路
IDENTITE EN MOUVEMENT
Mathieu Bessot
Mémoire de fin d’études
Formation design graphique
école supérieure d’arts graphiques SUPCRÉA
Grenoble, mai 2012.
·
Ã:
·
ß:
·
Č:
·
Ã: Déclinaisons du logotype de MTV réapproprié par divers artistes. ß: SPAMghetto, papier peint constitué de spams. L’idée originale est de recycler en partie les déchets numériques, Todo, 2009 Č: Voices of White City, poèmes sur un mur de Londres que le spectateur peut emmener avec lui, laissant naître une nouvelle inscription géante,
John Morgan Studio, 2005 ·
iden tit茅 en mouve ment 路
nedi 茅tit ne evuom tnem 路
17
remerciements
identité de l’individu
22 L’identité fixée
L’identité uniquement génétique ? L’identité personnelle
27 Unité et diversité de l’individu L’identité collective L’identité plurielle L’identité fragmentée
32 Un “je” d’apparence
41
La fiction au service de l’identité L’art de la mise en scène
la stratégie du changement d’identité pour la marque
46 Mise en scène de la marque
L’identité visuelle des marques Le logotype Processus de création et de diffusion Armé, ciblé, touché Affection entre la Marque et l’individu Vivre une expérience avec la marque Mise en scène religieusement orchestrée
57 Pourquoi changer d’identité ? Green washing Identités à l’écran Modes et tendances
61 Un changement pour une évolution ? Du blason au logo des villes L’avis du consommateur
63 Donner à voir
69 73
Exister dans « l’espace public » Faire la différence
identités manipulées
par le designer graphique
Une phase de transition
Place aux experts Designer graphique : métier hybride
76 Le processus comme identité
·
87
identité générative conclusion bibliographie annexes
• 10 •
remerciements En préambule de ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m’ont apporté leur aide et qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire. Je tiens à remercier sincèrement l’ensemble de l’équipe pédagogique et administrative de l’école Supcréa et particulièrement : Richard Bokhobza, Eric Fache, Julien Joanny, Danielle Maurel, Gwenaëlle Abgrall-Ballain, Sophie et Jean-Marie Colas. Mes remerciements s’adressent également à élodie Boyer qui m’a accordé de son temps pour enrichir mon discours par son expérience et son expertise. Merci à l’ensemble des équipes des agences Création d’Images et Rosbeef! pour leur disponibilité et les connaissances qu’elles m’ont permis d’acquérir lors de mes deux derniers stages. Je n’oublie pas mes parents ainsi que Sophie pour leur contribution, leur soutien et leur patience. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers Christiane qui a eu la gentillesse de lire et corriger ce travail. Merci aussi à Claire, Imad et Timothé, les DG4-A4, pour ces deux belles années au « paradis ». Enfin, j’adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis qui m’ont toujours soutenu et encouragé au cours de la réalisation de ce mémoire. Merci à tous et à toutes.
• 11 •
« C’est de l’identité qu’est née la différence » Heinz Pagels
·
Mon cursus supérieur a été varié. Après avoir étudié l’informatique
durant 3 ans, je me suis dirigé vers l’infographie pour enfin approfondir mes connaissances vers le design graphique. Ces deux dernières
années de formation graphique m’ont permis non seulement d’ac-
croître ma pratique graphique et d’expérimenter de nouvelles applica-
tions mais aussi de prendre du recul sur ce que sera mon futur métier : designer graphique.
Parmi mes interrogations, je me suis focalisé sur l’identité visuelle.
En effet, ce sujet me passionne et m’intrigue. L’identité de l’individu
est très complexe et celle de l’entreprise ne l’est pas moins ! Le designer
graphique a un rôle important dans le processus de création de cette identité et c’est de ce rôle dont j’aimerais parler dans ce mémoire.
En mélant cet intérêt particulier que je porte à ce domaine ainsi que ma passion pour les interacti-
vités dans le design, j’ai expérimenté durant cette
année, le design génératif. J’ai ainsi, par la création
d’un objet graphique, confronté l’identité visuelle à cet outil, comme l’ont déjà fait certains graphistes pour les identités visuelles du MIT media lab1 ou
le Max Planck Institute2 par exemple.
Comment parler d’identité visuelle des entreprises sans parler de l’identité individuelle ? L’identité marque les similitudes
et les différences. Qu’est-ce que l’identité propre de l’individu ? 1. Voir pages 76 et 77 2. Identité réalisée par Michael Schmitz - http://www.interaktivegestaltung.net/?p=69
• 13 •
Comment reste-t-il « le même » tout en évoluant au fil du temps ?
Comment la post-modernité pose-t-elle de nouvelles bases d’appréciation de l’identité de l’individu ?
L’identité est un sujet complexe. Nous prendrons donc le temps de nous y attarder tant ce sujet peut être controversé. L’individu joue
parfois (et de plus en plus) de son identité. Les nouvelles technologies
l’incitent à en devenir maître et à se créer son profil, ses profils.
Il m’a semblé évident que l’identité des marques évolue dans le même sens que celle de l’individu. Les marques savent jouer de la mise en scène pour mettre en avant telle ou telle valeur par leurs choix.
Les choix graphiques que met en place le designer graphique sont capitaux dans ce processus d’identification. La marque peut ainsi
s'adapter aux cibles qu'elle souhaite atteindre et accroître l'attirance
que les clients potentiels peuvent avoir envers elle.
Comment et pourquoi l’évolution des outils de création graphique et des supports d’expression crée un changement des identités visuelles des marques ? Quel lien existe-t-il entre l’identité de la personne
morale et celle de la personne physique ? Quel est le rôle du designer
graphique lors du processus de création de l’identité d’une marque ?
Comment le processus de création peut-il faire identité ?
Après avoir mis en avant le concept d’identité de l’individu dans les
domaines sociologiques, psychologiques et historiques, nous verrons comment les marques mettent en scène leur identité, de la création
de leur coeur d’identité jusqu’au choix de leurs partenaires (identité
• 14 •
collective). Nous tenterons aussi de comprendre comment et pourquoi
elles changent d’identité au fil du temps. Au long de ce processus, nous
verrons en quoi le rôle du Designer Graphique est essentiel.
Nous verrons aussi que parfois le changement d’identité n’est pas nécessaire, l’essentiel étant d’avoir une identité forte qui porte les
valeurs de l’entreprise.
Enfin, pour imaginer ce que sera l’identité visuelle de demain, je pré-
senterai une expérimentation graphique avec les outils technologiques
d’aujourd’hui et en imaginant les supports de demain. Je présenterai une identité visuelle évolutive et interactive.
Le logotype semble être un outil indispensable de l’identité visuelle des marques aujourd’hui. Chaque entreprise, de la plus petite à la
multinationale, veut son logo. Mais, pourrait-il disparaître demain au profit d’une identité plus globale, permettant ainsi au spectateur de
reconnaître la marque sans ce signe ?
• 15 •
路
identité de l’individu
• 17 •
路
Le concept d’identité est à utiliser avec précaution. Avant de vouloir parler d’identité, il me semble essentiel de réfléchir sur cette notion comme Levi-Strauss a su nous le recommander : « L’identité se
réduit moins à la postuler ou à l’affirmer qu’à la refaire, la reconstruire, et […] toute utilisation de la notion d’identité commence par une critique de cette notion »1.
L'identité de chaque individu est unique, c’est cette unicité qui fait
identité. Elle est définie par un ensemble d’éléments physiques au cœur des cellules de chaque être. Ensuite, elle se forge par les choix qu'il fait, le contexte social dans lequel il évolue, les sentiments qu'il développe, ses idées, etc.
Étymologiquement, identité vient du latin idem, « le même ». L'iden-
tité de Pierre exprime le fait que Pierre est en quelque sorte
« le même » que lui-même . L'identité masculine de Pierre, Paul et Jean permet de dire qu'il ont « les mêmes » caractéristiques physiologiques,
« le même » statut au sein de la société, etc. Leur identité spécifique permet de les différencier d'un autre collectif, celui des femmes. Dans le contexte social, et ceci à certains instants de l'Histoire,
il a été nécessaire de figer l'identité des individus à un temps donné.
Ceci pour permettre à la société de s’organiser en posant des critères de reconnaissance et de regroupement. C’est dans ce contexte que la
carte d'identité est née. Bien que n'étant plus obligatoire, elle reste l'un des seuls moyens que l'on a de justifier de son identité aux autorités. 1. Claude Lévi-Strauss, L’Identité, Paris, PUF, 1977
• 19 •
Cette normalisation des critères d’évaluation de l’identité imposée par la société crée chez certains le besoin de se différencier.
Dans notre société post-moderne et en parallèle avec ce principe struc-
turel précédemment énoncé, la notion d'identité sociale individuelle est née. Elle se manifeste aujourd’hui par un besoin de fuir l’ordre social
avec entre autre la naissance de l’anomie et les troubles de la personnalité multiple.
La technologie est au service de cette échappatoire. L’individu peut
définir l’identité qu’il souhaite se donner grâce à la création de profils
où il reste, dans une certaine mesure, maître de l’identité qu’il souhaite diffuser.
• 20 •
路
L’identité fixée En fonction des domaines d’étude, l’identité peut mettre en exergue plusieurs concepts distincts : Premièrement, il peut s’agir de l’identité numérique. C’est ici la relation d’un être à lui-même. L’entité est donc identique à elle-même quelles que soient les évolutions qu’il peut y avoir au cours de son existence. Puis, il existe l’identité qualitative. Elle représente le fait que deux entités partagent exactement les mêmes propriétés. Deux objets fabriqués en série par exemple sont en théorie identiques. Cette identité qualitative est celle utilisée dans le domaine scientifique et plus particulièrement en mathématiques : « une identité est une égalité entre deux expressions qui est vraie quelles que soient les valeurs des différentes variables employées ». Elle est ici utilisée, la plupart du temps, pour résoudre des équations. L’identité spécifique permet de distinguer la relation qu’entretiennent des êtres qui appartiennent à la même sorte de choses ou à une même espèce. Cette relation ne dépend pas de l’apparence des êtres ainsi réunis, mais de leur appartenance à une sorte de choses identiques. Enfin, l’identité dite personnelle est certainement celle qui va le plus nous intéresser. C’est en effet celle qui s’applique le mieux à la personne physique comme à la personne morale. Il s’agit ici de l’unité d’une entité alors même que celle-ci change au cours du temps. Contrairement aux notions précédentes, l’identité personnelle ne s’applique que pour des sujets comportant une dimension psychologique.
• 22 •
L’identité uniquement génétique ? « Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable ». Ces propos de Nicolas Sarkozy en Avril 2007 ont fait réagir de nombreux généticiens. Pour eux, cette déclaration est une grande ineptie. Déjà, en 1897, Émile Durkheim1, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne, montrait que le suicide est un fait de société, une « tendance collective » qui dépend de « l’état de la société ». Ces propos mettent en avant le retour du balancier de l’inné contre l’acquis ou la biologie contre la sociologie. Cette biologisation tend à rendre chaque individu biologiquement responsable de ces actes, de son sort, de son échec comme de sa réussite indépendamment du contexte dans lequel il vit. Cet exemple n’a pas de lien direct avec la question de l’identité de l’individu. Mais il permet de montrer que l’individu n’est pas programmé biologiquement. Il permet aussi de mettre en exergue le fait que l’identité n’est pas acquise à la naissance. L’identité génétique (ou identité numérique) existe bien évidemment, elle fait ce que l’on est physiquement par exemple. L’ADN de l’individu est une source insatiable permettant de l’identifier, de le différencier d’un autre. De plus, il permet de définir ses origines. « Parce que l’Homme est une espèce récente et qu’il n’est jamais resté longtemps isolé sur un territoire restreint, ce ne sont pas des races qui sont ainsi définies, mais des groupes d’ascendance, dont les contours restent flous et la diversité interne très grande »2. Cette biologie moderne met en avant une diversité génétique individuelle très forte. Cependant, l’enjeu biologique de l’identité n’existe que dans une certaine mesure. Prenons l’exemple du genre (masculin ou féminin). Il impose 1. Émile Durkheim, Le Suicide : Étude de sociologie, Paris, PUF, 1960 2. Bertrand Jordan, L'Humanité au pluriel, Le Sueil, 2008
• 23 •
un certain nombre de bases à l’identification fille ou garçon que l’enfant se fera de lui-même. Cette identité, dite sexuelle, reste à prendre avec quelques précautions. Il arrive que l’Individu, naisse bel et bien dans un certain genre, mais cela reste un état constructif qui résulte de l’inné et de l’acquis. L’enfant, dès ses trois premières années de vie peut se rendre compte que son identité sexuelle est différente de celle que lui dicte la société (cette révélation pouvant bien sûr se faire plus tard dans son existence). L’identité de l’individu ne se limite pas à ce que nous dit son code génétique. C’est en effet le contexte dans lequel il vit, ses choix et ses valeurs qui permettent de définir ce qu’il est, ce qu’est son identité.
L’identité personnelle Pour les existentialistes, en dehors de l’aspect religieux que nous n’aborderons pas ici, l’Homme apparaît dans le monde, existe et se définit ensuite. Il n’est d’abord fondamentalement « rien », puis il devient ce qu’il a choisi de devenir. « On peut alors s’interroger sur le sens qu’il y a à parler d’identité à propos de l’individu qui ne cesse d’évoluer, dont le corps voit ses éléments se renouveler sans cesse, et ses idées ou ses sentiments s’enrichir ou se transformer de façon parfois méconnaissable… » se questionne Anne-Marie Drouin-Hans3. Elle ajoute que : Puisque « l’existence précède l’essence, c’est l’interprétation de l’existence qui donne le sens ». Cette vision de la libre disposition de soi met entre parenthèses les interrogations sur une adéquation possible entre le soi et la conscience de soi, parce qu’une telle question n’a plus lieu d’être. L’identité de chacun est ce qu’il décide d’être à travers l’ensemble de ses actes et l’interprétation qu’il lui en donne. » Si tel est le cas, et puisque l’Homme est un animal social4, il semble indéniable que le contexte social dans lequel il vit intervient dans ce qu’il est. 3. Anne-Marie Drouin-Hans, Identité dans Le télémarque, N°2006/1, p.17-26, 2006 4. ARISTOTE, Des Parties des animaux, III, X
• 24 •
Son identité en est inévitablement enrichie. Lorsque l’on parle d’identité, il est parfois indispensable d’en parler à un instant donné. C’est ainsi que dans l’histoire, et dans un souci de reconnaissance de l’individu, il a été nécessaire de figer son identité. Avec l’apparition du Taylorisme, dans un contexte d’essor de l’industrialisation, l’individu se voit donner des tâches bien définies lorsque qu’il travaille. Taylor fait en effet le constat que « le travail réellement collectif est un mythe tant les comportements individuels, enfermés dans des logiques métiers fortement corporatistes ne contribuent en aucune manière à la cohérence ni à la collaboration ». L’organisation dite « scientifique » du travail qu’il développe, réduit la marge de manoeuvre de l’ouvrier sur son propre travail. Or, ce sont les choix et les actes de l’individu qui permettent de le faire évoluer et ainsi de forger son identité. L’ouvrier se voit, en quelque sorte bloqué dans sa liberté de créer son identité. Cette segmentation des tâches, même limitées à un registre d’actions très proches, présente aussi la fragmentation de l’identité que nous traiterons par la suite. Durant la première guerre mondiale, l’état français impose à tous les étrangers vivant dans le pays d’avoir une carte d’identité. Par la suite, en 1940, le besoin de figer l’identité pour les autorités s’est accru. Dans un premier temps, le Maréchal Pétain décrète que « tout Français de l’un ou de l’autre sexe, âgé de plus de seize ans, ne peut justifier de son identité que par la production d’une carte d’identité. » Par la suite, dans le contexte de l’occupation, la mention « juif » est apposée, le cas échéant. C’est en 1943 que son utilisation est finalement généralisée. Quelques années après la guerre et encore aujourd’hui, l’obligation est levée, laissant croire que les autorités ne cherchent plus tant à répertorier leurs citoyens.
• 25 •
Ce besoin d’identifier les personnes continue d’évoluer. En effet, le projet d’une carte d’identité biométrique obligatoire a été lancé en novembre 2011 par le Sénat5. Cette carte permettra d’identifier les individus sans falsification possible. Une nouvelle façon de mettre en avant l’identité biologique malgré les limites que l’on a exposées. Pour les autorités, ces outils d’identification font en fait de l’individu un être figé dans le temps. Cette carte d’identité donne les informations physiologiques, morphologiques et temporelles.
5. Article carte d’identité électropique sur www.senat.fr/les_actus_en_detail/article/protection-de-lidentite-1.html
• 26 •
Unité et diversité de l’individu L’identité collective « Il n’y a pas d’identité du JE sans identité du NOUS. Seules la pondération du rapport JE-NOUS et la configuration de ce rapport changent. » Par ces propos, Norbert Elias6 nous indique que quelle que soit l’époque dans laquelle nous nous trouvons, ce lien entre l’identité personnelle et la société est indéniable. Au fur et à mesure que la société se différencie et que la division des actions professionnelles s’accentue (par le taylorisme par exemple), ce rapport tend de plus en plus vers le JE. Le besoin de se distinguer mène à une individualisation plus importante. L’idéal personnel devient de se différencier, de se distinguer, d’être différent de l’autre. Un peu plus tôt, Heinz Pagels7 indiquait que « c’est de l’identité qu’est née la différence ». L’individu cherche à travailler son identité pour se distinguer, pour attirer l’attention, pour que l’on parle de lui, pour que l’on porte un intérêt à sa personne. Abraham Maslow, dans sa fameuse pyramide indique le besoin d’estime comme le 4e besoin de l’Homme après les besoins d’appartenance, de sécurité et physiologiques. D’après lui, si l’individu ne comble pas ce besoin, il est dans l’impossibilité d’assouvir le sommet de la pyramide : le besoin de s’accomplir, besoin que chaque humain souhaite satisfaire. L’identité collective est donc au service de l’identité personnelle, comme le confirme Jean-Marie Benoist8 : « Une identité de surface doit laisser la place à une quête de structure profonde qui façonne l’identité dans 6. Norbert Elias, La société des individus, Fayard, 1991 7. Heinz Pagels, Extrait de L'Univers Quantique, InterÉditions, 1985 8. Jean-Marie Benoist, Facettes de l’identité (Séminaire dirigé par Claude Levi-Strauss), Quadrige / P.U.F, 1983, P. 17
• 27 •
son aspect relationnel ; la question de l’autre apparaît comme constructive de l’identité. » L’identité collective, pour une société, passe par l’identité nationale. En effet, lorsque nous sommes nés dans un pays, nous formons le collectif de ce pays. Ces collectifs nationaux sont malheureusement source de discordes et de polémiques. En effet, dès qu’il y a du « même », il y a du « différent ».9 Le débat mené en France en 2009 autour de l’identité nationale a été un échec. Il avait pour ambition de vouloir « réaffirmer les valeurs de l’identité nationale et la fierté d’être français ».10 Ce débat a malheureusement mis en avant les différences entre les individus en France. Des propos maladroits ont laissé la porte ouverte aux extrêmes politiques qui se sont emparés de ce débat à leur avantage plutôt que de se centrer sur l’essence même du débat : chercher ce qui rassemble les citoyens même lorsque leur histoire, leurs valeurs ne sont pas les mêmes. Heureusement, certaines personnes ont su calmer le débat, comme le chercheur Pap NDiaye, de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, qui avait craint une dérive « autoritariste » du débat : « Il y a tellement de façons d’être français qu’il serait triste que le gouvernement nous dicte ce qu’est être français. » Il semble donc évident que l’identité collective permet à l’individu de savoir qui il est, mais aussi ce qu’il n’est pas. Le collectif est donc bénéfique dans un sens comme dans l’autre. Tous les Français mangent-ils des escargots, tous les hommes ont-ils un sentiment de supériorité à l’égard des femmes ? L’identité collective risque toujours de se figer en un système fermé, dans lequel aucun élément ne peut être modifié sans que les autres le soient aussi. Lorsqu’un individu se voit confronté à plusieurs identités collectives (si celui ci est originaire d’un pays et s’intègre dans un autre par exemple), il en est bien souvent grandi. Même s’il est à la croisée de ces groupes 9. Anne-Marie Drouin-Hans, Identité dans Le télémarque, N°2006/1, p.17-26, 2006 10. Éric Besson, Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, en octobre 2009
• 28 •
et qu’aucun ne le définit complètement, il peut en enrichir son identité personnelle. Il s’agit de l’identité plurielle. Attention cependant, l’évolution des communications, des technologies, des transports et des médias peut rendre les identités collectives éphémères et fragiles. Le risque étant d’uniformiser les identités collectives mondiales. Des organismes internationaux tentent de les préserver pour ainsi éviter un aplatissement culturel. C’est ainsi que les traditions et les langues mortes par exemple sont conservées. Le « droit à la différence » est une problématique majeure de notre société post-moderne.
L’identité plurielle Le contexte social des êtres humains prend une place conséquente dans la définition de son identité. Certains individus, confrontés à différents contextes sociaux se voient parfois obligés de composer : c’est ici qu’apparaît la notion d’Identité plurielle. Lors de son étude dans différents univers familiaux, particulièrement populaires, Bernard Lahire11 constate que l’hétérogénéité des contextes sociaux auxquels peuvent être soumis les enfants peut créer un certain malaise lorsque ceux-ci sont amenés à faire des choix. En effet, leurs pratiques sont irréductibles à « une formule génératrice » dans la limite où leur identité est plurielle. Par leurs identités plurielles, ils se voient donc confrontés à faire des choix souvent contradictoires, ce qui peut les mener à une confusion identitaire. Parfois, le transfuge (passage d’un contexte social à un tout autre milieu) crée un écart semblant parfois invivable pour l’individu. Mais, comme nous l’indique Bernard Lahire, alors que l’individu monte d’une ou plusieurs marches sur l’échelle sociale, il n’échappera jamais vraiment totalement à son milieu d’origine. Ce transfuge peut aussi être une richesse. Annie Ernaux, dans son
11. Bernard Lahire, L'Homme pluriel, Nathan, 1998
• 29 •
travail d’écriture12, en fait une démonstration à mi-chemin entre la sociologie et l’expérience personnelle. Elle met en avant un lien direct entre transfuge social et ouverture créative. Ainsi, ce transfuge permet une ouverture d’esprit plus grande chez certains. Malgré une préservation chez certains parents, nous sommes (ou avons été) tous confrontés à de nombreux contextes sociaux différents. Nous avons tous en nous une certaine forme d’identité plurielle qui, en fonction de nos choix et de nos convictions permet de faire naître une nouvelle identité : notre identité personnelle. Cette pluralité permet d’identifier nos forces et nos faiblesses.
L’identité fragmentée « L’ère post-moderne contribue à la fragmentation de l’individu : l’identité se fragilise. Elle se démultiplie ou se compartimente entre des attitudes diverses, auparavant opposées : « banker le jour, raver le soir », « parfaite maîtresse de maison le soir, business woman le jour »...13 L’individu d’aujourd’hui veut tout connaître, diversifier ses relation sociales comme ses compétences. L’individu, conscient de la globalité du monde qui l’entoure, est incontestablement individualiste. C’est cette globalité à laquelle il est confronté qui l’incite à tout vouloir, très vite. Lorsque tout devient accessible, l’individu a une multitude de choix possibles. Ces choix font ce qu’il est. Il peut donc, en quelque sorte, devenir ce qu’il veut, aller où il veut et changer quand il le souhaite. Nous sommes dans « l’ère du vide », nous disait Lipovetsky, mais en réalité, dans l’ère du rapide et du changement. Nous pouvons nous faire passer pour un individu A sur twitter, pour un individu B sur Facebook, alors que nous sommes un individu C complètement différent et unique. 12. Annie Ernaux, Les Armoires vides, 1973 et La place, 1984 13. Gilles Lipovetsky, L'ère du vide : Essais sur l'individualisme contemporain, cité dans Olaf Breuning - De la simplicité trash à la libération des signes par Caroline Laurent
• 30 •
Cette fragmentation de l’identité résulte de la perte des repères, de règles communément admises. Ainsi, l’individu ne connaît plus la bonne conduite, ce qu’il doit faire. Alors, il fait ce qu’il aime, et devient ce qu’il veut. Cette forme d’anomie crée l’isolement et la prédation plutôt que la coopération. Ces paradoxes, dans la société post-moderne sont nombreux. L’individu tente de forger son identité personnelle, dans un contexte collectif, où il est parfois obligé d’entretenir plusieurs fragments d’identité... Une situation singulière où l’individu de la société post-moderne peut perdre racine et douter de son identité propre.
• 31 •
Un “je” d’apparence Nous venons de voir ce qui fait l’identité de l’individu. Ces notions théoriques permettent de saisir la complexité de l’identité de l’individu et l’impact que peut avoir son environnement sur ce qu’il est et ce qu’il veut être. Depuis quelques années, comme nous l’avons déjà dit jusqu’ici, l’individu évolue dans la société dite post-moderne. Cette notion, développée par quelques auteurs14 désigne la dissolution dans les sociétés occidentales contemporaines à la fin du XXe siècle. Elle se déclenche par trois grands changements : le rapport au temps centré sur le présent, la perte d’un ordre commun et la fragilisation de l’identité collective et individuelle. L’individu voit donc aujourd’hui la nécessité de fuir la fatalité d’une identité incertaine. Cet état, loin d’être tragique, crée de nouveaux phénomènes où la fiction et le jeu des profils prennent une place importante. L’identité est centrée autour de l’individu.
14. Définie entre autre par Gilles Lipovetsky dans L’Ere du vide : Essais sur l’individualisme contemporain, Michel Maffesoli dans Le Temps des tribus et Georges Perec
• 32 •
La fiction au service de l’identité L’individu voit son identité fragilisée. Il ne se projette plus dans ses modèles, mais joue de sa personne à travers plusieurs masques. On tend vers une flexibilité identitaire très grande : « Je est un autre ». L’individu aujourd’hui tente de fuir cette fragilisation. Puisque chaque individu a le droit d’être ce qu’il est, tous les modes de vie deviennent légitimes. Ils permettent de ne pas forcément se prendre au sérieux, et d’être à la marge de ce qui aurait été immoral voir impossible autrefois. Face à une société sans valeurs, sans cohésion, sans morale, l’individu post-moderne ne déprime pas seulement, il ironise, diabolise et s’amuse à la recherche de son propre plaisir. Puisque ce sujet est souvent tabou, la diversité des identités individuelles a souvent été traitée dans le cinéma et la littérature. Des personnages flottants prennent ainsi plusieurs formes : visuellement effacés, en train de chuter ou se définissant par une simple tache dans les plans cinématographiques. Ils laissent l’image d’un corps, à peine défini, se confondant avec le décor. Dans la littérature, il s’agit plutôt de personnages qui se définissent et se redéfinissent tout au long du récit, utilisant des patronymes très proches tel que « leclerc » et « leclaire »15 pour créer la confusion identitaire qui peut rapprocher l’identité de plusieurs personnages. C’est ainsi que la fiction traîte de ce sujet sur lequel l’individu ne s’attarde que très peu. Lorsque l’on parle d’identité et de fiction, il me vient à l’esprit un film : Fight Club. Ce film de David Fincher, réalisé en 1999 est en fait une adaptation d’un roman de Chuck Palahniuk (qu’il a écrit en 3 mois seulement). La question de l’identité, ou plutôt des identités y est clairement exposée. LES personnages principaux se voyant finalement être LE personnage principal...16
15. Henri Lopes, Le chercheur d’afrique, Broché, 1990 16. Analyse inspirée de l’article de blog : http://leblogapetaire.free.fr/?p=153
• 33 •
fight club Remémorons-nous d’abord le synopsis : « Le narrateur, sans identité précise, vit seul, travaille seul, dort seul, mange seul ses plateaux-repas comme beaucoup d’autres personnes seules qui connaissent la misère humaine, morale et sexuelle. C’est pourquoi il va devenir membre du Fight club, un lieu clandestin où il va pouvoir retrouver sa virilité, l’échange et la communication. Ce club est dirigé par Tyler Durden, une sorte d’anarchiste entre gourou et philosophe qui prêche l’amour de son prochain. » Mais quels sont donc les thèmes de Fight Club ? Dans une première lecture, il semble évident de parler de la violence ou de la critique de la société de consommation. Mais ce sont clairement des thèmes « de surface », qui sont ici pour faire une critique sociale. Ils servent à donner une force au récit, mais ne constituent pas son noyau. Venons-en au thème principal : la construction d’un homme, de son identité face aux dangers qui l’entourent. En effet, le narrateur est au début du récit un personnage sans identité. Il n’a pas de nom. Dans le récit, il participe à des réunions de cancéreux et de malades en tous genres car il a perdu le sommeil depuis plusieurs semaines et ne se sent réellement soulagé qu’après avoir vu et partagé la misère des autres. C’est ainsi qu’il prend l’identité de « Cornelius ». Il fait la connaissance de Marla à la réunion des cancéreux des testicules et c’est là que tout se déclenche.
Il se sent prisonnier d’une sorte de triangle amoureux qui ne prend son sens qu’après la révélation finale : « I want Tyler. Tyler wants Marla. Marla wants me ». Si le narrateur (Cornelius) veut Marla et que Marla veut le narrateur, il devra passer par le personnage de Tyler qu’il se crée pour pouvoir affronter une relation amoureuse. Tyler est un amant parfait. Il représente donc une sorte d’antidote à tout ce dont le narrateur a peur. Tyler se révolte contre une forme de dépersonnalisation générale dont l’incarnation la plus évidente est la société de consommation et le catalogue Ikéa. Cette perte d’une identité propre passe par exemple par la maison en ruine, parfait symbole d’une personnalité en lambeaux, antithèse du Ikeaboy, et de la possibilité de se reconstruire totalement en abandonnant son ancien moi.
·
Le Fight Club n’est finalement qu’une allégorie de la psyché du narrateur, qui détruit tous ses préjugés et qui le reconstitue mentalement. Où se situe sa ligne morale ? Jusqu’où va-t-il aller dans la construction de sa nouvelle personnalité, dans son évolution en tant qu’homme ? Au niveau de la création du Projet Chaos, c’est à partir de cet instant que le narrateur commence à désapprouver Tyler, à ne plus vouloir de lui. Il le contredit et finit par le tuer. C’est en le tuant qu’il acquiert une personnalité reconstituée, établie. Il devient celui qu’il a toujours voulu être, dans le but de pouvoir établir une relation avec Marla. ·
Le thème de l’identité multiple, fortement présent dans les productions modernes est souvent la représentation du masque social que doit prendre toute personne contre son gré. Si cette pathologie existe depuis toujours, elle s’est récemment très répandue, sans qu’aucune raison ne soit vraiment identifiée, outre un système de diagnostic plus évolué et une meilleure connaissance de ce trouble. Existe-t-il un lien entre une société qui serait plus aliénante et l’explosion de cette maladie ?
Fight Club est l’une des fictions traitant de la diversité des identités et du trouble de la personnalité multiple qui m’a le plus marqué. Il s’agit d’une fiction, mais qu’en est-il de la réalité ? Les identités flottantes telles qu’on les voit dans la littérature ou le cinéma ne sont que le reflet de la société. L’individu souffre en effet d’une certaine difficulté à se définir. Il souffre de plus en plus de troubles tel que le trouble de la personnalité multiple. L’individu est seul, mais il n’a jamais été aussi proche et conscient de la globalité du monde dans lequel il vit. C’est sûrement d’ailleurs pour cela qu’il ne sait plus ce qu’il est, voulant à la fois être le meilleur de tout ce qu’il voit et le plus loin possible de ce qu’il peut détester dans ce monde. Nous utilisons souvent la schizophrénie pour définir ce dont on parle jusqu’à maintenant, mais il convient cependant de faire attention. La schizophrénie ne se manifeste pas par une multiplication des identités d’un individu, qui se rapproche elle du « Trouble Dissociatif de l’Identité». Si cette pathologie existe depuis toujours, elle s’est récemment très répandue, sans qu’aucune raison ne soit vraiment identifiée, outre un système de diagnostic plus évolué et une meilleure connaissance de ce trouble. Existe-t-il un lien entre une société qui serait plus aliénante et l’explosion de cette maladie? Rien en tout cas ne le prouve.
L’art de la mise en scène Epaules larges, abdomen musclé, taille fine, fesses fermes, jambes fuselées, pieds cambrés : c’est avant tout l’harmonie des formes qui compte. Voici le profil type du nouveau canon de beauté. Une définition bien subjective puisque la notion de beauté dépend de chaque individu. Cependant, ce profil type crée chez certains un objectif : s’en rapprocher un maximum. C’est alors que le jeu des profils prend naissance. Depuis déjà longtemps, l’individu tente de manipuler son identité pour se faire passer pour un idéal, que ce soit intellectuellement, esthétiquement, qualitativement, sociologiquement, etc. Cependant, ce jeu
• 36 •
des profils s’est acceléré avec la démocratisation d’Internet et des nouveaux modes de communication. Puisque les individus ne sont pas face à leurs interlocuteurs, il est simple de se faire passer pour un autre, de travailler son/ses profil(s) : « Je montre ce que je veux que l’on voit de moi ». Ce phénomène s’est acceléré avec l’arrivée des nouveaux réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter. Il s’agit en effet ici de montrer à nos « centaines voire milliers d’amis qui nous sommes et ce que nous faisons ». Mais nous sommes, en quelque sorte, maîtres de notre image : utilisation de pseudonymes, informations non-vérifiées, travail sur les images. Autant de manipulations quotidiennes qui nous éloignent, même sans que l’on s’en rende compte de notre coeur d’identité. Cependant, ce « travail » autour du profil de l’individu peut être important. En effet, dans le cadre d’une embauche par exemple, nombreuses sont les entreprises qui vont mener l’enquête sur les réseaux sociaux de leurs candidats pour ainsi voir « qui ils sont ». Même si cela semble inapproprié puisque l’on peut être qui l’on veut ! Ne serait-ce pas un moyen, comme le font les entreprises, de se créer son identité, de faire passer des valeurs que l’on veut montrer, sans forcément les porter en soi ? Plus qu’un jeu des profils, c’est ici une question d’éthique de l’individu.
• 37 •
L’identité de l’individu est quelque chose qui ne dépend pas de l’inné,
nous la contrôlons au quotidien. L’individu peut en effet réussir à maîtriser l’image qu’il donne de lui même (l’identité perçue) que ce soit
sur les réseaux sociaux ou par l’accessibilité de l’individu à multiplier ses activités professionnelles ou personnelles.
Malgré tout, la partie sensible de son identité se définit naturellement
que ce soit par ses choix ou par son histoire. En effet, les collectifs qui
l’entourent influencent son identité personnelle et ceci en commençant par son éducation (la famille étant le premier collectif dans lequel
il évolue).
L’évolution de la société conditionne énormément l’évolution de l’identité de l’individu. Pour fuir le mal-être remarquable dans la société
post-moderne, l’individu tente d’égaler des idéaux, de devenir ce qu’il
n’est pas. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les troubles de la
personnalité multiple ou une perte de repères chez certains individus,
même s’ils sont conscients de jouer de leurs profils pour être ce qu’ils
ont rêvé d’être.
• 38 •
• 39 •
路
la stratégie du changement d’identité pour la marque
• 41 •
路
Pour pouvoir parler de l’identité visuelle de l’entreprise, il était essentiel dans un premier temps de s’intéresser à l’identité de l’individu.
C’est pourquoi dans cette première partie, j’ai tenté de développer les approches sociologiques, historiques et sensibles de l’identité de l’individu.
Lors de mes études en design graphique, je me suis particulièrement
intéressé à l’identité des marques. C’est ainsi que j’ai constaté que son évolution s’est accélérée depuis quelques années...
À la différence de l’identité individuelle, l’identité de l’entreprise est à construire à partir de rien. Rien ? Pas tout à fait. Lorsque
la marque définit pour la première fois son identité, elle est fortement influencée par l’identité collective que forment les membres fondateurs.
La création de l’identité de la marque passe par la création d’un uni-
vers et une plate-forme stratégique mettant en avant les qualités et les valeurs qu’elle souhaite mettre en avant.
Pour qu'il y ait de l'affect entre deux entités, il faut qu'elles aient un
certain nombre de valeurs et d’intérêts communs. C'est sur ces points que la création d'une plate-forme de marque est essentielle. L'objectif d'une personne morale est de « plaire » au consommateur (qu’il
choisisse notre marque plutôt que celle du concurrent), mêlant ainsi le
contexte social et l'objectif commercial (le contexte sociocommercial). Le rôle du Designer Graphique est ici capital car c'est son travail qui
est vu au premier abord (« Une image vaut mille mots » – Confucius).
• 43 •
En associant les compétences des consultants en stratégie
de communication des marques s’il en a besoin, il doit définir un
univers visuel fort qui fasse la différence et qui permette rapidement d'identifier, de reconnaître la marque. Lorsque ce travail est réussi, au même titre que nous le faisons entre individus, une complicité peut naître entre la personne physique et la personne morale.
Comme peuvent le faire les individus, les marques éprouvent parfois le besoin de changer ou de remanier leur identité.
Quels sont les liens entre l’identité de l’individu et celle de la marque ? Quel rôle occupe le designer graphique dans le processus de changement et de création d’identité de la marque ? Pourquoi et comment changent-elles d’identité ?
• 44 •
• 45 •
Mise en scène de la marque De l'identité personnelle à l'identité des marques, il n'y a qu'un pas. En effet, au même titre que l'individu de la société post-moderne, la marque tente de faire voir ce qu'elle souhaite que l'on pense d'elle. « L’identité représente la façon dont la marque veut être perçue, par opposition à l’image qui est la façon dont la marque est réellement perçue par les consommateurs, indique Géraldine Michel1. C’est l’identité qui permet ainsi de guider les décisions importantes de la marque et qui garantit la cohérence des diverses actions entreprises dans le temps ». C'est grâce à cela que la marque réussit à créer de l'affect et à interagir avec le consommateur. Ce travail d'identité, pour qu'il soit efficace, commence par un travail de fond sur le coeur de la marque. Travailler l’identité, c’est aussi parfois cacher une partie de la vérité. En effet, l’activité des marques productrices n’est pas forcément tout à fait respectueuse. Nike par exemple a toujours exporté la production de ses chaussures et autres produits en Asie et Indonésie pour réduire les coûts de production. Bien sûr la marque n’a jamais communiqué sur cela, mais ce sont les médias qui s’en sont chargés, mettant la marque en porte-à-faux. La marque, obligée de réagir a fait évoluer les conditions de travail de ses sous-traitants, un bon moyen de redorer son image auprès de ses clients et de sa cible. La cible est un des nombreux élements définissant la plate-forme de marque. Cette plate-forme, conçue par des consultants en stratégie des entreprises ou le cas échéant, par le designer graphique, permet de mettre en exergue l’ensemble des élements définissant ce qu’est la marque. 1. Géraldine Michel (Professeur à l’IAE de Paris), Au coeur de la marque, Dunod, 2009
• 46 •
Elle regroupe entre autres : • Le nom de la marque (« Le concept d’identité vient rappeler que si, à la naissance, une marque n’est souvent que le nom d’un produit, elle acquiert avec le temps une autonomie, un sens propre.2 ») • Sa raison d’être (activité de service et/ou de production) • Ses valeurs (réalisation de produits « équitables » par exemple) • Ses acteurs (les salariés, les dirigeants, etc.) • L’univers concurrentiel et leurs codes graphiques • Ses partenaires et leur univers graphique... Cette plate-forme permet de définir l’identité de la marque, ce qu’elle souhaite mettre en avant mais aussi ce qu’elle souhaite cacher. Car ici, au même titre que l’individu post-moderne lorsqu’il entretient ses profils, l’entreprise peut maîtriser la globalité de son identité en fonction de ses choix. La plate-forme de marque permet de développer l’ensemble de l’identité de la marque. Au delà d’un simple logotype, son identité passe par la création d’un univers inspiré par les partenariats qu’elle peut développer, ses locaux, son organisation internet, sa communication externe, tout ce qui est visible par le client en somme. « C’est une vision globale que le designer graphique doit saisir dans son ensemble pour avoir les réponses graphiques les plus pertinentes possibles. »3
2. Noël Kapferer, professeur et chercheur à HEC Paris, sur e-marketing.fr 3. Pierre Fraysse, designer graphique à l’agence création d’images - Meylan (38)
• 47 •
L’identité visuelle des marques Nous venons de voir ce qui fait la plate-forme de la marque. C’est en fait le côté immergé de l’iceberg de l’identité. En effet, l’individu spectateur ne voit pas cet ensemble. Il perçoit directement la communication visuelle. Le challenge est donc de faire percevoir un maximum d’informations de ce qui fait la marque en quelques signes à la fois simples et riches de sens. Mais qu’est-ce qui fait l’identité visuelle d’une marque ? Quels en sont les objectifs ? Comment cela se formalise-t-il ? « Seulement 20% de l’identité passe par le logo, le reste, c’est le style graphique, nous dit Elodie Boyer4. Ce style graphique doit être stable et fort. La définition de la charte graphique est réussie si la balance entre l’appropriation des règles et la force de l’identité est équilibrée pour garder une bonne reconnaissance de la marque ». Mais qu’en est-il alors des graphistes qui vendent : « La création de logo et déclinaisons (cartes de visites, papeterie, plaquettes de présentation...)5 » ? Sont-ils dans cette démarche de création d’identité visuelle ou simplement dans la création d’un signe sémantiquement plat, qui sera décliné par-ci par-là au bon vouloir de l’entité cliente ? Bien souvent, ces processus de création graphique sont un peu pauvres, l’identité ne se transmettant pas réellement. N’oublions pas que les 80% entourant le logotype sont indispensables pour une bonne reconnaissance de la marque. L’identité visuelle comprend donc de nombreux éléments, tous aussi importants que le logotype : le choix typographique, les règles de mise en page, l’univers coloré, les formes, l’univers sonore, les matériaux, etc. Autant d’éléments créant une boîte à outils au service de la communication et surtout de la reconnaissance de l’entité. 4. Elodie Boyer - Consultante en identité et design management. Chargée de cours au Celsa et à l’École Estienne - Voir interview en annexe. 5. Discours de vente lu sur des sites de graphistes.
• 48 •
Le logotype Le logotype est partie prenante dans le système d’identification visuelle de la personne morale. Ce n’est pas seulement un texte, ni une image, mais une sorte d’écriture qui se définit par l’utilisation de plusieurs langages. Il se retrouve donc entre le registre verbal et visuel. Sa « vie » de logo dépend fortement du contexte dans lequel il est inscrit. En effet, il doit être compris dans n’importe quel pays et dans n’importe quel milieu socioculturel ciblé par la marque. Historiquement, le logotype devient une utilisation un peu élitiste du sceau et du blason. Sa création répond à une demande socio-économique du marché, selon laquelle il est important d’avoir une signature « institutionnelle » pour montrer qui nous sommes, au même titre que la carte d’identité de l’individu. Il est pourtant impossible d’établir, par un signe simple, une identification symbolique de l’entièreté de l’identité de l’organisation. Le logotype doit répondre à certains objectifs (ce qui pour Peirce6 attire l’attention) : • Se distinguer, être vu dans un environnement visuel surchargé ; • Attirer le regard du destinataire, de la cible ; • Se faire reconnaître comme un objet de communication ; • Être crédible et légitime ; • Renvoyer à une référence organisationnelle. Comme nous l’avons déjà dit, le logotype n’est fonctionnel qu’au sein d’un système d’identification visuelle. Ce système, existant grâce à une charte graphique, permet de définir un univers dans lequel l’identité visuelle de l’organisation peut se manifester. Il regroupe les règles d’utilisation graphique du logotype, l’univers photographique, calorimétrique, 6. Charles Sanders Peirce, Écrit sur le signe, Seuil, 1978
• 49 •
formel, etc. Cette charte, mettant en place une grammaire graphique, doit permettre à toute personne ayant à travailler sur un support de communication pour l’organisation, de rester en cohérence avec l’univers précédemment défini et ainsi transmettre l’identité.
Processus de création et de diffusion Le processus de création d’une identité visuelle efficace n’est pas réellement défini. En effet, chaque designer graphique développe sa propre méthode. Nous allons ici questionner ces méthodes pour en extraire les éléments essentiels. Dans un premier temps, il est fondamental pour le designer graphique de saisir, de comprendre et de connaître l’identité de l’entreprise. Cela passe souvent par un temps d’échange d’une durée non définie. L’objectif étant de ne pas passer à côté du coeur de l’identité de l’entreprise. Cela n’est pas simple, car, il faut qu’en amont, le client ait défini ce qu’il est et les valeurs qui le définissent. A mon avis, c’est aussi à ce moment qu’il est important de mettre en avant ce qui différencie l’entreprise de ses concurrents. Ceci permettra de simplifier l’élaboration de signes par la suite. Dans un second temps, après un temps d’exploration et de recherche, le designer graphique commence à concevoir une syntaxe graphique représentant l’entreprise. L’enjeu étant ici de définir un univers graphique prenant en compte les supports d’expression sur lesquels l’identité sera déclinée (de la lettre à en-tête, au site internet en passant pas l’habillage véhicule, les animations, etc.). C’est ici que la grammaire graphique explore les champs sémantiques pour devenir pragmatique et donner un sens réel et visuel à l’identité. A ce moment là, il y a à nouveau un échange avec le client pour ajuster le sens du style graphique développé et être au plus près de l’entreprise. L’enjeu ici est aussi de transmettre l’expertise du designer pour que la marque soit prête à se sentir proche de l’identité développée et que les
• 50 •
individus composant l’entité la portent fièrement pour les années qui suivent. C’est après ces validations que commence l’élaboration d’une charte graphique définissant les règles d’usage de l’identité. « L’enjeu étant de définir des règles du jeu assez ouvertes pour avoir une diversité dans les mises en pages par exemple et ne pas avoir une identité trop figée, de définir une boîte à outils permettant d’avoir un bon équilibre entre l’unité et la diversité7. » Dès lors, il est essentiel que l’entreprise accepte l’usage de cette identité sur l’ensemble de ses supports de communication. L’enjeu étant de ne plus voir les signes d’une identité passée (s’il y en a eu une). Certaines entreprises ont une grande difficulté à le faire. Par exemple, lorsque l’on prend un train SNCF, il n’est pas rare de voir, dans les gares, le logo de 1992, voire même des versions de 1995 ou 1972. En effet, lorsqu’ils ont changé d’identité, ils n’ont pas renouvelé leur identité sur l’ensemble de leurs supports d’expression : Ils n’ont pas tenu compte de l’importance des médias permanents dans la mise en scène de la marque.
Armé, ciblé, touché Pour créer une relation entre deux individus, il faut qu’ils choisissent leurs cibles. Naturellement, les jeunes, par leur identité collective de jeune, n’ont pas d’affect particulier avec le collectif des aînés. En quelque sorte, de façon spontanée, l’identité d’un jeune a pour cible d’autres jeunes. Il en est de même pour l’entreprise. La cible de la marque est l’un des premiers éléments déterminé lors de la définition de la plateforme stratégique. Prenons l’exemple de Nutella. Leur coeur de cible semble évidente : les enfants et jeunes en cours de croissance. Cette cible s’élargit aux jeunes en général, gardant l’enfant qui est en eux. 7. Elodie BOYER, - Voir interview en annexe
• 51 •
Cependant, pour ne pas réduire leur influence qu’à une petite partie de la population, certaines marques divisent leur gamme en plusieurs « sous-marques » comme Adidas par exemple, qui s’est découpé au fil du temps en Adidas Orginals, Adidas Sports et Adidas Style. Le premier ayant une cible branchée ou skateboarders, la seconde tous les sportifs et la troisième les jeunes cherchant des vêtements plutôt « mode ». Autre exemple, le groupe Coca-Cola a créé le Coca-Cola Light qui a pour cible les jeunes femmes qui font attention à leur ligne. Puis, voyant que les hommes aussi y faisaient de plus en plus attention, ils ont développé le Coca-Cola Zéro avec une communication du « super héros du quotidien ». Les codes graphiques sont très souvent dépendants de ces cibles. En effet, avec une communication à présence égale dans l’espace publique et médiatique, la tranche des 12-25 ans ne verra quasiment pas l’affichage pour la radio RTL et au contraire, les séniors ne seront pas sensibles aux codes graphiques utilisés dans la communication pour Quiksilver. Lors de ma période de stage parisienne où la communication visuelle est omniprésente lorsque l’on prend les transports en communs, j’ai fait cette observation : une affiche 4 par 3, répartie régulièrement sur mes trajets, annonçait le « Grand méchant Zouk », une grosse soirée organisée au Zénith de Paris. Cette affiche a particulièrement attiré mon attention par sa composition hasardeuse, l’utilisation de couleurs franches en dégradés, et de typographies se raprochant des WordArt (effets prédéfinis dans Microsoft Word). Puis, je me suis demandé pourquoi ils avaient fait cela ainsi. Finalement je me suis rendu compte que c’etait une communication se rapprochant des habitudes de la cible. En effet, même si cette soirée est organisée par des professionnels, elle se rapproche, dans le contenu, de nombreuses soirées de plus petite ampleur avec une communication souvent développée par des amateurs.
• 52 •
J’ai continué mon observation et développé un site internet participatif8 reprenant au quotidien ces communication semblant passables mais qui sont élaborées pour une cible sensible à ses codes.
Affection entre la Marque et l’individu J’utilise souvent la notion d’affection entre l’individu et la marque. Elle est en fait la traduction imparfaite de « brand-liking » communément utilisé en marketing. Cette affection n’est pas à confondre avec de la fidélité. En effet, la fidélité est en lien direct avec la satisfaction alors que l’on peut aimer une marque, même sans être entièrement satisfait de ses produits et/ou services. Au lieu de rendre l’individu acheteur, ici, l’affection le rend ambassadeur permanent de la marque. « L’affection pour une marque est souvent un sentiment général que l’on ne peut relier à rien de précis, qui est animé d’une vie propre9 » Cette notion d’affection est fondée sur la conviction que la marque s’adresse à nous et parfois même prend soin de nous en tant qu’individu et non comme un simple acheteur de ses produits. Comment les marques travaillent-elles cette affection ? Il y a trois grandes méthodes souvent combinées par les marques au coeur de leur identité. • La première consiste à créer un transfert d’affection en interposant un objet entre elle et l’individu. L’objet est un support naturellement aimable10 avec par exemple le porte-parole réel (Tiger Woods pour Nike, Nathalie Portman pour Miss Dior, etc.), le porte-parole imaginaire (le Bibendum Michelin11, le personnage de Cetelem, etc.), 8. www.mathmonde.com/parcequilyadescodes 9. David Aaker, professeur à Berkley 10. Aimable au sens utilisé jusqu’au XVIIIe siècle de « digne d’être aimé » 11. Elu « meilleur logo du siècle » en 2000 par un jury international du Financial Times
• 53 •
le porte-parole éponyme (la vache qui rit, Pépito, etc.) et le porte-parole mi-humain, mi-légendaire (Cerise de groupama, monsieur Propre, etc.). Par l’aspect ludique de ces représentations, les marques atteignent facilement l’affection du public, en touchant l’enfance que chacun garde en lui. En dehors des porte-parole, la marque utilise aussi les objets auditifs (ritournelle Dim par exemple) ou des univers publicitaires propres à elle. L’individu se voyant parfois pris d’affection pour une marque car il aime la publicité qui en est faite ou l’humour qu’elle utilise. • La seconde repose sur la familiarité. Sur le marché, devenir une marque familière permet de se poser dans l’esprit du consommateur en marque de référence. Pour arriver à cet état de familiarité, c’est le volume de communication qui importe le plus. • La dernière consiste à créer un contact direct : la poignée de main entre la marque et l’individu. C’est la méthode en plus grande croissance aujourd’hui. En effet, l’utilisation de la communication dite « hors média » devient bien plus importante que la publicité traditionnelle. C’est en allant sur le terrain, dans le quotidien de l’individu, que la marque peut créer une forme d’affection.
Vivre une expérience avec la marque Je vais maintenant développer la méthode du contact direct. J’ai pu découvrir un procédé courant pour les marques : faire partager une expérience entre la marque et l’individu. Le principe est simple, plutôt que de communiquer sur les qualités de ses produits et/ou de ses services, la marque fait vivre un bon moment à ses consommateurs potentiels. Lors de mon expérience professionelle dans l’agence de publicité Rosbeef !, j’ai pu voir ce processus de l’intérieur. Chaque été, de grandes marques de boissons font une tournée en France et dans le monde pour distribuer des boissons de la marque Coca-Cola Compagny. Le goût des produits distribués est quasiment connu de tous. Il ne s’agit donc
• 54 •
pas de le faire découvrir aux passants. L’objectif, en installant un dispositif d’expériences (véhicules atypiques, jeux pour les plus jeunes, activités photos en lien direct avec les réseaux sociaux, nails bars, brumisateurs, ventriglisse, etc.), est de montrer que la marque est attentionnée, qu’elle permet à chacun de s’amuser, de se détendre, de se divertir et le tout gratuitement. L’objectif de ces tournées étant que l’individu se voit dans une position d’affection telle qu’il peut en ressentir avec un autre individu. Si les deux identités sont compatibles, pourquoi se priver de se rencontrer ? Car comme le dit David Aaker, « reconnaître une marque procure un sentiment de familiarité et on aime le familier ». De nombreuses marques investissent de gros budgets dans ces opérations qui ne leur rapportent rien dans l’immédiat. L’impact de ces actions est difficilement chiffrable, l’objectif étant que lorsque le consommateur se retrouve face aux rayonnages de son supermarché, il soit plus attiré par la marque avec laquelle il a vécu une expérience plutôt que son concurrent.
Mise en scène religieusement orchestrée Les marques, et particulièrement celles d’habillement (Lacoste, Adidas,...) et de grandes technologies (particulièrement Apple) sont celles qui orchestrent le plus leur mise en scène. En effet, leur objectif principal est de créer une affection et une fidélité importante pour que le client consomme le plus possible chez eux. Cela est savamment calculé, parfois même ressemblant à une religion. Une religion a éthymologiquement pour fonction de « rallier toutes les individualités ». Cicéron disait qu’il s’agissait « du fait de s’occuper d’une nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte ». Ici, la marque se met parfois dans cette position de nature supérieure. Les consommateurs sont des croyants, portent le signe (logotype) de la marque sur eux et se retrouvent autour de temples, les magasins.
• 55 •
La comparaison est peut-être un peu forte mais pas forcément lorsque l’on voit l’importance que peut avoir la sortie d’un nouveau produit Apple, autour d’un keynote (sorte de messe) avec ses milliers de spectateurs qui écoutent et boivent les paroles d’un homme (leur prêtre). L’individu croit en la marque. Il porte fièrement son identité que ce soit sur lui, ou par ses propos et devient ainsi le meilleur ambassadeur au service de la marque.
• 56 •
Pourquoi changer d’identité ? L’entreprise évolue, que ce soit par la croissance ou l’évolution de ses valeurs et objectifs. Il est donc parfois nécessaire de faire évoluer son identité en fonction de ces changements. De plus, l’évolution du design graphique contemporain ainsi que les supports d’expression peut inciter la marque à changer d’identité visuelle pour ne pas risquer d’avoir une image vieillissante. Cependant, certaines marques, dotées de signes forts ne changent pas d’identité ou du moins elles gardent un coeur d’identité identique (par exemple, le logo reste le même et l’environnement graphique évolue). Il en est de même pour les marques automobiles qui ont leurs identités circulantes pendant de longues années (du lancement d’une voiture à son statut de véhicule de collection) et qui ne peuvent donc pas radicalement changer, de peur de « perdre » leur identité. Autre exemple, Apple, qui en 1998 s’est doté d’un logo avec reflets et volumes même si la pomme reste la même que celle aux 6 bandes multicolores de son logo de 1976.
• 57 •
Green washing Dès les années 2000-2005, il y a eu une prise de conscience internationnale autour de l’environnement, du réchauffement climatique et du rôle qu’ont les marques dans cette dégradation. C’est alors que de nombreuses entreprises ont fait entrer cette valeur dans leur coeur d’identité. Malheureusement, il s’est alors surtout agit d’un mode de communication. En effet, les marques ont verdi leur image pour se dire proche de l’environnement : c’est le greenwashing, qui s’oppose à la notion de publicité éthique que certaines marques portent réellement dans leurs valeurs. C’est à cette période que la communication de la marque BP s’est transformée. Un logo devenant une sunflower verte et jaune et un site internet que l’on pourrait confondre avec une organisation de protection de l’environnement. Des signes graphiques assez loin de la réalité de ce distributeur pétrolier internationnal. Autre exemple, Mc Donald’s est passé de son logo historique rouge et jaune à un simple M sur fond vert. La marque voulait redorer son image après les polémiques du film « Super Size Me » mettant en avant les méfaits de cette nourriture sur l’organisme. C’est donc 3 ans après la sortie de ce film que le greenwashing Mc Donald’s s’est fait. (Il semblerait cependant que la marque fasse des efforts pour l’environnement : traitement des déchets, économies d’énergies, etc.) Les valeurs éthiques : une bonne raison de changer d’identité, tant que la marque ne ment pas aux consommateurs.
Identités à l’écran Les supports d’expressions des marques ont beaucoup évolué avec l’apparition et la démocratisation d’Internet dans les années 90. Nous sommes passés d’une expression de l’identité solide et architecturale des anciens logos (visibles principalement sur les boutiques, agences,
• 58 •
bureaux, etc.) à une expression virtuelle, celle des écrans devenue le premier média concerné par l’identité visuelle des marques. Alors que l’objectif premier d’un logotype était de trouver sa place dans l’architecture et l’habillage produit, aujourd’hui, lors de la conception d’une identité, il est essentiel de penser à sa déclinaison interactive et animée pour les sites et pour les spots TV. Ce changement de priorités concernent surtout les entreprises qui ne communiquent presque plus que sur Internet. En effet, pour ces entreprises, le changement d’identité est facilité et quasiment à coût zéro. C’est ainsi qu’elles sont facilement tentées d’évoluer. Le risque étant de perdre le coeur de leur identité et l’unicité de celle-ci. Il y a cependant quelques contre-exemples. Google et Pathé avec leurs identités composées de plusieurs logos. C’est un système complétement pertinant pour ces entreprises d’interaction et de divertissement. Mais notons bien que « lorsqu’on pense que nous cotoyons plus de 1500 marques différentes chaque jour, si on met en perspective ce fait avec la nature humaine (“ce que vous aimez est ce que vous connaissez depuis longtemps”, Francis Picabia), alors adopter un logotype unique fait encore sens pour beaucoup d’entreprises. Il est préférable de prendre en compte le style graphique (univers graphique de la marque) qui offre un nombre infini de possibilités pour animer l’identité de la marque12 ». Il est essentiel de prendre en compte que les publics des identités de marques sont peu attentifs. Il faut tempérer ce désir que l’on a de se divertir, en tant que professionnels du design graphique et passionnés par les identités, avec l’Identité visuelle.
12. Elodie Boyer, Logo fixe versus identité versatile, avril 2011, http://elodieboyer.com/index.php?page=l-image-fixe-versus-l-identite-en-mouvement
• 59 •
Modes et tendances Les marques changent aussi d’identité en fonction de critères esthétiques : les modes et les tendances. Ces identités devenant anecdotiques évoluent en fonction de ce qui fait tendance dans le design graphique à un temps donné alors que l’essence même de l’identité de marque est de durer. L’identité de la marque doit-elle être conçue pour plaire aujourd’hui ou pour les vingt ans à venir ? Lorsque l’on voit à quelle vitesse se renouvellent les modes, on peut facilement se dire qu’une identité tendance en 2012 sera obsolète en 2014. C’est alors qu’il faut garder en tête les fondamentaux de l’identité visuelle : différence, reconnaissance et pertinence pour exprimer qui l’on est et être reconnu parmi les autres.
• 60 •
Un changement pour une évolution ? La question d’un changement d’identité visuelle se pose dans plusieurs cas. Mais n’oublions pas qu’il existe principalement lorsque le coeur de l’identité de la marque change. La première chose qu’une agence, qu’un designer graphique devrait étudier avec son client, c’est de savoir si un changement d’identité visuelle est nécessaire ou non. N’est-il pas dans le rôle d’expertise que de dire qu’un changement est inutile ? C’est seulement à partir de là que l’enjeu du changement existe. L’objectif étant de faire évoluer l’identité. Nous allons voir ici que ces changements ne sont pas forcément nécessaires et bénéfiques pour l’entreprise.
Du blason au logo des villes13 L’évolution de l’identité des villes est un exemple assez marquant. En effet, dans les années 80-90, une évolution déterminante est constatée pour les villes. Dans un contexte de changement économique (le passage de l’industrie au monde du service), les villes ont décidé d’abandonner leurs blasons pour des logos. Ces logos, réalisés en majeure partie par des agences de communication et plus rarement par des studios graphiques, reflètent, la plupart du temps, des attraits commerciaux, géographiques, économiques et touristiques de la ville. Le blason, quant à lui, était une représentation symbolique de l’enracinement d’une collectivité dans la durée et dans le territoire. Les identités des villes perdent leurs spécificités. Par exemple, toutes les villes du littoral, ayant pour attrait des services « similaires » finissent par utiliser les mêmes signes (la vague entre autres) pour leurs identités 13. Inspiré du travail de Annick Lantenois dans Le vertige du funambule, éditions B42
• 61 •
visuelles. La spécificité d’une ville se trouvant certainement plus dans son histoire, rien d’étonnant finalement, comme nous l’avons vu dans la première partie, que l’identité se fragilise ; le rapport au présent l’emportant sur l’histoire.
L’avis du consommateur Autre comportement inédit : l’importance de l’avis du consommateur lors du changement d’identité des marques. Prenons l’exemple du changement de l’identité de la marque GAP. Elle a souhaité changer son signe historique pour un nouveau signe. Mais, lorsque la nouvelle identité a été diffusée, de nombreuses réactions se sont fait entendre de la part du consommateur : il ne se retrouvait pas dans la nouvelle identité de la marque. Le changement que proposait la marque allait faire oublier ce sigle fort G.A.P présent sur de nombreux vêtements de la marque aujourd’hui. C’est ainsi que la marque, à l’écoute de ses clients, a fait un retour en arrière et n’a pas fait changer son identité visuelle. Etait-ce un changement réellement nécessaire pour ainsi revenir sur ce choix ? Peut-être pas...
• 62 •
Donner à voir La publicité nous l’enseigne, il faut rire. Les voitures sont drôles, les assurances sont drôles et les fruits aussi ! Tout est fun, tout est cool, conduire c’est “une grosse marade” garantie, manger des compotes Andros c’est être épicurien et s’assurer chez Maaf c’est l’épanouissement total. Face à l’absurdité d’un monde désillusionné, et contrôlé par l’économie, les créatifs et artistes proposent de plus en plus des réponses séductrices absurdement drôles qui permettent au spectateur de s’échapper de la réalité décontenancée. L’humour n’est plus critique mais plutôt sans conséquences, totalement libéré et décomplexé. En lien avec l’évolution de l’identité individuelle et collective de l’individu, les marques développent de nouveaux registres de communication. L’objectif étant de rentrer dans cette problèmatique et d’atteindre l’individu là où il se trouve, là où il en a besoin. L’humour étant sûrement ce qui aujourd’hui fonctionne le mieux pour donner à voir à l’individu. L’individu rend lui même visible son identité par ses dires, par ses actes, ou par les collectifs dans lesquels il interagit. L’entreprise en fait un peu de même, dans certaines limites cependant. En effet, pour être présente, elle a besoin de se rendre visible par l’image. C’est là que le rôle du designer graphique est essentiel. Dès lors que cette visibilité est etablie, elle pourra prendre place dans l’espace médiatique et public et ainsi tenter de faire la différence par rapport à ses concurrents.
• 63 •
Exister dans « l’espace public » Lorsque l’on parle d’espace public, il nous vient directement à l’esprit la rue, les places, les parcs, les lieux publics en somme. Il s’agit là de l’espace public physique où chaque individu peut, en théorie, s’exprimer. Les espaces publics modernes sont maintenant multiples. Ils sont autant la télévision que l’entreprise en passant par les associations (créations en progression de 16,3% entre 1998 et 200614) et Internet. Il est d’ailleurs étonnant de voir que l’espace public est désormais rentré, par la télévision et Internet, dans le domicile privé de tous leurs utilisateurs... D’après Habermas15, d’un point de vue sociologique, l’espace public est historiquement un positionnement entre la zone du privé et celle de l’État. Il a un caractère rationnel, argumentatif des débats et il se centre sur les thèmes politiques majeurs d’intérêt public. Habermas poursuit en disant que « la modernité, entraîne une altération radicale du fonctionnement de cet espace public : l’intérêt économique devient ainsi le principal moteur de la production de messages médias. » Il fait la critique d’un espace public où l’espace public gouverné par la raison est en déclin puisque la publicité16 critique laisse peu à peu la place à une publicité de « démonstration et de manipulation » au service d’intérêts privés. C’est dans cet espace qu’est née la culture du graff, tantôt subie par les autres individus, tantôt détournée au service de l’autorité (communes, institutions, etc.). Ce phénomène ne fait que s’amplifier dans la société post-moderne. 14. Compte rendu de la conférence de la vie associative 2006 sur associations.gouv.fr 15. Jürgen Habermas, L'espace public, archéologie de la publicité comme constitutive de la société bourgeoise, 1962, cité dans Une approche symbolique de l'espace public, article de Milhai Coman, 2002 16. Au sens large de la « diffusion des informations et des sujets de débats par les médias »
• 64 •
Pour Arlette Farge17 : « Le peuple tente de se forger une identité en s’émancipant par la discussion politique18 dans ces espaces publics ». C’est dans ce contexte que certains artistes poussent l’intérêt du graffiti vers de nouvelles démarches riches d’intentions et d’attentions vers les individus. L’enjeu de l’espace public pour les marques est un phénomène plutôt récent. C’est à partir de l’époque de la société dite moderne que l’entreprise a voulu s’y faire une place. L’intérêt personnel de l’individu prenant le dessus sur l’intérêt public. L’individu est confronté chaque jour à près de 150 messages publicitaires par les grands médias (télévision, radio et presse). Il faut y ajouter les affiches publicitaires vues au nombre de 50 ainsi que la publicité sur Internet. C’est donc près de 300 messages commerciaux que nous voyons quotidiennement.19 C’est dans ce contexte de saturation de l’espace public qu’il semble indispensable de faire la différence. Parmi tous ces messages, lesquels allons-nous retenir ? Dans cette problèmatique Christoph Steinbrener et Rainer Dempf ont voulu questionner l’espace public en développant le projet « Delete ! », une intervention dans une rue commerçante de Vienne développée en annexe.
Faire la différence Nous venons de le voir, lorsque la marque communique, il faut qu’elle réussisse à être vue, à faire la différence, à se différencier de ses concurrents et à retenir l’attention de l’individu. Ce qui fait souvent la différence, c’est la mise en avant d’une des valeurs majeures de l’entreprise ou une spécificité propre à l’entreprise. L’agence Rosbeef ! par exemple a décidé, lors de sa création et de la définition 17. Arlette Farge, Historienne française, directrice de recherche au CNRS 18. Au sens de la structure et du fonctionnement d'une communauté, d'une société, d'un groupe social. 19. Gérard Mermet, Francoscopie 2007, Larousse, 2006, p.353
• 65 •
de son identité, de communiquer autour d’une culture de la communication qu’elle apprécie, la culture anglaise. Plus qu’une façon de communiquer, c’est aussi ses méthodes de travail que les digigeants veulent originales et décalées. C’est ainsi qu’ils ont choisi leur nom, Rosebeef! ainsi que leurs registre de communication décalée et leur style graphique20. C’est comme cela que cette agence se fait différente des autres agences, attire l’attention des partenaires potentiels et marque les esprits. Faire la différence, un enjeu de la communication en général, mais aussi lors de la définition d’identité visuelle.
20. Voir sur www.rosbeef.fr
• 66 •
Le rôle du designer est crucial dans la définition de l’identité visuelle
de la marque. Ce travail de mise en scène permet ainsi à l’entreprise de mettre en avant ce qu’elle est (ou veut faire croire qu’elle est). Comme
l’individu, il lui est ainsi possible de se définir un profil mensonger ou non, qui sera donné au public.
Changer d’identité semble parfois indispensable pour la marque.
Il est cependant important de ne pas changer, juste pour changer !
Une évolution de l’identité n’est légitime que lorsque qu’il y a un réel changement dans le coeur de la marque ou quand l’identité devient vieillissante. Alors l’enjeu est de définir une identité qui reste pertinente et qui ne perdra pas l’individu.
Pour faire la différence, l’utilisation de nouveaux outils et l’adaptation aux nouveaux supports de communication semblent de plus en plus
importantes et pertinantes. C’est ainsi que les identités se diversifient depuis quelques années avec de nouvelles tendances naissantes :
les identités intégrant des composantes programmatique, orientées processus, flexibles, expériencielles et/ou participatives.
Des tendances que nous allons tenter d’explorer dans la 3e partie.
• 67 •
路
identités manipulées par le designer graphique
• 69 •
路
Un site internet reprenant l’image en direct du plafond d’un studio
graphique où le menu est dessiné au sol, une vitrine détectant les passants et qui évolue en fonction d’eux, une plante qui envoie un tweet lorsqu’elle manque d’eau, l’univers du design subit quelques changements. Ils ne permettent pas de définir un nouveau style ou mouve-
ment, mais permettent de voir un changement fondamental du rapport à la production et à la pratique du design.
Dans Open Project1, Andrew Blauvelt indique qu’il est « difficile d’identifier des ensembles cohérents d’idées ou de concepts autour
desquels s’articulent les créations récentes, en tout cas rien de comparable aux tendances nettes des décennies passées : le posmodernisme et son aura. »
Nous sommes aujourd’hui, dans l’ensemble des domaines du design, en train de passer du contenu au contexte. L’importance est portée sur l’environnement autour de l’objet et son intégration.
Nous pouvons d’ailleurs mettre ceci en lien direct avec l’identité de l’individu. L’identité collective prenant une place indispensable,
l’individu comme le design s’adapte à son entourage social et structurel. C’est l’ère de la participation, de l’interaction, des connexions relationnelles et de la collaboration..
Lorsque j’ai demandé à Elodie Boyer quelles seraient les tendances des identités visuelles de demain, elle m’a rappelé « qu’une identité 1. Cristina Chappini et Silvia Sfligiotti, Open Project - Des identités non standard, Pyramyd, 2010
• 71 •
n’était pas tendance, qu’elle était là pour durer et qu’elle devait être indépendante de tout. »
Cependant, même si certaines identités telle que celle de IBM, Coca-
Cola ou Nike par exemple n’ont évolué que très peu depuis des années, de nombreuses autres changent régulièrement en fonction de leur entourage.
Nous allons ici nous tourner vers les processus qu’utilisent les marques qui « font la différence » aujourd’hui, pour tenter de nous projeter dans l’avenir et essayer de savoir quelles seront les identités de demain. Et si le logotype disparaissait ?
• 72 •
Une phase de transition Nous l’avons vu précédemment, les identités visuelles des entreprises évoluent constamment en fonction des modes, des outils du designer graphique et des supports. Nous allons voir ici, grâce à l’avis de différents experts, comment cette phase de transition à changé la vision des identités visuelles et de ces nouvelles « espèces de logos ».
Place aux experts Le culte d’un logo à la couleur unique et aux formes simples est en train de disparaître au profit d’autres logos colorés, vivants et évolutifs. Prenons l’exemple de AOL : leur nouvelle identité visuelle se base sur une typographie en blanc (en défonce) sur une centaine d’images en tout genre (illustrations, photos, brushs, etc.). L’agence anglaise Wolff Olins entre ainsi dans une nouvelle tendance, celle d’une identité « vivante ». IBM, dans la même lignée, en 2009 s’est lancé dans une « évolution » de son identité. En effet, le célébrissime logotype aux 8 lignes (8-bits) bleu se voit incrusté de photographies, de paysages ou de couleurs vives. Une sorte de GreenWashing mettant de manière assez brutale, à mon avis, de l’humanité dans ce monde technique et informatique qu’avait transcrit Paul Rand en 1972. C’est une sorte de compromis, évitant de changer entièrement l’identité de la marque. La création d’identités définies comme évolutives est de plus en plus fréquente. Chacun peut ainsi réinterpréter et s’approprier l’identité de la marque dans une certaine mesure. Google a d’ailleurs était précurseur sur ce domaine. Depuis 1999, son logo s’adapte à l’actualité du calendrier, aux événements sportifs, politiques, culturels, médicaux, etc. Et, depuis quelques mois, des
• 73 •
logotypes interactifs apparaissent où l’internaute est acteur par la création de jeux par exemple. De quoi occuper un bon quart d’heure dans les bureaux à travers le monde et faire parler de la marque. Le logo se voit donc sous plusieurs espèces. Il évolue avec la technologie et ne demande qu’à vivre. « Les logos n’ont plus la même fonction qu’autrefois nous dit Nicolas Chaumette2, président d’Interbrand.3 Dans les années 80-90 c’était avant tout des marqueurs qui servaient à l’identification, au repérage dans une logique de pur impact. L’identité visuelle s’est aujourd’hui rapprochée d’une logique de communication. Elle est devenue un moyen d’évoquer la proximité, les promesses, le positionnement, les valeurs de l’entreprise, ses activités ou encore des catégories de produits. La puissance a fait place au sens. » C’est dans cette logique que Pepsi repense son identité visuelle en 2008. Son logo, en fonction de la boisson, se voit évoluer. Le sourire que forme la « vague » sur le logotype est petit sur le Pepsi light, moyen sur le Pepsi normal et grand sur le Pepsi max. Ici, le logo vit principalement sur les produits de la marque et les concepteurs en sont bien conscients. C’est ainsi qu’ils en jouent sans appréhension ! Malgré tous ces changements, certains restent sceptiques. « Ce logo n’apporte rien (en parlant du logotype d’AOL). Il ne va pas rester dans les mémoires. C’est un effet de mode qui passera très vite. Rien ne vaut un logo puissant, simple, distinctif, que l’on répète à l’infini et qui dure commente Olivier Saguez, président de Saguez & Partners4. Arrêtons de faire du gadget. Plus de 70% des marques ont aujourd’hui des identités difficiles à retenir. » Christophe Fillâtre, président de l’agence Carré Noir, est plus modéré : « On peut s’amuser avec une identité quand son système identitaire est extrêmement fort et bien implanté. Une marque doit rester un repère, 2. Dans l'article de Delphine Masson, Le logo dans tous ses états, Stratégie.fr, 27/05/2010 3. Agence spécialisée dans le Consulting de marques mondiales et plus particulièrement pour les marques de luxe et de services. 4. Agence de conseil en identité de marque Parisienne
• 74 •
exercer une certaine forme d’autorité. » C’est bien de cette autorité dont il s’agit. L’autorité qu’exerce un logotype dépend de la force que le Designer Graphique lui permet d’exprimer. Quelle que soit la forme qu’elle peut prendre, si l’identité dans son ensemble est assez argumentée, elle peut être riche de sens et elle peut segmenter la marque. Curcuis, agence de Design Graphique et Stratégie de Marques ambitionne de penser les marques comme des « virus qui mutent en fonction de leurs environnements, jamais pareilles, mais toujours les mêmes ». Il reconnaissent cependant que cette pratique requiert une grande maîtrise. Ils essayent donc, au détriment d’une charte graphique, « d’élaborer des guides de style de marque qui définissent un état d’esprit qui dépasse le stade des codes graphiques ». Les professionnels de l’identité sont partagés. Ils mettent souvent en avant l’importance de la maîtrise des fondamentaux et des nouveaux outils ainsi que leurs processus. Est-ce que les tendances à venir pour l’identité des marques ne résideraient pas dans l’élaboration de ces guides de style graphique et la création de logos virus et atypiques qui révèleraient le coeur de la marque ?
Designer graphique : métier hybride L’important dans le développement d’identité avec ces nouveaux outils, c’est la maîtrise. En effet, le designer graphique n’a pas nécessairement de compétences pour l’utilisation des outils naissants. Qui aurait dit, il y a 15 ans, que des algorythmes informatiques permettraient de créer un style graphique ? Aujourd’hui, nous y sommes. Si le designer graphique veut travailler avec ces outils, il est alors primordial qu’il acquière les savoirs inéluctables à leur maîtrise. Sinon, le risque sera qu’il développe des identités faibles, qui ne joueront pas leur rôle d’unicité et de diversité. Le design graphique : métier hybride et en constante évolution.
• 75 •
Le processus comme identité Loin d’un style graphique respectant les règles et les précepts des fondamentaux identitaires, le designer graphique change de posture. Une fois qu’il a en effet admis que les identités visuelles peuvent être différentes, il tâtonne, explore les nouveaux outils et les nouveaux supports pour proposer de nouvelles identités. Ces tendances mettent en oeuvre différentes composantes : les composantes programmatiques, orientées processus, flexibles, expériencielles ou participatives. Ces éléments ainsi décrits se mélangent pour créer les identités. Voici quelques exemples et leurs composantes :
Shift! : This should be made public Pour commencer, ce projet, entre art de rue, participation du public et design graphique. This should be made public est un journal mural qui regroupe les réponses effectuées lors de workshops et ateliers auprès de populations diverses (Luxembourg, Le Caire, Milan et Bangkok). Chacun est invité à donner son point de vue sur ce qui devrait être rendu public. Un projet participatif laissant place, par son processus, à un rendu inattendu, laissé à la libre volonté du public, et diffusé dans l’espace public.
• 76 •
路
路
Identité visuelle du MIT média lab Dans cette identité, le logotype est basé sur un algorithme aléatoire. Il est formé de trois carrés noirs en mouvement dans un autre carré. Chacun des trois carrés est relié par des dégradés de couleurs qui évoluent lors de la progression de l’algorithme. L’identité générée se compose de 40 000 images qui forment ainsi l’identité visuelle. Sur les cartes de visite, des versions différentes du logotype y sont utilisées. Malgré tout, l’identité y reste unique et reconnue.
·
A Poster Wall for the 21st Century Cette installation réalisée par LUST fait aujourd’hui partie de l’exposition permanente du Graphic Design Museum de Breda (nl). Chaque fois qu’un visiteur rentre dans la pièce, une nouvelle affiche numérique est générée par l’installation. Elle résulte d’une combinaison couleurs, images et jeux typographiques. Cette installation générative et programmatique met en question la nature même du métier de designer graphique. Malgé l’automatisme de cette génération, une unité existe entre toutes les affiches par le support sur lequel elles existent, et par leur processus de création.
·
路
路
Lesley Moore Identity Lesley Moore est un studio graphique Hollandais. Leur identité visuelle est infinie. En effet, c’est en allant sur leur site internet que le visiteur peut utiliser la « LM logo machine » pour proposer son logo. A partir d’une boîte à outils (ci-contre) composée de 5 formes simples, il est possible de composer un signe en noir et blanc qui sera utilisé par le studio une seule fois. Aujourd’hui, il y a 3728 logos créés par les internautes. Un projet participatif en éternelle mutation.
·
Dans ces projets, c’est le processus plus que le résultat qui fait identité. Ces projets sont particulièrement appliqués à la culture, l’éducation, la communication ou à quelques marques « à la marge ». Mais elles pourraient bientôt se démocratiser et changer les habitudes des individus. Ont-elles un impact aussi important que les identités fixes et rigoureuses ? C’est en effet sur ce point qu’il faut s’arrêter. Il faut oublier notre statut professionnel et passionné pour voir que dans l’esprit du public, c’est le logo qui permet de reconnaître l’identité d’une marque. Ces bizarreries développées pas les designer graphiques changent les habitudes. Il faut donc, avant d’espérer un intérêt et un impact important de ces projets, que le spectateur s’éduque, apprenne à découvrir et à comprendre les processus, le coeur de ces identités. Sans quoi il risque de les fuir, par peur de l’inconnu.
• 84 •
L’identité visuelle a vécu plusieurs périodes définies en fonction des
modifications sociologiques (la postmodernité) puis technologiques (l’arrivée d’Internet et des nouveaux supports écrans). Ces change-
ments ont autant affecté l’identité de l’individu que celle de la marque. Une troisième marche de changement est en cours. Il est difficile
d’en définir exactement la cause et la nature. C’est un changement atteignant tous les registes du design. Dans le design graphique,
et particulièrement dans l’identité visuelle, c’est l’apparition de nou-
velles composantes que le designer graphique commence à expérimenter avec des résultats parfois très probants.
Il semblerait que ce ne soit pas une simple tendance, mais la naissance d’un nouveau mode de création. Il reste aux designer graphiques
à s’y plonger pour proposer de nouvelles identités visuelles des plus suprenantes qui sauront atteindre l’individu et faire la différence.
• 85 •
路
identité générative
• 87 •
路
Dans cette partie, je développerai mon expérimentation graphique. Cette expérimentation rentre en lien direct avec le cheminement dévelloppé jusqu’ici. En effet, j’ai réfléchi sur ce qu’est l’identité de l’individu et celle de l’entreprise. Puis je me suis intéressé aux nouvelles identités orientées processus et interaction. Il me semble donc naturel de porter cette expérimentation graphique autour de ces nouveaux outils, de leur mise en place et de leur impact. J’ai confronté 4 éléments : ces nouveaux outils de développement par la programmation (ici Java sur Processing1), l’identité des marques, le processus de travail du designer graphique et l’identité en éternelle construction (jamais figée). Pour que l’identité visuelle soit efficace, il faut qu’elle soit mémorisable, intemporelle, représentative, reconnaissable et unique. Est-ce réellement applicable à une identité visuelle générative ? C’est la question que je me suis posée. J’ai alors mis en place un ensemble d’objets pour construire l’identité d’un studio graphique hypothétique : • Un texte : S.V.E.N, prétexte d’un nom pour ce studio professionnel. • Différentes formes (ronds, lignes) qui se fondent les unes sur les autres. • Des formes manuelles. Elles sont réalisées par mon entourage puisque je suis persuadé que mon identité de designer graphique se forge, comme l’identité collective de l’individu, grâce à eux (formateurs aujourd’hui, mais clients, partenaires, fournisseurs, etc. demain). Ces formes pourront être ajoutées à la base de données tout au long de la vie de cette identité, agrandissant le nombre de possibilités proportionnellement. Ces éléments se mettent en place automatiquement et aléatoirement dans l’espace, créant une identité qui n’est jamais figée durant une longue durée. 1. http://processing.org
• 89 •
La mise en marche de l’algorythme (du programme) est interactive, que ce soit par le passage et le mouvement de la souris sur le logotype ou le passage d’individus devant un espace où l’identité est déclinée. Ainsi, lorsque l’environnement (entourage) est en action, il y a un partage, un échange et une interaction. Vous pouvez voir ci-contre un aperçu de l’avancée du projet aujourd’hui. Il s’agit de 6 extraits des générations du code sur Processing. Et puisque c’est par la programmation que cette identité visuelle prend vie, vous trouverez le code Java sur les pages suivantes. Cette expérimentation permet de poser la question de l’efficacité, la reconnaissance et l’unicité d’une telle identité.
• 90 •
• 91 •
Boolean ELMT1 Boolean ELMT2 Boolean ELMT3 Boolean ELMT4 int ALEATOIRE
= = = = =
false; false; false; false; 0;
PFont font; String letreS = «S»; String letreV = «V»; String letreE = «E»; String letreN = «N»; String letrePoint = «.»; int casTexte = 0; void setup() { size(500, 500); background(220,220,255); smooth(); cursor(CROSS); frameRate(1); //generationLogo(); } void draw() { background(220,220,255,255); generationLogo(); } void generationLogo() { // AFFICHAGE DES ELEMENTS DANS UN ORDRE ALEATOIRE while(ELMT1==false || ELMT2==false || ELMT3==false || ELMT4==false){ ALEATOIRE = (int)random(1,5); // L’ELEMENT 1 - Trois ronds if (ALEATOIRE == 1 && ELMT1==false){ println(«Ronds»); fill(0,0,220,100); noStroke(); rotate(0); if ((int)random(1,3)==1) { ellipse(125,125,150,150); ellipse(250,250,150,150); ellipse(375,375,150,150); } else { ellipse(125,375,150,150); ellipse(250,250,150,150); ellipse(375,125,150,150); } ELMT1 = true; // L’ELEMENT 2 } else if (ALEATOIRE == 2 && ELMT2==false) { println(«Losange»); fill(30,150,30,255); noStroke(); rotate(0.80); rect(266,-93,176,176); rotate(-0.80); ELMT2 = true; // L’ELEMENT 3 - Le texte } else if (ALEATOIRE == 3 && ELMT3==false) { ELMT3 = true;
·
} else if (ALEATOIRE == 4 && ELMT4==false) { println(«Lignes»); fill(200,0,0,180); noStroke(); rotate(0.80); if((int)random(1,3) == 1){ rect(0,-250,1000,125); rect(0,0,1000,125); rect(0,250,1000,125); } else { rect(0,-125,1000,125); rect(0,125,1000,125); rect(0,-375,1000,125); } rotate(-0.80); ELMT4 = true; }
}
·
} println(«Texte»); fill(0,0,0,255); rotate(0); font = createFont(«TheSansMono-», 20); textFont(font); textAlign(CENTER, CENTER); casTexte = (int)random(1,5); switch(casTexte){ case 1: textSize(300); text(letreS, 135, 115); text(letreV, 375, 115); text(letreE, 135, 365); text(letreN, 375, 365); break; case 2: textSize(120); int aleatoireHaut = (int)random(0,4); text(letreS, 60, 60+125*aleatoireHaut); text(letreV, 185, 60+125*aleatoireHaut); text(letreE, 310, 60+125*aleatoireHaut); text(letreN, 435, 60+125*aleatoireHaut); break; case 3: textSize(120); text(letreS, 60, 60); text(letreV, 185, 185); text(letreE, 310, 310); text(letreN, 435, 435); break; default: textSize(120); int aleatoireLarge = (int)random(0,4); text(letreS, 60+125*aleatoireLarge, 60); text(letreV, 60+125*aleatoireLarge, 185); text(letreE, 60+125*aleatoireLarge, 310); text(letreN, 60+125*aleatoireLarge, 435); break; } ELMT1 = false; ELMT2 = false; ELMT3 = false; ELMT4 = false;
路
conclusion
• 95 •
路
L’identité visuelle de la marque est en lien direct avec l’identité
de l’individu. En effet, elle est en constante évolution et se forme grâce aux collectifs qui l’entourent.
L’entreprise nécessite parfois aussi de manipuler ce qu’elle est, pour
créer l’envie chez le consommateur, et entretenir l’affection qu’il peut porter pour elle, c’est le jeu des profils par lequel, comme l’individu, elle manipule son image. C’est aussi parfois pour cacher des choses
que la marque agit ainsi. Cette mise en scène de la marque passe par
l’élaboration d’une plate-forme de marque définissant le coeur de son identité, pour ensuite lancer la création de son identité visuelle.
L’identité visuelle est un élément essentiel. En effet, c’est souvent par
elle que se fait le premier contact avec l’individu. Plus qu’un logotype,
le designer graphique développe un univers graphique permettant une identification quasi immédiate.
Pour suivre les évolutions de l’entreprise, le designer graphique travaille souvent aux évolutions des identités visuelles. Cependant, nous avons vu qu’il est important de se poser la question de la nécessité de ces changements, pour éviter de perdre la nature même de la marque.
L’important étant d’exister dans l’espace public et médiatique et de faire la différence.
L’élaboration des identités visuelles a beaucoup évolué. Nous nous
sommes posés la question de savoir si elles suivaient des tendances.
Il y a en effet l’apparition de nouvelles identités visuelles qui, en plus de développer des signes riches de sens, travaillent sur des processus
• 97 •
laissant ainsi de nouveaux cheminements représenter l’entreprise. Plus que par des signes graphiques, l’identité est reconnaissable par le processus créatif que forme l’identité visuelle. Cela passe
par des composantes interactives, programmatiques, expériencielles et participatives.
Après avoir vu et analysé de nombreux projets, je me suis posé la question de savoir si ces identités pouvaient facilement répondre
à ce qui fait identité pour la marque , à savoir l’unicité, la reconnaissance, la représentation, l’intemporalité et la facilité de mémorisation. Pour
répondre à cette question, j’ai voulu expérimenter ces nouveaux outils, en tentant, moi aussi de développer une identité visuelle générative.
Ainsi, j’ai pu observer que malgré une unicité difficilement calculable, cette identité reste reconnaissable par le processus (l’interaction).
De plus, le sens que j’ai souhaité y intégrer y est transmis et ces signes, ainsi représentés, restent mémorisables.
Cependant, je me suis posé la question de l’application d’une telle
identité (malgré tout assez « complexe ») dans un cadre commercial.
Pour moi, cela reste difficile à intégrer. En effet, le spectateur, d’abord surpris, risque de ne pas comprendre ces identités, et plutôt que
de s’y arrêter pour apprécier le processus, risque de passer son chemin. Ces identités risquant de ne pas avoir l’impact escompté.
Malgré tout, ces identités se développent dans certains milieux. Ainsi, l’individu apprend certainement à les découvrir et à les apprécier.
C’est par ce biais qu’elles vont peut-être rentrer dans notre quotidien
• 98 •
et avoir leur rôle d’identification immédiate. Ces changements forment une étape remarquable aujourd’hui, laissant
croire que demain, les expérimentations des designer graphiques laisseront place à de nouvelles choses encore plus pertinantes. Et si demain, le logo disparaissait ?
• 99 •
bibliographie ARISTOTE, Des Parties des animaux, III, X Jean-Marie Benoist, Facettes de l’identité (Séminaire dirigé par Claude Levi-Strauss), Quadrige / P.U.F, 1983 Cristina Chappini et Silvia Sfligiotti, Open Project Des identités non standard, Pyramyd, 2010 Michel Chevalier et Gérard Mazzalovo, Pro logo Plaidoyer pour les marques, Broché, 2003 Milhai Coman, Une approche symbolique de l’espace public, 2002 Anne-Marie Drouin-Hans, Identité dans Le télémarque, N°2006/1, 2006 Émile Durkheim, Le Suicide : Étude de sociologie, Paris, PUF, 1960 Groupe EDF, Guide d’usage de la marque et de son univers d’accompagnement, 2005 Norbert Elias, La société des individus, Fayard, 1991 Annie Ernaux, Les Armoires vides, 1973 et La place, 1984 Catherine Fishe et Bill Gardner, Logolounge 4, Hardcover, 2008 Yves Groetschel, La saga du logo, 2008 Benoît Heilbrunn, Le logo, Que sais-je ?, 2006 Richard Hollis, Le graphisme de 1890 à nos jours, Broché, 2004 Bertrand Jordan, L’Humanité au pluriel, Le Sueil, 2008 Naomi Klein, No logo, Poche, 2002 Bernard Lahire, L’Homme pluriel, Nathan, 1998 Julia Laub, Benedikt Gross, Claudius Lazzeroni, Hartmut Bohnacker, Design génératif - Concevoir, programmer, visualiser, Éditions pyramyd, 2010 Annick Lantenois, Le vertige du funambule, B-42, 2010
• 100 •
Claude Lévi-Strauss, L’Identité, PUF, 1977 Henri Lopes, Le chercheur d’afrique, Broché, 1990 Delphine Masson, Le logo dans tous ses états, Stratégie.fr, 27/05/2010 Gérard Mermet, Francoscopie 2007, Larousse, 2006 Géraldine Michel, Au coeur de la marque, Dunod, 2009 Heinz Pagels, Extrait de L’Univers Quantique, InterÉditions, 1985 Michel Pastoureau, Les emblèmes de la France, Bonneton, 1998 Charles Sanders Peirce, Écrit sur le signe, Seuil, 1978 Phillipe Quinton, Logo ergo sum dans Étapes graphique, N°65, p.36-56, 09/2000 Casey Reas and Ben Fry, Getting Started with Processing, Paperback, 2010 • www.logoblog.com www.stratégie.fr www.e-marketing.fr www.interaktivegestaltung.net/?p=69 www.senat.fr/les_actus_en_detail/article/protection-de-lidentite-1.html leblogapetaire.free.fr/?p=153 elodieboyer.com/index.php?page=l-image-fixe-versus-l-identite-en-mouvement www.rosbeef.fr processing.org •
• 101 •
annexes
• 102 •
Delete ! Intervention dans une rue commerçante de Vienne. Christoph Steinbreber et Rainer Dempf ont recouvert les enseignes, logos, dessins, noms, signes (à l’exception des signes indispensables à la sécurité routière) présents dans une grande rue commerciale. Un papier peint monochrome remplaçant ces signes. Dans un premier temps, l’individu, face à cet espace lisse, se sent désorienté puis un sentiment de laché-prise prend le dessus. Après cette étude sur l’individu, ce projet questionne sur la place de tous ces signes dans l’espace public. Dans quelle mesure les espaces publicitaires et les techniques de signalisation façonnent-ils l’image esthétique d’une ville? Comment influencent-elles l’expérience des résidants de la ville ? Est-ce que cet espace « vide et uniforme » crée un problème encore plus important, à savoir « la peur du lieu sans étiquetage et sans appartenance » ? Cela met aussi en exergue la question de la visibilité de l’identité de la marque dans l’abondance des signes. www.steinbrener-dempf.com
·
Entretien avec Elodie Boyer,
Consultante en identité et design management. Chargée de cours au Celsa et à l’École Estienne Au dela du logo, qu’est-ce qui pour vous fait l’identité d’une marque ? C’est assez universel, cela ne s’applique pas que pour moi. Si on parle de l’identité visuelle, il s’agit du logotype, mais aussi du style graphique, les couleurs, les formes, les traitements photographiques, toutes les règles de mise en pages qui normalement sont détaillées dans une charte graphique. Ce n’est pas une règle établie, mais normalement, une marque se reconnaît à 20% par son logotype et 80% par son style graphique. C’est pour dire à quel point il faut soigner le style graphique riche d’éléments stables et forts comme la typographie pour garantir la reconnaissance ; mais il ne doit pas non plus être trop enfermé. L’enjeu étant de définir des règles du jeu assez ouvertes pour avoir une diversité dans les mises en pages par exemple, et ne pas avoir une identité trop figée (définir une boîte à outils permettant d’avoir de l’unité et de la diversité). (...) Le design graphique fait-il l’identité de la marque ? Je vous mets en garde par rapport à ça. Il faut toujours être vigilant. Comme notre métier c’est de manipuler des signes narratifs, on a parfois le défaut ou le travers de résumer l’identité aux aspects visuels et narratifs alors qu’il faut toujours garder à l’esprit que c’est en interactivité avec la réalité, avec les gens. Même si on a un pouvoir extraordinaire, voire même démesuré sur la manière de packager les choses et de raconter une histoire, on peut facilement mentir. Les gens, lorsqu’ils ont l’image d’une entreprise, mélangent tout. Ils font un amalgame des signes graphiques qu’ils voient, de leur expérience produit, de leurs dernier contact téléphonique, de quand ils sont rentrés dans une boutique, de l’affichage qu’ils ont vu dans la rue, tout est mélangé pour l’individu. Et ce sont ces éléments qui font réellement identité quelle que soit la qualité de notre travail. A quels degrés le designer graphique est-il impliqué lors de la conception et de la réalisation d’une identité de marque ? Cela dépend surtout de la personnalité des gens. Forcément le designer graphique est au coeur de la conception. Après, il peut rencontrer le client ou non. J’ai fait quelques projets où le designer n’avait jamais vu le client et où il y a eu des résultats extraordinaires, mais l’inverse aussi. Par contre, il n’y a pas de règles. Même si parfois le designer est super impliqué, le résultat n’est pas là. Il y a bien sûr beaucoup de travail, mais c’est aussi des moments de grâce, du hasard et des intuitions car on n’est vraiment pas dans une démonstration mathématique. Il faut toujours être à l’écoute et attentif pour attraper une perle quand elle passe.
• 104 •
Comment l’identité visuelle de la marque évolue-t-elle avec l’apparition de nouveaux supports de communication ? Il y a une influence importante de l’arrivée d’internet sur la création des identités. Certaines marques restent majoritairement sur des supports très classiques comme les marques qui ont des véhicules et des bâtiments. Mais il y a aussi les marques majoritairement web, google en est un grand exemple. Elles peuvent changer d’identité à zéro coût quasiment et on assiste à une émergence de marques que j’appelle versatiles avec toutes les questions que cela pose sur leur identité. A mon avis, il y a eu des excès et des abus, ce qui fait que certains ont perdu le nord avec ces tentations, même s’il faut reconnaître qu’il y a aussi des opportunités. Pour google, avec leur logo qui change sans cesse, et puisque la marque est très connue, ce n’est pas un problème, alors que pour des plus petits, cela peut perdre leur reconnaissance. Avec l’évolution des techniques, alors qu’avant les identités étaient conçues en noir, en 1 voire 2 couleurs, aujourd’hui, elles sont conçues multicolores, puisque les contraintes d’impression ne sont plus les mêmes. D’après moi, ça a beaucoup dégradé la qualité des identités. Le design génératif fait-il naître un nouveau genre d’identité ? Cela reste assez rare, plutôt orienté vers les nouvelles technologies ou les studios branchés comme l’exemple de l’identité du MIT media lab qui est très réussie. Mais c’est d’abord un outil qui leur ressemble, qui définit leur identité. Il faut aussi voir qu’aujourd’hui, les grands concepteurs des marques sont des gens de 55 ans. Peut-être que dans quelques années, lorsque les générations jeunes seront « au pouvoir », le design graphique sera plus fréquent. Mais n’oublions pas que l’essentiel c’est la reconnaissance. Alors, dès qu’on joue avec des zones changeantes, variables, le risque est là. Le MIT par exemple a contourné ce risque avec un équilibre unité/diversité très intéressant. L’identité visuelle de demain. Avez-vous quelques tendances permettant de l’imaginer ? On a tellement touché le fond de la médiocrité, que là, ça fait presque 2 ans qu’il y a un retour aux fondamentaux. Avec beaucoup moins de reliefs, des typos bien choisies, etc. C’est à nouveau une tendance, en attendant la prochaine où les fondamentaux seront peut-être à nouveau oubliés. Mais pour moi, la bonne identité n’est pas tendance. Il faut qu’elle soit indépendante de tout, unique et proche de l’entreprise. Les plus grandes identités n’ont pas été créées il y a 2 ans. Elles ont 50 ans. Certaines entreprises arrivent à créer une identité pour toujours. C’est ça les grandes identités à mon avis. Il y a eu un avant et un après Internet, mais je ne suis pas assez calée pour savoir s’il y aura d’autres événements de ce genre qui révolutionneront les identités. Je pense que quoi qu’il arrive, dans les 10 ans à venir, les vrais fondamentaux resteront toujours : différence, reconnaissance et pertinence, car elles ont ce rôle fondamental de définition de l’identité visuelle. Exprimer qui on est et être reconnu parmi les autres.
• 105 •
路
路
Đ:
·
·
Ę:
·
ƒ:
·
·
Đ: Identité visuelle de la
Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, identité générative reprenant la forme de la planète bleue et des interactions entre les pays des Nations unies, NR2154 design, Copenhague, 2009
Ę: Identité visuelle de la
Casa da Música à Porto (PT) reprenant la forme du bâtiment sous différents angles avec une colorisation automatisée, Stefan Sagmeister, 2007
ƒ: Footfalls, projection audiovisuelle interactive, dans laquelle les mouvements des spectateurs déclenchent une avalanche d’objets virtuels, TMEMA, 2006 ·
路