confrontation entre la notion de tiers-lieu et les reconversions industrielles

64


CONCLUSION L’état de l’art de la notion de tiers-lieu au début de ce mémoire, démontre bien la diversité des matérialisations virtuelles et spatiales possibles. Ces espaces ont été formalisés à la suite d’un contexte d’urbanisation croissant aux Etats-Unis. Ce changement de mode de vie, plus résidentiel, accentue l’individualisme et provoque une inflation du besoin d’espaces neutres. L’enjeu : recréer du lien social. Cependant, on comprend bien la difficulté d’analyser ce type de lieux puisqu’ils existent de part les usagers qui les façonnent. C’est pourquoi, chaque tiers-lieu a ses spécificités, ses enjeux, ses processus, et modèles de gouvernance. Mais quels que soient les usagers et leurs motivations, l’ensemble de leurs productions sont réunies au sein de mêmes espaces virtuels, afin d’en faire bénéficier à tous. Ainsi, nous avons tous, aujourd’hui, une vision incertaine de cette notion qui convoque principalement notre imaginaire. D’autre part, la réhabilitation d’espaces vacants au sein d’édifices industriels demande un processus particulier pour définir quel type d’usages pourrait convenir face à des bâtiments utilitaires. L’esthétique n’étant pas à l’époque l’enjeu majeur, c’est pourquoi, au delà de la forme, la beauté de la transformation réside dans son appropriation. Le bâtiment est alors au service de ceux qui les investissent. Le corpus analysé propose des processus de transformation où les usagers sont acteurs de ces lieux dès la phase de conception. C’est également une manière résiliente de penser la ville de demain. La problématique porte sur l’analyse de processus innovants. Elle questionne si ces derniers, lors de la mise en valeur d’édifices patrimoniaux industriels français du XIXe siècle, participent à la matérialisation des enjeux des tiers-lieux. Ce mémoire analyse donc la méthodologie sous jacente de la notion de tiers-lieux dans les processus de reconversions de bâtiments industriels. Une raison de faire le lien entre ces deux notions ici, est la valeur communautaire que portent chaque action effectuée au sein de ces processus. Cette comparaison de procédés établis d’un côté à travers d’une notion abstraite, se revendiquant innovante, avec ceux d’une réalité construite a permis de confronter les différents processus ainsi que leurs limites. Par la suite, l’enjeu de cette comparaison fut de mettre en question la notion initiale et ainsi proposer une nouvelle définition de ce que peut-être un tiers-lieu. Dans un premier temps, nous avons démontré qu’un des enjeux de cette notion de tiers-lieu réside dans la mise en valeur du commun. Chaque individu, apporte, par ses compétences, valeurs, rêves, l’opportunité de créer quelque chose de nouveau, ensemble. Ces espaces produisent des interactions entre des communautés hétéroclites provoquant la création de nouvelles données non imaginées par des compétences similaires. L’innovation réside alors dans cette construction d’un imaginaire commun. De même l’analyse des typologies de tiers-lieux a permis de démontrer les différents enjeux possibles au sein de ces espaces qui servent avant tout à entreprendre. Ces lieux participent aux échanges, à s’ouvrir à d’autres cultures, nombres d’attributs communs dont la société est aujourd’hui en quête, pour trouver un sens à leur vie.

65


Pour aller plus loin, la méthodologie étudiée et recensée par Antoine Burret nous a permis de comprendre la méthodologie commune mise en place dans ces lieux. Le numérique a joué un rôle prépondérant dans la mise en place de ces méthodes. C’est pourquoi cette nouvelle approche culturelle basée sur une édification d’un savoir ouvert à tous a prouvé son succès dans bons nombres de projets. Elle a permis de faciliter le passage à l’expérimentation et d’interroger la finalité des productions. Pourtant, cette démonstration théorique a ses limites. Certes, de nouveaux modes de gouvernance apparaissent et créent des partenariats entre les institutions, ce qui favorise le droit à l’erreur. Cependant, les modèles économiques mis en place ne suffisent pas toujours à faire vivre le lieu tout comme la rentabilité du lieu qui peut être remise en question. Néanmoins, on peut constater qu’un ancrage physique peut faciliter la mise en place d’un tiers-lieu. En effet, sa localité peut à la fois servir de prétexte, c’est à dire qu’il est le point de rencontre entre les individus mais également servir de catalyseur dans la construction du lieu. Il façonne ainsi l’image de marque du tiers-lieu et sa valeur aux yeux des partenaires financiers. Il participe ainsi à l’édification de la communauté. Cette hypothèse du besoin d’un espace physique pour les tiers-lieux est renforcée lorsqu’on s’intéresse aux transformations d’édifices industriels. En effet, la vacance de ces espaces nous montre l’opportunité d’expérimenter des méthodes de conception et de construction où les réglementations françaises sont contournées pour être plus adaptées aux usagers. L’intérêt est tout d’abord porté par le caractère réversible des bâtiments. Utiliser des espaces vacants permet d’apporter une plue-value à la ville tout en adoptant une position sociale. Il y a donc un intérêt économique, politique et social dans cette expérience. De même, on remarque que la qualité architectonique établie au sein de ces lieux comporte des analogies. En effet, ces lieux proposent une intervention mesurée constitués principalement d’espaces flexibles et modulaires. Ces espaces permettent alors une appropriation plus facile par la multiplicité de ses usages. Les expérimentations in-situ permettent ainsi de tester les programmations durant la construction afin de pouvoir faire des modifications si nécessaire. Cette méthode prend en compte l’ensemble des usagers au sein du lieu qu’il habite. Elle offre la possibilité de donner un avis constructif. Dès lors, la pertinence d’un programme permet une utilisation des lieux optimale. Par la suite, l’analyse a démontré l’importance de l’acte de construire. L’expérience permet de tester le lieux et comprendre ses éventuelles défaillances. Le chantier, est pour tout architecte, une phase qui

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clot le travail. Dans ces lieux, l’expérimentation au sein du chantier modifie la conception initiale du projet. Ainsi, avec la pratique, le temps consacré à chaque phase de projet évolue. Cependant, tout comme la notion de tiers-lieux, nous observons des difficultées auxquelles les structures doivent faire face. L’occupation temporaire de ces espaces vacants n’est pas sans conséquences vis à vis des politiques publiques et partenaires financiers. La gestion du lieu provoque parfois des évolutions obligeant les structures à mettre en cause les méthodes initiales. De même, l’intégration du bâti au quartier peine parfois à voir le jour de part le caractère imposant que l’architecture du lieu procure ou par la mixité sociale peu présente. De ce fait, nous pouvons nous demander dans quelle mesure ces lieux peuvent être considérés comme des tiers-lieux. C’est pourquoi, en confrontant les processus de ces deux notions, nous avons pu remarquer certaines similitudes. Cette étude de lieux en marge a prouvé le caractère innovant de ces nouveaux modes de fabrication par la collaboration des usagers. Ils ont ainsi produits de nouveaux biens commun. Le choix de la programmation est alors en accord avec le lieu. Ainsi apparaissent de nouveaux dispositifs de fabrication d’espaces où les processus évoluent à l’infini. En effet, les procédures de reconversions industrielles et celles d’un tiers-lieu sont spécifiques. Elles résident dans l’état transitoire d’une communauté. Le bâtiment permet à cette communauté de contribuer à l’amélioration des lieux pour favoriser la qualité des futures interactions. Ces processus sont singuliers puisqu’ils dépendent de la communauté qui y habite et par conséquent en perpétuel transformation. Dans ce sens, la programmation du corpus étudié appartient aux environnements des tiers-lieux d’innovation. C’est ainsi que la gouvernance de ces lieux modifient les processus de conception et le rôle conféré à l’architecte. De même, la définition des enjeux d’une programmation de type tiers-lieu au sein d’une reconversion industrielle a permis d’apporter une nouvelle définition de cette notion. Le projet de fin d’étude associée à la mention recherche sera l’occasion de mettre en pratique ce type de méthodologie en testant un programme de type tiers-lieux au sein d’une reconversion d’un édifice patrimonial. L’aménagement du site, un ancien ascenseur à bateaux au coeur du Pas-de-Calais dans le nord de la France sera l’occasion de proposer une programmation qui correspond aux enjeux des communautés de tiers-lieux au sein d’un territoire rural.

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WEBOGRAPHIE 69


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Vidéos/Podcast :

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Culture, O. P. C. Raphaël Besson!: Les tiers-lieux culturels. Chronique Les tiers-lieux culturels. Chronique d’un échec annoncé par Raphaël Besson, 2018. https://vimeo.com/278314196. Quartier Génial. Qu’est ce qu’un tiers lieu!? Consulté le 4 décembre 2018. https://www.youtube.com/watch?v=_z8TEKzwrSY. « Pourquoi tant de friches!? » France Culture. Consulté le 11 septembre 2018. https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-dete/pourquoi-tant-de-friches.

Ressources pédagogiques sur les tiers-lieux : « 5 projets lyonnais dans les tiers lieux pour l’innovation Auvergne Rhône-Alpes | Lyon Pôle Immo ». Consulté le 25 juin 2018. http://www.lyonpoleimmo.com/2018/02/14/48744/5-projetslyonnais-dans-les-tiers-lieux-pour-linnovation-auvergne-rhone-alpes/. « Fabrique d’Objets Libres ». Fabrique d’Objets Libres. Consulté le 5 novembre 2018. http://www.fablab-lyon.fr/. « La MYNE - Une Manufacture des Idees & Nouvelles Experimentations ». Consulté le 5 novembre 2018. https://www.lamyne.org/. « L’ART DE FABRIQUER l’alchimie heureuse - PrimaTerral’Agence BÊTA v22 07 2015.pdf ». Le Cloud par esprit libre. Consulté le 12 janvier 2019. https://cloud-espritlibre.ovh/index.php/s/OTa1hP7gJlcYQtP. « LOBSTER ». Consulté le 25 juin 2018. http:/_home. « Manifeste – TiLiOS – Tiers Lieux Libres et Open Source ». Consulté le 5 novembre 2018. http://tiers-lieux.org/manifeste/. « Movilab.org ». Consulté le 5 novembre 2018. http://movilab.org/index.php?mobileaction=toggle_view_mobile. « OpenARA!: Réseau des lieux et démarches OPENSOURCE (Lyon, France) ». Meetup. Consulté le 5 novembre 2018. https://www.meetup.com/fr-FR/OpenARA/. « Ouishare | Exploring the edges ». Consulté le 5 novembre 2018. https://www.ouishare.net/. « Résultats de l’appel à projets «!Tiers lieux pour l’innovation!» Auvergne-Rhône-Alpes 2017 | Europe en Auvergne-Rhône-Alpes ». Consulté le 25 juin 2018. https://www.europe-enauvergnerhonealpes.eu/actualites/resultats-de-lappel-projets-tiers-lieux-pour-linnovationauvergne-rhone-alpes-2017. « Tiers-Lieux | ». Consulté le 25 juin 2018. http://coworking.grandlyon.com/tiers-lieux/. « Typologies & définition | La Coopérative des Tiers-Lieux ». Consulté le 5 novembre 2018. https://coop.tierslieux.net/tiers-lieux/typologies-definition/. « YOUFACTORY ». YOUFACTORY. Consulté le 5 novembre 2018. http://youfactory.co/.

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GLOSSAIRE ALTERNATIF : qui présente ou propose une alternative, un choix entre deux solutions. (Larousse) ARCHITECTONIQUE : Qui concerne l'architecture en tant que science et technique de la construction, et considérée d'un point de vue théorique abstrait, en particulier en tant que recherche et création de structures; qui a un rapport avec l'architecture ainsi conçue. (tilf) CONCEVOIR : Élaborer quelque chose dans son esprit, en arranger les divers éléments et le réaliser ou le faire réaliser. (Larousse) ESPACE : Milieu idéal indéfini, dans lequel se situe l'ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables. (tilf) ÉVOLUTIVITÉ : Capacité d‘évolution d’un ouvrage, anticipée dès sa conception.

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EXPÉRIMENTER : Éprouver, apprendre, découvrir par une expérience personnelle. C’est également essayer, tester les qualités de quelque chose. (tilf + Larousse) GOUVERNANCE : définition plus flexible de l’exercice du pouvoir, reposant sur une plus grande ouverture du processus de décision, c’est à dire sa décentralisation, la mise en présence simultanée de plusieurs statuts d’acteurs. Touchant à la fois à la direction d’entreprises, au contrôle de l’administration, à la mise sur pied de budgets participatifs ou à la consultation publique urbaine, la gouvernance recouvre aujourd’hui les types d’organisation et les intuitions politiques les plus divers, 82

superposés aux formes plus traditionnelles d’action publique . HABITER : Selon Heidegger, ce n’est pas que se loger, mais “être sur terre comme mortel”, c’est à dire une expérience du monde. Pour Henri Maldiney, c’est entrer en connexion avec le lieu. Cela nécessite 83

d’être engagé. C’est une expérience qui nous transforme . HYBRIDE : Qui n'appartient à aucun type, genre, style particulier; qui est bizarrement composé d'éléments divers. (cnrtl) 84

HYBRIDATION : Résultat d’une programmation plurifonctionnelle au sein d’un même bâtiment.

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Rubin, Patrick, Construire réversible, p.11 Paris, Canal architecture, 2017 Pitseys, John,. « Le concept de gouvernance ». Revue interdisciplinaire d'études juridiques Volume 65 (2): 207-28, 2010. 83 Cattant, Julie, Conférence n°1 “enjeux urbains & enjeux humains, [re]habiliter le monde”, incertitude, un monde [in]habitable, 27 novembre 2017. 84 Rubin, Patrick. 2017. Construire réversible, p.10 Paris, Canal architecture. 82

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IDEATION: processus créatif de production, développement, et communication de nouvelles idées ; le terme idée signifie ici un élément de base de la pensée, ou plutôt de la vie psychique en général, qui peut être aussi bien sensoriel ou concret qu'abstrait. L'idéation comprend tous les stades d'un processus de pensée original, de l'innovation au développement de l'idée et jusqu'à son achèvement. C'est ainsi un aspect essentiel de tout processus créatif ou conceptuel, d'où son importance aussi bien en pédagogie que dans la vie pratique. Le terme idéation est un anglicisme tiré de ideation, terme inventé par John Stuart Mill. (Wikipédia)

MAÎTRISE D’USAGE : (abrégée MUE) est un concept complémentaire du binôme traditionnel associant les notions de maîtrise d'ouvrage (MOA) et de maîtrise d'œuvre (MOE), apparu avec l'attention croissante accordée aux nouveaux usages en lien avec le développement du numérique et de l'Internet. Il met l'accent sur l'importance de la prise en compte des besoins comme des pratiques propres à l'utilisateur final dans toute approche d'implémentation technologique impliquant une transformation sociale et la conduite d’un changement, dans le contexte notamment de la stratégie numérique d'une entreprise. La maîtrise d'usage revêt une triple dimension de posture comportementale, de pratiques associées à des processus et procédures définies, et enfin, de démarche de mesure. (wikipédia) MATÉRIALITÉ : Caractère de ce qui est matière et le fait d'être constitué de matière. (tilf) MATÉRIALISATION : Action de (se) matérialiser ; résultat de cette action. (cnrtl) MODULARITÉ : Capacité d’un ouvrage à évoluer par remplacement, ajout ou soustraction de modules. Ex : La Nakagin Capsule Tower à Tokyo, Kisho Kurokawa, 1972.

85

LIEU : Le lieu (ety. topos) est un terme vague qui peut se définir à la fois physiquement, temporellement et socialement. Si l’on analyse les définitions du mot « lieu » provenant du cnrtl, il est d’abord définit par une « portion déterminée de l’espace ». On peut alors introduire la notion de spatialité, qui se définit d’un point de vue sociologique par un « espace vécu, fondement de toute relation significative entre un sujet et son environnement ». Le terme lieu est donc caractéristique d’un espace physique où l’on interagit. D’un point de vue physique, le lieu fait aussi référence à la « relation par laquelle un objet (ou le déroulement d'un procès) est situé dans l’espace ». Il n’est non plus seulement caractérisé par l’espace spatial en tant que tel mais également par les objets qui entrent en interactions dans cet espace. Le lieu peut donc dépendre d’un référentiel physique et mobile et par conséquent être perçu de manière subjective. Il peut également être défini par sa qualité topographique ou historique. C’est un mot qui peut être destiné spécifiquement à quelque chose. Selon Michel de Certeau, l’espace serait 85

Rubin, Patrick. 2017. Construire réversible, p.11 Paris, Canal architecture.

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donc au lieu ce que devient le mot quand il est parlé. A une échelle plus large, le terme lieu vient en complément et précise « l’endroit où l'on est, où l'on va, et par où l'on passe ». Il renvoie donc à une localité, un pays, au déplacement. Enfin d’un point de vue sociologique, le lieu peut signifier la position ou la situation dans une hiérarchie sociale ou politique. De même, elle peut signifier la place, le rang, la portion de l'espace qui est assignée, réservée à une chose ou à une personne. Le lieu a donc également une signification sociale.

POLITISATION : processus de socialisation par lequel un individu ou une association est amené à s'intéresser à la politique et à développer des réflexions et des pratiques qui en relèvent. (wikipédia). PROCESSUS : Suite continue de faits, de phénomènes présentant une certaine unité ou une certaine régularité dans leur déroulement. Ensemble d'opérations successives, organisées en vue d'un résultat déterminé. vient du latin pro (au sens de « vers l'avant ») et de cessus, cedere (« aller, marcher ») ce qui signifie donc aller vers l'avant, avancer. Ce mot est également à l'origine du mot procédure qui désigne plutôt la méthode d'organisation, la stratégie du changement. (tilf + wikipédia) RECONVERSION : La reconversion se différencie de la réutilisation par son intentionnalité et la mise en oeuvre qu’elle implique. Elle exprime la volonté consciente et raisonnée de conserver un édifice dont la valeur patrimoniale est reconnue tout en lui redonnant une valeur d’usage qu’il a perdue. Contrairement à la réutilisation, le changement d’usage qui s’opère lors d’une reconversion nécessite l’adaptation du bâti à ce nouvel usage, mais ces transformations s’effectuent dans le respect de 86

l’esprit du lieu et en conservant la mémoire de la fonction originelle.

RÉHABILITATION : en architecture, cela consiste à améliorer l’état d’un bâtiment dégradé ou simplement ancien afin qu’il puisse conserver sa vocation initiale. Cette opération de remise en état s’accompagne d’une mise en conformité du lieu selon les normes en vigueur, que ce soit en matière de sécurité, d’hygiène, de confort ou d’environnement. La réhabilitation peut également avoir une dimension urbaine et s’appliquer à un îlot ou un quartier, mais concerne essentiellement l’habitat. La pratique de la réhabilitation urbaine est amorcée dans les années 1970 en réaction aux opérations de rénovation d’après-guerre et permet le maintien des populations en place.

87

RÉVERSIBILITÉ : capacité d’un lieu ou d’un bâtiment à évoluer, se transformer et revenir à un état antérieur. (Larousse)

86 87

Ibid, p.13 Ibid, p.14

74


SÉRENDIPITÉ : capacité, art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard ; la découverte ainsi faite. (Larousse) TEMPORALITÉ: Caractère de ce qui est dans le temps, de ce qui appartient au temps. (cnrtl) TIERS : Tiers signifie à la fois troisième mais également qui s'ajoute, qui est étranger à un ensemble de deux personnes, de deux groupes. Il y a donc un entre-deux à définir dans la définition que l’on se fait d’un Tiers-Lieu. Tiers fait également référence, dans le monde de l’architecture et du paysage, au tiers paysage de Gilles Clément qui « désigne l'ensemble des espaces qui, négligés ou inexploités par l'homme, présentent davantage de richesses naturelles sur le plan de la biodiversité que les espaces sylvicoles et agricoles. » Il est donc intéressant de remarquer que cet entre-deux est pour lui un espace délaissé mais qui développe une diversité supérieure dans l’accroissement biologique des espèces que celles soumis à l’anthropisation, c’est à dire, aux espèces entretenues par l’activité humaine. Il fait d’ailleurs lui même référence au Tiers État dans l'Ancien Régime, c'est-à-dire à la partie la plus nombreuse mais la moins privilégiée de la population par rapport au clergé et à la noblesse. Gilles Clément cite ainsi le pamphlet publié par l'abbé Sieyès en 1789 : « Qu'est-ce que le Tiers État ? – Tout. Qu'a-t-il fait jusqu'à présent ? – Rien. Qu'aspire-t-il à devenir ? – Quelque chose. » Selon Antoine Burret, le mot tiers à un sens historique. « Elément qui unifie un ensemble hétérogène d’individus autour d’une histoire commune », Figure abstraite, confuse, en devenir, a l’instar d’Hannah Arendt, qui, concernant le Tiers monde, n’est pas une réalité mais une idéologie, une représentation subjective du monde. Pour lui, à défaut de comprendre un vaste ensemble, on le catégorise dans le “tiers” à défaut de le comprendre. Le mot tiers fait ainsi référence à une une transition, un passage d’un état à un autre, un entre deux donc et non en un état qui existe déjà. TRANSFORMATION : Action de transformer ; résultat de cette action. (cnrtl) TRANSITION : Passage d’un état à un autre. (cnrtl) USAGE : Pratique, manière d'agir ancienne et fréquente, ne comportant pas d'impératif moral, qui est habituellement et normalement observée par les membres d'une société déterminée, d'un groupe social donné. (cnrtl) 88

En architecture, la notion d’usage va au delà. Pour Joëlle Zask , dans son article de recherche, de l’usage des lieux, la notion d’usage va de paire à une localité. L’architecture moderne, fonctionnaliste et froide a, selon elle, remplacé l’usager par l’utilisateur. C’est pourquoi, elle insiste sur la “dimension “actionnelle” “ au sein des lieux et de l’absence du pouvoir de décision de chaque citoyen face à ses biens. L’usage en tant que manière d’agir et d’habiter un espace, ne serait plus manifeste puisque

88

Enseignante-chercheuse en philosophie.

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guidé par “l’expert qui prétend déterminer ses intérêts véritables mais en fait développe en lui le comportement qui l'associera involontairement à tous les autres, sans même qu’il s’en rende 89

compte” . L’usager doit donc “faire soi même l’expérience” pour pouvoir être acteur d’une pratique d’un lieu. URBANISME TACTIQUE : À la croisée de l’expérimentation citoyenne et de la préfiguration de vastes transformations urbaines, l’urbanisme tactique est une intervention à petite échelle, de courte durée et à petit budget dans l’espace public.

90

89

Zask, Joëlle, “l’usage des lieux”, p.90, Collectif B42. 2018. Lieux Infinis, Construire des Bâtiments ou des Lieux ? Institut français d’architecture, B42. 90 « L’urbanisme tactique permet de connecter urbanistes et habitants ». s. d. Consulté le 6 janvier 2019. https://www.demainlaville.com/essor-urbanisme-tactique/.

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LE CHANNEL

Reconversion des anciens abattoirs de la ville pour la scène nationale de Calais. 173 boulevard Gambetta, 62100 Calais CALAIS

1850 : Le Channel, Patrick Bouchain


LYCEE SOPHIE BERTHELOT

LE CHANNEL

ECOLE MATERNELLE DES CAILLOUX


Salles de spectacle 500 et 300 places, studio cirque 150 places, ateliers danse, enseignement, auberge, bureaux, librairie. A: Calais (62) A la demande de: Le Channel, Francis Peduzzi Commandé par: La ville de Calais, Jacky Hénin (maire) Par: Patrick Bouchain, Loïc Julienne et François Delarozière Avec: Chloé Bodart, Denis Favret (architectes), Daniel Sourt (scénographe), Christophe Theilmann (architecte), Yves-Marie Ligot (bet bois), Liliana Motta (artiste botaniste), Joël Ducoroy (artiste), Arcoba (bet), Yves jacquet (bet structure), Cénomane (construction bois), Loison (charpente métal), Val étanchéité, Soleg (électricité), Marie Blanckaert (école d’architecture) et toute l’équipe du Channel Surface: 10.000 m² Coût: 10.000.000 €HT

1983 : Création du Centre de développement culturel de Calais qui ne dispose pas de lieu artistique en gestion propre. 1991: Nomination de Francis Peduzzi, directeur. Le Centre de développement culturel de Calais devient le Channel, scène nationale. Il n’y a toujours pas de lieu en gestion propre. 1994 : Le Channel s’installe dans les anciens abattoirs de la ville de Calais pour préparer la première édition de Jours de fête à Calais, manifestation liée à l’ouverture du Tunnel sous la Manche. 2000 : Vendredi 21 janvier, le Channel inaugure la salle qui s’appelle le Passager. C’est le début d’un rêve étendu à la totalité du site, celui de rénover l’ensemble des anciens abattoirs et de les transformer entièrement en lieu de vie. 2001: Au mois de juillet, tous les partenaires institutionnels du Channel soutiennent le projet alors engagé dans la reconversion des anciens abattoirs en site culturel. 2002 : François Guiguet est chargé de l’étude de programmation architecturale des anciens abattoirs. Francis Peduzzi1, directeur du Channel, est nommé chef de projet de la reconversion du lieu par décision du conseil municipal de la ville de Calais. 2003 : Vendredi 5 septembre, la commission d’appel d’offres élar­­gie­de­la­ville­de­Ca­lais­a­pro­cédé­au­choix­défi­­ni­­tif­de­trois­ équipes d’architectes qui auront la mission d’élaborer un futur pour les anciens abattoirs, dans le cadre d’un marché de défi­­ni­­tion. 2004: Patrick Bouchain4 et son agence d’architectes Construire sont élus. Ils s’associent à l’artiste François Delarozière. 2005­:­Une­ca­bane­de­chan­­tier­est­construite­en­fin­d’an­­née.­ Lieu de rencontre entre l’équipe du Channel, les ouvriers, les usagers et les artistes, elle permet notamment à ses hôtes une lecture quotidienne de l’avancée des travaux.

Vue aérienne du site

2006 : Au mois de janvier, début des travaux et adieu à la salle du Passager. Durant la rénovation du site, la cabane de chantier héberge une très large part de la vie artistique du Channel, l’autre part existe dans le chantier même, requérant parfois la présence des ouvriers. 2007 : Au mois de juillet, démolition de la cabane de chantier. Samedi 1er décembre, Le Channel se dévoile. Près de six mille personnes se pressent à l’inauguration du site transformé, malgré les rafales de vent et de pluie. 2009 : Au mois de mars, ouverture de la librairie, du bistrot et du restaurant, c’est le chef Alexandre Gauthier5 qui signe chaque mois la carte jusque 2012.

Le contexte : les pavillons résidentiels alignés

2016 Au mois de juin, Long Ma, cheval-dragon, et l’araignée Kumo, réalisés par La Machine, ont enchanté les rues de Calais. En novembre, Le Channel inaugure une nouvelle tribune dans la grande halle signée François Delarozière.


Les soirées spectacle

La Cité de chantier

Vue depuis la rue intérieure

Salle de spectacle : La grande halle

Le bistrot du Channel

Feux d’hiver : decembre 2017


Maquette du studio cirque

Plan Masse

Plan RDC


LA CONDITION PUBLIQUE Transformation d’une ancienne lainerie en manufacture culturelle 14 place Faidherbe 59100 ROUBAIX

ROUBAIX

1902 : La Condition Publique, Patrick Bouchain


FABRICA LE FAMILIAL

canal de Roubaix

ZONE COMMERCIALE

LA CONDITION PUBLIQUE

HOTEL DE LA MUSIQUE ROUBAIX

MOSQUEE ABOU BAKR


Salles de spectacle et d’exposition, espaces de répétition, maison pour les artistes, café-restaurant, pépinière d’entreprises culturelles, espace botanique d’expérimentation et d’étude sur les toits terrasses A: Roubaix (59), quartier du Pile A la demande de: Manu Baron et Pascale Debrock Commandé par: La SEM ville renouvelée, Jean Badaroux Conçu par: Patrick Bouchain, Concordet et Loïc Julienne

Nicole

Avec: , Liliana Motta (artiste botaniste), Jean Lautrey (artiste), Daniel Sourt (scénographe), GEC (bet), Georges Rouch (acoustique) Le calendrier

La maquette de l’édifice


La grande halle A colorée

Ajout d’une trémie et d’un escalier dans la salle de spactacle

Mis en place du lanterneau

Ajout du revêtement en bois

Promenade sur les toits

Perpétuer la culture sur les toits


Stratégie structurelle : supprimer un alignement de poteaux et apporter de la lumière par l’ajout de lanterneaux


Alexa Brunet

LA FRICHE DE LA BELLE DE MAI Reconversion d’anciennes manufactures de tabac en un quartier culturel urbain. 13 rue Jobin 13 003 Marseille

MARSEILLE

1868 : La Friche de la Belle de Mai, Encore Heureux


COLLEGE BELLE DU MAI

ECOLE ÉLÉMENTAIRE BERNARD CADENAT

ECOLE MATERNELLE PUBLIQUE JOBIN-CADENAT

LA FRICHE LA BELLE DU MAI

CENTRE DE CONSERVATION ET DE RESSOURCE DU MUCEM

POLE MEDIA

PISCINE SAINT-CHARLES

LYCEE SAINT-CHARLES


STRUCTURE société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) SURFACE 100 000 m² (bâtiments) 45 000 m² (parcelle) PROPRIÉTAIRE FONCIER Ville de Marseille avec délégation par bail emphytéotique administratif au porteur de projet.

1868 : Installation de la Manufacture des tabacs de Marseille dans le quartier de la Belle de Mai, où l’on confectionne à la mai près de 100 millions de cigares par an. 1935 : La Seita (société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) gère ce site de 12 ha, spécialisé dans la prodcution des cigarettes Gauloises et Gitanes. 1991 : fermeture de l’usine

SOURCES DE FINANCEMENT 75% de subventions publiques et privées (ville de marseille, 1992-1995 : Convention d’occupation précaire d’une durée de collectivités territoriales, etat, mécènes), 25% de ressources 6 mois entre Système firhce théatre (alors dirigé par Philippe Foulquié) et la Seita. Artistes, producteurs et plusieurs acteurs propres (location d’espaces, vente de billets) culturels s’y installent; Création de Adam quoi ? d’armand Gatti : PORTEURS DE PROJET gigantesque travail théatral qui investit le lieu pendant un an avec SCIC la friche la belle de mai des comédiens non professionnels. ARCHITECTES Bkclub (2018-2020), Caractère Spécial (2015-2017), Olivier Moreux (2014), Duchier Pietra (2014), Construire (2013), Matthieu Place (2013), Matthieu Poitevin Architecture – ARM Architecture (2002-2015), Michel Désiré (1868)

1995-2000 : Jean Nouvel devient président de Système Friche Théatre (SFT). Elaboration collective du “projet culturel pour un projet urbain”, défendant l’idée ‘une permanence artistique indispensable au développement urbain

2001-2008 : Robert Guédiguian devient président de SFT et Patrick USAGERS résidents, exploitants, partenaires opérationnels (salles de spec- Bouchain accompagne la Ville et SFT dans le développemment de tacles, skate-park, institutions implantées sur site, etc), publics. la pérennisation de la Friche. Matthieu Poitevin (ARM Architecture) développe successivement trois schémas directeurs. Installation d’un campement d’Algéco pur la première phase d’aménagement, ouverture du restaurant Les Grandes tables et du Cabaret aléatoire 2007-2008 : Création d’une société coopérative d’intérêt collectif présidée par PB et signature d’un bail emphytéotique administratif pour une durée de 45 ans avec la ville 2008-2011 : Marseille est retenue “capitale européenne de la culture 2013”, la friche fait partie des 5 projets phares de la ville. Rénovation de la Tour et des Magasins, création du Panorama, ouverture du Skatepark. Marc bollet devient préseident de SFT et Alain Arnaudet directeur de la Friche de la Belle de Mai.


La Tour : Plateaux d’exposition : espace et lumière à la Friche

Façade de la manufacture

La Cartonnerie : auditorium, espace modulable

Le Toit-Terrasse

Les Grandes Tables : restaurant de la friche

Le Grand-Plateau


CHIFFRES CLEFS 450 000 visiteurs par an 8 000 m² de toiture terrasse accessible 2 400 m2 d’espaces d’exposition, 600 événements par an 400 personnes travaillent sur le site 70 structures résidentes hébergées 20 parcelles de jardins partagés 20 chambres dédiées aux résidences 5 salles de spectacle 2 radios associatives


LES GRANDS-VOISINS Ancienne maternité d’un grand hôpital, déploiement d’un quartier temporaire profitant d’une vacance d’usage. 82 avenue Denfert-Rochereau, 75014 PARIS

PARIS

1880 : Les Grands-Voisins, YesWeCamp


JARDIN DES GRANDS EXPLORATEURS

ESPACE SPECIALE D’ARCHITECTURE FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN

CIMETIERE DU MONTPARNASSE

LES GRANDS VOISINS

OBSERVATOIRE DE PARIS


STRUCTURE partenariat entre 2 associations et une scic

1795 : Construction d’un Hospice des enfants trouvés 1934 : Modernisation et ouverture d’une maternité

SURFACE 22 000 m² (bâtiments), 34 000 m2 (parcelle) PROPRIÉTAIRE FONCIER APHP puis sem paris batignolles aménagement SOURCES DE FINANCEMENT 100% de ressources propres (location d’ateliers, service restauration et bar, hébergement d’urgence et touristique) PORTEURS DE PROJET association aurore, SCIC plateau urbain, association yes we camp ARCHITECTES Yes We Camp (aménagements temporaires, 2015-2018), J. & A. Fourquier et J. Filhol, Philippe Alluin et Jean Paul Mauduit (1997), Marcel Desprez et André Larrousse (1978), georges Mathy (1960), Félix Debat (1934), Justin-Jean-Marie Rochet (1911), Paul-Marie Gallois (1886), Théodore-François-Marie Labrouste (1879), Pierre-Martin Gauthier (1845), Charles-François Viel (1807), Daniel Gittard (1650) USAGERS résidents en hébergement social, résidents locataires, bénévoles, utilisateurs ponctuels, publics

Les Grands-Voisins, Saison 1 : 2016-2018

2010 : Déménagement de l’hôpital Saint-Vincent de Paul vers une strcuture plus moderne La ville de Paris encisage de construire un écoquartier sur le site. 2010-2013 : L’AP-HP ( Assistance publique - Hôpitaux de Paris) qui gère le site de SVDPP, fair appel à l’association Aurore pour s’occuper d’un afflux de sans-abri. Création par Aurore, de 300 places d’hébergement d’urgence dans les bâtiments libres. 2014 : Signature d’une convention d’occupation temporaire entre l’AP-HP et Aurore. 2015 : Plateau Urbain, une coopérative d’urbanisme temporaire, rejoint l’aventure pour gérer la mise à disposition des espaces vacants à des acteurs culturels, associatifs ou issus de l’Économie sociale et solidaire. YesWeCamp, association de construction d’espaces partagés innovants, réalise les travaux préalables à l’ouverture du site au public. L’objectif des trois associations est de favoriser l’insertion par la mixité sociale. En l’absence de subventions, Yes We Camp propose un service de restauration, La Lingerie. La cuisine et la vente sont en partie assurées par les résidents et les hébergés. A l’issue d’un appel d’offres, 30 structures créatives sont sélectionnées et s’installent contre un loyer couvrant juste les charges courantes. 2016 : Ouverture de la saison 1 du site des Gds Voisins les aménagements se multiplient Yes We Camp ouvre le premier camping intra muros de Paris. Afin de favoriser les rencontres, l’insertion sociale et la mixité, un système d’échange de services via une monnaie-temps locale est mise en place sur le site. Une conciergerie solidaire dispositif de retour à l’emploi, est implantée en lien avec le fonctionnement du site. 2017 : fêtes de cloture de la saison 1 2018 : Ouverture de la saison 2 en parallèle du démarrage des travaux de l’écoquartier 2020 : Livraison des logements de l’écoquartier


Gouvernance


Terrasse de la Lingerie

La Chaufferie

La Lingerie : buvette, une salle des fêtes, lieu de vie culturel et convivial ouvert à tous.

L’Oratoire : café-restaurant, espace de rencontres, restauration saine et bon marché.

La Pouponnière : cette salle accueille des conférences, du cinéma ou encore du théâtre…

La Recyclerie Créative : boutique, atelier et espace de tri et de stockage dédié au réemploi.


LE LIEU UNIQUE

Reconversion des anciennes usines LU en scène nationale de Nantes. Quai Ferdinand-Favre, 44000 Nantes

NANTES

1886 : Le Lieu Unique, Patrick Bouchain


MUSEE D’ARTS DE NANTES

JARDIN DES PLANTES

CATHEDRALE SAINTPIERRE-ET-SAINT-PAUL

GARE DE NANTES CHATEAU DES DUCS DE BRETAGNE

LE LIEU UNIQUE

LA CITE DES CONGRES DE NANTES


Salle de spectacle de 700 places, petite salle, halle, restaurant, librairie, crèche, expositions.

1886 : L’annexe Ferdinand-Favre est construite pour fabriquer les biscuits des pâtissiers : les Lefèvre-Utile.

A: Nantes (44)

1974 : La démolition du site LU, elle n’épargne qu’une tour décapitée et l’annexe Ferdinand-Favre. Les grands espaces désaffectés s’offrent aux besoins de chacun : l’ancienne biscuiterie devient squat culturel.

A la demande de: Jean Blaise et du CRDC Commandé par: La ville de Nantes, Jean-Marc Ayrault (maire) Par: Patrick Bouchain, Nicole Concordet et Loïc Julienne. Avec: Marco Penanhoat (architecte), Jean Lautrey et Camille Virot (artistes), Daniel Sourt (directeur technique), Patrick Raynaud (grenier du siècle), Bernard Delage. Surface: 5.000 m² Coût: 4.500.000 €HT

1994 : quatrième édition du festival Les Allumées. Porté par le CRDC (Centre de Recherche pour le Développement Culturel), scène nationale (et nomade) de Nantes, ce festival accueille pendant six nuits des artistes de grandes villes du monde : Barcelone, Saint-Pétersbourg, Buenos-Aires, Naples, Le Caire… 1995 : la ville rachète l’annexe Ferdinand-Favre. Déclarée site protégé, la friche industrielle échappe de justesse à la démolition et accueille de nouvelles manifestations culturelles du CRDC comme Trafics : Marché de l’art et trafic de spectacles en juin 1996, Cuisines et Performances en juin 1997, et Fin de Siècle : Johannesburg en octobre 1997 ou New York en 1998. 30 décembre 1999 : Jean Blaise et toute son équipe inaugurent le lieu unique lors du festival Fin de Siècle à Nantes. Cette ouverture est d’abord placée sous le signe du Grenier du Siècle : une double paroi extérieure est conçue par Patrick Bouchain pour recevoir une importante collection d’objets hétéroclites, dons de la population. “Mis en conserve” dans des boîtes en métal, ils vont séjourner un siècle entier dans le Grenier, qui ne s’ouvrira que le premier janvier 2100 à 17h précises. Photo, poupée, lettre d’amour, téléphone portable, vieille TSF : les objets de 11 855 citoyens sont ainsi scellés, contribuant à l’élaboration d’une mémoire géante pour les générations futures.

Tour LU

Le Grenier


Le Grand Atelier : séparé par une cloison mobile, salle de spectacle 630 m2

La Cour : espace d’exposition, modulable 1200 m2

L’atelier du silo : atelier d’artiste utilisable par des plasticiens de la région pendant 6 mois

Le salon de musique : salle de conférence, musique, lecture

Les Ateliers : espaces bruts appropriables 1000 m2

Bar restaurant : Lieu de vie du lieu unique


Croquis de la verrière de la cour en shed

Plan Masse

Plan rez-de-chaussĂŠe



Mention Recherche

LES TIERS-LIEUX : NOUVEAUX ESPACES COLLABORATIFS

Directeur de mémoire : Kévin Jacquot, architecte, docteur en sciences de l’architecture, ENSAL, domaine d’études Sciences et techniques pour l’architecture - STA.

Mémoire Mention recherche, Master 2 - 25 juin 2019 - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon - Laboratoire MAP-Aria


« Les plus grands produits de l'architecture sont moins des oeuvres individuelles que des oeuvres sociales ; plutôt l'enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de 1 génie . »

1

Hugo, Victor. « Notre-Dame-de-Paris », 1831

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................................................................................... 4! UN PARCOURS HETEROCLITE ...................................................... 5!

I.! Les tiers-lieux : une nouvelle appropriation des espaces, ensemble. .................................. 6! II.! Les tiers-lieux dans les milieux ruraux, un nouvel argument d’attractivité : l’exemple de La Station à Saint-Omer (62) .................................................................................................. 14! III.! L’ascenseur à bateaux des Fontinettes à Arques : une application in situ.......................... 25!

CONCLUSION .................................................................................................................................................... 34! BIBLIOGRAPHIE :............................................................. 36! ANNEXES : QUESTIONNAIRE ENTRETIENT LA STATION SAINT-OMER ..................... 1!

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Introduction

La recherche n’est pas une discipline à laquelle je me prédestinais, lorsque il y a deux ans, je suis arrivée à l’école d’architecture de Lyon. Aujourd’hui, je peux désormais affirmer qu’elle est complémentaire dans le parcours que je me suis construit. La recherche, tout comme l’enseignement de projet, nécessitent de la curiosité, de l’autonomie et une multidisciplinarité. L’apprentissage de la méthodologie universitaire permet d’approfondir la formation et de renforcer ma rigueur dans les projets que j’entreprends. Cette mention recherche montre donc le lien entre le caractère scientifique de la recherche et le côté créatif et subjectif de la conception de projet en architecture par la thématique des tiers-lieux. Cette union offre les outils pour aller plus loin dans la réflexion, pour se poser les bonnes questions sur ce nouveau phénomène de société. Cette thématique des tiers-lieux comme nouveaux espaces collaboratifs n’est pas anodine. Elle est en lien avec l’ensemble des expériences dont j’ai pu bénéficier jusqu’aujourd’hui. Durant la licence, j’ai pu apprendre une logique dans l’organisation spatiale selon des programmes quantifiés et qualifiés. Dessiner un salon, une cuisine, des bureaux… Déterminer des superficies. J’ai appris une méthodologie cadrée et normée. Aujourd’hui cette appellation qu’est le tiers-lieu sollicite de nouvelles appropriations spatiales. Un cours mêlant histoire de l’Architecture et matérialité m’a interrogée sur l’importance de prendre en compte le cycle de vie d’un projet tant dans sa programmation que dans sa construction jusqu’à sa future destruction. Aujourd’hui, nous sommes à la recherche d’espaces, d’usages et de programmes plurifonctionnels. Les tiers-lieux, ces entre-deux source d’infinis malentendus, reflètent la société actuelle sous forme de lieux ancrés au sein d’un territoire. On peut alors se poser la question du caractère pérenne des tierslieux. Ce terme « à la mode » est-il déjà obsolète ? Ce type de démarche dite « innovante » est-elle reproductible ? Quelle méthode appliquer pour concevoir des espaces de type tiers-lieu ? Après l’analyse architectonique des processus de transformation d’un corpus de cinq lieux au sein de territoires urbains, cette mention recherche questionne à nouveau la notion de tiers-lieu à l’échelle du territoire. Comment la notion de tiers-lieux fait-elle écho avec l’ensemble de mon parcours ? Tout d’abord par une contextualisation de cette notion à l’échelle du territoire, nous verrons pourquoi cette notion est toujours aussi difficile à définir. Puis nous détaillerons les impacts à l’échelle du territoire et en quoi les tiers lieux modifient la façon de

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concevoir des espaces. Dans un second temps, par l’analyse d’un tiers-lieu à proximité du site de PFE, nous évaluerons comment le tiers-lieu en milieu rural est un vecteur d’attractivité pour les communes à l’échelle du territoire. Nous constaterons que le lieu dispose d’un pavillon préfigurateur et que ses enjeux se rapprochent des enjeux territoriaux des tiers-lieux urbains. Son modèle de gouvernance sera également étudié. Enfin, nous montrerons le lien avec le projet de fin d’étude notamment dans le choix de la programmation au sein de l’ascenseur à bateaux des Fontinettes. Nous expliquerons pourquoi ce projet est une proposition architecturale d’une méthodologie théorique et en quoi elle questionne à nouveau la définition du tiers-lieu.

UN PARCOURS HETEROCLITE

Mon parcours est jalonné de différentes expériences satellites regroupant trois projets en lien permanant : le mémoire de recherche, les expériences et le projet de fin d’étude. A travers ces deux dernières années de Master à l’école d’architecture de Lyon, j’ai eu l’occasion, par différentes expériences, de constater l’ascension de ces types de lieux par différents points de vue. Cette notion renvoie à une façon de penser, elle véhicule des valeurs que je souhaite continuer à défendre dans ma pratique future. S’intégrer à un contexte à toutes les échelles, offrir des espaces qui répondent à des besoins et usages, réutiliser l’existant et construire de manière durable. Les différentes expériences, recherches, par des projets que j’ai pu mettre en œuvre, grâce au stage au MAP-Aria tout comme ma qualité d’auditrice m’ont permis de construire un socle pour l’ensemble de mon travail que je présente aujourd’hui, au terme de six années à l’école d’architecture. Le mémoire de recherche s’est construit en lien avec les recherches exposées au sein de la Biennale de l’Architecture de Venise, Free Space. Cette étude m’a fait prendre conscience des possibilités infinies de transformations spatiales. Enfin, le choix de mon projet de fin d’étude s’est fait en lien avec mes problématiques de recherche. Il se caractérise comme une application spatiale de l’ensemble des notions qui gravitent autour des tiers-lieux et offre une possibilité de tester une programmation au sein d’un territoire défini.

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Figure 1 : Des expériences en réseau. Source :Auteur

I.

Les tiers-lieux : une nouvelle appropriation des espaces, ensemble.

Une non-définition en perpétuelle évolution

Les tiers-lieux offrent de nouvelles possibilités dans l’aménagement des territoires. En effet, les processus mis en place au sein de ces espaces rendent leur approche innovante. De même, l’évolutivité d’un bâtiment et l’organisation spatiale au sein de ces lieux permettent une multiplicité des usages. Entre deux, la coexistence entre le ressenti d’être « comme à la maison » et l’activité de travailler, les tiers lieux associent le caractère dynamique de la maison à la vie professionnelle dans un même espace physique. La conclusion de mon mémoire d’initiation à la recherche portant sur les Tierslieux au sein des réhabilitations industrielle du XIXe a permis de dégager ma propre définition d’un tiers-lieu au regard du corpus d’analyse de cinq transformations d’édifices industriels du XIXe. Un tiers lieu se caractérise par un espace physique et appropriable au sein duquel une communauté hétéroclite, hors de la communauté qui participe initialement, cohabite temporairement. L’enjeu consiste alors à transformer et produire un service pour le bien commun.

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Mais que sait-on vraiment des tiers-lieux ? Au terme de ces deux ans de recherche, comment cette notion a-t-elle évolué ? Selon Arnaud Idelon, les tiers-lieux se définissent également par leur « non-appartenance à des systèmes préétablis ». Ce sont des espaces ni publics ni privés (un bar, un restaurant, un café de village, un shopping mall, une bibliothèque), « où prend racine une sociabilité n’empruntant ni au travail ni au foyer ». Ce sont des lieux en marge que l’on peut considérer comme des « bouillons de culture » tant leur programmation et les usages qui surviennent peuvent varier en fonction du temps. Mi espaces de création, mi-lieux de diffusion, ces espaces hybrides résonnent dans un imaginaire en marge et sont en évolution constante. Pour le géographe Michel Lussault (ENS Lyon), la notion de tiers-lieu prend racine dans le contexte socio-urbain des banlieues pavillonnaires américaines des années 1950, qui creuse une distance avec les centres-villes. Face à cette écart comblé par l’automobile, il importe comme le souligne Ray Oldenburg de créer de nouveaux lieux de sociabilité. Pour l’architecte autrichien Victor Gruen, le tiers-lieu prend forme au travers du shopping mall. Il imagine l’espace commercial structuré autour d’une place centrale et crée des espaces de rencontres pour les individus, en dehors du domicile et du travail. Ces tierslieux historiques (malls, bars, bibliothèques) sont des espaces de liberté, et donc politiques2. Pour Yoann Duriaux et Aurélien Marty, figures du mouvement tiers-lieu à Saint-Etienne, ce contexte urbain n’est qu’un prétexte. Les tiers-lieux ne sont pas nés avec Oldenburg mais « prennent leurs racines dans la lose, le système D, la débrouille et un ADN contre-système ». Ainsi, les premiers tiers-lieux viendrait du monde de la culture. Mais la révolution numérique, ajoute au modèle les notions « libre & open source » qui induisent le terme tiers-lieu dans une utopie de l’ère digitale. En France, l’expérimentation devient une nouvelle manière de travailler, déçue par des conditions de travail peu propices à l’épanouissement. Le tiers-lieu est donc aussi un lieu où se réinvente un monde du travail abolissant toute forme de hiérarchie verticale. Ils prônent la mutualisation et le partage, le travail collectif, de Lille avec la Coroutine3 (2013) à la communauté OuiShare4.

2

Le terme politique renvoie au rapport de organisationnel de la société.

3

La Coroutine est un espace de coworking convivial créé, géré et financé par ses usagers pour créer travailler, bidouiller, apprendre, innover, partager, échanger, http://lacoroutine.org/ 4

OuiShare est une communauté, un accélérateur d’idées et de projets dédié à l’émergence de la société collaborative: une société basée sur des principes d’ouverture, de collaboration, de confiance et de partage de la valeur. https://www.ouishare.net/

7


Une multiplication des usages rayonnant à l‘échelle du territoire

Pour exister au sein d’un territoire, les tiers-lieu ont inévitablement besoin d’un ancrage physique. « Le point commun des tiers-lieux, c’est en effet leur capacité, à l’épreuve de l’usage et parfois au-delà de l’intention, à faire société, localement, à petite échelle, et en réseau5 ». Le bon fonctionnement d’un tiers-lieux relève ainsi de sa bonne compréhension du territoire dans lequel il s’inscrit. C’est pourquoi chaque tiers-lieu a ses spécificités. Il n’y a ainsi pas de recette miracle en tous lieux et en tout temps. Le lieu s’inscrit sur un territoire, connecté à son tissu qui encadre et accélère les processus dit de « sérendipité » favorisant les rencontres hasardeuses et non-linéaires. L’étude menée par OuiShare x le Lab6, sur un corpus européen de huit lieux nous permet de voir apparaître des enjeux plus clairs. « L’exploration Mille Lieux » est une étude détaillant d’une façon qui se veut objective l’impact des tiers-lieux sur le territoire. Elle explique ainsi, par son analyse, le fonctionnement de la société actuelle. Derrière les failles de la France entre les villes et les milieux ruraux, le développement et l’intérêt soudain pour les tiers-lieux n’est pas si évidente. Les impacts de ces espaces demeurent encore trop souvent à l’état d’intuitions imprécises. Les collectivités locales voient dans ces tiers-lieux un excellent moyen de revitaliser les centres villes. Les tiers-lieux seraient donc LA solution pour re-dynamiser ces espaces en déclin ? J’ai pu constater que les tiers-lieux ne sont pas une solution miracle dans tout territoire. Un fablab, télécentre, ou un espace de coworking ne vont pas, à eux seuls, dynamiser un centre-ville en perte d’activité ou relancer des filières économiques d’un autre temps. Attribuer ces objectifs à ces types d’espaces est irrationnel et ne laissera place qu’à « une coquille vide7 ». Une première étape consiste alors à comprendre le

5

Roumeau, Samuel, « Le Lab - EXPLORATION MILLE LIEUX ». Le Lab. Consulté le 3 juin 2019. https://www.le-lab.org/exploration-mille-lieux?locale=fr 6

Le Lab est une association entre OuiShare et Chronos basée sur la mise en commun des écosystèmes et le croisement des expertises et champs d'études. Leurs valeurs les portent vers la conception de réponses concrètes aux enjeux émergents des territoires et de l'économie numérique. 7

Cit. Samuel Roumeau,. «!Le point commun des tiers-lieux c’est leur capacité, à l’épreuve de l’usage et au-delà de l’intention, à faire société!» », 12 mai 2019. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/12/le-point-commun-des-tiers-lieux-c-estleur-capacite-a-l-epreuve-de-l-usage-et-au-dela-de-l-intention-a-faire-societe_5461111_3232.html.

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territoire dans lequel les tiers-lieux s’inscrivent. Selon Samuel Roumeau, « Le développement économique, le rayonnement du territoire, l’innovation, tout ce qu’on met d’ordinaire en avant quand on pousse à l’ouverture de ce genre d’espace atypique, cela viendra, mais dans un second temps8.» Il y a donc dans ces processus de mise en action de ces espaces, le besoin nécessaire de prendre le temps d’analyser les atouts et faiblesses d’un territoire. Quels sont alors les enjeux principaux des tiers-lieux ? A travers, C-mine à Genk, les Riverains à Auxerre, l’Espace Kenere à Pontivy, La Quincaillerie à Guéret, Coboi à Sant Bol, TerraLab à Arles, IN’ESS à Narbonne et Bliioda à Metz, l’analyse « Mille lieux » a révélé huit impacts des tiers-lieux sur la société qui résonnent avec ceux que j’ai pu relever lors de mon analyse architectonique9.

Les 8 terrains

C-mine Genk

“ C-mine a deux facettes. D’un côté, c’est un lieu culturel majeur, avec le cinéma, le centre culturel, toutes les activités à destination de visiteurs internationaux, etc. Et de l’autre côté, C-mine accueille de nombreuses entreprises du domaine des technologies créatives, mais c’est un aspect moins important, moins visible du site. D’une certaine façon, nous profitons tous du rayonnement culturel international de C-mine, même s’il n’est pas simple de lier la dimension touristique et les entreprises. ”

Bliiida Metz

Jasper OLAERTS, Directeur de l’incubateur C-mine Crib “ À l’origine, quand on a lancé le fablab, on s’est rendu compte qu’il y avait énormément de bidouilleurs et de bricoleurs sur le territoire. Mais il leur manquait un lieu pour se retrouver, échanger, discuter… Les Riverains, c’est l’histoire d’une communauté qui s’est agrandie, a construit un projet commun et fait désormais partie de l’écosystème local. Avant l’arrivée du tiers-lieu, le monde associatif ne rencontrait pas le monde professionnel et entrepreneur. Quelque part, on est un peu le chaînon manquant entre des publics et des écosystèmes qui ne se parlent pas entre eux. En soi, c’est déjà une réussite. ”

“ Pour nous, Bliiida ne peut pas être photographié et figé de manière générale. C’est en mouvement tout le temps. Surtout, on essaie de ne rien forcer. De ne pas mettre des frontières et des murs, en disant notre projet c’est ça ou ça. Notre communauté, c’est avant tout les gens qui sont sur notre territoire, ce qu’ils peuvent faire, ce qu’ils font et ce qu’ils ont envie de faire. ” Nicolas D’ASCENZIO, Directeur de Bliiida

Les Riverains

Auxerre

IN’ESS Narbonne

Simon LAURENT, Coordinateur et chargé de développement des Riverains “ Les élus nous ont dit dès le départ : il faut décloisonner, rechercher la diversité d’acteurs... Mais une fois réunis, toute la difficulté est de les faire travailler ensemble. D’un côté, on a une partition qui est écrite par les élus, et de l’autre, des instruments de musique. L’équipe d’IN’ESS joue un peu le rôle de chef d’orchestre, notre objectif c’est de faire en sorte que tout le monde arrive à trouver son compte et son plaisir. Plus on prendra du plaisir à être ensemble, à faire des choses ensemble, plus on sera efficace et différent. Pour nous la plus grande réussite, c’est que les gens arrivent à se sentir bien à IN’ESS. ”

Espace Kenere Pontivy

“ Un Fablab, ce ne sont pas que des machines, mais aussi une matière humaine et un contact. L’espace multimédia fait toujours salle comble. ” Julien AMGHAR, Animateur multimédia et fondateur du fablab, Médiathèque de Pontivy

Sandrine SOLÉ, Directrice d’IN’ESS

Guéret

Coboi Sant Boi

“ L’ADN de Coboi, c’est d’être un centre de services pour la ville et l’entreprise. Pendant un an, nous avons compilé nos idées en discutant avec les politiques, avec les services, pour faire quelque chose de nouveau, qui soit en phase avec le paradigme actuel. Le projet Coboi, c’est une nouvelle manière de faire de la politique intégrant une stratégie économique. ”

TerraLab Arles

Sergi Frias HERNANDEZ,

Chef de projet Innovation sociale et coordinateur de Coboi

“ Le projet de TerraLab, de l’association, est né au départ de mon envie d’un autre lieu. Je voulais boucler la boucle au niveau de l’écologie, en ayant une structure beaucoup plus vertueuse. Je voulais aussi développer le côté convivial et vivant : mes clientes posent deux heures et peuvent voir par exemple une expo photo. Quand j’ai parlé de cette idée, on m’a dit que ça s’appelait un tiers-lieu. En fait ça se construit petit à petit, c’est bien là où on va qui sera notre tiers-lieu. ” Sylvie PRUNIER, Gérante de Terre de Beauté

Baptiste RIDOUX, Coordinateur de projet et concierge de La Quincaillerie

Designé par le Collectif Bam

La Quincaillerie “ Il y a pas de marketing territorial ici. Le problème des creusois, c’est qu’ils ont souvent honte de leur département et ils sont défaitistes. Les anciens attendent encore l’industrie qui va venir créer 500 emplois et sauver le département ! Je leur dis qu’il faut pas réfléchir comme ça. Ca n’a pas de sens de faire venir des entreprises qui polluent, il faut plutôt miser sur l’ESS et sur la qualité du cadre de vie. Pour certains élus, c’est compliqué de comprendre cette nouvelle économie et les nouvelles manières de penser le travail. Mais quand ils voient qu’il y a des délégations étrangères qui viennent à la Quincaillerie pour s’inspirer du lieu, ils sont très surpris. ”

Figure 2 : Un corpus d’analyse varié. Source le Lab « Mille lieux » https://www.le-lab.org/exploration-mille-lieux?locale=fr.

Un premier enjeu réside dans les nouvelles manières de faire la ville, sur des modèles non-programmés. Les tiers-lieux ont pour vocation de sortir des schémas traditionnels

8

Ibid

9

Cf. Mémoire de recherche, partie II

9


de planification urbaine qui sollicitent de façon nouvelle le rôle de l’aménageur, du promoteur et du programmiste. Ainsi, les acteurs du futur tiers-lieu ont le devoir d’accepter une part d’indétermination dans toutes les phases de projet. De même l’aménagement flexible des espaces permet une liberté dans les usages et besoins des habitants d’un territoire. Les tiers-lieux ont un rôle de tiers de confiance en tant qu’espaces complémentaires de services au public. Offrir des services aux habitants de manière plus conviviale permet de consolider les liens entre les usagers par une liberté d’appropriation des lieux et la possibilité de contribuer à des projets collectifs. Les tiers-lieux offrent ainsi de nouveaux lieux d’apprentissage favorisant la formation entre pairs. Ces tiers-lieux offrent de nouvelles manières de faire, ensemble par la mise à disposition d’espaces et de ressources partagées. En effet, ces lieux proposent sans cesse des activités variées facilitant les apprentissages croisés et laissent place aux initiatives. Les tiers-lieux proposent également un soutien de filières locales au service du développement économique. Ils testent de nouveaux modèles économiques en regroupant des initiatives éloignées des collectivités et des acteurs privés locaux émergeant quoi qu’il en soit par un portage politique fort. Ce sont des lieux qui font la fierté des habitants et contribuent au rayonnement du territoire. Pour rayonner, les tiers-lieux ont besoin de raconter une histoire sur des bases parfois difficiles et devenir le symbole d’un certain dynamisme au sein du territoire. Cela dépend de la légitimité des porteurs du projet et des initiatives qui y prennent forme. De même, au sein de ces lieux, on peut observer des connexions entre des acteurs qui ne se rencontrent pas initialement. Les tiers-lieux favorisent les échanges plus ou moins formels avec les acteurs qui n’auraient pas pour vocation initiale de se croiser. La valeur du tiers-lieu réside dans l’accompagnement des projets tout comme les mises en relations qu’ils génèrent entre les acteurs alternatifs (collectifs, artistes.. et institutionnels (collectivités, grandes entreprises…). Ces tiers-lieux permettent ainsi un décloisonnement des rôles et des silos dans les organisations publiques comme privées. La gestion d’un tiers-lieux favorise un mode de gouvernance basé sur une distribution horizontale des rôles et responsabilités. Quotidiennement, tous les utilisateurs des lieux sont sollicités. De même, la présence dans un même lieu d’acteurs privés et public favorise le mélange d’activités. L’aménagement des espaces peut ainsi faciliter la porosité entre les organisations.

10


Cependant, l’analyse a révélée des avancées relativement limitées en matière de transition écologique. L’engagement des tiers-lieux en matière d’écologie et de développement durable, de réemploi ne constitue pas le centre des valeurs initiales. Les tiers-lieux ont peu d’impacts sur les problématiques environnementales, et dépendent des orientations politiques à plus grande échelle. Ces analyses montrent l’intérêt croissant pour ce type de démarche qui ne font qu’accroître.

Les tiers-lieux : une nouvelle façon de concevoir l’espace

En tant que future architecte, la notion de tiers-lieux m’interpelle dans la qualité de concepteur d’espace. Aujourd’hui, on peut constater le manque d’espaces où créer du commun. Les architectes, (entre autres) à force de planifier des fonctions trop précises, pour des usages définis au sein de lieux déterminés, ont rompu toute possibilité de vie sociale au sein de ces espaces. Ces nouvelles façons de vivre modifient inévitablement la manière de dessiner un espace qui réside désormais sur sa capacité d’appropriation de ses usagers au sein d’un bâtiment. Cet élément peut paraître évident. Les architectes dessinent pour les autres. On constate néanmoins une évolution dans la manière de décrire la programmation au sein de ces lieux. Les espaces à dessiner ne sont plus décrits, fixes, mais demandent à laisser du vide pour « donner une chance à l’émergence d’usage inattendu10 ». C’est également une manière d’interdire d’imposer des usages par ceux qui les conçoivent et permettre de reconstruire le lien de confiance entre les usagers, citoyens et les institutions. Cela remet également en question le rôle des programmistes. Il est cependant proscrit de concevoir des espaces perdus ou surdimensionnés. En effet, rien ne sert de vouloir aménager un tiers-lieu tout de suite. La programmation doit pouvoir se construire en lien avec les futurs usagers des lieux au gré des besoins et des usages. On peut alors proposer des solutions légères de cloisonnement et d’occupation, faire place à l’auto-construction en collaboration avec les architectes et utilisateurs des lieux. (par exemple : les makers qui utilisent un mobilier particulier et des machines spécifiques ont besoins d’espaces en conséquence). Une autre solution est d’organiser des chantiers participatifs avec des collectifs tels que YesWeCamp par exemple.

10

« Le tiers-lieu en territoire rural!: un lieu unique aux impacts multiples ». Groupe Caisse des Dépôts, 9 mars 2018. https://www.caissedesdepots.fr/le-tiers-lieu-en-territoire-rural-un-lieuunique-aux-impacts-multiples.

11


Une question se pose quant à l’espace alloué pour ces nouvelles initiatives. Les investissements de départs sont souvent faibles et impliquent un modèle « léger11 ». A-ton absolument besoin d’un local flambant neuf ? Ne peut-on pas investir un local existant en y faisant le « juste nécessaire » pour les aménagements ? On peut constater de nombreux tiers-lieux au sein de réhabilitations. Comme les projets étudiés dans le corpus du mémoire de recherche, ce sont des terrains de jeu pour expérimenter la ville, au travers d’ateliers, de chantiers participatifs, des projets qui durent dans le temps… Les tiers-lieux : des interventions temporelles

Les tiers-lieux font ainsi références au Tiers-Foncier, aux interstices, délaissés urbains, aux friches urbaines. Ces entre-deux, dont personne ne sait que faire, laissés vacants en attente d’être revendus semblent être aujourd’hui des vecteurs d’attractivité pour les villes. Intégrés dans des processus de délaissement, ce tiers-foncier prend forme sous deux types de temporalités : le temps long et le temps court qui peut parfois donner lieu à des revirements de situation. Ces tiers-lieux sont-ils une manière de gérer l’indéterministe du foncier ? De nombreuses friches urbaines tels que les Grands voisins comme cité dans le corpus, sont dans une logique d’occupation temporaire. Selon Marion Serre, « l’état de tiers foncier se caractérise par de longues périodes d’inertie, tout en étant le support de petits changement ou, au contraire, faisant l’objet de changements importants dans un temps court12.» Ces espaces d’entre-deux, peuvent en fonction du propriétaire du terrain évoluer, être appropriés , être vendus ou revenir à un état initial. En proie à des stratégies de promotion immobilière, ces espaces vacants ont pour objectif la production et la revente de logements. Il y a pourtant d’autres manières de transformer le tiers-foncier. Marion Serre divise le tiers-foncier en deux catégories : un tiers-foncier « opportun au projet » et un tiers-projet « résistant au projet ». Le tiers-foncier « opportun au projet » procède par une phase d’expérimentation qui peut être un moteur de projet pour tester des dispositifs, mesurer la faisabilité tant au plan spatial que social.

11

Ibid

12

Meynier-Philip, Mélanie. « Entre valeur affective et valeur d’usage, quel avenir pour les églises paroissiales françaises ? » La région urbaine Lyon-Saint-Etienne interrogée par le référentiel du « Plan églises » québécois. Ecole doctorale 483 Sciences sociales, 16 novembre 2018, p 584

12


Ainsi, par l’expérimentation, le tiers-foncier est donc une forme de tiers-lieu qui met en valeur l’initiative de « conduites à projet participatives ». Mais c’est aussi un « espace de coopération pour la co-conception et la co-réalisation de projets par les acteurs sociaux locaux.13 » J’ai pu le constater lors d’un projet en master 1, au sein du domaine d’étude ATEC, où nous travaillions sur les espaces interstitiels. Pour tester notre projet, l’insertion de logements pour les personnes en difficulté, notre groupe de six collaborateurs et moi même avons expérimenté et mis en place une concertation urbaine. Elle nous a permis de tester la faisabilité du projet in situ et d’analyser les réactions des habitants afin de comprendre l’importance d’une telle démarche dans les processus de conception et ainsi tester la véracité de nos intentions de projet. Ainsi, ces espaces d’entre-deux deviennent propices à de nouvelles formes d’implication des habitants dans la fabrique du territoire. Ces lieux sont « des outils de connaissance et de reconnaissance14 ». Le projet de Master 1 m’a fait réaliser l’importance de discuter avec les usagers du lieu qui offre un point de vue ciblé sur les problématiques aussi bien locales que territoriales. Cependant, ces lieux n’offrent pas de recette miracle, mais des outils, de bonnes pratiques, où le nombre de partenaires et l’apport d’un médiateur sont des arguments clés pour développer cette pratique. Cela interroge inévitablement le rôle de l’architecte dans ces démarches d’expérimentation participatives. « Si le regard de l’anthropologue se porte plus sur les pratiques sociales et les acteurs issus du collectif social, l’architecte porte un regard sur l’espace, dans lequel il parvient à lire les interactions des collectifs d’acteurs15.» L’architecte peut alors jouer le rôle de médiateur dans la mise en projet d’espaces sous formes d’ateliers (pédagogiques, de voisinage, ateliers d’intérêt communs), destinés à des publics précis aux problématiques variées contribuant à l’articulation des échelles de réflexion. Par ces processus d’expérimentation, la temporalité des projets au sein des tiers-lieux est modifiée et s’inscrit sur des temporalités plus longues avec la promesse de proposer des projets davantage ancré dans le territoire et qui durent dans le temps.

13

Ibid

14

Ibid p. 595

15

op.cit. Sandrini, C, 2014, p17, Meynier-Philip, Mélanie. « Entre valeur affective et valeur d’usage, quel avenir pour les églises paroissiales françaises ? » La région urbaine Lyon-Saint-Etienne interrogée par le référentiel du « Plan églises » québécois. Ecole doctorale 483 Sciences sociales, 16 novembre 2018, p.597

13


II.

Les tiers-lieux dans les milieux ruraux, un nouvel argument d’attractivité : l’exemple de La Station à Saint-Omer (62)

Tester le tiers-lieu au sein d’un pavillon préfigurateur

Par cette re-contextualisation de la notion de tiers-lieu, nous pouvons donc affirmer que les impacts derniers sont économiques, sociaux et environnementaux. Mais ces enjeux font-ils écho à ceux des tiers-lieux dans les milieux ruraux ? Aujourd’hui, on assiste à un délaissement des centre-bourgs au profit de zones industrielles. Ces derniers se vident de leurs commerces et de leurs habitants. Selon R.Besson, les tiers-lieux seraient un moyen de re-dynamiser l’économie locale, de recréer du lien social et permettre le retour d’une hyperproximité. Les tiers-lieux constitueraient donc un nouvel argument d’attractivité. En effet, ces tiers-lieux ont selon Besson, une double fonction de « capteur » (d’initiatives locales) et d'« amplificateur » (de ces mêmes initiatives)16. Ils fonctionneraient comme un « écosystème régénératif ». Pour comprendre la logique territoriale dans laquelle s’insèrent ces espaces en marge, je suis allée à la rencontre d’un tiers-lieu rural à proximité de mon site de PFE, dans la ville de Saint-Omer (62). La Station est un projet de tiers-lieu collaboratif. Cette démarche, au cœur d’un territoire au patrimoine remarquable a vu le jour en juin 2016 sous l’initiative de la CAPSO (Communauté d’Agglomération du Pays de Saint-Omer) dans la région du Pas-de-Calais. En effet, les tiers-lieux ont l’ambition de montrer la voie aux élus locaux qui voudraient sincèrement faire évoluer l’action publique. Ces espaces encouragent à inventer la ville de façon non programmée, de laisser ceux qui vivent sur le territoire le dessiner selon leurs envies et leurs besoins.

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Besson, Raphaël. « Les Tiers Lieux. Des outils de régénération économique des territoires ruraux. » HAL, 14 mars 2018, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01733322

14


Figure 3 : La Station : installation du pavillon préfigurateur sur le parvis de la gare de Saint-Omer https://www.la-station.co/fr/

« La Station est un lieu dédié à l’innovation, la collaboration, l’entrepreneuriat.17 » _

La Station fait partie de la programmation prévue pour la réhabilitation de la gare de Saint-Omer. Aujourd’hui en mode « prototype », elle est installée dans un pavillon préfigurateur sur le parvis de la gare d’agglomération de Saint-Omer. Composée d’un FabLab, d’un espace de coworking et d’un espace de créativité, le but est de générer de nouveaux usages, des communautés, pour créer des projets innovants. Elle se définie comme une plateforme de services. Ce bâtiment préfigurateur a pour but de faire connaître les futures activités et bénéficier de premiers retours d’usagers afin d’optimiser l’aménagement des futurs lieux. Depuis l’ouverture, le mini espace de coworking et le mini FabLab ont accueillis plus de 15 000 visiteurs. La gare de Saint-Omer, actuellement en travaux sera livrée pour fin 2019. La Station s’implantera dans le nouveau bâtiment le 15 novembre 2019. La réhabilitation du

17

Slogan du tiers-lieu collaboratif, https://www.la-station.co/fr/

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bâtiment de la Gare de Saint-Omer et la Lampisterie, inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, a pour vocation nouvelle de développer des concepts innovants destinés à l’éco-numérique. La programmation est composée d’une halle de l’innovation, d’un espace mobilité, d’un pôle petite enfance, d’un atelier et d’espaces de coworking. Fermée en 2011 pour des questions de sécurité, elle offre pour les élus du Pays de Saint-Omer, une impulsion nouvelle en matière d’économie au sein du territoire. Le transfert imminent dans la gare de Saint-Omer est l’occasion de rassembler dans une organisation commune l’ensemble des partenaires locaux qui contribuent au projet de la Station. Ce lieu, connecté par différents flux (ferroviers, communautaires) permet ainsi de réduire la fracture territoriale avec les grandes métropoles. Ils s’apparentent localement à l’univers hyper-connecté des starts-up situés quasi exclusivement au sein de territoires urbains. D’un montant de 16 millions d’euros, la réhabilitation de la gare de Saint-Omer est gérée par les agences d’architecture Nathalie T’Kint et Richez Associés. Le projet étant située à proximité de voies ferrées et mixant plusieurs entités et activités différentes, un soin tout particulier a été apporté à l’acoustique. Par ailleurs, la disposition de l’espace de coworking au sein de la halle apportera un effet de tampon vis-à-vis des voies ferrées et du voisinage situé au Nord.

Figure 4 : L’espace de coworking : un espace tampon pour la gare http://richezassocies.com/fr/projet/485/la-rehabilitation-de-la-gare-de-saint-omer

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Figure 5 : Une multiplication des usages au sein d’un grand volume capable http://richezassocies.com/fr/projet/485/la-rehabilitation-de-la-gare-de-saint-omer

Divisé en deux ailes : L’aile droite, appelée l’aile de Lille sera constituée des incubateurs de projets innovants. Le bâtiment sera réhabilité sur 3 niveaux : le niveau 2 sera constitués de 2 mini bureaux pour les start-up, le niveau 3 proposera des gabarits pour les ordinateurs avec un accès à la wi-fi gratuit. Des artistes pourront être en résidence au sein d’ateliers d’artistes dans la gare.

17


Figure 6 : Une organisation programmatique rĂŠpartie dans les deux ailes existantes http://richezassocies.com/fr/projet/485/la-rehabilitation-de-la-gare-de-saint-omer

Figure 7 : Un espace de coworking librement appropriable http://richezassocies.com/fr/projet/485/la-rehabilitation-de-la-gare-de-saint-omer

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Se rapprocher au plus près des enjeux territoriaux

Ce

tiers-lieu

offre

ainsi

différents

avantages

pour

la

Communauté

d’agglomérations du Pays de Saint-Omer. En effet, la Station laisse place à des dynamiques entrepreneuriales au sein du territoire toutes formes confondues (classiques, sociales, culturelles). Les rencontres permises par la Station garantissent de nouvelles opportunités d’affaires avec les personnes qui le fréquentent et bénéficient d’un effet d’entraînement. Dans une période riche de transformations, de « faire du commerce », de produire un bien ou un service, de travailler avec de nouveaux outils et modes d’organisation, la Station est « une plateforme qui favorise les échanges et met en relation tous les travailleurs indépendants, les artisans, commerçants, qui souhaitent développer un projet, s’ouvrir à de nouveaux partenariats, associer les compétences18 ». La station est aussi en partenariat avec les écoles de la ville (Rassemblement Pop School de Saint-Omer). Ce projet de création, manquant au territoire de Saint-Omer, se définit comme un écosystème concret, qui permet d’attirer des externalités tout comme le projet d’Euratechnologies à Lille.

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La station : un écosystème territorial. https://www.la-station.co/fr/decouvrir-la-station/lastation-un-ecosysteme-territorial

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Figure 8 : Euratechnologies : un incubateur et accélérateur de start-ups pour la métropole Lilloise. https://www.euratechnologies.com/

Considéré comme un lieu totem pour la ville, et visible sur les points de passage, l’intérêt de présenter un prototype préfigurateur est d’apprendre du territoire par les utilisateurs qui viennent y travailler et de créer des évènements pour et avec eux. Un autre enjeu de ce tiers-lieu est de retenir, voire attirer des télétravailleurs, des néoruraux ou des jeunes pousses des filières innovantes. On constate que ces lieux ne se limitent pas à la fonction entrepreneuriale des espaces de coworking, mais s’attachent à proposer un ensemble de services mutualisés : connexions très haut débit, centres de ressources et de formation, pépinières d’entreprises, médiathèques, plateaux de création artistique, services publics, espaces café,). Pour cela la Station dispose d’un espace dit « de créativité » pouvant contenir jusqu’à vingt personnes, pour discuter, imaginer, se réunir, partager ses idées, écrire sur les murs, déjeuner, organiser des meet-up, des séminaires. Sous réservation, son accès est gratuit pour tous.

20


Figure 9 : La Station : un écosystème collaboratif https://www.la-station.co/fr/

De même, un espace de coworking avec neuf postes de travail équipés, des écrans supplémentaires, un accès à la wi-fi, un espace de pause café ainsi que des casiers sont à la disposition des usagers. La Station tient également le rôle de médiateur et sensibilise les habitants peu familiers au numérique à découvrir le fonctionnement d’imprimantes 3D, de se former au dessin numérique, de se mettre dans une démarche d’initiative et de créativité. La Station est au service du public, les services proposés sont donc gratuits. Ce tiers-lieu est ainsi doté d’un FabLab, atelier de fabrication équipé de machines numériques et d’outillages traditionnels. Découpeuse laser, Imprimante 3D, découpeuse vinyle, brodeuse, fraiseuse, presse à transfert sont à la disposition des utilisateurs pour différents ateliers de formation et de création sous la direction du Fab Manageur, Simon Guegaden. Pour finir, la Station offre une possibilité de développement au regard d’un enjeu de développement durable. Bien souvent, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « nomades » préfèrent alterner et choisir leur lieu de travail selon les dossiers à traiter. Utiliser l’espace de coworking de la Station permet de diminuer les déplacements domiciletravail, et par là même, de réduire les émissions de C02 et d’augmenter la qualité de vie des indépendants et des salariés. En effet, les salariés et collaborateurs d’entreprises dont les bureaux sont distants de plus de trois quarts d’heure de transports choisissent de plus en plus le télétravail. Les territoires ont donc pour défi de conquérir de nouvelles populations actives Ainsi, la Station apparaît alors comme un nouvel argument d’attractivité. Ces fonctions comprennent les politiques de mise en récit de la vocation territoriale, par des évènements organisés chaque jour au sein de la station. Les politiques sociales et

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culturelles et les évènements marqueurs du positionnement (Ateliers, conférences, formations, séminaires…) participent à la valorisation d’un atout spécifique pour la ville de Saint-Omer.

Figure 10 : Des activités quotidiennes au sein de la Station https://www.la-station.co/fr/

Privilégier une gouvernance basée sur un partenariat public/privé

Cependant, l’équilibre économique est fragile au sein de ces lieux. Les coûts de fonctionnement et d’investissement sont rarement couverts par les recettes locatives qui peuvent entrainer la fermeture du tiers-lieu. Plusieurs stratégies de portage peuvent être envisagées pour le fonctionnement du tierslieu. Porté par un opérateur privé, ce dernier va rechercher en priorité la viabilité économique du lieu, à mobiliser les futurs occupants et à être opérationnel le plus rapidement possible. L’enjeu est celui du remplissage. Or pour qu’il y ait de la vie dans les murs, il est nécessaire qu’une communauté d’utilisateurs naisse et perdure. Le « facilitateur de tiers-lieux » est une personne majeure au sein de ces espaces puisqu’il met en lien tous les usagers entre eux. Se passer de ce leader permet d’alléger le coût de fonctionnement du tiers-lieu en optant pour un modèle peu voire pas doté en ressource d’animation. Mais le risque est élevé sur la dynamique du lieu et sur sa fréquentation. Lorsque le projet est porté par un acteur public, le choix du lieu « totem », sa localisation et son apparence répondent à des enjeux de développement et d’attractivité territoriale, d’aménagement, voire de marketing territorial. Ainsi, les investissements engagés pour répondre à ces enjeux peuvent apparaître démesurés par rapport aux revenus générés par le tiers-lieu. Pour espérer atteindre l’équilibre économique, il vaudra mieux « sortir » le coût d’investissement et rechercher l’équilibre sur le fonctionnement uniquement.

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C’est pourquoi, s’adosser des compétences d’un opérateur dont c’est le métier, devait normalement se traduire par un remplissage plus rapide, une amélioration des recettes. Cependant, les opérateurs privés ne sauraient assumer seuls les risques d’exploitation. Il faudra alors chercher des modèles où la collectivité complète les revenus de l’acteur privé et/ou réduit le niveau de charges. Plusieurs modèles alternatifs existent, comme les modèles participatifs ou bénévoles portés par des collectifs d’utilisateurs, mais restent fragiles, notamment quand les membres en question doivent donner la priorité à leur propre activité. La Station permet à des activités de s’installer et se développer, ils renforcent les échanges économiques localement et favorisent la qualité de vie des travailleurs en limitant l’impact environnemental lié aux flux pendulaires. Ce tiers-lieu est donc générateur de retombées pour l’économie de proximité dès lors que les utilisateurs consomment localement et génèrent de nouvelles sources de revenus pour les acteurs économiques locaux. C’est pourquoi la Station est sous un régime associatif entre la CAPSO et des sociétés privées qui ont financés les fonds du tiers-lieu pour la phase d’amorçage.

Figure 11 : Un partenariat privé/public https://www.la-station.co/fr/

L’association juridique prévue pour la phase de démarrage a pour but d’évoluer après l’installation au sein de la gare. Si le tiers-lieu prospère, la structure juridique pourra se transformer en société publique locale (SPL) qui sera à la disposition des collectivités locales françaises pour la gestion de leurs services publics. Si le fonctionnement du lieu est reconnu, la structure juridique pourra se transformera en société d’économie mixte

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locale (ou SEML)19. La particularité de ce portage réside dans le conseil d’administration. En effet, tous les acteurs, utilisateurs compris, sont à la gouvernance du projet au sein du conseil d’administration.

Figure 12 : Des acteurs variés au sein conseil d’administration https://www.la-station.co/fr/

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Forme juridique d'une société régie par le droit privé. Les SEML sont des sociétés anonymes, avec au moins 7 actionnaires dont la majorité est détenue par la puissance publique (à hauteur de 85%). https://www.emploi-collectivites.fr/SEML-SOCIETE-ECONOMIE-MIXTE-blog-territorial Consulté le 7 juin 2019.

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III.

L’ascenseur à bateaux des Fontinettes à Arques : une application in situ.

Une programmation en lien avec les caractéristiques des tiers-lieux

A la suite de ce travail, il a été intéressant de confronter la théorie de ce mémoire de recherche avec le caractère pratique de l’atelier de projet. J’ai travaillé pendant une année sur la mise en valeur d’un ascenseur à bateaux à Arques dans le Pas-de-Calais, commune faisant partie de la CAPSO, à proximité de Saint-Omer. Ce site offre un terrain d’application ancré au sein d’un territoire pour tester tous les enjeux qui gravitent autour de cette notion de tiers-lieu. Ce mémoire recherche a ainsi nourri ma pensée pour développer le projet de fin d’étude.

Figure 13 : L’ascenseur à bateaux d’Arques, un patrimoine identitaire fort pour la commune http://www.patrimoines-saint-omer.fr/Les-monuments-historiques/L-ascenseur-a-bateaux-desFontinettes

Cinq caractéristiques majeures appartenant à l’ensemble des définitions de la notion de tiers-lieux ont retenue mon attention. Elles constituent une boîte à outils non exaustive relevant de mes recherches jusqu’à aujourd’hui et peut encore venir s’enrichir. Ces éléments m’ont permis de construire l’enchaînement de la programmation pour la mise en valeur de mon site de projet à l’échelle architecturale. 25


Tout d’abord, le tiers-lieu se différencie d’un simple lieu par son caractère polymorphe, comme une superposition d’activité, qui s’assemblent et de désassemblent. Selon Juliette Cadic, chargée du projet de formation L’Ecole des tiers-lieux chez Sinny & Ooko, « il faut considérer l’objet tiers-lieu comme une partie de Tetris (ou de Lego), où l’initiateur sélectionne les différentes briques qui constitueront son tiers-lieu parmi l’infinité de combinaisons possibles. » Le tiers-lieu prône donc la pluriactivité. Sinny & Ooko, dont l’entreprise tire la solidité de son modèle économique, pratique une double programmation systématique restauration + programmation culturelle à la Recyclerie, au Pavillon des Canaux et au Bar à Bulles par exemple. La restauration et le bar financent la programmation, elle-même facteur d’attractivité de la clientèle. Un cycle vertueux qui assure sa totale indépendance financière. La mise en place d’un éco-musée ainsi qu’un café-restaurant au cœur de l’édifice offre une expérience insolite, et retrace l’histoire passée de l’ouvrage mais permet également d’assurer un revenu régulier au sein du lieu. De même, le tiers-lieu se développe au cœur d’un lieu (si possible) d’exception. Autour du passé d’un bâtiment, le tiers-lieu raconte une histoire et souligne des valeurs culturelles communes dans le but de valoriser et créer une identité forte pour la ville. Le tiers-lieu se développe avec le territoire et joue le rôle « d’acupuncture urbaine » comme le déclare Roland Castro. L’ascenseur à bateaux des Fontinettes est considéré comme le signal, l’identité visuelle de la ville. Edifice unique en France, cette machine riche d’un passé industriel permettait la traversée des péniches les faisant descendre ou monter d’un dénivelé de treize mètre. Les valeurs patrimoniales d’usage et de mémoire que procure ce lieu tout comme sa monumentalité expriment le caractère exceptionnel de ce site. Le tiers-lieu est également une durée. Certains lieux prônent l’éphémère et investissent des bâtiments vacants, en attente de réhabilitation. La temporalité d’un urbanisme temporaire (ou transitoire) varie, entre la situation d’urgence (précarité des équipes, économie de moyens, DiY,…), la volonté d’ancrage territorial et de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes, pour pérenniser, ou pour prolonger. Il y a donc un rapport au temps dans mon projet qui s’instaure. Partir d’un existant, et proposer des interventions tout comme des programmes qui offrent des possibilités futures. L’ajout d’une gare touristique au sein du site offre des usages complémentaires tout comme les espaces d’expérience ou la salle multifonctionnelle qui peuvent facilement être investis spatialement ou agrandit. C’est un collectif + un dictateur. Le tiers-lieu est également une aventure collective, un « bien commun révélé, délimité, entretenu par et avec un collectif », selon le Manifeste des

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tiers-lieux. Le tiers-lieu est un bien commun qui bénéficie des apports individuels de chacun mais place la collaboration, et le partage au centre de sa pratique. Le tiers-lieu s’incarne volontiers dans la figure charismatique d’un individu dont l’énergie et la vision sont motrices. Ce « concierge » est à la fois l’animateur et le trait d’union et de cette force collective. Antoine Burret va jusqu’à le nommer le « dictateur bienveillant ». Par l’intervention spatiale proposée, chaque utilisateur du lieu bénéficiera des conditions optimales pour échanger, proposer des idées et tendre vers une démarche collective. Les tiers-lieux prennent vie grâce à une grande diversité des profils (âges, cultures, compétences) des individus. Ce phénomène est aussi à la base du décloisonnement, qui « génère une approche transdisciplinaire et permet d’appréhender la totalité du cycle de vie d’un projet. Par ces types de programmes, hétéroclites mais complémentaires, le phénomène de sérendipité pourra avoir lieu. L’importance des cheminements et des flux mis en avant dans le projet facilitera les rencontres entre les différents acteurs et le croisement de compétences.

Le tiers-lieu, c’est aussi une expérimentation : le tiers-lieu défend un caractère utopique où s’inventent de nouvelles manières de faire. Le tiers-lieu se fait place d’invention et de gestation de contre-systèmes. Labos de nouvelles formes de gouvernance, les tiers-lieux inventent hors cadre. L’expérimentation peut toucher la gouvernance comme les modèles économiques. C’est un lieu où certains principes et certaines valeurs d’ouverture, de partage sont mis en avant. Un lieu qui produit un mouvement, ayant une aura dépassant ses propres frontières de pouvoir d’action. D’un point de vue spatial, le projet garantira des espaces libres proposant des solutions laissant libre cours à l’expérimentation et répondra aux besoins et à ses possibles évolutions.

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Figure 14 : Le choix d’une programmation en lien avec les enjeux territoriaux du site de projet. Source : Auteur

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Ces caractéristiques ont donc été une source d’inspiration dans les intentions et le processus de conception architecturale et programmatique du projet de fin d’étude. En effet, selon Raphaël Besson, « le territoire n’existe pas « en tant que tel », mais doit être révélé selon deux processus : un processus « d’activation » et de « spécification » des ressources latentes ». Pour développer cet écosystème, les fonctions de valorisation sont au cœur des préoccupations et demandent une réflexion par rapport à un contexte. Elles comprennent : Une avant-garde : « Une tête chercheuse qui va au-devant des idées nouvelles et les fait entrer sur le territoire (laboratoire, centre de formation, musée, résidence d’artiste, centre de formation… ». Le programme et les espaces créés pour l’éco-musée représentent cette avant garde qui offre un point d’accroche, le point initial du projet au sein de ce lieu d’expérimentation. L’ascenseur à bateaux, ce signal dans la ville offre, par sa nouvelle programmation, une manière de proposer des idées nouvelles au sein d’un site inscrit au patrimoine historique.

Figure 15 : Une entrée guidée par le musée de la Batellerie. Source : Auteur.

La valorisation se traduit par un catalyseur des idées nouvelles, de talents, et des ressources existantes au sein des territoires créant des conditions de proximité temporaire entre des acteurs, des ressources et des univers sociaux très différents. Par la mise en place d’un éco-musée, le transport fluvial est remis au goût du jour et réinvestit pour le développement du tourisme notamment par les balades en péniches et

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les expositions retraçant l’histoire du site. « La rotule 20», une partie de l’intervention considéré comme un espace tampon greffé dans l’épaisseur de l’ascenseur à bateaux, où prennent place entre autres des expositions temporaires, permet de faire la jonction entre les différents programmes et offrent une infinité d’usages possibles.

Figure 16 : Habiter l’épaisseur de l’existant par l’ajout d’une rotule. Source : Auteur.

Un capteur, « un espace d’accueil positif des idées, de test, d’essais, d’erreurs, de synthèse créative (Living Lab, Fab Lab, Point chance, Balise, CitésLab, couveuses, pépinières…). » Ils proposent un cadre qui autorise le tâtonnement, l’apprentissage par essais et erreurs, dans des territoires ruraux souvent peu enclins à expérimenter. Les espaces

d’expériences,

atelier,

salle

de

médiation,

boutiques

ou

la

salle

multifonctionnelle créent ces lieux de production et permet des expérimentations aussi par l’appropriation de ces espaces en fonction des besoins.

20

« La rotule » est le nom d’une partie de l’intervention faite au sein de l’ascenseur à bateaux des Fontinettes.

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Figure 17 : Proposer des espaces appropriables à l’intérieur du canal Source : Auteur.

Cette fonction de capteur s’accompagne aussi d’un amplificateur, c’est-à-dire d’un programme d’offre de services qui favorise le développement de solutions nouvelles. La gare touristique, en lien direct avec les espaces d’expérience, sera un service qui permettra de faire découvrir les lieux et permettra de la diffuser dans les villes alentours. L’accès par le transport en commun sera facilité par la gare touristique qui relie facilement les communes entre elles et participent au développement touristique local du territoire. La Mise en réseaux avec le territoire par les activités proposées au sein du lieu permettent un rayonnement à l’échelle du territoire Par cette démonstration proposée par cette mention recherche et complétée par l’analyse de site de la notice architecturale, je peux désormais affirmer que la programmation fonctionne non seulement à l’échelle du site mais également à l’échelle du territoire.

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Figure 18 : Une distribution programmatique ancrée sur le site Source : Auteur. Le projet de fin d’étude : proposition architectonique d’une méthodologie adaptable au cours du temps.

L’espace idéal pour un tiers-lieu serait de « créer une structure fluide, modifiable, à usages multiples21 » Mon projet de fin d’étude présente une proposition spatialisée d’usages, de nouveaux modes d’action, au travers de l’innovation et du travail ensemble au sein d’un site patrimonial. Le processus de recherche en lien avec celui de conception s’est construit autour de l’élaboration d’une boîte à outils de caractéristiques communes propre aux tiers-lieux. Il est important de préciser que le but n’était pas de « faire un tierslieu »

mais

d’expérimenter

et

d’éprouver,

par

une

intervention

spatiale,

une

programmation ancrée dans son territoire. L’intervention en lien avec la « boîte à outils » propose une infinité d’usages possibles par des espaces facilement appropriables qui permettent, au fil du temps, de pouvoir développer des espaces selon les besoins et laisser place à l’indétermination. Ce projet entre dans la théorisation d’un processus long d’expérimentation. 21

Réponse de Stéphane Deveaux à la question : Comment concevoir un tiers-lieu ?

32


Ce projet n’est donc pas la réponse à un tiers-lieu mais une proposition type qui illustre la mouvance actuelle d’un ancrage au territoire Arquois selon l’unique point de vue d’une future architecte. La proposition est une ébauche, une préfiguration, une étude de faisabilité spatialisée d’une programmation culturelle. Pour garantir sa réussite, il manque une expérimentation in situ, en collaboration directe avec les futurs usagers. L’ascenseur à bateaux pourra être qualifié de tiers-lieu si les habitants participent au lieu dès la conception. Ce projet montre une application du projet de façon distanciée, purement théorique. L’idéal serait d’approfondir le travail par la recherche-action pour vérifier la véracité du discours et d’expérimenter la préfiguration au sein du projet comme le propose la Station. Je me positionne ainsi en tant que future architecte qui propose un aménagement spatial au travers d’informations historiques, culturelles et environnementales mais je ne suis en aucun cas certaine d’affirmer que le projet proposé pourra un jour être considéré comme un tiers-lieu. Il répond à une analyse territoriale et architecturale, et propose une mise en valeur des d’atouts au sein du site et du quartier pour le développement territorial de la ville d’Arques.

Une non-définition du tiers-lieu

Pour Stéphane Deveaux, directeur général de la Station, un tiers-lieu est un « lieu hybride, changeant, varié, à la créativité particulière, dont l’absence de cadre, et de direction génère une l’intelligence collective. Il prend forme pour répondre à des besoins au sein d’un territoire aidé par un financement participatif.» Par l’ensemble de ces caractéristiques, on fait tiers-lieu plus qu’on ne fait un tiers-lieu. Est-ce pour cela que définir un tiers-lieu est si périlleux ? En sortant d’un système, on en crée un autre. Le tiers-lieu serait davantage une dynamique de décloisonnement, une hybridation

des

activités.

Finalement,

y-a-t-il

besoin

de

définir

ces

espaces

« hétérotopiques 22»? On assiste comme le souligne Deleuze, à de perpétuels jeu de territorialisation, déterritorialisation, à vouloir normaliser un espace autre. La qualité spatiale des tiers-lieux reste donc à inventer, de l’architecture au fonctionnement de ces espaces, de la recherche d’un modèle économique pérenne à la définition de stratégies

22

Foucault, Michel. « Des espaces autres. » Conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, in Architecture, Mouvement, Continuité, no 5 (1984): 46-49.

33


d’ancrage de ces lieux dans les tissus socioéconomiques des territoires, tout peut encore évoluer. L’intérêt tiers-lieu se situe davantage dans l’expression d’une société en mouvement, cherchant à sortir des cadres préétablis, plutôt que dans la recherche à tout prix d’une définition à laquelle il faudrait répondre. Comment se positionner en tant que future architecte dans cette société en mutation ?

Conclusion Selon moi, rester une architecte engagée dans la recherche des besoins des futurs usagers du lieu sera le plus important dans la suite mon parcours. Ce travail de recherche m’a énormément appris dans la manière de me positionner face à une problématique, qu’elle soit sociale, ou spatiale. Par ce projet de fin d’étude, j’espère mettre suffisamment en valeur l’importance de la programmation face à un patrimoine existant.

34


Figure 19 : Le PFE : une application du mĂŠmoire de recherche Source : Auteur.

35


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le

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36

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5

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Besson, Raphaël. « Les Tiers Lieux. Des outils de régénération économique des territoires ruraux. » HAL, 14 mars 2018, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01733322

Bohas, Amélie, Faure, Stéphanie, De Vaujany, François-Xavier. « Tiers-lieux & Espaces collaboratifs : Laboratoires et révélateur des nouvelles pratiques de travail. » HAL, 13 mars 2018, https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01731194

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13

novembre

37

2017


ANNEXES : QUESTIONNAIRE ENTRETIENT LA STATION SAINT-OMER

• Comment a démarré ce projet ? (le tiers-lieu de la station ? ) Pourquoi ce projet ? • Quelles pratiques au sein du lieu ? • Quelle est la stratégie utilisée ? • Quelle outils/ méthode avez-vous utilisé ? • Pourquoi ces lieux ? (Saint-Omer puis Thérouanne,…) • Avez-vous des rapports statistiques de la fréquentation de la station ? • Quel modèle de gouvernance ? Conciergerie ? Responsables particuliers ? Comment se met en place le processus de Gestion? • La Station est gérée par une association qui anime et développe le FabLab, les espaces de coworking et de créativité. • Quel type de financements, modèle économique ? • Quels sont/ont été les objectifs de la station au sein de la gare de Saint-Omer ? • Quel est le rôle des usagers au sein des lieux ? Durant les processus ? (du début du projet jusqu’à aujourd’hui?) • Quels sont les besoins en terme de spatialité et de programmation ? • Comment les avez-vous définis ? • Vous considérez-vous comme un télécentre ? • Que pensez-vous de tous ces termes ? Espaces de coworking, fablabs, pépinière, hôtels d’entreprises ? • La programmation est-elle identique dans tous vos futurs tiers-lieux ? • Quelle(s) sont/ont été les difficultés majeures de ce projet ? • Selon vous, quel rôle joue l’architecture (en tant qu’espace) pour faire vivre la communauté d’un • Tiers-Lieu comme le votre ? • Pensez-vous que le projet est inscrit dans le territoire à toutes les échelles ? (Site, quartier, • Métropole), pourquoi ? • Pourquoi le nom de la "station" ?

Gare de Saint-Omer

• Quelle est la valeur patrimoniale ? (Date de construction de la gare, évolution du bâtiment…) • Quelle a été la stratégie architecturale et spatiale de réhabilitation du lieu? • Quelle(s) intervention(s) architecturale(s) majeures faites sur le bâtiment existant ? • Comment se déroule la phase chantier, avez vous procédé à des pratiques particulières ?


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