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Évelyne Toussaint, Variations sur le statut de l’objet : de Marcel Duchamp à Mathieu Mercier in Existe-t-il des arts « mineurs » ? - 2012

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Franck Knoery, Mathieu Mercier in cat. De leur temps (3), 10 ans de crĂŠation en France : Le Prix Marcel Duchamp - 2010

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Marie Chênel, Mathieu Mercier in cat. No Man’s Land - 2010

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Gallien DĂŠjean, Mathieu Mercier in cat. French Connection - 2008

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Frédéric Wecker, Mathieu Mercier, Pièges à conviction in Art21 - 2007

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Kim West, En deçà de l’art in cat. Notre histoire... une scène artistique française émergente - 2006

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Yann Chateigné, Mathieu Mercier : Loopings in Les Cahiers du Musée national d’art moderne - 2005

Yann Chateigné

Mathieu Mercier : Loopings Que dire à ces gens, qui, croyant posséder une clef, n’ont de cesse qu’ils aient disposé votre œuvre en forme de serrure ? J U L I E N GR A C Q , L e t t r i n e s

Est-ce un hasard si, s’attelant récemment à l’analyse du travail de Mathieu Mercier (né en 1970 en banlieue parisienne), Michel Gauthier introduit son propos par la description d’une œuvre de l’artiste intitulée Porte b l i n d é e ( 2 0 0 1 )1 ? C’est que l’accès à la signification de l’œuvre de Mercier est en quelque sorte protégé. Cette défense constitue pour l’artiste un mode de survie, sans pour autant revêtir la forme d’une critique frontale. Bien au contraire, en un double mouvement, l’artiste met en œuvre un jeu de masques et de déplacements. D’un côté, ses œuvres montrent à l’observateur une simplicité certaine, une évidence même, comme autant de projets d é g u i s é s. À travers leur capacité à faire image, à créer des situations immédiatement reconnues, les œuvres de Mercier offrent une approche première qui semble immédiate. De l’autre côté, à travers un principe de contraction et d’extension, l’artiste ramasse puis déploie de manière continue les références, contracte et multiplie les indices pour, finalement, laisser peu – ou bien trop – de prises à l’analyse. À l’intérieur même du système de production des objets, il convoque les différentes formes reconnues de productions artistiques, de l’objet au readymade, pour concevoir autant de coups « tactiques » : Mercier interroge les temporalités et les strates de reconnaissance propres aux instances de validation esthétiques, jouant de la contradiction possible que véhiculent les différents états de travail qu’il

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présente. Face à un répertoire d’œuvres aux lisières de la fiction, s’offrent alors à l’observateur deux solutions principales. L’une consisterait en l’application d’une grille de lecture spécialisée, afin d’y faire entrer, comme dans les cases des meubles de rangement présentés par l’artiste, la projection des obsessions de l’interprète. L’autre s’attacherait à la description précise des formes présentées afin d’en déceler les éventuelles sources iconographiques et théoriques et de reconstituer un possible récit à partir de la complexité même des processus à l’œuvre dans la pratique de Mercier. Ici, à l’instar de la méthode de composition de celui-ci, les deux méthodes seront utilisées et juxtaposées pour tenter de cerner un art lui-même fondé sur une certaine idée de la dualité. Esthétique du chantier : processus et temporalités suspendues Fils électriques (1995), l’une des premières œuvres de l’artiste, est installée au mur, légèrement en hauteur, juste au-dessus du champ de vision de l’observateur. Elle se présente comme l’extrémité d’une installation électrique, longue de quelques centimètres à peine, s’extrayant du plan rectiligne du mur, comme en attente d’un branchement à venir. Plusieurs œuvres de l’artiste proposent les signes d’un espace inachevé constituant, au sein de l’œuvre entier, un corpus qui pourrait être rassemblé sous la bannière d’une « esthé-

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démolition et ces formes géométriques, entre panneau publicitaire et image de peinture abstraite, représentent plusieurs typologies de fenêtres que les promoteurs immobiliers exposent aux yeux des habitants, offrant ainsi le choix de l’une ou l’autre de ces formes standard. Avec d’autres, cette image photographique sans véritable statut s’insère dans le livre de Mercier comme un indice au regard des différentes séries réalisées par l’artiste. De tonalité neutre et « sans qualité », ces photographies évoquent des documents de travail et constituent un matériau participant au chantier même du travail de l’artiste. Elles entrent en résonance avec sa production comme autant d’esquisses, de points de départ issus d’une observation de phéMathieu Mercier, Fils électriques, 1995, fils électriques, 3,5 x 2,5 x 13,3, collection particulière, Berlin, courtesy galerie Mehdi Chouakri, Berlin

tique du chantier ». Mercier : « Le chantier m’apparaît comme une métaphore de l’activité artistique. J’ai entre autres habité à Berlin pour cette raison, la manière dont les chantiers m’apparaissaient comme les signes d’un possible au milieu de cette histoire à la fois complexe, et pourtant présente, matérielle 2. » Publiée dans le premier livre consacré à son travail3, Berlin (1997) est la photographie d’un lieu en cours de construction, au sein d’une ville apparaissant ellemême comme une forme de vaste chantier permanent. Les constructions nouvelles, symboles de la réunification, semblent y être lancées puis arrêtées, pour des raisons le plus souvent économiques. L’urbanisme y est un espace en devenir permanent, un processus discontinu qui fait alors image aux yeux de l’artiste. Au-delà d’un écho métaphorique quant à l’appréhension de la notion même de travail, cet état transitoire suscite un répertoire de formes dont Mercier prélève une portion. Comme un film still, un arrêt sur image extrait du continuum de la reconfiguration de la ville, la photographie montre, au-dessus d’une palissade, trois structures, de grands carrés évidés et tronqués, sur fond de grues et de bâtiments exhibant leur squelette de béton. Il est difficile de discerner si le lieu est en cours de construction ou de

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nomènes quotidiens. Ainsi, on peut y trouver certaines de ses idées forces : la question du chantier, donc (Estaires, 1996, Berlin, 1997), les grandes surfaces et la production en série, à travers l’image d’un parking de zone d’activité commerciale suburbaine (B e s a n ç o n, 1997), l’habitat pavillonnaire (P a r i s Le Havre, 1999), l’observation du monde animal avec la vidéo intitulée Le Cafard (1994), enfin le rapport à l’histoire et à l’univers des sciences avec Impasse du progrès (2000), qui montre une plaque signalétique au nom tout trouvé, photographiée à Montreuil. Autre signe d’un chantier en cours, Palette standard euro (2000) se présente comme une palette de transport posée au sol et appuyée sur un mur. Ainsi que le note Michel Gauthier, elle évoque la fonction première de la palette (le transport), et est elle-même exposée comme en cours d’enlèvement, en transit. Discrète, elle existe dans l’exposition d’une manière proche des Fils électriques, comme si l’exposition était toujours en cours d’accrochage. Objet standard, la palette est elle-même reproduite en un autre matériau standard, le mélaminé. Donnant l’illusion d’une certaine netteté, une préciosité factice, ce matériau confère à l’objet une plus-value esthétique. Les lattes supérieures, devenues blanches, évoquent un autre standard, cette fois-ci esthétique : le motif de bandes répétitives, cher à la peinture abstraite (ne parle-t-on pas de la palette du peintre ?). Son accrochage n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui des pièces de Buren de la deuxième moitié des années 1960.

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à y opposer une quelconque alternative. Mercier constate : point de salut aujourd’hui pour la production d’objets culturels entre, d’un côté, la reproduction en série de formes aux qualités proportionnellement réduites par leur standardisation et, de l’autre, la réalisation d’objets uniques à la cherté nécessaire. La série des structures en mélaminé, réalisée entre 1995 et 2000, manifeste un intérêt comparable pour les constructions inachevées. Structure de bois et de mélaminé 1,2,3 (1999), par exemple, se situerait entre le modèle d’une construction modulaire, la sculpture à l’aspect minimal réalisée avec des éléments standard liés à l’univers du bricolage, et le meuble de rangement, tel qu’on peut en trouver commercialisé dans les franchises dédiées au design de

Mathieu Mercier, Palette Standard, 2000, mélaminé, 80 x 120 x 15,5, courtesy galerie Mehdi Chouakri, Berlin, photo J. Ziehe

Décentré, instable, transitoire, il convoque, dans le même temps, un double mouvement de « désauratisation » et de « réauratisation ». Suggérant un usage immédiatement contredit par sa position redressée, sa fonction est perturbée par sa présentation « entredeux », comme en attente ; elle est supposée, et niée dans le même temps. Œuvre à la signification suspendue, image d’une interrogation sur le système de production des objets contemporains, elle possède un statut contradictoire : « non objet » aux références multiples et reformulées, Palette standard euro se situe entre l’outil invisible et anodin et le meuble à la séduction décorative, entre la peinture et la sculpture, l’œuvre ready-made et l’artefact, l’objet unique et le standard reproductible, l’œuvre pop et l’œuvre minimale. Elle pointe les limites d’une économie binaire : mise en scène des contradictions d’un système fondé sur la plus-value, la pièce montre deux partis pris, expose leur dénonciation comme l’impossibilité même

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grande consommation. Les tasseaux qui maintiennent sa structure se prolongent au-delà des limites marquées par les plans des boîtes en mélaminé. Deux options sont possibles quant à lecture de ce détail : soit les tasseaux n’ont pas été découpés après la fin du travail, comme les Fils électriques suggérant une « erreur », un oubli dans un système de construction, soit le processus de construction a été stoppé en cours de fabrication. Ces points de suspension évoquent encore une forme de chantier, image du mode de travail de l’artiste. Le vide des étagères, le refus de proposer un objet à l’aspect fini offre au regard une forme d’indécision, un espace sur lequel se projeter, un possible. Le titre l’indique, Mercier expose l’objet comme sa structure, montre son aspect fini et dans le même temps son mode de fabrication, entre la notice de montage et le procédé permettant sa réalisation. L’objet se présente alors comme une sorte de « prototype » dont l’usage resterait à inventer. Il semble que son but principal ne soit pas d’être utilisé, mais plutôt de participer à une forme de « recherche », une sorte de contribution personnelle à un projet plus vaste. « Entre construction et déconstruction », les structures en mélaminé donnent au spectateur le sentiment de pouvoir prolonger l’objet. Dans le même temps, les tasseaux non découpés maintiennent celui-ci à distance. En montrant la manière dont l’objet est conçu, en suggérant, comme une invite, le support d’une continuité, l’artiste propose un usage. Mais l’objet se donne aussi sous la forme d’un point d’interrogation,

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Vue de l'exposition « Mathieu Mercier » au Spot, Le Havre, 1999. Au premier plan: Structure de bois et de mélaminé 1, 2, 3, 1999, mélaminé, tasseaux en sapin, 280 x 260 x 400, Paris, collection Jean Brolly. Sur le mur à droite: Mur de chevilles, 1994-1997, chevilles de différentes tailles et couleurs disposées en motif d'après un mode d'emploi, dimensions variables, collection du FRAC Lorraine. Au fond: 08h00, 1999, horloge murale, gouache, dimensions variables, courtesy galerie Chez Valentin, photo BB Flirt, Roger Legrand

qui confine à l’absurde. Quel prolongement proposer ? Pourquoi ? À quel jeu nous propose-t-on de participer ? La forme abstraite, sérielle, géométrique et répétitive de la structure suppose que la suite du travail ne peut que continuer en une association formelle de blocs de mélaminé. Si l’on suit la règle du jeu, le seul prolongement possible serait alors de l’ordre de la répétition, de la reprise du même, à l’infini. Répétition, invention et normativité : politiques du bricolage Mur de chevilles (1994-1999) consiste en un dessin géométrique composé sur un mur blanc à l’aide de chevilles de tailles et de couleurs différentes, comme celles qui sont utilisées pour fixer une étagère dans un salon, ou accrocher un tableau dans un musée. Ce dessin mural fait, comme les Structures en mélaminé, de motifs modulaires, ici associés par le report d’un patron afin d’occuper toute la surface du mur, suggère la notion de répétition d’un même geste, all over.

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Comme Fils électriques, Mur de chevilles met en scène, mais cette fois sans affirmer un parti pris illusionniste, les outils du chantier, présentant et mettant au jour ce qui, dès le jour du vernissage, demeure habituellement masqué, caché dans les murs, dans les espaces de travail ou derrière les tableaux. C’est également l’idée de processus qui est à l’œuvre dans d’autres œuvres exposant les éléments ou les outils de la construction. Pot de peinture (1998), par exemple, se présente comme un pot de couleur disposant d’un mécanisme agitant la peinture de manière circulaire pour l’empêcher de sécher. L’exposition que l’artiste avait réalisée au Spot (Le Havre) en 1999, associait du reste, parmi d’autres, ces trois dernières œuvres. Le mot même de chantier désigne en effet une construction d’ordre métaphorique aussi bien que celle d’un bâtiment ou que la mise en œuvre de travaux domestiques. Comme nombre d’autres œuvres de l’artiste, Mur de chevilles pointe quelques ambiguïtés et quelques

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Mathieu Mercier, Lampe double douille, 1999, ampoules, doubles douilles, dimensions variables, collection particulière, New York, courtesy galerie Chez Valentin, Paris

paradoxes liés la pratique du bricolage. En effet, cette œuvre peut être lue comme l’image d’un papier peint décoratif, dont le dessin pourrait évoquer un wall drawing conceptuel réalisé avec des chevilles, comme si un bricoleur anonyme avait décidé, plutôt que d’accrocher quelque chose, de trouver un autre usage à ces éléments. Mercier s’intéresse à cette capacité d’invention communément associée à une telle activité : ou comment, à partir d’éléments reçus, préexistants et à l’utilisation prévue, standardisée, il est possible d’affirmer une prise de position différente. Lampe double douille (1999), par exemple, une œuvre également nommée à partir de l’appellation de son matériau, est composée de l’association de douilles électriques

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branchées les unes aux autres afin de réaliser un lustre en forme de grappe d’ampoules. L’œuvre, faite de branchements et de dérivations proliférantes, figure l’image possible d’un réseau, d’une arborescence, d’un processus de croissance organique, comme la forme d’une maquette d’architecture évoquant les p r ojets des Métabolistes japonais des années 1960. La pièce, dans ce cas, fonctionne « réellement », et devient un élément pleinement décoratif, une sorte de lustre do-it-yourself. Une manière de « faire avec » : appropriation, détournement, observation d’une créativité individuelle, vernaculaire, camouflée, souterraine, comme facteurs d’émancipation d’une société de consommation normative. Pour autant, Mur de

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c h evilles et Lampe double douille montrent une forme de création se référant à un modèle éprouvé (standards de la décoration d’intérieur, icônes de l’histoire des formes), et supposent un certain doute quant à cette faculté d’Invention du quotidien décrite dès les années 1970 par Michel de Certeau4. Encore une fois, l’œuvre juxtapose une tentative de dépassement et son impossibilité, la volonté de croire en un possible et la répétition d’un motif préexistant. La mise à disposition des outils et des moyens de production des objets ne conduirait donc pas à l’invention d’autres gestes, ni à l’invention d’autres formes. Mercier voit dans la pratique du bricolage une interrogation sur la notion même de travail. Se développant dès les années 1950, le bricolage est associé

« L’horloge est une machine qui fait du temps une abstraction en le détournant du vécu corporel. Elle permet de subdiviser le continuum temporel en unités uniformes et interchangeables », écrit-il. « Cette uniformisation est un des fondements de l’équation entre le salaire et le travail. La mécanisation du temps précède obligatoirement la mécanisation du travail. En projetant le temps uniforme, “vide”, dans le passé et dans l’avenir, les coordonnées créent une matrice inéluctable, à savoir “l’universalité” de l’économie politique. La nécessité de produire suppose l’inexorable nécessité de consommer. L’économie politique, cependant, r é s e rve le travail de consommation à ce que l’on appelle les “loisirs”, le temps “libre”. Or, dans quelle mesure est-il libre5 ? » La modularité des Structures en

à l’augmentation moyenne du temps libre dont bénéficient les populations des pays industrialisés. Moyen de réaliser des économies, mais aussi incitation à une forme de « créativité », il reconfigure le temps du travail (salarié) et le temps libre, voire celui des loisirs (congés payés), en une occupation laborieuse (non salariée) et de consommation (achat des éléments nécessaires au bricolage). L’artiste compare cette activité à une forme de rituel, de don de soi, la duplication d’une sorte de « travail à la chaîne », répétitif. Le rêve de liberté du do-it-yourself peut alors également être lu comme un espace normé, une manière de rentabiliser un temps libre en un temps de productivité. Conduit à consommer toujours plus avec, pour seul « idéal », la possession de « sous-produits », le bricoleur entre-

mélaminé est également pour Mercier l’image de ce classement normatif du réel. Et si les étagères restent vides, les meubles inachevés, inoccupés, c’est peutêtre que le désir de classer est contredit par l’impossibilité de se résoudre à réduire, abstraire, simplifier, normaliser et finalement achever, dans les deux sens du mot, un processus libre et vivant. Les Structures convoquent une idée de hiérarchie, sans pour autant se résoudre à élaborer une c h u t e à la fiction qu’incarne nécessairement toute réalisation d’un artefact, d’une représentation. Les Cubes (1998), structures de mélaminé cubiques, semblent avoir en effet pour seule fonction de se ranger eux-mêmes les uns dans les autres, selon un principe de poupées gigognes, afin de recevoir ensuite un banal téléphone, « comme si le réel était foncièrement rétif à ce rangement », écrit Michel Gauthier.

tiendrait lui-même sa mort intellectuelle : « Cela passe par le mélaminé, un bois composite à l’aspect lisse mais dont le vieillissement impose au consommateur de renouveler ces produits tous les dix ans », dit Mercier. Autre objet « bricolé » laissé inachevé et récurrent dans l’œuvre de Mercier, l’horloge est également un moyen de normer le temps. 08h00 (1999), par exemple, présente sur un mur, aux côtés de deux petites aguilles, un unique « 8 » surdimensionné, signe d’une contrainte régissant le temps corporel, image de l’infini recommencement quotidien d’une soumission. Dans la série Middle of the Day, l’artiste John Miller interroge de même les différents modes d’occupation du temps libre, en photographiant les activités q u o t idiennes d’une population entre 12 h et 14 h :

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Du pavillonnaire : standard, histoire et alternatives Les Projets pour une architecture pavillonnaire, réalisés en 2000, mettent en œuvre une forme de fiction où l’accès au savoir et à la connaissance des formes historiques apparaît comme une prise en main du cadre de vie, un choix face à l’imposition d’un mode d’exister, délimité par les contraintes économiques régissant l’architecture standard des Maisons Phénix. Les projets se présentent sous la forme de maquettes montrant un pavillon sur lequel est apposé, comme une protubérance ou une greffe, un élément architectural qui se réfère directement aux

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Yann Chateigné, Mathieu Mercier : Loopings in Les Cahiers du Musée national d’art moderne - 2005 Mathieu Mercier : Loopings

Mathieu Mercier, Projet pour une architecture pavillonaire #1, 2000, maquette de promotion immobilière, Altuglas, bois, 56 x 58 x 30, collection FR A CC e n t re

avant-gardes historiques. Procédant ici plus ouvertement par collage, l’artiste associe à l’image de l’architecture individuelle à faible coût les signes d’une utopie collective, à la répétition du même les symboles de l’invention, à la standardisation du mode de vie le rêve d’une vie meilleure. Comme le produit d’un bricolage à l’échelle de l’architecture, ces œuvres semblent de possibles projets proposés par les usagers même du lieu. Mercier imagine ces réalisations comme l’image d’une forme d’extension « faite à la maison », inspirée d’un modernisme oublié et reformulé par un « propriétaire déçu [qui déciderait] tout à coup de renouer un lien avec le Bauhaus ou l’Architecture radicale des années 1960 »6 . Selon Mercier, les habitants des pavillons présentés dans ces projets considèrent la maison individuelle comme le décor d’une forme de « cauchemar climatisé. » Ces maisons « introduisent un mode de vie où tout est contrôlable et programmé »7, dit-il. JeanCharles Masséra, dans un texte intitulé « Verdure et chien méchant (à propos de l’imaginaire pavillonnaire) », confirme ce point de vue : « Vu de la rue, l’imaginaire pavillonnaire est perçu comme un retrait de l’êtreensemble (la clôture de soi). Le vert comme horizon et les pantoufles comme rythme. Vu de l’adolescence, l’imaginaire des traites et de la baraque est perçu comme une absence de projets (s’installer et s’affaler). La résignation comme lieu de résidence et l’épargne

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comme plan de vie8. » La maison individuelle apparaît alors comme une forme de « prêt-à-porter » architectural, car fondée sur une logique économique de réduction des coûts pour un profit maximum. « Les dimensions de la cuisine comme dimensions de l’existence », écrit plus loin Masséra. Au-delà du discours publicitaire qui accompagna le développement de l’architecture pavillonnaire, ce type de construction est apparu aux yeux de certains commentateurs des années 1960 comme une alternative libératrice et individuelle à l’habitat collectif. Les grands ensembles, application du rêve moderne de démocratisation grâce à la standardisation des éléments de construction, se fondent sur la répétition dogmatique du principe de rationalisation des espaces de vie. Ces constructions se multiplient en France à partir des années 1950. Henri Lefèbvre écrit en 1967 : « Le contraste, disions-nous, entre “l’habitat pavillonnaire” et les grands ensembles est saisissant. […] Dans le pavillon, […] [l’] espace […] garde une certaine plasticité. Il se prête aux aménagements. Ce n’est pas le cas de l’espace fourni aux locataires ou aux co-propriétaires dans un ensemble ; cet espace est rigide, dépourvu de souplesse. […] L’ e s p a c e pavillonnaire permet une certaine appropriation par le groupe familial et par les individus de leurs conditions d’existence. Ils peuvent modifier, ajouter ou retrancher, superposer à ce qui leur est fourni ce qui vient

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Mathieu Mercier, Pavillon, 2003, matériaux de synthèse et techniques mixtes, 675 x 517 x 500, vue du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, co-production Adiaf et galerie Chez Valentin, Paris

d’eux : symboles, organisation. Leur environnement prend ainsi du sens pour eux9 […]. » Dans les mêmes années, lorsque Dan Graham produit Homes for America, il s’intéresse aux réflexions de Robert Venturi et voit une certaine « spontanéité » dans les principes de construction de la maison individuelle. À l’époque, cet habitat ne figure pas encore une forme d’aliénation, et constitue l’une des sources vernaculaires et refoulées des structures géométriques et sérielles de l’art américain des années 1960. Avec les Projets pour une architecture pavillonnaire, Mercier propose une forme d’appropriation de cet environnement. Comme son titre l’indique, il s’agit bien de projets, face à « l’absence de projet » décrite par Masséra : c’est une manière de « faire avec ». En juxtaposant l’image d’une maison individuelle et d’une structure architecturale issue des avant-gardes histo-

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riques, Mercier montre deux images relatives à l’histoire de l’architecture. Pour autant, ces deux images n’entretiennent pas une relation de cause à effet : elles auraient plutôt tendance, a priori, à s’opposer comme les signes de deux histoires distinctes et parallèles. Contrairement à ce qui se passe avec Dan Graham, la question d’une continuité n’est pas posée. Ou si continuité il y a (aux grands ensembles « s u c c é d e r a i t » le passage à un habitat individuel), cette relation fonctionne plus sous la forme d’une boucle historique non dialectique. Construire une extension à la manière du Bauhaus équivaut à donner à ce projet une allure de prototype : c’est une proposition possible, réalisable. Mais elle ne constitue en rien une alternative, elle fonctionne davantage telle l’image absurde d’une invention se dénonçant ellemême comme la reprise d’un projet existant. Sans

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pour autant être passéiste, Mercier propose un projet de customisation v i n t a g e de l’habitat pavillonnaire, avec une certaine ironie, montrant la vanité de toute volonté de nouveauté, son fondement sur l’idée cyclique du r e v i v a l. De l’association de ces deux images, l’une étant le signe d’un goût « élevé » (icônes de la modernité) et l’autre d’un goût « c o m m u n » (architecture sans architecte), résulte un point d’interrogation : les deux formes architecturales deviennent des images, des « styles » dont le sens n’est plus que le produit d’une contextualisation. On se tourne vers l’histoire pour se désaliéner, et l’on met alors en œuvre une boucle temporelle. En combinant deux standards de « l’architecture pour tous », l’œuvre met en abîme une double illusion : celle du projet (pourquoi le propriétaire d’un pavillon souhaiterait-il construire une extension à la manière de la Neue National Galerie réalisée à Berlin par Mies van der Rohe ?), et celle vécue par ce possible propriétaire, croyant se libérer des contraintes de son habitat en se tournant vers une forme elle-même symbolique de l’impossibilité de toute forme d’appropriation. En s’intéressant à l’architecture pavillonnaire, Mercier utilise une forme qui inspira d’autres artistes avant lui : un standard au sens musical du terme, c’est-à-dire une production esthétique sans véritable origine, dont les conditions d’apparition sont fondées sur le mode de l’interprétation. Son exposition au Centre Pompidou en 200310 présentait au centre de l’espace un Pavillon aux formes simples et génériques. Réalisé à partir d’une maquette de promoteur immobilier agrandie à l’échelle 1, l’objet exposé évoque une coquille vide posée au sol. Son statut a quelque chose d’ambigu, ses dimensions étant légèrement inférieures à celles des maisons-tests Catherine Mamet mais de loin supérieures à celles d’une maquette d’architecture. Cet aspect synthétique (les détails absents sont liés aux manques du « document » d’origine) conférait au pavillon une apparence proche d’une construction-image propre à l’architecture du divertissement ou du décor de supermarché. L’objet fonctionnait, d’après Mercier, comme un « l e u r r e» . En installant l’image même de l’habitat individuel, comme une sorte de logo, au cœur de l’architecture du Centre Pompidou, application pragmatique de

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l’architecture radicale, Mercier renverse alors la proposition des Projets pour une architecture pavillonnaire. L’image du pavillon vient s’incruster dans celle du Centre Pompidou, comme si surgissait de l’application des préceptes d’Archizoom un « retour » au pavillonnaire. Encore une fois, c’est une sorte de disjonction temporelle qui est à l’œuvre, exhibant deux formes a priori contradictoires, et pourtant coexistantes : le texte de Lefèbvre est tout à fait contemporain des théories de l’architecture radicale, qui s’est elle-même intéressée à la question du supermarché et du « spectacle. » Pour Mercier, ces deux partis pris architecturaux ne sont pas équivalents, mais représentent les signes d’une complexité que l’on n’a de cesse de tenter d’explorer, d’isoler, de classer. Cette autre fiction (un homme se lasse de l’architecture ouverte et libertaire du Centre Pompidou et décide de se construire à l’intérieur d’une des salles une « cabane » individuelle et intime, qui reprend l’image d’un pavillon) vient de nouveau mettre en œuvre une « figure de style » circulaire. Le devenir marchand de l’architecture utopique équivaut-il à sa réduction à un simple pavillon ? La privatisation grandissante des institutions culturelles conduirait-elle à un devenir individuel de l’architecture moderne ? Ou bien, à force de la voir, l’architecture du Centre Pompidou nous feraitelle oublier sa part d’invention au regard de ce qu’incarne l’architecture pavillonnaire ? Quoi qu’il en soit, Pavillon participe du travail d’inventaire mené par l’artiste, qui n’a de cesse de tenter de classer, de soupeser et de mettre en regard les formes et les informations qu’elles véhiculent, sans pour autant nous donner la signification profonde, si signification il y a, de ces agencements warburgiens. L’œuvre est un signe invitant à chercher dans la mémoire collective l’une des images possibles du refoulé de la modernité. Reprenant une formule chère aux surréalistes, Claude Lévi-Strauss note que le résultat du b r icolage évoque parfois une forme de « h a s a r d objectif »11. Faut-il voir dans l’incongruité certaine de cette association une forme « d’inquiétante étrang e t é» , un collage suggérant un départ de fiction, une amorce d’histoire muette ? Cette image fonctionneraitelle comme certains tests psychologiques, conçus pour laisser libre cours à notre interprétation ?

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Un inventaire : orientation, langage et pseudo-fictions La position de Mercier pourrait ainsi être comparée à celle «d’un artiste iconographe», à la manière de HansPeter Feldmann qui, dès le milieu des années 1960, propose avec Les Images du bonheur, par l’intermédiaire du filtre de la photocopie, la reproduction d’affiches trouvées dans les supermarchés et représentant une certaine conception standardisée du mode de vie idéal (images d’Épinal de paysages et de grands espaces, scènes de genre liées à la consommation de produits de grande diffusion…). Par ailleurs, Mercier use souvent d’un mode de composition associant deux images. Soit en les juxtaposant (coll a g e / m o n t a g e : Projet pour une architecture p a v i l l o n n a i r e), en les superposant (fondu : P a l e t t e standard euro), soit encore en les hybridant (Mur de chevilles). Cette méthode, foncièrement fondée sur des jeux de langage et sur l’idée de dualité, comme

sur l’appropriation de produits de consommation courante dans leur rapport à l’histoire des formes, fait montre d’une pratique de l’histoire redevable d’une sorte d’« archéologie du savoir » : elle fait écho à celle inventée par certains historiens de l’art mettant au centre de leurs questionnements l’analyse de l’image et de sa reproduction. Comme l’a récemment noté Julien Fronsacq, « conscient de ce phénomène de “réification”, ces artistes sont comme certains historiens modernes (Wölfflin) dont la méthode comparative (deux images) les a menés à mettre en regard les structures d’objets aux statuts pourtant différents (signé – anonyme, architecture – beaux-arts…). Le corpus respectif de chacun de ces artistes pourrait avoir le statut d’archive ou d’inventaire12. » Deux chaises (1998-2001) est à ce titre exemplaire. Mercier associe sur le même plan une chaise de jardin en plastique et la réplique en bois, également blanche, d’un siège de Gerrit Rietveld. L’œuvre est

Mathieu Mercier, Deux Chaises, 1998-2001, chaise de jardin en plastique, bois, peinture, 90 x 120 x 60, collection particulière, Paris, courtesy galerie Chez Valentin, Paris

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Mathieu Mercier, Drum & Bass 100 % Polyester, 2003, étagère, coussin, classeur, bidon, 230 x 20 x 200, courtesy galerie Mehdi Chouakri, Berlin

composée d’une manière frontale, comme l’association de deux images. Le fait même que le Rietveld soit un substitut montre la volonté de l’artiste de placer son travail au niveau d’une analyse iconographique : la chaise est en effet un des lieux communs de l’histoire des formes. Le titre renvoie en outre à l’une des icônes de l’art conceptuel, One and Three Chairs (1965) de Joseph Kosuth. Deux chaises de Mercier présente une chaise « originale » et la reproduction d’une autre. Ironie de l’artiste : « l’original » est celle des deux qui est fondée sur sa reproductibilité, l’autre étant la copie construite d’une forme dont la valeur provient de sa rareté. La neutralité du titre l’annonce : cette pièce fait partie de l’inventaire assemblé par l’artiste. La conception de l’une est signée, l’autre anonyme. À nous de deviner laquelle. Avec quels critères juger de la « qualité » de l’une ou de l’autre ? L’œuvre fait donc appel à notre mémoire visuelle, et convoque deux standards, deux univers hétérogènes, qui font pourtant tous deux partie de notre panthéon. En les présentant toutes deux blanches, Mercier fait de ces deux chaises deux formes schématiques, et s’attarde sur leur structure à la manière d’un anthropologue.

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Deux Chaises parle en effet de reproduction. Michel Gauthier y voit avec justesse « une réflexion quelque peu désenchantée sur la déchéance des avant-gardes historiques : voilà ce que sont devenues dans un univers consumériste les perspectives ouvertes par les avant-gardes ». On peut également y lire, en s’inspirant de Warburg, un principe d’anachronisme. Les deux objets entrent en collision et créent une forme de fiction. Dans quel musée sommesnous ? Ce principe d’association formelle, et qui plus est recomposé, nous libère de toute forme de critique préconçue. Nous pourrions alors légèrement déplacer l’optique, afin de réévaluer les deux matériaux avec un regard différent. La chaise de jardin est autrement plus fonctionnelle, plus solide, c’est un « super-prod u i t » représentant l’accomplissement du rêve moderne, comme le note Mathieu Mercier13. D’un autre côté, apprécierions-nous autant Rietveld si ses sièges avaient été produits en série ? Nous connaissons l’image du siège de De Stijl. Elle a été souvent reproduite, certainement plus que celle du siège en plastique, que nous avons pourtant vu à maintes reprises également, peuplant les jardins des maisons individuelles. Ces deux images constituent deux

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icônes liées à deux champs distincts, coexistants, mais que nous séparons habituellement dans notre approche « c r i t i q u e » des objets. Deux Chaises, comme Palette standard euro, oppose deux contraires dans le système de production des objets : la plusvalue de l’une est fondée sur sa reproduction massive, l’autre sur sa fétichisation en tant qu’unicum. L’œuvre indique une impasse : au-delà des classifications qualitatives, subjectives, affectives, quel intermédiaire existe-t-il aujourd’hui entre la production de grande consommation et la réduction stratégique au statut « d’œuvre unique » ? Référence explicite à la sphère musicale, Drum and Bass (série inaugurée en 2002) est une étagère qui présent des objets colorés en plastique, le tout suggérant l’image d’un tableau de Mondrian. Les objets sont ici agencés comme dans ladite musique drum and bass, fondée sur la pratique du sampling, opération de prélèvement de formes existantes qui sont ensuite transformées et réagencées pour créer une composition dansante, comme le boogie-woogie qui inspira Mondrian à New York. C’est d’ailleurs lors d’un séjour dans la ville américaine que Mercier réalise cette œuvre en forme de « clin d’œil », comme le note Gauthier : « Le boogie-woogie évoque le rythme architectural et la pulsation sociale de la métropole américaine. La drum and bass fait, elle, plutôt référence à l’effréné staccato, au breakbeat accéléré de l’économie consumériste, mais aussi aux techniques du sampling et du mixage. » Le sampling est une pratique qui a trait à la mémoire, une manière de recontextualiser des bribes d’autres œuvres comme des adresses permanentes à l’histoire. Le compositeur samplant utilise le matériau à sa disposition comme une matière à travailler en soi, mais peut aussi user de cette source comme référence visible (à l’adresse de la culture du public et des autres artistes), au sein d’un univers musical fait d’échos et de résonances permanentes. Une manière, encore une fois, de bricolage, au sens où l’entend Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage : « Regardons-le à l’œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériau ; en faire, ou en refaire, l’inventaire. […] Tous ces objets hétéroclites constituent son trésor14 […]. »

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Nombre d’œuvres de Mercier se fondent sur un usage de l’histoire des formes et de la sphère des objets du quotidien comme d’un répertoire dans lequel l’artiste puise pour exposer sa propre sélection. Le travail de celui-ci participe d’une pratique d’orientation dans l’univers des formes, et propose un art fondé sur la notion d’inscription, apposant des marqueurs et créant autant de récits. En découle une forme de fiction qui naît de la tentative de saisir, dans le continuum du réel, les éléments à même d’opérer une hiérarchie au sein de la base de données proliférante que constitue l’appréhension contemporaine de ce réel. Le télescopage et l’hybridation des références à l’œuvre dans Drum and Bass peut également apparaître comme une réaction à la saturation informationnelle et à l’accélération du mode de réception des événements, comme de consommation des objets contemporains. Rappelons Walter Benjamin : « Toute passion, certes, confine au chaos, la passion du collectionneur, en ce qui la concerne, confine au chaos des souvenirs15. » Mercier, également collectionneur, propose une image bricolée de sa mémoire, faite de réminiscences d’autres œuvres et d’autres objets, recomposant « des bribes et des morceaux, témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société » comme le dit LéviStrauss. Une obsession de la rapidité, un zapping permanent qui conduit l’artiste à opérer des télescopages constants, des collages de fragments d’œuvres et des prélèvements dans le quotidien, contractant et étalant les références pour accentuer le rythme, créant même des contractions et des hybridations à partir d’autres œuvres. Un art de la reformulation face à une appréhension de l’information qui se doit d’être toujours plus efficace. Robinson contemporain, Mercier est un artiste qui arrive après le « naufrage », entendons ici, de manière métaphorique, l’annonce possible de la fin de la modernité. Son art, recomposition d’une « mémoire en morceaux » (Michel Gauthier), est comme la pensée « p r i m i t i v e » décrite par LéviStrauss : la tentative de création « d’ensembles structurés, non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus et des débris d’événements »16. Une œuvre en forme d’anamnèse, signe de la réinvention de gestes à partir de fragments reformulés, comme refabriqués « de mémoire ».

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Mathieu Mercier, Multiprise, 1998, 20 prises électriques, plâtre. 60 x 50 x 60, collection particulière, Dresde, courtesy galerie Mehdi Chouakri, Berlin, photo J. Ziehe

Primitivisme moderne : strates, reliques et fétiches M u l t i p r i s e (1998) est une œuvre qui peut se lire comme le condensé d’une série de références formelles et conceptuelles. Son mode de construction est lui-même le produit d’une agglomération de plâtre formant une petite butte blanchâtre posée au sol, dans laquelle est emprisonnée une vingtaine de prises électriques en état de fonctionnement. Jeu de formes, reprenant le mode de composition apparaissant aujourd’hui comme l’image même de la critique de notion de monument à l’œuvre dans la sculpture des années 1960 et 1970 (le tas), jeu de mots (prises électriques / prise du matériau), Multiprise est l’image possible de la « domestication » de la « montagne de langage » de Robert Smithson (A Heap of Language est le titre de l’une de ses œuvres de 1966). Comme plusieurs autres pièces de Mercier, Multiprise met en

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avant l’idée de branchement, comme la matérialisation d’un savoir fait de connections, un outil s’insérant dans un réseau plus large, articulant d’autres formes : la prise conduit le courant, le véhicule, mais n’alimente rien. Pour autant, le plâtre qui la recouvre, petite masse « informe » et isolante, contredit l’idée même de conduction en l’emprisonnant dans un manteau qui empêche la circulation. La montagne, chez Smithson, est une accumulation, le produit d’une sédimentation, l’image de la pensée même comme un savoir stratifié, opérant par couches successives après la fin des « percées » modernes, des inventions, des « génies » et des ruptures. Mercier associe deux modes de pensée : sous le tas se trouvent les prises, qui fonctionnent, malgré la chape de plâtre qui les cache. Dans le même temps, fatalement, cette interrogation fait elle-même image et devient un élément

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Mathieu Mercier, Sans titre, 2004, plâtre, fil de fer, bois, 138 x 110 x 70 cm, collection particulière, Allemagne, courtesy galerie Mehdi Chouakri, Berlin, photo J. Ziehe

Vides, les Structures en mélaminé sont comme des squelettes, eux-mêmes rangés et exposés à la

fond de la mer et sur lequel se serait agglomérée une couche de calcaire. Au-delà de ses références formelles, cet objet apparaît comme la reconstitution d’une relique archéologique de synthèse évoquant, dans le même temps, un modèle de grille primitive, préhistorique. Une autre œuvre produite la même année, également Sans titre, est composée de l’assemblage d’une barre et d’une boule faites de métal, soudées entre elles afin d’évoquer un outil pri-

manière d’un musée d’histoire naturelle. Ces objets évoquent des reliques, les restes de formes vivantes. « La question du vide est présente depuis assez long-

mitif, une sorte d’arme de poing qui serait issue de l’âge du fer. Ces œuvres sont présentées de manière muséale, posées à la manière d’objets « de culte » sur

temps dans mon travail. Elle s’est posée alors que je reconstruisais des prototypes de mobiliers, mais sans les finir. Je ne représentais qu’un squelette18 », dit

des socles. Elles font office de « fétiches » refabriqués dans le musée fictionnel de l’artiste : les animaux y sont géométriques, les armes y sont faites de boules

l’artiste. Une œuvre Sans titre, datée de 2004, se présente comme une structure de bois assemblée à la manière de Rietveld, recouverte de plâtre grossièrement appliqué, et qui lui donne un aspect détérioré, comme le fragment d’un meuble qui aurait séjourné au

de pétanque soudées. On trouve également dans ce musée des tableaux évoquant des compositions de Mondrian et réalisés à l’adhésif coloré vendu au mètre, sur des planches de bois usées, comme si celles-ci

du décor fonctionnel contemporain. Mercier : « C’est un objet néo-primitif, quelque chose qui a une certaine technologie mais associée à une forme extrêmement basique, presque naturelle, une montagne, un tas. C’est un objet qui a une sorte de présence, comme un animal de compagnie. Ça peut être aussi bien drôle que monstrueux17. »

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avaient été mises au jour à la suite d’un chantier de

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Mathieu Mercier, Sans titre, 2004, acrylique sur toile, Ø 130, courtesy galerie Chez Valentin, Paris, photo Marc Domage

fouilles archéologiques (Provisoirement sans titre, 2001). De telles œuvres jouent le rôle de signes d’un usage passé, face à la permanence du nouveau. Simulations de l’ancien pour reconstituer une manière d’histoire nécessaire, elles présentent de grandes différences dans leurs modes de fabrication et découlent de l’association de sources hétérogènes, issues d’histoires différentes. Signes possibles d’un temps révolu dont on aurait en partie oublié la signification, elles évoquent par là même des objets aux pouvoirs

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presque « magiques », des formes de « totems » : l’histoire qu’expose Mathieu Mercier évoque une série de « mythes artificiels ». À l’instar des sièges modernes refaits à la main par Simon Starling et exposés comme des sculptures, ou de ceux de Martin Boyce démembrés et accrochés au plafond tels des mobiles, certaines œuvres de Mercier pointent également la perte de signification que pouvaient comporter ces inventions formelles. Simultanément, ils apparaissent tels les

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signes d’une forme d’« adoration » pour leur pouvoir d’évocation d’un temps passé, symbolique d’une certaine « croyance » en un idéal. Ces œuvres montrent également en creux leur valeur de fétiche, au sens économique du terme : parallèlement au développement d’un regard renouvelé sur les formes du modernisme dans la création contemporaine19 , le mobilier moderne est devenu l’une des images de la « marchandise absolue », assumant par ailleurs le rôle de relique décorative. Est-il alors si surprenant de voir aussi exposée, dans le même accrochage à Berlin20, une peinture kaléidoscopique, réalisée à partir de la projection géométrique et colorée des facettes d’un diamant (Sans titre, 2004) ? Le diamant, cœur « pur » du carbone lové dans la matière, entre en dialogue de manière singulière avec les reliques reconstituées. Interrogation sur la question de l’origine et de l ’ «a u t h e n t i c i t é », l’exposition de Berlin montre à la fois la nécessaire fiction d’une croyance en l’idéal moderne, son énergie qui reste à trouver sous les couches de matières nous empêchant d’y accéder, et sa dénonciation comme illusion, sa fatale réification. Faut-il y voir également une application de la formule de Baudrillard, selon laquelle aujourd’hui encore « le cristal se venge » 21 ? Le regain d’intérêt pour les formes des utopies modernes aurait mené à une « reprise en main » par le marché, faisant de la pratique archéologique des « artistes iconographes » du modernisme les artisans d’une plus-value marchande. Le statut même de peinture, « valeur sûre » du marché de l’art, le signale ici : le devenir symbolique de la recherche ne peut se concevoir sans son fatal destin d’image cyclique, et donc son devenir marchandise. Des « vanités » : boucles, impasses et clignotement Holothurie est un volume de verre parallélépipédique aux arêtes renforcées, posé sur un socle blanc. Plus haut que large, sa transparence est légèrement teintée de vert. En s’approchant, le visiteur perçoit que cette tonalité particulière est produite par la couleur de l’eau qu’il contient. En son centre, tubes et câbles que l’on imagine à vocation technique traversent l’espace, de haut en bas. Au fond repose sur un lit de sédiments une forme sombre difficilement identifiable : c’est une holothurie, autrement appelée concombre de mer.

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Cousin des oursins et des étoiles de mer, cet animal se nourrit de sédiments et de détritus produits par les autres animaux et végétaux. Rampant à très faible vitesse, il dessine un périmètre quotidien extrêmement limité. Son corps cylindrique, sombre et charnu, long d’une vingtaine de centimètres, présente deux uniques orifices : d’un côté une bouche, qui fait également office de sexe, de l’autre un anus / poumon. Bien que ne se connaissant que peu de prédateurs, l’holothurie pratique la fuite comme tactique de survie principale : en cas de danger, elle n’hésite pas à s’éviscérer, expulsant la totalité de son organe digestif. Celui-ci sera ensuite rapidement reconstitué grâce à une faculté de régénération particulièrement importante. Dans certains aquariums, il peut arriver qu’une holothurie crée un véritable carnage parmi les autres animaux marins : en éjectant ses organes, elle diffuse en effet un poison particulièrement nocif, l’holothurine, capable de tuer tout autre occupant en quelques secondes. Aux yeux de Mercier, l’holothurie représente « la vie à son stade le plus primitif »22. De fait, l’animal semble ne pas avoir d’autre horizon que de se nourrir, se reproduire et se défendre : métaphore possible du comportement humain, caractéristique de l’intérêt de Mercier pour l’étude des sciences exactes. Holothurie apparaît alors comme l’image idéale des théories d’Henri Laborit, qui décrit « l’activité humaine [ramenée] à ses fonctions physiques essentielles, à savoir maintenir son système nerveux »23. Cette œuvre montre, comme un miroir, une représentation possible de notre condition, une certaine « absence de projets (s’installer et s’affaler) », ainsi que l’écrit Masséra, propre au mode de vie pavillonnaire. Mercier confirme : « L’holoturie dans l’aquarium, c’est une cellule vivante dans un contexte architecturé24. » Mis à part qu’ici, le contexte architecturé évoque plus la réplique miniature d’une case study house qu’un pavillon de banlieue. Laborit : « Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté… Il ne reste plus que la fuite 25. » Elle est même une image possible de la notion de bricolage, fondée sur le réemploi de « détritus ». Lévi-Strauss encore : « Dans son sens

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Mathieu Mercier, Sans titre, 2004, aluminium, caoutchouc, 150 x 90 x 100, courtesy galerie Chez Valentin, Paris, photo Marc Domage

ancien, le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation, mais toujours

d’égard au fond du bloc de verre. L’observateur, alors placé dans l’incapacité de qualifier le placide animal,

pour évoquer un mouvement incident : celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne pour éviter un obstacle. » L’holo-

procède par comparaisons et recoupements. Est-ce un caillou, une pierre, un quelconque minéral décoratif ? Face à cette forme inconnue, il est aisé de laisser dériver son imagination, et de donner libre cours à l’interprétation. Certains y voient alors un trivial étron.

thurie fonctionne comme une nature morte au sens classique du terme : une forme d’éloge de l’individu (Tzvetan Todorov), mais non pour en montrer la possible beauté individuelle et y retrouver l’image de Dieu : « […] La vanité classique suggère la religion comme solution, et ce n’est évidemment pas mon propos »26, dit l’artiste. Il ne s’agit pas pour Mercier de déceler des particularités ; il est plutôt question ici d’un constat objectif en forme « d’idée noire ». Encore une fois, mais peut-être cette fois-ci de manière encore plus emblématique, l’œuvre se pose comme une forme de « vanité ». Néanmoins, pour qui n’a pas connaissance de l’appellation scientifique dudit concombre de mer, il est bien difficile de nommer cette « c h o s e » énigmatique, posée sans plus

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Le lien entre Holothurie et les boîtes de Merde d’artiste de Piero Manzoni peut alors être effectué à plusieurs niveaux. Ainsi que l’a noté Jean-Pierre Criqui dans « Piero Manzoni et ses restes », Manzoni s’est fait représenter, non sans ironie, en train d’observer l’une de ses boîtes en une pose faussement mélancolique, l’ambiance générale de la scène évoquant « le thème, souvent traité en peinture, de la Vanité »27. L’animal de Mercier, sorte de « laissé pour compte » dans l’évolution des espèces, est exposé dans un aquarium en forme d’architecture moderne, ou de sculpture minimale californienne (on pense à Larry Bell, par exemple). Son aspect « i n f o r m e », au sens où l’entendent

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Mathieu Mercier, Sans titre, 2004, plâtre, 130 x 88 x 62,5, courtesy galerie Chez Valentin, Paris, photo Marc Domage

Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss28, s’oppose en tous points à l’ordonnance géométrique verticale du bloc de verre29. Continuons de filer la métaphore sexuelle : certains autres observateurs voient en l’holothurie l’image d’un phallus. Cette interprétation n’est pas sans

naturelle, une image donnant une tonalité énigmatique à la scène. Pourtant, cette juxtaposition n’est que le produit d’un déplacement du réel, qui fait encore une fois écho au processus de travail de l’artiste. John Miller, de nouveau : « Pour un artiste vivant, la

intérêt. John Miller : «Aux yeux de Freud, un facteur structurait cette opposition : dans l’esprit de l’enfant,

perspective des grandes catégories qui tendent à structurer la recherche et l’analyse en histoire de

les excréments font figure de phallus détachable, c’est-à-dire de premier signifiant artificiel 30. » On le voit, autour de cet animal « primitif » se constitue un réseau de significations complexe nous ramenant à la notion même de mimésis. À l’opposé formel de la

l’art – telles que le classique et le romantique, le géométrique et l’organique, le paysage ou la nature morte, la peinture, le dessin ou la sculpture, l’érotisme, le religieux, le pastoral, voire le scatologique – semblent bien loin des contraintes quotidiennes de la production

« peinture diamant » évoquée plus haut, H o l o t h u r i e concentre cependant des questions similaires. Elle

artistique32. » Image même de l’Impasse du progrès, l’holothurie ainsi présentée vit en circuit fermé, sans

pointe peut-être en effet un certain « rapport [entre] la matière fécale et ses fondements dans l’économie libidinale et le fétichisme de la marchandise »31.

aucun apport extérieur, et produit une boucle biologique, un système écologique autonome, parallèle, tournant « à vide ». Très nombreuses sont les œuvres de Mathieu Mercier qui prennent pour objets des motifs circulaires, des Peintures murales pour chevilles (1998) aux disques de plexiglas de Sans titre (2002),

Là aussi, Holothurie joue d’une opposition. L’organique vient contredire la froideur moderniste du verre : au récit téléologique, Mercier oppose une boucle

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comme d’autres qui mettent en jeu un mouvement rotatif, de Pot de peinture (ou la peinture restera dans le pot sans même être appliquée) à Sans titre (2004), machine de métal présentant deux cylindres entraînant une courroie, tournant sans interruption, « pour le seul plaisir, ou la seule peur de tourner », comme le dit Michel Gauthier. Ces « machines célibataires » sont les images de boucles temporelles distinctes, de temporalités différentes et solitaires, signes d’une relativité des notions de temps, d’évolution et de mouvement historique. Et elles se changent en objets de séduction qui tournent lentement dans l’exposition comme sur les présentoirs d’un grand magasin, exposant leur vide désespérant et fascinant. Les vanités classiques participent souvent du genre de la nature morte, et Holothurie peut apparaître tout à fait comparable à ce type de peintures. En tant que jeu de langage, elle se situe « entre deux » : elle est une forme vivante, et pourtant aux limites de l’inactivité. Minimale, elle existe, à l’instar de nombre d’œuvres de l’artiste, comme une « présence discrète ». Le mode de vie de l’animal le rapproche en effet de l’objet inanimé, du meuble. Ce n’est peut-être pas un hasard, si en 1913 Erik Satie, parlant lui-même d’une « musique d’ameublement » a composé un opus évoquant cet animal (E m b ryons desséchés : d’Holothurie). De nature, et de mort, il est bien question dans l’art de Mercier. Et nombreuses sont les œuvres contenant quelque connotation mortuaire : de la potence supportant une corde de néon au mouvement gelé à la figure de la tombe (Sans titre, également 2004), il n’y a qu’un pas. Mais, encore une fois, la mort évoque ici un recommencement, une boucle. Sans titre (2003) condense de manière emblématique ce processus : se présentant comme une sculpture géométrique minimaliste, noire et lisse, elle est faite du marbre des pierres tombales. Elle signale peut-être la

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mort de la notion d’avant-garde et d’abstraction. Ironie du sort, la tombe prend la forme d’une flèche, d’un signe indiquant, comme dans les espaces publics, une direction, un mouvement. Or, retournement ultime, celui-ci nous conduit dans l’angle d’une salle d’exposition, autre « lieu commun » de l’histoire de la m o d e rnité. Impasse du progrès, cul-de-sac de l’histoire moderne, est-elle le lieu d’un abandon ou celui d’un ricochet possible ? La tombe de l’abstraction se fait image : l’annonce de la fin de la modernité devient la représentation d’elle-même, et vient intégrer le répertoire de l’artiste. Mercier historicise et relativise la fin de l’histoire, comme pour montrer la vanité que représente le fait même de l’énoncer. Tout, pour lui, semble être une question de point de vue, d’optique, voire d’illusion d’optique. 0 / 1, réalisé en 2000, en apporte la preuve. Le panneau, utilisant le principe bien connu de l’image holographique montre, selon le point de vue du visiteur, soit un « 0 », soit un « 1 ». Signe du code informatique, l’œuvre est également la mise en image d’une appréhension possible de l’histoire : « 0 », je m’arrête ; « 1 », j’avance. Le tout étant affaire de position, de déplacement infime. Si nous effectuons trois fois ce mouvement, pour boucler la boucle, nous obtenons le titre de « 0,10 : Dernière Exposition futuriste », tenue à Petrograd en 1915, et qui présentait, dans la « Salle Malevitch », le Carré noir du peintre accroché dans un angle. Une autre impasse : demitour et retour en arrière accéléré, encore une fois une forme de « l o o p i n g » acrobatique cher à l’artiste. Accélérons le rythme de déplacement (mouvement syncopé du clignotement des chiffres se superposant), stoppons le mouvement : le « 1 » vient se superposer au « 0 ». La solution de l’énigme, si solution il y a, se trouverait peut-être alors dans l’acceptation de cette dualité.

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Vue de l’exposition « Mathieu Mercier » à la Galerie Mehdi Chouakri, Berlin, septembre 2004, photo J. Ziehe

Notes 1. Michel Gauthier, « Tic tac. Deux chaises et un concombre de mer », texte à paraître dans le prochain catalogue de Mathieu Mercier. Toutes les citations de Michel Gauthier sont issues de cet article. 2. Olivier Michelon, « Entretien avec Mathieu Mercier », Metropolis M, Amsterdam, février-mars 2003, p. 18-23. Cet entretien, initialement réalisé en français, a été publié en néerlandais. Les extraits publiés ici proviennent de la version initiale de cette discussion, restée à ce jour non éditée, et donc non paginée. 3. Mathieu Mercier. Un Manuel, Paris, édition de l’auteur, 1999. 4. Voir, à ce sujet, Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990. 5. John Miller, « Jour après jour », trad. Thierry Dubois, in cat. expo. John Miller, Économies parallèles, Yves Aupetitallot et Lionel Bovier (dir.), Grenoble, Le MagasinCentre national d’Art contemporain, 1999.

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6. O. Michelon, « Entretien avec Mathieu Mercier », art. cité. 7. Ibid. 8. Jean-Charles Masséra, Amour, gloire et CAC 40. Esthétique, sexe, entreprise, croissance, mondialisation et médias, chap. II : « Une harmonisation entre la croissance et le désir s’annonce délicate », sous-chapitre : « Le devenir maison individuelle de l’homme (pour un esthétique de la désaliénation), article : « Verdure et chien méchant (à propos de l’imaginaire pavillonnaire) ». 9. Henri Lefebvre, « Introduction à l’étude de l’habitat pavillonnaire » [1966], in Nicole Haumont, M.G. Raymond, Henri Raymond, L’Habitat pavillonnaire, Paris, Éd. du C.R.U., 1967. 10. « Mathieu Mercier. Prix Marcel Duchamp 2003 », Centre Pompidou, 10 décembre 2003-9 février 2004. 11. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage [1962], chapitre « La science du concret », rééd. Paris, Plon, 1990, p. 35.

12. « Au-delà d’un néo. Genève-Paris. », Bulletin Forde, (Espace d’Art contemporain, Genève), janvier 2005. 13. O. Michelon, « Entretien avec Mathieu Mercier », art. cité. 14. C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, op. cit., p. 32. 15. Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque, trad. P. Ivernel, Paris, Rivages, 2000, p. 42. 16. C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, op. cit., p. 36. 17. Mathieu Mercier, entretien avec Marguerite Pilven, mars 2004, www.parisart.com. 18. Ibid. 19. À ce sujet, plusieurs textes peuvent être consultés. Voir plus particulièrement Carolyn Christov-Bakargiev, « I Moderni / The Moderns », cat. expo. I Moderni / The Moderns, Rivoli-Turin, Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, 16 avril-24 août 2003 ;

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« World in Motion, Jan Verworert on New Modernism », Frieze, n° 84, juin-août 2004 ; Yann Chateigné, « M o d e r n i s t a» , cat. expo. Nicolas Chardon. Catalogue, Paris, galerie Édouard Manet / galerie Jean Brolly, 2004 ; ou encore cat. expo. Formalismus. Moderne Kunst, heute, Hambourg, Kunstverein in Hamburg, 9 octobre 2004-9 janvier 2005. 20. « Mathieu Mercier », Berlin, Galerie Mehdi Chouakri, 4 septembre-16 octobre 2004. 21. Titre de l’un des articles du livre de Jean Baudrillard, Les Stratégies fatales, chap. « L’objet et son destin », 1983, rééd. Paris, Grasset, 1987. 22. O. Michelon, « Entretien avec Mathieu Mercier », art. cité.

23. Ibid. 24. Mathieu Mercier, entretien avec Marguerite Pilven, art. cité. 25. Henri Laborit, Éloge de la fuite [1976], rééd. Paris, Gallimard, 1985. 26. O. Michelon, « Entretien avec Mathieu Mercier », art. cité. 27. Jean-Pierre Criqui, « Piero Manzoni et ses restes », Un trou dans la vie. Essais sur l’art depuis 1960, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p. 11-27. 28. À ce sujet, voir L’informe. Mode d’emploi, sous la direction de Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss, Paris, Éd. du Centre Pompidou, 1996. 29. Notons ici que Mathieu Mercier

proposera, quelques années plus tard, d’appliquer les définitions que proposent les deux critiques de la notion d’entropie (citant l’image de Smithson : un enfant court sur un bac de sable noir et de sable blanc, et crée inévitablement du gris), en tentant d’emboîter deux formes, l’une noire, l’autre blanche, le tout donnant l’image d’un siège géométrique, comme si cette notion même était devenue une image décorative. 30. John Miller, « La feuille de figuier était brune », trad. Thierry Dubois, cat. expo. John Miller. Économies parallèles, op. cit. 31. Ibid. 32. Ibid.

Yann Chateigné est chargé de mission à la Délégation aux Arts plastiques et enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’École du Louvre. Il a organisé plusieurs expositions (« We don’t play », Paris, Ménagerie de Verre, 2003), manifestations (« accès-s », Pau, 2000-2003) et projets de recherche pluridisciplinaires (avec le post-diplôme de l’École régionale des Beaux-Arts de Nantes, 2004). Il publie en 2005 : Au-delà d’un néo (Genève, Forde, Espace d’Art contemporain), Faux-semblants : Des projets déguisés (Nantes, Zérodeux), et prépare actuellement un texte sur le travail de l'artiste britannique Julian Opie.

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