D'une architecture de ruine : la part sensible du bâti

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A, fut, ma grand-mère , Annie Llado-Garcia A, furent, mes Oncles ,Vincent et Rafael Daix ,

Qui m’ont tristement appris que tout était temporel…


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REMERCIEMENTS

4 Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers Mr. Solinis Alberto, mon promoteur, pour son regard avisé, sa disponibilité et sa bonne volonté à l’égard de ce travail. Je remercie également Mme. Manger Ingrid , Architecte et lectrice externe, pour le temps consacré, sa bienveillance et la justesse de ces propos. Je tiens à remercier l’ensemble de mes professeurs pour la transmission de leur savoir , leur enseignement, leur passion et amour pour l’architecture, qui m’ont permis d’évoluer et d’apprécier autant mes 5 années d’études. Je remercie sincèrement mes proches , famille et amis, pour leur soutient, leurs encouragements, leur contribution ,de proche ou de loin, à l’élaboration de ce mémoire.


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PREAMBULE

L’architecture relève du domaine de la science, pour des raisons d’intelligence, de technicité, de logique, de calculs, d’ingénierie, produit de pure connaissance … Mais avant tout l’architecture relève du domaine de l’art. L’architecture est en réalité le premier art des neuf arts majeurs. Le propre de l’Art est de s’adresser directement aux émotions, au ressenti, à l’intellect et à l’intuition. L’Art est le propre de l’Homme puisqu’il découle d’une intention. Et, l’Architecture est conçue pour les Hommes. L’Homme fonctionne avec ses sens et est constitué de ses propres émotions. Nous sommes nos émotions. Ainsi il est logique de concevoir que l’architecture, dédiée à être en permanence auprès de l’homme, à

être foulée, touchée, sentie, en somme à être vécue par l’homme, doit intégrer ce domaine sensible. Il me semble qu’aujourd’hui, nous sommes dans un âge qui demande de la productivité, de la rapidité, de la densité, c’est toujours plus, toujours plus vite, toujours mieux … Nous nous élançons, sans prendre notre souffle, vers le futur. Alors, l’architecture répond à cette demande, nous construisons intelligemment, fonctionnellement, rationnellement, beaucoup, densément, nous intégrons comme il se doit les valeureux principes de l’écologie, du passif car évidemment nous répondons aux nécessités de ce siècle. Bien sûr, en résulte bien souvent une architecture avec un certain esthétisme. Esthétisme qui


plaît au plus grand nombre, un esthétisme lisse, superficiel, un esthétisme creux. Creux. Vidé. Vidé d’émotions. Il me semble que le beau ne résonne plus avec le profond, avec l’intériorité. Nous produisons vite, efficacement, bien, beau mais nous construisons sans quête de sens. Alors pourquoi je me suis intéressée aux ruines ? Je pense que j’étais à un moment de ma vie où je cherchais un sens. Enfant, je me suis souvent rendue dans les ruines du Château d’Herbeumont. Je me rappelle que je trouvais cela impressionnant, presque étrange, on aurait dit un château de sable sur lequel le vent avait soufflé, c’était amusant de voir comme « le château était cassé ». Des années plus tard, je m’y suis rendue, moi-même cassée intérieurement. Et là, je l’ai vue différemment, cette ruine. Je me souviens qu’elle m’avait fait pleurer. Je l’ai regardée et je l’ai vu belle, je l’ai vu affaiblie mais je l’ai vu forte aussi. Et j’ai écouté le silence. Un silence qui en disait long. Je l’ai vu belle car elle n’était pas là pour plaire, elle n’était ni lisse, ni superficielle, elle était authentique. Elle se présente sous son aspect le plus dénudé possible, sans artifice, pure.

Je l’ai vu affaiblie, car on pouvait lire les attaques du temps, ses murs affaissés, blessée par son histoire, et elle se présente ainsi, plaies béantes, écorchée, à vif. Et pourtant je l’ai vu forte. Forte car elle acceptait son vécu, son passé, pour être juste là, présente. Forte de sa présence, de son histoire, de sa résistance. Surplombant fièrement cette colline de schiste s’ouvrant au paysage. Je me suis projetée en elle, et c’est comme si elle m’avait parlé. Après m’être assise sur son reste de mur, je suis partie et j’étais apaisée. Depuis, lorsque je m’y rends, je ne pleure plus. Alors pourquoi s’intéresser aux ruines aujourd’hui ? Parce que les ruines c’est une leçon de vie. Parce que l’on dit souvent, qu’il faut aller dans la campagne pour se déconnecter du monde, afin de se ressourcer. Mais qu’avec la ruine, on réalise, que l’on ne se déconnecte pas du monde, au contraire, on se connecte enfin au monde et à soimême. C’est de la société dont on se déconnecte. Parce que la vitesse, la société du renouvellement urbain demande de la rapidité, de la fonctionnalité immédiate et qu’avec la ruine il n’est pas question de fonctionnalité mais seulement de temps long. Au lieu de créer de la ruine aujourd’hui nous créons de la rouille. La patine n’existe plus, elle est synonyme de frein au progrès.

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Parce qu’elle est paradoxale. On peut y voir la mort, mais on peut y voir la vie, elle est habitée de végétation, de plantes, de fleurs. Elle semble vide mais elle est comme habitée d’une âme. Elle est faite de vides et pourtant de pleins. Parce que dans cette société où notre ressenti est mis de côté pour l’efficacité et le rendement, où les émotions sont soit portées à vif par le stress soit enfouies sous de fauxsemblants. Nous ne nous permettons pas d’intérioriser, nous ne nous permettons pas d’être pleinement humains. Alors qu’avec la ruine nous sommes pleinement connectés au sensible.

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Parce que c’est le propre de l’humain, seul être doué de la pensée, de chercher un sens, une sorte de quête de la vie, et que la ruine peut être ce support philosophique. Parce qu’elle est architecture, mais aussi œuvre d’art. Art modelé par la main de l’homme, avec le temps comme vernis et la nature comme liant. En fait elle retrouve l’essence même de l’architecture. C’est une architecture qui est complètement connectée à son environnement, qui est connectée à son passé et qui est connectée au sensible. C’est en cela que la ruine intéresse : La ruine est une leçon de vie et une leçon d’architecture. La ruine est une part sensible de l’architecture et parce que l’humain est inévitablement sensible.


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Poussière. Débris. Amas de pierres. Morceaux de murs. Fragments. Reste d’édifice. Trace de l’œuvre humaine. Voilà ce que le mot « ruine », du latin « ruina, ae », littéralement, désastre, écroulement, évoque au premier abord : l’état d’un bâtiment qui s’écroule.

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« Ce qui importe en cette matière est moins l’objet en soi que le regard qui le frappe, et moins le regard que l’esprit dont il émane »

L’histoire des ruines, à travers les époques, nous apprendra pourtant qu’elle évoque bien d’autres choses qui ne se rapporte pas seulement à son état physique …


Pas toujours reconnues ou conservées, il faudra attendre le 18 ème siècle pour que la ruine suscite un réel intérêt. Effectivement, celles-ci servaient principalement de carrière. Les romains n’hésitaient pas à brûler des marbres pour en faire de la chaux par exemple, le respect de l’antique, à cette époque, n’avait de sens que pour une poignée de savants. Le rapport entre la ruine et l’homme a évolué au cours de l’histoire, suivant le développement de la pensée et les crises que traversèrent les sociétés. On peut suivre cette évolution selon différentes époques historiques à travers la littérature et l’histoire de l’art

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La Renaissance

C’est au 18ème siècle que la ruine prend une définition particulière, grâce à une sorte d’idolâtrie pour l’antiquité. La ruine est portée par une émotion dite du « memento mori ». Il s’agit d’une sorte de sentiment de déploration, de lamentation, envers les civilisations précédentes qui ont connu un temps glorieux. Ce temps de gloire correspond, de manière métaphorique, à un état de splendeur de l’édifice, tandis que la ruine, l’édifice écroulé, correspond lui à l’oubli. La ruine sert alors d’exemple emblématique portant en témoignage la force et la gloire des anciennes civilisations. On prend soudainement conscience du caractère irremplaçable des œuvres architecturales ou artistiques créées par la main de l’Homme. On peut alors dire que cette prise de conscience est à l’origine de la notion de protection et de conservation.

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A travers l’œuvre de Joachim Du Bellay, poète français du 16ème siècle, on peut percevoir la notion de « Ruine mémorial » dans « Les Antiquez ». C’est dans un contexte politique étonnant, que Du Bellay, amorcera ce nouveau genre littéraire. En effet, c’est alors qu’il est envoyé par le roi Henri auprès du Pape Jules 3 afin d’apaiser les relations entre le Vatican et la France. S’ensuivent ces nombreux textes, insatiablement inspiré par la ville de Rome... Précurseur de la « poétique des ruines », leur évocation est en réalité un prétexte afin d’introduire une méditation historique. A la fois philosophiques et moraux, ses textes apparaissent, au vu de l’époque et de son influence politique, comme une reconnaissance de l’héritage antique et de la culture classique par la nation française.

Les « Antiquez » de Rome, sont empreintes d’idées plutôt humanistes. On y retrouve le thème dit des « Vanitas », ce qui correspond à une déploration face à la fragilité de l’œuvre humaine, le « Corruptio », l’humanité déchue, et la « Roma quanta », le « chant de Rome », une reconnaissance exaltée de la grandeur romaine. Afin de faire place à cette sorte d’homélie morale, l’aspect visuel (descriptions paysagères, etc.), dans ses textes, est relégué au second plan.


Cornelis van Poelenburgh, Campo Vaccino, Louvre, 1620 - RENAISSANCE -.

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Hubert Robert, Vue imaginaire de la grande galerie du Louvres en ruine, 1796 – RENAISSANCE -

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Le Siècle des Lumières

alors, l’avenir de toute œuvre humaine, elle nous permet de nous évader vers un « ce qui sera », sur « ce qui ne sera plus ». La rêverie induite par les ruines devient une anticipation. Ces murs écroulés représentent la sagesse de l’existence car ils nous évoquent l’incertitude, l’inachèvement et nous renvoient vers nous-même.

Nous sommes milieu du 18 ème siècle, alors qu’un profond bouleversement d’idéologies s’opère. C’est autour de l’idée de la « Raison » que s’articule cette idéologie. En effet, la « raison » déplace toute confiance en la religion vers le savoir scientifique. Nous nous trouvons dans A cette période, l’importance de un contexte historique remplis de 2 l’art, dont découvertes « Ruine ne se dit que des les ruines scientifique et qui s’ouvre sont palais, des tombeaux au monde. l’emblème, somptueux ou des Car est si monuments publics. On ne effectivement considérable diroit point ruine en parlant à cette qu’elle va époque, les influencer d’une maison particulière de voyages se l’architecture. paysans ou bourgeois ; on font de plus diroit alors bâtiment ruinés » En effet, la en plus ruine, en nombreux et sont nourris de découvertes devenant œuvre d’art, permet de archéologiques, dont le berceau est reconstituer un imaginaire, fait de l’Italie avec ses forums romains. dessins fantastiques dans le but L’attrait pour les ruines se fait de plus d’émouvoir et d’entrainer à la rêverie. en plus considérable, elles sont Elle est un entre deux, entre rêve et comme des énigmes à déchiffrer. réalité. catégories de dessins Ainsi, de nouveaux paramètres Deux apparaissent : constitueront la notion de « ruine ». C’est un mysticisme de la ruine architecturale qui s’établit, une sensibilité se développe autour de la ruine comme témoignage. Mais témoignage de quoi ? Témoignage, dès lors, d’une incertitude envers l’avenir de l’homme et de ses édifices. Il y a un changement du rapport au temps, elle n’est plus tournée vers le passé, soit rétrospective mais comme un avertissement, elle nous tourne vers le futur, elle est prospective. La forme mutilée de la ruine représente,

Le premier s’intéresse particulièrement aux parties manquantes du bâti en ruine, les vides. On s’amuse à les projeter tel qu’ils auraient pu être, ces œuvres ont un caractère utopiste. C’est une fascination envers le fragmentaire et l’inachevé qui se lit dans de telles réalisations. Mais pour la société c’est un moyen de se libérer du fonctionnalisme. On l’appellera le dessin de fiction.

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Pour exemple, dans les gravures de G.B. Piranèse, la ruine, et les perspectives en diagonales, créent un paysage qui est rêvé et dramatisé. Il est comme extensible à l’infini, créant une sorte de non-lieu. Une sensibilité particulière est portée sur la conception du temps, sur l’accumulation du temps. Il traduit une vie vécue dans le temps en termes d’espace, c’est là une subjectivité spatio-temporelle qu’évoque la ruine. Baudelaire l’énoncera en ces termes :

« Profondeur de l’espace, allégorie de la profondeur du temps » 3

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Nous appellerons la deuxième catégorie de dessin « ruine anticipée ». Il s’agit alors de « ruiner » le bâtiment, on projette la construction dans son futur lointain, en ruine. Ce qui le distingue fondamentalement du dessin de fiction c’est son esthétisme simplifié, ses « Il faut ruiner un 4 formes bâtiment pour qu’il épurées, un devienne retour à intéressant » l’essentiel. Afin de rendre un édifice intéressant ont le représentera ruiné. Par cet acte de ruiner, on anticipe les ravages du temps et on s’illusionne d’avoir un contrôle sur celui-ci. L’état de délabrement, théoriquement, permet à l’auteur de représenter le temps qui passe. Ainsi, de la proximité entre art et architecture, notons que les

architectes étaient souvent peintres et graveurs, s’opère une modification de la fonction architecturale. En effet, la visée purement utilitariste (appuyée sur le modèle de Vitruve) est libérée. Amenant l’architecture vers une dimension plus utopique du projet d’architecture. De plus, cette proximité entre art de l’espace et art de la perception de l’espace, va ajouter une valeur sentimentale. Un nouvel art se développe, avec l’utilisation de la ruine, de l’anticipation, du monument rêvé, c’est art est un art de l’émotion qui sera appelée « esthétique du sublime ». Le propre de cette nouvelle valeur esthétique est de susciter admiration et émotion chez le spectateur. Il est intéressant de noter que pendant que cet « esthétisme du sublime » se développe, en 1735, Alexander Baumgarten, philosophe Allemand, défini l’esthétisme comme science de la connaissance sensible. Il établit un lien entre le sentiment artistique et le bel esthétique tout en mettant en avant le point de vue du spectateur. C’est un véritable changement de la réflexion artistique qui s’intéresse à la perception et l’émotion produite car de ce fait l’esthétique devient psychologie. Ainsi l’esthétisme va amener l’idée d’expérience pour le spectateur. A travers la représentation chaotique des ruines, par leur aspect fragmentaire, elle nous rappelle l’absence de ce qui a disparu. La vérité monumentale de la ruine est un paroxysme : la force de l’absence qui


ne se voit pas mais qui se sent. L’œuvre fait vivre « une expérience de la perte ». L’esthétique du sublime est « Ceux qui n’ont pas aimé un esthétisme ne sont pas digne de chaotique, le but s’arrêter devant une ruine » étant d’exposer le spectateur à quelque chose qu’il ne maitrise pas, comme une fascination de la terreur, qui par des clés de compositions nous permettent de lire le danger tout en nous gardant en sécurité grâce à une distance établie. Les ruines nous exposent à un chaos que l’on craint mais qui ne nous atteint pas. Contrairement à la terreur, en littérature, par exemple dans « Lettres à Sophie Volland », de Diderot, on peut voir l’aspect totalement sentimental qu’évoque les ruines. « Le lieu d’une ruine » devient le lieu de l’amour et de la vérité, comme un miroir de la conscience. « La poésie des ruines », établie par Diderot, permet d’associer sensibilité et raison, intelligence et cœur, elle est un art privilégié pour les âmes sensibles. L’esthétique du sublime est alors un esthétisme d’émotion et de silence, une méditation à la fois morale (sur le passage, le rapport au temps), et existentielle (miroir de la conscience, intériorisation), à la fois philosophique et politique.

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Caspar David Friedrich, Le rêveur, Musée de l’Ermitage (Saint Pétersbourg), 1835-1840 – ROMANTISME -

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Le Romantisme

Le Préromantisme, que l’on a vu sous l’angle de « siècle des lumières », recensait un sentiment de mélancolie, le mouvement romantique n’en est que l’accentuation, il poussera ce sentiment dans ses retranchements. Plus tragique que la mélancolie de l’absence, ce mouvement parle de la disparition elle-même. L’esthétisme du fragment, qui émergea au siècle des lumières, est alors ici amplifié. « Le fragment est inapte à dire l’absolu, …, et inversement, l’idée d’absolu est présente en lui, lui conférant une valeur de totalité en miniature6 ». Il y a une certaine fascination face au fragment, face à au manque qu’il évoque, à ce en quoi il est réduit, à son individualisme car il se suffit à luimême comme une sorte « d’énergie concentrée ». Il est une figure de la résistance : malgré la fragilité qu’il donne à voir, comme réduit envers tout ce qui est perdu, il est là, se tenant debout, et c’est cette énergie qui l’habite qui inspire, son autonomie. Les ruines, comme totalité absente, est modifiée par le temps, modelée par ses épreuves, témoigne d’une vie qui a souffert et apparait sous son aspect le plus amoindris. Elle est imparfaite. L’imperfection, la ruine, est le devenir inévitable de toute chose. Et c’est cette vision du catastrophique qui dominera dans cette période de l’histoire. Cette notion de fatalité, de chute, est la résultante d’un changement de temporalité de la ruine. Alors qu’au

siècle des lumières la ruine était du temps passé, pour les romantiques 7 elle appartient « Le toujours présent du au présent. mourir qui œuvre en tout C’est un être, et auquel celui-ci organisme répond tout à la fois en toujours vivant résistant et en se faisant toujours asile accueillant. » changeant. Elle revêt de « l’action du mourir ». Ce n’est plus la dramatisation qui est mise en avant dans les œuvres mais l’Energie même que produit l’organisme en mouvement continuel : la ruine qui se meurt, ce combat entre deux forces, le refus de la destruction et la présence inévitable du chaos. Les œuvres tentent d’intégrer le spectateur à ce phénomène qui se déroule sous ses yeux. C’est « l’esthétisme du mourir ». On essaie d’exprimer une présence qui n’est pas matériellement représentable mais à travers un langage subjectif. La ruine devient le seuil entre la vie et la mort, représente la disparition inévitable, l’homme, le spectateur, est mis face à son destin et prend conscience de son devenir : la mort inévitable, la disparition. Cet homme qui prend alors conscience de sa finalité, reconnait qu’il n’a pas le contrôle sur tout, il devient humble. « Elle nous font éprouver et connaitre ce qui est pour l’homme le plus précieux et le plus difficile : « aimer ce qui ne flatte ni son orgueil ni ses sens 8».

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« Mémorial du temps la ruine est l’emblème de notre mortalité, du triomphe du passage sur l’être » 9 Parallèlement, dans le domaine

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littéraire, Chateaubriand, créa la « poésie des morts ». L’écrivain associe la ruine à la mort et à la maladie. Cette thématique de la mort est en fait une thématique chrétienne qu’il associera à la notion de vide du romantisme et de l’absence. C’est ainsi que les ruines deviennent « une leçon des ruines ». L’un des fondements de cet esthétisme est donc l’absence, le vide et c’est la négativité de la présence qui témoigne de cette absence. Cette pratique de vider, de répandre le chaos, donne un côté mystique à l’art. Visibilité du rien, la ruine célèbre l’invisible. C’est ce qui la distingue de la ruine des lumières, elle revêt du divin, d’un mysticisme. Il se produit également une méditation profonde sur le lien entre ruine et intériorité. L’art devenant ici un médiateur, une expérience intérieure qui prépare au « divin ». C’est aussi ce qui explique la forte présence de la nature, elle est utilisée comme élément unificateur, harmonise, et surtout entre en résonnance avec le « divin », « l’énergie originaire ». Le mouvement romantique s’établit face au rêve déchu d’une révolution prônant la raison (le siècle des lumières). Selon Volney, toute société laisse place à une autre, il y a une fin à chacune d’entre elles et cette fatalité

est propice à toutes les cultures. Nous sommes créateurs de nos propres ruines, elles permettent de penser le devenir de nos civilisations. C’est ainsi que le mouvement du romantisme répond au mouvement des lumières et que donc la raison, parait alors dérisoire et perd tous ses droits. C’est l’avènement de l’intériorisation, du sentimental. On tente d’échapper au contrôle centralisé, c’est l’effondrement d’un système dont la ruine, sorte de totalité perdue, est un modèle à reconstruire. Les ruines invitent à penser la déconstruction, elles sont révélatrices de crises. On constatera donc que l’intérêt pour les ruines n’est pas anodin, elle se développe de manière concomitante avec les crises que peuvent subir une société, se révélant un emblème. Ce témoignage de crise est le fondement de l’histoire moderne. La ruine est le révélateur de ce qui peut arriver à l’ensemble des civilisations. On prend conscience que la ruine est le devenir de toutes les cultures, une pente raide inévitable vers la disparition. En conclusion, les ruines, dans la période romantique, font office de critique de l’idéologie des Lumière. L’esthétisme devient un « esthétisme du mourir », subjectivement exprimé dans les arts, c’est moins un principe qui se voit qu’il ne se sent. Les ruines, abysses de l’existence, permettent de prendre conscience de l’aspect existentiel que l’homme préfère ignorer mais qui est au cœur de toute chose.


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Le 19 -ème siècle

Siècle de l’optimisme retrouvé, la société croit enfin en un avenir plus glorieux. Nous nous intéresserons ici au grand auteur de l’époque, Victor Hugo. Dans les textes de Victor Hugo, la symbolique des ruines évolue selon le parcours personnel de l’auteur. Au début, la ruine garde un caractère philosophique et abstrait de la vision catastrophique de l’existence pour devenir un mémorial, un rappel, une leçon de vie. Il bouleversera cependant la tendance. La ruine deviendra un décor printanier dans lequel se baladeront amusement, insouciance juvénile, jeux d’amourette. Par exemple dans le texte « Ruine d’une abbaye ». Ainsi, la rêverie hugolienne adoucira la symbolique des ruines. Elles seront comme animées par « une douce fée

invisible qui se loge dans toutes les ruines ». La ruine n’est désormais plus un moyen de méditer sur la temporalité mais une sorte de prétexte pour remodeler le réel et réveiller les délires enfuis. Cette vision animiste et sécurisante apparait comme un refus du vide et de l’absence. Il logera dans les creux, les vides ses fantasmes les plus lyriques. Le concept de la ruine, son aspect fragile, vétuste, est valorisé comme plus belle que l’objet neuf. Elle n’est plus vue comme une déchéance mais comme un accomplissement, elle est enfin positive et use de ses charmes au sens étymologique du terme. Effectivement « Charme » vient de

« Carmen » ce qui traduit signifie « chant » que l’on peut associer à l’enchantement, le sortilège , à l’image des chants de Sirènes qui revêtent 10 d’une « C’est le moyen « puissance d’être harmonieux magique ».

que d’être incomplet »

Cependant, au milieu du 19ème siècle, le statut de la ruine changera de façon radicale, elle sera perçue comme un signe d’échec face au progrès et sera éradiquée de toutes formes artistiques. Parallèlement, cette époque se révèle être l’âge d’or de la restauration dont le fondement consistera à permettre une meilleure lecture du message enfui des ruines. Un des grands acteurs de ce mouvement de la restauration est l’architecte Eugène Viollet-le-Duc que nous étudierons ultérieurement. o

Le 20 -ème siècle

Un fort développement de l’archéologie redonne vie aux ruines. Témoignage direct du passé, elles sont étudiées plus scientifiquement. Etant donné que les restaurations ultérieures des ruines ont été dénaturantes, une autre forme de restauration a vu le jour. Le principe étant de l’accompagner dans son glissement vers la mort : « la thérapie douce ». Mais ensuite, comme nous le savons, le 20ème siècle, fut bouleversé par les deux guerres mondiales. Des dégâts importants, des destructions complètes de villages et villes, nécessiteront la reconstruction de ces

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ruines dites « ruines de guerres ». On se mit à repenser la reconstruction de celle-ci. L’architecture moderne, semblant traiter les problématiques de masse, la motorisation, etc., tente de faire rupture avec tout ancrage traditionnel culturel et veut faire « tabla rasa ». C’est la néantisation de la ruine, on efface tout souvenir d’elle.

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On s’intéresse alors aux nouvelles constructions, avec les nouvelles avances technologiques de l’art de bâtir, la société considère l’importance de l’architecture moderne. On la projette dans le futur, mesurant son importance pour l’histoire de l’architecture à celle des monuments religieux et celle des châteaux. Il s’agit ici d’une sorte de préoccupation à la création des nouvelles futures ruines et donc, d’une conscience du pouvoir de transmission de l’architecture et de la notion fondamentale du temps, d’un nouveau témoignage de la société.


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Histoire du patrimoine

Le patrimoine, du latin « patrimonium », littéralement « l’héritage des pères », possède, à son origine, un sens bien individuel. Il désigne alors un ensemble de biens détenus ou transmis d’un individu à un 11 autre, de « Ce que le fils générations en désir oublier, c’est générations, on dont le petit fils parlera plutôt d’un héritage cherche à se familial. souvenir » Cette notion s’élargira vers une notion plus culturelle, premièrement, par le biais de la religion. En effet, la religion par le culte d’objets privilégiés (crucifix, coupe de vin …) donne une notion mémorielle aux objets. Elle les transforme en reliques. Ces reliques deviennent une propriété du collectif

religieux transmis de générations en générations. Ainsi, les biens de l’église deviennent le patrimoine des classes sociales les plus pauvres qui en étaient alors jusque-là dépourvues. De plus, on ne pourrait ignorer l’importance de la construction du bâti religieux, qui par son audace face aux lois de l’équilibre, fait preuve d’une technicité 12 « Ces gothiques, quoique assez mystérieuse, d’un gout barbare, suscite chez peuvent intéresser, il le visiteur serait à propos de les une ménagers en cas de admiration et une démolition, ils sont crainte précieux comme doublées de antique » fascination face à sa beauté. Au 18-ème siècle, cela éveillera donc une attention particulière, donnant naissance aux prémices de la notion de conservation.

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D’autre part, la monarchie contribuera également à l’embellissement de la notion de patrimoine, on peut le voir en France par exemple où celle-ci participera à la création des premiers musées, avec un souci des collections publiques mais qui varieront selon les règnes des monarques en exposant les « regalia », couronnes, instruments de sacre monarchiques. Le patrimoine de la couronne devient le patrimoine du citoyen, et de ce fait, elle devient une conscience collective.

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Il est important, tout de même, de souligner qu’il existe à cette époque une sorte d’élitisme du patrimoine. Etant plus dédié à l’aristocratie et à leur héritage. Ce qui prime c’est la fierté de posséder un bien prestigieux, et ce plus pour son aspect d’antiquité, que comme un bijou d’apparat. En réalité, en France, c’est la révolution française, en 1789, qui sera la clé de voûte de l’histoire du patrimoine. Car, c’est face aux destructions massives et délibérées, par le peuple, de monuments, de statues, etc. que des politiques, des architectes, des érudits se sont interrogés sur la question de protection de ces biens.

L’assemblée constituante créa la « Commission des Monuments » en l’année 1790. Il s’agit d’une équipe d’historiens de l’art chargés d’identifier, dater l’état de biens d’art et d’architecture à travers le pays. Ainsi, des mesures législatives seront prises afin de sauver et de préserver ces biens. Le patrimoine atteint une valeur telle qu’il devient supérieur à l’histoire et doit survivre à ses conflits. C’est à cette époque qu’Alexandre Lenoir créa le Musée du Monument Français. Il y fait part d’un travail de relevé matériel et une série de moulages qui seront effectués sur les principaux monuments et ensuite exposés comme doublure. C’est la première conservation passive, on n’intervient pas directement sur le bien mais on gardera une trace matérielle de celui-ci en cas de disparition.

De ce fait, la création de musée suscitera l’intérêt des bourgeois, qui en les visitant participeront à la notion d’identité nationale et s’intéresseront à leur propre patrimoine. Il ne s’agit toujours que d’une petite minorité de Le mot « patrimoine » n’existait la population qui prend conscience de alors pas encore au même sens l’ampleur de la sauvegarde du qu’aujourd’hui, on parlait de patrimoine étant donné que la grande « monuments ». majorité Terme qui apparaitra reste inculte « Monuments, signifie pour la première fois face à cette ici édifices mais aussi dans les « Antiquités » conviction. tombeaux, statues, d’Aubin Louis Millin en 1790 selon ces vitraux. Tout ce qui peut termes : fixer, illustrer préciser

l’histoire nationale. »


Victor Hugo ( 1802-1885), « Vision de Notre-Dame », Encre brune et lavis (142x234mm),Collection Particulière

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En 1830 on vit apparaitre le premier poste d’inspecteur des monuments historiques dont la mission est d’établir un catalogue exact et complet des édifices et monuments isolés qui méritent une attention particulière de la part du gouvernement. L’idée étant « Connaître pour préserver 13» .

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aux biens publics ou privés, dont la conservation est jugée d’un intérêt national pour l’histoire et l’art. Le 20éme siècle sera synonyme de tentatives juridiques, on écrivit la charte des monuments historiques (1913) ainsi qu’une panoplie de commissions et de protections.

C’est, la Pour naissance de la cela, « Il y a deux choses dans un notion moderne chaque édifice : son usage et sa du patrimoine, inspecteur beauté. Son usage notion à la fois « devait appartient au propriétaire, morale et pouvoir pédagogique. On sa beauté appartient à tout lever des souligne la valeur plans en le monde. C’est donc nationale des architecte, dépasser son droit de le 15 œuvres dessiner détruire » les menacées, comme fragments intéressante pour en peintre, lire des anciennes chartes l’éducation et la culture. en archiviste, courir à cheval ou à pied en chasseur et de Cette citation affirme bien la nouvelle plus, pour obtenir de l’unité, tous notion d’appartenance au patrimoine devraient avoir les mêmes principes de la collectivité. Cependant, il reste à en archéologie, le même système en préciser que cette notion n’est pas au histoire de l’Art14 ». Mais étant donné même degré d’importance selon les la difficulté et la complexité sur le villes et les pays. Elle évolue et varie terrain, on en viendra à une selon la géographie. reconnaissance assez générale et En Belgique, la législation du superficielle des biens par le remplissage d’un questionnaire patrimoine s’est faite tardivement, par simplifié, avec des définitions rapport à nos voisins anglais, italien et sommaires et à une carte renseignée. même français et est issue d’un processus long mêlant loi nationale et On se rendit compte, grâce à cet internationale. inventaire, qu’il y avait des C’est sous le règne du roi Léopold monuments plus importants que d’autres. Apparurent, alors la 1er, le 7 janvier 1785, qu’une protection légale, la classification des commission de conservation des monuments. C’est en 1887 que fut monuments, notons que nous ne rendue la loi du classement au titre de parlons pas encore de patrimoine, est monuments historiques, s’appliquant formée. Elle est composée de 9 membres qui apporteront avis, plans,


réparation sur les monuments, qui sont alors reconnus pour leur valeur d’antiquité, historique ou leur rapport à l’art. Le rôle de cette commission est conséquent car il mettra en place également un inventaire, un système de répertoire dont la classification se fera selon valeur, de là vient l’expression « monument classé ». Le 20ème siècle sera donc synonyme d’extension de la notion de patrimoine. On peut le constater grâce à trois exemples. A l’origine, les monuments intéressants étaient principalement ceux de l’antiquité, maintenant ils s’éloignent jusqu’ à la période médiévale prenant en compte les édifices du 16ème, 17ème, et 18èmesiècle. Ensuite, elle passe de la limite topographique propre de l’espace du bien à son environnement et ses abords et enfin, s’étend de l’œuvre unique (exceptionnelle) à l’œuvre typique (élément d’une série, d’une catégorie). C’est en 1912 que la notion de patrimoine s’élargit à l’échelle du site. Ce sera la peur du dépaysement par l’industrialisation qui sera un des principaux moteurs. « On se montre justement alarmé des menaces que fait peser le développement continu de l’industrialisme sur les parties demeurées intactes de ce patrimoine magnifique et irremplaçable, et un vif désir se manifeste de prendre des mesures efficaces pour en assurer la conservation. »16 Survint la 1ère guerre mondiale, qui laissant derrière elle destructions et

ravages mit en évidence la difficulté de la sauvegarde du patrimoine belge par la commission. En cause, un manque d’inventaire, de possibilités légales, de budget … Ceci donna lieu à la loi de 1931 traitant autant la conservation des monuments que des sites englobant aussi les objets du mobilier ayant une valeur artistique. Cette loi met sous la protection de l’Etat tout monument d’intérêt historique, artistique et scientifique en les classant soit dans leur totalité soit en partie. Cela impliquera plusieurs choses : Aucun changement définitif, par le propriétaire, ne pourrait être effectué s’il en modifie l’aspect. Le dit propriétaire se voit dans l’obligation de faire tous travaux qui préviendraient la détérioration de l’édifice classé. Certains de ces biens se trouveront sous « une servitude légale d’utilité publique », ce qui restreint l’usage et la jouissance de celui-ci par le propriétaire. De même tout site peut être protégé s’il a un intérêt national historique, esthétique ou scientifique. Les effets suite à la proposition de classement de ces sites et monuments sont applicables en tout temps qu’importe s’il y a changement de propriétaires ou non. Pour la génération post-industrielle, la question patrimoniale est primordiale : après la seconde guerre mondiale, les villes se redécouvrent à partir des ruines (que nous verrons en détail plus tard). C’est ainsi, face au malheur, que naît la découverte d’un

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lien indéniable, voire intime, entre la ville, le site et le citoyen. On constatera que c’est seulement face à des désastres et des crises que l’attention du 17 « Tu n’es plus là où tu peuple s’éveille, étais, mais tu es comme une partout là où je suis » réaction tardive de situations non anticipées. Ce serait à partir du sentiment de manque que l’on se rend compte de la valeur.

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Il fallait donc retrouver une vie urbaine qui puisse s’articuler avec le passé. On se met à repenser les villes, on reconstruit et remodélise. Les années 50 sont les années de l’expansion économique et de la modernisation, mais face à cette surexploitation des espaces, on se rend compte que l’on néglige les constructions anciennes, qui ne sont plus qu’alors une minorité du bâti construit. Ces phases d’urbanisations, et d’industrialisation engendrent par contre-coup un attachement au passé menacé. De plus, « un « monument » n’est jamais isolé, la pire erreur du siècle dernier fut d’ignorer la continuité du tissu urbain … L’édifice majeur a toujours une enveloppe. »18 En France, le patrimoine tente de saisir au niveau le plus modeste l’évolution de la société à travers la réalité matérielle, il ne s’agit plus d’une sélection de bâtiments remarquables, mais une attention sur la relation entre l’homme, les choses et leur usage. Il y a une réelle redécouverte de la société, elle se

redécouvre dans toute sa complexité, on voit naître des musées régionaux, de nouvelles collections, on s’intéresse autant à la ferme, à l’atelier qu’à l’église, au château. Ce qu’on appelle aujourd’hui le petit patrimoine. C’est aussi à cette période, en 1964, qu’André Malraux, alors ministre, crée « l’Inventaire Général », constituant un réseau de références autant topographiques qu’historiques du pays d’un patrimoine complexe traitant de toute sorte de catégories d’objets. Il adoptera enfin le terme « Patrimoine » inventé par l’historien André Chastel.

La patrimonialisation équivaut alors à « ce travail qui permet à la durée, ou à l’âge, de faire basculer un objet dans le registre valorisant de l’ancien – faute de quoi il ne serait que vieux, c’est-à-dire dégradé. » 19

Parallèlement, en Belgique, à partir de 1970, celle-ci est scindée en trois communauté culturelle, française, néerlandaise et allemande, en trois régions également, wallonne, flamande et bruxelloise, ce qui engendrera des modifications au niveau de la législation du patrimoine. On confiera la protection des monuments et sites aux communautés, ce sont les « réformes institutionnelles. ». Bruxelles, ville que l’on reconnaît aujourd’hui comme étant une ville riche de son patrimoine, fut à l’époque


une question plutôt problématique. En effet celle-ci n’appartenait ni à la communauté flamande, ni wallonne. Il faudra attendre 1989 pour que la région Bruxelles – capitale soit créée et, en cette même année, pour que la gestion des monuments et sites soit alors attribuée aux Régions, ce qui permettra de coordonner aménagement territorial, urbanisme, monuments, site et environnement par régions. Ce n’est que 4 ans après qu’elle se voit ordonnée de la conservation de son patrimoine immobilier, c’est-à-dire l’ensemble des biens immobiliers avec un intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique (beauté du monument) , scientifique, social (qualité de vie), technique (témoins d’un savoir-faire ), paysager (PRASS, ZICHEE), urbanistique ou folklorique (tradition), dont on peut retrouver le code bruxellois de l’aménagement du territoire, le CoBAT . La protection d’un bien peut se faire dès lors pour plusieurs raisons à titre de monument (réalisation remarquable comprenant les éléments décoratifs de celle-ci), d’ensemble (groupe de biens immobiliers attestant d’une cohérence urbanistique : homogénéité, intégration…), de site (œuvre de la nature et/ou de l’homme avec cohérence spatiale) et de site archéologique. Il est intéressant de souligner qu’en quelques années la patrimonialisation est devenue un domaine primordial dans une ville telle que Bruxelles qui reconnaît la beauté et le témoignage

d’un savoir-faire autant dans les grands-ensembles que dans le petit patrimoine, tel que menuiseries, accessoires de structures, éléments visibles en façade… Avec cette idée du « tout patrimoine » on en vient à patrimonialiser même des objets du présent, la limite de prise en compte des œuvres ne cesse de glisser vers le présent. Le concept de patrimoine évolue même dans sa chronologie, prenant source dans le passé lointain, s’étendant dans un passé proche, se retrouve dans un patrimoine du présent. On comprendra alors que la notion de patrimoine, bien que récente évoluera rapidement d’une notion restreinte et plutôt élitiste à une notion moderne du patrimoine comme un bien collectif d’un ensemble de richesses culturelles autant matérielles qu’immatérielles propres à une communauté, héritage d’un passé. Ce patrimoine participe à l’identité propre de cette communauté et à sa pérennité. A Bruxelles, les mesures de conservation ne s’arrêtent pas à une préservation mais tentent plutôt de mettre en valeur, d’intégrer l’élément reconnu à la vie contemporaine. Il existe en fait 3 catégories de conservation intégrée : l’inventorisation (mise en place depuis 1975 et qui reprend d’office tout bien construit avant 1931), la mention dans la liste de sauvegarde (mesure de reconnaissance de valeur patrimoniale mais dans un « entre deux » qui ne permet pas le soutient

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d’un subside) et le classement (reconnaissance patrimoniale assurant conservation, entretien et restauration avec subside).

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induira quelques primordiaux.

principes 21

« La notion de monument

historique (…) s'étend non A l’échelle d’une si petite ville la seulement aux grandes notion de patrimoine a donc rapidement pris ses marques et créations mais aussi aux évolué mais à l’échelle mondiale œuvres modestes qui ont également ! Car c’est au 20ème acquis avec le temps une siècle également, en 1931, que se signification culturelle. » fera le premier congrès international sur la conservation des La sauvegarde peut être monuments et des sites : la reconnue autant pour les grandes conférence d’Athènes. Celui-ci créations que pour les plus modestes regroupe architectes et techniciens du et comprend aussi bien le monument monument venant du monde entier à que le site. Toute action de Athènes. La conférence d’Athènes conservation, restauration, fouilles exposera la nécessité d’une nécessitera une étude historique et organisation internationale dans le inter-disciplinaire menant à des domaine de la restauration de rapports analytiques et critiques. monuments historiques, tout en respectant les législations nationales Estime la restauration comme un qui doivent régir dans chaque pays acte exceptionnel, qui se doit de l’utilisation de matériaux et techniques conserver et de révéler la valeur, la modernes pour leur restauration et substance, esthétique et historique, l’importance du périmètre « Chargées d’un message des monuments alors 20 spirituel du passé, les classés. La conférence d’Athènes n’est alors que le prélude, s’en suit « La charte de Venise », document de référence encore aujourd’hui, établit lors du 2ème Congrès International de 1964 à Venise. En 1960 on reconnaîtra donc enfin la valeur spirituelle d’édifice, artefact, de la main de l’homme, cette charte

œuvres monumentales des peuples demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leurs traditions séculaires. L’humanité, les considère comme un patrimoine commun, et, vis-à-vis des générations futures, se reconnaît solidairement responsable de leur sauvegarde. Elle se doit de les transmettre dans toute la richesse de leur authenticité. »


faite sur une base de documents authentiques. S’arrêtant là ou commence l’hypothèse. Cependant tout travail complémentaire indispensable (esthétiquement ou techniquement) se reconnaîtra par la marque de notre temps. Les interventions se doivent d’être réversibles. Reconnaissant toutes actions apportées sur l’édifice de toutes époques, celles-ci doivent être respectées et non effacées au profit d’une unité de style. C’est également à Venise, en 164, que sera fondée L’ICOMOS (International Council on Monument and Sites). Il s’agit d’une organisation internationale, non gouvernementale, créée par l’Unesco. Elle est chargée de promouvoir théories, méthodologie, techniques applicables à la conservation, la protection et mise en valeur des monuments et des sites à travers des Chartes et Principes, énoncées tous les 3 ans par des assemblées générales. Dès lors le travail de l’UNESCO, (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization), qui fondée en 1945, suite à la deuxième guerre mondiale, contribue par la culture, l’éducation, la science, au maintien de la paix et de la sécurité entre nation. Elle donnera lieu à la deuxième convention de l’Unesco (la première étant la convention de La Haye portant sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés) en 1972, à Paris, soit la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Celle-ci vise à

préserver tout patrimoine autant culturel que naturel, englobant monument et immeuble à caractère exceptionnel (historiquement, artistiquement ou scientifiquement), sites comme œuvre de l’homme ou / et de la nature, ou archéologique, comme un patrimoine mondial de l’humanité tout entière. La création de ces organisations et conventions étant la notion de valeur patrimoniale à « chefs d’œuvre de l’art universel ». Il y a alors enfin une reconnaissance mondiale et une mise en avant du patrimoine. Selon Freud, un certain attachement affectif nous relie aux édifices et aux objets, bien qu’il faille distinguer l’attachement créé, à travers la valeur d’usage, de la valeur symbole. Mais cette émotion éprouvée, et dès lors reconnue dans le monde entier, face à l’objet patrimoine, vient d’une sacralisation que l’on peut résumer en une seule loi : 22

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« Dans toute société, le

Le patrimoine patrimoine se reconnaît au serait une fait que sa perte constitue version de un sacrifice et que sa l’objet sacré conservation suppose des sans l’aspect religieux, sacrifices » devenant un élément essentiel de l’identité des groupes et individus qui le reçoivent comme un héritage. Dans la catégorie patrimoine international, il existe également, depuis 1949, le Conseil de l’Europe, qui réunit 47 états.


La différence entre les deux organisations internationales est que tandis que l’Unesco établit une liste de biens exceptionnels, le Conseil de l’Europe lui détermine des régimes de protections à mettre en œuvre.

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Par exemple, plusieurs conventions ont été établies par le conseil de l’Europe : convention de la sauvegarde du patrimoine, dite la convention de Grenade (1985), qui intègrera la notion de zone protégée autour d’un monument, et une politique de conservation intégrée. La convention européenne du paysage (Florence, 2000) qui s’occupe de conserver et améliorer la qualité, protéger, gérer et aménager les paysages d’intérêts en Europe. Et la Convention sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Faro, 2005) qui étend la vision du patrimoine à une relation avec la société, aux rapports avec les droits de l’homme et à la démocratie. Cette dernière convention développera la notion d’un patrimoine plus commun de l’Europe, la voyant comme une interaction entre patrimoine culturel européen et idéaux consensuels en Europe (politiques, démocraties ...) ce qui implique donc une responsabilité commune des européens envers le patrimoine culturel. On peut, dès lors, la synthétiser sous ces 3 points : Une existence de droits par rapport au patrimoine culturel qui découle du droit internationalement reconnu de participer à la vie culturelle. De ce fait, tout droit à un patrimoine culturel induit des responsabilités face à ce patrimoine. La jouissance d’un patrimoine culturel a pour but le

développement d’une société plus démocratique et qualitative. Ainsi le patrimoine est reconnu comme un facteur primordial de cohésion sociale mettant au centre le citoyen par son processus d’identification, de gestion et d’utilisation du patrimoine. En Belgique nous pouvons conclure que les journées patrimoines d’expositions thématiques, etc., font partie des actions induites par la convention de Faro. o

Phénomène de Patrimonialisation, ses valeurs et critères.

On est en droit de se demander alors, à quel titre un artefact est intégré à la chaine du patrimoine et en quoi la ruine est-elle légitime ? Comme le phénomène de patrimonialisation est en constante évolution selon les époques, parallèlement, chaque époque établit ses propres critères. Chacune des époques doit choisir ce qu’elle veut transmettre aux générations et donc décider ce qu’elle conserve et laisse disparaître. Mais alors que des critères basés sur des notions assez futiles, par exemple, en 1950 l’un des critères reposera sur l’existence d’au moins 100 ans de l’auteur de l’œuvre, critère aujourd’hui obsolète, on affinera les critères en les associant à des valeurs.


« Toujours est-il qu’il convient de parler d’émotions patrimoniales, au pluriel ; car le patrimoine mobilise une pluralité de registres émotionnels, euxmêmes associés à la pluralité des valeurs dont ils sont l’indice » 23

Cette citation introduit deux idées : celle de valeur, que nous allons étudier, et celle d’émotion du patrimoine. Intéressons-nous premièrement à la notion d’émotion du patrimoine. Il peut y avoir patrimoine sans qu’il y ait émotions, par exemple dans le cas d’expertises, mais à travers des cas ordinaires, tel celui d’un simple passant, on peut apercevoir une réaction émotionnelle dans l’expérience patrimoniale. L’émotion peut se manifester face à l’ancienneté, par création d’attachement aux lieux de mémoire, par la présence du passé et le rapport aux ancêtres. Elle peut apparaître grâce à la rareté d’un artefact, par son exceptionnalité, grâce à sa beauté mais aussi face à l’authenticité qui touchera par sa continuité entre son état d’origine et son état actuel. La force de présence est aussi source d’émotion, par cette proximité que peut ressentir un passant créant un sentiment de rencontre, de contact avec cette présence.

Les émotions sont le propre de l’humain, bien qu’elles nous dépassent tous, elles nous concernent tous et peut donc servir de liant, d’outils à la reconnaissance patrimoniale mais plus encore elle élargit le public du patrimoine. Elle permet de toucher autant le passant que l’expert, le domaine privé autant que le domaine public. L’émotion, bien que subjective, fait en sorte que le patrimoine devienne un bien collectif et que nous possédions tous un droit de regard et de jouissance sur celui-ci. La deuxième notion est celle de valeurs patrimoniales. C’est à travers l’étude de l’historien de l’art, Alois Riegl, que l’on voit naître au 19ème siècle, les prémices, qui ont évolué depuis, de ces valeurs propres au culte moderne des monuments. Son travail nous permet de mieux appréhender la valorisation patrimoniale actuelle. Dans un premier temps, Alois Riegl établit trois types de monuments : -Le monument intentionnel, destiné dès sa conception à la commémoration, c’est plutôt l’antiquité qui est sensible à ce genre d’artefacts symboliques. -Le monument historique, celui-ci nous renvoi à un moment, un fait, d’une époque révolue qu’elle soit artistique ou historique. Le 19 -ème siècle sera friand de ceux-ci. - Le monument ancien désigne toute création qui témoigne du passage du temps.

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Dans un deuxième temps, découlant de ces trois types de monuments, Riegl introduira trois valeurs élémentaires : La valeur d’ancienneté, la valeur historique et la valeur commémorative. Un artefact ne pouvant pas se réduire à une seule qualité ou un seul statut. A cet effet, établir des critères est ce qui permet de faire des distinctions entre plusieurs objets, ou des notions. Les valeurs sont implicites des principes communs d’une même culture. Il faut souligner que bien que plurielles et différentes les valeurs ne soient pourtant pas indépendantes les unes des autres, pouvant se combiner, se renforcer ou se contredire selon les différents cas. Nous pouvons ajouter la valeur esthétique, qui était et qui est toujours de mise aujourd’hui. Riegl séparera ces valeurs en deux catégories : celles de remémoration et celles appartenant à la contemporanéité. Intéressons-nous de plus près à ces valeurs…

Valeurs de remémoration : - La valeur d’ancienneté

La valeur d’ancienneté est fatalement en contradiction avec le présent, opposée à toute œuvre moderne, elle s’exprime principalement à travers son aspect extérieur dit « désuet » (imperfections, dissolution de la forme, des couleurs). Elle est donc estimée facilement reconnaissable et ce de façon instantanée par n’importe quel

passant. Sa perception sensible est plutôt légère et superficielle ce qui en fait une force car de ce faite elle s’adresse directement aux sentiments. En contact direct avec l’émotion, cela permet de rendre accessible à tous son domaine, en réalité plus scientifique. Elle établit une sorte d’universalité. Car les masses ont un intérêt plus facile face à ce qui évoque des sentiments et créé donc de l’émotion, que des arguments logiques. De plus, on peut dire qu’inévitablement cette valeur s’applique à tout artefact puisque dès sa création, la « destruction de la nature », 24 « De la main de l’homme dissolution lente mais nous exigeons qu’elle certaine, produise des œuvres s’effectue achevées, closes sur ellesur celle-ci. même, afin de rendre L’unité présente à visible l’activité son origine nécessaire et impérieuse se dissout de création de l’action de sous l’effet la nature dans le temps, des forces en revanche, nous naturelles, à la fois exigeons qu’elle dissolve mécaniques ces œuvres intègres afin et de donner à voir le chimiques, temps qui passe tout et c’est la trace de aussi nécessairement et cette action impérieusement. » qui constitue la valeur d’ancienneté.


Il est à signaler que cette notion est à relativiser car comme dit précédem-ment, le patrimoine prend une étendue telle qu’il englobe de plus en plus des corpus du présent. On peut prendre pour exemple la classification de monuments industriels dans le patrimoine. Toutefois, la modernisation n’affecte pas l’appartenance au passé comme une propriété essentielle et constitutive du patrimoine. L’ancienneté constitue un critère essentiel dans le cas de ruine, se lissant sur l’édifice par sa vieillesse et inversement elle rend la valeur historique difficile à remplir. Ce sont les valeurs d’authenticité et d’ancienneté qui permettent son intégration dans le patrimoine. Ce qui sera valorisé par sa patrimonialisation, c’est sa force de résistance au temps comme à l’homme. -

La valeur historique

Critère de classement d’un monument à l’époque, elle se définit comme toute construction qui représente le témoignage d’une époque révolue. La valeur historique est appliquée à une représentation estimée particulière de l’évolution dans le domaine tant artistique qu’architectural. Elle existe en tant que témoignage de création passée en tant qu’œuvre de l’humain. Soulignons que la place du monument est aussi importante pour le domaine artistique qu’architectural. C’est un maillon indispensable et bien souvent représentatif de l’évolution de l’histoire de l’art

Notons que plus l’artefact est proche de son état originel, c’est-àdire est jugé intègre par rapport à son état originel, plus sa valeur augmente. Ainsi, l’intérêt de cette valeur sera de préserver au maximum l’état originel, le protégeant de toute altération (afin de faciliter tous travaux de recherche d’histoire d l’Art par exemple ou de faciliter une lecture scientifique). Pour ce, toute intervention sur l’artefact sera dans le but d’arrêter, de bloquer net, toute dissolution, dégradation de son évolution naturelle. Cette valeur tente à rendre accessible l’intérêt culturel historique afin d’instruire la population. Cette notion de valeur historique se confond avec la valeur d’authenticité, basée elle sur l’intégrité du bien par rapport à son état originel. Une différence est notable : La valeur d’authenticité considéra elle les interventions ultérieures comme faisant partie de l’évolution du bâtiment et non comme une dénaturation. La dénaturation étant de la main de l’homme et la dégradation de la nature. Nous pouvons constater que dans la même catégorie, celle de valeurs de remémorations, les valeurs d’ancienneté et historique sont en opposition : la première valorisant l’état dégradé du bâtiment, avec une action qui tente de freiner sa dégradation, la deuxième voulant approcher au plus près de l’état d’origine et se traduit par un blocage complet lors du traitement du bâtiment.

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En général du point de vue de la ruine, celle-ci étant associée à une durée longue, on aura tendance à percevoir les interventions de l’homme dénaturantes mais malgré tout authentiques car elles appartiennent au passé.

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2 ° Valeurs de contemporanéité :

-

La valeur d’usage

Cette valeur repose sur une seule idée : 25

Ainsi cette valeur privilégiera les besoins de l’homme jugés prioritaires par rapport à la valeur d’ancienneté. Toutefois, ces deux valeurs sont liées. Forcé de constater que l’action d’usure engendré par l’usage d’un bâtiment par l’homme induit la perception de l’ancienneté. De plus, les bâtiments sont construits dans ce but : être utilisés. Dès lors, un bâtiment inutilisé, perd de sa vie et devient une âme creuse. C’est donc assurer la pérennité d’un bâtiment que d’en faire usage

« La vie physique est la condition préalable à toute vie psychique et lui est donc supérieure »

-

Les valeurs artistiques et de beauté

La beauté est une valeur esthétique associée à la subjectivité du goût :

« Le

goût

est

Elle varie26 constitutivement aussi selon ambigu : il est à la fois les dans les objets et dans époques. Ce sera au les sujets ; il relève de nom de plusieurs sens, puisqu’il l’amour du concerne le gustatif beau que le autant que le visuel, patrimoine s’est l’auditif, intéressé l ’olfactif, le tactile ; et il en premier oscille, dans les lieu aux définitions qu’on lui a bâtiments données, entre le les plus anciens, corporel et le spirituel, également la subjectivité et les plus l’objectivité, l’intérêt et rares et le désintérêt, remarquables. l’esthétique et Mais cette l’inesthétique. » notion de beau s’attachait à un style architectural en particulier, et ce au détriment des autres. Cette forme d’attachement à une seule valeur d’art, dans le domaine patrimonial, est aujourd’hui prescrite, ce qui n’interdit pas la valeur d’esthétisme. Alors que la valeur de beau, d’esthétisme, s’établit par rapport à l’harmonie, la cohérence, dont l’édifice fait preuve, lié aussi à un style

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architectural, la valeur artistique elle se construit par rapport à sa spécification, en tenant compte de la conception de sa forme et ses couleurs. C’est ce que Nathalie Heinich, à travers son ouvrage « La fabrique du patrimoine », qualifiera de « beauté esthète »27, c’est-à-dire une beauté qui ne dépendrai pas du goût propre d’un individu mais d’une beauté plus subjective car elle se fait de la relation de l’objet même par rapport aux caractéristiques de sa catégorie.

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Ainsi, en vue de ces différentes valeurs, nous pouvons dire que le patrimoine est une notion qui réunit autant la connaissance, que la reconnaissance et l’émotion esthétique Avec la valeur esthétique nous pouvons introduire la valeur de nouveauté. Cette valeur de nouveauté reposera sur un fait culturel ancré depuis longtemps : La perception de la jeunesse, du neuf, semble beau et prend l’avantage sur ce qui semble ancien, abimé, détruit. Elle correspond donc à l’entrée d’un artefact dans la vie, il n’a encore aucun vécu. Ainsi, la conception du nouveau s’adresse au plus grand nombre, car tout individu a la capacité de juger l’intégrité du neuf. Aucune culture particulière n’étant nécessaire à sa compréhension, puisqu’elle est régie par de simples critères : une forme et une polychromie intacte.

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Notions, vertus et valeurs de la ruine.

L’architecture, du grec ancien « arché », soit « commencement », a pour principe premier la pérennité depuis sa fondation. Ainsi, en Occident le monument est construit pour se souvenir (dérivé du verbe « moneo » signifiant « se remémorer ») pour s’opposer à l’effacement de la mémoire. Or, la ruine en est l’opposée. De l’ordre de la destruction, les éléments structurants sont révélés et l’enveloppe s’évanouit. Pour déterminer les valeurs de la ruine, rappelons-nous de ce qu’est la ruine (comme énoncé dans le chap.1.) : « Poussière. Débris. Amas

de pierres. Morceaux de murs. Fragments. Reste d’édifice. Trace de l’œuvre humaine. » Nous allons nous arrêter sur deux notions primordiales : La ruine est composée de « fragments ». Les fragments, figure du temps, inévitablement voués à disparaître, car nous le savons qu’importe le geste créateur humain originel, le temps a raison de toute matière qu’importe la résistance de la matière. Les pyramides ont beau avoir été construites en pierre pour l’éternité, elles deviendront inévitablement sable. Le fragment a d’abord été totalité, ensuite brisé, il renvoit donc à cette totalité. Le fragment renvoit à la différence entre partie et tout. Il est alors à même de se demander en quoi peut-il avoir une valeur pour lui-même


ou alors sert -il seulement en tant que renvoi à sa totalité ? La ruine est une « trace », soit une marque laissée par une action quelconque, évanescente. Elle se rapporte au champ lexical de l’empreinte, du reste, … Elle trahit quelque chose que l’on ne voulait pas laisser transparaître. La trace est un souvenir, une strate enfouie voire disparue mais qui agit dans la mémoire collective dans le subconscient. La trace, en tant qu’amorce de l’œuvre, pourrait-elle alors être revalorisée et élevée au rang de modèle et deviendrait-elle, elle-même, œuvre ? Si nous nous référons à la terminologie de Vitruve, alors nous remarquerons que le plan de l’architecte se nomme « iconographie ». « Ichnos » vient du grec et signifie « trace » ou « piste ». Louis Marin, cité ici, nous « Les deux dimensions du futur et permet de faire une 28 analogie étonnante. La du passé se télescopent dans le trace au sol, la ruine, rejoint présent de la représentation la dimension du plan, la ichnographique puisque le plan projection initiale de au sol qui est le premier geste de l’architecte. Ainsi nous entrons dans une sorte de l’édification est structurellement cycle : un éternel équivalent au vestige au sol qui recommencement, la ruine est le dernier reste, l’ultime ruine rejoint l’idée fondamentale de l’édifice détruit. » du projet.

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- Valeur de temps :

D’abord, il me semble important de resituer notre rapport au temps en tant qu’occidentaux pour pouvoir parler de la valeur du temps de la ruine : Alors que dans des cultures archaïques et encore aujourd’hui dans la culture orientale et bouddhiste, le temps est considéré comme un processus cyclique dans lequel la mort n’est pas opposée à la vie mais à la naissance, permettant de créer une boucle sans fin. En occident le temps est synonyme de finitude.

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En effet, c’est lorsque l’on définira un point d’origine, avec le christianisme, que le temps sera vu comme un processus irréversible. Nous sommes depuis lors dans une conception linéaire du temps, dans une flèche monodirectionnelle qui prend source dans le passé, passe par aujourd’hui et s’avance vers l’avenir. Le retour en arrière n’est alors que la capacité de l’esprit. Le temps est irréversible physiquement et psychologiquement. La ruine introduit deux critères par rapport au temps, le premier est la ruine comme support du mouvement temporel, le second, le rapport à l’époque. D’après Aristote, le mouvement du temps est le propre même de la vie : chaque instant est voué à disparaitre et est remplacé par un autre. La vie est une alternance de destruction et de naissance. Mais alors c’est là, entre naissance et destruction que naît une tension, celle qui entre perfection (la

naissance) et imperfection (la destruction), par essence nous fait percevoir le temps qui s’écoule. La ruine bien que du côté de l’imperfection (par son aspect dégradé, instable), est un état du « mouvement du temps ». Comme un arrêt sur image, un instant pris dans le mouvement de l’écoulement du temps, instable entre le maintenant et un futur voué à la dégradation totale. On peut retrouver cette idée de mouvement dans sa racine latine « ruere » soit tomber, s’écrouler. D’ailleurs, la plupart des termes des langues européennes employés pour la ruine, « rovina », en italien, « ruin », en anglais, « die Ruine » en allemand, renvoient à cette racine latine. Mouvement du temps et mouvement vers le bas. La ruine, chute matérielle d’un bâtiment, s’oppose à l’édification qui est, elle, le mouvement vers le haut. Ainsi, dans notre vision mondirectionnelle linéaire du temps, nous sommes projetés avec le « memento mori » chrétien (« souviens-toi de la mort ») vers un futur incertain, une finitude dont nous ne connaissons pas la date mais qui est certaine. La finitude humaine, nous l’oublions ou nous l’intégrons. Or, la ruine devient le domaine de notre projection entre notre propre décrépitude et le passage du temps à l’œuvre sur l’artefact. La ruine devient ce support du temps, rappelle à notre conscience notre existence éphémère. Ensuite, la ruine introduit un rapport à l’époque particulier.


Grâce à notre parcours à travers les époques de la perception de la ruine, nous avons pu constater que les rapports diffèrent selon l’époque dans laquelle nous nous situons. La perception que nous nous en faisons est fortement liée aux enjeux et contexte socio – politique. Par exemple le 18ème siècle voit un engouement pour celle-ci en tant que memoriam alors que le 19ème siècle la projette comme un frein en comparaison à la modernité.

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Valeur esthétique :

La ruine ne peut être seulement définie comme un objet matériel, c’est aussi un phénomène esthétique. Comme nous l’avons vu, la ruine en tant qu’objet apparaît avec la découverte de la conscience historique (fouilles archéologiques, etc.) alors que la figure de la ruine naît avec la venue de l’esthétique (le jugement esthétique est développé par Baumgarten et ensuite par Kant). Il est opportun de souligner que Alexander Gottlieb Baumgarten, philosophe allemand, créé le terme « esthétique » du latin « aesthetica » en l’empruntant du grec « aisthetikos » soit « sentir »29. Ainsi le phénomène d’esthétique serait la faculté de sentir. Phénomène se rapportant alors au sens, à l’intelligence et la connaissance. 30

Avec la retranscription depuis le

« L’esthétique sera définie alors comme discipline autonome de la philosophie, partir du moment où elle pourra théoriser la « beauté » et tout ce qui de l’ordre du sentiment et de la perception mettant en exergue les sensations contre la rationalité. » 18ème siècle en Occident, du statut éphémère et de l’atmosphère de la ruine dans l’art, la ruine est alors valorisée comme objet esthétique lié au passé. Mais dès lors qu’il y a valeur esthétique, il y a un regard porté sur l’objet. Le culte de la ruine ne dépend alors plus seulement de l’objet mais du regard qui lui est porté. La représentation de la ruine dépasse l’objet matériel : les bâtiments dégradés évoquent le déclin à la fois symbolique et social (nous avons vu que les crises sociales étaient liées à la perception de la ruine) et nous renvoie à nous-même et à une méditation sur le passage du temps. La ruine, devient objet de méditation et interroge sur le statut de ceux qui lui portent un regard. La ruine demeure alors un vecteur de la discipline de l’architecture qui touche tout public. Son aspect esthétique s’adresse autant aux connaisseurs qu’à l’inculte dès que le sujet se laisse emporter par sa sensibilité et son imaginaire. C’est à partir du moment où le fragment de la ruine n’est plus perçu comme péjoratif mais bien comme un point de départ que la ruine devient un genre esthétique.

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l’origine, vers la terre, vers le primaire, le primordial.

Vertu de la nature :

« Le charme de la ruine consiste dans le fait qu’elle présente une œuvre humaine tout en produisant l’impression d’être une œuvre de la nature…Ce qui a dressé l’édifice dans un élan vers le haut, c’est la volonté humaine ; ce qui lui donne son aspect actuel, c’est la force mécanique de la nature, dont les forces de dégradation tendent vers le bas. Cependant, tant que l’on peut parler de ruines et non de monceaux de pierres, la nature ne permet pas que l’œuvre tombe à l’état amorphe de matière brute ; une nouvelle forme est née qui, du point de vue de la nature, est absolument significative, compréhensible, différenciée. La nature a fait de l’œuvre d’art la matière de sa création, de même qu’auparavant l’art s’était servi de la nature comme de son matériau. » 31

La ruine nous rappelle l’aspect artificiel de la construction de l’homme. Dans sa dégradation, sa chute, son mouvement vers le bas, ce retour vers le sol (lié à la loi de la gravitation universelle) on peut y voir la symbolique d’un retour vers

Les débris, les restes, ces matériaux bruts vont se dégrader et retourner vers un état d’informe, les lois de la nature reprennent leurs droits. La ruine, « entre deux », est une phase intermédiaire entre nature et architecture. Dégageant une forte impression de puissance car elle est involontaire, elle n’a pas été pensée en tant que telle, et nous donne l’impression de se fondre dans la nature. La ruine contrebalance le dépassement de l’homme par la technique. o

Valeur de mémoire :

A travers les pensées d’Aloïs Riegl du culte du monument, nous avons établi la valeur d’ancienneté qui s’appliquerait à un monument ne se limitant pas qu’à sa valeur historique mais qui recouvrirait du sentiment de présence du temps. Valeur que l’on peut attribuer à la ruine. De plus on peut ajouter à celle-ci la valeur d’authenticité que l’on peut associer à la matérialité même du bâtiment. C’est ce qui permet à la ruine de rappeler les époques antérieures. Effectivement la ruine est la trace « d’un grand dessein ». C’est un équilibre entre la nature et l’histoire, la culture, l’effort vertical d’un art d’autre fois. C’est l’effacement de cet effort et donc de sa trace, son témoignage. Les fragments témoignent d’un ancien âge, derniers survivants. C’est à partir de ces fragments, de ces résidus, de cette survivance de la trace

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que nous pourrons travailler. C’est seulement parce qu’il existe une trace que l’on peut s’approprier le passé à l’intérieur du présent. Ainsi elle relève d’une importance symbolique et fonctionnelle. La valeur de témoin est intimement liée à sa valeur historique. ne se dit que

« Ruine des palais, tombeaux somptueux ou de monuments publics. On ne dirait ruine en parlant d’une maison particulière de paysans ou de bourgeois ; on dirait alors bâtiments 43 ruinés. »

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Diderot développe dans sa définition, l’importance de la fonction qu’elle abrite, c’est à travers son prestige, l’utilité d’un bâtiment ancien que l’on perçoit le mode de fonctionnement d’une société déchue. Notre société se base sur le passé, et le témoignage d’édifices permet d’apprendre en termes de fonctionnalité sur l’organisation des anciennes civilisations. Ainsi c’est la culture dont se charge un regard qui décide qu’un tas de pierre est ruine ou juste tas de pierre.

« La poétique des ruines est toujours une rêverie devant l’envahissement de l’oubli… On l’aura remarqué, pour qu’une ruine paraisse belle, il faut que la destruction soit assez éloignée et qu’on en ait oublié les circonstances précises : on peut désormais l’imputer à une puissance anonyme, à une transcendance sans visage : l’Histoire, le Destin. Nul ne rêve calmement devant les ruines fraiches qui sentent le massacre : cela se déblaie au plus vite, pour rebâtir » 33

C’est bien parce que la ruine porte la valeur de mémoire qu’elle peut, comme l’évoque Starobinski, évoquer un sentiment de dégoût mêlé de pitié. En effet une ruine peut être causée par une destruction violente : guerre, génocides, terrorisme, incendie, razde marée, etc. Ce qui fait d’elle une trace chargée de malheur, de peine, de négativité, et d’inquiétude. Au lieu d’inciter à une contemplation, elle incite alors à une reconstruction de celle -ci. Mais alors toutes les ruines sontelles à reconstruire ? Nous nous doutons que la ruine n’est jamais vraiment non intentionnelle, résultant d’un problème social ou économique, et est donc toujours en réalité liée à un malheur. Mais la valeur de temps et de nature, propre à la ruine, contrebalance la causalité.


En effet, après un laps de temps, une sorte de deuil, les traces de la destruction violente s’évanouissent pour être investies des traces de la nature. Il faut un décalage temporel entre la cause et le présent pour laisser place à une contemplation. Il y a alors complémentarité entre le travail de la mémoire et l’oubli affectif.

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avons l’habitude de l’associer aux églises, temples, châteaux, palais. Parfois altérée, usée par le temps, nous l’associons comme un matériau de prédilection d’une période antérieure, sa dégradation nous paraît alors naturelle et plaisante. Présentée ainsi, la ruine nous permet d’analyser et de reconstituer les modes de constructions d’une époque.

Vertu de matérialité – transparence

La chute du bâtiment enlève l’aspect massif et stable du bâtiment. Il devient transparent. Percements, La ruine est une sorte de corps léger, écorché. Ce corps écorché, dont effondrement de toiture, de murs, les l’enveloppe a été enlevée par le limites s’effacent, intérieur et extérieur se pénètrent. temps, Transparence. 34 « permet d’analyser, de nous : Aéré. La nature comprendre les différentes s’immisce, le strates successives de paysage s’offre à Cette mise l’intérieur vers l’extérieur, nous, le ciel nous à nu de la surplombe. De …, Et, par analogie, en structure cette matérialité architecture serait comme révèle le écorchée, de cette lien des une coupe transversale transparence matériaux, pratiquée dans la chair des révélée, naît une leur murs, qui donne à lire la atmosphère de la articulation, ruine. structure interne d’un leurs bâtiment » tensions, et permet d’en comprendre la structure interne. Sa découpe nous révèle d’elle ses points de rupture et donc point de faiblesse de la structure. Les matériaux en tant que tels sont aussi associés, par notre culture, à une époque et une utilisation. Par exemple, la pierre, que l’on retrouve dans la plupart des monuments ancestraux et patrimoniaux, nous

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Valeur Géographique :

La ruine peut être perçue de manière différente selon son emplacement géographique. Nous avons perçu cette différence à travers la culture orientale et occidentale, par exemple. Mais il est à préciser que nous ne pouvons généraliser la vision que se font les occidentaux de la ruine. En effet, l’interprétation d’un citoyen anglais, romain, allemand, de la ruine, ne seront pas similaires. Car intrinsèquement, la perception que nous nous faisons des ruines est liée à l’importance symbolique et fonctionnelle du lieu. Notre vision, jugement de valeur, est également liée au contexte politique, social, économique d’un pays. En effet, il existe « des périodes de doutes, de crises et de remises en cause, (propre à un moment-lieu) où la ruine peut apparaître comme une figure de renouvellement, et des périodes, où au contraire la notion de progrès est tellement dominante que les marges sont totalement oubliées, oblitérées, et les ruines (si elles existent toutefois) sont alors comme non vues »35 . A cela s’ajoute la nature de la ruine. Victor Hugo distinguait déjà 2 types de ruines : la ruine « lente », due à un processus historique long, à l’action cumulée du temps, des hommes. Et les ruines « violentes », qui sont les conséquences d’évènements, d’actions ponctuels destructeurs, d’aléas violents : guerres, tremblements de terre, explosions accidentelles, incendies …. Donc, sa nature est inévitablement liée à son

environnement géographique : pays en guerre, région soumise à des tremblements de terres, des raz- demarées, à un contexte socio-politique sensible, etc. Si nous reprenons les termes d’Alois Riegl les ruines lentes seront plutôt porteuses d’une valeur d’ancienneté alors que les ruines violentes (récentes et douloureuses) appels à la valeur historique du monument. Il est logique de constater que des ruines violentes au fil du temps peuvent devenir des ruines lentes (sauf intervention de conservation de l’état de la ruine – arrêt de sa dégradation). Ainsi leur intégration dans la société, dans le milieu urbain, par exemple, est différemment perçue et aménagée. Les ruines violentes demandent une confrontation constante aux habitants et elle sera alors perçue comme une cicatrice. « Les ruines, en milieu urbain, peuvent choquer l’observateur, et sont porteuses de messages dont le sens est délicat à manipuler. Les ruines lentes suggèrent la conscience du temps qui passe, de l’action historique des hommes (tant positive – l’architecture du passé – que négative – l’incurie, la destruction), de l’évolution en quelque sorte normale de la ville. Une ruine traumatique rappelle, de son côté, un événement violent et souvent douloureux. Ce contraste produit deux attitudes opposées par rapport à la conservation de la ruine. »36


Ainsi, selon qu’elle soit lente ou violente, la perception et la conservation de celle -ci seront différentes. 37

De plus, la position de l’individu qui vit la ruine altèrera la perception qu’il s’en fait.

« La poétique de la ruine est toujours une rêverie devant l’envahissement de l’oubli... On l’aura remarqué, pour qu’une ruine paraisse belle, il faut que la destruction soit assez éloignée et qu’on en ait oublié les circonstances précises : on peut désormais l’imputer à une puissance anonyme, à une transcendance sans visage : l’Histoire, le Destin. Nul ne rêve calmement devant les ruines fraîches qui sentent le massacre : cela se déblaie au plus vite, pour rebâtir »

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Selon Murielle Hladik,

« l’objet matériel/ruine/ lorsqu’il est habité, vécu de l’intérieur ne peut pas - ou, en tout cas, pas encore - être l’objet d’une contemplation esthétique ; tout au contraire, la ruine est alors uniquement le signe de la décrépitude et de la décadence morale ». 38

Ainsi, la figure de la ruine est liée à la notion d’éloignement autant temporelle que physique.


Ainsi, avant sa naissance physique, il

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Avant la vie, la naissance.

Dès son entrée physique dans ce monde, tout artefact suit un cycle : son cycle de vie. Mais, avant de devenir matérialité, ce même artefact suit un processus de maturation propre à son auteur.

y a ce que j’aimerai appeler « la naissance intellectuelle », j’entends « intellectuelle » comme propre à l’esprit. Suite à cette « naissance intellectuelle », l’artefact connait déjà un cycle de vie : le processus de conception.

En réalité, la matérialité d’une L’architecte Eisenmann souligne ici architecture est le produit d’une une séparation entre les termes réflexion à la fois objective et subjective. Le « architecture » 39 processus de « The ‘real architecture’ et « bâtiment ». conception est Cette distinction a only exists in the une superposition pour point de drawings. The ‘real de couches rupture la rationnelles, building’ exists outside naissance apportant la the drawings. The physique de logique et la l’artefact. Selon difference here is that structure, et de ces termes, « La ‘architecture’ and couches vraie architecture » irrationnelles, ‘building’ are not the est celle qui vit apportant la same. » dans les dessins, sensibilité dans celle qui est donc sa finalité. pensée, réfléchie, en recherche.


« Concevoir un projet c’est en grande partie comprendre et ordonner. Mais, je pense que c’est l’émotion et l’inspiration qui donnent naissance à la substance fondatrice propre de l’architecture. »

Le souvenir est défini comme étant la survivance, dans la mémoire, d’une sensation, d’une impression, d’une idée ou d’un évènement passé. (Larousse). 40

Peter Zumthor parle d’émotions et d’inspiration, et toute émotion et inspiration diffèrera selon le penseur. Chaque processus de conception dépend de son auteur, de cela nait la diversité de l’architecture. Toute part de sensibilité imputée à un projet relève de la sensibilité, la personnalité de son créateur. Ainsi chaque processus diffère selon l’individu. Par exemple, c’est dans la mémoire que l’architecte Peter Zumthor trouve son inspiration. La mémoire, inévitablement liée au temps. Mémoire et temporalité : deux notions maintes et maintes fois évoquées dans le champ de la ruine. C’est pourquoi, il me semble opportun de s’intéresser sur le processus de création propre à cet architecte. Peter Zumthor relate à travers ses écrits, que depuis son plus jeune âge c’est de façon irréfléchie que se fait sa relation à l’architecture. Ce qui le marque profondément c’est le contact spontané avec celle-ci. Ces contacts : odeurs, textures, sons, lumières, lui reviennent en mémoire et c’est en eux qu’il puise son inspiration. Dans ses souvenirs.

Ce qui est intéressant c’est de se questionner sur le fondement de ces souvenirs : qu’est-ce que l’architecture pouvait signifier au moment où elle a été vécue pour la première fois ? Le premier contact avec l’architecture est pur. Notre corps, en découverte de nouveaux espaces, va ouvrir tous ses sens. Le toucher, la vue, l’ouïe et l’odorat vont être particulièrement attisés afin d’appréhender ces nouveaux espaces. L’architecture s’appréhende avec notre corps, sans même parfois qu’on s’en rende compte puisque cela fait partie de notre quotidien. Nos sens, directement liés à notre mental, vont associer ces sensations à des ressentis, des émotions, positives ou négatives et créer ces souvenirs. A savoir que le toucher est, après la vue, l’un des sens les plus suscités. Pour donner un exemple simple, nos pieds, par la gravité, sont en contact constant avec l’architecture. Le sol, son aspect rude, lisse, froid, chaud, granuleux, doux, pentu, droit, est en contact constant avec la plante de nos pieds et cela va influencer notre attitude, notre sensation de bien-être ou non, de sécurité et d’insécurité.

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D’ailleurs n’avez-vous pas remarqué que les sols suivent une sorte de hiérarchie, que ce soit en Belgique, au Japon ou au Maroc dans les habitations ?

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C’est ce que Marc Crunelle étudiera grâce à une lecture phénoménologique des relevés de sols d’habitations sur trois continents. A travers ceux-ci, Crunelle démontre que la gradation des sols, bien que différente selon la culture, le climat, etc., est de plus en plus doux vers le cœur du logis, ce qui a pour but de détendre l’homme par paliers. Alors, uniquement du ressenti par les pieds des sols, uniquement du toucher, l’individu est mis en confiance ou déstabilisé. C’est là l’impact des sens. L’impact de l’architecture sur l’homme. La démonstration qu’émotions et architectures sont liées. Par exemple, dans la maison Bruxelloise, alors que nous cherchons de l’équilibre sur le gravier extérieur, nous trouvons notre stabilité sur un seuil en pierre qui indique l’entrée dans un monde ordonné. Ensuite les sols lisses, hiérarchisés aussi : carrelage à joint large, parquet à joint serré, etc., facilitent notre déambulation et nos gestes, car notre attention est moins demandée que sur le gravier ou les pavés extérieurs. Ensuite, plus nous rentrons dans le cœur du logis, plus les matériaux s’adoucissent, induisant un comportement plus détendu. La sensibilité tactile est alors plus sensuelle et on prend conscience des matières (tissus etc.). Cet

environnement créé prédispose au dialogue, au contact avec autrui. On peut y voir alors qu’au contact de l’architecture, celle-ci est synonyme de sensations physique et psychologique dont nos sens sont les clés à une réelle acceptation du lieu. Entre matérialité, spatialité, sensibilité naîtra un dialogue que l’on peut nommer, comme l’indique Peter Zumthor, « Atmosphère ». Mais qu’est-ce qu’une atmosphère ? Zumthor parlera d’un état d’âme de l’espace construit qui interagit avec l’humain. La perception émotionnelle passant par l’atmosphère. Comme nous l’avons vu, c’est de celle-ci, à travers le premier contact avec l’architecture, que naîtra un rejet ou une acceptation, des émotions négatives, positives, une perception, subjective, du beau ou de son contraire. En fait, il y aura plusieurs acteurs à cette atmosphère. Si l’atmosphère est l’expérience sensible déterminée par l’architecte lors de la conception de l’espace dans son cycle intellectuel, elle prend son ampleur par sa matérialité dans son cycle de vie et s’adresse à un public. Celle-ci n’étant perceptible qu’à travers l’œil d’un destinataire, elle se rapporte donc à un « je », un « moi », une personne avec sa culture, ses représentations, ses normes sociales, son état psychologique.


Ce « je » se situe quelque part, un « ici », à un moment donné, « maintenant » et l’atmosphère se rapporte également aux caractéristiques de ce « ici ». Ainsi bien que l’architecte détermine une expérience architecturale sensible, il n’en contrôlera pas tous les paramètres et l’effet que celle-ci peut avoir. Car celle-ci est, d’une part, contextuelle mais, d’autre part, destinée à des humains chacun porteur de sensibilités différentes et que le facteur d’usage entrera également en compte, en cela le sens donné à un bâtiment, en cohérence avec sa fonction. En somme, l’architecte conçoit une atmosphère architecturale qui sera appréhendée à travers plusieurs dimensions : physique, esthétique, psychologique, émotionnelle, et impliquant de la matérialité, de l’humain, du conçu et du vécu, du théorique et du pratique.

Eisenmann nous dit que la vraie architecture se trouve dans le dessin et c’est à travers le dessin que Zumthor explore l’atmosphère. En effet, dans son processus de création, il accorde beaucoup d’importance aux esquisses. Il les développera jusqu’au point de trouver une expressivité de dessin laissant apparaître une atmosphère. Selon lui, le dessin permet l’apprentissage et la compréhension d’un univers qui lentement commence à exister. Il en ressort donc, que lors du « cycle intellectuel », du processus de conception, naît une philosophie de projet rationnelle mais porteuse, souvent, des prémices d’une part sensible du bâti.

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Principe des différents facteurs du phénomène d’Atmosphère - Schéma Personnel

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Après son parcours intellectuel, le cycle de vie du bâti peut commencer. On distinguera 3 temporalités : - sa naissance / sa construction - sa vie / son utilisation - sa mort / son retour à la nature

Cela ne change rien au fait que le cycle de vie est une évolution nécessaire dont la finalité est sa disparition. Ce serait donc un cycle linéaire immuable dont la finalité est la logique de chaque organisme présent sur terre.

L’acte de construire est au cœur du travail architectural, c’est dans l’assemblage de matériaux concrets, dans sa manufacture, que l’architecture alors imaginée devient réelle. Bien que le projet architectural ait été mis à l’épreuve lors de son processus de création, traversant des phases et étapes différentes, après sa mise en matérialité, sa construction, le bâti ne cessera pas pour autant d’être mis à l’épreuve, non seulement par le temps mais aussi par l’homme. L’utilisation fonctionnelle prenant la part la plus importante de son cycle de vie. Selon Riegl, 41 « Mais dès que l’objet nous attendons de individuel produit par l’homme la l’homme ou par la nature est production d’une formé, l’activité destructrice intégralité, d’un tout, alors que de de la nature commence » la nature nous attendons la dissolution de ce tout. Il s’agit donc d’un cycle naturel évolutif mais ce cycle peut être bouleversé, c’est-àdire qu’une ruine peut être provoquée et non plus obtenue par un processus lent. Résultante d’un accident, un acteur externe, d’un phénomène naturel (ruines de guerre, tremblement de terres, etc.) elles deviennent des ruines précoces.

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L’absence de ruines

Il est intéressant de décentrer notre vision occidentale de la ruine, c’est-àdire à travers une temporalité linéaire liée à la figure de la ruine et à sa contemplation existante depuis le 18ème siècle, afin de voir comment celle-ci est perçue en Orient. Pour cela, faisons un détour au Japon, par exemple, où la notion de temporalité est tout autre et nous permet d’élargir notre champ de vision.

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En effet, cette idée de contemplation de la ruine, du culte de la détérioration, n’existe pas de la même façon, voire n’existe pas en ces termes. La présence de ruines est limitée, physiquement, on peut presque parler d’une absence de la ruine en général (excepté quelques cas : Hiroshima, par exemple). Cette différence d’une existence de la ruine et de son absence d’une culture à une autre est le moteur d’un questionnement primordial à propos de la perception de la temporalité et du rapport à l’artefact qui se fait de manière individuelle. L’absence nous permet de nous interroger sur la signification de la présence. Mais alors pourquoi une absence de la ruine ? De plus, étant donné que nous associons la ruine à une valeur de mémoire, cela signifie-t-il qu’une absence de celle-ci corresponde à une absence de valeur de mémoire au Japon ?

De deux choses l’une. Premièrement on peut associer cette absence de la ruine à son contexte climatique et matériel. Le Japon est un pays qui subit de nombreuses perturbations naturelles : typhons, tremblements de terres …C’est donc une région plus sensible et qui a dû s’acclimater à ce contexte environnemental autant philosophiquement qu’architecturalement parlant. Du point de vue de l’architecture, il faut savoir que traditionnellement le matériau de construction principal est le bois. Le bois, plus sensible au climat, se détériore rapidement. Il va contracter des moisissures, des pathologies qui feront disparaître la matière même. Le bois, une fois que le temps établit s’est droit De là, nous pouvons déjà dessus, 42 introduire « une « culture du disparaît totalement, bois » qui est sensible au il ne laisse mouvement du temps et aux pas de changements des saisons, ruine, il se axée sur l’impermanence » dissout, ne laissant que peu de traces. Ainsi, alors que notre rapport à la ruine se fait à travers le reste de fragments, ici, il se fera à travers la trace à peine perceptible. On peut également retrouver une médiation sur la disparition et l’absence dans les arts (théâtre, peinture, etc.) C’est le lieu vide, qui incite la contemplation de ce qu’il y a pu avoir, le vide devient espace de projection.


Deuxièmement, il y a un culte de la continuité de la forme dans le temps : le renouvellement.

Premièrement, intéressons-nous à l’architecture :

Le temple se compose de deux terrains jumeaux qui sont séparés par une lisière. Seulement, sur ces terrains sont édifiés des bâtiments identiques mais de manière alternative. En effet, il faut attendre vingt années pour que l’un des deux terrains en friche soit recouvert d’une construction tandis que son terrain jumeau, lui, s’en voit démunir. Il s’agira d’une structure de simple bois, de chaume, de métal, sans vis ni clou. Après une génération, (20 ans), le sanctuaire sur lequel le temps a infligé ses marques, est démonté. On récupèrera et utilisera son bois pour d’autres arches ou En réalité, la valeur d’ancienneté, de constructions sacrées à travers le mémoire, le goût pour l’usure et la Japon. matière va se traduire, ici, dans l’isolement du mouvement, le C’est depuis le quatorzième siècle renouvellement, d’un acte, quasiment que ce temple est reconstruit à calligraphique, qui va immobiliser ces l’identique. valeurs. C’est l’impermanence, en Shigemi « La succession occident, contre la permanence, en Inaga, un d'une forme orient. chercheur du identique par le jeu Centre de alternatif d'un On peut observer ce culte à travers recherche le temple d’Ise, qui me paraît pour les démontage et d'un l’exemple le plus explicite. études remontage à japonaises à l'intervalle de vingt Le temple d’Ise se situe au milieu Kyoto, nous ans assure aux d’une forêt, proche de cascades et fait sanctuaires un d’une baie marine. Il est extrêmement comprendre difficile d’accès et caché derrière deux que métabolisme vivant. palissades. Amaterasu est la déesse l’architecture même » se comparerait à du soleil et la figure protectrice de ce un métabolisme à la décomposition lieu sacré. Ce temple abrite un trésor prévisible. De ce fait, le choix de national que personne ne peut voir. matériaux périssables n’est point anodin : il introduit le concept de la détérioration dès son édification par son aspect périssable. Comme si on lançait un compte à rebours. Si l’on observe encore aujourd’hui les villes japonaises contemporaines, les constructions ont un cycle de vie court de plus au moins 50 ans. L’aspect périssable des matériaux induit un renouvellement perpétuel des formes, un rythme perpétuel de construction et destruction. Cela ancre la certitude d’un changement permanent dans la culture. Ainsi, le cycle de vie du bâti se forme autour de la notion du périssable, ce qui explique l’idée de renouvellement constant de la forme.

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Mais que signifie plus profondément C’est dans le savoir -faire, la manière ce rituel de la reconstruction ? de se comporter (du visiteur, pendant la cérémonie etc.), les techniques du Premièrement, ce rituel permet au corps que l’on retrouve le culte. L’idée sanctuaire de persister en dépit des est que là ou un événement a lieu catastrophes naturelles, séismes et (évènement signifiant aussi bien une typhons. chose qu’un mouvement) cela peut revenir. L’absence contient en elle le Mais c’est d’une philosophie plus temps et c’est là sa richesse. Ainsi le sacrée que revêt ce geste de devenir, 43 « Ce n’est pas qu’à reconstruction perpétuelle. Pour mieux le futur, Ise, il n’y ait rien à la comprendre il faut reconstituer les voué à fondements de la pensée japonaise. voir, c’est que le disparaitre visiteur vient se est positif. Celle – ci est habitée par une sorte En fait c’est nourrir de ce d’ « évidemment » fondamental, qu’il une idée sentiment diffus nomme le « mu ». Le « mu » signifie le d’un éternel mais profond, d’un « néant positif ». Il n’est donc « rien » retour à la mais il est « tout » car il est au cœur de nature : ce presque rien. » toute chose. Roland Barthes à travers qui son essai « L’Empire des signes » aujourd’hui disparaît est voué à souligne que toute pensée est habitée renaître. par cette absence essentielle, ça ne s’assimile ni au néant ni au non-être A travers ce renouvellement, mais à un « évidemment qui instaure Murielle Hladik ouvre également une l’instabilité au cœur de l’existence ». autre piste : Le renouvellement de la En fait la vie du Japonais est habitée matière comme marque de continuité. d’une conscience de l ’impermanence. En l’occurrence, une éternelle L’impermanence emporte le monde régénération de la Nation, une dans un cycle immuable. Cette identification à la fois collective, philosophie se retrouve à travers de politique et théologique d’un corps nombreux signes, comme le démontre éternel. Barthe tout le long de son étude. Signes que l’on peut retrouver dans C’est un détournement de la l’art de la table, de la présentation, des conception bouddhiste de l’existence : jardins, des mets, de l’architecture, qui un cycle de réincarnations successives intègre en eux- même le passage du qui aboutit au Nirvana. Suivant le cycle temps. des saisons, prenant comptes des catastrophes naturelles, de la précarité A Ise, intrinsèquement, c’est dans le du monde, la conscience japonaise geste du rituel, dans le geste de tente la valorisation du présent. l’artisan qui remonte et démonte que se trouve la trace du passage du temps.


« Là où l'Occident poursuit la vérité de l'être, le Levant nourrit une pensée du devenir, de l'écoulement, où tout est voué à renaître. »

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De ce fait, à la préservation du matériau, ils valoriseront l'immuabilité de la forme, à la pierre, le bois. On voit là un parfait renversement de la vision conservatrice du patrimoine occidental : le choix délibéré du temporaire qui, en se renouvelant, tend vers un éternel. Est-il encore à souligner que bien que la quête du patrimoine est la sauvegarde d’artefacts, que l’architecture était, en Occident, prévue, pensée et construite, pour perdurer, aujourd’hui, l’utilisation de matériaux, différents que ceux de jadis, parfois moins durables, parfois moins nobles, etc., ne contribuent pas à une sauvegarde ou une durée dans le temps. Actuellement, dans la mise en perspective contemporaine de l’architecture, il arrive que nous programmions même la destruction d’un bâti. Le cycle de vie étant dès lors déterminé. Il est, alors, à se demander, si aujourd’hui l’Occident ne tend-il pas également vers une absence de la ruine ?

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Jardin Anglais du Château de Versailles , Grotte et Belvédère , Source : chateauversailles.fr

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Ruines artificielles

Nous avons parlé du cycle du bâti, établissant un ordre naturel des choses dans lequel la ruine se trouve en fin de ligne. La ruine étant le résultat du temps et, ou de l’homme. Seulement, Chateaubriand nous l’a dit, « tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines ». Cet attrait est tel qu’en Europe du 18ème siècle on se mit même à créer de « fausses ruines » ou plutôt des « ruines artificielles ». Il faut savoir qu’aux environs de 1780 apparaissent les jardins anglais ou dit anglo-chinois. Il s’agit de jardins avec un attrait pour le pittoresque dans lesquels ont retrouvé des « fabriques ». Les fabriques, du latin « Fabrica », soit « construction », désignent toutes sortes de constructions, dont des ruines, « Les constructions sont que 45 dans l’art des jardins, ce l’on dispose que dans le tableau de dans les paysage les peintres jardins.

nomment fabriquent, expression dont se sert quelques fois le jardiniste, quand il veut désigner les divers édifices qu’il lui est permis d’ajouter aux matériaux de la nature, pour achever de décorer les tableaux qu’il doit aussi composer. »

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Ainsi les ruines sont des éléments construits par la main de l’homme, en somme factices, des éléments de décoration, de composition de scène pittoresque. On se trouve dans le registre de l’artifice, de la composition calculée pour donner l’air improvisé, relevant de l’imitation de la nature apportant un air « surréel ».

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Ces fabriques font partie d’une nouvelle esthétique du pittoresque, du curieux, dont le seul but est de donner un air surnaturel et d’émouvoir.

Leur utilisation sert dans la composition de paysage certes mais le but réel est de procurer au promeneur de fortes sensations : évoquer des sentiments tendres, nostalgiques, Ces ruines sont l’œuvre d’un travail historiques. En fait, elles servent à manuel judicieux : une fois la ruine toucher l’âme et revêt d’une utilité bâtie on s’occupe de donner de coups romantique assez bucolique. aux parties saillantes, avec un corps Au-delà d’un courant de mode, tous obtus (au lieu d’un marteau de tailleur de pierre qui laisserait une marque ces jardins correspondent à un visible de la main de l’homme). Tout renouvellement du modèle des jardins réguliers, français. Cela correspond à est fait pour être une parfaite ruine. un goût pour l’antisymétrie, une On peut alors se demander à quelles admiration pour une civilisation qui fins ? reste sophistiquée tout en préservant la pureté de la nature. 46

« Les ruines produisent un effet très pittoresque quand leur situation est choisie avec assez de discernement pour qu’il semble naturel qu’on y ait jadis élevé un édifice actuellement ruiné ; elles sont un contre sens alors qu’on les rencontre là ou rien n’a pu, dans aucun temps, justifier l’existence de la construction dont elles figurent les vestiges »

Ce goût pour les ruines artificielles ainsi que pour les grottes est une telle mode que la plus haute aristocratie ne manquera pas d’être les pionniers de la tendance.

L’exemple le plus révélateur est celui de Marie – Antoinette qui devenue maîtresse du Petit Trianon, cadeau de son époux le roi Louis XVI, (en 1774 à Versailles), modifia profondément les alentours en un vaste jardin anglochinois qui remplacera le jardin botanique par des éléments « naturels » tels des ruines et des grottes. On retrouvera un Belvédère,


un temple de l’Amour de l’architecte Richard Mique et une petite grotte (cf. Illustration). La grotte représentait pour elle une sorte de refuge contre un monde extérieur. Monde qu’elle ne comprenait pas et qui ne la comprenait pas en retour. 47

Il est indispensable de souligner que ces fausses ruines témoignent d’un « style architecturale » propre à une époque, donc ce sont des ruines légitimes en tant que témoignage de cette époque. Leur évocation nous permet de voir tous les aspects des ruines et de mettre en évidence l’impact des ruines sur le ressenti et leur esthétique.

« Peu importe que la jeune femme y aille ou n’y aille pas, l’essentiel est que la grotte soit fermée. Au cœur d’un domaine en principe inaccessible au public, mais qu’il faut bien entrouvrir de temps en temps …. Elle constitue un lieu clos, interdit à tous, symbole d’une intimité protégée, d’une identité préservée. »

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La patrimonialisation fige les témoins de notre civilisation. L’envie de la patrimonialisation est de rendre le patrimoine vivant, donnant accès au public à de plus en plus de site historique.

protéger en tant que telles. Un statut de patrimoine donne aux ruines un intérêt architectural, on tente avec comme outil de transmission durable de ces vestiges aux générations futures.

Mais alors, dans cette envie de transmission, de pérennité, de reconnaissance d’une valeur de ces ruines, la question qui vient à se poser ici est celle de l’attitude. En effet, face à certaines ruines, la question ne se pose pas vraiment, il s’agira avant tout de conserver, de figer, mais ce n’est pas pour autant que toutes les ruines s’arrêtent à la conservation. Tant que la ruine inspire, autant artiste Rendons-nous à l’évidence, un qu’architecte, la ruine sera le lieu de classement ne suffit point à garantir la bien des interventions. protection d’un artefact. Il restera Cette question naît d’une inévitablement une cible du temps, restant fragile et dégradable, exposé à contradiction entre la destruction inévitable et la volonté d’un traitement une destruction volontaire ou non. visant à la repousser. Quelles attitudes Dans le cadre des ruines, une devons-nous avoir face aux ruines en patrimonialisation permet de les tant qu’architecte ? Est-ce que nous devons les réparer sans cesse ? Ou Mais le but premier est de conserver ad vitam aeternam. De ce fait, il arrive que des bâtiments classés soient aseptisés de toute vie, leur accès étant inaccessibles, parfois seulement par une numérisation grâce à la modernisation de notre ère. On cherche à les protéger, limitant toute exposition à un danger pour sa pérennité.


peut-être les accepter sans chercher à les combler ? Les isoler ou les réintroduire dans notre temps ? Comment ? Au cours de l’histoire plusieurs théories dans le domaine architectural, que nous allons voir sous le nom de « principes », sont nées de ce questionnement. A savoir, qu’en Europe, après la seconde guerre mondiale, ces principes seront au cœur des débats. C’est donc là un point de départ conséquent face à la question de la ruine. Pourquoi ? Car effectivement face à la destruction massive d’édifices, de villes, la ruine est partout, et la question de la reconstruction devient un besoin vital. Ainsi de la restauration à la conservation, la question est rebattue au fer chaud et aboutira sur des avancées techniques et philosophiques dans le domaine architectural. On pourra voir que bien des projets de reconstructions, par exemple en Allemagne et en Italie, viennent de s’achever. Les ruines traumatiques, les ruines de guerre ou encore appelées ruines martyres, sont des ruines auxquelles nous sommes, en tant qu’européen confrontés. C’est pourquoi, il est inévitable de ne pas citer quelques exemples de celles -ci et qu’elle en a été l’attitude portée, par quel moyen et quel en a été le résultat.

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Restauration

Restauration, synonyme d’anéantissement du temps. Ce simple mot contient en lui une sorte de rébellion face à la disparition, un refus de la perte, le contrôle que l’homme tente d’avoir sur le temps, comme une tentative désespérée d’un retour en arrière. Avoir un contrôle sur la disparition d’édifice donne à l’humain l’impression de pouvoir contrôler son existence ainsi que son environnement.

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Plus concrètement, nous pouvons dire que la conservation est le principe qui se met au service de la restauration. La restauration, est le principe en fin de ligne, est une opération volontaire et directe sur l’œuvre qui tente de remédier aux défauts d’aspect ou de présentation de celles -ci, elle a pour but de parfaire sa lecture et de prolonger la durée de vie de l’édifice. L’ambiguïté de cette notion est que le jugement d’un défaut d’aspect se fait en référence à un état que l’on ne connaît plus. C’est donc une action à la fois matérielle et intellectuelle. De nombreuses connaissances sont requises lors de la restauration d’un édifice car une large enquête historique sera effectuée et l’action de restauration demandera une grande maitrise technique.

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A propos des principaux historiens de la restauration

L’histoire de la restauration est marquée par une opposition fondamentale, source de nombreux débats théoriques au cours de son évolution. Les visions controversées des architectes Eugène – Emmanuel Viollet -le-Duc (1814-1879) et John Ruskin (1819-1900) sont révélatrices de cette opposition. Eugène Viollet-le-Duc à une démarche dans le domaine de la restauration qui connaît un essor considérable à son époque, sa pensée est célèbre et devient une véritable tendance, elle dictera les interventions sur le patrimoine tout au long du 19ème siècle. Il est à noter qu’aujourd’hui elle est plutôt critiquée et ce type d’action sera jugé péjoratif. Viollet-le-Duc établit une sorte de grammaire des styles architecturaux et tend à retrouver une unité stylistique du monument, ainsi, il gomme l’ensemble des ajouts effectués tout au long des années de vie de l’édifice. Selon lui, restaurer un édifice ne serait pas l'entretenir, le réparer ou le refaire mais bien le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. Il est assez révolutionnaire pour l’époque, bien que s’appuyant sur des études d’archives et des résultats de fouilles, il intervient largement sur l’édifice et tente de lui donner une cohérence stylistique qui n’est pas toujours avérée d’un point de vue historique, sa restauration est jugée très arbitraire, spéculative, elle relève plus de l’imagination que de l’historique. De


plus, au-delà de sa restauration il n’hésite pas à ajouter sa propre touche (statuettes, etc.). Il lui est attribué le mérite de la sauvegarde de nombreux patrimoines qui n’auraient probablement pas traversé le temps sans son intervention mais à contrario bon nombres de décors du 19ème et 20 -ème siècles ont disparu au titre de cette unité de style. Face à lui, Ruskin dénoncera cette démarche car, selon lui, réside en la matière l’authenticité de l’œuvre et donc toute modification de celle-ci équivaut à renoncer à son authenticité, son essence. L’opposition qui anima les débats de l’époque se situe ainsi entre des dispositions correctives parvenant à un idéal documenté et un respect des marques du temps qui font partie intégrante de l’histoire de l’édifice. En parallèle Camillo Boito (18361914) construit une approche qui questionne plus la notion de l’authenticité. Ce dernier énoncera que le présent a la priorité sur le passé. En ce, la restauration pourrait acquérir une légitimité si elle ne tente pas de se faire passer pour l’original. De cette doctrine naît un style de la restauration qui se donne à voir : ajouts, corrections, remplacements de couleurs, textures, matériaux différents. Cela permet d’éviter toute confusion possible avec ce qui reste de l’original, le visiteur n’est pas dupé. De plus chaque intervention doit être faite par nécessité et avec justesse. C’est ainsi que seront posés les fondements critiques de la discipline. Il introduira également une dimension

plus philologique : la conservation des phases successives du monument. Ensuite en 1903, Alois Riegl établit à travers son ouvrage « le culte du moderne du monument » les différentes valeurs, que nous avons vues, du monument. Du point de vue de la restauration elle se compose de deux ensembles de valeurs « conflictuelles », entre celles de mémoires et de contemporanéité. Ainsi chaque édifice étant composé de manières différentes de ces valeurs, en restauration, le rétablissement d’une de ces valeurs se fera au détriment d’une autre. Vient alors Cesare Brandi, (19061988), critique d’art et écrivain italien, qui en s’appuyant sur ses prédécesseurs, définira le but de la restauration comme étant le rétablissement de l’unité potentielle de l’œuvre. Les guides de cette restauration seraient l’instance esthétique, sans laquelle il n’y aurait point d’œuvre et l’instance historique. Décomposant l’œuvre en image et matière qui seules peuvent faire l’état d’une restauration. Le risque étant le faux artistique et le faux historique : le rétablissement d’une lacune ne devant en aucun cas se faire passer pour authentique et d’un autre côté il faut se retenir d’intervenir sur une lacune si elle fait sens. Il ne faut pas qu’une intervention même au sens esthétique efface un épisode de l’histoire. Par exemple la présence d’une patine, donc d’une altération, ne peut être enlevée, car cela reviendra à donner à la matière une fraicheur qui est en contradiction avec l’ancienneté

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que l’œuvre atteste. Ou encore un de l’œuvre créatrice. L’innovation ajout qui s’est fait au cours de l’histoire conserve et la conservation innove. peut avoir autant de légitimité historique que l’acte d’édification originel, elle devient témoignage d’une o Ruines et restauration action de l’homme mais elle pourrait être le frein à une unité potentielle du point de vue esthétique. Une quelconque intervention sur la En résulte un principe assez ruine est sensible et difficile conflictuel qui requiert de peser le pour techniquement. Elle a perdu son et le contre de chaque valeur, chaque corps, son enveloppe et ses éléments instance, chaque intervention et que la de protections. Il sera difficile démarche entraîne un effet également d’harmoniser les remèdes et pansements effectués. Toute action conciliateur et soit instruite. établit sur la ruine sera exposée aux Après la seconde guerre mondiale, critiques de critiques d’art, alors que la reconstruction est un d’architectes, d’anthropologues, de besoin imminent, Renato Bonelli sociologues, d’archéologues… (1911-2004), historien reconnu La restauration ne doit pas enlever d’architecture et architecte italien, établira une sorte de « restauration de sa valeur d’authenticité à la ruine, critique » pour laquelle la valeur d’art soit on retrouve un état antérieur soit devient la priorité. Bonelli affirmera une nouvelle interprétation sera que la restauration est un apportée. Il existe ce que l’on appelle « restauration pure », « la prolongement de l’acte créateur la intégrée » et la originel, ainsi l’acte de restauration restauration tente de retrouver voire de libérer la « restauration créative », qui dans le vraie forme de celui-ci. Ce n’est pas cadre de ce mémoire, me semble les une unité stylistique, en fait selon lui plus intéressantes à aborder. Mais, 48 après avoir profondément analysé dans tous les cas, l’objet à restaurer, l’architecte restaurateur est libre de réactualiser « La restauration s’arrête l’acte créatif. De ce fait, la critique ou commence l’hypothèse ». définit lors de l’analyse deviennent les conditions de la recréation. Toute intervention et appropriation d’une œuvre peut être pleinement assumée dès qu’elle naît d’une attitude respectueuse du monument. L’intervention devient alors une sorte de synthèse, entre présent et passé, afin de garantir une continuité vivante


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Etude de cas : Chapelle de San -FilippoNeri, à Bologne, dialogue sensible avec une ruine traumatique.

L’architecte Alfonso Torregiani conçoit la chapelle de San Filippo-Neri qui sera inaugurée en 1733 à Bologne en Italie. Elle se situe dans un îlot urbain et constitue avec d’autres bâtiments une sorte de couvent au milieu de la ville de Bologne.

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De style Baroque, cette chapelle est classée monument historique, elle abrite sculptures, stucs, peintures murales et des œuvres de Francesco Monti et Carlo Nessi Ludovico. Elle est appréciée, à l’époque, pour sa grande beauté, à la fois ornementée mais simple, avec un art fin de la fresque. C’est alors que la guerre de 194045 bouleversa le bon vivre dans le monde entier. La chapelle et tous ses alentours seront victimes des bombardements aériens du 29 janvier 1944. Sectionnée en deux, murs, pilastres, voutes de nef et une partie de la coupole de l’abside, ainsi que la charpente, sont réduits en poussière. Avec cet exemple, j’aimerai introduire, ici, une parenthèse sur les ruines traumatiques, plus précisément sur les ruines « post-bellica ». Le terme « bellica » désignant la guerre, on parlera de ruines « post -bellica » pour désigner les édifices détruits par la guerre, qui seront, petit à petit, restaurés.

La restauration de ruines traumatiques ou dites « martyres » se basera dès lors sur l’acceptation ou le refus du drame, de l’acte. Nous l’avons dit, pour qu’une ruine nous paraisse belle, il faut qu’un certain espace-temps se soit écoulé. Il nous faut un recul temporaire entre l’acte destructeur et la contemplation. Dans le cas des ruines post bellica nous pourrons constater qu’en Europe (notamment en Italie, France et Allemagne), la restauration se développera selon 3 périodes : de 1945 à 1972, identifiée comme la période post-bellica ou « période chaude », survenant juste après les évènements, dans un élan de besoin immédiat et de sauvetage, suivi de 1973 à 1989 de la période « intermédiaire » et enfin de 1990 à 2015, « nouvelle période chaude ». Bien que cela paraisse étonnant, la période la plus éloignée est dite « chaude » car après un long laps de temps, il peut s’agir de plusieurs années, de siècles parfois, on peut observer le phénomène de « perte retrouvée ». Cette notion est ainsi nommée par l’architecte et docteur en architecture Detry Nicolas : 49

« C’est ce que j’appelle la "perte retrouvée" : on tente en détruisant ces monuments d’effacer toutes ces traces mais elles ne disparaissent pas. »


Il s’agit alors d’une notion due à une construction à la fois sociale et individuelle dans laquelle joue la distance, la récompense, la punition, l’appartenance ou encore la culpabilité et la fierté. Des sentiments identitaires face à une œuvre patrimoniale. La période « post-bellica » est importante dans le domaine de la restauration car on peut la comparer à un énorme chantier européen, ou chaque acteur restaurateur qui agit dans un pays de l’Europe est alors un collègue, bien qu’invisible directement. Seront alors élaborées des techniques, des méthodes et des théories qui sont toujours applicables aujourd’hui, dont celle de « restauration critique créative » que nous explorerons à travers cet exemple. Travailler à partir de ruines postbellica est délicat car contrairement à une ruine « romantique », ou « ruine lente », due à un long processus de dégradation, avec des lacunes usuelles, j’entends par là un manque d’entretien, des problèmes de structures et de fondations, de la pathologie des matériaux, des ajouts incompatibles, des usages inappropriés, etc... Avec la ruine Postbellica, on doit travailler sur une ruine qui s’est faite dans l’instantané, dans la violence. Alors qu’une partie est réduite en poussière en quelques minutes, il se peut que l’autre partie reste intacte voire qu’elle garde encore des traces de vie : chaise, papier peint … Selon l’endroit de l’impact, comme pour la chapelle de Bologne, l’abside, l’autel, peuvent être parfaitement

conservés tandis que la nef est complètement détruite … Il ne s’agit plus de la ruine que l’on rêve, que l’on peint, mais d’une ruine morale. Ces ruines sont alors perçues dans un premier temps comme inacceptables, ruines traumatiques, symbole de souffrance. Alors la ruine devient un tissage entre la vie et la mort, entre nécessité et acceptation. A l’image d’un soldat et de sa jambe de bois, la ruine devient un stigmate glorieux. Mais pour cela, il faut que le conflit qui l’a occasionné soit apaisé, que l’homme en soit guéri, pacifié, cela prend du temps, c’est la résilience de la perte, c’est pourquoi nous parlons de « nouvelle période chaude »

Essai de périodisation de l’activité de restauration post-bellica en Allemagne, France et en Italie Source : The Restoration of “Martyred Heritage” in Europe after 1945

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Nous verrons alors que la philologie, Ainsi, rendre la lecture de chaque et la restauration créative apporteront étape lisible, accepter et réintégrer les des réponses intéressantes sur le lacunes comme faisant partie de la vie traitement de telles ruines. de l’édifice, donc agir de façon philologique, permettrait de prolonger l’identité de l’œuvre alors attaquée. Giovanni Carbonara, architecte, professeur et directeur de l’école De plus, il sera porteur de ce que spécialisée en restauration des l’on nomme « la restauration critique ». monuments à Rome (1942), dont le La restauration serait un moment mentor est Renato Bonelli, à travers d’interprétation concrétisée sous un ouvrage sur « La réintégration de forme d’un acte qui serait toujours l’image, problème de la restauration modifiable sans que celui-ci n’altère l’original. La restauration ne serait plus des monuments » en 1976 écrit : 50 simple conservation physique de matériaux, mais comprendrait autant « Nous pouvons conclure que l’enlèvement d’ajouts que la l’intégration des lacunes réintégration de lacunes et la réversibilité des interventions. répond à la nécessité de la

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restitution du texte, pour permettre une meilleure jouissance ou pour « faciliter la lecture » et dans beaucoup de cas, notamment dans des cas de conservation matérielle, (...) ; la réintégration des lacunes contribue à leur rendre de la compacité, une continuité physique et de là, une capacité d’autodéfense. Cela fait donc partie de la double fonction de la restauration, réparatrice et consolidatrice d’un côté et révélatrice et caractérisant de l’autre ; c’est-à-dire de la perpétuation de l’identité d’une œuvre » .

En fait le message fondamental apporté par Carbonara est que bien que la première exigence de la restauration soit la conservation et la transmission des monuments, cela ne peut pas s’arrêter qu’à la matière même, mais ouvrir son champ à d’autres valeurs : symbolisme, esthétisme, religieux, spirituel, la substance immatérielle que peut porter chaque monument. La conservation de la subsistance matérielle ne pouvant répondre à elle seule à la problématique de la restauration. Alors que la restauration est considérée comme un domaine encore très scientifique, comme recherche philologique qui remet en évidence le texte original, Carbonara ajoute à cela, au-delà de la préservation de la matière, au-delà des sciences physiques et chimiques, la restauration critique comme un compromis d’actions décidées au cas


par cas de manière aussi diverse que contrôlée et guidée par le monument lui-même. La restauration et l’intégration des lacunes devant se faire , selon ses termes, « sur de solides bases philologiques, mais aussi sur l’intuition du critique et de sa fantaisie « reproductrice », si nous ne voulons pas utiliser ici le mot controversé de "créativité" ; c’est-àdire pour dépasser certains vides autrement impossibles à colmater ; cela sans tomber dans des formes de passives imitations , sans faire usage de processus analogiques, typologiques ou pire encore stylistiques, mais avec un acte médité d’interprétation ». Considérant la neutralité complète des actions comme impossible car même si on tente de la cacher elle se manifestera en révélant sa nature : une intervention de notre temps. Alors autant l’assumer et travailler avec une action de restauration adaptée à l’œuvre architecturale, visible et réversible. Un dépassement de l’objectif pur de la conservation matérielle par un aspect créatif de la restauration, une conception plus ré-intégrative et restitutive révélant ce que l’œuvre architecturale offre de plus que sa matérialité fragmentée.

En définitive, ce qui me semble essentiel à souligner, c’est qu’au-delà de la matière elle-même, de la conservation physique, même en restauration, c’est qu’il existe une part sensible non négligeable. La sensibilité permet de voir autant sa valeur en tant que matière que sa valeur en tant que témoins. Une intervention architecturale de restauration est comme une relation dont les clés d’un bon fonctionnement sont la compréhension, le dialogue, avec parfois de l’effacement mais parfois aussi des initiatives plus créatives. L’architecte restaurateur crée entre l’ancien et le contemporain, entre ce qui a été et ce qui sera, un dialogue à la fois critique, raisonné, mais sensible.

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Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, état en 1944 après les bombardements : s’écroulent une partie du flanc sud de la nef, les voutes et une portion de la coupole de l’abside. Sources : MIBACT-SBAP, Bo. AF,

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Ce sera Alfredo Barbacci, responsable alors de maintes et maintes restaurations, de Florence à Bologne, qui en 1949, prendra en charge la restauration de la chapelle. La première étape, essentielle, est la sauvegarde : Retrouver dans les débris, fragments d’architecture, de décor, afin de les identifier, les nettoyer et les réunir dans un lieu sûr. La seconde étape sera la reconstruction de parties stratégiques : mur Nord, toiture. Ce qui assure le sauvetage rapide de l’édifice. S’ensuit le pansement des lacunes du flanc Sud, des murs de briques et une nouvelle charpente en bois couverte de tuiles.

A l’époque souvent des cadres ou des éléments structures sont élaborés en béton armé afin de soutenir, de conserver des éléments fragiles (façades, etc…). L’utilisation de béton est une avancée technique moderne pour l’époque et cela n’empêchait en rien l’usage de techniques locales à côté. Mais aujourd’hui l’utilisation de béton ne se fait plus car elle est porteuse de pathologies et détruit souvent l’authenticité d’un bien.

Mais alors que les travaux suivent leurs cours depuis 1949, Barbacci se voit abandonner le chantier en 1953, probablement faute de financement, car de nombreux édifices majeurs sont endommagés par la guerre en Italie, il y a donc beaucoup de Comme la chapelle est sectionnée sauvetage à faire. Le chantier restera en deux, selon l’axe longitudinal, le inachevé tandis que Barbacci devient flanc Nord donnera toutes les surintendant en Toscane. informations nécessaires pour la structure et le décor. Une C’est seulement 50 ans plus tard, reconstruction avec une stratégie en après oubli et utilisation fortuite miroir est appliquée. (garage automobile etc.) que l’édifice pourra reprendre vie. C’est en 1997 Mais l’intention de l’architecte que l’architecte de Bologne Pier-Luigi restaurateur sera de bien distinguer la Cervellati se verra confier le projet de partie originelle de la partie nouvelle. la restauration de cette chapelle, avec Pour ce, alors qu’à l’origine les pour Mécènes la Fondation del colonnades sont en maçonneries Monte. recouvertes de stuc, le flanc Sud se dotera de colonnades en béton, à la L’architecte restaurateur comparera section circulaire plus petite, qui son travail à celui d’un jardinier. seront habillées d’une coque en bois. La reconstruction du plan flanc Sud « Il existe une manière de est alors reconstruit à l’identique du rétablir qui ne scandalise pas, flanc Nord mais avec une c’est celle du milieu naturel différenciation en termes de matière et de texture, assurant une lisibilité claire (…) Dans ces zones, alors se de l’intervention. créent comme des jardins de

renaissance de la mémoire »

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Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, Première phase de restauration par Alfreddo Barbacci Sources : MIBACT-SBAP, Bo. AF.

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A travers son livre sur le projet, on comprend qu’il s’agit d’une « conservation critique », estimant rétablir l’œuvre d’art, le monument architectural dans son unité tout en conservant les traces du passage du 20 -ème siècle. Il s’agit alors d’un travail à la fois sur l’art et sur l’histoire, qui garde en mémoire. Le travail de Cervaletti a intégré le travail inachevé de Barbacci avec beaucoup d’attention, bien conscient de la valeur de son intervention car il faisait partie des grands acteurs de la restauration du 20-ème siècle. Ce travail bien qu’inachevé est aussi un témoin et est donc "historicisé". Les traces des guerres sont conservées, comme témoins, comme martyr, des stigmates inscrits pour toujours dans le corps de cette architecture. La méthodologie de Cervaletti respecte la charte de Venise : il suit une restauration philologique des zones dégradées (1953 à 1997), il établit une recomposition sans imitation stylistique en reprenant la spatialité d’origine mais son idée de projet s’attarde davantage à restaurer la forme globale de l’édifice. C’est ainsi que les lacunes des voûtes sont rétablies au moyen d’un système de cintres en bois modulés, cela permet de suivre ma conformation spatiale de la nef.

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Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, En haut : 1997, démarrage du deuxième chantier après 50 ans d’abandon. En bas Etat après les travaux finis : MIBACT-SBAP, Bo. AF.

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R.D.C.

COUPE LONGITUDINALE

Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, Plan et Coupe Etat Projeté du projet de Cervaletti – Source : Cervaletti, 2000, pg 64-70-80-81

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Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, Coupes Etat Projeté du projet de Cervaletti – Source : Cervaletti, 2000, pg 64-70-80-81

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COUPE TRANSVERSALE VERS L’ABSIDE

COUPE TRANSVERSALE VERS LE FOND DE LA NERF


Bologne, oratoire de S. Filippo Neri, En système de couvrement de l’espace, voûtes et arc doubleaux près la restauration selon le projet de l’architecte Pier-Luigi Cervellati, réalisé entre 1997 et 1999. Sources : MiBACT, SBAP. B. fonds Barbacci, et à droite, Cervellati, 2000, p. 98.

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Cervaletti écrit en 1997 :

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« La partie reconstruite après la Seconde Guerre mondiale et qui témoigne du drame des bombardements, est "historicisée". Cette partie représente un quart de la surface des parois. L'hypothèse d'un éventuel rétablissement philologique semble peu adaptée du fait de la valeur artistique du modèle de référence. Par conséquence, les voûtes et la coupole seront reconstruites moyennant une armature en bois (...). Le but est de ne pas effacer le travail réalisé il y a cinquante ans et, en même temps, de ne pas altérer ni par des assemblages de pseudo-restitution, ni par des solutions intermédiaires, ce qu’il reste (...) de ce chef-d'œuvre du rococo ».

Les structures qui ont été établies lors de la restauration d’après-guerre sont conservées avec une intervention minimale (béton brut de coffrage, la maçonnerie sans enduit), elles sont présentées dans leur rugosité et dans leur aspect immédiat et de sauvetage de l’époque. Alors que les parties du 18ème siècle seront quant à elles restaurées avec des finitions lisses et chatoyantes (stucs de badigeons colorés). A travers ce projet, on peut voir qu’une approche historique fait partie des fondements du principe de la restauration mais aussi que les interventions doivent se faire dans une relation de respect, avec l’existant, et suivre une philosophie de projet. Cette réalisation est une restauration qui fait preuve d’une certaine sensibilité créative, que l’on perçoit à travers l’harmonisation de plusieurs stratégies matérielles adaptées à chacune des parties.


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Réhabilitation

La réhabilitation d’un bâti peut être envisagée comme au nom d’un rendement économique et culturel par la réutilisation d’un édifice ou sa reconstruction. Il s’agit à la fois d’améliorer le bâti ancien et de l’adapter aux exigences contemporaines, de revaloriser son image, de le réintégrer dans le courant de la vie contemporaine. La réhabilitation jouera donc sur l’harmonisation d’un programme et du lieu originel. Ce principe interroge les processus de production de l’espace bâti. Il s’agit d’aborder à la fois la transformation du bâti, sur son enveloppe, et penser l’évolution de son organisation, des pratiques et usages. o

Ruines et réhabilitation

Dès l’antiquité on réutilisera les ruines à des visées utilitaires. Cela se fera de manière naturelle et évidente. Sans même considérer la fonction première de l’édifice, la ruine ne sera utile que par son potentiel matériel et spatial. Par exemple le Colisée de Rome qui fut utilisé à une certaine époque comme Forteresse. C’est bien plus tard, lorsque les ruines antiques sont devenues des modèles pour les artistes, qu’un changement d’attitude s’opèrera. Lorsque la compréhension de la valeur symbolique apparait au 18 -ème siècle et prend le dessus sur la valeur purement utilitaire.

Ainsi il est évident de constater que l’appropriation à un usage qui n’est pas celui originel à l’édifice accompagne les métamorphoses de notre civilisation autant sur le plan économique, que politique, culturel et social. La réflexion sur le programme à intégrer au sein de la ruine est primordiale afin d’en respecter l’essence de celle-ci.

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Etude de cas : Neues Museum, reconstruire la ruine.

La réhabilitation apporte avec elle des modifications de l’édifice afin de l’adapter au de nouvel ensemble. Le travail établit par David Chipperfield en 2009 sur le Neues Museum, fait partie des exemples de réadaptation contemporaine adaptée à l’édifice en ruine. Il remporte le prix Mies Van Der Rohe le 11 avril 2011. Le Neues Muséum fut construit entre 1841 et 1859 sur l’île aux musées de Berlin, site du patrimoine mondial de l’UNESCO, conçu par Friedrich August Stüler afin de présenter les découvertes archéologiques des périodes préhistoriques ainsi que celles de l’Egypte antique et classique. Stüler, est un architecte prussien (1800-1865) rapidement nommé inspecteur des bâtiments de la cour de Prusse en 1832. Il devient ensuite architecte du roi de de Prusse en 1842. Au cours de ses voyages en Italie, France, Russie, il se passionne

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En haut : Plan de situation du Neues Museum – Milieu : Modélisation du N-M. avant 1940 – En bas : Modélisation du N.-M. actuel . Source : smb.museum

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pour le style néo-renaissant et l’art antique. L’utilisation du style antique et néoclassique pour les musées de l’ile est révélatrice d’une affirmation de puissance, de perfection, cela représente l’Allemagne dans sa nouvelle identité.

néanmoins l’étayage de la structure, maintenant les ruines intactes pendant les décennies qui s’ensuivirent. En effet c’est presque pendant soixante années que le bâti resta en état de ruine. C’est l’architecte David Chipperfield, en collaboration avec l’architecte restaurateur Julian Harrap qui le réhabilite. A celui-ci s’ajoute, en 2013, un centre d’accueil construit par Chipperfield : le James Simon Galerie, au niveau Ouest du Neues Museum.

Le concept de l’ile des musées, « Museumsinsel », fut proposé par le roi de Prusse comme une ile consacrée à un ensemble architectural monumental. Il s’agit de cinq musées du 19 -ème siècle : le musée du Bode, le musée de Pergame, l’Altes Museum, le Neues Museum et l’Altes C’est dans un respect de la Chartes Nationalgalerie de Schinkel. Ceux-ci de Venise qu’agiront Chipperfield et témoignent de la stature intellectuelle Harrap. Plutôt que de remettre le et artistique de l’Allemagne. bâtiment dans son état d’origine, soit Le Neues Museum est conçu de façon en un fac-similé, ils tenteront quasi rectangulaire avec un axe d’exposer les changements survenus suivant parallèlement la rivière Spree. au fil du temps, la guerre incluse. Ils Organisé en galeries autour des deux englobent des valeurs historiques et cours, flanqué d’un hall et muni d’un architecturales du bâtiment, tout en escalier monumental en son centre. éveillant des émotions chez le Dans l’architecture de ce bâtiment, on visiteur : le projet se veut un cadre qui constatera l’importance des colonnes, met au premier plan les fragiles traces en intérieur et extérieur et la présence de l’histoire dont le fond de toile sont d’arcades, de coupoles, d’un langage les murs, les plafonds, les sols, les de style classique : frontons, linteaux, colonnes… rythmant l’ensemble. Après de lourds bombardements sur le Neues Museum, lors de la seconde guerre mondiale (1940-45), le musée perd complètement le côté Ouest, la façade nord est détruite, l’aile sud-est brûlée, les deux derniers étages détruits, l’escalier central brûlé et à découvert…. Quelques réparations sont tentées sans trop d’enthousiasme avant la réunification du pays en 1990. Elles permirent

David Chipperfield comprend rapidement que dans sa conception le musée était à la fois composé d’artefact et d’objet, lui-même faisant partie de l’exposition en somme ! Les murs de fresques, les ornementations, le décorum tout entier faisait partie intégrante du concept de l’exposition muséale originale.

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Alors que les espaces, dans leurs La stratégie alors élaborée par styles propres, avait une sorte de l’architecte s’inspire de à la pouvoir physique, la guerre, la ruine, restauration de céramique en les a ramenés à une brutalité dénudée archéologie. La restauration en (matière brute, brique exposée, archéologie est un processus existant structure à vif). La destruction capte qui ne se conteste plus, et par lequel alors quelque chose de triste mais de il n’y a aucun doute que l’on puissant à la fois. L’architecte établit confondre l’original avec la nouvelle donc son intervention dans la création, distinction exigée par la continuité de la perception Charte de Venise en l’architecture. occidentale commune de la ruine. Ainsi, sans imiter, sans refaire une C’est-à-dire nouvelle dans cette architecture, « As if ruination is a test of relation il garde ce good architecture. » empathique et qui a survécu 51 et dialogue de contemplative de l’homme avec. face à la ruine.

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L’enjeu de la reconstruction de ce musée était assez important, car dans le contexte socio-politique de l’époque la situation était complexe et sensible. Mais pour les citoyens, cette reconstruction était symbolique car elle s’alignait avec la réunification de l’Allemagne. Ainsi, Chipperfield, souligne que toute attitude architecturale face à une ruine est à établir au cas par cas et selon le contexte dans lequel elle s’inscrit. La collaboration entre Chipperfield et Harrap se veut comme une action unie, il n’y a pas de séparation entre l’intervention sur le nouveau et sur l’ancien. L’approche s’est faite autour d’une philosophie du fragment et des lacunes qui se veut unifier l’ancien et le nouveau.

Cette stratégie tournera autour du rapport entre manques et lacunes. Ségolène Bergeon52 , ancienne responsable du service de restauration des peintures du Louvre et des musées nationaux et ancienne directrice de l'Institut français de restauration des œuvres d'art, définit la lacune comme portant atteinte à la compréhension, tandis que le manque lui, se rapporte à une perte de matière sans incidence sur l'interprétation. Donc, en réintégrant un manque, on tente simplement d’améliorer la conservation ou l'esthétique de l’objet. Alors que la réintégration d'une lacune tente d'améliorer la compréhension, que ce soit celle de la forme, de la fonction ou du décor.


C’est pourquoi rétablir la forme globale était primordiale pour l’architecte restaurateur, car à l’image de fragments éparpillés sur une table, ces derniers ne signifient pas grandchose, c’est seulement lorsqu’ils sont réunis dans une forme globale que l’on comprend mieux leur sens. Dès lors, si nous avons assez de fragments, à l’aide d’un matériau

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Neues Museum après les bombardements de 1940-45 – Source : davidchipperfield.com

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neutre, on peut créer un contexte qui donnera sens à ses fragments. Ainsi l’objectif principal du concept était de compléter le volume original puis de réparer et restaurer les parties qui survécurent à la guerre. Alors que tout le projet s’appuie sur une philosophie de lacune, inspirée du traitement fait aux objets dans le domaine archéologique, il est à souligner que cette philosophie est plus complexe à établir à l’échelle de l’architecture. En effet, le traitement d’une lacune sera assez différent selon sa taille :53

« Nous avons réalisé quand une lacune est d’environ 10 centimètres, c'est assez facile. Quand c'est 2 mètres c'est un peu plus difficile et quand c'est 20 mètres c'est quelque chose de complètement différent ”

Dans la lacune la plus grande, celle de l’édifice même, Chipperfield la comble avec un nouveau volume distinct. Mais celui-ci respecte la conception originale. C’est-à-dire qu’il reprend le principe des colonnes qui génère un module structurel.

En comblant les lacunes, Chipperfield a cherché à conserver un sentiment d'unité dans tout le musée. A l’aide d’un agrégat de béton neutre, il identifie et relie les nouvelles interventions. Ce béton est formé de ciment blanc, de sable et de copeaux de marbre saxons. Il est par exemple dominant pour les galeries de l'aile nord-ouest, le hall d'escalier principal et ses murs d’enceinte.

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Croquis et Maquette conceptuelles de l’équipe de David Chipperfield pour l’appel à projet– Source : davidchipperfield.com

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Neues Museum, Plan et Coupes – Etat projeté du projet de D. Chipperfield en Rouge – Source : Revue El Croquis N°150 & miesarch.com

COUPE LONGITUDINALE

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R.D.C.

R.+1


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R.+2

R.+3

Neues Museum, Plan et Coupes – Etat projeté du projet de D. Chipperfield en Rouge – Source : Revue El Croquis N°150 & davidchipperfield.com

COUPE LONGITUDINALE


Neues Museum, Façade et Coupes – Etat projeté du projet de D. Chipperfield en Rouge – Source : Revue El Croquis N°150 & designboom.com

FACADE OUEST

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FACADE OUEST

COUPE LONGITUDINALE


Neues Museum , Evolution de la l’escalier au fil du temps : Etat post 1940-45, état d’origine, état actuel – Source : davidchipperfield.com

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Afin de mieux comprendre le travail qui a été établi sur l’ensemble, intéressons-nous à l’escalier principal qui se trouve au cœur du musée et offre une démonstration significative du travail de restaurationréhabilitation en cause. A son origine l’escalier desservait deux étages et l’accès se faisait coté nord-ouest. Les circulations étaient dirigées : le rez desservant les ailes Est et Ouest ainsi que les cours. Le langage architectural s’exprimait en colonnes, travées et de murs épais en brique revêtus de peintures monumentales. Le métal était présent pour le garde-corps et la structure soutenant le plafond. Récupéré à l’état de ruines, mais au cœur du projet, c’est la première et la dernière chose que l’on voit en visitant le musée, la question de la circulation à partir de celui-ci fut primordiale à remanier : au rez de chaussée il offre une connexion directe aux espaces de colonnades extérieures, inspiré des croquis de Stuler, tandis que pour les salles d’exposition la connexion est maintenant indirecte. La cage d’escalier fait partie de la magnificence originaire de l’édifice, l’escalier définit complètement cette espace, dès lors cela devient le lieu propice pour 54

« marquer le changement moderne de l’espace dans sa substance ». Ce qui structurait l’espace était donc la dimension, la logique de l’escalier, l’emplacement de la baie, et le système de promenade de la pièce

originale. La stratégie fut donc de conserver ces éléments structurants et de s’intéresser à la forme de ceuxci afin d’en restituer dans une « version décapée ». En fait, au lieu de parler de reconstruction on peut parler de réécriture. C’est un nouveau langage qui s’inscrit. Ainsi le béton blanc utilisé pour redonner forme à la ruine est à l’image du gypseum archéologique, la matière de réparation neutre, légèrement passive qui devient un repère, un support. En juxtaposition à celui-ci, les murs endommagés sont toujours présents, comme s’ils avaient été laissés là, bien qu’en réalité c’est 1 350 000 briques qui forment les surfaces murales désormais exposées. Ces murs de briques ont eu un traitement de l’ordre de l’acupuncture, à travers d’un « nettoyage cosmique », selon les termes de l’intervenant. Elles ont toutes été traitées, à l’exception des colonnes principales qui gardent volontairement les traces de suie de l’incendie, comme un symbole. Pour continuer sur le traitement des surfaces et des traces, il est intéressant de remarquer que pour faire écho à l’ancienne couleur rouge des murs bas, Chipperfield utilise de la brique rouge, ce qui permet aussi de mettre en valeur les briques grisâtres, traces de brûlures, et que pour la partie haute des murs qui exposaient des fresques, l’architecte alterne un lit de briques claires et un lit de briques rouges plus petites dont l’appareillage reprend celui anciennement utilisé.

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Neues Museum , Salle de l’escalier actuellement , exemple caractérisant des traitements des traces d’histoire et de brulures ; Photo © Jörg von Bruchhausen. Sources : miesarch.com

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Neues Museum, Salle de l’escalier actuellement, Schéma et Détails du traitement et appareillage des murs de briques – Sources : Mémoire Olga Valeria Ortiz Sanchez

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La brique rougeâtre est traitée avec une un badigeon à la chaux afin d’en atténuer le ton. Les deux parties du mur sont séparées par une bande de briques verticale correspondant à l’ancienne moulure. On a mentionné un nettoyage précédemment, et effectivement on peut constater que l’utilisation de deux couleurs de briques différentes ne provient pas de l’utilisation de deux briques différentes mais résulte bien d’un nettoyage destiné à enlever l’enduit présent sur le matériau. Sur les restes des anciens murs rouges l’équipe de Chipperfield a enlevé les restes de peintures sauf quelques traces de brulé qui restent exposées.

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On peut lire ici que l’architecte s’est attaché à garder les éléments de compositions de l’espace, c’est-à-dire les éléments caractéristiques et substantiels à la composition architecturale. Il garde ainsi les traces de l’histoire, tout en imputant une réécriture qui ancre l’aspect primitif et essentiel, l’état brut dans lequel le bâti avait été retrouvé. David Chipperfield a su redonner l’essence propre à ce lieu avec une réécriture propre, un nouveau vocabulaire né des analyses approfondies de tout le cycle de vies du bâtiment.

Mais alors que les ruines du musée reprennent formes, on peut s’interroger : Comment de telles ruines peuvent-elles aujourd’hui accueillir un musée du 21 -ème siècle ? Selon la conception de Chipperfield, le modèle du musée du 21 -ème siècle n’est plus une sorte de boîte à trésors, il doit être inclusif : inclure les gens, l’espace public et la dynamique des 55 espaces.

« La conservation est favorisée par l’affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société, elle est donc souhaitable mais ne peut altérer l’ordonnance ou le décor de l’édifice. » La programmation, la circulation et les dispositifs sont des questions primordiales à régler dans un ancien site. Il doit respecter le lieu tout en permettant une qualité de sa fonction, de musée dans notre cas. Ainsi, afin de dissoudre un problème de circulation au cœur du site existant, David Chipperfield propose de créer un espace supplémentaire à l’extérieur. Dans sa conception originale, le musée était une sorte d’entrée à tous les autres bâtiments. De plus, initialement existait une arcade reliant les musées de l’ile les uns aux autres. Détruite, il décide d’en reconstruire une et de déporter l’entrée principale du bâtiment du côté ouest : la James Simon Gallery. Monolithe semitransparent, reprenant le langage de colonnade préexistant, organisé tout


en longueur, ce nouvel élément donnera corps à la nouvelle entrée principale et deviendra le point de connexion de tous les musées. Cela permit surtout de libérer le bâtiment historique de fonctions plus logistiques, d’optimiser l’espace au sein du musée et de créer de nouveaux accès au passage souterrain. Au sein de ce nouvel édifice prendront place auditorium, commerces, restaurants, la billetterie et vestiaires. Ainsi nous remarquerons que le musée est un espace connecté : on peut aller vers les salles d’expositions temporaires et permanentes, se connecter aux autres musées, se promener, le visiteur est libre. Le programme du musée est particulièrement spécifique et joue un rôle important au sein d’une communauté. L’architecte anglosaxon préfère parler de centre de proximité plutôt que de musée. En ce sens, la première fonction qui incombe au musée est de nourrir et de soutenir sa propre culture, communauté. C’est pourquoi, réintégrer le Neues Museum comme musée local était primordial. La création d’une extension conçue comme un espace public extérieur lui permet d’élargir le public à ceux que les expositions n’intéressent pas forcément, il devient un espace convivial propices aux rencontres Lorsque l’on construit un nouveau musée, dès sa conception, on travaillera sur la flexibilité technique, afin qu’elle soit la plus diversifiée possible : pistes d’éclairage,

anticipations de plusieurs possibilités, etc. Dans le cas d’une intervention, dans un tel site, le bâti n’a pas en son sein ces différente pistes d’éclairages et les sols et les plafonds sont historiques… Alors l’attitude envers le dispositif technique se doit d’être discrète et attentive à son contexte. Insérer de la flexibilité passera par une discipline des emplacements des lumières et l’air-conditionné devra fonctionner avec l’ancienne fabrique par exemple. Il faudra donc dès le début placer ces objets d’envergure et anticiper des hypothèses d’arrangements sur leur disposition. Ils se voudront efficaces, respectueux et discrets. C’est par l’effacement que le musée devient un monde à part, dans lequel on peut se perdre puis retrouver son chemin et profiter de l’atmosphère alors créée. Atmosphère qui offre une ambiance pour les œuvres, dont l’architecture et les objets techniques, quant à eux, restent en arrière-plan. Le travail de la lumière naturelle et artificielle est un enjeu primordial pour la création de celle-ci. La séquence des salles d’exposition est également repensée pour créer une continuité avec la structure existante. Il convient de retenir que lors d’une restauration ce qui prime, comme énoncé dans la Charte de Venise, c’est avant tout le site. Face à ce site, l’intervention nouvelle sera d’abord de redonner un sens à ce lieu, ce qui se fera au travers d’une stratégie de projet, une philosophie. Enfin, dernier maillon de la chaine, le programme est alors un élément secondaire. Dans ce sens où c’est un facteur modifiable

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Neues Museum, Intégration de différents dispositifs et éclairages . Sources : Accessibilité-patrimoine.com & divisare.com

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Neues Museum, Intégration de différents dispositifs et éclairages . Sources : divisare.com & artnet.fr

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, destructible, évolutif. Le programme est un élément adapté, au lieu et non l’inverse. Tout programme est récusable s’il atteint à la sauvegarde du sens du monument. La mise en place des effectifs découlant de ce programme doit se faire de manière respectueuse et réfléchie et se doit donc d’être réversible.

Le sentiment de protestation propagé par les conservateurs face aux reconstructions fait à appel à une sorte de glorification du passage du temps comme un acteur qui « peaufine », complète, et affirme le caractère non permanant de l’homme et des choses.

C’est à travers la philosophie de John Ruskin que l’on pourra voir ce mouvement contestataire. En effet, à Ce principe est celui qui prévaut travers son ouvrage « les sept lampes aujourd’hui, Il est inspiré des principes de l’architecture », écrit en 1880, il d’Alois Riegl, Camillo Boito qui explique que la restauration est une respecte l’histoire et l’ancienneté du complète « destruction » et comparera bâti en l’entretenant. Elle se base sur le passage du temps à « une patine la valeur historique et ne veut en dorée ». Il invite surtout à entretenir les monuments, aucun cas Elle s’oppose donc à toute car à partir du atteindre à moment où l’authenticité reconstruction qui « ne peut 56 ces derniers du bâti. être complète sans être sont bien falsifiée ou perdre de son entretenus, Les techniques caractère de monument » nul besoin de de conserrestaurer, vations diffèrent d’un édifice à un autre. Dans juste quelques interventions minimes un premier temps il s’agira surtout de prévenant la ruine précoce pourrait gérer l’étanchéité, l’entretien générale être envisagée. Toute intervention n’étant alors effectuée que dans ce et l’évacuation d’eaux de pluies. but-là, prévenir d’une ruine précoce. En opposition au mouvement de Et jugeant ces ruines comme de notre reconstruction et de restauration qui appartenance seulement en partie, fut important au cours du 19ème siècle appartenant aux générations passées à cause des guerres survenues, ce et futures, nous n’avons aucun droit n’est qu’à la fin de ce siècle qu’elle d’altérer leur véracité et leur message. trouvera vraiment sa place. D’une part La charte de Venise, met en à cause d’un manque de financement (en somme beaucoup de monuments évidence l’importance de l’entretien et à reconstruire et peu de moyens) et soutient que la restauration doit rester d’autre par l’avis des archéologues, exceptionnelle. On citera les ruines jugeant les reconstructions o

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spéculatives nuisibles par rapport à l’authenticité des monuments.

Conservation


également dans les conclusions de la conférence d’Athènes :

« Lorsqu’il s’agit de ruines, une conservation scrupuleuse s’impose, avec remise en place des éléments originaux retrouvés (anastylose) chaque fois que le cas le permet ; les matériaux nouveaux nécessaires à cet effet devraient être toujours reconnaissables. Quand la conservation des ruines mise au jour au cours d’une fouille sera reconnue impossible, il est conseillé de les ensevelir à nouveau, après bien entendu avoir pris des relevés précis. Il va sans dire que la technique de conservation d’une fouille impose la collaboration étroite de l’archéologue et de l’architecte. »

Mais dès lors qu’il s’agit de ruine, une question se pose : Si l’on conserve la ruine, dans un principe de la valeur du passage du temps, doit-on alors la conserver en tant que ruine et donc l’accompagner dans sa détérioration ou doit-on la conserver-telle quelle et la stabiliser dans le temps ?

Deux démarches par rapport à cette « ruine-objet » seront alors envisageables, il y aura d’une part une position dite libérale et d’autre part protectionniste. La première, le libéralisme est celle qui prône une « non-intervention ». Car, en cas d’intervention cela pourrait faire perdre la substance d’authenticité du bien.

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« Il est certains édifices qui par leur histoire, leur qualité esthétique, l’unique configuration du site ont une valeur quasi sacrée. A ceux-là toute banalisation, toute maladresse est fatale. » régénération contemporaine.

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En cela elle serait prête à laisser disparaitre les dits monuments car la disparition est de toute façon inéluctable et que cela permet également la de la société

De l’autre côté, le protectionnisme, tentera lui de sauver les ruines de la disparition. C’est à travers des actions telles que la restauration, la restitution, la reconstruction, que l’on tentera de sauvegarder l’histoire et protéger « Nos ancêtres l’édifice.

avaient accepté avec moins de douleurs cette dégradation, nourris plus que nous de la valeur émotionnelle de la ruine. Notre époque, qui veut tout embrasser, la ressent avec une dramatique angoisse, celle qui suit ou qui précède la catastrophe. Elle se hâte fébrilement de collectionner tous les fragments de la mémoire avant qu’il ne soit trop tard »

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Etude de cas : Abbaye de Villers-la -Ville, reconnaissance d’une part sensible

Villers-la-Ville est une ruine très connue en Belgique pour son aspect intemporel et romantique. Comme si le temps s’était arrêté et que la ruine était sereine, mais en réalité derrière cette douce apparence se trouvent diverses interventions délicates. En 1146 des moines de l’Abbaye de Clairvaux (France) s’installent à Villers et disposent de moyen de constructions pour édifier une abbaye de style roman. En 1197 cette abbaye cistercienne démarre un nouveau chantier et adapte le style gothique en ses murs. Abandonnée par les moines au 17 -ème siècle, des travaux seront exécutés au 18 -ème siècle pour la réadapter au style néoclassique, celui de l’époque, que l’on retrouve sur l’extension du palais abbatial et les jardins. C’est au 18 -ème siècle aussi, en 1796 pour être précise, que cette abbaye sera revendue par lots à des particuliers, Evidemment ceux -ci vont plutôt dépouiller l’édifice de tous ses matériaux de constructions telle une carrière. Ajouté à cela l’exposition à la pluie, au vent et la végétation, cella aura comme conséquence d’accélérer la détérioration, la mise en ruine du bâti. En 1972, le site sera classé car elle fait partie des premières abbayes cisterciennes fondées en Belgique qui recèle 650 ans d’histoire

d’architecture. Elle forme aujourd’hui le plus grand ensemble conserver de cette époque. Ce que l’on retient de la visite de ce site, ayant moi-même fait l’expérience, est une sorte d’émotion forte à connotation quelque peu « romantique ». La ruine, grandiose, par son ampleur, témoigne d’une sorte de puissance de cet ordre religieux tout en exposant la fragilité et l’instabilité. C’est cette vulnérabilité et cette survivance exposée qui provoque l’émotion chez le spectateur, à la fois admiratif et compatissant. C’est en 1893 qu’une première intervention de restauration fut établie par l’architecte Charles Licot. Restauration qui se terminera de façon précoce juste avant la 1ere guerre mondiale. Lors de cette restauration, l’architecte restaurateur ne s’est en réalité intéressé qu’aux parties médiévales, jugées plus intéressantes, et a laissé de côté les parties de style roman, gothique et classique des Pays-Bas autrichien du 18ème siècle. On peut voir là la trace de la philosophie de Viollet-le-Duc. Sur les parties où la restauration est intervenue le processus de dégradation s’est enrayé tandis que les parties laissées pour compte continuent de se transformer en ruines.

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Vue aérienne et vue depuis la nerf . Source : wikipedia.org

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Actuellement la ruine est entretenue afin d’assurer une stabilité, c’est donc le principe de conservation qui est mis en place. Les priorités étant l’état de la dégradation et les risques d’effondrement de l’édifice, aucune partie n’est laissée pour compte. La ruine reste ruine, aucune intervention de restauration ou de reconstruction n’est envisagée. La conservation tente d’apporter un soutien structurel, prenant en considération sont aspect d’« objet » , mais on met considère également sa symbolique à travers la mise en place de nouvelles fonctions en son sein : salles de spectacle, lieux d’animations…. L’affectation est en phase avec l’esprit romantique de l’esthétique de cette ruine. La valeur de la ruine qui a été mise en évidence est celle de l’esthétique, la valeur historique et archéologique viennent après. Car, il semble que l’effet qu’a la ruine, par son aura émotionnelle, fasse passer le témoignage historique au second plan.

Cette notion émotionnelle de la ruine est-elle que des utilisations artistiques contemporaines n’hésitent pas à l’utiliser et à la mettre en exergue. Nous pouvons citer Anne Teresa De Keersmaecker, chorégraphe belge et figure mondiale de la danse contemporaine depuis 1982. Son travail porte sur un rapport sensible entre danse et musique exprimé à travers des performances minimalistes et épurées. C’est deux présentations qui auront lieu au sein de la ruine : « En attendant » et, « Cesena ». Jouées au crépuscule et à l’aube, sans aucun éclairage artificiel ce qui recentre le spectacle sur l’espace, le mouvement, le corps et l’atmosphère tout entière. Le Lieu de l’abbaye offre un cadre poétique à ces performances relativement contemporaines qui tentent de capter son essence.

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Performance de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaecker . Source : Artwiki.com

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Ce n’est que récemment, en 2016, c’est-à-dire sept ans après l’appel à projet, que l’ancienne Abbaye se voit doter d’une nouvelle intervention mêlant architecture et paysage afin d’améliorer, à longs termes, le parcours des visiteurs. Ce projet est le résultat d’une belle collaboration entre les cabinets d’architecture Binario, et l’Escaut (pour la part scénographique) et le travail de paysagiste de Pigeon Ochej Paysage qui se voient récompensés du prix du Patrimoine. Les premiers enjeux étaient la prise en charge des visiteurs, à travers une mise en condition, du début à la fin et une réunification de l’ensemble au moyen d’un nouveau parcours. En effet, le site est traversé par une route internationale ce qui empêche la compréhension globale du site et lui ôte toute cohérence. Alors que la visite semblait se limiter juste au site des ruines le projet est de réunir et de redonner une unité de lecture à l’ensemble du site cistercien. Ainsi, un nouveau parcours est mis en place, Celui-ci est accessible à partir d’un ancien moulin, situé à l’extérieur du site de l’abbaye, qui sera investi, en plus de bureau et de service à l’Horeca, comme un « nouveau centre du visiteur » avec un programme réunissant accueil, boutiques, billetterie, vestiaires, sanitaires mais aussi et surtout des espaces scénographiés sur l’histoire de l’abbaye. Ce nouveau centre est relié au cœur du site par une passerelle surplombant la voix routière accessible depuis la colline voisine. Cela offre un nouveau point de vue sur l’ensemble. Avant d’atteindre les ruines mêmes, le

visiteur, quittant la passerelle, traverse d’abord l’ancien jardin médicinal des moines reconverti en jardin ornemental. On peut voir à travers ce projet, qu’outre la programmation, la scénographie, la gestion des flux, une attention particulière a été apportée à la matérialité du projet et à sa relation, sa connexion du projet avec l’enveloppe déjà existante (classée en l’occurrence). De sorte que cohabitent de façon harmonieuse architecture contemporaine, patrimoine et tourisme. La palette de matériaux proposés est pensée dans une idée de distinction et d’unité architecturale, elle utilise acier Corten, et différentes utilisations du béton : lavé, volige, pisé. Ces matériaux modernes permettent une lisibilité « Dès le départ, nous claire des nouveaux récusions l’idée de éléments faire du « faux vieux », par l’objectif étant, au rapports contraire, de montrer aux anciens que l’architecture tout en contemporaine peut étant en parfaitement prendre harmonie, place, en toute par la harmonie, au milieu texture, la colorde l’ancien. C’est imétrie, pourquoi, toutes les avec ceuxinterventions ci.

contemporaines sont

D’ailleurs, fortement c’est dès marquées » l’entrée du 60 visiteur dans le parcours que celui-ci sera plongée dans cette matérialité. Le

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107 Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Modélisation du Projet de Binario et l’Escaut,2016 - Source :binarioarchitectes.com

moulin et ses murs de pierres associés à des escaliers en acier


Corten et des voiles de béton voliges pour la cage d’ascenseur et l’accueil. Ces matériaux resteront présents tout le long du parcours : passerelle en acier Corten, chemin en béton lavé bordé de disposition explicative en acier Corten, escalier Corten en extérieur etc… Il est intéressant « Ça peut sembler de remarquer la variété de mise en beaucoup d’efforts pour œuvre du béton à rien mais nous avions pu travers tout le projet. voir des exemples de Cela apporte une réalisations en béton sensibilité matérielle pisé en Italie et en au projet. Par Allemagne et nous exemple le gardeavions été séduits par corps de l’escalier situé dans le jardin l’impression générale : est remarquable par c’était bien du béton sa simplicité mais ça n’en avait pas esthétique qui relève l’aspect habituel ; il y en réalité d’une avait quelque chose de technicité ardue. Ce l’ordre d’une vibration petit bout de béton à qui s’en dégageait. » l’aspect sculptural est réalisé en béton pisé, première réalisation avec cette technique en Belgique On peut dire alors que la momentanée collaboration entre les acteurs du projet a mené à une réhabilitation harmonieuse et réunificatrice juxtaposée à une conservation du site des ruines.

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Coupe transversale Etabli Ferme et Passerelle – Plan aménagement paysager - Source :binarioarchitectes.com-dupaysage.be

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Passerelle en Acier Corten - Source :binarioarchitectes.com

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Escalier acier corten et cage d’ascenseur béton au cœur de l’établit fermette - Source :binarioarchitectes.com

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Escalier en béton pisé dans le jardin médicinal - Source :binarioarchitectes.com-dupaysage.be

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Escalier en béton pisé dans le jardin médicinal - Source :binarioarchitectes.com-dupaysage.be

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Abbaye de Villers-la-Ville, Belgique, Association de béton et d’acier corten tout le long du parcours - Source :binarioarchitectes.com-dupaysage.be

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Parcourir ces différentes réalisations nous permet de mettre en évidences différents points essentiels face à la ruine dans le cadre d’un projet architectural.

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La Poésie du Lieu

La ruine forme un contexte architectural. Le contexte peut être défini comme l’ensemble des circonstances qui créé un environnement, un lieu. Mais la ruine n’est pas juste une situation spatiale, elle a ses propres valeurs, que nous avons vues, et facteurs. Ainsi, outre ses données géographiques, elle comporte en elle des facteurs géologiques, historiques mais aussi sensible. Le lieu ne peut être seulement compris comme un paysage naturel, il est aussi le rapport entre l’homme et cet environnement.

Le lieu à une identité, construite, on peut donc le considérer comme une entité propre, un état de vérité, avec ses caractères particulier et spécifique. L’entité de départ étant considérée comme vrai, toute intervention portée sur celle-ci peut influencer son -identité. 62

« Le génie du lieu, c’est sa capacité de passage, ou de transit d’une identité à l’autre » Le travail, en tant qu’architecte, est donc de tirer parti des spécificités du lieu sans lui attribuer une identité autre. L’identité étant en somme ce qui construit sa particularité, ce qui permet de le différencier. Le tout est dont de capter ce qui construit ce lieu pour adapter l’attitude adéquate en vue d’un projet,


« L’œuvre d’architecture devient alors l’expression de la spécificité du lieu à bâtir. »

« J’ai espéré que les historiens impliqués dans ce projet comprendraient que l’histoire d’un lieu est aussi conservée physiquement, dans les choses, les vestiges et mêmes les décombres, et que cela nous aide à les comprendre au-delà des textes scientifiques et des explications didactiques. Peut-être pas au-delà mais différemment ; c’est une compréhension plus émotionnelle qu’intellectuelle. »

63

Toute réalisation architecturale n’étant pas une œuvre, à proprement parler, mais cela n’affecte en rien le fait que toute architecture, quel qu’elle soit, se doit d’être en relation avec son lieu afin de lui être le plus approprié et éventuellement de le mettre en valeur. Tout lieu, dans le monde, a sa propre histoire, le monde autour de nous est imprégné d’histoire. Et l’architecture se réfère au monde, elle est mêlée avec lui et avec ce que l’on sait de lui. L’histoire, le souvenir, la mémoire, bien qu’invisible, est une valeur qui se fige dans les choses. Peter Zumthor, en parlant de son projet de musée pour les Mines de Zinc d’Allmannajuvet en Norvège, nous dit,

64

La compréhension du lieu passe donc par la compréhension de son histoire non pas qu’à travers des documents mais aussi par un facteur plus sensible lié à ce lieu. Ainsi la poésie d’un lieu nait du ressenti qu’il existe de ce lieu. La poésie de la ruine passera donc par connaitre son lieu, son contexte, son histoire mais pour comprendre la ruine il faudra la ressentir.

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La Matérialité

La ruine a une forte matérialité et l’architecture est faite de matière. La matière comme point commun, la matière comme point de section. La matière est un facteur primordial, tant bien pour la ruine que dans le domaine de l’architecture. C’est la matière qui fait et donne forme aux choses. Elle apporte un caractère physique, tactile qui est essentiel mais surtout elle introduit plusieurs notions, porteuses de sens, primordiales et liées à la ruine.

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Facteur autant sensoriel qu’émotionnel, c’est la matérialité qui va entre-autres éveiller nos sens, donner à voir, donner à toucher, à palper, en cela là elle est plus parlante que des mots, des discours, car elle est directement liée aux capacités sensorielles de notre corps.

La matière offre une palette incommensurable de possibilités à travers ses formes, textures, colorimétrie, sa nature, etc… tout est paramétrable. Servant de module, par sa mise en œuvre par exemple, elle aura un impact différent sur l’architecture. L’utilisation d’une matière peut guider un projet, A ce sujet, David Chipperfield nous imaginons que ce soit de la brique, sa 65 mise en dit : œuvre va « La matérialité des Nous l’avons induire des bâtiments, ce n’est pas juste vu à travers contraintes une idée. C’est quelque chose son œuvre et auquel je crois. Les architecturale modularité architectes auront beau faire du Neues différentes de longs discours, théoriser, Museum, le que du traitement dessiner des plans béton. apporté à la formidables, in fine, ce qui matière est compte vraiment, c’est le bâti, La même ce qui l’édifice dans sa dimension matérialité soutent le palpable, concrète. » est aussi un projet. Le des projet, sa facteurs du philosophie, son intention, se positionne et se phénomène d’atmosphère que nous avons évoqué. Mais plus encore, il traduit à travers la matière. s’agit d’un facteur non négligeable Le choix du traitement de la ruine, dans le domaine de la ruine car celuilaisser la trace, les défauts, les ci s’articulera autour d’un principe blessures ou non, signifie que la fondamental, instauré par la Charte de matière peut être porteuse d’un venise, la lisibilité. message et donc avoir une dimension C’est à travers la matérialité de symbolique lorsqu’elle est le point de l’intervention, le matériau, la mise en départ de la réflexion d’un projet.


œuvre, que la lisibilité de l’intervention se fera. Ce faisant, cela peut être un élément d’exemplification de l’architecture. Effectivement elle peut servir à mettre en évidence, accentuer des éléments, allant de l’élément structurel à la symbolique d’un lieu. C’est un phénomène que l’on peut parfaitement voire par exemple dans le pavillon de Barcelone de Mies Van der Rohe, construit en Allemagne pour l’exposition universelle de 1929 ou celui-ci met en évidence des éléments de son pavillon qui donneront un sens à son architecture. Si tout lieu est muni d’une poésie, on peut aussi évoquer la poésie émanant de la matérialité de ce lieu. La matérialité est l’un des facteurs qui permet de retranscrire l’identité d’un lieu au travers du concept architectural. A noter que tout projet architectural peut avoir sa propre matérialité, révéler par le choix de la matière de celui-ci, en échos, en contraste, avec celle- du lieu. Ainsi tout choix de matérialité se doit d’être le plus judicieux et juste possible.

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La Lisibilité

A travers les différentes études de cas nous avons pu constater qu’il y avait certains impératifs à respecter face à une ruine. Premièrement, de toute évidence, il faut partir d’une ruine que l’on conserve, ensuite toute intervention se fera avec une rigueur scientifique et ces interventions se devront d’être réversible. La lisibilité des interventions s’intègrera à ce processus tout en veillant à l’intégrité face aux « paramètres » de la ruines que nous avons vues. Lors du colloque « Faut-il restaurer les ruines », en 1990, l’inspecteur général de l’archéologie, Marc Gauthier demandera « Doit-on traiter les ruines ou le visiteur ? ». Cette question est tout à fait pertinente, bien qu’à mon sens, la réponse est : les deux ! Ce questionnement met en exergue la relation entre l’objet ruine et le sujet, le percepteur. La perception de la ruine peut être déstabilisante, autant pour un visiteur lambda, sans connaissances approfondies du domaine, que pour un expert. Il y a une difficulté de compréhension de part un manque de lisibilité des éléments, par exemples pour une ruine extrêmement dégradée. Le visiteur souhaite comprendre ce qu’il voit et identifier, après l’impression émotive, il est à la recherche de compréhension.

« Rendre lisible, Il est 66 redonner du sens dès lors ouvrage qui n’est possible porteur de sens de mettre apport extérieur » en place des clés de lectures à travers des éléments repères : toiture, murs … Des éléments peuvent être mis en exergue afin de servir de support à l’imagination, à la reconstitution, du visiteur. Le message de la ruine restant authentique et véridique de par le minimalisme de l’intervention. La difficulté sera dans l’équilibre à atteindre entre le respect du témoignage et la pédagogie du lieu en ruine. Mais est-il toujours que la lisibilité de la ruine reste un élément paradoxal car la dégradation de la matière entraine d’office la dégradation du message. D’une part il y a la lisibilité de la ruine, et d’autre part la lisibilité de l’intervention. En termes de lisibilité, la charte de venise nous indique que tout complément à la restauration relève de la composition architecturale et sera marquée de « la marque de notre temps ». La lecture du visiteur ne doit pas être biaisée, la restauration ne peut falsifier l’artefact, la lecture des deux éléments se doit d’être en harmonie mais distincte.

c’est à un plus sans

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Utilité informelle Programmation

et

La perception de la ruine est liée à notre regarde contemporain, c’est à dire dans une société qui nous a inculqué le renouvellement incessant et la densification. La ruine, dès lors que sa valeur d’histoire et son symbolisme n’est pas expressif, peut facilement être perçue comme inutile, comme présentant un manque de « rendement », difficilement acceptable dans un contexte urbain par exemple. Ce type d’argument peut mener à la destruction de site négligeant alors l’apport des ruines dans notre environnement.

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Mais ne pouvons-nous pas dire que si la ruine est souvent le refuge du monde végétal, elle peut tout aussi bien l’être pour la société ? Car une fois investie, la valeur d’usage est dès lors réactivée, peut permettre la survie, la perpétuité à la ruine. En effet bien que l’état originel de l’édifice ne soit plus, que sa fonction initiale également n’est plus effectuable, cela n’implique pas forcément l’anéantissement du bâti. Le facteur d’usage donne sens à un bâtiment lors de son cycle de vie d’un bâti, l’interrompre revient à imputer celui-ci d’une partie de son histoire possible.

« Qui voudrait voir par exemple, le dôme de SaintPierre de Rome sans les visiteurs ? Même chez les partisans les plus radicaux de la valeur d’ancienneté, les ruines d’une église sur une rue animée ou les reste d’une maison incendiée par un éclair, indiqueraient-elles une construction datant de plusieurs siècles, provoqueront plus de gènes que de satisfaction. » 67

Ainsi, en vue d’une réhabilitation, d’une restauration, le programme qui sera mis en place tentera premièrement de donner un second souffle à l’ensemble bâti et de le réintégrer dans la vie contemporaine. Ainsi, comme évoqué plutôt, le programme est un paramètre primordial, mais qui est en second plan par rapport au lieu lui-même. C’est le lieu, la ruine, qui primera et le programme sera adapté à celui-ci. On ne changera point l’édifice pour le programme, c’est le programme qui changera pour l’édifice. Le bâti, avec son sens retrouvé, peut dès lors reprendre part dans notre temporalité.


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Spolia

Avant que la ruine soit reconnue, au Moyen Age, l’on dépouillait les ruines, les vestiges se retrouvaient alors réutilisés, un peu vulgarisés, ici de là. C’est ce qu’on a appelle les spolia. Spolia vient du latin spolium, désignant la dépouille animale, dans un premier lieu, mis au pluriel, cela devient spolia, désignant dès lors les dépouilles de guerres. Ces dépouillements sont bien entendu négativement connotés, signifiant une mise à nue La réutilisation, le réemploi, qui est un acte logique et commun pour l’époque, serait qualifiée, aujourd’hui, d’attitude vandale. Le réemploi, autant l’acte d’extraire tels éléments que de

l’incruster quelque part, a longtemps été considéré comme un acte négatif. Pourquoi ? Parce que ce réemploi est issu d’un fragment, et même s’il est imputé à un nouveau cycle de vie, il symbolise, probablement, la fin de son édifice d’origine, origine déjà en ruine qui par cet acte s’engage dans une disparition définitive. Mais alors qu’à l’origine il y avait la ruine et son dépouillement, le spolia, en vue d’une réutilisation, bien que mal perçue, aujourd’hui, on en vient à prôner le réemploi, la reconversion, la réutilisation autant dans l’architecture, que dans des domaines tout autre.


de recyclage, s’attache autant à la matière qu’au message dont elle devient dès lors porteuse : l’histoire et les souvenirs seront perpétués à travers la matière.

« Leur ruine n’entame pas forcément leur disparition définitive. Elle peut consacrer au contraire de nouvelles utilisations, en somme une nouvelle vie. » 68

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Premièrement la question du réemploi aujourd’hui n’est plus forcément vue comme un vandalisme car elle obéit d’une certaine façon à un nouvel ordre, répondant à une sorte d’action créatrice ou recréatrice, dans le domaine de l’architecture. Venant d’une destruction, on peut pourtant construire et reconstruire : il y a constructions puisque ces réemplois sont insérés dans des éléments constructifs et reconstructifs, destinés à la disparition ils sont insérés à un nouveau cycle d’existence. Prenons par exemple le Musée d’histoire de Ningbo réalisé en 2008 par Wang Shu (Amateur Architecture Studio). Ce projet, qui reçut une reconnaissance internationale en 2012 grâce au prix Pritzker, fait preuve d’une sensibilité accrue face au rapport à la matière et à l’histoire. En effet, cette région regorgeait de beaux villages qui ont tous été rasés au profit de l’industrialisation. Wang Shu, architecte sensible à la tradition et concepteur du « slow build », frappé par l’amas de matière de ces maisons démolies, décida de les récupérer afin d’en faire les murs de son architecture monolithe. Ainsi, briques et tuiles rouges, grises et noirs seront assemblées au moyen de la technique traditionnelle du Wapan. Cette action

Notons que, comme pour le culte du passage du temps, au Japon, au travers de la perpétuelle répétition des mouvements de l’artisan qui construit et déconstruit, ici, c’est également au travers du geste de l’artisan local qui maçonne que l’on perçoit le culte et la perpétuité de la tradition. Par une mise en œuvre traditionnelle et locale, Wang Shu lie de façon intime la partie plus moderne (en béton mis en œuvre par coffrage de bambou) de la partie ancienne au lieu de simplement les juxtaposée. C’est un travail qui est dès lors poétique par l’attention sensible portée aux matériaux récupérés et par sa mise en œuvre.


Musée d’Histoire de Ningbo, Chine, Amateur Architecture Studio , 2008,, Vue d’ensemble et du traitement des murs. © photo by Hengzhong Courtesy of Amateur Architecture Studio

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Musée d’Histoire de Ningbo, Chine , Amateur Architecture Studio , 2008,, Détails matériaux récupérés qui constituent les murs et traitement du béton avec technique traditionnelle (on peut voir les traces du coffrage de bambou) . © photo Hengzhong Courtesy of Amateur Architecture Studio

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Deuxièmement, aujourd’hui c’est principalement face aux soucis de l’impact environnemental, et économique, que la question de réemploi a été revalorisée. En effet, dans ce secteur de la construction, c’est une question très intéressante. Car, on le sait, ce secteur est un grand consommateur de ressources naturelles mais aussi un producteur de déchets conséquents. Ainsi, d’un modèle économique linéaire, la tendance veut qu’on le redirige vers un modèle dit circulaire. Ce modèle tente de maintenir en usage aussi longtemps que possible, afin d’utiliser au maximum sa valeur et de la récupérer en fin de vie. Fondé, alors sur le cycle de vie du bâtiment, le domaine de la construction tente d’intégrer des principes liés à celui-ci : C’est dès sa conception que l’on imputera la construction circulaire : grâce à une adaptabilité, le choix des matériaux, des assemblages, de réduction de déchets. Ensuite par ce que l’on appelle « l’Urban mining », dans cette approche la ville et ses bâtiments équivalent à une sorte de réserve de matériaux. On ne parlera dès lors plus de spolia, car il est vu comme un ensemble de matière potentiellement réutilisable, on va l’inventorier, le déconstruire, de façon sélective, recycler des éléments et en réemployer. Cette nouvelle vision est traduite d’un point de vue politique, entre autres à travers le Plan Région d’Economie Circulaire de la Région de Bruxelles Capitale. Celui -ci reprend toutes sortes d’objectifs et enjeux dans l’économie circulaire. Cette

philosophie de réutilisation soulèvera également des questions dans le domaine patrimonial, notamment par rapport à la valeur d’authenticité et le critère de lisibilité du nouveau et de l’existant. Dans cet esprit, l’économie circulaire considère les bâtiments non comme des structures permanentes, mais comme des compilations temporaires de matériaux susceptibles d’être valorisés ultérieurement dans d’autres entité.

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Un des acteurs 69 « Nous voulions les plus connus, en montrer l’architecture Belgique, est le comme on la voit, collectif ROTOR, créé comme un ensemble de en 2005, regroupant architectes, matériaux, avec ses bioingénieurs, … En traces d’usages et 2010, il apparaît aud’utilisation » devant de la scène par la construction du Pavillon de la Belgique lors de la biennale de Venise. Cette agence d’architecture est autant tournée sur le design, que la construction, que sur la discipline du réemploi. C’est par effet d’extension à la construction, qu’ils s’intéresseront à la déconstruction en architecture, s’adonnant à la question du réemploi des matériaux et aux enjeux économiques. Cette question du réemploi soulève, à mon sens, une sorte de paradoxe autant face à la ruine que face au bâti. L’architecture « comme un ensemble de matériaux avec ses traces d’usages et d’utilisation » est alors réutilisée, réinsérée dans un cycle de vie du bâti. Mais bien que l’architecture soit un ensemble de traces, paradoxalement, elle ne laisse plus elle-même de traces. La conscientisation face à la matière réemployable devient une écriture architecturale, un moyen d’expression. Dès lors, les fragments retrouvent un ensemble et ne sont plus vraiment fragments. Ainsi, aujourd’hui parmi ces « traces d’usages et d’utilisations » réinsérer dans des cycles, y a-t-il toujours la trace de la ruine ?


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Ruines contemporaines

Aujourd’hui y’a t- il toujours des ruines ?

« De ses yeux écarquillés, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds ; il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès »

Elle emprunte ce terme d’analogue à Aldo Rossi, avec la notion de « Città Analoga », expression désignant l’urbain en devenir qui a été coupé dans son élan. La ville analogue étant une expression empreinte d’un sentiment d’inachevé de la modernité. Selon elle, les ruines analogues apparaissent à travers l’art, dans les années 1970-1990, d’une critique des effets du modernisme et l’envie de soumettre l’art à l’esthétique du fragment. C’est dans un contexte socio-politique violent (terrorisme, catastrophes naturelles, guerres, développement des métropoles) que celles-ci naissent. Ainsi, une part de négativité s’est inscrite dans la ruine. Elle déplace le sens de la ruine pittoresque et romantique, vers une critique politique du mécanicisme du développement urbain. Ce mouvement artistique dénonce par sa « desarchitecture » l’introduction de la ruine dans le processus même de production des bâtis contemporains. 72

70

Une tempête, le progrès. Des ruines, élevées jusqu’au ciel. C’est ainsi que Benjamin Walter évoque l’édification d’aujourd’hui. A travers cette image, nous construisons nos propres ruines. Martine Bouchier, architecte, docteur en philosophie de l'art et auteur de

« Ruines analogues, pour une esthétique critique ».71 parlera de « Ruines analogues ».

« Les ruines à l’envers ne sont les vestiges d’aucunes architecture tombée en ruines après leur construction, mais s’élèvent déjà en ruine. »

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Pour illustrer ce mouvement des ruines analogues, l’un des exemples le plus explicite, reliant ce mouvement artistique au domaine de la ruine en architecture, est celui de P. Smithson avec « Partially Burried Woodshed », en Ohio en 1970. Le principe de cette performance artistique fut de précipiter le processus de ruinification de l’édifice, en le surchargeant de masse de terre jusqu’à l’écroulement total. Le poids de la matière tirant les forces de l’ascension édificatrice vers le bas. A travers cette œuvre, Smithson introduit l’idée d’une ruine « aidée ».

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Partially Burried Woodshed Performance artistique de P.Smithson , Réalisations et si-bas la maquette - Source : Smithson Foundation

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Matière ; Processus ; Ruines. Voilà les mots clés de cette expérience. Ces mots, nous les retrouvons aujourd’hui, dans les constructions contemporaines. En effet, on pourrait dire qu’aujourd’hui nous construisons des ruines aidées ou bien même que nous ne construisons plus de ruines. La matière : La matière utilisée dans les constructions n’est plus celle des anciennes constructions. Elle n’est pas perdurable. La pierre est laissée pour le béton, le gy proc, ce sont des matières impermanentes.

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Le Processus : Aujourd’hui la durée de vie d’un bâti est programmée. Le processus est enclenché et a une fin déterminée, c’est l’obsolescence programmée. Alors qu’à l’époque l’on construisait afin que l’architecture perdure après l’homme, pour le futur, aujourd’hui on construit pour le présent, dans cette notion d’instantanéité propre à ce siècle. Ruines : Ainsi alors que les ruines sont le résultat d’édifice pensés pour perdurer, pour survivre à l’homme, sachant qu’actuellement nos bâtiments sont programmés pour 15, 20 ou 50 ans, si la durée de vie du bâtiment ne dépasse même pas l’espérance de vie d’un homme, est ce que nous aurons encore des ruines ?

Ainsi il me semble que le 21 siècle est fait de paradoxe :

-ème

Cette notion de réemploi, de faire perpétuer la vie, de durabilité superposée à cette notion d’obsolescence programmée et donc de non-perpétuité. Paradoxale également, dans la sacralisation de bâtiment, part la patrimonialisation, relevant d’un attachement empathique face à la matière. Cette matière relique qui se retrouve en filigrane dans l’économie circulaire : sacralisation et réemploi. Nous édifions, mais nous édifions des ruines qui n’aboutiront jamais à la ruine, à proprement parler. J’entends par là celles qui relèvent d’une philosophie de temporalité, de sens et d’une part sensible. Et si « l’architecture est ce qui fait de belles ruines 73» et qu’aujourd’hui nous n’en produisons plus, que cela signifie-t-il ?


Plus un objet se fait rare, plus il augmente en préciosité. Alors, s’il est de fait avéré que nous ne construisons plus de ruines, elles se font, dès lors, de plus en plus rares et donc de plus en plus précieuses. La ruine revêt du domaine de l’architecture, et si son domaine, qui lui est propre, ne peut dorénavant la produire, elle peut cependant établir un lien, un dialogue et une reconnaissance envers celle-ci. La ruine nous séduit, aussi bien entant qu’humains, qu’architectes, par son évocation du temps, de la matière, d’une spiritualité, de l’histoire et d’une perception sensible et sensorielle. La ruine, entre architecture et nature, entre pleins et vides, offre une expérience architecturale unique qu’il lui faut reconnaitre et exacerbée. La ruine inspire et, du fait de sa préciosité, devient un élément à mettre en valeur. D’une « ruine à émouvoir » elle deviendrait une « ruine à concevoir ». Concevoir à partir d’une ruine reflète la part profondément sensorielle, part sensible souvent aujourd’hui oubliée qu’il nous faut retrouver, de l’architecture et de l’homme. « Concevoir la ruine » c’est, selon moi, donner vie à une « esthétique de l’existence ». Le 21 -ème siècle est un siècle paradoxal, autant que la ruine. Tant dis que certains édifient des tours et tentent d’atteindre le ciel, d’autres, se mettent à l’écoute et tentent de

sublimer les édifices qui se retrouves à mène le sol. Car si nous ne laissons plus de traces, nous pouvons laisser et ancrer une philosophie d’architecture. Une philosophie de construction qui transmet aux générations futures la notion d’architecture-dialogue. C’est à dire un modèle constructif qui se veut réfléchi par rapport à son existence, à son rapport à l’ancien, à son rapport à l’environnement, au sens… A mon sens, plus notre société évolue, change, plus nous devons établir un dialogue et un contexte de continuité. Une architecture dialogue ou une ruine à concevoir induit une architecture pensée différente. Dès que l’architecte travaille avec ce qui existe déjà, son processus de création relèvera d’une compréhension de son environnement et d’une imagination capable de s’adapter. L’apprentissage de la « ruine à concevoir » pour l’architecte est celui de la patience, de la flexibilité, de procédé intuitif et discursif.

« C’est la culture dit se charge un regard qui décide du choix entre une ruine et un tas de pierre» 74

Ce qui transmet un message constructif fort de sens pour les générations futures : interrompre l’idée de la démolition dans le seul but de faciliter une nouvelle construction.

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Car c’est souvent, il me semble, face à la difficulté et à l’adversité, que s’ouvre le champ des plus belles possibilités. Si notre société est capable de conscientiser le concept de réemploi de la matière en architecture, elle est dès lors capable de conscientiser l’architecture évolutive et adaptative au travers de la ruine.

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De plus, la ruine, bien que très symbolique et empreinte d’histoire, n’est pas seulement exploitable à des fins culturelles ou religieuses, tels les musées ou chapelles. Si nous ouvrons le champ du dialogue avec la ruine, elle est intégrable à des fonctions plus simples et à notre quotidien, elle est enrichissante pour quiconque. L’effet qu’à la ruine est universel, elle s’adresse à tout le monde. C’est ce que nous pouvons voir à travers le travail de Witherford Watson Mann Architects qui établit un dialogue architectural avec la ruine du Château d’Astley, en Angleterre. Ruine qui fait dès à présent partie du quotidien d’une famille puisqu’elle est devenue une résidence familiale.


Astley Castle , Witherford Watson, Angleterre , espaces de vie de la résidence au sein la ruine © photo Philip Vile, Hélène Binet

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Astley Castle , Witherford Watson, Angleterre , conception adaptative et expression d’un dialogue architectural entre contemporain et ancien © photo Philip Vile, Hélène Binet

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CONCLUSION

Comme nous avons pu le voir , tout au long de ce développement ,la ruine a toujours intéressé l’homme. Que ce soit pour son aspect purement matériel , avec les spolia, que pour être un support méditatif , philosophique, et source d’inspiration artistique . En effet, nous avons vu que la ruine, bien que faite de vides ,était remplie de paramètres. Celui du temps ,de l’esthétiques , de la mémoire, de la nature, de la matérialité et géographique. Ce qui forme un véritable plaidoyer , pour cette architecture en fin de vie , auprès du patrimoine . Car, bien que le patrimoine soit une notion relativement récente, elle s’étend aujourd’hui de la serrure de portes à un ensemble de bâtis et aux sites .

La patrimonialisation cherche à protéger et à perpétuer la transmission d’œuvres architecturales qui représentent un intérêt pour la culture , l’histoire , le savoir-faire et qui ,dès lors, deviennent de précieux et savants témoins . Ainsi la ruine , résultat d’architecture, porteuse de mémoire et d’ancienneté, peut rentrer dans le spectre protecteur du patrimoine . Cependant, le débat entre conservation pure , d’une ruine qui se ruine , ou une sauvegarde qui s’ouvre à des reconstructions , des réhabilitations, n’est pas depuis figé sous le véto de la patrimonialisation . Au contraire, ce débat reste ouvert et ne cesse même d’augmenter.

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Nous avons constaté que la vision des ruines se fait en miroir face aux crises , au vécu, à la vision, de la société . Notre société est en perpétuelle évolution , elle n’est pas la même qu’au 18 -ème siècle et sera surement différente au 25 -ème siècle. Le temps long et la matière première des constructions des sociétés antérieurs permettaient aux ruines de naitre , de vivre et de mourir . Actuellement, notre société à des besoins et des demandes qui diffèrent de ceux de l’époque . D’une part, les matériaux de constructions de notre époque , entre autres issus de l’industrialisation, ne permettent pas la même durabilité et qualité que ceux précédemment employés. Et d’autre part ,sous le phénomène de densification urbaine , de productivisme et de la pression du fonctionnalisme, le rendement et l’utilité n’ont en commun qu’une seule chose : la rapidité , l’immédiateté, en somme , un temps court . Ainsi, il semble que notre temporalité ne soit plus propice à la ruine .

Malgré les difficultés encourues vis-àvis de la sauvegarde et de l’ approche des ruines ,il est primordial , étant donné leur rôle tout au long de l’histoire, leur signification , leur impact , leur temporalité et matérialité, de s’interroger sur leur rôle pour notre société contemporaine . Nous avons vu qu’au Japon , par exemple , l’absence ( pas totale mais tout de même constatable) de la ruine , correspond à une philosophie , une mentalité révélatrice de la société . Elle se traduit au travers d’ une philosophie de construction et de la matérialité ,voire de l’immatérielle . Actuellement , nous pouvons voir que le domaine de la construction , entre autres en Belgique, s’intéresse de plus en plus au réemploi , au recyclage de la matière . Le réemploi , autrement dit les spolia, à de faite toujours existé, mais il peut devenir , comme on le voit dans certain projet , une forme de conscientisation de la matière, de point de départ de méthodologie et de philosophie de projets .


Si nous sommes enclins de constater que notre mode de fonctionnement et de construction n’est plus favorable à une architecture qui se termine en ruine, le questionnement vis-à-vis de la matière et de la ruine devient primordiale au sein de notre domaine, celui de l’architecture . Si nous ne sommes plus prédisposés à construire de « belles architectures qui font de belles ruines » ,pour reprendre les mots de l’ architecte français du 20ème siècle ,Auguste Perret, nous devons penser, alors, à ce que nous allons laisser comme traces aux générations futures . Une notion fondamentale qui se dégage de ce mémoire est celle de la trace. Tandis que la ruine se rangerait du côté de l’objet , le propre de la trace est qu’en à lui de l’ordre de l’absence, presque imperceptible , une

empreinte. La trace peut se traduire sous d’autres aspect que l’objet , la figure . Notre trace peut dès lors s’exprimer à travers un certain rapport à la ruine , notre attitude architecturale face à celle-ci , mais aussi par une philosophie de conception , une philosophie de construction qui intègre la notion de temps de façon inhérente à son processus . L’Orient , conscient de la valeur du temps qui passe , de la valeur de mémoire , de matière et d’immatérialité, a su créer une philosophie architecturale de l’absence , qu’en sera-t-il de l’Occident ?

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Zumthor Peter, Atmosphère, Suisse, Ed. Birkhauser Libri, 2ème édition,2008

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Zumthor Peter, Penser l’architecture, Suisse, Ed. Birkhauser Libri, 2ème édition,2010

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Enjablert Cédric, Japon : l’impossibilité d’une ruine – Reportage mené en marge du colloque organisé à lsé du 11 au 14 mars 2014 par la fondation franco-japonaise Sasakawa, Dans « Philosophie » n°84- novembre 2014

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David Chipperfield , 2014 , El Croquis , N°150

140


• MEMOIRES – DOCTORAT - THESES o

Viret Bernard , L’avenir de la ruine dans les villes . Laisser-faire , Faire-avec. Temps, Regard, Mémoire d’Architecture, Ecole d’architecture de la ville et territoire à Marne-la-Vallée, 2010

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Bertin Alice, Peter Zumthor du lieu à la réalité matérielle, Mémoire d’Architecture, ENSA Nantes, 2014 ,

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Detry Nicolas, Le patrimoine martyr et la restauration post bellica.

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141

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Gauthier Anaïs ,Qu’est-ce qu’ une Ambiance en Architecture ? Mémoire en Architecture d’intérieur , France

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Tanguay Matthieu , Conserver ou restaurer ? La dialectique de

l’œuvre architecturale : Histoire d'un débat qui a contribué à la formation de la culture de la conservation du patrimoine bâti, Université de Montréal Faculté de l’Aménagement, Thèse en Aménagement histoire et théories , Avril 2012 o

Olga Valeria Ortiz Sanchez , Neues Museum, de Stuler à Chipperfield, Ecole Nationale Supérieur d’ Architecture ,ClermontFerrand, Mémoire 2018


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Collectif : Véronique Barras-Fugère, Catherine D’Amboise, Laurence St-Jean, Sandrine Tremblay-Lemieux, Etude d’une pensée constructive d’architecte : Peter Zumthor, Ecole d’art de Bregenz, https://www.arc.ulaval.ca/files/arc/Peter-Zumthor_Bregenz.pdf

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Marjan Buyle (Ed.) ,La problématique des lacunes en conservation-restauration, postprints des journées d'études internationales de l'APROA-BRK, Bruxelles, 2007, aproa-brk.org/uploads/bulletins/postprint3-2005.pdf

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Chipperfield, David, Conférence : What is the future of the past ? , Londres, à l’occasion du mémorial de Paul S. Byard , Lecture à l’Université Columbia , GSAPP,2012

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Quand le béton se coule dans le patrimoine, dans « Regard sur le béton », N°29, Ed. Febelcem, https://www.febelcem.be/fileadmin/user_upload/ciment-etapplications/regard_beton/fr/Regard_sur_le_be__ton_N29__5_.pdf

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• REFERENCES WEB SPECIALISEES EN ARCHITECTURE :

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Archdailly

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Architonic https://www.architonic.com consulté en mai 2020

Inhabitat https://inhabitat.com consulté en mai 2020

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https://www.archdaily.com/ consulté

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en mai 2020

consulté en mai 2020

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https://www.binarioarchitectes.com/

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• ANNEXES : NOTES DE REFERENCES

1 Roland Mortier, La Poétique des Ruines en

18 A. Chastel, J.-P. Babelon, La notion de patrimoine, op.cit. Pg. 142

43

19 Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine : de la cathédrale à la petite cuillère, Essai, Ed. Maison des sciences de l’Homme,2009, Pg.237

France. Ses origines, ses variations de la Renaissance à Victor Hugo, Ed. Droz,1974, pg. 2Diderot, L’Encyclopédie, Dictionnaire raisonné des sciences, Arts et métiers, 1765, Vol. XIV 3 Baudelaire, Petits poèmes en prose, Ed. Par Robert Kopp, Gallimard, 1986, p 165 4 Diderot, Ruines et Paysages, salon de 1765, Ed. Hermann, pg 332. 5 Diderot, Lettres à Sophie Volland, in : Fabrice Babelon, Ed. Gallimard, Paris, 1930, chap. II, pg.280 6 Sophie Lacroix, Ce que nous disent les ruines, la fonction critique des ruines , Ed. L’Harmattan, pg. 103 7 Lbid. pg 140

20 Article 1 de la Charte de Venise ,1964 21 Extrait de la Charte de Venise, 1964 22 A. Chastel, J.-P. Babelon, La notion de patrimoine, op.cit. Pg. 101 23 N. Heinich, La fabrique du patrimoine : …, op.cit., Pg. 67 24 Alois Riegl, Le culte moderne des monumentssa nature et ses origines, Trad. De Matthieu Dumont & Arthur Lochmann, Essais, Ed. Alia, 2016, pg.46 25 A. Riegl, Le culte moderne des monuments, op.cit., pg. 73 26 Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine : de la cathédrale à la petite cuillère, op.cit.Pg .152

8 Lbid., pg 302 9 Lbid, pg 140 10 Victor Hugo, Œuvre complète- Notre dame de Paris, Vol.1,1904, Pg.10 11 Citation de l’anthropologue HANSEN cité dans Jean-Pierre Babelon, Chastel, André, La notion de patrimoine, Paris, Ed. Liana Levi, 2008, pg.110 12 Lbid., Pg. 25, Citation d’un commissaire de la législative de 1792 à l’inauguration de l’inventaire du patrimoine. 13 A. Chastel, J.-P. Babelon, La notion de patrimoine, op.cit., pg.72 14 Lbid. « Rapport de Guizot pour le comité ». 15 Victor Hugo, Guerre aux démolisseurs, Revue des deux mondes,1er mars 1832. 16 Ministre des sciences et arts Mr Poullet, er

Rapport au roi Leopold 1 en vue d‘un arrêté royal pour une section « site » à la commission , 29 mai 1912 17 Victor Hugo, Les contemplations, Ed. Lgf, novembre 1972, Collection Livre de poche.

27 27 Lbid., Pg.245 28 Pg 29-37 ; Marin, Louis, Le trou de mémoire de Simonide, Traverse n°40, Paris, Editions du Centre George Pompidou, Avril 1987 29 Baumgarten, Alexander Gottlieb, Esthétique, trad. Présentation de Jean -Yves Pranchères, Paris, l’Herne,1988 30 Pg36, Hladik, Murielle, Traces et fragments dans l’esthétique japonaise, Edition Mardaga,2008, Wavre 31 Simmel, George, Die ruine. Ein âsthetischer Versuch ,1907, cité et traduit par STAROBINSKI, Jean, L’invention de la liberté, Genève, Ed. Skira,1964, pg.180. 32 Pg 137. Diderot Denis, Salon de 1765, Ruines et paysages, Ed. Hermann, Paris,2009 33 Jean Starobinski, L’invention de la liberté 1700-1789, Genève, Ed. D’art Albert Skira, 1964, pg 180 34 Hladik, Murielle, op.cit. pg 32

144


36 Antoine Le Blanc, Article : La conservation des

52 Bergeon-Langle Ségolène, De l'usure au manque, de la réintégration au comblement, dans Buyle Marjan (Ed.), La problématique des lacunes en conservation-restauration, postprints des journées d'études internationales de l'APROABRK, Bruxelles, 2007, pp. 7-9.

37 Jean Starobinski, L’invention de la liberté, op.cit., pg.180

53 Chipperfield, David, Conférence : What is the future of the past ? op.cit. 54 Chipperfield, David, Conférence : What is the future of the past ? op.cit.

35 Hladik, Murielle. Traces et fragments dans l’esthétique japonaise. Op.cit., p.28

ruines traumatiques, un marqueur ambigu de l’histoire urbaine dans L’espace géographique, n°39, 2010, pg 253 à 266.

38 Hladik, Murielle, Traces et fragments …, op.cit., pg 44

55 Charte de Venise, 1964

39 Eisenman Peter, Interview du 26 avril 2013

56 Actes des colloques de la direction du patrimoine, Faut-il restaurer les ruines ? , dir. Babelon, Jean-Pierre, Paris, 1990, pg.33

par Iman Ansari , dans The Architectural Review 40 Zumthor Peter, Penser l’architecture, Ed. Birkhauser Libri, 2010, pg 21

57 Charte d’Athènes pour la Restauration des

41 Riegl Alois, Le culte moderne du monument, op.cit. pg 75

Point VI. : La technique de la conservation

42 Hladik, Murielle. Traces et fragments dans l’esthétique japonaise. Op.cit. Pg.59

145

Monuments Historiques, Conclusions de la Conférence d’Athènes, 21-30 Octobre 1931,

58 Actes des Colloques de la Direction du Patrimoine, Faut-il restaurer les ruines ? op.cit., pg. 315

43 Shigeatsu Tominaga cité par Enjabler, Cédric dans, Japon : l’impossibilité d’une ruine – Reportage mené en marge du colloque organisé à lsé du 11 au 14 mars 2014 par la fondation franco-japonaise Sasakawa, Dans Philosophie n°84- novembre 2014 pg. 34

59 Lbid. Pg. 317

44 Lbid., pg. 35

61 Andrea Tenuta de Binario Architectes citée dans Quand le béton se coule dans le patrimoine , op.cit., pg.12

45 Viart (1827) cité dans Conan, Michel,

Dictionnaire historique de l'Art des Jardins def.de Fabriques, Ed. Hazan,1997, pg.75 46 Ys et BIX. (1845) Cité dans Conan, Michel,

Dictionnaire historique de l'Art des Jardins, op.cit. pg.206 47 Maral Alexandre, « Marie-Antoinette en ses jardins » dans Marie Antoinette : Dans les pas de

la reine, dir. De Petitfils Jean-Christian, Ed. Perrin, Versailles, 2020, 48 Charte de Venise, 1964 49 Nicolas Detry, interview dans Une histoire des catastrophes culturelles, épisode 4. Par Laurentin Emmanuel pour l’émission : La Fabrique de l’histoire, France Culture, 2018 50 Giuseppe Carbonara, Trattato di restauro architettonico, Turin, Ed. Torinese 1996, Traité, vol. I, pp. 17-38 51 Chipperfield, David, Conférence : What is the future of the past ? , Londres, à l’occasion du mémorial de Paul S. Byard , Lecture à l’Université Columbia , GSAPP,2012

60 Andrea Tenuta de Binario Architectes citée dans Quand le béton se coule dans le patrimoine, dans « Regard sur le béton », N°29, Ed. Febelcem, pg.4

62 Cache, Bernard, Terre Meuble, Ed. Hyx,1997, pg 27 63 Lbid, pg 25 64 Zumthor, Peter, Présence de l’histoire, Ed. Scheidegger et Spiess, Suisse, 2018, Pg.25 65 David Chipperfield dans Architecture d‘Aujourd’hui, N°393, entretien par Jonathan Glancey, 2012, France, pg.22-29 66 Actes des colloques de la direction du patrimoine, Faut-il restaurer les ruines ? op.cit. Pg 229 67 A. Riegl, Le culte moderne des monuments, op.cit., pg.94 68 Foulquier, Laura, Entre disparition et

apparition. Souvenir des ruines, mémoire des pierres : les spolia, dans « La ruine et le geste architectural » , dir. Pierre Hyppolite, Presse universitaire de Paris Ouest,2016,Collection RITM, pg 28


69 Renaud Haerlingen dans Rotor ou la déconstruction de l’architecture, entretien par Muller Léa pour Chroniques d’architecture, 2017, 70 Walter, Benjamin, Essais : Sur le concept de l’histoire, dans Œuvres, t. III, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Ed. Gallimard,2000, pg. 434

71 Bouchier, Martine, Ruine analogues : pour une esthétique critique dans « La ruine et le geste architectural », dir. Pierre Hyppolite, op.cit., pg 181-191 72 Lbid, pg. 187 73 Citation d’Auguste Perret, Architecte Français (1874-1954) 74 Actes des colloques de la direction du patrimoine, Faut-il restaurer les ruines ? op.cit., Pg.11

146


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