L’URBANISME AGRICOLE GARANT D’UN ÉQUILIBRE TERRITORIAL MÉTROPOLITAIN LE TERRITOIRE DES JALLES COMME MOTEUR D’UNE TRANSITION URBAINE ET AGRICOLE DE LA MÉTROPOLE BORDELAISE MARTIN RANSON Sous la direction de Christophe BOURIETTE
MÉMOIRE RECHERCHE - AVT
- 2018/2019 -
ENSAPBX
© PHOTOGRAPHIE : FABRIQUES
MARTIN RANSON Directeur d’études : Christophe BOURIETTE Année universitaire 2018 -2019 Mémoire de recherche
L’URBANISME AGRICOLE GARANT D’UN ÉQUILIBRE TERRITORIAL MÉTROPOLITAIN LE TERRITOIRE DES JALLES COMME MOTEUR D’UNE TRANSITION URBAINE ET AGRICOLE DE LA MÉTROPOLE BORDELAISE
AVANT-PROPOS UNE PRÉOCCUPATION POUR DEMAIN
L’idée du sujet a émergé progressivement à travers de nombreuses lectures sur la relation contemporaine entre ville et nature, urbain et rural. L’intérêt pour ces dualités m’anime depuis quelques années dans mon parcours d’étudiant en architecture et s’est confirmé par mon passage au sein de l’atelier de séminaire Architecture Ville et Territoire. Cet atelier m’a fait prendre conscience de l’urgence à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui concernant notre développement urbain. Les campagnes s’effacent sous la puissance métropolitaine. Les sols nourriciers disparaissent sous le béton. La métropole en constante croissance a atteint ses limites. Il en est de même pour le modèle agricole que nous connaissons aujourd’hui fonctionnant sur des fondements d’après-guerre. Le parallèle entre le monde agricole et le monde urbain m’est apparu comme essentiel. Depuis plus de cinquante ans, ces deux mondes fonctionnent de manière autonome et en s’ignorant. Les conséquences de cette opposition sont largement visibles aujourd’hui. D’une part la standardisation d’une agriculture intensive spécialisée dans la monoculture et complètement dépendante d’un système de financement européen a détruit les sols fertiles. D’autre part, une homogénéisation du territoire sous l’effet de la métropole qui grandit aux dépens de ces espaces agricoles ayant pour vocation de nourrir les hommes. L’idéologie métropolitaine est source d’une déconnexion progressive entre la ville et son territoire mettant en péril notre sécurité alimentaire. Ce constat est préoccupant pour l’avenir. Le territoire de la métropole de Bordeaux m’a semblé pertinent afin de comprendre la place laissée à l’agriculture dans le système métropolitain et envisager de nouvelles interactions entre un système urbain et un système agricole pour demain. Conscient de la nécessité d’une transition à la fois urbaine et agricole, ce travail tente d’éclairer les enjeux actuels d’une urbanisation grandissante et d’une agriculture qui s’efface. La vallée des Jalles, dernier espace agricole significatif de l’enceinte métropolitaine et trait d’union entre ville et campagne par son ouverture, constitue un révélateur des enjeux et un potentiel facteur d’une «métropole agricole».
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MÉTHODOLOGIE L’ENTRELACEMENT DES ÉCHELLES
La démarche utilisée consiste à procéder par différents niveaux de lecture du territoire, par une approche multiscalaire. Cet entrelacement des échelles spatiales, temporelles et humaines vise à saisir les interactions entre les différents niveaux de lecture. La dimension spatiale consiste à réaliser des «sauts d’échelles» de la parcelle de terrain à l’échelle du territoire métropolitain afin de saisir les fonctionnements, les caractéristiques et les interactions entre l’homme et son milieu. La dimension temporelle vise à se situer selon différentes époques afin de comprendre les inerties humaines, politiques, les évolutions de conscience, les changements dans la manière de fabriquer la ville au fil du temps. La dimension humaine vise en partie à comprendre les relations entre les hiérarchies institutionnelles et les acteurs du territoire. Cette méthodologie me paraît importante par sa recherche d’une compréhension du territoire dans son ensemble à travers l’appréhension des différentes forces vives en action qu’elles soient politiques, humaines, écologiques, sociales et spatiales.
TERRITOIRE
«Une renaissance s’impose moyennant de nouveaux actes fécondateurs, capables de produire à nouveau du territoire, ou plutôt de nouvelles relations fertiles entre les établissements humains et le milieu naturel. », MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000 «Une des façons les plus intéressantes de raconter un territoire, non seulement son histoire passée, mais également les paysages qui aujourd’hui le décrivent et le représentent.», VIGANO Paola, Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance , Métispresse, 2016
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INTRODUCTION Depuis toujours, par ses besoins d'extension économique, social, politique, la ville s'étend sur sa périphérie estompant ainsi progressivement la limite entre la ville et la campagne. Durant ces dernières décennies, cette périphérie est largement marquée par « la conversion d'écosystèmes agricoles et semi-naturels en zones résidentielles d'habitats groupés ou dispersés »1. Face à cet étalement urbain hors de la ville dense historique, à la standardisation des formes urbaines et à l'homogénéisation des modes de vie, la séparation entre le monde urbain et rural disparaît progressivement entre autre avec l'affirmation d'une croissance continue du périurbain 2 : la ville commence à s'étendre sur l'ensemble de son territoire 3. La métropolisation est décrite par A. Brennetot comme un « processus d'accentuation des polarités, de fluidification et de densification des réseaux de circulation, bouleverse les catégories usuelles d'appréhension de l'espace ». Ce phénomène est souvent considéré comme « l'aboutissement de l'affirmation des grandes villes et de leur rôle structurant dans l'organisation de l'espace. » 4 La ville, en devenant un système métropolitain, dépasse son rayonnement local et s'intègre dans une dynamique à l'échelle mondiale : c'est la « ville monde » 5. La « ville monde » évolue à différentes échelles et la toile de son réseau est essentiellement économique. Si on reprend l'idée de F. Ascher sur les métapoles, « la métropolisation ne dissout pas les villes ; elle donne au contraire forme à un territoire qui va au-delà de la ville mais qui l'intègre en la dépassant » 6. Cependant, ce phénomène pose aujourd'hui problème en terme de consommation excessive d'espace et d'une tendance certaine à la ville diffuse 7. Depuis l'Antiquité, l'agriculture est considérée comme comme la clé d'un développement durable des villes. Elle porte une valeur économique par son rôle productif mais joue également le rôle d'approvisionnement alimentaire permettant une forme d'autonomie associée à un équilibre entre espaces bâtis et non bâtis, entre ville et campagne. Aujourd’hui, la disparition accélérée des terres agricoles au profit de l’urbanisation est une réalité menaçante. Cela pose la question de la limite du tissu urbain et de son étalement continu. 1 MARCO Audrey, BOSSU Angèle, BERTAUDIÈRE-MONTÈS Valérie, « De la ville à la campagne, la flore spontanée, témoin de l’homogénéisation de la biodiversité urbaine » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014. 2 CHARMES Éric, « La revanche des villages », http://www.laviedesidees.fr, 24 Octobre 2017 3 LEFEBVRE Henri, Du rural à l’urbain, Anthropos, Paris, 1970. 4 BRENNETOT Arnaud, Espace rural et projet spatial vol.6 Ruralités et métropolisation. A la recherche d’une équité territoriale, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2016. 5 BRAUDEL Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Les structures du quotidien tome 1, Armand Colin, Paris, 1979. 6 ASCHER François, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995. 7 Notion introduite par INDOVINA Francesco, La Città diffusa, DAEST-IUAV, Venise, 1990 puis développée par SECCHI Bernardo, « L’émergence de la ville diffuse », Diagonal n° 156, 2002.
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L'étalement urbain, phénomène aujourd'hui généralisé, participe à « une mutation profonde de l'organisation des territoires et une transformation des mentalités » 8. Cette urbanisation proliférante est responsable d'une imperméabilisation irréversible des sols contribuant ainsi à la disparition progressive des paysages naturels et agricoles caractéristiques et nécessaires à un équilibre urbain. « Dans la course effrénée qui l'entraîne à la construction d'une seconde nature, artificielle, notre civilisation s'est progressivement affranchie du territoire qu'elle traite comme une surface dépourvue de signification propre et ensevelie sous une masse d'objets, d'oeuvres , de fonctions, de poisons.» 9 Cette notion « d'affranchissement territorial » introduite par A. Magnaghi exprime un territoire qui n'est plus que le support d'un développement illimité où l'homme est détaché de sa relation avec le lieu et en oublie les caractéristiques environnementales, culturelles et identitaires. La métropole comme « négation de la ville » 10 par sa forme diffuse semble tendre à une normalisation du territoire et à une dissolution de la « singularité des lieux » 11. La métropole bordelaise se soucie du devenir de ses territoires à travers les différents documents d'urbanisme. Il existe une réelle volonté d'intégrer et de revaloriser ces espaces naturels et agricoles devenus souvent enclavés par l'urbanisation et de les utiliser comme outil d'aménagement urbain, comme structure urbaine. Ce système métropolitain se doit d'apporter les leviers d'actions pour un retour à un équilibre territorial. Autrefois garants des ressources essentielles au fonctionnement de la ville, les paysages agricoles et naturels ont aujourd'hui un rôle déterminant à jouer dans les grands enjeux de société tels que la biodiversité, la sécurité alimentaire, ou encore la maîtrise du foncier.
« Si la ville avance dans le paysage, pourquoi l'inverse ne serait pas envisageable ? » 12 Cette question soulève une forme d'inversion territoriale qui serait potentiellement source d'une nouvelle manière de faire la ville. Cette question résume l'approche de ce travail à travers la dimension agricole comme nature productive à l'échelle d'une métropole.
Ce travail, à travers le territoire de la métropole bordelaise, tentera dans un premier temps de comprendre les mécanismes et les enjeux d'une telle déprise territoriale, urbaine et agricole amorcée depuis de nombreuses années. Il sera question de regarder le territoire et ses évolutions en terme d'urbanisation aux dépens des espaces naturels pourtant très caractéristiques, de consommation des sols agricoles, de production alimentaire afin de saisir l'urgence et la nécessité d'un changement dans la manière de concevoir la ville. La seconde partie traitera les dynamiques politiques en place à travers le Parc des Jalles, situé au Nord-ouest de Bordeaux et plus particulièrement au sein du périmètre de protection dont il fait l'objet : le Périmètre de Protection et de mise en valeur des Espaces Naturels Périurbains (PPEANP). Ce prisme d'étude du Parc des Jalles est considéré par 8 CATTAN Nadine, BERROIR Sandrine, « Les représentations de l’étalement urbain en Europe : essai d’interprétation », La Ville Insoutenable, Belin, 2006. 9, 10, 11 12
MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000.
COGATO LANZA Elena, « Le territoire inversé», dans Versteeg Peter (dir.), Méandre. Penser le paysage ur-
bain, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005.
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les collectivités comme l'avenir d'une agriculture périurbaine. Ce territoire constitue, selon nous, un enjeu moteur dans l'équilibre territorial métropolitain. Il permet des regards croisés mêlant les problématiques liées à la consommation des espaces naturels périurbains, aux questions de dépendances alimentaires et aux dynamiques politiques face à une volonté de valorisation de ces espaces. Il s'agira donc de révéler les inerties politiques afin de voir si elles sont efficaces, motrices de dynamiques locales et quels leviers d’action sont mis en place. Enfin, dans un troisième temps, nous formulerons des hypothèses d'une nouvelle forme d'urbanisme introduite par Rémi Janin : « l'urbanisme agricole ». Cette notion est porteuse d'une nouvelle « fabrique de la ville » consciente de son sol et des enjeux nourriciers. Il s'agira de comprendre comment la nature dans sa dimension productive peut investir le territoire métropolitain et garantir une forme d'équilibre territorial qui semble disparu. Cette partie s'inspire d'une approche territorialiste initiée en Italie ayant pour objectif initial la « sauvegarde du territoire » dans une perspective de fonder une science garante de la qualité de vie et de la pérennité des « établissements humains » à travers, entre autre, la préservation des ressources naturelles et agricoles et un contrôle de l'étalement urbain.
Dans quelle mesure, l'urbanisme agricole en métropole peut devenir une structure urbaine durable, nourricière et une alternative concrète à une consommation des sols excessives ? Comment retrouver une forme d'équilibre territorial à travers un paysage productif et porteur de projet ? Le Parc des Jalles peut-il être envisagé comme support d'une transition agricole métropolitaine et initiateur d’une nouvelle forme d'urbanisme ?
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SOMMAIRE
AVANT PROPOS - UNE PRÉOCCUPATION POUR DEMAIN
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MÉTHODOLOGIE - L’ENTRELACEMENT DES ÉCHELLES
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INTRODUCTION
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PARTIE 1 / UNE MÉTROPOLE ENTRE ÉTALEMENT URBAIN, DÉTERRITORIALISATION
ET DÉPENDANCE NOURRICIÈRE 1 / UNE MÉTROPOLE PEU DENSE ET CONSOMMATRICE D’ESPACE : DES ESPACES NATURELS MENACÉS
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/ UNE ATTRACTIVITÉ RESPONSABLE D’UNE FORTE PRESSION DÉMOGRAPHIQUE / UNE FORTE CONSOMMATION D’ESPACE : UN ÉTALEMENT URBAIN EN CONSTANTE CROISSANCE / DES PAYSAGES URBAINS ENTRE ENCLAVEMENT ET RECOMPOSITION
2 / UNE ÉVOLUTION PROGRESSIVE DU PAYSAGE AGRICOLE MÉTROPOLITAIN
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/ L’AGRICULTURE MÉTROPOLITAINE DE 1850 À 1950 : UNE ÉVOLUTION DES PRATIQUES / L’ÉVOLUTION DE L’AGRICULTURE DE 1950 À 2000 : UN CLIMAT D’INDUSTRIALISATION / LA PLACE DE L’AGRICULTURE AUJOURD’HUI EN MÉTROPOLE
3 / LE SYSTÈME ALIMENTAIRE DE LA MÉTROPOLE : UNE AUTONOMIE POSSIBLE ?
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/ LES DYNAMIQUES ALIMENTAIRES À DIFFÉRENTES ÉCHELLES / L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE MÉTROPOLITAINE : UNE UTOPIE ? / LES PRODUCTIONS MARAÎCHÈRES DU PPEANP DES JALLES : LES FAUX SEMBLANTS D’UN APPROVISIONNEMENT PUREMENT LOCAL
PARTIE 2 / LE PPEANP DES JALLES : SANCTUARISATION DE LA NATURE OU
RÉEL OUTIL TERRITORIAL ?
1 / LE PPEANP DES JALLES : UNE CRÉATION LABORIEUSE
/ UNE PRÉOCCUPATION POLITIQUE DEPUIS 1970 : UNE INTÉGRATION PROGRESSIVE DES ESPACES OUVERTS ET AGRICOLES À L’URBANISME / VERS LA DÉFINITION D’UN PÉRIMÈTRE DE PROTECTION : LE PPEANP / DES AGRICULTEURS SCEPTIQUES À LA CRÉATION D’UN PÉRIMÈTRE DE PROTECTION
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2 / LES DYNAMIQUES POLITIQUES À L’ÉCHELLE DU TERRITOIRE DES JALLES
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/ L’OUTIL SCOT ET LES ORIENTATIONS TERRITORIALES / L’OUTIL PLU ET LES ORIENTATIONS MÉTROPOLITAINES / BORDEAUX MÉTROPOLE COMME COORDINATEUR TERRITORIAL ?
3 / «55000 HECTARES DE NATURE» : POUR UN TERRITOIRE DE PROJET
PARTIE 3 / HYPOTHÈSE D’UN URBANISME AGRICOLE COMME PROJET TERRITORIAL
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/ VERS UNE INTERACTION DU SYSTÈME NATURE ET DU SYSTÈME VILLE : LES « BORDS DE VILLE » / UNE NOUVELLE GOUVERNANCE : L’AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA NATURE (ADN) / VERS UNE INTERACTION DU SYSTÈME NATURE ET DU SYSTÈME VILLE : LES « BORDS DE VILLE »
MÉTROPOLITAIN DURABLE
1 / L’URBANISME AGRICOLE : VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA MÉTROPOLE
2 / LE PARC DES JALLES, SUPPORT D’UN PROJET AGRICOLE URBAIN À L’ÉCHELLE MÉTORPOLITAINE?
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/ UNE NOUVELLE ÈRE AGRICOLE POUR UN PROJET AGRICOLE URBAIN / LA FABRIQUE D’UN PAYSAGE COMMUN ÉVOLUTIF ET NOURRICIER / LE PARC AGRICOLE, SUPPORT MULTIFONCTIONNEL ET PROJET DE TERRITOIRE
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/ ENTRE PAYSAGES NATURELS ET PAYSAGES FAÇONNÉS / UNE SITUATION PÉRIURBAINE À EXPLOITER / ENVISAGER UN RAYONNEMENT AGRICOLE MÉTROPOLITAIN
CONCLUSION : VERS UNE MÉTROPOLE AGRICOLE SOUTENABLE ?
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BIBLIOGRAPHIE
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
129
REMERCIEMENTS
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132
11
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PARTIE 1
UNE MÉTROPOLE ENTRE ÉTALEMENT URBAIN, DÉTERRITORIALISATION ET DÉPENDANCE NOURRICIÈRE L’étalement urbain est caractéristique d’une dilution de la ville tant dans sa dimension physique de l’espace que symbolique.1 La consommation des ressources humaines et territoriales par la métropolisation est l’un des facteurs participant à la dégradation environnementale de la planète et à la consommation excessive des espaces naturels afin d’assouvir ses besoins de développement. Selon Claval, la ville métropole est perçue comme une entité différente du milieu où elle se développe.2 En France, de 1982 à 2003, les surfaces artificialisées ont augmenté de 43% pour une croissance de démographique de 10% seulement. Depuis 10 ans environ, ce sont 550 000 hectares qui ont disparu au profit d’une urbanisation diffuse. Cette consommation excessive des sols est un phénomène problématique aujourd’hui. Les espaces urbanisés comme les zones industrielles, commerciales et surtout les infrastructures de transport entraînent une marginalisation flagrante des espaces agricoles au profit de l’activité économique métropolitaine. La métropole de Bordeaux, du fait d’un étalement urbain continu s ‘affranchit progressivement de son territoire au profit d’une artificialisation massive : « le producteur/consommateur a remplacé l’habitant, le site s’est substitué au lieu, la région économique à la région historique et à la bio-région ». Il sera question dans cette partie de voir, dans la métropole, en quoi le consommateur, le site et l’activité économique sont à remettre en question pour un territoire durable.3
1 / UNE MÉTROPOLE PEU DENSE ET CONSOMMATRICE D’ESPACE : DES ESPACES NATURELS MENACÉS En grandissant, « Bordeaux ville » est progressivement devenue « Bordeaux agglomération » et enfin « Bordeaux métropole ». Après vingt-trois siècles de développement, la métropole dénombre environ 800 000 habitants et souhaite atteindre le million d’habitants en 2030. Cette pression démographique croissante est la cause d’une urbanisation puissante, rapide et peu dense. En effet, la métropole a connu un développement horizontal ayant pour conséquence la prolifération de logements individuels peu denses et de zones commerciales qui participent au mitage du territoire et à la disparition des terres agricoles. La métropole s’étend actuellement en continu sur vingt kilomètres d’est en ouest - de 1 CATTAN Nadine, BERROIR Sandrine, « Les représentations de l’étalement urbain en Europe : essai d’interprétation », La Ville Insoutenable, Belin, 2006. 2 3
CLAVAL Paul, « Réflexions sur la centralité », Cahiers de la Géographie du Québec, vol. 44, n°123, 2000. MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000
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1. Carte des 28 communes de la métropole © Bordeaux Métropole
2. Part des emmenagés récents au sein de la métropole © A’Urba
3. Évolution de l’emprise urbaine de l’aire métropolitaine © A’Urba
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Saint-Médard-en-Jalles à Floirac pour vingt-cinq kilomètres du nord au sud - d’Ambarès à Villenave d’Ornon. La métropole urbanisée comprend la présence d’espaces non bâtis, aménagés ou non, au sein de son réseau. Certains de ces espaces sont qualifiés de « naturels » et constituent le patrimoine paysager très divers et propre au territoire. Ces espaces non bâtis, ces vides urbains sont à préserver pour assurer un rôle structurel métropolitain. Il sera question ici de comprendre les mécanismes de cet étalement urbain menaçant envers ces espaces non bâtis majoritairement naturels.
UNE ATTRACTIVITÉ RESPONSABLE D’UNE FORTE PRESSION DÉMOGRAPHIQUE
Attractive et ouverte, portée par une croissance économique et démographique soutenue, Bordeaux Métropole a comme ambition de devenir une métropole de référence à l’échelle européenne à l’horizon 2030. Son attractivité est due à son climat économique favorable, ses infrastructures (LGV, tramway...), sa qualité de vie reconnue, son offre universitaire avec 87 700 étudiants, sa géographie etc. Il est vrai que sa géographie est idéale ; elle dispose de grands vignobles (oenotourisme) et est située à moins d’une heure de l’océan Atlantique, à deux heures des Pyrénées. De plus c’est une métropole connectée grâce à la LGV et l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. La métropole bordelaise bénéficie de secteurs de pointe : aéronautique, laser, santé, bois, fédérés en pôles de compétitivité et en clusters et de filières stratégiques telles que le numérique, l’économie créative, les filières vertes, le tertiaire supérieur. Du point de vue économique, la métropole bordelaise constitue un bassin d’emploi des plus attractifs avec 293 712 salariés et 7 673 emplois salariés créés à Bordeaux entre 2015 et 2016. La croissance de l’emploi y est supérieure aux métropoles comparables dans les secteurs clés comme le domaine des activités d’affaires, du commerce et du tourisme. Cette attractivité est une des causes d’une forte croissance démographique. A l’échelle du pays, « 95% de la population vit sous l’influence des villes » 4 et les espaces périurbains accueillent un français sur cinq en 2008. La société devient de plus en plus urbaine. La moitié de la population girondine vit au sein de la métropole et cette même population représente 13% de la région Nouvelle-Aquitaine. Les 28 communes de Bordeaux Métropole (cf. figure 1) comptaient en 2000 environ 660 000 habitants contre 760 000 en 2014 (chiffres INSEE de 2017) soit une augmentation représentant plus de deux fois la population de Talence. Cette croissance démographique est due non seulement à un accroissement naturel important (9000 naissances pour 5400 décès en 2013) mais aussi par l’arrivée de nouveaux habitants qui s’installent (cf. figure 2). L’emprise de l’aire urbaine de Bordeaux s’est largement étendue au cours des trente dernières années (cf. figure 3). Cette augmentation démographique est importante et entraîne naturellement un essor de la construction de logements. 4
Chantal BRUTEL, David LEVY, « Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010 », Insee Première, n°1374, 2011, http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1374
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4. Les grands projets urbains issus du programme 50 000 logements © A’Urba, 2011
5. Densité des constructions métropolitain et ses enjeux © A’Urba, 2010
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En effet, on voit à Bordeaux et ses communes périurbaines, l’apparition de quartiers urbains entiers. Malgré une volonté de densifier le logement sur le territoire, la métropole propose une assez faible densité de population (1300 hab/km2) et il existe une grande disparité de densité entre Bordeaux et certaines communes périurbaines plus rurales comme SaintVincent-de-Paul ou Ambès. Le patrimoine architectural propre à la ville de Bordeaux (échoppes, immeubles de type haussmannien) est protégé et semble intouchable. Bordeaux Métropole lance en 2010 un programme «Comment produire 50 000 logements autour des axes de transport collectifs» afin d’apporter des réponses concrètes à cette population en constante croissance. De nombreux grands projets urbains voient le jour comme Euratlantique, le Quartier Brazza, la ZAC Bastide Niel, EcoParc etc (cf. figure 4). On constate qu’ils sont situés dans la ville centre et dans les communes périphériques et s’articulent avec les infrastructures de transport. Ces projets, malgré la proposition d’une certaine densité et d’une baisse observée de la consommation foncière (cf. figure 5) participent à une raréfaction du sol libre et une urbanisation proliférante. La hausse des prix de l’immobilier dans Bordeaux liée à son attractivité contribue à alimenter une urbanisation résidentielle diffuse dans des secteurs de plus en plus éloignés du cœur de la métropole. On observe depuis les années 50, une accélération du phénomène de périurbanisation au sein de la métropole actuelle. Il est vrai que le territoire girondin présente peu de relief et donc peu d’obstacles à une extension urbaine. L’essor des mobilités est un facteur de développement majeur du territoire périphérique de l’agglomération notamment avec l’arrivée du tramway en 2003 qui a permis un développement des communes autour de Bordeaux, désormais connectées à la ville centre. À cette période, on observe que certaines communes périphériques à Bordeaux connaissent le plus fort accroissement de leur population (Bègles, Cenon, Le Bouscat, Talence etc.) alors qu’il s’agissait de communes perdant progressivement leur population depuis trente ans. Sur l’aire urbaine de Bordeaux, en l’espace de sept ans (1999-2006) s’est vu construire 42600 logements supplémentaires. Les communes périurbaines ont accueilli près de 30% de ses nouvelles constructions. On observe aujourd’hui qu’il s’agit de constructions peu denses, principalement du pavillonnaire dans les communes périphériques comme SaintMédard-en-Jalles. Autrefois à dominante rurale et support d’activités agricoles, ces communes périurbaines sont actuellement lancées dans une dynamique d’urbanisation très rapide au détriment des zones naturelles et agricoles. UNE FORTE CONSOMMATION D’ESPACE : UN ÉTALEMENT URBAIN EN CONSTANTE CROISSANCE On assiste actuellement à une métropole qui phagocyte son environnement au profit d’une urbanisation. Les « croqueurs de terre »5, ou les responsables de l’artificialisation du sol, engendrent la disparition de l’équivalent d’un département français de terres agricoles tous les sept ans. L’étalement urbain est surtout problématique car sa prolifération s’effectue à un rythme beaucoup plus important que ne l’imposerait le seul facteur démographique. 17
C’est le reflet d’un climat national avec des surfaces artificialisées qui ont connu une progression de 40% alors que la population n’a augmenté que de 10% entre 1982 et 2004. Nous connaissons aujourd’hui les limites des ressources terrestres ; il n’est plus possible de penser l’évolution des sociétés et leurs systèmes économiques en termes de croissance perpétuelle. 6 Face à cette étalement excessif, on voit apparaître les lois SRU (2000), puis Alur (2014) qui préconisent voire imposent une densification des villes mais aussi des secteurs pavillonnaires (concentrés majoritairement au sein des communes périurbaines) dans le but de limiter l’étalement urbain. On constate, malgré une politique de densification, qu’il persiste un étalement croissant donnant naissance à une métropole diffuse. D’après Augustin Berque, géographe, l’urbanisation périurbaine à faible densité, consommatrice d’énergie, de matière et de sol au nom d’un idéal de cadre de vie, participe à la dilution infinie de la ville dans la nature. 7 Sur la période 1999-2009, en Gironde, les constructions individuelles ont été aménagées sur des terrains d’une surface moyenne de 971 m². Les terrains les plus petits, inférieurs à 500m², se situent dans le cœur de l’agglomération bordelaise (Bordeaux, Talence, Bègles), où la pression foncière et le prix du foncier sont parmi les plus élevés du département (cf. figure 6). S’il est évident que les pôles urbains et leurs espaces périurbains consomment chaque année une part plus importante de leur territoire destinée à l’urbanisation, la consommation foncière des logements et des habitants est globalement plus élevée dans les espaces ruraux ou périurbains. Par exemple, l’artificialisation approche les 1000 m² par logement supplémentaire dans des communes telles que Martignas, Saint Médard en Jalles, Saint Aubin du Médoc, là où par ailleurs les densités de population sont souvent les plus faibles. On doit cette consommation à la prolifération de l’habitat diffus pavillonnaire encore aujourd’hui. On observe cependant une densification en cours avec la multiplication d’immeubles de plus de cinquante logements. Avec 35% d’habitats collectifs en Gironde en 2009 contre 32% en 1999, cette tendance se poursuit et s’amplifie aujourd’hui sous la pression démographique et une volonté politique. Les espaces artificialisés recouvrent les zones d’habitats, les zones industrielles et commerciales, les réseaux de transports, les équipements, par opposition aux espaces agricoles, aux forêts ou milieux naturels, aux zones humides ou surfaces en eau. Ces espaces imperméabilisés ne sont plus disponibles pour des usages tels que l’agriculture, la sylviculture ou pour les habitats naturels, alors consommés par l’étalement urbain. Pour l’Agence Européenne de l’Environnement, l’étalement urbain représente le phénomène d’expansion géographique d’une zone donnée par l’implantation en périphérie, au détri ment de larges zones principalement agricoles et de zones urbanisées (banlieues pavillonnaires, maisons individuelles...). En d’autres termes, ce sont 40 000 hectares de terres 5
HAMELIN Éric, RAZEMON Olivier, CASTRO Roland, La Tentation du bitume : où s’arrêtera l’étalement urbain ?, Rue de l’Échiquier, Paris, 2012 6 Geneviève AZAM, Osons rester humain. Les impasses de la toute-puissance, Paris, Les liens qui libèrent, 2015 7 BERQUE Augustin, « Des toits, des étoiles », Annales de la Recherche Urbaine, n°74, Natures en villes, 1997
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6. Nombre de m2 consommés par logement supplémentaire en Gironde en 2010 © MAJIC 2011,
7. Surfaces artificialisées (en ha) en Gironde en 2010 © MAJIC 2011, DDTM 33
8. Taux de de surfaces artificialisées en Gironde en 2010 © MAJIC 2011, DDTM 33
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agricoles et naturelles qui disparaissent au profit d’un espace artificiel que ce soit du logement, des zones d’activités commerciales ou encore des infrastructure. Entre 2000 et 2009, l’artificialisation des sols a causé la disparition d’environ 7 624 ha d’espaces essentiellement agricoles et forestiers sur le territoire girondin (cf. figure 7). Environ 1000 ha sont prélevés chaque année au niveau départemental pour le développement urbain et routier. En Gironde, près de 121 350 h (soit 12% du territoire étaient artificialisés) dont 86 800 ha de parcelles cadastrées privées et près de 34 550 ha situés dans le domaine public. L’étalement urbain et l’artificialisation des territoires se poursuivent. Ces évolutions touchent à la fois des espaces urbains, périurbains et des espaces ruraux. Au sein de la métropole, 49% des territoires sont artificialisés (cf. figure 8 ) et durant les vingt-cinq dernières années, 9 à 12% des espaces ont été artificialisés à Bordeaux et dans les communes périurbaines (Mérignac, Pessac, le Bouscat, Floirac etc.). L’étalement urbain et l’artificialisation des sols associée contribuent à la disparition des zones naturelles périurbaines. L’artificialisation entraînant l’imperméabilisation des sols est un processus irréversible représentant un danger pour le paysage métropolitain. Malgré les politiques de densification recherchées par les loi SRU puis Alur, on observe que l’économie du foncier n’est pas encore totalement intégrée et le périurbain semble s’étendre de plus en plus. Selon E. Charmes, les espaces périurbains sont soumis au double impératif de répondre à la demande de logements et de limiter l’étalement de l’urbanisation.8
DES PAYSAGES URBAINS ENTRE ENCLAVEMENT ET RECOMPOSITION
En milieu urbain, les espaces naturels et agricoles représentent un potentiel qu’il est indispensable de maintenir ou de développer. En plus d’un rôle de respiration dans un tissu urbain, il contribuent largement à la composition de paysages divers et à la structure urbaine à travers une « trame verte ». « Un paysage ce n’est pas seulement une structure, mais également un système en rapport avec l’état économique et socioculturel du moment, dont la perception est fonction de l’observateur ». 9 Au cours de son extension urbaine engagée depuis des siècles, le paysage urbain et naturel a été largement modifié. L’urbanisation s’est retrouvée confrontée à des territoires proposant une grande diversité : les marais le long de la Garonne, la vigne du Médoc et des Graves au nord et au sud, les coteaux de la rive droite et la forêt à l’ouest. La métropole offre des paysages changeants, complexes et riches qu’il est nécessaire de préserver. Il existe les « espaces naturels urbains » qui sont des espaces préservés et contenus dans le tissu bâti. Ils sont naturels par leur occupation du sol et urbains par leur situation dans la métropole. Ce ne sont pas forcément des espaces verts, mais peuvent être sous forme de vignes, de 8 9
CHARMES Éric, « La densification en débat », Etudes foncières, n°145, 2010 PITTE Jean-Robert, Histoire du paysage français de la préhistoire à nos jours, Éditions Tallandier, Paris, 2001
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forêts, de pâtures, de marais. Ils sont pour la plupart liés à des domaines viticoles qui ont résisté à la pression urbaine et actuellement considérés comme des enclaves. Il existe aujourd’hui le golf et l’hippodrome, les domaine de Picque Caillou, Pape Clément et HautBrion, la Grande Ferrade, la campagne d’Eysines etc. Ces espaces enclavés sont peu intégrés à l’agglomération et méritent une meilleure appropriation mêlant des usages urbains : relations visuelles, cheminements doux aux lisières.Ils sont en effet, des « poches de nature » noyées dans un tissu urbain avec lequel il devrait dialoguer. Aux franges de l’urbanisation continue, là où les dynamiques d’urbanisation sont fortes, il existe d’autres interfaces nature-ville où l’espace naturel est davantage un espace ouvert qu’un espace enclavé. Premièrement, on peut parler des marais. Ils sont présents au nord au sein de la vallée des Jalles (cf. figure 9) et au sud de la métropole. Ils se sont formés au fil des siècles grâce aux marées et l’effet des crues de la Garonne. Ils ont été aménagés au XVIème siècle par des travaux d’endiguement, de drainage et proposent des sols propices à une activité agricole. Ils sont utilisés depuis comme territoire agricole pour la plupart sous exploités. Durant la seconde partie du XXème siècle, l’urbanisation faisant pression, on assiste à une régression de cette zone de marais. Ces zones humides, historiquement productives, proposent des paysages divers (plans d’eau, zones boisées, pâtures, zone cultivées) et sont le réservoir d’une grande biodiversité et jouent un rôle d’épandage des crues lors d’inondations. Elles sont au contact direct de zones industrielles (Bassens, Bègles au Sud) et parfois à proximités de tissus habités (Villenave d’Ornon au Sud, Blanquefort au Nord). Ces réserves de biodiversité sont aujourd’hui protégé de la pression urbaine à l’image du Parc des Jalles qui fait l’objet de divers périmètres de protection (Natura 2000 et PEANP). Ces espaces mériteraient de tisser davantage de liens avec les usages urbains (loisirs, cheminements, fermes pédagogiques). Ensuite, on trouve les coteaux qui s’étendent du Sud de Floirac jusqu’à Bassens, sur la rive droite de Bordeaux. Ce paysage particulier apparaît comme remarquable dans ce territoire pauvre en relief et offre de larges vues urbaines s’ouvrant sur Bordeaux et la Garonne. Ces coteaux recèlent d’une grande diversité de paysages comme des zones boisées, des zones humides ou des prairies. Ils font d’ailleurs l’objet d’un système de parcs : le Parc des Coteaux (cf. figure 10) qui est intégré à la trame paysagère de la métropole. Ces parcs s’étendent sur 400 hectares et sont supports d’activités : un pôle culturel (Rocher de Palmer), une ferme urbaine, des équipements sportifs, des cheminements etc. A une échelle plus réduite, il existe le coteau de Blanquefort qui domine la Jalle et propose un point haut remarquable. La métropole rencontre à l’ouest des espaces majoritairement forestiers avec le massif des Landes et de la Gironde. Ils sont principalement destinés à une production de bois et ne sont pas sacralisés comme les marais ou les coteaux. Ces zones de forêt sont en contact direct avec le périurbain métropolitain comme à Saint-Médard-en-Jalles (cf. figure 11) où les interfaces sont nombreuses : ils sont une réserve de biodiversité et proposent des
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9. Le paysage des marais. La Jalle de Blanquefort © M. RANSON
10. Le Parc de l’Ermitage (parc des coteaux), Lormont © GEREA
11. Bois de Cérillan, Saint-Médard-en-Jalles © M. RANSON
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usages de proximité pour les habitants : espaces de respiration, de loisirs, de sport, de promenade. Dans ces contextes périurbains, les zones de lotissements, les zones d’activités, infrastructures sont responsables de la disparition de grandes surfaces de forêt. Les quartiers de forêts (comme à Saint-Médard-en-Jalles par exemple) nécessitent une parcelle d’environ 1000 m2 par parcelle et les zones d’activités consomment d’immenses surfaces foncière anciennement couvertes de pins. L’imperméabilisation du sol représente un danger pour ces zones de biodiversité et compromet leur pérennité. Cependant, on trouve des boisements au sein de la métropole qui résistent à la pression urbaine comme le bois de Mérignac, celui du Bourgailh à Pessac et celui de la Burthe à Floirac. Ces bois sont très fréquentés et sont le support de multiples activités et pratiques mais nécessitent une gestion de tout instant. Enfin, au-delà des domaines viticoles enchâssées dans le tissu urbain dense («espaces naturels urbains»), on retrouve ces paysages viticoles caractéristiques de Bordeaux en situation périphérique comme au sud de la métropole avec les Graves vers Villenave d’Ornon et Léognan, et au nord avec le Médoc près de Parempuyre et Ludon-Médoc. Ces confrontations entre paysages naturels et urbanisation sont caractéristiques du paysage métropolitain mais largement sujets aux phénomène de mitage urbain et de spéculation foncière. Ces espaces, entre milieu urbain et rural, fortement touchés par les pressions urbaines diverses sont qualifiés de «tiers espaces». Cela renvoie entre autre aux espaces de nature « emparquée » par des systèmes protecteurs10 comme la création de parcs, souvent pris en étau par l’urbanisation croissante.11 Il existe un phénomène responsable d’une dégradation irréversible du potentiel naturel métropolitain qui est le mitage. Nous entendons par mitage ou « grignotage », la consommation d’espaces naturels au profit de l’édification dispersive de bâtiments ou d’infrastructures. Considéré comme une dérive de la périurbanisation, le mitage a fait l’objet d’une lutte de la part des collectivités dès 1930 encourageant alors la création de lotissements comme outil d’urbanisme facile à encadrer12. On déplore aujourd’hui un tissu périurbain peu dense ainsi qu’une déstructuration de l’espace des communes ; cela témoigne d’une urbanisation peu économe en consommation de sol. De plus, le mitage multiplie les surfaces de contacts entre l’agriculture (et/ou la forêt) avec des zones urbanisées où les cohabitations n’ont pas été pensées en amont. Les prix du foncier augmentent, la spéculation foncière sur les friches s’opèrent et les exploitations agricoles tendent à disparaître. L’impact se ressent au niveau de la qualité paysagère, d’une éventuelle attractivité touristique, d’une gestion de l’environnement et du territoire. La menace de ces espaces naturels et/ou productifs réside également dans la spéculation foncière de ces espaces. Les propriétaires agricoles ou sylvicoles espèrent profiter d’une ouverture de leurs terres à l’urbanisation à proximité des zones bâties ou des infrastruc10 11
VIARD Jean, Le Tiers Espace : essai sur la nature, Méridiens Klincksieck, Paris, 1990.
VANIER Martin, « Qu’est ce que le tiers espace : territorialités complexes et construction politique », Revue de géographie alpine, n°1, 2008 12 HERMANN Lou, « Le lotissement en France : histoire réglementaire de la construction d’un outil de production de la ville », Géoconfluences, avril 2018
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Cette spéculation se traduit par un refus des propriétaires à mettre leurs terres en fermage (système de location des terres pour qu’elles soient cultiver par un professionnel) et par une hausse du prix du foncier. On assiste alors à une dégradation environnementale du terrain laissé en friche et de fait un changement de destination s’opère sur cette friche désormais non productive. Le terrain peut alors être transformé en zone constructible et cela entraîne une baisse du potentiel agricole ou forestier du territoire. En France, chaque année, 14000 hectares sont soustraits à la sphère productive agricole afin de les boiser ou de les laisser en friche. Cette spéculation se traduit par des grands espaces non qualifiés et souvent inutilisés qui ne seront souvent plus cultivés. Selon Italo Calvini 13 ces fragments de terres agricoles coincés dans des tissus urbains hétérogènes n’ont d’autre destin que d’être construits, un jour ou l’autre. En effet, Paola Vigano constate que dans ces « vides urbains et périurbains, (…) on porte classiquement remède en compactant le tissu, en absorbant la dent creuse » 14. Ce procédé n’est qu’un faux-semblant d’une densification et il faut considérer ces vides comme structurels dans la métropole. Il est urgent de considérer l’espace naturel, agricole et forestier comme un territoire productif précieux pour l’avenir de la métropole. Il paraît important d’envisager l’espace urbanisé en lien avec des espaces naturels et/ou productifs. La notion « d’équilibre territorial » est fondamentale ; il faut en effet considérer le paysage comme un structure urbaine capable de réguler une expansion urbaine.
2 / UNE ÉVOLUTION PROGRESSIVE DU PAYSAGE AGRICOLE MÉTROPOLITAIN Une densité de population relativement importante dans sa ville centre, la métropole permet de protéger les réserves naturelles et agricoles hors de la ville15. Toutefois, l’urbanisation reste une réelle menace pour le maintien d’une biodiversité et d’une agriculture pérenne 16. D’après les chiffres du département (Conseil Général), entre 2000 et 2006, sur 90% des sols artificialisés en Gironde, 35% sont d’origine agricole. Rappelons que les conséquences sont telles que l’imperméabilisation des sols ou le changement de destination de ces sols agricoles productifs. Après avoir pris conscience des enjeux actuels et des conséquences d’une urbanisation non maîtrisée, nous revenons ici aux origines de la disparition progressive du paysage naturel et agricole. Il est intéressant de comprendre les évolutions en termes de pratiques et de modes de vie qui ont conduit à cette urgence actuelle de changer notre mode de «fabrication de la ville ». 13
CALVINI Italo, Leçons américaines, Six propositions pour le prochain millénaire, Gallimard, Paris, 1998 VIGANO Paola, « Préface », Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 15 FORMAN Richard T.T, « The urban region : natural systems in our place, our nourishment, our home range, 14
our future », Landscape Ecology, vol. 23, n°3, 2008 CHAPIN F. Stuart, ZAVALETA Erika S., EVINER Valerie T., « Consequences of changing biodiversity », Nature, vol. 405, n°6783, 2000. 16
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L’AGRICULTURE MÉTROPOLITAINE DE 1850 À 1950 : UNE ÉVOLUTION DES PRATIQUES
Jusqu’au milieu du XXème siècle, les citadins avaient besoin de terres agricoles proches de la ville pour l’approvisionnement en denrées périssables. Le facteur de proximité était donc déterminant quant à l’organisation du système productif. Il existait autour des villes françaises un territoire habité et très actif économiquement appelé la ceinture maraichère. Cette épaisseur maraichère était une « interface territoriale et sociale » 17 où le maraîcher, considéré comme un artisan parmi d’autres, vendait ses produits sur les marchés. Ainsi, des ceintures agricoles entouraient la plupart des faubourgs, la première couronne bordelaise n’échappant pas à cette règle. Principalement constitués de cultures maraîchères et de vergers, ces espaces privilégiaient des produits frais ayant besoin d’un acheminement rapide en ville (oeufs, légumes, fruits et viandes). Les céréales, nécessitant plus d’espace et considérées comme non périssables, étaient de fait cultivées dans des zones éloignées. Vers 1850, la part de l’agriculture comprend des actifs professionnels et amateurs (cf. figure 12). Elle est partagée entre la vigne, la culture céréalière et les zones d’herbage (les prairies pour les élevages étant assimilées à des friches agricoles). Cette polyculture s’avance très près de Bordeaux : on constate à cette époque de grandes zones de culture atteignant les actuels boulevards de la rue Judaïque (cf. figure 13). Les communes périphériques sont très largement agricoles et appartiennent au monde rural. Saint-Médard-en-Jalles, par exemple, comprend à cette même période 550 hectares de terres labourables, 270 hectares de vignes et 196 hectares de prairies. Ces communes sont support d’une polyculture très riche. À cette période, le maraîcher était « rural par ses travaux, urbain par son habitat » 18 et ses cultures de superficie modeste investissait les interstices du tissu urbain et avait donc une dimension très urbaine. Dès la moitié du XIXème siècle, on observe une modification des régimes culturaux dû à un exode des populations rurales vers la ville entraînant une dévalorisation des campagnes (cf. figure 14). Entre 1913 et 1938, l’essor des transports mécaniques fait de la ville de Bordeaux, la principale distributrice de denrées ; on observe alors une disparition progressive des cultures céréalières au profit de prairies non productives. Le système économique fermé tend à s’effacer au profit d’un système d’import des denrées et la ville exerce alors une force centrifuge rendant son territoire dépendant d’elle. Cependant dans l’ouest bordelais, les communes d’Eysines, le Taillan, le Haillan résistent à ce phénomène en abandonnant la culture viticole au profit de terres labourables. La région des Jalles se spécialisent alors en culture maraîchère (cf. figure 15). La culture de la vigne se voit aussi réduite et repoussée en banlieue rurale au profit de la propagation d’un système de prairie.
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VILAN Luc, VIDAL Roland, « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 18 PHILIPPONNEAU Michel, La vie rurale de la banlieue parisienne, étude de géographie humaine, Paris,
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12. Les Centres maraîchers en 1850 © P. BARRÈRE
13. Les régimes culturaux en 1850 © P. BARRÈRE
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14. La destruction du milieu rural aux approches de la ville en 1924 © P. BARRÈRE
15. Les types de culture maraîchère en 1850 © P. BARRÈRE
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En ce même temps, on observe une raréfaction de la main d’oeuvre : les jeunes sont attirés par la ville et ne souhaitent plus travailler au sein du système agricole. Ce phénomène entraîne un déclin des exploitations agricoles : les activités traditionnelles sont très atteintes, leurs productions s’amenuisent et leurs rentabilités sont en baisse. Les exploitations sont alors vendues au profit d’investisseurs pour le domaine viticole (phénomène qu’on observe également aujourd’hui) qui sacralisent certains grands domaines, ou encore au profit d’exploitations d’élevage. Apparaît alors le mitage des espaces agricoles dont les cicatrices sont encore ressenties aujourd’hui. En effet, les exploitations maraîchères ou viticoles sont rachetées, arrachées et revendues en parcelles donnant alors naissance à la construction de lotissements. Entre 1924 et 1945, 160 lotissements consommant une surface de 790 hectares ont vu le jour dans l’agglomération. Ces lotissements apparaissent surtout dans la périphérie de Bordeaux à Pessac, Mérignac, Gradignan etc. Ces nouveaux lotissements consomment énormément d’espaces anciennement productifs. L’agglomération, ayant préalablement modifié les modes de vie et les rythmes d’activités, s’attaquent désormais à transformer le paysage ouvert de la campagne en étendant le bâti sur ses marges pour « accueillir une population qu’elle ne peut plus contenir »19. C’est le début d’une urbanisation périurbaine largement critiquée aujourd’hui. Il est important de noter tout de même que des « doctrines urbanistiques » visent à conserver des emprises urbaines d’espaces verts permettant de contenir la progression du paysage urbain. En parallèle de ces parcs, jardins, « espaces purs » , la ville sème dans le paysage naturel ses hôpitaux, stades, services administratifs, ses champs de courses qualifiés par A. Magnaghi de « prothèses techniques » recouvrant le territoire. Il est intéressant de voir qu’historiquement, la ville a largement transformé son milieu rural environnant. Les activités traditionnelles sont substituées par de l’élevage ou plus tard par le morcellement en lotissements. On se rend compte aujourd’hui des conséquences de cette évolution comme l’urbanisation de masse ou la perte des terres agricoles. La polyculture du territoire s’efface peu à peu, les modes de vie se voient largement urbanisés et la production est délocalisée avec les progrès liés à l’évolution de la filière du froid et celle des transport. Déjà à cette époque, une forme de dépendance à d’autres territoires s’installent. Par exemple, les imports de Charentes en lait, fruits et légumes gagnent du terrains et participe à la disparition de la ceinture maraîchère du territoire bordelais. C’est l’apparition de l’agriculture moderne où le critère de proximité devient secondaire. Les petites exploitations se substituent à de grandes exploitations monofonctionnelles sans réel lien avec le territoire. Ce phénomène se poursuit encore aujourd’hui à une plus grande échelle.
19 BARRÈRE Pierre, « La banlieue maraîchère de Bordeaux, Problèmes d’alimentation d’un grand centre urbain », Cahiers d’outre-mer, n°6, Avril-juin 1949
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L’ÉVOLUTION DE L’AGRICULTURE DE 1950 À 2000 : UN CLIMAT D’INDUSTRIALISATION
Dans un contexte post seconde guerre mondiale, les exploitations poursuivent une dynamique d’agrandissement grâce à une mécanisation qui se perfectionne. Les agriculture « vivrière » deviennent des agricultures mécanisées et productives. On entre alors dans une révolution agricole dont l’inertie industrielle et intensive du monde agricole est aujourd’hui encore très ancrée. La mécanisation est le facteur majeur de ce bouleversement agricole entraînant une rationalisation généralisée des pratiques. Durant ces cinquante années, la gestion des terres est largement modifiée par ces nouveaux moyens de production. Comme décrit précédemment, la multitude des petites exploitations du début du siècle - dont le mode de gestion créait des paysages complexes autour de la ville - sont transformées en d’immenses exploitations proposant des méthodes nouvelles pour parvenir à une production optimale. Le nombre d’exploitants est en chute libre depuis cette période : en 1960 en Gironde, on comptait 60 000 viticulteurs contre moins de 12 000 en 2000. L’arrivée de produits phytosanitaires, l’utilisation d’intrants dans les cultures et les remembrements parcellaires ne font qu’amplifier cette production de masse limitant le nombre d’exploitants. En 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) fait son apparition et vise à assurer une autosuffisance alimentaire européenne. Cette politique se traduit en partie par un système de subventions destinées aux agriculteurs afin de moderniser et « développer » l’agriculture. On assiste au passage d’une production locale à une production européenne. Le changement est brutal et on s’aperçoit aujourd’hui que les sols sont lessivés et rendus pauvres voire stériles. Il faudra attendre 1990 pour qu’une prise de conscience des autorités émerge et permette une intégration des problématiques environnementales à la PAC. En 1992, les premières mesures agro-environnementales sont prises. Ce n’est qu’en 1999 que cette politique agricole mettra en valeur la multi-fonctionnalité de l’agriculture en France. Lorsqu’en 2006, un hectare de vigne de Bordeaux recevait en moyenne 20 traitements chimiques, que la monoculture de maÏs en Gironde est une des plus compétitives d’Europe, on se demande si ces mesures ont réellement été efficaces. Ces changements de modes de productions ont eu de lourdes conséquences sur les formes agricoles précédentes. Les parcellaires autrefois paysagés, imbriqués les uns aux autres, séparés par un paysage de bocage (cf. figure 16) - composé de haies séparatives, arbres, fossés - ont complètement disparus au profit de regroupement de parcelles à grande échelle simplifiant la structure parcellaire, diminuant considérablement le nombre d’exploitants et proposant des paysages de monoculture (cf. figure 17) sans véritable valeur paysagère. L’industrialisation est largement responsable d’une banalisation des paysages agricoles tant en milieu périurbain que rural (cf. figures 18 et 19). Encore aujourd’hui en Aquitaine, le paysage bocager a régresser de 5% en deux ans et le nombre d’exploitations (et donc d’exploitants) ne cesse de diminuer ; 13 000 en 2000 contre 10 000 en 2007. Malgré des évolutions politiques et des prises de conscience collectives depuis les années 1990, les chiffres semblent montrer peu de changement dans les pratiques. 29
16. Vue aérienne du paysage bocager de la presqu’île d’Ambès, 1950 © GÉOPORTAIL
17. Vue aérienne d’un paysage agricole «post PAC» de la presqu’île d’Ambès, 20104© GÉOPORTAIL
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18. Vue aérienne du paysage bocager à Casseuil et Barie (33), 1950 © GÉOPORTAIL
19. Vue aérienne d’un paysage agricole «post PAC» à Casseuil et Barie, 2004 © GÉOPORTAIL
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LA PLACE DE L’AGRICULTURE AUJOURD’HUI EN MÉTROPOLE
Selon le rapport de P.Quévremont 20, « c’est l’évolution du maraîchage qui frappe localement le plus les esprits ; il y a une vingtaine d’années l’agglomération bordelaise était en effet encore ceinturée de nombreuses exploitations maraîchères ». Ces exploitations ont peu à peu disparu du paysage métropolitain. L’étalement urbain, entraîné par une pression démographique permanente, est responsable de cette consommation excessive de terres agricoles. À l’échelle du département, les chiffres démontrent une décroissance dangereuse pour l’avenir agricole. En effet, en Gironde, 25 % de baisse du nombre d’exploitations entre 2000 et 2010 avec 41% de « petites » exploitations qui disparaissent contre 10% de « grandes ». De plus les cultures dites « diversifiées » c’est-à-dire des exploitations mixtes proposant des polycultures, polyélevages ont régressé de 50% en dix ans. On observe que les mesures environnementales de la PAC des années 90 décrites ci-dessus ne sont pas prises en compte et les mentalités sont toujours dans une dynamique productiviste. À l’échelle du SCoT (94 communes dont Bordeaux), 4000 hectares ont été urbanisés entre 1996 et 2010 dont 14% d’espaces agricoles, 50% de friches et 30% de surfaces boisées et sur cette même période la CUB a perdu 1800 hectares (cf. figure 20). Force est de constater que le nombre d’agriculteurs est en forte baisse avec environ cent exploitants (pour 178 exploitations) dits « professionnels » exploitent actuellement au sein du territoire métropolitain, contre 260 en 1988. La répartition est à l’avantage du secteur viticole avec 58 exploitations contre 47 en maraîchage et 33 en élevage. Une douzaine d’exploitants s’inscrivent dans le cadre de l’agriculture biologique, dont un seulement en maraîchage. De nombreuses communes, majoritairement de l’Est métropolitain, ne présentent aucune surface agricole : le Bouscat, Ambarès-et-Lagrave, Cenon, Lormont, Floirac, Bouliac. D’un autre côté, certaines communes du nord de la métropole comptent entre 25 et 50% de leur territoire comme support d’activités agricoles : Parempuyre, Saint-Vincent-de-Paul et Saint-Louis-de-Montferrand (cf. figure 21). La métropole comptabilise 6000 hectares de Surface Agricole Utile 21 et les superficies maraîchères encore exploitées sont limitées à quelques 130 hectares. Le foncier agricole comptabilise aujourd’hui 10% de la surface métropolitaine contre 50% de surface artificialisée (cf. figure 22). Ces quelques chiffres permettent de prendre la mesure d’une agriculture timide et peu dynamique en territoire métropolitain qui tend à disparaître sous la pression foncière. Selon un rapport présenté aux élus de Bordeaux Métropole, l’agriculture en territoire métropolitain serait « résiduelle en termes de surfaces mises en valeur » 22. 20 Note de synthèse établie par QUÉVREMONT Philippe à l’issue d’une commande reçue par la Communauté Urbaine de Bordeaux en Juin 2010. P. QUÉVREMONT est ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Il est chargé d’une mission d’appui à l’élaboration d’un projet en faveur de l’agriculture périurbaine et des milieux naturels. 21 La Surface Agricole Utile (ou SAU) est un indicateur statistique destiné à évaluer le territoire consacré à la production agricole. 22 « Bordeaux Métropole : l’agriculture urbaine sous la pression foncière », Sud-Ouest, 11-12-2018
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20. Taux des surfaces artificialisées en 2007 sur l’aire du SCoT © A’Urba
21. Taux de surface agricole par commune © Bordeaux Métropole
22. La répartition des espaces agricoles sur la métropole de Bordeaux © AGENCE TER
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On peut cependant identifier deux secteurs où l’agriculture est encore représentée significativement : la vallée des Jalles au nord-ouest de l’agglomération et la presqu’île d’Ambès (cf. figure 21). Outre la pression urbaine, quels sont les mécanismes responsables d’une décroissance du foncier agricole ? On observe des freins au développement d’une agriculture locale à différentes échelles. D’un côté, des contraintes extérieures liées à la compétitivité face à un marché européen (voire mondial) très concurrentiel. D’un autre côté, il existe également des contraintes internes qui contraignent, entre autres, la reprise des exploitations. À l’échelle internationale c’est tout un système d’imbrication entre politiques, libreéchange économique et industrialisation qui s’est développé depuis 1950 et qu’il est difficile de défaire. Premièrement, le phénomène de mondialisation, renforcé par le libre-échange, a permis à chaque consommateur de disposer de tous les produits et ce toute l’année à des prix défiant une concurrence « locale » éventuelle. Les tomates du Maroc nécessite une main d’oeuvre moins chère que les tomates française par exemple. En effet, ce libre-échange est soutenu par l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) qui favorise ces pratiques du « plus offrant ». Ce système encourage une production industrielle (soutenu largement par la PAC depuis 1962) réduisant les coûts de production et favorisant l’agrandissement des exploitations aux dépens des agricultures modestes notamment les cultures maraîchères souvent de petites surfaces. Ce système politico-institutionnel entraîne des contraintes économiques à tous les niveaux de la filière agricole : les producteurs peinent à trouver un modèle économique stable nourrit par les circuits-courts et d’autre part, les industries agroalimentaires proposent des produits toujours moins chers car la matière première bon marché est achetée en « gros ». Les distributeurs assimilés au GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) privilégient un approvisionnement auprès des centrales d’achat plutôt que du producteur afin de conserver les avantages financiers de gros volumes. Ce système engendré par la mondialisation ne laisse que peu de place à un producteur local et décourage les potentielles installations d’agriculteurs. Ensuite, on observe des causes plus locales de décroissance liées à la cohabitation entre habitants périurbains et agriculteurs ou éleveurs rendue difficile pour deux raisons. Premièrement, la circulation des engins agricoles sur la voie publique est mal perçue par les habitants et compliquée pour les agriculteurs (les chicanes, par exemple, rendent parfois impossible la circulation des engins agricoles). De plus, des zones tampons (entre surface exploitée et habitée) sont obligatoires pour les vignes à cause des sulfates ainsi que pour les propriétaires forestier à cause des risques d’incendie. Enfin de nombreuses exploitations ne sont pas reprises (après départ à la retraite par exemple) et sortent peu à peu du cadre économique jusqu’à une éventuelle reconversion en terrain constructible. Le caractère inondable de certaines zones naturelles est souvent le seul rempart efficace à une reconversion en zone constructible.
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Il est important de préciser que sur ces cent exploitants métropolitains, quarante-deux sont en difficulté de transmission. La filière agricole métropolitaine peine à se dynamiser et la domination d’un système de financement européen créée une forte dépendance de la métropole aux ressources nationales, européennes et même internationales. Par la force des choses, le paysage agricole métropolitain est très fragile. Ce territoire agricole des Jalles, que Mayté Banzo et Laurent Couderchet qualifient de « réminiscence de l’ancienne ceinture maraîchère »23, est le support de plusieurs activités agricoles comme le maraîchage irrigué par la Jalle de Blanquefort, les prairies et l’élevage situés dans les zones humides du marais. Cette vallée concentre aujourd’hui la quasi totalité des agriculteurs actifs de l’agglomération dont le nombre diminue chaque année. Cependant, il existe une volonté visant à défendre et développer le patrimoine agricole existant du territoire. Au sein de l’agglomération, il existe le Parc des Jalles situé au nord-ouest de la métropole (cf. figure 23). Ce parc contient également un périmètre de protection, le PPEANP des Jalles (cf.figure 25). Le Parc des Jalles créee en 2001, étendu sur 8 communes (cf. figure 24) concentre la majorité de l’activité agricole (cf. figure 24). Sur une surface de 4800 hectares (soit 8% du territoire de la CUB), 72% sont classés en zone agricole. Sa dominante agricole et ses dimensions importantes (une longueur de 12 kilomètres au maximum et une largeur variant de 450 mètres à 4 kilomètres) lui confèrent une position métropolitaine envisageable. Ce territoire pourrait prétendre être le moteur d’une transition agricole et urbaine au sein de la métropole. Ce Parc des Jalles, fait l’objet en 2012, sur une partie de sa superficie, de l’instauration Périmètre de Protection et de mise en valeur des Espaces Agricoles, Naturels Périurbains (PPEANP) prenant place au sein des communes de Blanquefort, Bruges, Eysines, Le Haillan, Le Taillan Médoc et Saint-Médard-en-Jalles. Il s’inscrit comme un défi à l’urbanisation nécessitant une coordination multipartenariale associant les communes, les propriétaires, les agriculteurs, la CUB, le département, les collectivités etc. Ce périmètre regroupe l’essentiel de la production maraîchère. Sur une surface de 785 hectares, 420 hectares sont agricoles mais seulement 130 sont réellementexploités. Il existe donc un réel potentiel de revalorisation au sein de cette zone. Actuellement, on recense 36 exploitants toute culture confondue : culture légumière en plein champ, production sous serres, horticulture, élevage bovin et équin, viticulture etc. Cette zone agricole comprend les jachères, les terres maraîchères, les prairies, les friches, et les fruitiers (plantation de kiwi). Au sein de ce territoire agricole, on observe deux occupations de sol ; d’un côté les prairies (utilisées pour l’élevage bovin et équin) et de l’autre les terres maraîchères. L’activité maraîchère est menacée : entre 1994 et 2008, 75 hectares ont disparu du paysage maraîcher de la vallée soit 18% de la surface maraîchère.
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BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain. Entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 ,ENSP, Université de Nanterre, 2008.
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23. Plan de situation du Parc des Jalles © G. HUMEAU
24. Répartition des exploitants dans le Parc des Jalles © G. HUMEAU
25. Périmètre du PPEANP des Jalles © G. HUMEAU
26. Répartition intercommmunale du Parc des Jalles © G. HUMEAU
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La conservation d’un paysage naturel et surtout agricole soumis à la pression foncière urbaine est un enjeu pour la société actuelle. En effet, on assiste à une perte progressive des surfaces agricoles, à des enclavements d’espaces naturels et productifs considérables au sein de la métropole. Les paysages caractéristiques du territoire sont en train de disparaître sous l’étalement urbain. D’un autre côté, les politiques supra-nationales comme la PAC et les organismes comme l’OMC menacent la pérennité des agriculteurs et sont susceptibles de décourager l’installation de nouveaux agriculteurs. La dépendance alimentaire de notre territoire est une réalité avérée et directement liée à la perte de ces espaces agricoles urbains. Nous devons prendre « conscience que le système agro-industriel mondialisé du XXème siècle a atteint ses limites » 24. Selon Rémi Janin, l’agriculture doit se redéfinir totalement face à cette ère urbaine dominante. En effet, nous avons vu qu’elle est encore très influencée par des outils vieux de cinquante ans comme le premier pilier de la PAC instauré dans un contexte complètement différent que celui que nous traversons actuellement. L’agriculture «doit se refonder pour être à la hauteur de ces nouveaux enjeux, en être dynamique et non les subir»25 et assurer une forme de transition agricole.
3 / LE SYSTÈME ALIMENTAIRE DE LA MÉTROPOLE : UNE AUTONOMIE POSSIBLE ?
D’après S. Bognon, docteur en géographie, « l’approvisionnement alimentaire est à l’origine de transformations du paysage urbain et des territoires qui y contribuent.»26 Il nous semble indispensable, lorsqu’on parle du paysage agricole urbain, de traiter la question de la production et de la consommation alimentaire sur ce même territoire. En effet, le territoire agricole a largement été modifié et, par causalité, cela impacte directement les pratiques alimentaires de la population. L. Malassis, agronome, définit en 1994 le système alimentaire comme « la façon dont les hommes s’organisent dans l’espace pour obtenir et consommer leur nourriture »27. Cette définition intègre la notion d’espace qui semble intéressante car les limites spatiales des bassins de productions actuels semblent insaisissables. En effet, « l’import de protéines depuis l’autre rive de l’Atlantique » 28 est une absurdité lorsqu’on dispose de moyens suffisants pour en produire. L’urbaniste F. Ascher souligne que la ville dépend de « territoires qui lui sont extérieurs puisqu’elle n’a pas elle-même les moyens de sa subsistance »29. En effet, l’éloignement ne cesse de grandir entre production alimentaire et consommation c’est-à-dire entre
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SOUCHIER Raphaël, Made in Local. Emploi, croissance, durabilité : et si la solution était locale ?, Eyrolles, 2013. 25 JANIN Rémi, « Agriculture, la révolution urbaine », Openfield numéro 4, Janvier 2015. 26 BOGNON Sabine, «Les transformations de l’approvisionnement alimentaire dans la métropole parisienne. Trajectoire socio-écologique et construction de proximités», Géographie, Université Paris 1, 2014 27 28
MALASSIS Louis, Nourrir les hommes, Flammarion, coll. Dominos, 1994 JANIN Rémi, La Ville Agricole, Ed. Openfield, 2014
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l’homme producteur et l’homme consommateur. Notre rapport à l’alimentation subit un éloignement à la fois social et culturel.30 Comme nous l’avons dit, pour nous nourrir il existe un modèle, une organisation qui semble nous dépasser aujourd’hui. Malgré son succès d’après guerre, le modèle agricole est aujourd’hui à remettre en question. Cette mécanisation a été accompagnée par un exode rural important dans les années 60, qui a modifié profondément les besoins en équipements et commerces. Les modèles de distribution se sont alors transformés en supermarchés faisant apparaître de nouveaux besoins chez la population : c’est l’entrée dans l’ère de « la société de consommation ». Ces systèmes qui tendent vers une globalisation de la production et de la distribution sont trop vastes ou trop complexes pour être palpables ; ils éloignent les matières premières des consommateurs dont les besoins augmentent. Ce modèle productiviste et consumériste prépondérant dans notre société représente aujourd’hui une menace de l’équilibre alimentaire et un non-sens écologique. « Du point de vue alimentaire, la ville consomme et produit peu ; elle dépend totalement (…) de ses lieux d’approvisionnement : plus la ville est peuplée plus ceux-ci s’agrandissent.»31 En partant de cette introduction, l’objectif de cette partie est de comprendre quels sont les lieux d’approvisionnement de la métropole, quelles dynamiques sont en place pour rapprocher ces bassins de productions afin de comprendre la faible autonomie alimentaire à différentes échelles, celle de la métropole étant estimée à 24h.
LES DYNAMIQUES ALIMENTAIRES À DIFFÉRENTES ÉCHELLES
Il est question ici de comprendre les dynamiques d’import et d’export des productions agricoles à différentes échelles territoriales. Il faut néanmoins garder à l’esprit que ces chiffres restent des estimations basées sur des hypothèses, qui ne traduisent pas la diversité des productions nécessaires pour satisfaire le régime alimentaire actuel des Français. En effet, ces derniers ne se nourrissent pas exclusivement de pommes et carottes et notre modèle alimentaire repose grandement sur les importations.
Le peu d’autonomie alimentaire de l’aire métropolitaine (estimée à 24heures) n’est-elle pas tout simplement pas dû au recul du foncier agricole et à l’affaiblissement des forces vives agricoles sur le territoire ? A l’échelle nationale, deux facteurs sont liés directement à une production et une consommation locale : le degré d’autonomie alimentaire 32 ainsi que le potentiel agricole 29 30
ASCHER François, Le Mangeur hypermoderne : Une figure de l’individu éclectique, Odile Jacob, 2005
BUICK Jennifer, DUSSON Xavier, « Introduction », Cahiers thématique n°11, Agriculture métropolitaine / Métropole agricole, Lille, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2011. 31 ROCHE Daniel, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation (XVIIè-XIXè siècle), Fayard, 1997 32 Le degré d’autonomie alimentaire est un facteur intéressant permettant d’évaluer en % la part de production locale dans la totalité des produits agricoles (incorporés aux produits transformés ou consommés « bruts ») consommés localement sur une année. Ce degré traduit non seulement la capacité d’un territoire à produire mais également à transformer sa production locale.
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27. Autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises © UTOPIES
28. Répartition des différents types de culture en Nouvelle-Aquitaine en 2010 © IGN - BD CARTO
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local. Ceci s’appuie sur une étude réalisée au sein des cent plus grandes aires urbaines françaises par l’agence Utopies. 33 Au sein des différentes aires urbaines, nous exportons quasiment toute notre production et, de fait, importons la quasi-totalité de notre alimentation. Selon l’étude, les cent premières aires urbaines ont en moyenne un degré d’autonomie alimentaire équivalent à 2% ce qui signifie que 98% des aliments consommés sont importés (cf. figure 27) . Nous pourrions penser qu’il s’agit d’une carence de production locale or dans ce même temps, 97% de la production locale est exportée. La part de la consommation de production locale reste anecdotique et cela pose de réelles questions en terme de fonctionnement de la filière alimentaire. Toutefois, certains territoires ont pour objectif d’augmenter leur autonomie alimentaire c’est-à-dire de rapprocher la production agricole des consommateurs. Cette volonté ne peut se résumer à une unique production agricole « brute » mais doit intégrer l’ensemble des produits et services de notre alimentation (transformation locale des matières premières, réseaux de distribution locaux etc.). Un tel taux d’exportation de la production locale des aires urbaines (97%) pose la question du potentiel agricole local 34. D’après cette étude, le potentiel agricole local des aires urbaines s’élève à 54% des besoins et deux tiers de ces aires urbaines disposent d’actifs suffisants pour être autonome à plus de 50%. Ces chiffres, bien que théoriques, montrent un écart absurde avec le degré d’autonomie. Les potentiels élevés concernent majoritairement des aires urbaines peu denses disposant de nombreux actifs agricoles à la différence de Bordeaux, Nice ou Paris où le potentiel agricole est bien moindre. Ces deux critères étudiés à l’échelle des différentes aires urbaines françaises permettent de mettre en évidence les enjeux alimentaires. Un niveau alimentaire moyen qualifié de « raisonnable » se situerait entre 10 et 15%. Ce chiffre, bien loin d’une moyenne raisonnable avec seulement 2%, pose les questions du développement des agricultures locales (à travers la diversification des cultures) et de l’implantation de nouveaux exploitants. En ayant un regard à l’échelle de la région, on aperçoit une volonté collective de mener un Projet Alimentaire de Territoire (PAT) se traduisant entre autre par la relocalisation de l’économie alimentaire dans une approche territoriale. Ce projet souhaite un ancrage territorial des filières en développant les circuits-courts, les marchés de proximité et les projets alimentaires territoriaux. Toutes ces intentions - que l’on retrouve à différentes échelles - semblent possible au sein de ce territoire régional dont la production annuelle en 2015 est la plus importante de France. En effet, la région Nouvelle-Aquitaine dispose d’une SAU la plus étendue de France avec 4,2 millions d’hectares soit 15% de la surface nationale et son territoire est recouvert à 50% d’espaces agricoles (cf. figure 28) 33 LAVILLE Elisabeth, FLORENTIN Arnaud, CHABANEL Boris, «Autonomie Alimentaire des villes. État des lieux et enjeux pour la filière agro-alimentaire française», Utopies, Mai 2017
http://www.utopies.com/wp-content/uploads/2017/06/autonomie-alimentaire-des-villes-notedeposition12.pdf
34 Ce potentiel agricole est évalué à travers l’ensemble des productions exportées qui pourraient profiter à une demande locale et également l’adaptation des activités agricoles (diversification des cultures entre autres) dans le but de répondre à des besoins spécifiques au territoire.
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Elle dispose d’une agriculture de terroir spécialisée et d’une grande diversité agricole tant du point de vue des productions que des systèmes d’exploitations. Les chiffres sont explicites avec un réel essor de l’agriculture biologique représentant 6% de la SAU et ce marché du bio attire également les transformateurs de l’industrie. Il est vrai que, contrairement au climat français général, les Industries Agro-Alimentaires (IAA) de la Nouvelle-Aquitaine transforment 70% des produits agricoles régionaux. Ce secteur représente un important marché économique et il est déterminant dans le système alimentaire d’un territoire. Il joue un rôle essentiel dans la valorisation de l’agriculture de la région. Malgré le fait que 40% des exportations totales de la région concernent les productions agricoles et agroalimentaires (dont une grande partie concerne le vin), une baisse de 11% des exportations du secteur s’est opérée entre 2016 et 2017 et une baisse de 17% des importations entre 2014 et 2017. N’oubliant pas qu’il existe un grand nombre de facteurs ralentissant les exportations (météo, grippe aviaire etc.), ces chiffres sont en partie expliqués par une volonté de projet alimentaire territorial. Selon Dominique Stevens, ancien Directeur Nature de la CUB, «L’échelle pertinente n’est pas communale, ni communautaire, c’est régional. Si on veut développer au maximum l’autosuffisance alimentaire » 35. À l’échelle de la Gironde, il est question d’étudier de nouvelle forme de gouvernance alimentaire. La gouvernance alimentaire est définie par l’association Terres en Villes 36 comme « un nouvel ensemble de coopération entre les différents acteurs et les échelons d’intervention géographiques, dont l’arène commune est l’enjeu alimentaire »37. En Gironde, le secteur agricole (hors industries agroalimentaires IAA) exporte actuellement 78% de sa production et importe 61% de ce qu’elle consomme. Une fois encore, et à une échelle plus restreinte, la problématique est identique ; le territoire départemental nécessite un repositionnement en matière de consommation locale car il existe une production significative. Une entière relocalisation n’est pas possible mais ces chiffres montrent qu’une autre forme de gouvernance alimentaire est possible. La demande locale est présente et on observe même que la Gironde est le premier département français en terme d’exploitations utilisant les circuits-courts. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre importation et exportation afin de cibler les produits qui pourraient être davantage consommés localement et, de fait, accroître les deux critères cités précédemment qui sont le degré d’autonomie alimentaire et de potentiel agricole départemental. Concernant les IAA girondines en terme de fruits et légumes, l’exportation est de 15 millions d’euros en 2013 (12% de plus qu’en 2012) contre 211 millions d’euros d’importation 35 CEREMA, Diagnostic territorial et cartographie des acteurs vers une gouvernance alimentaire. Indicateurs, retours d’expérience et pistes d’action, Gironde-Bordeaux Métropole, 2014 36 Association paritaire entre élus et responsables agricoles, Terres en villes est un lieu de gouvernance original qui associe l’ensemble des acteurs locaux des territoires autour de la durabilité de l’agriculture et des territoires urbains et périurbain. 37 Terres en villes, « La gouvernance alimentaire des agglomérations françaises et la relocalisation de la production agricole. », Octobre 2009, http://terresenvilles.org/wp-content/uploads/2016/11/TEV_CH3.2_DigestGouvAlimAgglo_2009.pdf
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(7% de plus qu’en 2012) 38 . Ces chiffres montrent clairement que le département est très loin de l’autosuffisance alimentaire et que sa production est largement insuffisante pour une population qui ne cesse d’augmenter et de s’urbaniser.
L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE MÉTROPOLITAINE : UNE UTOPIE ?
Aujourd’hui, un Français a besoin en moyenne de 0,18 hectare de culture et 0,12 hectare de prairie permanente pour se nourrir selon les estimations de l’INRA 39. Sachant que la métropole comptabilise actuellement 6000 hectares de surfaces agricole et environ 800 000 habitants, il faudrait en réalité quelques 144 000 hectares pour parvenir à une autosuffisance alimentaire théorique. Les besoins en surface agricole pour nourrir Bordeaux Métropole nécessite de considérer la SAU dans un rayon de 87 kilomètres. Cette autosuffisance métropolitaine est impossible mais l’autonomie alimentaire et l’approvisionnement local est perfectible . Dans ce contexte d’après guerre, favorisant de grandes exploitations et une dynamique d’import-export des denrées alimentaires, un éclatement des distances et des liens territoriaux apparait entre le produit et le consommateur. Ce contexte fait naître un nouveau réseau de distribution complexe avec de nombreux intermédiaires. Ce réseau comprend les grossistes, qui achètent des production locales aux coopératives ou des productions non locales à des courtiers ou importateurs afin de les revendre aux centrales d’achats, aux détaillants, au Marché d’Intérêt National de Brienne (MIN). Les centrales d’achats sont responsables de 50% du marché métropolitain en fruits et légumes et alimentent les GMS de tout le territoire. Quant au MIN de Brienne, « il s’agit d’une plate-forme d’échanges de grande proximité » 40 qui met en relation les vendeurs et les acheteurs. Il s’agit d’une plate-forme de marché de détail, de marché spécialisé et de restauration (collective et privée). Il est le premier lieu de transit de fruits et légumes de la métropole hors centrale d’achat. Les consommateurs ont donc accès à ces produits locaux après quatre étapes intermédiaires séparant le producteur du consommateur. C’est le circuit de commercialisation dit « classique ». Ce système est bel et bien ancré dans notre société actuelle et la production locale connait le même circuit de mise sur le marché qu’une production extra-territoriale. De fait, cela ne favorise aucunement la commercialisation de produits du territoire mais du produit le plus économiquement intéressant afin d’alimenter ce réseau d’intermédiaires n’ajoutant pas de valeur au produit. Selon l’étude de Utopies citée ci-dessus, l’aire urbaine aurait un degré d’autonomie alimentaire de 1,76%. Quand l’objectif « raisonnable » serait d’atteindre les 10 - 15%
38 AGRESTE Aquitaine, « Les industries agro-alimentaires en Aquitaine », Direction Régionale de l’ Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt, Décembre 2014 http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/R7215C01.pdf 39 L’INRA, Institut national de la recherche agronomique, est un organisme français de recherche en agronomie fondé en 1946 40 A’Urba, « L’agriculture urbaine à Bordeaux. Panorama des projets exemplaires et premiers éléments de
stratégie », Mars 2016
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on remarque que l’aire urbaine de Bordeaux du fait de sa « densité » relativement importante est loin d’une autonomie acceptable. D’après la DRAAF 41, on consomme 162 kg de fruits et légumes par ménage et par an au sein de la métropole. Seulement, 71% des achats alimentaire sont effectués en GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) représentant une surface de vente d’environ 600 000 m2 (cf. figure 29). L’approvisionnement de ces GMS reste avant tout national, européen et parfois même extra-européen (tomates et orange du Maroc, avocat d’Israël etc). Les grandes distributions soulèvent de nombreuses contraintes à un approvisionnement plus local. C’est avant tout une lourdeur administrative et des contraintes réglementaires car les plateformes d’achat gèrent la certification, valident le certificat. Elles permettent également de tirer les prix vers le bas et de répondre aux demandes du consommateur. L’approvisionnement local implique également des contraintes en termes d’infrastructures logistiques et de stockage. Ce réseau semble difficile à faire évoluer mais il existe depuis quelques années une évolution majeure au sein de ce système. Le MIN de Brienne a récemment mis en place le projet Loc ‘Halle Bio qui permet de réintroduire une part importante de production locale dans ce système d’intermédiaires décrit ci-dessus. Loc’Halle Bio est une coopérative réunissant des producteurs maraîchers situés à moins de 150 kilomètres mutualisant leur logistique afin de proposer des produits biologiques compétitifs destinés à la restauration, aux professionnels détaillants etc. Cette coopérative est intéressante par sa compétitivité au sein d’un circuit classique basé sur des productions industrielles extérieures. Elle répond à une réelle demande métropolitaine de produits locaux de la « population » et d’une volonté de réintroduire une alimentation saine dans les restaurations collective. Cette « population » est en réalité une population aisée en recherche de nourriture biologique et/ou locale qu’il faut distinguer d’une importante part de la population en difficulté économique n’ayant pas accès à une alimentation saine. C’est pourquoi cette politique de la restauration collective laisse percevoir un espoir en terme d’accès universel à une alimentation saine. Ce sont aujourd’hui 2100 repas servis par jour par la SIVU 42 dont 30% d’aliments bio. Le développement des circuits-courts (cf. figure 30) s’inscrit dans un contexte de difficulté économique pour les agriculteurs (baisse de revenus) et répondent à une demande croissante de la population. En France, 7% des achats alimentaires sont réalisés par circuits-courts par une population aisée. Malgré un essor de ces circuits de proximité, il persiste toujours un paradoxe où « les habitants des zones pavillonnaires s’approvisionnent dans les hypermarchés connectés au réseau routier et tournent le dos aux champs cultivés par des agricultures qui sont pourtant leurs voisins. » 43 Même si certains producteurs agricoles s’orientent toujours vers un réseau de GMS à
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La DRAAF est la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt. Le SIVU est le Syndicat Intercommunal à Vocation Unique qui est un acteur majeur français dans le secteur de la restauration collective notamment scolaire. 43 VILAN Luc, VIDAL Roland « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 42
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29. Répartition des surfaces de vente des GMS au sein de la métropole © CCI Bordeaux
30. Répartition des différents circuits-courts sur l’aire métropolitaine © Bordeaux Métropole
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travers la SICA 44 pour la distribution de leur production, la filière exploite un marché de circuits-courts offrant de larges perspectives d’avenir en terme de système alimentaire territorial. Ces circuits-courts, parfois qualifiés de nouvelle tendance alternative pour une population « bobo », constituent un réel marché de proximité laissant entrevoir des opportunités de développement économique et de diversification des exploitations agricoles métropolitaines. Ils constituent un bassin de consommation important et sont source d’un dynamisme alimentaire local à travers les AMAP 45, les ventes directes à la ferme, les marchés de la métropole et autres « drives fermiers ». La vente à la ferme est en plein essor avec 42% des exploitations de Gironde qui utilisent ce mode de commercialisation contre 20% des exploitations qui utilisent le marché et 5% les ventes en panier de type AMAP. Ces AMAP sont au nombre de 30 environ au sein de la métropole et regroupent environ quarante producteurs dont 10 produisant sur l’aire bordelaise (les autres proviennent de Gironde, de Charentes, de Dordogne ou encore du Lot-et-Garonne). Certains agriculteurs parviennent à vendre la totalité de leurs productions à travers ces associations qui sont de réelles alternatives à des réseaux de distribution industriels nécessitant de grandes quantités à des prix défiant un marché international. En ce qui concerne la production agricole métropolitaine, il est intéressant de noter que la production de légumes de la métropole (concentrée majoritairement dans le nord ouest au sein du Parc des Jalles) ne quitte que très peu le territoire du fait d’une attractivité métropolitaine. Le complément est assuré plus ou moins localement avec des imports de Charentes Maritime, du Lot et Garonne ou en Dordogne mais aussi national et international pour les GMS. Pour les fruits, la production n’est qu’anecdotique en Gironde et davantage dans la métropole ; l’import régional et national est alors majoritaire. La production locale de légumes, si elle était orientée exclusivement vers la vente directe, suffirait à approvisionner 15 000 habitants pendant un an soit environ 2% des habitants. Les études nationales montrent que la vente directe sur les légumes dépasse rarement les 6% de production. Ces faibles pourcentages s’expliquent entre autre par un système de commercialisation complexe qui évolue doucement vers une valorisation des produits locaux. Malgré un essor croissant, l’offre de proximité reste insuffisante et n’est pas assez diversifiée pour devenir l’unique source d’approvisionnement local. L’autosuffisance alimentaire métropolitaine ne doit pas être un objectif en soi mais plutôt le moteur d’une dynamique de relocalisation alimentaire intelligente. Nous devons réussir à économiser les terres tout en optimisant la production en fonction du type de sol, du climat et en minimisant les impacts environnementaux tout au long de la 44 La Société d’Initiatives et de Coopération Agricole (ou SICA) maraîchère est une coopérative de producteurs de fruits et légumes mise en place à Bordeaux depuis 1963 regroupant une grande partie des agriculteurs de la vallée des Jalles 45 L’Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (ou AMAP) est un partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une exploitation locale. Sous forme de réseau, le principe est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs, qui s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant par avance.
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chaîne d’approvisionnement alimentaire. C’est dans cette dynamique que se situe le potentiel de relocalisation agricole et de développement des circuits courts. La prise de conscience de notre consommation a été amorcée et doit se poursuivre à travers un développement agricole durable possible en métropole.
LES PRODUCTIONS MARAÎCHÈRES DU PPEANP DES JALLES : LES FAUX SEMBLANTS D’UN APPROVISIONNEMENT PUREMENT LOCAL
Dans la vallée des Jalles, principalement au sein du PPEANP, la vente directe et les AMAP correspondent à 30% de la production ce qui en fait un mode de vente non majoritaire (cf. figure 31). La commercialisation s’opère d’autre part via les réseaux de la SICA (31 % de la surface cultivée), des grandes et moyennes surfaces, des centrales d’achat et des circuits nationaux et internationaux (38 %). La demande est néanmoins forte et amène les filières à s’adapter. Au sein de ces réseaux classiques de commercialisation, les producteurs maraîchers des Jalles sont insatisfaits quant aux prix trop peu rémunérateurs qu’on leur propose : « produire une salade coûterait de 30 centimes d’euros quand, en février, la batavia ou laitue de première catégorie était vendue de 25 centimes d’euros » 46. C’est le problème de l’existence de marchés économiques alimentaires extérieurs proposant des prix plus attractifs et des volumes importants rendant toute compétitivité locale difficile au sein d’un système global. Les marchés de Bordeaux (principalement les Capucins) anciennement lieux de vente majeurs des fruits et légumes ont été dépassés par la grande distribution. Les exploitants sont directement touchés par cette loi du marché ; dans la communes de Bruges, sur les 21 exploitations en activité dont 10 implantés dans la vallée des Jalles, seulement quatre successions sont envisageables. Cependant, il est intéressant de voir que les grandes structures d’élevage des Jalles (plus de 100 hectares) réussissent à diversifier leur réseaux de distribution entre de la vente directe aux boucheries de l’agglomération et les marchés de gros nationaux (dont le MIN de Brienne). Cette diversification permet de pérenniser économiquement une exploitation et agit positivement sur une dimension d’approvisionnement local. Le contre-exemple d’un équilibre commercial est la maïsiculture qui conserve des modes de productions industriels au sein de la vallée. De plus, elle s’intègre dans une logique de filière dont « l’effet territorial demeure limité » 47 car le maïs n’est pas susceptible d’intégrer les circuits-courts ou un réseau de distribution local.
46 LAMBERT Laurent, «Etat des lieux et diagnostic de l’activité agricole à Bruges», rapport de stage professionnel de M1, mairie de Bruges, service Urbanisme, 2008 47 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain. Entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 , ENSP, Université de Nanterre, 2008.
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31. Plan de l’implantation des agriculteurs intégrants les circuits-courts © G. HUMEAU
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La SICA, depuis qu’elle est créee, a permis à de nombreux agriculteurs locaux de la métropole de mutualiser les infrastructures logistiques afin de commercialiser les productions aux grossistes à travers le MIN de Brienne notamment. Depuis 2006, elle a développé le système de « paniers fraîcheurs » (l’équivalent des paniers AMAP) proposant des légumes produits dans la vallée des Jalles (radis, tomates, salade etc.). Elle distribue environ 50 000 paniers par an à travers la certification d’une agriculture raisonnée définit comme « un mode de production agricole qui vise à une meilleure prise en compte de l’environnement par les exploitations. Elle associe la lutte biologique (insectes prédateurs) et des traitements phytosanitaires qui sont réalisés si nécessaire. Des cahiers des charges ont été élaborés et des cahiers de cultures sont tenus sur les exploitations. Des analyses de résidus sont réalisées tout au long de l’année. Par ce biais, les impacts sur l’environnement sont réduits.» 48 Toutefois des incohérences existent quant à l’approvisionnement des produits subsistent. Par exemple, les pommes de terre proviennent principalement du Lot-et-Garonne alors que la commune d’Eysines en fait sa spécialité. De même pour les fruits avec du raisin italien, des oranges d’Espagne jusqu’aux bananes de Martinique. Même si les produits sont certifiés issus d’une agriculture raisonnée accompagnés d’une logique environnementale, la question des territoires producteurs rompt partiellement avec une politique de proximité. Cette coopérative, malgré la promotion douteuse d’une agriculture exclusivement locale, permet tout de même aux modestes exploitants métropolitains de vendre leur produits aux grossistes et restaurateurs du MIN de Brienne. Même si les ventes directes et AMAP ne concernent que 30% des exploitations, ces modes de vente se développent et les producteurs participants semblent y voir une source de revenu non négligeable. Ces modes de distribution traduisent une démarche de territoire par la proximité et le retour d’un lien social entre cultivateur et consommateur mais également dans une démarche de qualité avec en grandes parties des cultures biologiques (ou raisonnées). Par exemple, la commune d’Eysines affirme une volonté de créer une appellation d’origine contrôlée pour la pomme de terre. Les producteurs des Jalles diversifient la commercialisation à travers les marchés de la métropole comme celui d’Eysines, le marché de producteurs à Saint-Médard-en-Jalles, de Saint-Jean d’Illac ou encore les Capucins. Il y a une augmentation significative de la fréquentation des marchés de producteurs au sein de la métropole et une volonté affirmée d’un retour à une alimentation saine. Malgré l’attrait de la vente directe pour certains producteurs des Jalles, d’autres ne souhaitent pas se former pour acquérir des notions de ventes, de communication ; ils ne veulent pas devenir « vendeur » mais conserver leur fonction productrice 49. Il est vrai que ces modes de vente nécessite d’autres compétences que l’unique production. 48 Définition de la SICA citée dans : BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Intégration de l’agriculture aux politiques et projets territoriaux urbains », Sud-Ouest européen, 2013 49 LAUQUIER C., «La construction du territoire : le projet du parc des Jalles dans le nord-ouest de l’agglomération bordelaise», rapport universitaire de M1, Université de Bordeaux 3, département de géographie, 2008.
48
On remarque ainsi que l’agriculture maraîchère de proximité de la vallée des Jalles n’utilise que marginalement la vente directe, qu’elle n’est pas nécessairement biologique et que les paniers ne correspondent pas forcément à des produits de proximité (approvisionnement extérieur à l’agglomération). De quoi dérouter quelque peu les citadins souhaitant mieux comprendre voire s’associer à la production agricole. Pour certains agriculteurs la vente directe est un « leurre » 50 car elle ne garantit pas la rentabilité des exploitations.
CONCLUSION
Cet état des lieux de la métropole au travers de son étalement urbain, son paysage agricole et naturel ainsi que son système de production et de consommation alimentaire laisse entrevoir une « déterritorialisation », une « dissolution des lieux certaine» 51. Le système métropolitain intégré dans un réseau mondial paraît auto-centré sur sa croissance en oubliant le territoire qui autrefois nourrissait la ville. En effet, « mondialisation et territoire sont contradictoires »52. L’intérêt économique est grandement impliqué dans la disparition des terres agricoles et leur urbanisation progressive. Il est vrai que le sol artificialisé et construit prend une valeur nettement supérieure à celle d’un sol agricole, naturel qui ne vaut quasiment rien mais qui est nécessaire à notre équilibre et à notre survie. « Face à cette réalité, les objectifs d’équité territoriale et de transition écologique passent inévitablement par une reterritorialisation et une reécologisation de l’agriculture par une rupture avec le système actuel : production/distribution/consommation, étroitement lié à l’agro-industrie » 53. Nous avons vu que l’agriculture urbaine et périurbaine, malgré un essor récent des circuits-courts, reste insuffisante et son avenir est compromis par la non reprise des exploitations. Nombreux sont ceux qui pensent que l’agriculture urbaine est une « illusion ». On peut également parler de L. Vilan et R. Vidal qui craignent que ce type d’agriculture ne soit qu’un faible appoint aux besoins métropolitains actuels notamment en fruits et légumes 54. Ceci est dû, selon eux, à des usages foncièrement différents du sol et à la réglementation par zonage des documents d’urbanisme. La suite de ce travail tentera d’éclairer ces deux causes d’une agriculture peu présente et peu dynamique ainsi que de cette cohabitation difficile entre producteurs et habitants au travers du Parc des Jalles et plus précisément du périmètre de protection (PPEANP). Les autorités institutionnelles et collectivités permettent-elles une dynamisation agricole en métropole ? L’agriculture métropolitaine est-elle en capacité d’amorcer un nouveau cycle de reterritorialisation en réponse à ces enjeux et risques nombreux propre à ce territoire ? 50
BOSDECHER Laurie, Remous autour des Jalles, Sud-Ouest, 19 juin 2010. MAGNAGHI Alberto, La conscience du lieu, Eterotopia France/rhizome, Paris, 2017 52 THÉRY Hervé, « Mondialisation, déterritorialisation, reterritorialisation », Bulletin de l’Association Mondialisation et géographie / L’ouest américain, 2008 53 GUILLOT Xavier, Espace rural et projet spatial vol.6 Ruralités et métropolisation. A la recherche d’une équité territoriale, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2016. 54 VILAN Luc, VIDAL Roland, « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 51
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PARTIE 2
LE PPEANP DES JALLES : SANCTUARISATION DE LA NATURE OU RÉEL OUTIL TERRITORIAL ? Aujourd’hui, élus et aménageurs de la ville connaissent une demande sociale forte et sont sensibilisés à une gestion de l’espace qui se doit d’évoluer en vue des conséquences - notamment agricole - de l’étalement urbain observées dans la première partie. Ces acteurs du territoire utilisent entre autre l’agriculture périurbaine comme outil d’aménagement répondant aux critères contemporains du développement durable. Les paysages de la métropole sont caractéristiques et sont susceptibles d’être également support d’une nouvelle agriculture. D’après M. Banzo et L. Couderchet, agriculture et nature entrent dans la « culture de l’espace ouvert » 1 et l’espace ouvert (soit non bâti) revalorisé est source d’une nouvelle manière d’aménager l’espace métropolitain. L’espace non bâti, support éventuel d’une agriculture, devient alors une armature, une « infrastructure » pour l’aménagement urbain. L’espace ouvert est définit par A.L. Strong comme une « zone – petite ou grande, permanente ou temporaire, publique ou privée - située à l’intérieur ou à la périphérie d’une région urbaine, où la nature prédomine soit en raison de l’état initial (agriculture, forêt) soit par une action d’aménagement (parcs), de protection (sites classés) ou d’abandon (carrières délaissées, infrastructures…) et assure des fonctions variées et complémentaires, économiques, esthétiques et paysagères, récréatives, biologiques et même scientifiques et pédagogiques.» 2 La loi SRU, relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain, créée en 2000 marque un moment charnière dans les documents d’urbanisme en remplaçant le POS (Plan d’Occupation des Sols) par le PLU (Plan Local d’Urbanisme). Ce changement affecte positivement les communes périurbaines qui utilisaient jusqu’ici la classification de certaines zones en « habitat diffus » pour lutter contre le phénomène de mitage. Grâce à cette loi SRU, on ne peut plus affecter une partie d’un territoire communal en « zone d’habitat diffus » (zones NB dans les documents d’urbanisme). C’est le début également d’une recherche de cohérence territoriale avec le remplacement du SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme créée en 1983) par le SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale). A travers l’agglomération (ancienne métropole), le SCoT a permis une inversion du regard considérant les espaces ouverts comme élément réorganisateur de l’urbain. L’agriculture apparaît
1
BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Intégration de l’agriculture aux politiques et projets territoriaux
urbains. Le cas bordelais », Sud-Ouest Européen, 2013 2
STRONG Ann Louise, «Open space of urban America», Department of Housing and Urban Development,
Washington, 1968
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alors comme une composante importante dans ces documents d’orientations territoriales et intervient dans la procédure de conception même du projet. 3 Ces orientations sont renforcées par la loi sur les territoires ruraux en 2005, avec notamment la reconnaissance et l’accompagnement des dynamiques particulières des territoires périurbains avec la création des PPEANP 4 en France. L’agriculture tient une place grandissante dans l’action publique et les projets urbains locaux car elle est étroitement liée à la préservation de la biodiversité, la production alimentaire locale, l’affirmation identitaire des lieux, la valeur paysagère etc. Cela motive la création de divers périmètres de protection des zones agricoles dans les documents d’urbanisme.5 Le Parc Intercommunal des Jalles s’inscrit dans cette dynamique politique sensibilisée par l’importance de l’espace naturel au sein du projet urbain. Ce parc fait l’objet dans un second temps d’un périmètre de protection : le PPEANP des Jalles. Nous allons essayer de comprendre l’intérêt de ce périmètre et ces orientations à travers les documents d’urbanisme réalisés. Ce périmètre s’inscrit comme un défi à l’urbanisation et joue un rôle dans la politique de la préservation de la « trame verte » tant par sa dimension agricole présente que par son intérêt environnemental. C’est le premier PPEANP en France sur les thématiques du maraîchage et de la protection des captages d’eau potable. Nous allons nous intéresser aux coopérations politiques à travers ce projet de protection qu’est le PPEANP. Sont-elles efficaces ? Permettent-elles une dynamisation de l’activité agricole?
1 / LE PPEANP DES JALLES : UNE CRÉATION LABORIEUSE Cette partie vise à comprendre les mécanismes et les différentes étapes ayant permis la création de ce périmètre. En effet, comme précisé précédemment, la création du PIJ (Parc Intercommunal des Jalles) a précédé le périmètre PPEANP. Il est donc nécessaire de mettre en évidence les liens entre les préoccupations politiques et l’inertie de la création du Parc puis du PPEANP; Il convient d’introduire cette partie en parlant de la création de l’agence d’urbanisme A’Urba. Il s’agit d’une agence créée par la ville de Bordeaux et plus largement l’Aquitaine. Cette agence datant de 1969, fonctionne comme une agence privée mais ses missions
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JARRIGE Françoise, THINON Pascal, NOUGARÈDES Brigitte, « La prise en compte de l’agriculture dans les
nouveaux projets de territoires urbains. Exemple d’une recherche en partenariat avec la Communauté d’Agglomération de Montpellier », Revue d’économie régionale et urbaine, n°3, 2006. 4« Le Périmètre de Protection des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains ou PPEANP, donne au Département la possibilité de créer des périmètres d’intervention en zone périurbaine en vue de protéger et de mettre en valeur des espaces agricoles naturels et forestiers». https://www.sysdau.fr/les-ppeanp 5
NAPOLÉONE Claude, SANZ SANZ Esther, « Intégrer les espaces agricoles dans la planification urbaine » ,
Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014
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sont d’ordre public. Elle traite des questions d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de politiques urbaines. Par ses productions, elle devient un acteur fondamental des projets mais aussi une ressource en terme d’information qui peut orienter certaines études.
UNE PRÉOCCUPATION POLITIQUE DEPUIS 1970 : UNE INTÉGRATION PROGRESSIVE DES ESPACES OUVERTS ET AGRICOLES À L’URBANISME
D’après Robert Manciet, premier secrétaire général de la CUB, « en 1966, les communes de l’agglomération bordelaise se trouvaient confrontées à des problèmes dont les solutions exigeaient des moyens » 6. En 1968, la Communauté Urbaine de Bordeaux est créée et vise un développement intercommunal traitant notamment des questions d’environnement, d’urbanisme, création du MIN de Brienne etc. Nous sommes alors dans un contexte d’agglomération (précédant le contexte de métropole) et les espaces naturels sont au cœur du débat avec l’évocation des « coulées vertes », « trame verte et bleue » et ce dès 1970. À cette époque, les espaces dits « non bâtis » et faisant référence aux espaces naturels et agricoles deviennent une problématique majeure dans la conception urbaine et leur apparition dans les différents documents d’urbanisme se traduit par de nombreux termes de planifications : « ceintures vertes» , « coupures vertes » etc. Les « coulées vertes » définies par le SDAU (ancien SCoT) étaient un outil de « coupure d’urbanisation » 7 et avaient pour rôle « de répondre au désir de préserver les espaces naturels qui subsistent entre les axes routiers actuels et le long des axes routiers futurs, afin d’éviter que l’urbanisation ne se poursuive en tache d’huile et n’aboutisse à une énorme concentration minérale »8. Cette idée de préservation des espaces non bâtis est une des caractéristiques du schéma directeur de 1980 dans lequel l’agriculture est assimilée aux espaces naturels. Il y a donc une préoccupation concernant ces espaces même si à cette époque il s’agit d’une prospective de « sanctuarisation » de la nature. Ces « coulées vertes » laisseront place à la « charpente paysagère » dans le futur SCoT de 2001. Par ailleurs, la prise de conscience des collectivités concernant la « fragmentation du tissu périurbain » 9 donne lieu à une reconsidération de l’espace ouvert comme outil de l’aménagement urbain et non plus comme une simple réserve foncière. En 2001, le SCoT - remplaçant le SDAU - traite la question de « charpente paysagère », donnant une dimension aux espaces ouverts non plus de préservation (comme le préconisait le schéma directeur de 1980) mais comme ressource (cf. figure 32). Les collectivités prennent alors conscience de l’importance des caractéristiques des espaces naturels et agricoles et de leurs dynamiques respectives. La valorisation de la diversité paysagère devient alors un élément structurel du territoire et contribue à une réelle identité de l’agglomération. 6 MICHEL Marjorie, LAFON Cathy, « De la CUB à Bordeaux Métropole : 50 ans d’histoire », Sud-Ouest, 04/01/2018. 7 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Intégration de l’agriculture aux politiques et projets territoriaux
urbains. Le cas bordelais », Sud-Ouest Européen, 2013 8 A’Urba, «Les coulées vertes dans le SDAU et les POS», Bordeaux, Agence d’urbanisme, 1976 9 FLEURY André, «Vers des projets de territoires», Les agricultures périurbaines un enjeu pour la ville, vol. 2, ENSP, Université de Nanterre, 2008.
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32. La «charpente paysagère» du SCoT de 2001 © IGN, A’URBA
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Les espaces non bâtis, représentant alors 45% de la superficie de l’agglomération, font l’objet d’études poussées menées par A’Urba entraînant une réelle intégration de ceux-ci dans les documents d’urbanisme. Parmi ces paysages, il y a une part importante des paysages agricoles (la vigne, les polycultures etc.) et sylvicoles. Toutefois, le SCoT de 2001 traite essentiellement la question de paysages viticoles et sylvicoles laissant le maraîchage et les autres formes d’agriculture en marge des dispositifs de structuration paysagère. Il faut attendre une étude réalisée en 2007 par A’Urba sur les dynamiques agricoles depuis vingt-cinq ans au sein de la CUB mettant en évidence la « sensibilité des activités agricoles au regard de la proximité urbaine »10. Le rapport permet d’éveiller les consciences concernant les formes de pression urbaines, les interfaces de contact entre ville et agriculture et leur effet sur les zones agricoles contribuant à une perte de foncier agricole et une déstructuration du parcellaire. Ce n’est donc qu’à partir de 2007 que l’agriculture, à défaut d’être intégrée aux projets urbains, prend place dans le champ d’intérêt collectif. L’espace agricole rendu « visible » par cette étude devient alors un enjeu stratégique urbanistique pour les aménageurs et les élus. La vallée des Jalles constitue à cette période un enjeu de territoire agricole délaissé à requalifier. Dès le XIXème siècle cet espace joue un rôle dans l’approvisionnement de l’eau potable pour la métropole. Aujourd’hui c’est une zone parfois qualifiée de « résiduelle »11, délaissée par l’urbanisation et sans réelle valeur économique. La zone est majoritairement inconstructible du fait de ses risques d’inondation et soumise à un Plan de Prévention du Risque d’Inondation (cf. figure 33). La vallée des Jalles, zone humide, est un marais aménagé pour supporter des activités agricoles (cf. figure 34) . Le Parc des Jalles est considéré à 80% en zone inondable du PPRI limitant ainsi le développement de projets d’investissements fonciers car en grande partie inconstructible. De plus les activités qui s’y trouvent sont en perte de vitesse avec une réduction progressive du nombre d’agriculteurs et un développement croissant des espaces de friches. C’est alors un territoire qui ne constitue plus un enjeu économique évident mais un enjeu écologique. Il est d’utilité publique car il sert de zone d’expansion des crues protégeant ainsi la ville en cas d’inondation. (cf. figure 35). Au delà des qualités naturelles et agricoles du site, cet espace possède un patrimoine qu’il est nécessaire de conserver et de valoriser. On retrouve les aqueducs d’Eysines, le pont de Gajac, les moulins de la vallée des Jalles, les lavoirs de Blanquefort etc. Tout ce patrimoine est le témoin d’un territoire anciennement très productif. Dans un contexte d’intégration des espaces naturels au politiques de l’agglomération de cet espace à fort potentiel agronomique et ressource de biodiversité, une requalification de cette zone, autrefois très productive, s’impose. Le parc semble être avant tout un moyen de qualifier un vaste espace intra-urbain indéterminé, soumis à l’expansion des friches agricoles. 10 A’Urba, «Mise en œuvre et évaluation du SCOT de l’aire métropolitaine de Bordeaux : sensibilité des activités agricoles et sylvicoles au regard de la proximité urbaine», rapport d’étude, 21 décembre 2007
11 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain. Entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 , ENSP, Université de Nanterre, 2008.
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33. Carte de synthèse des Territoires à Risque d’Inondation (TRI) de la métropole © CEREMA
34. La zone inondable de la vallée des Jalles © SYSDAU, A’URBA
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35. Un territoire servant de zone d’expansion des crues © AGENCE TER
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VERS LA DÉFINITION D’UN PÉRIMÈTRE DE PROTECTION : LE PPEANP
Nous avons pu voir que l’agriculture a été difficile à intégrer le champs des compétences urbaines à l’échelle de l’agglomération. Cette inertie se reflète à l’échelle du Parc des Jalles qui, pendant les premières années suivant sa création, n’intégrera pas concrètement les activités agricoles comme ressource et garant d’un paysage caractéristique et historique. Le projet du Parc des Jalles s’inscrit dans une volonté de valoriser un espace délaissé en lui attribuant une valeur territoriale. Dans ce contexte de « charpente paysagère » comme outil d’aménagement urbain durable et d’approche intercommunal de l’urbanisme, l’acte de naissance du parc est signé en 2001 par huit communes concernées par ce perimètre définissant trois orientations majeures. D’une part des objectifs environnementaux et patrimoniaux visant la « maîtrise de l’avenir foncier afin de prévenir des opérations qui nuiraient à ce patrimoine collectif de manière irréversible » 12 ; bien qu’une grande partie classée non constructible par le PPRI, le parc reste sujet à des spéculations foncières avec un développement des friches agricoles. D’autre part, le parc souhaite intégrer une dimension sociale avec « la création de cheminements intercommunaux de découvertes culturelles, ludiques et sportives à partir des pôles d’intérêts existants qui jalonnent la rivière »13 ; oublié par le grand public, l’idée d’un parc intercommunal support de loisirs permettrait une fréquentation diversifiée à travers le loisir. Enfin, le dernier objectif est économique et promet un « soutien aux activités agricoles en difficulté ». Les intentions premières du Parc laissent entrevoir l’idée d’une pluralité d’acteurs à travers une multi-fonctionnalité répondant aux enjeux de pression foncière et de la valorisation de l’activité agricole tout en y développant une fonction récréative. Seulement, même après l’intégration du Parc au PLU de 2006, aucun état des lieux précis de l’activité agricole n’est établi et les agriculteurs ne sont pas associés aux débats intercommunaux. En ce même temps, le maraîchage de la zone prend une « valeur de modèle »14 pour la CUB. Occultant les autres formes d’agricultures, les politiques publiques semblent davantage promouvoir l’image d’une agriculture comme une valeur identitaire patrimoniale, comme une tradition à conserver plutôt qu’une réelle ressource motrice dans ce territoire délaissé. Ayant davantage pris conscience de l’importance de la dimension agricole comme vecteur d’aménagement, la CUB missionne en 2010 Phillipe Quévremont, ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, sur la réalisation d’une étude d’appui à l’élaboration d’un projet agricole sur le territoire de l’agglomération. Cette synthèse est révélatrice des enjeux agricoles métropolitains.
12 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain. Entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 , ENSP, Université de Nanterre, 2008. 13 A’Urba, « Parc intercommunal des Jalles. Schéma de référence. », Phase 1 : diagnostic global et enjeux de
projet, 2002 14
FLEURY André, Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 , ENSP, Université de Nanterre, 2008
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Cette étude part du constat que le nombre d’exploitants ne dépasse pas la centaine contre 259 en 1988 au sein de la CUB et que la part de l’agriculture représente 10% du territoire de l’agglomération contre 50% d’espaces artificialisés. Enfin, le marché du foncier agricole est en déprise car racheté par des non agriculteurs. L’agriculture dans le périmètre du SCoT (94 communes pour environ un million d’habitants) occupe 20% du territoire et la première orientation de cette étude est de « protéger l’agriculture existante » au sein de ce territoire. Le rapport préconise alors à la Chambre d’agriculture de la Gironde « d’étendre la procédure dite de sanctuarisation aux espaces naturels périurbains qui le méritent » 14. Comme nous l’avons dit précédemment, cette sanctuarisation tend souvent à enclaver ces espaces naturels alors étouffés par l’urbanisation et sans valeur territoriale ; absence d’usages et d’interactions entre ville et nature à l’image des domaines viticole dans la métropole. Dans ce rapport, il est ensuite question de restaurer une agriculture de proximité dans l’aire de l’agglomération en préconisant l’acquisition foncière des collectivités de certains terrains délaissés ou en voie de délaissement. L’objectif étant de réaffecter des terrains en terres agricoles ou de réinvestir les friches agricoles à travers le développement d’une activité existante. Il est question également de favoriser l’implantation d’un nouvel exploitant (système de couveuse, pépinière d’entreprise etc.) ou encore de créer des « jardins familiaux » 15. Plus que des jardins familiaux, qui semblent anecdotiques lorsqu’on parle d’agriculture, il émerge l’idée intéressante de création de partenariats afin de pérenniser par exemple la formation horticole avec le lycée agricole de Blanquefort. À ce système de parrainage proposé, s’ajoute la suggestion d’une maîtrise d’ouvrage soutenue par la CUB prenant la forme d’un comité des services techniques communaux qui permettrait par exemple une mutualisation des expériences et une gestion efficace des projets. Le troisième axe s’intéresse à développer des bonnes relations entre agriculteurs et citadins à travers une forme de maîtrise d’ouvrage afin d’instaurer un dialogue et réduire les conflits réciproques comme la circulation des engins agricoles. Ce dialogue vise à développer le système de vente directe et AMAP déjà existant afin de valoriser le travail agricole. Cette synthèse rend compte d’une prise de position certaine (peut-être parfois anecdotique) vis à vis des enjeux agricole et souhaite valoriser ce territoire à travers une dimension productive significative et dynamique. Elle est un facteur déclencheur de la future création du périmètre PEANP. En effet, le Parc des Jalles, d’environ 4500 hectares, concentre une zone propice au maraîchage sur 500 hectares de sa surface. D’après une étude de l’APIETA16 de 2010, seuls 160 hectares (130 pour d’autres) sont réellement productifs (maraîchage, jachères, pépinières), le reste est utilisé en prairie ou deviennent des friches et des zones reboisées. Cette zone maraîchère représente 11% de la surface du parc et environ 4% si l’on prend en compte uniquement les terres cultivées. L’activité maraichère était vingt ans auparavant bien plus active dans cette zone. Une étude réalisée en 2009 dresse un diagnostic de l’activité 14 /15
QUÉVREMONT Phillipe, «Note de synthèse par M. Philippe Quévremont à l’issue de la mission effectuée
à la demande de la Communauté Urbaine de Bordeaux», 2010. 16 L’APIETA est le bureau d’étude de la Chambre d’agriculture de la Gironde.
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agricole permettant d’affirmer que le faible nombre d’exploitants encore actifs risque de décroître davantage dans les années à venir 17. Ce constat fait alors émerger la volonté de la création d’un périmètre de protection. Une nouvelle étude permet l’élargissement du périmètre envisagé à 785 hectares dans cette même zone à dominante maraîchère et un accord est signé en 2011 entre les communes concernées, la CUB ainsi que la Chambre d’Agriculture. Le PPEANP est alors instauré (cf. figure 35) et son objectif principal est « d’afficher de manière pérenne la vocation agricole de la vallée maraîchère, de contraindre les spéculations et de créer un droit de préemption spécifique pour le Département » 18. Il est donc question d’une volonté d’amorcer un aménagement foncier à travers cet espace de protection afin de rationaliser la structure parcellaire via une concentration des surfaces agricoles et l’amélioration des conditions de production des agriculteurs. Ce droit de préemption du département pose question quant aux statuts du périmètresqui sont majoritairement privés et donc sources de conflits. Malgré une volonté politique désormais concrétisée de préserver ce territoire de l’urbanisation et de développer les dynamiques agricoles, il existe un risque d’inaction face à cette question d’un espace principalement cadastré et privé à 97% (cf. figure 36) .
DES AGRICULTEURS SCEPTIQUES À LA CRÉATION D’UN PÉRIMÈTRE DE PROTECTION
Ces quelques orientations décrites ci-dessus suscitent des doutes chez les exploitants et propriétaires. Certains agriculteurs décrivent ce PPEANP comme « le Plan Marshall de la vallée des Jalles » 19. En effet, l’instauration d’un droit de préemption pour structurer le parcellaire et l’ouverture de certains espaces au public sont sources de doutes, de conflits d’intérêts et parfois de colère pour les exploitants. En ce qui concerne les agriculteurs, plusieurs inquiétudes principales règnent au sujet de cette possibilité de rachat des terres en dessous de leur prix réel (droit de préemption du département). Premièrement, la démarche de la création d’un principe de protection a soulevé une forte opposition car ils craignent une dévalorisation de leurs exploitations pouvant désormais être soumises à une obligation du Conseil Général « de vendre leurs biens pour un prix dérisoire réduisant à néant des années de travail » 20. La plupart des maraîchers est persuadée que les collectivités et autorités compétentes sur ce périmètre ne sauront pas maintenir cette zone comme inconstructible que certains jugent sans risque réel d’inondation. Un maraîcher affirme « Des inondations ? Nous n’en avons pas vu depuis 1955 ». Ces maraîchers de la vallée gardent un mauvais souvenir des Vergers du Tasta, ancienne zone maraichère cultivant principalement la pomme, où les exploitants avaient cédé leurs terres classées inconstructibles pour « le franc symbolique ».
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QUÉVREMONT Phillipe, «Note de synthèse par M. Philippe Quévremont à l’issue de la mission effectuée à la demande de la Communauté Urbaine de Bordeaux», 2010. 18 «PPEANP des Jalles. Périmètre de Protection et de mise en valeur des Espaces Agricoles et Naturels Périurbains. Notice», Conseil Général de Gironde, Département de la Gironde, 2011. 19 / 21 BOSDECHER Laurie, «Remous autour des Jalles», Sud-Ouest, 19 juin 2010
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36. Plan du périmètre PPEANP des Jalles entre les 8 communes © DGFIP, CUB
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Aujourd’hui cette zone est le support d’environ 2000 logements où le terrain a été vendu aux promoteurs par les collectivités pour 170 euros du mètre carré. Aujourd’hui le prix des terrains agricoles inconstructibles plafonnent à 1,5 € le m2, alors qu’en milieu périurbain de l’agglomération, les terrains urbains sont proposés à plus de 300 euros le m2, on peut comprendre leur hostilité, ou du moins leur crainte, à l’intauration de ce périmètre de protection. Les agriculteurs présents depuis de nombreuses années souhaitent profiter de la vente de leurs terres pour assurer leur retraite. Ce droit de préemption soulève un autre problème concernant l’installation de nouveaux exploitants sur le site du PPEANP. Cette zone étant en quasi totalité classée en zone rouge du PPRI, abusivement ou non, elle demeure inconstructible y compris pour construire leur propre habitation. Selon Francois Ferrer, « tant qu’elle (la zone du PPEANP) restera inconstructible, ils (les potentiels nouveaux agriculteurs) iront s’implanter ailleurs » 22. Cette inconstructibilité doit nécessairement s’assouplir et permettre aux exploitants d’habiter proche de leurs cultures et favoriser l’installation de repreneurs. En résumé, les maraîchers sont largement sceptiques : « Nous ne croyons pas à cette initiative » 23 affirme une exploitante, et sont pessimistes quant à l’avenir du maraichage dans cette zone. Les acteurs à l’initiative de ce périmètre (élus, CUB, Conseil Général) souhaitent, à travers le Parc et donc le PPEANP, introduire une mixité d’usage permettant une ouverture du public dans ce paysage naturel. Les communes cherchent à améliorer la fréquentation de ces espaces naturels mais cela pose le problème du conflit d’usages entre les professionnels et le public. Si certains espaces privés , comme les habitations, sont fermés, d’autres comme les zones maraîchères, de maïsiculture, les espaces d’élevage restent ouverts. Les maraîchers expriment clairement leur opposition au passage du public à travers leur exploitation craignant des formes de dégradations des cultures et autres vols matériels. Les exploitants affichent cette opposition par des dispositifs de clôtures, fils barbelés, panneaux d’interdiction de passage etc. Cette attitude est définie par Christophe Albaladejo comme une hostilité des agriculteurs professionnels considérant leur espace de culture « comme séparé de celui des urbains évoquant volontiers les images de barrière ou de frontière »24. Les espaces cultivés vus par les visiteurs urbains comme un paysage rural ouvert et donc libre d’accès sont opposés à la vision du « caractère privé et fermé de la terre agricole par ses propriétaire » 25. 22
BOSDECHER Laurie, «Remous autour des Jalles», Sud-Ouest, 19 juin 2010 C.M., «La zone maraîchère au coeur des débats», Sud-Ouest, 21 janvier 2011 24 ALBALADEJO Christophe, « L’agriculture dans la cité. Les nouvelles formes d’insertion territoriale de l’activité agricole dans le périurbain albigeois », colloque Espaces et sociétés aujourd’hui, Rennes, 2004 25 BANZO Mayté, VALETTE Élodie, «L’éco-urbanisme face aux espaces non bâtis : l’enjeu de la mixité», Les Cahiers du développement urbain durable, Observatoire Universitaire de la Ville et du Développement durable, 2007 23
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Afin de soutenir et de pérenniser l’activité agricole dans ce périmètre, les orientations politiques proposent des solutions jugées anecdotiques par les exploitants tels que le développement d’un lien direct entre les producteurs et les consommateurs à travers notamment des AMAP permettant en théorie de contrer la concurrence des grandes distributions. En 2011, selon les maraîchers, ce système de circuit-court ne permet pas de générer des revenus suffisants au bon fonctionnement de leur structure. D’après Monique Baron, maraîchère de la vallée, « S’installer aujourd’hui comme maraîcher c’est tirer à peine un Smic mensuel pour 70 heures de travail hebdomadaire » 26. Gardons à l’esprit que la vallée maraîchère des Jalles concentre une majorité d ‘exploitations de moins de trois hectares donc des petites exploitations. Malgré le plein essor de ces circuits-courts, le métier reste compliqué et les subventions publiques pour les exploitants déjà installés sont difficiles à obtenir. Dans le cadre de la création du PPEANP, il est question de favoriser l’installation de jeunes agriculteurs hors cadre familial (donc hors succession) à l’aide de subventions publiques. Ces aides peuvent susciter des défiances de la part des agriculteurs établis en succession familiale qui se font de plus en plus rares. Nous avons vu que les départs à la retraite des agriculteurs ne trouvent que peu de repreneurs. Enfin, les orientations politiques prévoient la promotion de la qualité des produits cultivés à travers la labellisation des produits (AOP, AOC, Bio, Agriculture raisonnée) mais certains agriculteurs y voient une certaine ironie politique lorsqu’ils constatent que certaines parcelles non entretenues ne sont même plus accessibles et praticables par les engins et que les réseaux hydrauliques ne fonctionnent qu’en partie 27. On peut interpréter cela comme une forme de « communication d’image » de la part des différentes communes et de la CUB à l’origine du projet. Les institutions semblent considérer l’agriculture des Jalles dans sa dimension paysagère, identitaire et patrimoniale plus que dans son caractère de ressource nourricière. On constate qu’en 2011, suite à la création de ce PPEANP, règne un climat d’hostilité et de crainte chez les agriculteurs en activité. Souvent peu écoutés et écartés dans les délibérations et orientations politiques, ils ne croient pas en cette initiative et en l’avenir de l’agriculture dans cette zone contrairement aux collectivités, et aménageurs qui sont d’accord pour dire que « l’avenir de l’agriculture se trouve dans cette zone » 27. Cette opposition peut être dûe à un manque d’action et d’intégration des problématiques rencontrées par les exploitants depuis la création du Parc en 2001. Inscrire l’agriculture dans un projet de territoire à caractère urbain n’est pas chose aisée car nombreux sont les paramètres. On remarque que ce droit de préemption au sein du PPEANP est sous l’autorité du département, sur un territoire intercommunal dans un système métropolitain, pris dans une 26
BOSDECHER Laurie, «Remous autour des Jalles», Sud-Ouest, 19 juin 2010 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain. Entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, vol.2 , ENSP, Université de Nanterre, 2008 28 BERGOUNIOUX Charles, « La trame verte et bleue peut-elle structurer un projet de territoire ? » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014 27
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enceinte de parc. Il est légitime de se demander si ce recours à l’acquisition foncière peut s’avérer être un facteur de dynamisme de la zone 28. Ce portage institutionnel serait-il susceptible d’encourager des initiatives locales ? Les divers documents d’urbanisme permettent-ils de favoriser une approche territoriale de développement de projets agricoles ?
2 / LES DYNAMIQUES POLITIQUES À L’ÉCHELLE DU TERRITOIRE DES JALLES Nous avons vu, entre autre avec l’émergence des circuits-courts et des initiatives locales, que le contexte institutionnel a changé. Nous sommes actuellement à mi-chemin entre initiatives locales d’une part et initiatives institutionnelles de l’autre 29. Cependant l’hybridation des deux systèmes paraît encore contestable. En ce qui concerne le contexte institutionnel, nous l’avons vu précédemment, l’apparition de la loi Alur préconise la densification en milieu urbain. Malgré cela, S. Darly confirme qu’aucun texte de loi ne définit pas ce que désigne une « consommation économe de l’espace »30. D’après le politologue G. Pinson, «L’aménagement des espaces urbains doit être porté par une vision de la ville – et de la société – et non pas uniquement fondé sur des considérations réglementaires.» 31 Nous étudierons dans cette partie, ce que prévoient au sein du PPEANP les deux documents d’urbanisme régissant les orientations territoriales : le SCoT et le PLU. Ces deux documents ne doivent pas être conformes entre-eux mais compatibles c’est-à-dire qu’un écart mineur entre ces deux documents peut être admis excluant toute contradiction majeure. Par exemple, A. Blandin nous rappelle que les périmètres de trame verte et bleue définis dans le PLU ont l’obligation d’être compatibles avec les réservoirs de biodiversité et les corridors écologiques notifiés par le SCoT à une échelle plus large 32. Ensuite, il sera question d’identifier les changements dûs à la nouvelle instance Bordeaux Métropole qui remplace la CUB depuis 2015. Cette nouvelle institution est-elle en capacité d’assurer une autre forme de gouvernance à la manière d’un animateur territorial dépassant ces entremêlements instituionnels? (État, département, communes, collectivités...)?
L’OUTIL SCOT ET LES ORIENTATIONS TERRITORIALES
Au début des années, 2000, on assite à une modification des outils de planification spatiale. Créée par la loi SRU de 2000 en remplacement du Schéma Directeur (SD), le SCoT a pour objectif d’établir une stratégie d’agglomération à l’échelle d’un territoire pluri-communal. Ces changements doivent traduire le passage d’un «urbanisme de plan» à un 29
MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000 DARLY Ségolène, « La terre pavillonnaire, un paysage fertile oublié », Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 31 PINSON Gilles, Gouverner par projet, Paris : Presses de Science-Po, 2009 32 BLANDIN Amélie, « Les nouveaux habits du droit de l’urbanisme», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 30
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«urbanisme de projet». Le projet, strictement urbain avant 2000, devient territorial devant se traduire par «une intervention active des collectivités»33 Nous sommes dans le cadre du territoire de l’aire urbaine de Bordeaux concentrant 94 communes ; on parle de « l’aire du SYSDAU » 34. Ce document encadre et oriente les différentes politiques comme celle de l’organisation de l’espace et de l’urbanisme, de l’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial etc. Il assure une cohérence entre les différents documents de planification comme le PLU, PLUi, PLH (Programmes Locaux de l’Habitat), le PDU (Plan de Déplacement Urbain) etc. Il doit respecter les principes de développement durable en définissant un principe d’équilibre entre le renouvellement urbain, le développement urbain, le développement de l’espace rural, la préservation des espaces naturels et des paysages, le principe de diversité des fonctions urbaines et de mixité sociale et le respect de l’environnement. Le SCoT comporte trois volets tels que le rapport de présentation, qui contient notamment un diagnostic du territoire et une évaluation environnementale ; le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) ; le document d’orientation et d’objectifs (DOO). Enfin, il peut être prescriptif c’est-à-dire préciser les espaces et sites naturels, agricoles et urbains à protéger et en préciser la localisation. Les projets d’aménagement et d’urbanisme des différentes collectivités couvertes par un SCoT - comme le projet du PPEANP des Jalles - doivent être compatibles avec celui-ci. LA PROTECTION DES ESPACES COMME OUTIL STRUCTUREL DU TERRITOIRE Le ScoT de l’aire métropolitaine de 2014 (cf. figure 37) a pour rôle d’orienter et donc de préconiser. Il ne s’agit pas de règles mises en place concrètement. Le Parc des Jalles est protégé pour plusieurs raisons : d’un côté pour sa valeur écologique avec pour preuve la présence d’un site Natura 2000 35 qui chevauche le périmètre, pour sa valeur économique avec les activités agricoles de terroir et pour ses risques naturels notamment d’inondation avec le PPRI. Ces protections de territoire font l’objet de réglementation limitative de la construction. Ces espaces échappent donc à l’urbanisation et jouent le rôle « d’infrastructure verte » caractérisés par leur situation dans un contexte urbain. Le SCoT préconise le développement des PPEANP dans l’idée de constituer un réseau d’espaces ouverts en périphérie de l’agglomération. Cette orientation est en faveur d’un développement agricole permettant ainsi, selon le rapport du SYSDAU 36, de contrôler l’artificialisation des sols. 33
BONNEAU Emmanuelle, L’urbanisme paysager : une pédagogie de projet territorial. Architecture, aménagement de l’espace. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2016. 34 Le SYSDAU est le syndicat mixte de l’aire métropolitaine en charge de l’élaboration du schéma de cohérence territoriale. Il a été créé le 10 février 1996, à l’occasion de la révision du schéma directeur de l’aire métropolitaine bordelaise. 35 Les zones Natura 2000 sont un réseau de zones protégées ayant pour objectif de préserver la diversité biologique en Europe en assurant la protection d’habitats naturels exceptionnels en tant que tels ou en ce qu’ils sont nécessaires à la conservation d’espèces animales ou végétales. 36 A’Urba, «SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Rapport de présentation - Explication des choix retenus», Sysdau, 2014
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37. La métropole nature extraite du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise, 2014 © SYSDAU, A’URBA
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Force est de constater que le seul moyen de limiter l’urbanisation est d’interdire catégoriquement la construction ce qui entraîne une forme d’enclavement de ces espaces agricoles périurbains qui ne tissent plus de lien avec leur environnement urbain. Ces périmètres de protection semblent davantage être un outil de création de « réserve naturelle périphériques où l’agriculture est un prétexte d’aménagement. Toutefois, la volonté de créer une ceinture d’espaces ouverts permettrait une mise en résonance de ces espaces agricoles donnant une dimension de projet de territoire et plus seulement d’enclaves autonomes agricoles. Ces espaces protégés permettent la définition d’une trame verte ainsi qu’une ceinture de sites de projet agricoles qualifiée de « chapelet de sites de projets de nature et d’agriculture périurbaines » 37. Cette distinction entre les paysages naturels et agricoles est porteuse d’espoir. Antérieurement, la notion agricole était souvent incluse dans les préoccupations paysagères et donc souvent oubliée. Le SCoT définit également des règles lorsqu’un projet urbain est situé en lisière des espaces agricoles et naturels protégés comme la « préservation d’une continuité d’espace de nature accessible au public » ou encore la conservation de « perméabilités piétonnes le long du nouveau front bâti orientées vers les espaces de nature voisins »38. Ceci est l’illustration d’une politique de zonage ne paraissant pas avoir conscience des conflits d’usages potentiels. Le fait d’envisager des projets urbains en lisière d’espaces agricoles renforce ces hostilités car l’interface des lisières n’est pas traitée avec ce type de projets « promoteurs » et favorise l’enclavement des espaces agricoles. Selon Luc Vilan et Roland Vidal, agriculteurs et habitants continuent de se tourner le dos alors qu’ils vivent face à face 39. Il est difficile de croire que des venelles piétonnes disposées tous les 500 mètres du front bâti créent du lien entre urbanisation et espace naturels agricoles. Il nous parait difficile de traiter la question des lisières par un simple zonage urbanistique. LE PADD DU SCOT SOUHAITE « AFFIRMER LE RÔLE DES AGRICULTURES AU SEIN DU PROJET »40 Le PADD, volet constitutif du SCoT, oriente de manière plus précise les problématiques de développement durable et notamment celles de l’agriculture au sein du territoire. La formulation du PADD fait référence à l’expression d’un projet politique prolongeant un diagnostic territorial. Il est sensé être un document d’actions stratégiques en terme urbain et environnemental 41. En plus des orientations décrites dans le rapport du SCoT, le PADD traite de la nature ordinaire, faisant référence aux espaces agricoles comme « ressource indispensable à l’attractivité résidentielle, économique et touristique du territoire, un paysage et un espace de production qui, pour se maintenir, doivent être économiquement viables » 42. 37 A’Urba, «SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Rapport de présentation - Explication des choix retenus», Sysdau, 2014 38/40/42 A’Urba, «SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Plan d’aménagement et de développement durable», Sysdau, 2014 39 VILAN Luc, VIDAL Roland « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 41
BONNEAU Emmanuelle, L’urbanisme paysager : une pédagogie de projet territorial. Architecture, aménagement de l’espace. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2016.
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Une fois encore, cette « attractivité résidentielle » est ambiguë et source de conflits d’usage. Le paradoxe naît de cette volonté d’une part de protéger des espaces agricoles (considérés comme ressource et frein à l’urbanisation) et d’autre part de créer une attractivité résidentielle. L’ambiguïté provient d’une logique de zonage urbanistique et ne traite pas la problématique d’interface conciliant urbanisme et agriculture dans une réconciliation territoriale. Ce document, dans un second temps, vise à valoriser la dimension économique des agricultures qu’elles soient de type « industrielle » ou de proximité. En ce qui concerne l’échelle de proximmité, l’agriculture est décrite comme un élément du tissu économique local cependant moins marqué que l’agriculture de filière et de fait moins reconnue. L’agriculture urbaine et périurbaine, prenant racine dans l’aire métropolitaine, a une influence sur un grand nombre de secteurs et représe des retombées économiques importantes. C’est pourquoi elle devient un élément de structure métropolitaine. Le PADD encourage une stratégie locale en terme d’approvisionnement à travers la réduction des flux de matières premières (productions agricoles) avec les circuits-courts qui sont actuellement détachés des institutions. Ces activités agricoles, trop longtemps oubliées, constituent un socle susceptible de participer significativement à l’autonomie alimentaire métropolitaine. Cependant, Le PADD révèle qu’en « préservant les surfaces agricoles, on préserve un patrimoine collectif des habitants de l’aire métropolitaine bordelaise »43. Or l’agriculture ne relève pas d’une dimension patrimoniale mais joue un rôle nourricier depuis l’Antiquité. Toutefois, nous remarquons une volonté de « faire des espaces agricoles des lieux de projets »44 c’est-à-dire conforter les espaces de nature intermédiaire comme le Parc des Jalles considérés comme plus vulnérables. La charpente paysagère ou « trame verte » défendue depuis de nombreuses années, doit proposer des projets agricoles et de loisirs destinés à pérenniser l’activité agricole et développer une composante récréative adaptée. Ceci reprend les orientations définies par le Parc des Jalles lors de sa création ainsi que celles posées plus tard à travers le PPEANP. Après un dysfonctionnement de ces usages partagés à travers le Parc des Jalles, le Sysdau souhaite tout de même généraliser ce principe à travers les différents espaces agricoles du territoire sans proposer de mode de mise en oeuvre. Il est nécessaire que ce document d’urbanisme qu’est le SCoT traite la question de maîtrise d’usage des sols partagés entre production et loisirs. Enfin, le PADD encourage l’aménagement des zones d’activités agricoles dans le but de « faciliter les conditions de développement et la viabilité économique des exploitations agricoles »45. Ces zones sont décrites comme support d’un regroupement de bâtiments agricoles limitant le mitage et permettant une mutualisation des installations et équipements. Ces zones peuvent également servir à développer le système de vente directe ou de « valoriser les productions agricoles »46 . Il est précisé qu’en zone inondable, « ce type d’activités peut permettre d’offrir un cadre 43/44/45
A’Urba, «SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Plan d’aménagement et de développement durable», Sysdau, 2014
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pour apporter une réponse globale aux difficultés spécifiques de cette localisation »46. Lorsqu’on se souvient que le Parc des Jalles, en grande partie classé inconstructible, on peut s’interroger sur ce qu’est le « cadre » et quelle « réponse globale » il peut apporter. Ces zones d’activités peuvent néanmoins être pertinentes - si le SCoT prévoit un assouplissement du réglement - et permettre la construction de sortes de complexes coopératif s agricoles. On remarque que les orientations proposées par le SCoT et le PADD restent assez floues et parfois incohérentes dans leurs définitions et n’envisagent pas des moyens de mise en oeuvre. Ces documents semblent, plus que d’être dans une dynamique de projet, contraindre le territoire par des règles d’établissement. Nous allons voir dans le cadre de l’élaboration du PLU, si ces contraintes conduisent ou non « à des oppositions très réductrices et stériles sur la vocation constructible ou non des terrains »47.
L’OUTIL PLU ET LES ORIENTATIONS MÉTROPOLITAINES
Depuis 2000, le Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) a remplacé le Plan d’Occupation des Sols (POS). L’une des importantes innovations de cette loi SRU dans le cadre du PLU consiste en l’interdiction pour les conseils municipaux d’affecter une zone non construite en «zone d’habitat diffus» (zones NB)48 limitant ainsi la création de quartiers pavillonaires comme les lotissements coupables d’un étalement urbain important. Le PLU est un document à l’échelle intercommunale et communale précisant le droit du sol, son affectation et ses usages au travers des pièces réglementaires. Il a la particularité d’exposer clairement le projet urbain d’ensemble et également de définir les règles de construction de chaque zone qu’il régit. Il délimite donc les zones à urbaniser, les zones naturelles et agricoles à préserver mais également les gabarits des bâtiments, leur implantation sur la parcelle etc. Il doit notamment exposer clairement le projet global d’urbanisme ou PADD qui résume les intentions générales de la collectivité quant à l’évolution de l’agglomération. Il est constitué d’un rapport de présentation, des Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) et du Projet d’Aménagement et de Développement Durabe (PADD) qui résume les intentions générales de la collectivité quant à l’évolution de l’agglomération.
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A’Urba, «SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise. Plan d’aménagement et de développement durable», Sysdau, 2014 47 BERGOUNIOUX Charles, « La trame verte et bleue peut-elle structurer un projet de territoire ? » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014 48 MELOT Romain, « La conversion des espaces agricoles devant le prétoire», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018
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LES ORIENTATIONS DU PADD DANS LE CADRE DU PLU De manière générale, le plan d’aménagement et de développement durable exprime le projet, les enjeux et les orientations générales du territoire au travers de cinq orientations majeures dont les thématiques sont l’habitat, déplacements, urbanisme, nature, économie, équipements, foncier, ressources etc. Ici, nous relèverons les deux premières orientations traitant de la densification de la métropole et de lla préservation des espaces naturels. La dernière révision du PADD datant de 2016, prévoit par une première orientation de répondre à la problématique de l’étalement urbain en préservant l’équilibre 50/50 entre espaces naturels et urbanisés. D’après ces données, en 2013, sur près de 51 000 hectares de surface cadastrée du territoire de Bordeaux Métropole 56 % ne sont pas urbanisés soit environ 28 500 hectares dont 9 500 hectares de surface agricole recensée. Pour cela, il est question de concentrer le développement de l’urbanisation dans les espaces urbanisables sans extension en zone agricole naturelle ou forestière. L’objectif est de conserver les limites de la métropole du PLU de 2006 avec une « adaptation à la marge représentant moins de 2% des 58 000 hectares du territoire communautaire » ce qui représente tout de même 1160 hectares d’extension. Il est assuré également une gestion adaptée des espaces naturels, agricoles et forestiers afin de valoriser le patrimoine naturel or aucune préconisation de mise en œuvre n’est décrite tout comme pour le SCoT. Cette première orientation ambitionne également de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels et agricoles par habitant supplémentaire (de 300 m2 entre 2006 et 2013 à 150m2 par habitant dès 2016) en rationalisant « l’usage du foncier », en favorisant le développement de la ville sur elle-même (densification par la compacité de nouveaux projets urbains), en requalifiant « les espaces des zones d’activités au profit d’un usage optimisé de leur foncier »51 etc. En résumé le PADD vise à une densification de la ville à l’intérieur de ses limites afin de luter contre l’étalement et réduire la consommation d’espaces naturels. Or la métropole ambitionne un million d’habitants pour 2050 soit environ 200 000 de plus qu’actuellement. Les 150 m2 d’espaces naturels consommés par chaque nouvel habitant se transforment alors en 30 km2 d’espaces consommés soit approximativement quatre fois la surface de Talence. Ces chiffres sont incompatibles avec une volonté actuelle de conserver et de protéger ces espaces de «nature». Les périmètres de protection tels que le PPEANP peuvent se sentir menacés par cette ambition d’accueillir toujours plus de personnes car il est difficile d’imaginer un développement de la ville exclusivement sur « elle-même ». Ensuite, à travers une seconde orientation, le PADD traite la dimension naturelle et veut « conforter les espaces naturels et agricoles et préserver les continuités écologiques»52. 49/50/51 Bordeaux Métropole, «PLU 3.1 Projet d’Aménagement et de Développement Durables. - 1ère révision approuvée par délibération du Conseil de la Métropole», 16 Décembre 2016 52 BERGOUNIOUX Charles, « La trame verte et bleue peut-elle structurer un projet de territoire ? » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014
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38. Système de continuité paysagère extrait du PLU 3.1, 2016 © Bordeaux Métropole, A’URBA
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Ceci se traduit par la préservation du massif forestier avec un « zonage spécifique », la connexion de grandes continuités écologiques régionales avec les grands espaces de nature métropolitains comme le Parc des Jalles ou le Parc des Coteaux, la préservation et renforcement de la trame bleue etc (cf. figure 38). Il revient cette question de zonage qui est une démarche bureaucratique ne prenant pas en compte les réalités sectorielles et posant de réels problèmes de terrains. Le PADD ne semble donc pas orienté vers une dimension humaine relatant les usages spécifiques à ces espaces. Or, il est évident que pour construire un projet territorial durable, ces notions de trames vertes et bleues qui sont supports d’activités doivent s’affranchir d’une logique de zonage et s’interroger sur les valeurs d’usages 53 qui agissent sur le territoire. UNE INTÉGRATION RÉGLEMENTAIRE PROGRESSIVE DE L’AGRICULTURE DANS LE PROJET MÉTROPOLITAIN Depuis le PLU de 2006, des remaniements de textes législatifs ont permis de renforcer les mesures de préservation des terres agricoles et naturelles permettant un assouplissement relatif des réglementations. On y trouve la loi Grenelle II portant engagement national pour l’environnement (ENE) en 2010 introduisant la notion de «trame verte et bleue» comme élément devant être obligatoirement mis en œuvre au sein des documents d’urbanisme afin de préserver et de «restaurer les continuités écologiques»52. En 2014, la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (Alur) prévoit de densifier les zones U donc déjà urbanisés et encadre l’urbanisme dans une volonté de limiter l’artificialisation des sols et de valoriser les zones Agricoles et Naturelles (A et N). La loi Alur proscrit la construction d’autres constructions que celles nécessaire à l’exploitation agricole : «Sont interdits en zones N et A toutes autres constructions et installations que celles nécessaires à l’exploitation agricole ou sylvicole, ou des équipements collectifs ou services publics compatibles avec la vocation de la zone»53. La loi Alur a permis l’instauration d’une exception : le STECAL qui permet de délimiter des secteurs de taille et de capacité d’accueil limités destinés à d’autres construction. Depuis 2014, le PLU, grâce à la Loi d’Avenir pour l’Agriculture, l’Alimentation et la Forêt (LAAF), peut désigner les bâtiments agricoles qui, en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, peuvent faire l’objet d’un changement de destination. Ces quelques tolérances législatives permettent aujourd’hui une diversification des activités agricoles à travers le maintien et la réhabilitation possible des constructions existantes ou encore via « l’émergence d’activités autres qu’agricoles, compatibles avec le caractère naturel ou agricole de ces zones »54. Le droit français d’urbanisme propose une certaine souplesse aux communes quant à la classification d’une zone en zone agricole. Ceci permet de lutter contre les spéculations foncières qui sévissent. La territoire métropolitain a ainsi vu la conversion de plusieurs zones N en zones A afin de redynamiser l’activité. 52 Bordeaux Métropole, «PLU 3.1 Rapport de Présentation - 1ère révision approuvée par délibération du Conseil de la Métropole», 16 Décembre 2016 53 Loi Alur n°2014-306 ; Article L.123-1-5.II.6 54 MELOT Romain, « La conversion des espaces agricoles devant le prétoire», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018
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Si nous nous intéressons plus précisément à ce qui se passe localement au travers de la vallée des Jalles, on remarque que le Parc des Jalles est majoritairement classé en zone A. Ces zones sont « mitées » de zones Nh2 (cf. figure 39) qui correspondent à des espaces bâtis agricoles assimilés aux STECAL et donc susceptibles d’être diversifiés à travers un changement de destination. La non constructibilité du territoire pour cause de risque d’inondation est assouplie et respecte les exploitations agricoles environnantes. Des projets de coopératives de maraîchers à travers un développement de nouvelles fonctions comme l’agri-tourisme, les fermes pédagogiques ou les lieux de vente directe sont envisageables. Cependant ces développements sont limités car contenus dans les zones classées Ab c’est-à-dire présentant un intérêt écologique (différenciées des zones Ag qui représentent les zones d’agricultures génériques sans intérêt écologique particulier). Ces zones sont appelées « zones agricoles à réservoir de biodiversité ». Le PLU prévoit pour ces zones de « concilier l’activité agricole et le maintien de la valeur écologique de ces espaces »55 et proscrit la construction de toutes nouvelles constructions d’habitation y compris celles nécessaires à l’exploitation agricole. Il autorise cependant toute extension nécessaire à l’exploitation et les changements de destination des bâtiments existants. Cette réglementation ne favorise pas l’installation de jeunes agriculteurs qui souhaitent pour la plupart habiter sur leur lieu de travail. L’habitation d’un agriculteur aurait le mérite d’être assimilée à une construction nécessaire à l’exploitation. Seules les zones Ag faisant référence à une agriculture générique permettent la création d’habitations nécessaires au fonctionnement des exploitations agricoles mais ces zones sont minoritaires sur le territoire du PPEANP des Jalles et souvent direct avec des zones U c’est-à-dire des zones urbanisées (cf. figure 40). On constate que ces assouplissements permettent une meilleure intégration des zones agricoles du territoire mais que ces zones agricoles sont principalement situées en zone innodable. D’un côté les documents d’urbanisme souhaitent valoriser, encourager, conforter une agriculture sans engager les moyens nécessaires à un simple maintien de cette activité. Il n’est pas question de souhaiter la constructibilité totale de ces zones mais de permettre des tolérances pour ceux qui y travaillent ou souhaitent y travailler. «Malgré l’intense activité de recherche conduite depuis plus de vingt ans sur ces territoires, malgré l’implication des acteurs de l’aménagement, l’urbanisme réglementaire y reste la plupart du temps le seul outil d’aménagement mis en place par les communes. » Le PLU propose une vision assez réglementaire, dans une logique de zonage, et influencée par le SCoT. Dans la mesure où ce qui est inscrit dans les documents d’urbanisme relève du droit, ces documents ne semblent pas en capacité de représenter le réel. C. Devillers affirme alors que «le juridique évacue le spatial»57. De ces différents documents d’urbanisme ne résultent que peu d’évolutions. D’après C. Napoléon et E. Sanz Sanz, il serait alors nécessaire d’adopter de nouvelles formes de 55 Bordeaux Métropole, «PLU 3.1 Rapport de Présentation - 1ère révision approuvée par délibération du Conseil de la Métropole», 16 Décembre 2016 56 VILAN Luc, VIDAL Roland « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018
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39. Plan de zonage PLU 3.1 - Zone Ab englobant des zones Nh2 © Bordeaux Métropole, A’URBA
40. Plan de zonage PLU 3.1 - Zone Ag en contact avec une zone US © Bordeaux Métropole, A’URBA
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gestion territoriale permettant ainsi une nouvelle approche du milieu 58. Si on en croit F. Choay, les plans de la « ville idéale »59 élaborés tout au long de l’histoire, ont constamment échoué.
BORDEAUX MÉTROPOLE COMME COORDINATEUR TERRITORIAL ?
Métropole sous-entend système métropolitain. Reprenant le terme de « ville monde » 60, le système représente les interactions que nouent les villes entre elles à différentes échelles : d’une échelle mondiale à une échelle locale et inversement. Le système métropolitain relève des avancées concernant la mobilité, les technologies, la gouvernance du territoire etc. La métropolisation a permis une remise en question de l’organisation institutionnelle et leurs compétences organisées entre intercommunalité et agglomération. De nombreuses compétences étaient communales et l’articulation entre le local et le « global » pouvait être préjudiciable pour des projets comme ceux du Parc des Jalles et du PPEANP qui ont la particularité d’être étalés sur plusieurs communes. Avant janvier 2015, les services « Nature » étaient communaux. Ces services communaux étaient techniques c’est à dire concernés uniquement par l’entretien des parcs et jardins. Il n’existait personne chargée d’une coordination des opérations territoriales veillant à la protection des espaces naturels. Depuis 2015, la métropole a acquis trois nouvelles compétences pour les actions « Nature » : en remplacement des communes, elle s’occupera de la gestion du milieu aquatiques, de la protection contre les inondations et lutte contre les nuisances sonores. C’est en coopération avec les communes qu’elle sera compétente en matière d’action de valorisation du patrimoine naturel et paysager. Le Parc des Jalles et le PPEANP sont directement concernés par ces évolutions institutionnelles. Cette vision plus large du territoire est sensée donner un nouvel éclairage et une action réelle sur les questions de revalorisation des terres agricoles, de la gestion de l’eau et de sa pollution. De plus, ces changements de compétences apportent une articulation plus fluide des différents acteurs du territoire pour agir rapidement. La politique Nature est pour Bordeaux Métropole une politique stratégique lui permettant de préserver et de valoriser les espaces naturels et les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains. Bordeaux Métropole semble pouvoir représenter un nouvel animateur privilégié capable d’articuler les différentes échelles de compétences afin de mettre en œuvre des solutions durables. Peu de temps après sa création, cette nouvelle institution préside un conseil d’assemblée au sujet du PPEANP.
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NAPOLÉONE Claude, SANZ SANZ Esther, « Intégrer les espaces agricoles dans la planification urbaine » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014 59 CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités : une anthologie, Seuil, Paris, 1965 60 ASCHER François, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995
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En 2015, le conseil de Bordeaux Métropole s’est réunit afin de traiter des questions d’orientations d’actions pour le périmètre de protection des Jalles, créée quatre années auparavant et de donner son accord au département pour le programme d’action élaboré à la création. La définition d’un programme d’actions permet au département de contrôler le développement du foncier et de fixer les objectifs de préservation et de valorisation de ce périmètre. Sa mise en œuvre, prévue sur dix ans (de 2015 à 2025), est basée sur le volontariat des partenaires et acteurs du territoire. Ceci signifie qu’il ne s’agit pas d’un programme contraignant imposant des objectifs aux différents acteurs du site. Cette liberté peut être perçue comme une forme d’inaction future. Des ateliers de concertation antérieurs à cette assemblée ont enfin permis d’intégrer les propriétaires fonciers, la profession agricole et des associations du territoire des Jalles aux débats politiques. Ce programme d’action prend en compte les enjeux initiaux du territoire qui sont l’amélioration de la gestion territoriale en vue de valoriser l’activité agricole et les espaces naturels. Il comporte trois axes majeurs dont le premier concerne le maintien d’une dynamique agricole dont la déprise est toujours présente. Si on compare les objectifs de ce premier axe, on retrouve de grandes similitudes avec ceux définis lors de la création du PPEANP. Toutefois, de nouveaux objectifs apparaissent et visent entre autre à améliorer les réseaux d’eau et assurer un entretien collectif des fossés répondant ainsi (théoriquement) au plaintes des exploitants, à proposer des solutions pour des logements et bâtiments agricoles en vue d’un assouplissement de la non constructibilité de la zone et développer les circuits-courts afin qu’ils desservent la restauration collective. Une évolution des consciences collectives apparaît dans la formulation du troisième axe qui prévoit de « Valoriser les richesses du site auprès de la population et assurer le dialogue avec les propriétaires, gestionnaires et exploitants » 61. La finalité est d’animer et de promouvoir le site du PPEANP des Jalles en étant proche du territoire et de ses acteurs grâce à un animateur du PPEANP. Ce dernier permettrait de créer des espaces de dialogue local, organiser des journées d’échange technique, faire connaître la zone aux habitants de la Métropole et communiquer sur les actions entreprises tout en respectant les usages et les propriétés de ce site dont la vocation première est agricole. Dans le rapport, cet axe est isolé et ne comprend uniquement cet objectif sur l’importance de la communication du site. Ceci démontre une prise de conscience des collectivités sur l’importance d’instaurer un dialogue construit entre exploitants et population afin de réduire les conflits d’usages : l’ouverture de l’espace agricole et l’accessibilité de l’espace sont des problématiques réelles. Enfin, ce dernier axe montre clairement que les agriculteurs sont désormais intégrés aux décisions et au projet de développement du PPEANP. L’arrivée de Bordeaux Métropole semble laisser percevoir une nouvelle manière de gérer le territoire. Un exemple de gouvernance où la commune en assure la direction. C’est le Parc Nature Urbain Ill-Bruche à Strasbourg créée en 2008 qui a été co-construit 61 Extrait du registre des délibérations du Conseil de Bordeaux Métropole, Programme d’actions du Périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (P.E.A.N.P.) Jalles - Approbation, 29 Mai 2015
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entre habitants, élus et acteurs locaux. La gouvernance est assurée par la municipalité depuis 2010 et le projet rend compte d’un grand activisme suscitant l’intérêt collectif et la participation toujours plus nombreuse de nombreux acteurs. Ce projet a immédiatement reconnu et compris l’enjeu de la terre nourricière et encourage son développement avec 600 jardins familiaux intégrés même dans des projets immobiliers, des jardins partagés, des potagers collectifs, des vergers et ruchers sur des terrains privés, la végétalisation des délaissés et une présence également d’agriculture périurbaine. Ce PNU souhaite également instaurer des espaces pédagogiques sur l’agriculture et le jardinage, des services d’aides financières concrètes et une ferme urbaine expérimentale. Cette liste exhaustive démontre bien d’un côte la multifonctionnalité du parc à travers des usages à la fois privés et publics cohabitant autour d’une terre commune et nourricière. Cette réussite réside dans la co-construction dirigée par les services communaux et largement dynamisée par les habitants et les professionnels réunis autour d’une charte au « caractère souple et adaptable »62. Ces notions de souplesses et d’adaptabilité semblent une alternative à suivre pour les documents d’urbanisme. La notion de jardin collectif est intéressante par son usage partagé du sol entre vocation agronomique, paysagère et récréative. « Ils sont à mi-chemins entre les sols agricoles et les sols de parcs urbains » 63. Toutefois, des tensions similaires à celles présentes au sein du Parc des Jalles (cf. figure 41) entre les différents usagers existent. Une vigilance est accordée aux tensions entre nature et agriculture, espaces bâtis et sanctuarisés et entre clôture des espaces et leur ouverture (cf. figure 42). Avec cet exemple on peut affirmer que l’agriculture aurait la capacité d’enrichir le rapport au voisinage au sein du milieu périurbain, dans les quartiers pavillonnaires mais cela sous-entend une rupture avec une «pratique de l’urbanisme réglementaire»64 qui séparent les fonctions selon une logique de zonage. Pour le PNU de Strasbourg, le Parc est entièrement intégré dans les orientations de ces documents et joue un rôle essentiel dans à la mise en place des trames verte et bleue (cf figure 43). Après de longues années de rédaction de documents d’urbanisme à un rythme effrené à conduit à des règles détaillées, parfois inaccessibles pour certains engendrant une culture de la norme que A. Cadieu qualifie «d’hystérie normative nationale»65. Il serait souhaitable et bénéfique pour l’urbanisme de demain d’assouplir le Code de l’urbanisme dans la rédaction du PLU et permettre au projet de primer sur la règle. Ceci contribuerait à des documents d’urbanisme de meilleure qualité et facilitant la délivrance 62
PIPART Béatrice, « Quand un projet de territoire dynamise la vie de trois quartiers. La création du PNU Ill Bruche à Strasbourg », Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014
63 JOIMEL Sophie, CHENOT Élodie-Denise, CORTET Jérôme, SCHWARTZ, CONSALÈS Jean-Noël, « Jardins potagers collectifs » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014 64 BENDIMÉRAD Sabri, « Vers une architecture des basses densités hautement soutenable», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 65 CADIEU Aurélien, « Halte à l’hystérie législative en urbanisme», La Gazette des Communes, 3 mai 2016
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41. Conflit d’usage au sein du PPEANP des Jalles , 2005 © E. VALETTE
42. Une exemplarité d’ouverture pour le PNU de Strasbourg © MM, RUE89
43. Schémas de l’intégration du PNU de Strasbourg dans les orientations urbanistiques, 2013 © ADEUS
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des autorisations d’urbanisme et créer une dynamique de projet au sein du territoire. Cet assouplissement suggère le dialogue entre le porteur de projet et l’autorité référente pour une co-construction des règles et donc des projets. La « négociation » existe déjà en ur banisme mais n’est cependant pas ouverte à tous et notamment aux agriculteurs pour qui le droit de l’urbanisme est jugé complexe. « Ce n’est plus la règle qui fait le projet, ce sont ses acteurs »66.
3 / «55 000 HECTARES DE NATURE» : POUR UN TERRITOIRE DE PROJET
Initiée en 2013, soit deux ans avant la création de Bordeaux Métropole, la démarche repose sur la volonté de développer la place de la nature dans la ville dense ou en périphérie. Cette opération des «55 000 hectares de nature en métropole» s’effectue en parallèle de l’action «50 000 logements pour 2050» et vise à renouveler les manières de faire pour agir sur des situations concrètes : coeur des villes, grands espaces agricoles et forestiers, valorisation des zones humides et inondables, trame verte et bleue, friches et espaces en mutation. Elle s’est appuyée sur la consultation de quatre équipes pluridisciplinaires réunissant des compétences en matière d’écologie, de paysage, d’urbanisme, de développement territorial ou d’agronomie (cf. figure 44) qui ont développé des méthodes et outils sur 15 sites laboratoires jugés souvent problématiques par leur confrontation entre zones d’intérêt naturel et urbanisation (cf. figure 45). Les propositions sont très variées et intéressantes par leur approche selon différents axes. Cette partie s’intéresse à la proposition de l’équipe de l’agence TER67, une des quatre équipes, qui propose des outils et une vision novatrice du territoire permettant d’entrevoir le développement ambitieux d’une métropole durable. La proposition met en évidence que la nature, dans la conception urbaine, ne peut se résumer au verdissement de la ville mais doit aborder le territoire de façon beaucoup plus complète et suggère une rencontre entre le « système urbain » et le « système nature » par une approche des « bords de ville », des lisières urbaines.
UNE NOUVELLE GOUVERNANCE : L’AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA NATURE (ADN)
L’agence TER fait émerger la nécessite d’une entité nouvelle, l’ADN, qui prend sa place dans le système de gouvernance de la métropole bordelaise. Elle initie sa démarche par une ligne conductrice qui est «faire plus de nature avec plus d’habitants»68 et fait émerger l’importance du citoyen dans les enjeux de projets de nature. L’ADN se consacre au développement et à l’accompagnement des projets de nature en
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BLANDIN Amélie, « Les nouveaux habits du droit de l’urbanisme», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 67 L’Agence Ter s’associe pour cette étude à de nombreuses équipes spécialisées : Blezat Consulting - Développement des territoires ruraux ; BRL ingenierie - ingénierie Hydraulique ; Flint architectes - Urbanistes ; Franck Boutté Consultants - Stratégie Développement Durable ; Franck Boutté Consultants - Stratégie Développement Durable ; Rivière environnement - ingénierie environnementale 68
ÉQUIPE AGENCE TER, Penser le projet de Nature de la CUB par ses Bords, Stratégie métropolitaine. Vers une métropole capitale verte européenne. Version 1, Juin 2015
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44. Les quatre équipes et les sites laboratoires - «55000 hectares pour la nature» © A’URBA, CUB
45. Les sites laboratoires et les différentes zones de protections- «55000 hectares pour la nature» © A’URBA, CUB
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métropole et permet d’associer le développement économique et urbain au développement de la nature à travers des initiatives d’acteurs locaux. Cette volonté d’associer ces deux mondes autour de projets communs est novateur et nécessite un changement radical dans la manière de penser la ville et de penser la nature. Nous avons vu au cours de cette partie, une politique de cloisonnement entre nature et ville. Les zones de nature, inconstructibles et protégées physiquement ou politiquement, n’interagissent pas avec les zones urbaines bâties et inversement. Ces logiques cloisonnées sont le résultat de réglementations autoritaires sur l’aménagement du territoire et d’une politique de sanctuarisation de la nature. L’Agence de Développement de la Nature propose alors de faire tomber cette séparation et de rendre le projet urbain et le projet nature interdépendants et complémentaires. Pour être efficace et assurer ce changement radical, l’ADN doit disposer d’outils et de compétences afin de mettre en action ces objectifs. Ces outils sont décrits de manière précise et comportent une dimension concrète dans leur définition et sont réfléchis par un phasage (cf. figure 46). Premièrement, il s’agit d’une charte de la nature métropolitain associant directement la CUB et les communes afin d’établir une vision commune des enjeux de développement de la nature et d’avoir un réel impact sur le territoire et ses acteurs. Cette charte doit être constituée par une équipe pluridisciplinaire permettant ainsi d’apporter une vision globale des enjeux de la nature en ville comme la gestion de l’eau, la place de l’agriculture en ville, la qualité des sols, les risques naturels etc. Ce document, animé par le partage progressif, doit être co-construit avec les acteurs du territoire (services de l’état, Région, collectivités locales, acteurs économiques et urbains, acteurs associatifs de défense de la nature etc.) et être signé par ces acteurs au cours de sa rédaction. La charte doit être connue du public à travers une communication claire et concrète. On assiste ici à une réelle ambition de terrain faisant interagir autant le public, que les porteurs de projets et les collectivités. Ce qui n’est souvent pas le cas dans les décisions politiques notamment au sein du parc des Jalles où les agriculteurs, principaux acteurs et spécialistes du territoire, ont été oublié lors de l’élaboration du projet. Ensuite, cette instance propose une « labellisation de la nature métropolitaine »69 définissant les modes d’action des projets basés sur un diagnostic précis afin que les porteurs de projets puissent disposer des soutiens nécessaires de la part des collectivités. Ceci constitue un cahier des charges qui vient compéter la charte de la nature et peut être à l’initiative d’appels à « projets nature locaux » afin d’initier cette démarche. Dans l’idée d’impulser cette labellisation, l’ADN souhaite lancer un projet expérimental à l’échelle locale dans le cadre d’un projet urbain ce qui permettrait d’illustrer cette politique d’intégration de la nature dans le projet urbain. Dans le cadre de ce cahier des charges, il est question d’accompagner et de suivre ces projets éligibles afin de leur apporter un soutien adapté. Les financements proposés sont également novateurs à travers des systèmes de fondations ou de crowdfunding 70. 69
ÉQUIPE AGENCE TER, Penser le projet de Nature de la CUB par ses Bords, Stratégie métropolitaine. Vers une métropole capitale verte européenne. Version 1, Juin 2015 70 Le crowdfunding est un système de financement participatif
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46. Les outils de la charte de l’ADN et leur phasage respectif © AGENCE TER
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Des campagnes de communication permettent aussi une meilleure connaissance de ces projets grâce à des expositions, des événements culturels sensibilisant la population à un intérêt collectif. L’ADN propose alors une réelle animation permettant de faire converger « les intérêts des acteurs, d’analyser, de préparer les arbitrages et de suivre la réalisation des projets nature qu’ils relèvent d’une solidarité communautaire, d’un co-développement local ou d’initiatives habitantes » 71. Cette labellisation porte un caractère local par le financement et l’échelle des projet ce qui dépasse la logique de zonage et celle des grandes orientations trop vagues décrites par les différentes échelles d’institutions qui ont tendance à se répéter sans prendre connaissance des réalités et des spécificités de chaque territoire (le département, la région, la chambre d’agriculture, etc.). En ce qui concerne l’agriculture, ce système de financement est novateur et permet de sortir de l’engrenage de la Politique Agricole Commune et de son financement encourageant une agriculture intensive et industrielle. Enfin, l’ADN propose l’instauration d’un laboratoire de recherche et de développement autour de la nature, de ses projets et de ses financements. Ce laboratoire comporte une réelle dimension économique, universitaire et technologique. Tout d’abord, il est question de lancer des appels à projets de recherche et l’innovation, en lien avec des organismes de financements de la recherche, permettant de créer des partenariats entre acteurs économiques et universités sur des projets de développement et d’innovation agricole et naturelle. Cette intention est prometteuse car elle offre la perspective d’une nature innovante (à travers des nouvelles formes d’agriculture, de gestion hydraulique...) associée à des retombées économiques pour la filière agricole ou les secteurs technologiques par exemple. Dans cette volonté de créer un laboratoire, il est question d’accompagner et de structurer la création d’un FabLab de l’économie verte faisant interagir des entreprises (PME et PMI) avec les universités de métropole et de la région. Le fait d’intégrer le secteur universitaire à des problématiques concrètes de la nature peut être vecteur d’une transition agricole, naturelle et urbaine inédite avec des partenariats entre Bordeaux Sciences Agro, les paysagistes et architectes de l’ENSAPBX, les agriculteurs de la métropole, des ingénieurs etc. On quitte alors le cadre de la nature pour la nature en faisant converger les problématiques urbaines et naturelles autour d’un intérêt de construire un projet de territoire. Cette potentielle instance de gouvernance permet l’accompagnement et la valorisation de projets et d’initiatives locales et joue un rôle d’articulation entre Bordeaux Métropole et les acteurs locaux du territoire. Elle permet de faire le lien entre une stratégie territoriale une action locale dans l’intention d’initier des projets et pas simplement d’orientations comme nous l’avons vu au sein des documents SCoT, PLU et des programmes d’actions divers. Cette vision active permettrait non seulement de favoriser les échanges entre les acteurs publics et privés mais également d’encourager des partenariats innovants.
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ÉQUIPE AGENCE TER, «Agence de Développement de la Nature (ADN), Fiche Action 4», Juin 2015
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ÉQUIPE AGENCE TER, «Cahier de site. Valorisation des grands territoires de nature. Le Parc des Jalles Nord», Juin 2015
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VERS UNE INTERACTION DU SYSTÈME NATURE ET DU SYSTÈME VILLE : LES « BORDS DE VILLE »
L’agence Ter, à travers son étude, fait apparaître la notion des « bords ville-nature » comme lieu de confrontation entre le système nature et le système urbain notamment au sein du Parc des Jalles. Comme nous l’avons vu précédemment, ces deux systèmes n’interagissent rarement créant ainsi des enclaves naturelles et agricoles protégées. Le phénomène de « grignotage » des espaces naturels par les espaces urbains participe à une suppression ou un éloignement progressif de la nature en ville. Le travail réalisé sur les bords cherche à faire interagir ces deux systèmes afin de créer une nouvelle manière de faire la ville et d’envisager un projet de nature métropolitain. L’idée de construire un système mixte (cf. figure 47) a pour objectif principal d’inverser cette soumission de la nature par la ville et de procéder à un « grignotage de la ville par la nature »72. Leur étude met en évidence cinq situation problématiques de co-développement ville-nature où les projets urbains peuvent intégrés davantage des projets de nature dans leur conception (cf. figure 48). Cette vision d’ensemble du territoire métropolitain est intéressante par ses relations envisagées entre les différentes échelles. Premièrement, l’échelle de la métropole permet de mettre en place un réseau naturel du territoire, de dessiner le linéaire des bords et de rassembler les projets de nature et les projets urbains. Ensuite, il y a l’échelle des sites laboratoires qui sont au nombre de cinq : Bordeaux Nord, Le Parc des Jalles, la Presqu’île d’Ambès, Floirac - Bouliac et Gelès - Tanaïs. Cette échelle permet un maillage plus fin des bords faisant apparaître les espaces fragiles et potentiels comme lieux de rencontre et donc d’intervention entre les deux systèmes. Enfin, c’est l’échelle du lieu qui permet de définir les actions à mettre en place sur ces bords et propose des scénarii de projets mixtes comme leviers concrets. Ces sites laboratoires sont des lieux de préoccupation prioritaire au sein de la métropole qui présentent une typologie des bords variée comme les bords agricoles, les bords d’eau ou les bords de forêt (cf. figure 49). En ce qui concerne les bords agricoles, l’agence Ter rend compte de l’importance stratégique quant à l’enjeu de tisser une «relation harmonieuse entre agriculture et urbanité» 73. Ils doivent être des lieux d’expérimentation du développement de l’agriculture urbaine et périurbaine et nécessitent une prise de conscience politique quant aux enjeux d’autonomie alimentaire métropolitaine. On remarque que la carte ci-contre fait état du Parc des Jalles et du PPEANP comme lieux spécifiques d’intervention dans une logique d’action des bords (cf. figure 50) : ils sont considérés comme les des bords sensibles aux extensions urbaines (cf. figure 51). Concernant le Parc des Jalles, l’étude rend compte d’une volonté de multiplier les usages au sein de ce territoire tels que des initiatives de loisirs et d’activités afin de conférer une identité plus forte à cette zone. Seulement ces fonctions récréatives sont isolées et manquent d’organisation à l’échelle de la métropole. En effet, comme nous avons vu, le cas du Parc des Jalles est traité de manière isolée dans les différents programmes d’actions et depuis son élaboration. L’agriculture a longtemps été en retrait de toutes ces orientations. 73
ÉQUIPE AGENCE TER, «Cahier de site. Valorisation des grands territoires de nature. Le Parc des Jalles Nord», Juin 2015
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47. Schéma d’intention du système mixte, vers un projet de nature © AGENCE TER
48. Les cinq sites pour un projet de co-développement ville-nature © AGENCE TER
49. Recensement des différentes typologies des «bords» © AGENCE TER
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50. Schémas des possibilités d’actions des bords © AGENCE TER
51. Carte des bords sensibles aux problématiques urbaines d’extension © AGENCE TER
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Selon l’Agence Ter, l’activité agricole doit se situer au centre de ce projet de territoire et offrir une pérennité économique, productrive et nourricière. De plus, cette agriculture permet la préservation des paysages. Seulement, l’Agence Ter fait état d’une agriculture qui doit muter, se transformer à travers un réel projet de territoire et de société et ne pas rester repliée, enclavée au milieu de ces différents périmètres protecteurs et politiques. Comme le suggérait l’ADN, il faut réunir les agriculteurs, les acteurs de la ville, les élus et les circuits de commercialisation locaux autour d’une charte de l’agriculture et établir un projet de société concret amorçant les transformations nécessaires de l’activité et assurer une durabilité territoriale aujourd’hui encore compromise. L’idée de ce travail est à la fois de proposer de structurer les différents usages et de les articuler entre eux (loisirs et agriculture) mais également de reconfigurer le secteur agricole qui doit s’organiser collectivement face aux questions de gestion hydraulique par exemple et donc réinventer des nouveaux modèles adaptés aux conditions naturelles particulières du site. Ayant connaissance de la future implantation de projets urbains en bord de parc, l’équipe propose de réconcilier ce territoire naturel avec son actuel et prochain contexte urbain à travers une « lisière active », «la terrasse des Jalles». Cette terrasse représente donc la zone d’interface en belvédère (hors zone inondable) entre l’espace des marais et les espaces habités qui tendent à se densifier. La proposition souhaite donc tisser des liens et créer des relations entre armature urbaine et naturelle (cf. figure 52) grâce à une promenade activant ce bord qui doit « s’affranchir des limites communales » 74 (cf. figure 53). Nous avons pu voir précédemment que l’intercommunalité du parc pose des problèmes de mise en place de projets communs où chaque commune est auto-centrée et peu ouverte à une cohérence territoriale. L’intention de cette promenade est alors d’associer les futurs projets urbains à l’activité agricole, d’améliorer la gestion des eaux, des loisirs et de la biodiversité ce qui permettrait de tendre vers un équilibre territorial. Pour ce faire, il est important de concevoir les projets urbains comme qualitatifs à travers une économie de la consommation des sols naturels, une conservation des corridors écologiques, un dialogue avec le contexte naturel etc. Cette proposition tient sa force dans son intégration des projets urbains (et de la pression foncière qu’ils sous-tendent) dans la réflexion du projet nature. Au contraire, les parcs et autres périmètres de protection sont définis par des limites administratives sans réelles prise en compte du contexte urbain évolutif. Ce traitement du bord fait apparaître également une lisière hors d’eau capable de supporter une densification résidentielle (cf. figure 54) ou d’apporter des outils de conception d’un projet urbain intégrant la nature (cf. figure 55). Cette lisière serait également en capacité de permettre un développement de l’activité agricole par le biais de bâtiments mutualisés, d’espaces de vente directe ou des refuges pour accueillir le bétail en cas d’inondation (cf. figure 56). Cette stratégie de mutualisation hors d’eau permet de pérenniser les exploitations en place et d’encourager l’installation de nouveaux agriculteurs grâce à la construction de bâtiments essentiels à l’agriculture (cf. figure 57). 74
ÉQUIPE AGENCE TER, Penser le projet de Nature de la CUB par ses Bords, Stratégie métropolitaine. Vers une métropole capitale verte européenne. Version 1, Juin 2015
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52. Mise en évidence d’une armature naturelle et urbaine © AGENCE TER
53. La proposition du projet «la terrasse des Jalles» © AGENCE TER
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54. Proposition d’une densification résidentielle du bord de Jalle © AGENCE TER
55. Les outils de conception d’un projet urbain-nature © AGENCE TER
56. Proposition d’une densification agricole du bord de Jalle © AGENCE TER
57. Proposition d’une mutualisation agricole diversifiée © AGENCE TER
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Cette lisière devient alors active et productive et donne à voir ce paysage agricole caractéristique du territoire grâce à une volonté d’ouverture et de relations visuelles. L’agence Ter rend bien compte de la difficulté de développer l’activité agricole notamment due à l’impossibilité de construire des bâtiments agricoles. Étant conscient que cette activité est primordiale pour le territoire, l’équipe souhaite un assouplissement de ces interdictions. Elle dresse un inventaire des différents bâtiments agricoles montrant leur vulnérabilité face aux inondations (cf. figure 58) et on remarque que nombreux sont ceux représentant des risques mineurs (bâtiments de stockage, de fourrage et de stabulation par exemple). Il est essentiel d’avoir conscience qu’une pérennisation de l’activité agricole dépend essentiellement du maintien des exploitants en place. Il est donc nécessaire de conforter l’agriculture déjà présente afin d’encourager l’arrivée de nouveaux exploitants ; ce que les documents d’urbanisme actuels semblent peu prendre en considération. De cette proposition de terrasse des Jalles émerge la problématique des zones d’activités et particulièrement la zone Éco Parc qui joue un rôle de limite entre la ville et la zone naturelle qui supporte des activités de loisirs. Ce site constitue un lieu stratégique pour fédérer ces deux entités coupées l’une de l’autre. La promenade intervient comme une couture se dilatant à certains endroits afin de faire dialoguer les anciennes gravières avec la zone d’activité. L’extension de l’Éco Parc participe à l’amélioration de cette promenade faisant des zones d’eaux (anciennes gravières) un cadre idéal et utile aux entreprises (cf. figure 59) . Ce travail de l’équipe Agence Ter est prometteur en terme de gouvernance territoriale et dans sa manière d’aborder le territoire par le biais de multiples échelles d’intervention. proximité des villes ne peut qu’influencer la morphologie des projets urbains à venir au sein d’un projet de territoire associant au même titre zones urbanisées ou à urbaniser, agriculture périurbain et espaces naturels. »79
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PINSON Gilles, Gouverner par projet, Paris : Presses de Science-Po, 2009 MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2003 77 VILAN Luc, VIDAL Roland « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 78 BLANDIN Amélie, « Les nouveaux habits du droit de l’urbanisme», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 79 NAPOLÉONE Claude, SANZ SANZ Esther, « Intégrer les espaces agricoles dans la planification urbaine » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Ar76
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58. Inventaire de la vulnérabilité des bâtiments agricoles face aux inondations © AGENCE TER
59. Proposition d’un développement durable de la zone d’activité Éco Parc © AGENCE TER
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CONCLUSION Cette partie permet de rendre compte d’une inertie institutionnelle qui ne semble pas prévoir ni encourager une dimension de projet au sein du territoire. Les différents documents d’urbanisme présente un paradoxe incontestable. En effet, d’un côté les documents graphiques et les orientations stratégiques sont très encourageants notamment avec l’affirmation d’une dynamique territoriale intégrant la nature et l’agriculture à part entière au sein de la pensée urbaine. Cette approche cache en vérité un aspect réglementaire contraignant et parfois contradictoire avec les orientations proposées. La dimension de projet est alors difficile à mettre en place. De plus, le système institutionnel est complexe et les entrecroisements des différentes autorités sur les zones protégées entraînent une inaction caractérisée sur ces territoires naturels et agricoles. C’est en cela que l’étude de l’Agence Ter est intéressante. L’ADN, par son rôle d’intermédiaire unique entre les institutions et ses acteurs laisse transpirer l’idée d’une gouvernance simplifiée où le projet territorial peut désormais porter des «valeurs urbaines et naturelles et exprimer l’identité des lieux»75 du territoire grâce aux acteurs. Il semble évident que c’est localemet que doivent se co-construire ces territoires d’interfaces, de bords, tenant compte de la présence agricole et des projets urbains à venir. La récente institution de Bordeaux Métropole permettrait une nouvelle gouvernance territoriale comme le suggère l’Agence Ter. Même si la problématique ne traite que les bords d’un territoire, ce travail de la limite ,comme outil opérationnel susceptible de redonnner une «unité complexe et vivante»76 à un territoire, est source de projet et dépasse ainsi le principe d’un zonage réglementaire problématique. Une approche similaire est celle théorisée par L. Vilan et R. Vidal avec la notion de « l’orée des champs » 77 qui promeut un ouverture mutuelle entre ville et agriculture permettant de transcender l’effet de frontière réglementaire et de mettre en oeuvre un espace habité et vivant. La limite de zonage qui sépare une zone Au d’une zone A reste réglementaire et selon A. Blandin elle ne peut résister dans la durée «aux pressions de l’urbanisation conjuguées aux stratégies spéculatives»78. C’est pourquoi l’intégration des usages et les hypothèses de projets sont porteurs d’une durabilité territoriale. « Dans cette perspective, la préservation des espaces naturels et agricoles productifs à proximité des villes ne peut qu’influencer la morphologie des projets urbains à venir au sein d’un projet de territoire associant au même titre zones urbanisées ou à urbaniser, agriculture périurbain et espaces naturels. »79 75
PINSON Gilles, Gouverner par projet, Paris : Presses de Science-Po, 2009 MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2003 77 VILAN Luc, VIDAL Roland « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 78 BLANDIN Amélie, « Les nouveaux habits du droit de l’urbanisme», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 79 NAPOLÉONE Claude, SANZ SANZ Esther, « Intégrer les espaces agricoles dans la planification urbaine » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Ar76
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PARTIE 3
HYPOTHÈSE D’UN URBANISME AGRICOLE COMME PROJET TERRITORIAL MÉTROPOLITAIN DURABLE P. Donadieu émet une hypothèse à travers la vision inversée de l’étalement urbain : si l’étalement n’est plus perçu comme le débordement de la ville sur l’espace rural environnant mais pensé en termes d’infiltrations de la campagne dans la ville 1. Au lieu de chercher en vain à contrôler la croissance des villes, des théoriciens comme Donadieu proposent de construire l’urbain avec les espaces agricoles et forestiers considérant ainsi l’agriculture en milieu urbain comme un outil d’urbanisme susceptible d’organiser durablement le territoire. Les enjeux révélés dans la partie 1 et les inerties institutionnelles soulevées dans la partie 2 permettent de reconnaître une forme d’opposition binaire entre l’activité humaine et son milieu ambiant 2 : c’est le constat d’une déterritorialisation. Il est donc nécessaire de retrouver une forme d’ancrage au territoire, de relation au milieu, aux lieux. D’après G. Dematteis, la territorialité est définie comme « la triple relation symbolique, cognitive et pratique que la matérialité des lieux entretient avec l’activité des lieux »3. Le développement soutenable de la métropole semble indissociable d’une production de territorialité, d’un lien entre le territoire et l’établissement humain. L’environnement, au-delà des projections opérationnelles et conceptuelles urbanistiques, ne correspond pas à des enjeux de conservation et de mises en place de zones protégées mais il s’agit d’une structure « destinée à redessiner les relations entre l’environnement et les établissements humains »4. Cette partie s’inscrit dans une forme de continuité du travail de l’Agence Ter mais de manière plus projectuelle que certains peuvent considérer comme utopique. Ayant constaté les limites des documents d’urbanisme et largement inspiré d’une approche territorialiste, il est question ici d’envisager une métropole territorialisée et agricole à travers une notion introduite par Rémi Janin : «l’urbanisme agricole».
« Plus une société étant urbaine et plus elle est nécessairement agricole »5, Rémi Janin
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DONADIEU Pierre, « Campagnes et natures urbaines », La ville et l’urbain, l’état des savoirs, La Découverte,
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MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000
DEMATTEIS Giuseppe, The Italian Urban System towards European Integration, Ed. Giuseppe Dematteis, 1999 MORELLI Roberta, « Densification pavillonnaire : de l’évolution environnementale au projet de territoire»,
Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 5
JANIN Rémi, La Ville Agricole, Ed. Openfield, 2017
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1 / L’URBANISME AGRICOLE : VERS UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA MÉTROPOLE L’urbanisme agricole défendu par les frères Janin et en particulier Rémi Janin, relate la nécessité d’une transition à la fois urbaine et agricole. Cet forme d’urbanisme particulière a pour vocation la création d’espaces productifs à l’échelle d’une société extrêmement urbaine, en tentant ainsi de proposer de nouvelles formes conciliant productions, usages urbains et formes urbaines. Il souhaite également promouvoir une lecture différente des formes agricoles contemporaines, en défendant la possibilité pour l’agriculture d’inventer de nouveaux paysages à but productif. La ville comme territoire agricole devient alors pleinement actrice d’un développement urbain et initiatrice de nouvelles dynamiques hybrides. Cette notion est née du constat d’une marginalisation et d’un isolement du projet agricole au sein des projets urbains. Le projet agricole et le projet urbain, pourtant voisins, n’entretiennent plus de relation comme autrefois. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte d’urbanisation majeur créant une société de plus en plus urbaine évoluant dans des villes consommant chaque jour 200 hectares de terres agricoles. D’autre part, l’agriculture « revendique une autonomie de gestion et de définition, acceptant peu que des discours extérieurs dictent son évolution » 6. Le monde agricole tente de justifier sa présence par sa dimension nourricière mais ne prend pas en considération son contexte devenu largement urbain. Le monde urbain et agricole ne peuvent plus se tourner le dos et nécessitent une forme d’hybridation ainsi « l’abandon de la quête persistante d’une limite imaginaire entre la ville et l’agriculture, les deux allant qu’on le souhaite ou non toujours ensemble »7
UNE NOUVELLE ÈRE AGRICOLE POUR UN PROJET AGRICOLE URBAIN
Il semble nécessaire que le projet urbain porte une dimension agricole proposant une approche nourricière. L’agriculture doit être dynamique et intégrée à part entière dans l’urbanisme des villes permettant ainsi de proposer de nouvelles manières d’organiser le territoire. Selon Rémi Janin, il faut apporter un regard agricole dans chaque projet urbain en considérant les qualités agronomiques du contexte si il y en a, en densifiant les constructions afin de limiter les surfaces construites, en investissant prioritairement les sites présentant le moins d’intérêt agronomique, en favorisant la réhabilitation de bâtis délaissés plutôt que de nouvelles constructions et en instaurant une dimension productive dans les nouveaux projets 8. Ces préoccupations répondent aux enjeux décrits dans la partie 1 tels que l’artificialisation excessive, la prolifération du tissu urbain aux dépens du milieu rural et surtout la problématique nourricière des métropoles. On remarque que le Code de l’urbanisme fait référence à la notion de « potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles » comme critère de zonage (article R.123-7) mais ce potentiel n’est aucunement définit de manière précise. Il est utiliser principalement afin de limiter les spéculations. La théorie d’un urbanisme agricole nécessite
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JANIN Rémi, «Agriculture, la révolution urbaine», Openfield numéro 11, Juillet 2018 JANIN Rémi, «L’agriculture comme projet spatial», Openfield numéro 11, Juillet 2018
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alors un changement des consciences collectives et une nouvelle manière de « fabriquer la ville » à travers un réel projet agronomique considérant le sol comme une valeur nourricière et productive et non comme un support à artificialiser ou à protéger. Cette forme d’urbanisme nécessite également une redéfinition de l’agriculture face à cette transition urbaine et environnementale. Aujourd’hui, économiquement parlant, l’agriculture semble considérée comme «un secteur résiduel dont les frontières et les orientations sont fixées par la loi du marché.»9 Nous pouvons dire que l’agriculture d’après-guerre a atteint sa limite et qu’elle doit désormais répondre aux enjeux actuels en étant actrice des dynamiques urbaines et non plus souffrir de cet éloignement et de ce cloisonnement progressif des aires urbaines : « Les agriculteurs semblent en effet s’isoler et deviennent physiquement et culturellement solitaires dans un monde devenu citadin.»10 Aujourd’hui en France, seulement 3% de la population est assimilée comme agricole et détient la responsabilité nourricière des 97% restant. Les agriculteurs de la génération de la PAC au modèle productiviste et industriel disparaissent peu à peu pour laisser entrevoir un profil de producteur urbain. Ces nouveaux producteurs sont entièrement détachés de cette agriculture rurale et évoluent dans un contexte urbain. Il semble alors nécessaire de redéfinir le statut de l’agriculteur dont le rôle à changer. En plus de sa responsabilité nourricière, l’agriculture doit s’inscrire dans un projet proposant une cohérence culturelle et physique avec le monde urbain. La ville doit donc assumer une dimension productive nécessitant une transition de ses paysages, proposant un nouveau statut d’agriculteurs urbains et une diversité d’espaces de production. Il convient alors de redéfinir l’échelle des projets agricoles qui doivent s’inscrire dans une dynamique de proximité portée par les acteurs locaux divers afin d’être pertinents dans un contexte territorial et environnemental urbain. Cette dynamique agricole prend alors une valeur motrice indispensable dans l’espace urbain capable d’inventer de nouvelles formes urbaines et paysagères apportant une dimension productive significative. L’agriculture quitte ainsi son autonomie passée et tend à recréer du lien avec la population qu’elle a vocation de nourrir. Une forme d’hybridation serait souhaitable afin de retrouver une valeur environnementale, une pertinence territoriale urbaine et productive durable. Ces changements sous entendent de nouveaux outils et de nouveaux moyens publics encourageant ces formes d’agricultures plutôt que des subventions destinées à une agriculture de filière détachée de la société et largement soutenue et encouragée par la PAC et l’Europe. Aujourd’hui l’agriculture productive absorbe 40% du budget européen et de fait ne vit que grâce à l’argent public. Or nous avons vu au sein du parc des Jalles notamment, que des nouvelles échelles agricoles se développent et sont portées par les associations, les collectivités et autres orga-
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nismes avec la mise en place de réseaux bio au sein du MIN, de circuits-courts etc. Cette nouvelle échelle est significative d’une nouvelle révolution agricole et doit permettre de fabriquer un projet collectif et urbain susceptible de fabriquer de nouvelles images de l’agriculture. Magnaghi rejoint cette idée à travers des « villa-fermes »11 comme produits d’un nouveau paysage agraire où la dimension paysagère, résidentielle et productive trouvent un équilibre partagé. C’est dans cette idée de participer à un projet de société à la fois co-construit, local, pérenne, social et dynamique que l’agriculture devient une nouvelle manière de faire la ville et de donner un sens durable à ses territoires.
LA FABRIQUE D’UN PAYSAGE COMMUN ÉVOLUTIF ET NOURRICIER
Le paysage en métropole a tendance à être sanctuarisé avec les jardins publics, parcs et autres périmètre de protection tels que le PPEANP. Cette nature, trop souvent « muséifiée », n’a d’autre but que d’être contemplée, protégée, ou servir de support d’activité récréative et nécessite un entretien coûteux pour satisfaire les usagers. Le paysage devrait être un révélateur de la complexité et des usages d’un espace, un support de dialogue, de médiation et donc un possible vecteur de lien social. Il réunit et confronte autour de lui ceux qui le fabriquent, ceux qui le vivent, ceux qui le décident, ceux qui le voient. Il est alors un socle commun et partagé porteur de projet. Cette dimension de projet de paysage suggère un paysage en mutation support d’expérimentations, de projections pouvant donner naissance à de nouvelles formes spatiales, à une utilisation spécifique du sol. Les vides, les espaces ouverts, considérés parfois comme résiduels, et les délaissés deviennent alors « les figures génératrices du nouvel ordre territorial et urbain »12. Le « vide » doit jouer le rôle d’organisation des espaces urbanisés au sein de la métropole notamment grâce à sa valeur paysagère. L’agriculture participe à la diversification du paysage et constitue un moyen de préserver ces espaces ouverts 13. Elle devient une matière essentielle pour fonder un projet de paysage et de territoire et sortir des limites de parc, de PPEANP ou de jardins publics. En effet, la vision de parc est une vision urbaine ne suggérant pas l’hypothèse de projet. Apporter une vision dynamique au paysage semble être une manière nouvelle de penser la nature en ville et même de repenser la ville dans son ensemble. La notion de projet agricole permettrait de sortir de cette logique de documents directeurs qui visent uniquement à satisfaire des équilibres chiffrés (50% de surface urbanisé pour 50% de nature). Ce cloisonnement, d’autant plus lisible par la mise en place de ces périmètres de protections des espaces agricoles et naturels, ne permet pas une dynamique d’échange entre ville et nature. La valeur évolutive du paysage agricole est également source d’une richesse et d’une diversité observable au sein de la vallée des Jalles (cf figures 60 à 63). 11 12 13
MAGNAGHI Alberto, « Ecopolis : per una città di villaggi », Housing, n° 3, Milan, 1989
MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000 BENDIMÉRAD Sabri, « Vers une architecture des basses densités hautement soutenable», Densifier / Déden-
sifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018
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60. Diversité agricole - Les cultures maraîchères © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER
61. Diversité agricole et paysage évolutif- Les prairies de fauches © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER
62. Diversité agricole et paysage évolutif- - La maïsiculture © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER
63. Diversité agricole et paysage évolutif - La viticulture © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER
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L’agriculture, en plus d’entretenir le paysage, le fabrique et le fait évoluer au rythme des récoltes, des déplacements de troupeaux : c’est un espace vivant et mobile toujours renouvelé assurant ainsi une forme de durabilité. De plus, l’agriculture peut s’avérer utile pour de nombreux enjeux naturels comme la construction de zones tampons ou des « couloirs biotiques »14 reliant des systèmes environnementaux aux zones d’habitat dégradées, l’utilisation de zones de cultures comme outil de défense en zone inondable, la conception de filtres naturels pour le traitement biologique des eaux et l’irrigation etc. Souvent perçu comme le résultat produit par l’agriculture, le paysage est rarement compris comme le moyen possible de projet. À l’échelle de la métropole, l’agriculture peut être considérée comme un outil d’investissement des « vides urbains » que sont les friches, les espaces indéfinis crées par de nouveaux projets urbains constituant ainsi des micros paysages urbains productifs proposant à différentes temporalités de nouveaux usages urbains. Par exemple les cultures maraîchères et céréalières du PPEANP, pendant leur temps de jachère, peuvent servir à des usages récréatifs partagés participant ainsi à l’évolution et à la diversification du parc. En contre-partie, les maraîchers peuvent investir des vides urbains afin de diversifier leur activité. Le paysage urbain est alors en mouvement grâce à l’agriculture. Enfin, le paysage agricole peut donner lieu à de nouvelles représentations collectives de la nature en ville et de fait fabriquer une nouvelle identité de la ville en relation avec son sol et son territoire. Sa capacité à créer de nouvelles images à travers des paysages évolutifs, mobiles, sobres, productifs permettrait alors de porter un nouveau regard sur l’agriculture et d’en faciliter son insertion en territoire urbain. Les paysages agricoles hérités de la révolution industrielle souvent considérés comme monotones laissent alors place à des « paysages agricoles contemporains »15 support d’une diversité à l’échelle d’une société urbaine. Le paysage est à considérer non pas comme une résultante de l’activité agricole mais comme un réel outil de projet prenant en compte les caractéristiques agronomiques, fonctionnelles et esthétiques du contexte paysager. « Chaque projet agricole est ainsi un projet spatial et donc un projet de paysage en soi »16. Le projet agricole, à l’échelle de chaque exploitation, doit être en mesure de proposer de nouveaux paysages nourriciers orientés vers des productions diversifiées, qualitatives et de proximité tirant profit de chaque situation donnée et tissant des liens avec l’urbain. L’urbanisme agricole repose sur cette construction partagée de la ville de demain aboutissant à de nouvelles formes partagées. Le paysage comme outil de projet agricole permet ainsi de le formaliser spatialement et de l’envisager d’abord comme une construction et une dynamique spatiale inscrite dans un contexte donné. Le projet agricole est un projet de paysage productif qui se doit donc d’être pensé d’abord comme tel dans une visée de potentialités, de durabilités et d’ouvertures. La métropole devient alors un nouveau territoire possible pour l’agriculture. 14
TOSCANA Anci, Agricolture e territorio. Un laboratorio per lo sviluppo sostenibile della Toscana, Centro
A-Zetan, Firenze, 1996 15
FABRIQUES. Architectures Paysages «Urbanisme Agricole. Les paysages agricoles contemporains»,
http://www.fabriques-ap.net/ressources/urbanisme-agricole/ 16
JANIN Rémi, La Ville Agricole, Ed. Openfield, 2017
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LE PARC AGRICOLE, SUPPORT MULTIFONCTIONNEL ET PROJET DE TERRITOIRE
Cette notion de parc agricole à l’échelle urbaine s’inscrit dans la démarche d’un urbanisme agricole. On pourrait définir le parc agricole comme un dispositif pour limiter le recul des espaces agricoles périurbains utilisant des outils pour « valoriser les terres agricoles autour des villes, non seulement en tant qu’espaces de loisir et de détente pour les citadins mais aussi comme espaces productifs »17 et reconnecter la ville avec son agriculture. De nombreuses villes instaurent ce modèle dans une préoccupation contemporaine qui est de fixer les limites des agglomérations. Les pionniers en la matière sont les italiens avec notamment le Parc agricole de Milan dans un contexte très urbain (cf. figure 64) et celui du Prato qui est davantage pensé comme un projet intercommunal créant un réseau territorial (cf. figure 65). Ce type de parc peut émerger à partir d’espaces agricoles préexistants ou non et doit être conçu pour sa forme et sa vocation productive associée à une valeur d’espace public. Le Parc des Jalles, qui souhaite être support d’une multifonctionnalité par le biais d’espaces récréatifs conciliés avec espaces de production, est un territoire idéal pour installer ce dispositif. La vision du parc agricole émise par I. Bernetti à propos du territoire du Prato dans la région toscane est intéressante par son dépassement de « la zone protégée »18 typique du parc naturel. En effet, il compare le parc agricole comme « un laboratoire territorial, où se testent, de façon expérimentale, les hypothèses de projet soutenant une expérience de recherche-action »19. Force est de constater que ces notions manquent au Parc des Jalles et en particulier au PPEANP, vestiges d’une agriculture historique désormais fragile. Ces périmètres de protections écartent toute forme de projet, d’expérimentations in situ susceptibles d’impulser une dynamique au sein du territoire. Les parcs agricoles sont polyvalents et évolutifs proposant ainsi un partage entre usage productif et urbain : les chemins d’exploitation servant de chemin de randonnée (cf. figure 66), les bâtiments agricoles non utilisés et les zones de culture peuvent devenir support de loisirs (cf. figure 67) ou d’événements publics et urbains etc. Ils nécessitent donc d’être pensés et réfléchis par les acteurs du site et pas uniquement réglementé par les institutions. L’exemple du parc agricole milanais, créée en 1990 concernant 61 communes, se caractérise comme un parc de « ceinture métropolitaine » et s’inscrit entièrement dans le territoire métropolitain de Milan contrairement au Parc des Jalles très localisé sans articulation avec la métropole. La dynamique qu’il entretient est premièrement due à l’engagement des acteurs et leur rôle partagé dans la définition commune du parc et de son périmètre.
17
GIACCHÉ Giulia, « L’expérience des parcs agricoles en Italie et en Espagne : vers un outil de projet et de
gouvernance de l’agriculture en zone périurbaine », Géocarrefour, 2014 18/19 BERNETTI I., FANFANI D., MONACCI F., POLI D., RUBINO A, « Le parc agricole, instrument de l’aménagement stratégique multifonctionnel des espaces périurbains de la Toscane centrale », Vers des projets de territoires, vol. 2, Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, ENSP, Université de Nanterre, 2008.
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64. Le parc agricole sud de Milan © DIAP Politecnico di Milano
65. Plan territorial du parc agricole de la province du Prato © A. MAGNAGHI
66. Usages partagés dans un parc agricole à Clermont-Ferrand © FABRIQUES
67. Usages partagés dans le parc agricole du Sud de Milan © A. COZZAGLIO
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Ensuite, la coopération de ces acteurs à travers la gestion du parc et les modes de gouvernances associés participent également à une cohérence territoriale et une dynamique certaine. En effet, un projet faisant interagir des professionnels, des citadins, des aménageurs et des institutions nécessite une collaboration de chacun d’entre eux afin de définir un projet commun. Le parc est géré de manière située par deux animateurs G. Ferraresi et A. Rossi qui définissent le parc agricole comme une « structure territoriale qui vise principalement à la production primaire, à sa protection et sa valorisation, et même [...] à la jouissance culturelle, ludique, de loisirs, de l’environnement par les citoyens, en termes compatibles avec la destination principale ».20 Cette définition fait émerger l’idée de protéger mais surtout de développer l’activité agricole, la richesse environnementale, les paysages naturels et culturels. Le parc réussit à articuler cette diversité d’usages et porte l’accent sur une productivité à l’échelle de la métropole. De plus, il tend à entretenir un lien fort avec la ville qu’il soit économique à travers la production agricole, ou social avec sa multifonctionnalité. Sa dynamique est encore très vive avec des projets comme «Metrobosco» qui développe de nouveaux systèmes agroforestiers en lien avec des activités récréatives autour de la métropole de Milan (cf. figure 69). Toutefois, il est intéressant de voir qu’avec une surface de 46000 hectares, le parc a connu des difficultés à être géré dans son ensemble avec notamment les acteurs ne se reconnaissant pas dans un périmètre aussi grand. Des sous-espaces se sont alors crées pourvus d’une spécificité plus locale en terme de limite, de paysages, d’histoire et de culture (cf. figure 68). Ces « sous-parcs » connaissent aujourd’hui une reconnaissance sociale notamment grâce à une forte collaboration entre agriculteurs et citadins. Cela permet aujourd’hui une meilleure gestion et une fréquentation importante. Cet entrelacement d’échelles de parc permet de mettre en évidence qu’une dimension métropolitaine est compatible avec des structures plus restreintes donc plus locales caractérisées par un fonctionnement quasi autonome. On peut imaginer le Parc des Jalles comme un élément intercommunal proposant des usages locaux qui s’inscrivent dans un système de parcs métropolitains. Ces parcs permettent une « légitimité singulière à l’enjeu agricole par rapport au fait métropolitain »21. Ces parcs tendent à renouveler les valeurs agricoles à travers de nouveaux modèles d’exploitation et de dynamiques de projets très vives comme le projet Metrobosco qui se concentre sur la ceinture de Milan. Le parc agricole devient, dans un contexte d’agglomération, un outil agissant sur la maîtrise des espaces et favorisant le renforcement des liens oubliés entre ville et agriculture. Il nécessite une coordination entre les multiples acteurs (citoyens, agriculteurs et institutions) afin de répondre à un projet de territoire conçu comme un lieu de partage et un projet d’agriculture. Le parc agricole suggère un pacte social où les acteurs sont engagés sur
20
FERRARESI Giorgio, ROSSI Anna, Il parco come cura e coltura del territorio. Un percorso di ricerca sull’ipotesi di parco agricolo, Brescia, Grafo Editore, 1993
21 Xavier GUILLOT, «Équité territoriale et altermétropolisation», Espace rural et projet spatial vol.6, Ruralités et métropolisation. A la recherche d’une équité territoriale, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2016 22 MAGNAGHI Alberto, «Politique et projets de territoire pour le repeuplement rural», Visions et politique du territoire. Pour une nouvelle alliance entre urbain et rural, Cahiers du Territoire, n° 2, 2012
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68. Exemple d’un sous espace compris dans le parc agricole milanais - Il Parco delle Risaie © G.GIBELLI
69. Le projet «Metrobosco» - de nouvelles typologies agroforestières © MULTIPLICITY LAB
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le territoire afin d’articuler de nouvelles formes de relations entre ville et agriculture et de fonder une nouvelle gouvernance alimentaire créatrice de relations socio-économiques durables. «Le parc agricole multifonctionnel, au contraire du parc naturel, est une forme vaste, car il réalise de nouvelles économies intégrées entre ville et campagne, de nouvelles formes et applications de la production agro-forestière ; il s’agit donc d’une forme de parc potentiellement extensible à tous les espaces. »22
2 / LE PARC DES JALLES, SUPPORT D’UN PROJET AGRICOLE URBAIN À L’ÉCHELLE MÉTORPOLITAINE? Au sein du Parc des Jalles, nous avons vu que les zones agricoles ont une fonction paysagère, d’espace de respiration, et jouent le rôle d’infrastructures vertes dans l’aménagement du territoire (du moins d’après les documents d’urbanisme). Trait d’union entre le milieu rural et urbain et situé en périphérie métropolitaine, le territoire des Jalles est au coeur des enjeux urbains tels que l’étalement et l’artificialisation du sol. Il est situé en fin de ville ce qui lui confère une responsabilité quant au futur de la métropole et de ses limites. Les différents enjeux tels que la densification, le renouvellement urbain et la préservation d’espaces naturels ne peuvent-ils pas être réconciliées au travers d’une dimension agricole métropolitaine? Un processus de «réconciliation» entre système urbain et système nature sous-entend une connaissance des milieux et des visions transversales entre l’artificiel et le naturel, le perméable et l’imperméable, le bâti et le non bâti, le cultivé et le naturel. Le territoire des Jalles, par son ouverture spatiale (et non institutionnelle), sa situation périurbaine et son potentiel agricole, semble disposer des qualités essentielles au fondement d’un projet agricole urbain. Ayant pris conscience d’une transition agricole et urbaine nécessaire, cette partie propose de s’intéresser au territoire des Jalles comme moteur potentiel d’une «réconciliation» territoriale. Ce territoire est-il alors en mesure d’amorcer un processus de reterritorialisation métropolitaine ? Doit-il s’affranchir de ses limites réglementaires?
ENTRE PAYSAGES NATURELS ET PAYSAGES FAÇONNÉS
Le Parc des Jalles est caractérisé par la vallée des Jalles qui est un « réservoir de biodiversité » proposant des paysages à la fois naturels et domestiqués par l’homme. Cette vallée, qui porte le nom des ruisseaux qui s’écoulent d’est en ouest, est située au nord-ouest de Bordeaux et se développe sur douze kilomètres de long et présente une continuité naturelle importante : c’est la plus grande « coulée verte » de Bordeaux. Zone humide, riche d’une faune et d’une flore d’une grande diversité, les Jalles accueillent le premier site de captage d’eau potable de la Communauté urbaine de Bordeaux, et
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demeurent le lieu d’une activité de maraîchage traditionnel, de culture de céréales et d’élevage. Rappelons que ce territoire fait aujourd’hui l’objet de différents périmètres de protection (ZNIEFF 22, Natura 2000, PPEANP) qui tentent de protéger et de valoriser les espaces naturels et agricoles afin d’en conserver la biodiversité existante. Cette vallée est située au carrefour de différentes entités paysagères et propose une cohabitation entre paysages naturels et maîtrisés intéressante par sa diversité. Cependant l’équilibre reste fragile et les multiples protections appliquées suscitent des interrogations quant à leur efficacité et leur cohérences entre elles. À l’ouest de la vallée des Jalles, la forêt des Landes s’étend jusqu’à l’océan, au nord c’est le début du plateau du Médoc essentiellement viticole, à l’est ce sont des paysages de bords de Garonne entre marais et bourrelets alluviaux et au sud on trouve des paysages urbanisés en contact avec la métropole. A l’intérieur de cette vallée se conjuguent paysages de cultures, marais, boisements, paysage de bocage 23 et un réseau hydrographique caractéristique (cf. figure 70) . La vallée des Jalles constitue une zone d’anciens marais qui ont été annexés et asséchés au XVIIIème siècle par un système de drainage de canaux et de trame bocagère permettant ainsi de cultiver ces terres (cf. figure 71). Cette vallée connait également au XIXème siècle des travaux pour l’approvisionnement en eau de la ville grâce à un système d’aqueduc souterrain de douze kilomètres de long. Aujourd’hui cette zone de captage fait l’objet d’un périmètre de protection. Malgré ce territoire aménagé par et pour l’homme depuis trois siècles, la vallée connait en 1952 une grande inondation classant la zone comme inondable. Les travaux effectués au sein de ce réseau hydrographique dans le but d’aménager ce paysage de manière à en tirer profit avec le système d’aqueducs et d’endiguements ou d’autres aménagements comme les infrastructures routières nécessitant des talus qui perturbent l’écoulement des eaux ont entraîné une fragmentation du réseau hydrographique24. Ceci cause des problèmes en terme de continuité écologique nécessaire au renouvellement des espèces. Le réseau hydrographique des Jalles (ou de Thil Gamard) est très singulier et propose de nombreux paysages aquatiques naturels et aménagés : les marais (ou palus), les étangs de Bruges, les digues etc. (cf. figures 72 à 77). Ce réseau fait aujourd’hui l’objet d’une zone de protection Natura 2000 qui concerne la gestion de l’eau et vise à limiter l’euthrophisation par un bon écoulement des eaux, à maintenir des dynamiques naturelles du niveau d’eau etc. Le caractère humide du territoire permet la présence d’une grande biodiversité avec notamment des paysages boisés (autour des sources de captage, dans les parcs de Bordeaux Lac et du coteau de Blanquefort), des formations herbacées différenciées en fonction du degré d’humidité du sol (roselières, joncs, graminés, prairies sèches) et une faune très caractéristique. 22
la ZNIEFF est une Zone d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Florisitique. Elle décrit des secteurs présentant de fortes capacités biologiques et un bon état de conservation 23 Le paysage de bocage est un ensemble de prairie et de champs bordés par des chemins formant un paysage spécifique à l’agriculture 24 LAVIGNE Cédric, «Étudier les dynamiques paysagères dans les démarches de projet : pour quoi faire ? L’exemple de la vallée des Jalles (Gironde)», Carnet de paysage, n°27, 2015
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70. Un territoire marqué par l’eau - un réseau hydrographique caractéristique © AGENCE TER
71. Un territoire de marais aménagé et asséché au XVIIIème© C. MASSE, 1724
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72. Endiguement d’un canal © AGENCE TER
73. Endiguement d’une jalle © AGENCE TER
74. Sillon de jalle © AGENCE TER
75. Étang de Bruges © AGENCE TER
76. Zone des marais de Bruges © AGENCE TER
77. Les Berges de Garonne © AGENCE TER
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Ce milieu naturel habité propose une diversité de paysages naturels avec les marais de Bruges, les bois des Sources, la réserve naturelle de Bruges ou encore les berges de Garonne qui ont su résister à l’urbanisation souvent grâce au caractère inondable de la zone ou à leur appartenance à un périmètre de protection. Par exemple, le marais de Bruges est classé en réserve naturelle nationale depuis 1963 afin d’en préserver la biodiversité. Cet espace naturel de 262 hectares est en réalité un enclos délimité et surveillé. Son caractère ouvert qui permettait de le traverser n’est aujourd’hui révolu. Ce territoire, situé dans un contexte périurbain, tend à s’enclaver et ne dialogue plus avec son environnement. De plus, la zone des marais de Bruges fait l’objet d’une législation Natura 2000 comme pour le réseau hydrographique ce qui signifie une autre autorité, une autre législation. Cet empilement institutionnel semble inutile et ces périmètres de protection doivent requestionner les enjeux actuels d’une urbanisation croissante et pressurisante dans une vision d’intégration plutôt que de repli. En plus de proposer une biodiversité riche et diverse, ce réseau hydrographique a permis l’installation de cultures agricoles encore présentes aujourd’hui. Depuis le XVIème siècle, le territoire des Jalles est le lieu de la tradition du maraîchage qui s’intensifie nourrit significativement la ville de Bordeaux de 1789 à 1924. Aujourd’hui, les cultures maraîchères sont irriguées par le lit majeur de la Jalle de Blanquefort, des prairies et élevages sont présents dans les terres humides du marais et des cultures maïsicoles situées sur le bourrelet alluvial de la Garonne (au Nord de la vallée) sont irriguées grâce à ce réseau aménagé par l’homme. La vallée réunit actuellement la quasi totalité des derniers agriculteurs non viticulteurs de la métropole 25. L’agriculture, très présente dans la vallée, occupe 72 % des 4 800 hectares de la surface du Parc des Jalles (cf. figure 78). Cela traduit une grande qualité agronomique du sol pour des cultures diversifiées : maraîchage, maïs, fourrages etc. En plus d’un réseau hydrographique caractéristique ce territoire propose des paysages façonnés divers comme des champs, des prairies des structures bocagères etc. « Les formes produites par l’agriculture génèrent la structure du paysage agricole. La configuration spatiale d’un paysage agricole concerne aussi bien les caractéristiques topographiques d’un ensemble de parcelles (forme, taille, localisation) que les relations spatiales et fonctionnelles avec d’autres éléments du paysage. »26 En effet, ces différentes entités s’imbriquent entre-elles et dialoguent avec le paysage naturel. Nous avons vu précédemment que ces paysages sont évolutifs, mobiles et fabriquent de nouvelles images contemporaines de l’agriculture. Malgré une faible proportion de surfaces cultivées (environ 250 hectares dans l’ensemble de la vallée), le maraîchage regroupe une majorité des exploitants de l’agriculture du secteur. Du fait de sa déprise croissante depuis des années faute de repreneurs (entre autre),
25 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain, entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas duparc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires,
vol. 2. Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, Université de Nanterre, 2008. 26 NAPOLÉONE Claude, SANZ SANZ Esther, « Intégrer les espaces agricoles dans la planification urbaine » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014
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78. Occupation agricole des sols du Parc des Jalles © AGENCE TER
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l’activité maraîchère concentrée majoritairement dans la partie sud de la vallée des Jalles au sein du fameux PPEANP. L’agriculture représente 54% des 785 hectares du PPEANP mais seul 130 hectares de terres sont réellement exploités. Le développement des friches agricoles s’accélère fortement. Bien que ces friches participent à la diversité paysagère de la vallée, elles sont source d’une fragmentation des parcelles agricoles. Elles n’appartiennent ni au paysage naturel ni au paysage agricole ; elles ne représentent plus d’intérêt écologique et économique. Cette description brève des paysages de la vallée des Jalles permet de mettre en évidence une cohabitation complexe et riche entre paysages agricoles et naturels. Cet écosystème semble fragile entre autre avec l’activité humaine qui provoque de nombreux dysfonctionnements et des risques dûs au découpage des lieux, à l’ignorance de ses dynamiques et des caractéristiques qu’ils ont acquises au cours du temps.27 Nous avons vu précédemment, combien il est important de connaître les caractéristiques du sol, des données environnementales afin d’apporter une réponse en accord avec le milieu. Au sein de la vallée des Jalles, les zones considérées comme à préserver deviennent alors des enceintes « protectrices » où de nombreuses autorités légifèrent et s’additionnent entre elles. Le caractère inondable de la zone semble être le seul garant réellement efficace de sa protection vis à vis de l’urbanisation. Mayté Banzo et Laurent Couderchet décrivent la vallée des Jalles comme un « espace résiduel »28 par sa fermeture progressive mais ce territoire semble être en capacité par son potentiel agronomique et naturel de réaffirmer son ouverture et devenir un espace traversant qui dialogue avec son contexte.
UNE SITUATION PÉRIURBAINE À EXPLOITER
Ce site du Parc des Jalles, malgré ses qualités éco-environnementales indéniables, comporte de nombreux facteurs favorisant son l’enclavement. Il s’agit d’une zone périurbaine autrefois très active en agriculture mais qui aujourd’hui est bordée d’une urbanisation d’habitat diffus et de zones d’activités et commerciales. Nous constatons actuellement que les constructions récentes tournent le dos aux champs agricoles. « Est-ce pour ne pas les voir ? Ou n’est-ce pas plutôt par crainte de la réversibilité de ces terres, lesquelles pourraient bien subir à leur tour une nouvelle tranche d’urbanisme aléatoire sans projet collectif ? » 29 Il en résulte une ligne ayant plus l’aspect d’une frontière brutale que d’une interface d’échange entre le système urbain et le système nature. Voici quelques situation d’interfaces problématiques où l’hybridation des deux systèmes est peu intégrée.
27 LAVIGNE Cédric, «Étudier les dynamiques paysagères dans les démarches de projet : pour quoi faire ? L’exemple de la vallée des Jalles (Gironde)», Carnet de paysage, n°27, 2015 28 BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent, « Agriculture et gestion de l’espace urbain, entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas duparc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise », Vers des projets de territoires, vol. 2. Les agricultures périurbaines, un enjeu pour la ville, Université de Nanterre, 2008. 29 VILAN Luc, VIDAL Roland, « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018
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Premièrement, on trouve la zone d’activité de Carès-Cantinolle à Eysines. Sa qualification de zone d’activité lui confère un rôle de zone de passage sans réel lien avec le territoire et son environnement. Elle est située dans la partie Est de la vallée maraîchère soit au Sudest du Parc à la rencontre de deux axes très passants (cf. figure 79). Cette zone affiche une forme d’autonomie dans le paysage. Elle propose des commerces, une station essence, des hôtels, un supermarché le tout entouré d’un habitat diffus. Cet espace commercial sans qualité urbaine, s’est bâti aux dépens de surface agricole et devient aujourd’hui porteur de projet de logement dans un cadre Zone d’Aménagement Concerté (ZAC). C’est un projet urbain important qui sera desservi par les infrastructures métropolitaines comme le tramway. Ce projet souhaite densifier la zone diffuse actuelle et proposer un lien avec la nature 30 et peut devenir une porte d’entrée du parc et donc créateur potentielle de dynamiques entre paysages et urbanités (cf. figure 80). Aujourd’hui ce n’est toutefois qu’une entité urbaine sans interaction avec le paysage. Dans la partie Nord du Parc, on recense le pôle industriel de l’Éco parc de Blanquefort qui est un espace de logistique et de commerces de gros. Tout comme la zone Cantinolle, ce pôle est en contact direct avec le Parc (cf. figure 81). C’est un bassin d’emploi très important avec pas moins de 3 800 emplois générés. Les différentes industries sont littéralement coupées des plans d’eaux et du paysage des Jalles par une route. Aucun aménagement n’est réalisé en berge de ces plans d’eaux pour entretenir ne serait-ce qu’un lien visuel. Cependant des scénarii sont envisagés et visent à apporter une diversité d’usages à travers des « zones mixtes » souhaitent « affirmer la relation avec le Parc des Jalles dans une dimension de développement durable » 31(cf. figure 82) On remarque que ces liens sont très théoriques et que le développement durable ne se résume pas à quelques percées visuelles et des corridors écologiques. Au sud, le pôle industriel de Bruges est également une zone d’activité et un bassin d’emploi significatif de 2 970 personnes. De même que les deux situations précédents, cette zone s’est construite aux dépens de parcelles agricoles et naturelles. Elle consomme un grand nombre d’hectares affichant une faible densité de bâti dû entre autre à la nécessité de grandes infrastructures. Enfin, il est nécessaire de traiter la question des axes routiers sous influence de la rocade nord de Bordeaux. On compte plusieurs infrastructures qui ont un impact plus ou moins direct sur cet espace naturel et agricole. Certains axes le traversent, d’autres le longent. D’après une étude de A’ Urba sur les déplacements routiers, le trafic est partagé entre des trajets domicile-travail et un trafic de poids lourds qui dessert les différents pôles industriels comme ceux cités ci-dessus. Ces infrastructures, en plus de perturber la biodiversité des lieux par leur mise en place, divise le territoire physiquement et va à l’encontre d’une continuité paysagère affirmée et souhaitée par les collectivités.
30 31
LA FAB, «Zone d’aménagement concerté (ZAC)- Eysines-Cares-Cantinolle - Dossier de réalisation», 2015. A’Urba, «ÉCOPARC - BLANQUEFORT. Diagnostic et orientations d’aménagement», Rapport d’études, 2008
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79. Situation de la future ZAC de Carès-Cantinolle à Eysines © A’URBA
81. Situation de la future zone Écoparc de Blanquefort © A’URBA
80. Plan du projet ZAC de Carès-Cantinolle à Eysines © ADH
82. Plan des orientations du projet Écoparc à Blanquefort © A’URBA
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Ces situations révèlent un espace périurbain de lisière de parc constitué d’un urbanisme diffus avec la présence d’une juxtaposition entre zones habitées, zones commerciales et zones d’activités stériles en terme de production nourricière. Ces espaces de lisières offrent pourtant des perspectives d’une ville agricole par leur situation d’entre-deux comme le montre l’étude des bords de l’Agence Ter. Autrefois au bord de la ville et profitant d’une situation d’ouverture entre ville et campagne, la zone agricole subit aujourd’hui un enfermement progressif. Elle est désormais prise spatialement à l’intérieur d’une urbanisation qui n’a pas été réfléchie en fonction du contexte naturel et agricole. Le périmètre du PPEANP est presque entièrement enclavé par des zones bâties qui lui « tournent le dos ». Au lieu de subir cet enclavement et cette enceinte urbaine pressurisante, ces espaces agricoles peuvent à l’inverse impulser un véritable parc agricole profitant de la porosité caractéristique du tissu périurbain. Ce parc devienrdrait alors une réelle armature de la métropole proposant une lecture nourricière. Nous avions parlé dans la définition de l’urbanisme agricole de la nécessité d’une hybridation agricole susceptible d’apporter une dimension urbaine à l’agriculture périurbaine. Cette hybridation nécessite alors de nouvelles formes agricoles, une évolution du système agraire de la zone affirmant ainsi le caractère identitaire agricole et urbain de la vallée. «Il faudrait, en d’autres termes, que la limite qui sépare l’agriculture de la ville prenne une réelle épaisseur pour que puissent s’y développer des relations entre les deux mondes»32. Actuellement cette limite est réduite à l’épaisseur d’un trait sur les documents d’urbanisme. Le contexte périurbain, par sa porosité et sa faible densité offre des interstices, des délaissés, des espaces non valorisés en particulier pour les zones d’activités et commerciales. Ces interstices urbains représentent un potentiel d’échange entre le monde agricole et le monde urbain pouvant s’avérer bénéfique. En effet, ils peuvent permettre une densification agricole par l’exploitation maraîchère, la culture de fourrage ou tout simplement l’entretien et la valorisation des espaces par des animaux en pâture. On peut également imaginer des systèmes de récupération de eaux de toitures des hangars totalisant de nombreux mètres carrés au profit de l’irrigation des cultures d’interstices. En ce qui concerne l’habitat pavillonnaire en bordure de parc, il est facile d’imaginer des espaces communs de jardins ou de vergers créant une interface durable entre zone agricole et urbaine. Enfin, les nouveaux projets de ZAC et de restructuration prévue pour ces zones en contact du parc pourraient devenir alors une extension des espaces naturels et un support d’agriculture. Ceci nécessite selon les R. Janin, de laisser les sols à fort potentiel agronomique libres et de densifier sur les sols les moins intéressants 33 mais surtout une prise en considération de l’espace agricole et naturel dans la valeur du projet urbain. Reprenant le principe des bords de l’Agence Ter, la notion de lisière du parc devient une épaisseur de projet et d’hybridation entre ville et agriculture et participe à une « ouverture » du monde agricole sur la ville. Cette épaisseur est à considérer de manière plus consistante que la simple «terrasse des jalles» proposée par l’équipe Ter.
32 VILAN Luc, VIDAL Roland, « L’orée des champs», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 33
JANIN Rémi, La Ville Agricole, Ed. Openfield, 2017
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ENVISAGER UN RAYONNEMENT AGRICOLE MÉTROPOLITAIN
Selon les territorialistes italiens, le parc agricole doit être à porteur d’ouverture vers l’extérieur. De ces notions d’interstices, de délaissés urbains, d’inter-dépendances entre agriculture et ville découle l’idée d’une mise en réseau des différents espaces naturels au potentiel productif au sein de l’agglomération. Il semble que l’échelle de la métropole soit la plus adaptée à un réel projet agricole urbain et cela sous-entend une analyse du territoire et un recensement des vides urbains comportant un potentiel agronomique ou susceptibles d’assurer une fonction agricole (pâture, fourrage, etc.). Le territoire périurbain, comporte de nombreux « vides » que les plans d’urbanisme cherchent souvent à remplir par des projets urbains sans relations au territoire. Il est nécessaire de reconsidérer le sol dans une valeur d’usage agricole ou d’intérêt environnemental plutôt que d’encourager l’artificialisation excessive de celui-ci. P. Vigano affirme qu’ «il faut cesser de considérer que le sol de la ville-territoire, de la ville diffuse, de la métropole horizontale, est compromis ; il faut y voir une ressource essentielle pour son fonctionnement écologique et social, pour son paysage. (...) Imaginer des stratégies de projet fondées non seulement sur une meilleure connaissance des sols urbains et des formes de villes auxquels ils correspondent, mais aussi sur une prise en compte du sol et sur sa valorisation comme ressource, que ce sol soit délaissé, cultivé ou paysagé.»34 L’agriculture semble être une réponse possible à cet enjeu à la fois écologique, social et paysagé utilisant le sol comme ressource et définissant la qualité agronomique de ceux-ci. D’après Pierre Janin, architecte, affirme que dans les territoires périurbains, « l’activité agricole permet de donner un usage structurant et utile » à ces espaces urbains non qualifiés. Si on reprend la carte de l’occupation agricole des sols de la métropole (cf. figure 22) on remarque que l’agriculture hors viticulture intra-rocade est quasi inexistants. Si on compare à la carte faisant l’inventaire des bords ville-nature (cf. figure 83), on s’apperçoit qu’ils sont nombreux et correspondent en majorité à des espaces de parc et de jardins publics ou des bords d’infrastructures (bords de routes principalement). Ces espaces métropolitains de loisirs ou autres peuvent être mis au service d’un usage agricole. Cela reprend l’image d’Écopolis de A. Magnaghi où l’agriculture constitue le code génétique de l’identité des lieux et « dans les espaces verts périurbains, on a multiplié le potagers mais réduit au contraire le nombre de parcs. »36 Il est possible d’envisager que les parcs publics, entre autre, quittent leur fonction de « sanctuarisation » de la nature pour participer à une dimension nourricière métropolitaine avec l’implantation de vergers et autres cultures, où les friches urbaines servent de pâtures aux éleveurs, avec le développement de la culture hors sol sur les sols à faible intérêt agronomique ou pollués etc. Ces exemples sont sources d’une nouvelle mobilité agricole
34
VIGANO Paola, « Préface », Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 35 JANIN Pierre, «Inventer des fermes collectives, BatiActu : https://www.batiactu.com/edito/partage-l-urbanisme-agricole-reinventer-les-fermes-54390.php 36
MAGNAGHI Alberto, « Ecopolis : per una città di villaggi », Housing, n° 3, Milan, 1989
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22.. La répartition des espaces agricoles sur la métropole de Bordeaux © AGENCE TER
83. Inventaire des bords ville-nature en métropole © AGENCE TER
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et paysagère où l’espace urbain devient un support multifonctionnel capable d’améliorer l’autonomie alimentaire de sa population. Certaines pratiques sont visibles en métropole bordelaise comme les bergesr urbains depuis une dizaine d’années. Ces bergers organisent une transhumance reliant les éleveurs de Blanquefort à Villenave-d’Ornon en passant par le centre de Bordeaux (cf. figure 84). Ce principe de berger urbain émerge du constat d’une disparition fulgurante des espaces agricoles en milieu urbain au profit de l’urbanisation et de son étalement. Cette initiative est déjà présente dans de nombreuses villes et permet de faire prendre conscience que la ville béton est nourricière (cf. figure 85). Cette pratique est d’utilité publique car elle solutionne partiellement l’entretien coûteux des espaces sans usage ou fonction particulière comme les bords de route, les zones industrielles. Selon Julie Lou Dubreuilh et Guillaume Leterrier, deux bergers urbains implantés en Seine-Saint-Denis, cette pratique permet de « recréer une relation entre la population et l’animal, lien brisé par l’industrialisation de l’agriculture et sa relégation loin des villes. »37 On peut imaginer que ces bergers urbains initient un réseau de situations agricoles en métropole par la transhumance valorisant ainsi les bâtiments inutilisés, les surfaces délaissées dans une logique productive et pas seulement d’entretien. Ce procédé permet aussi de favoriser l’ouverture des espaces naturels dans un contexte urbain et d’intégrer pleinement des usages partagés de ces espaces (cf. figure 86). Une notion complémentaire à ces bergers urbains définie par R. Janin est celle des estives urbaines 38 (cf. figure 87) comme vecteur d’un nouveau visage agricole. Ces estives permettent de revaloriser les délaissés urbains en investissant des zones pâturables ce qui offre aux éleveurs de nouvelles possibilité en termes de surface nourricière pour leurs animaux qui, en milieu rural, changent de pâtures en fonction des saisons. On peut citer un exemple intéressant d’estive urbaine dans la ville de Saint-Foy-les-Lyons où la commune a proposé à un éleveur de pâturer un espace classé en zone naturelle sans usage spécifique et qui devenait trop coûteux en entretien. La commune a procédé un défrichement et l’éleveur s’est alors engagé à entretenir l’espace grâce à quelques bovins39. Cet exemple montre d’une part la formation d’un nouveau type d’espace agricole en milieu urbain (avec la mise en place d’une forme d’estive urbaine) mais surtout une nouvelle manière d’appréhender l’espace urbain comme nouveau territoire productif. Ces estives urbaines peuvent être alors considérées comme un exemple de parc agricole utilisé dans une dimension productive mais également récréative au travers de parcs de loisirs, d’accueil d’événements estivaux etc. Pour parvenir à établir un projet agricole urbain il semble plus pertinent de considérer l’ensemble du territoire de la métropole et de son sol comme support d’une nouvelle forme d’agriculture et d’usages urbains. Nous avons constaté qu’un simple parc intercommunal aux limites fortement affirmées tel que le Parc des Jalles ne parvient pas à affirmer une position métropolitaine et affiche une forme d’autonomie contestable. Le territoire de la vallée des Jalles et son agriculture, auraient bénéfice à trouver
37
DELOURME Vianney, «Les Bergers urbains inventent la transhumance en ville», https://www.enlargeyourparis.fr/societe/les-bergers-urbains-inventent-la-transhumance-en-ville 38
FABRIQUES. Architectures Paysages «Urbanisme Agricole. «Les estives urbaines»,
http://www.fabriques-ap.net/ressources/urbanisme-agricole/
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84. Les bergers urbains en transhumance à Bordeaux © T. DAVID
85. Les bergers urbains en transhumance en Seine Saint Denis © D. MEYER
86. Ouverture spatiale et usages diversification des usages à Lyon © FABRIQUES
87. Le principe d’estive urbaine à Lyon © FABRIQUES
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une résonance dans ces espaces délaissés ou monofonctionnel (cf. figure 88) de la métropole afin d’assurer une transition agricole en relation avec la ville. L’agriculture des Jalles, qu’elle soit maraîchère, céréalière ou d’élevage, en s’infiltrant dans la métropole pourrait structurer le développement foncier et insuffler une valeur nourricière durable et de s’affirmer ainsi en milieu urbain. « Faire de la ville un projet agronomique à part entière, à percevoir le sol pour sa valeur vivante et nourricière et non comme une surface inerte de développement, à le concevoir comme l’épaisseur unique et fragile de notre déploiement. »39 Cette mise en réseau urbaine peut être également la source d’une forme de culture agricole hybridant la culture urbaine à l’agriculture et créant de nouvelles formes spatiales qui ont entièrement leur place en territoire périurbain. Il existe un exemple parisien qui est la parfaite illustration. Il utilise l’agriculture urbaine comme véritable outil de projet partagé dans un contexte très dense parisien proche de la Défense : c’est l’exmple de la Ferme du Bonheur. Cette ferme située à Nanterre est co-gérée entre universitaires et personnes en réinsertion. Elle développe une activité culturelle (cf. figure 89) et agricole (cf. figure 90) complémentaires permettant l’interaction entre différentes classes sociales (handicapés, SDF, élite parisienne etc.) ; c’est un modèle « hybride, agricole, citadin »40 confrontant les systèmes urbains et ruraux au sein d’un petit périmètre urbain. Elle souhaite développer un projet d’observatoire de « l’agroculture urbaine » souhaitant réhabiliter l’ancienne école d’architecture de Nanterre. Ce projet permet une interaction entre les deux sites avec une complémentarité des zones de cultures, de pâtures mais également qui vise à apporter un « environnement stimulant leur recherche spécifique agricole, mais aussi culturelle et sociale »41. Cette multipolarité diversifiée peut être imaginée déployée à plus grande échelle via une mise en réseau créant des sites spécialisés, culturels à but avant tout agricole. Enfin, cette ferme porte un intérêt sociétal, pédagogique, expérimental à la fois à l’échelle locale mais aussi métropolitaine par sa diversité d’acteurs, d’activités, de savoirs-faire etc. Les « thématiques agroculturelles peuvent (et doivent) participer à la création de cette nouvelle citoyenneté métropolitaine »42. On constate avec cet exemple qu’agriculture et culture ne sont pas incompatibles et surtout en milieu urbain où l’aspect culturel - déjà très affirmé - peut servir une « cause » sociale source d’une nouvelle identité urbaine à Bordeaux métropole. On peut facilement imaginé une intégration urbaine de l’agriculture des Jalles (entre autre) au sein de la ville de Bordeaux par le biais d’une dimension culturelle affirmée par les agriculteurs. Cette agroculture représenteune vraie porte d’entrée de l’agriculture au monde urbain et du monde urbain à l’agriculture. Toutes ces raisons permettent d’entrevoir une agriculture des Jalles engagée et identitaire pouvant devenir un service public hautement productif en terme d’environnement, d’économie, de paysages, de société et de culture. 39
JANIN Rémi, «Agriculture, la révolution urbaine», Openfield numéro 11, Juillet 2018 FERARU Andreï, HOLLARD Arnaud, « Générations spontanées ou l’agriculture (hyper)urbain » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2014 40/41
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88. Recensement des délaissés urbains productifs dans une projection de mise en réseau à Roannes © FABRIQUES
89. L’agroculture urbaine à Nanterre © LA FERME DU BONHEUR
90. Un berger en pâture - La Ferme du Bonheur © O. RAVOIRE
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CONCLUSION : VERS UNE MÉTROPOLE AGRICOLE SOUTENABLE ? Cette hypothèse de l’urbanisme agricole semble possible en métropole bordelaise et pourrait même s’avérer une donnée d’utilité publique. Cette forme d’urbanisme assurerait ainsi une transition agricole et urbaine qui doit s’inscrire dans un projet de requalification territoriale nécessitant la définition d’outils conceptuels, méthodologiques et opérationnels : cela implique un investissement généreux de la part des collectivités locales mais également d’une interaction forte entre « savoirs experts et ressources locales »42. En effet cette transition n’est possible qu’à travers une collaboration étroite entre institutions, élus et agriculteurs, habitants, aménageurs etc. L’urbanisme agricole par le biais d’un projet agricole urbain entier donne un sens à une conception du territoire et de la ville non pas « en termes de zonages et de répartitions mais en termes d’articulations et d’interdépendances »43 des acteurs, des milieux, des pratiques. C’est dans une culture de valorisation des ressources du milieu et notamment du sol que l’on pourra prétendre à une reterritorialisation. On assiste aujourd’hui à l’apparition de nombreuses «niches d’innovation radicale»44 qui se traduisent par des initiatives citoyennes agissant concrètement sur leur territoire comme les néo-agriculteurs de la Ferme du Bonheur, les bergers urbains de Bordeaux où le développement des circuits-courts. Selon X. Guillot, ce sont ces niches qui constituent les «leviers d’une rupture en faveur d’une transition»45. Ces initiatives apparaisent «au bas de l’échelle» et témoignent de l’émergence d’un nouveau cycle urbain et agricole. Ce nouveau cycle sous entend d’en saisir les conséquences politiques, sociales et environnementales. D’après P. Vigano, ce nouveau cycle urbain est « l’opportunité d’une réflexion projectuelle sur la transition et sur le rôle de la structure spatiale de l’urbanité diffuse, en la pensant comme un espace d’inclusion, et pas d’exclusion : une métropole poreuse et horizontale» 46 où la structure spatiale serait l’agriculture définissant ainsi des règles, constituant une armature d’un milieu périurbain poreux, horizontal mais assumé. La ville poreuse serait alors une ville dense de «lieux significatifs, qui donne de l’espace à l’eau et aux échanges biotiques, où la biodiversité se diffuse par percolation et les parcs ne séparent pas, qui se transforme par stratification »47. La mise en réseau des espaces agricoles du territoire des Jalles dans la métropole, reliant des «noyaux de nature productive et naturelle», permettrait alors le maintien durable d’une biodiversité, de constituer les limites de l’urbanisation et d’affirmer une dimension nourricière significative pour une métropole soutenable. 42
MORELLI Roberta, « Densification pavillonnaire : de l’évolution environnementale au projet de territoire», Densifier / Dédensifier. Penser les campagnes urbaines, Parenthèses, Marseille, 2018 43 CATTAN Nadine, BERROIR Sandrine, « Les représentations de l’étalement urbain en Europe : essai d’interprétation », La Ville Insoutenable, Belin, 2006 44/45 GUILLOT Xavier, Espace rural et projet spatial vol.6 Ruralités et métropolisation. A la recherche d’une équité territoriale, Publications de l’Université de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2016 46 VIGANO Paola, « The Horizontal Metropolis », Infinite Suburbia, Princeton Architectural Press, 2017 47 SECCHI Bernardo, VIGANO Paola, La Ville poreuse, Un projet pour le Grand Paris et la métropole de l’Après-Kyoto, Métispresse, Genève, 2011. 48 MARIOLLE Béatrice, LINGLART Marine, « Anfractuosités » , Espace rural et projet spatial vol.4 Urbanités et biodiversité. Entre villes fertiles et campagnes urbaines, quelle place pour la biodiversité ?, Publications de l’Uni-
versité de Saint-Etienne, coll. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, 2016
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Cette deuxième partie de conclusion s’inspire clairement de la notion d’auto-soutenabilité développée par Magnaghi qui affirme, dans son ouvrage Le projet local, qu’une « renaissance s’impose moyennant de nouveaux actes fécondateurs, capable de produire à nouveau du territoire, ou plutôt de nouvelles relations fertiles entre les établissements humains et le milieu naturel. » 49 Selon lui, ce sont dans ces actes que peut émerger un développement local auto-soutenable que nous avons définit comme « des retrouvailles avec une relation vertueuse ou encore une nouvelle alliance entre nature et culture. » ce qui rejoint la notion de territoire définie au début de ce travail. Il entend par « actes fécondateurs » l’acte de fécondation de la nature par la culture c’està-dire une réelle hybridation oubliant toute forme de cohabitation ignorante à la manière de l’agroculture de la Ferme du Bonheur. Le développement local auto-soutenable requiert une forme de « sagesse environnementale retrouvée et sur des habitants capables de produire à nouveau du territoire. » 50 Il est nécessaire que les élus, les habitants et producteurs du territoire auto-organisent leur territoire et tendent ainsi vers une forme de gouvernance autonome susceptible d’amorcer une production territoriale durable. Cette forme de gouvernance que l’on peut assimiler en partie à l’ADN proposée par l’Agence Ter, suggère donc de donner plus de pouvoir à ceux qui « produisent » le territoire et d’amorcer la création d’une « société locale » qui promeut une « globalisation par le bas »51. Cette dernière est fondée sur la participation, la concertation, les pactes sociaux aboutissant à une soutenabilité sociale comme haut niveau d’intégration des intérêts des acteurs faibles dans le système décisionnel local : c’est ce que Magnaghi nomme «l’équité sociale ». Cette équité sociale est associée également à une soutenabilité économique c’est-à-dire « la capacité dont un modèle de croissance dispose pour produire une valeur ajoutée territoriale » 52 à travers notamment un nouveau développement des activités agricoles. Il est également question d’une soutenabilité environnementale qui se traduit par « la capacité des projets sectoriels intégrés à réduire l’empreinte écologique et l’espace environnemental » 53 . Le but étant de parvenir à une soutenabilité territoriale décrite comme la capacité d’un mode d’établissement, avec ses règles de production et de reproduction, de favoriser et développer la reterritorialisation grâce à des relations co-évolutives entre l’établissement humain et son milieu exigeant une transformation radicale de notre conception de la production de richesse et donc de notre manière d’investir et d’utiliser le territoire. D’après G. Dematteis, la territorialité est définie comme « la triple relation symbolique, cognitive et pratique que la matérialité des lieux entretient avec l’activité des lieux » 54. Le développement soutenable (voire auto-soutenable comme le suggère Magnaghi) de la métropole bordelaise semble indissociable d’une production de territorialité, d’un lien entre le territoire et l’établissement humain.
49-53
MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Mardaga, coll. Etudes + Recherches, 2000 DEMATTEIS Giuseppe, The Italian Urban System towards European Integration, Ed. Giuseppe Dematteis, 1999 54
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« D’une attitude environnementale à un production d’affects réconciliant l’objet et le sujet, l’architecture contemporaine est intimement liée avec la nouvelle dimension territoriale ». Là est, selon nous, tout l’enjeu des architectes de demain devant réconcilier le territoire et ses acteurs grâce à de nouvelles manières d’habiter, de contempler et de produire en milieu urbain. Ou du moins, reformuler un nouveau vocabulaire - tel que le vocabulaire agricole à la manière des frères Janin - face aux enjeux d’une « ville infinie ».
55
PICON Antoine, « What has happened to territory ? », Architectura Design, vol. 80, June 2010.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS 1. Carte des 28 communes de la métropole © Bordeaux Métropole 2. Part des emmenagés récents au sein de la métropole © A’Urba 3. Évolution de l’emprise urbaine de l’aire métropolitaine © A’Urba 4. Les grands projets urbains issus du programme 50 000 logements © A’Urba, 2011 5. Densité des constructions métropolitain et ses enjeux © A’Urba, 2010 5. Densité des constructions métropolitain et ses enjeux © A’Urba, 2010 7. Surfaces artificialisées (en ha) en Gironde en 2010 © MAJIC 2011, DDTM 33 8. Taux de de surfaces artificialisées en Gironde en 2010 © MAJIC 2011, DDTM 33 9. Le paysage des marais. La Jalle de Blanquefort © M. RANSON 10. Le Parc de l’Ermitage (parc des coteaux), Lormont © GEREA 11. Bois de Cérillan, Saint-Médard-en-Jalles © M. RANSON 12. Les Centres maraîchers en 1850 © P. BARRÈRE 13. Les régimes culturaux en 1850 © P. BARRÈRE 14. La destruction du milieu rural aux approches de la ville en 1924 © P. BARRÈRE 15. Les types de culture maraîchère en 1850 © P. BARRÈRE 16. Vue aérienne du paysage bocager de la presqu’île d’Ambès, 1950 © GÉOPORTAIL 17. Vue aérienne d’un paysage agricole «post PAC» de la presqu’île d’Ambès, 20104© GÉOPORTAIL 18. Vue aérienne du paysage bocager à Casseuil et Barie (33), 1950 © GÉOPORTAIL 19. Vue aérienne d’un paysage agricole «post PAC» à Casseuil et Barie, 2004 © GÉOPORTAIL 20. Taux des surfaces artificialisées en 2007 sur l’aire du SCoT © A’Urba 21. Taux de surface agricole par commune © Bordeaux Métropole 22. La répartition des espaces agricoles sur la métropole de Bordeaux © AGENCE TER 23. Plan de situation du Parc des Jalles © G. HUMEAU 24. Répartition des exploitants dans le Parc des Jalles © G. HUMEAU 25. Périmètre du PPEANP des Jalles © G. HUMEAU 26. Répartition intercommmunale du Parc des Jalles © G. HUMEAU 27. Autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises © UTOPIES 28. Répartition des différents types de culture en Nouvelle-Aquitaine en 2010 © IGN - BD CARTO 29. Répartition des surfaces de vente des GMS au sein de la métropole © CCI Bordeaux 30. Répartition des différents circuits-courts sur l’aire métropolitaine © Bordeaux Métropole
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31. Plan de l’implantation des agriculteurs intégrants les circuits-courts © G. HUMEAU 32. La «charpente paysagère» du SCoT de 2001 © IGN, A’URBA 33. Carte de synthèse des Territoires à Risque d’Inondation (TRI) de la métropole © CEREMA 34. La zone inondable de la vallée des Jalles © SYSDAU, A’URBA 35. Un territoire servant de zone d’expansion des crues © AGENCE TER 36. Plan du périmètre PPEANP des Jalles entre les 8 communes © DGFIP, CUB 37. La métropole nature extraite du SCoT de l’aire métropolitaine bordelaise, 2014 © SYSDAU, A’URBA 38. Système de continuité paysagère extrait du PLU 3.1, 2016 © Bordeaux Métropole, A’URBA 39. Plan de zonage PLU 3.1 - Zone Ab englobant des zones Nh2 © Bordeaux Métropole, A’URBA 40. Plan de zonage PLU 3.1 - Zone Ag en contact avec une zone US © Bordeaux Métropole, A’URBA 41. Conflit d’usage au sein du PPEANP des Jalles , 2005 © E. VALETTE 43. Schémas de l’intégration du PNU de Strasbourg dans les orientations urbanistiques, 2013 © ADEUS 44. Les quatre équipes et les sites laboratoires - «55000 hectares pour la nature» © A’URBA, CUB 45. Les sites laboratoires et les différentes zones de protections- «55000 hectares pour la nature» © A’URBA, CUB 46. Les outils de la charte de l’ADN et leur phasage respectif © AGENCE TER 47. Schéma d’intention du système mixte, vers un projet de nature © AGENCE TER 48. Les cinq sites pour un projet de co-développement ville-nature © AGENCE TER 49. Recensement des différentes typologies des «bords» © AGENCE TER 50. Schémas des possibilités d’actions des bords © AGENCE TER 51. Carte des bords sensibles aux problématiques urbaines d’extension © AGENCE TER 52. Mise en évidence d’une armature naturelle et urbaine © AGENCE TER 53. La proposition du projet «la terrasse des Jalles» © AGENCE TER 54. Proposition d’une densification résidentielle du bord de Jalle © AGENCE TER 55. Les outils de conception d’un projet urbain-nature © AGENCE TER 56. Proposition d’une densification agricole du bord de Jalle © AGENCE TER 57. Proposition d’une mutualisation agricole diversifiée © AGENCE TER 58. Inventaire de la vulnérabilité des bâtiments agricoles face aux inondations © AGENCE TER 59. Proposition d’un développement durable de la zone d’activité Éco Parc © AGENCE TER 60. Diversité agricole - Les cultures maraîchères © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER 130
61. Diversité agricole et paysage évolutif- Les prairies de fauches © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER 62. Diversité agricole et paysage évolutif- - La maïsiculture © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER 63. Diversité agricole et paysage évolutif - La viticulture © AGENCE FOLLÉA-GAUTIER 64. Le parc agricole sud de Milan © DIAP Politecnico di Milano 65. Plan territorial du parc agricole de la province du Prato © A. MAGNAGHI 66. Usages partagés dans un parc agricole à Clermont-Ferrand © FABRIQUES 67. Usages partagés dans le parc agricole du Sud de Milan © A. COZZAGLIO 68. Exemple d’un sous espace compris dans le parc agricole milanais - Il Parco delle Risaie © G.GIBELLI 69. Le projet «Metrobosco» - de nouvelles typologies agroforestières © MULTIPLICITY LAB 70. Un territoire marqué par l’eau - un réseau hydrographique caractéristique © AGENCE TER 71. Un territoire de marais aménagé et asséché au XVIIIème© C. MASSE, 1724 72. Endiguement d’un canal © AGENCE TER 73. Endiguement d’une jalle © AGENCE TER 74. Sillon de jalle © AGENCE TER 75. Étang de Bruges © AGENCE TER 76. Zone des marais de Bruges © AGENCE TER 77. Les Berges de Garonne © AGENCE TER 78. Occupation agricole des sols du Parc des Jalles © AGENCE TER 79. Situation de la future ZAC de Carès-Cantinolle à Eysines © A’URBA 80. Plan du projet ZAC de Carès-Cantinolle à Eysines © ADH 81. Situation de la future zone Écoparc de Blanquefort © A’URBA 82. Plan des orientations du projet Écoparc à Blanquefort © A’URBA 83. Inventaire des bords ville-nature en métropole © AGENCE TER 84. Les bergers urbains en transhumance à Bordeaux © T. DAVID 85. Les bergers urbains en transhumance en Seine Saint Denis © D. MEYER 86. Ouverture spatiale et usages diversification des usages à Lyon © FABRIQUES 87. Le principe d’estive urbaine à Lyon © FABRIQUES 89. L’agroculture urbaine à Nanterre © LA FERME DU BONHEUR 90. Un berger en pâture - La Ferme du Bonheur © O. RAVOIRE
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier l’équipe du Séminaire Architecture Ville & Territoire pour leur soutien et leurs apports intellectuels. Mais également pour leur intérêt vis à vis du monde rural et de leur approche sensible et respectueuse l’architecture. Ils m’ont apporté une certaine forme d’ouverture d’esprit et des connaissances qui m’ont permis de développer ce sujet en liberté et consciemment. Merci à Claire Parin pour son accompagnement et son investissement qui ont contribué à la définition du sujet. Merci à Christophe Bouriette pour son suivi au long de ce travail, sa pertinence sur le sujet et ses références précieuses. Merci également à Pierre Robert pour ses apport intellectuels, ses références culturelles et son soutien durant le master.
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« Plus une société étant urbaine et plus elle est nécessairement agricole » Rémi JANIN
MÉMOIRE RECHERCHE - AVT
- 2018/2019 -
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