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! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Architecture et Écosophie de la responsabilité de l’architecte face à la société et à l’homme
! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Mathilde Piollé ! ! !
Mémoire de Master, réalisé sous la direction de Séverine Bridoux-Michel
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École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille 2014-2015
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REMERCIEMENTS
! ! ! ! Mes remerciements s’adressent en premier lieu à la ! !responsable du séminaire d’initiation à la recherche Séverine !Bridoux-Michel, pour sa pédagogie, la précision de ses interventions !ainsi que l’attention portée à ce travail. ! J’aimerais exprimer ma gratitude à Jérôme Sigwalt, de l’agence !K-architectures, pour le temps consacré à un entretien des plus !enrichissants pour la recherche mais aussi personnellement. ! ! Enfin je souhaite particulièrement témoigner ma !reconnaissance à mon entourage pour son soutien, son !encouragement et les nombreux échanges qui ont permis l’avancée de !ce mémoire. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
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SOMMAIRE
! INTRODUCTION !!
I. L’individu en question
! 1. la prise de conscience ! 2. prendre connaissance ! 3. une pédagogie de l’être ! ! II. Un caractère systémique ! 1. échelles ! 2. culture(s) ! 3. interactions ! ! III. Vers une architecture de l’éthique ! 1. la notion de responsabilité !
2. la redefinition du rôle de l’architecte 3. le projet comme médium
!! ! CONCLUSION ! MÉDIAGRAPHIE ! ANNEXES ! TABLE DES ILLUSTRATIONS ! ! ! ! !
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! 15 ! ! ! ! ! 29 ! ! ! ! ! 41 ! ! ! 15 20 24
29 32 36
41 45 48
! ! 53 ! 57 ! 61 ! 79
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INTRODUCTION
Définition du sujet et objectif d’étude « La crise des conditions de vie sur Terre peut nous aider à choisir une nouvelle voie avec de nouveaux critères de progrès, d’efficacité et d’action rationnelle.1 » Arne Naess
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Le concept d’Écosophie, développé par Arne Naess2 et Felix Guattari3 dans la deuxième moitié du XXème siècle, expose une théorie qui souhaite dépasser la sauvegarde de l’environnement pour considérer que les dimensions qui composent le monde coexistent selon des rapports transversaux. Ainsi Les Trois Écologies4, environnementale, sociale et mentale que développe Félix Guattari, tendent à témoigner que tout se tient et que l’« on ne peut espérer remédier aux atteintes à l’environnement sans modifier l’économie, les structures sociales, l’espace urbain, les habitudes de consommation, les mentalités … ». Le complexus engendré par cette notion intéresse chacune des actions menées dans notre monde. Il en devient alors pertinent de se demander comment l’architecture, qui bâtit l’environnement de la société, interagit avec les différents domaines et dans quelles mesures pourrait-elle reconsidérer son action sur l’homme, sur la planète.
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Un vent écologique souffle sur la société, qu’il soit initié par des penseurs, des politiques, des citoyens, par le biais de mots, d’images ou d’expérimentations, celui-ci balaie le monde de constats alarmistes du 1
Arne Naess, Écologie, communauté et style de vie, éditions MF, 2008, p. 57
2
Arne Næss (1912-2009), né en Norvège, il fut formé à la philosophie en partie à Paris, où il suivra les cours de Bergson, mais surtout au sein du Cercle de Vienne. Nommé à 27 ans « Full Professor of Philosophy » à l’université d’Oslo. Après trente ans d’enseignement, il s’est retiré pour la défense de l’environnement. Figure historique de la philosophie environnementale. La doctrine de la deep ecology, qu’il a commencé à élaborer au début des années 1970 a exercé une influence partout dans le monde. 3
Félix Guattari (1930-1992). Psychanalyste, proche du courant de la psychiatrie institutionnelle de Jean Oury, il a été membre de l’École freudienne de Lacan. En 1955, il rejoint Jean Oury à la clinique de La Borde. Dans L’Anti-Œdipe (1972) et Mille Plateaux (1980), tous les deux sous-titrés « Capitalisme et schizophrénie », il engage avec Gilles Deleuze une critique de la psychanalyse et de la philosophie contemporaines. 4
Félix Guattari, Les Trois Écologies, Paris, Galilée, 1989
9
désastre en marche et de changements à opérer. Beaucoup s’y essayent avec plus ou moins de réussite et plus ou moins de bonnes intentions. Parce que l’écologie tend à alléger les consciences, elle devient parfois un outil superficiel plutôt qu’une réelle croyance manifeste. C’est le cas pour l’architecture qui se voit contrainte par une multitude de normes et réglementations à concevoir des espaces étanches à l’environnement en contradiction avec la volonté de concevoir avec ce dernier. Malheureux est le constat de voir que l’architecture se dote aujourd’hui de prothèses technologiques pour remplir les recommandations alors que son histoire nous à montrer qu’elle pouvait être ingénieuse et s’entrelacer avec les variations du climat en tout contexte. Vient alors la question du pourquoi en est-on arrivé là, et c’est la révolution industrielle qui est visée. Initiatrice d’un changement des pratiques et d’une mutation sans précédent de notre société, cette révolution a formaté les êtres et le monde suivant un égocentrisme fou qui a opéré le passage dans l’ère de l’Anthropocène, « l’humanité est devenue une force géologique à l’échelle de la planète 5 ». C’est dans le secteur de la construction que cette force s’exprime encore le plus aujourd’hui, en 10
effet il représente à lui seul environ 40 % des émissions de CO2 des pays développés, 37 % de la consommation d’énergie et 40 % des déchets produits6.
!
Ce travail de recherche a pour but de porter à réflexion la capacité de mutation de notre société. En considération de l’Écosophie, l’architecture se présente comme pivot fondamental pour réorienter la finalité de nos existences. La mise en question de la profession d ’architecte semble être indispensable pour soulever des questionnements et imaginer un autre monde possible. Cette étude cherchera à faire émerger les problématiques auxquelles se confronte l’aspiration au changement en posant un regard tout particulier sur le champ d’action de l’architecte. 5
Will Steffen, chercheur à l'Université de Stockholm (Suède) et à l'Université Nationale Australienne, Canberra http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/nous-sommesentres-dans-l-anthropocene-depuis-1950_4557141_3244.html 6
Philippe Deshayes, Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement, Innovations 2012/1 (n°37), p. 219
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Problématique et note méthodologique
« si l’on considère l’architecture dans son acceptation traditionnelle - une oeuvre de commande - on a du mal à croire qu’elle puisse vraiment agir sur des enjeux aussi globaux et incertains que l’épuisement des ressources ou la violence du développement inégal.7 »
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Marie-Hélène Contal En considérant l’architecte comme citoyen du monde, le travail
mené vise à interroger la profession dans sa dimension écologique, à savoir une science qui a pour objet les interactions entre les êtres et leur environnement. Il s’agira de développer quelle pourrait être une reconsidération du rôle de l’architecte dans une société où les nouvelles constructions ne représentent qu’une infime réponse aux questions contemporaines soulevées par la crise environnementale.
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11
Pour répondre à cette problématique, la recherche s’organisera suivant une approche en trois étapes aux angles d’attaques différents. Chacune d’entre elles cherchera à mettre en exergue ce qui caractérise le quasi statu quo ambiant du déséquilibre entre l’homme et la nature.
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Une première analyse cherchera à interroger l’individu, pour tenter de comprendre l’héritage psychique et comportemental que nous a livré l’Anthropocène8. Cette étude sociologique vise à poser un regard sur la capacité de mutation de la société à partir de l’essence même de ce qui la constitue : l’homme. « Il ne suffit pas de se demander : Quelle planète laisserons nous à nos enfants ? ; il faut également se poser la question : Quels enfants laisserons nous à notre planète ? 9». Et c’est par cette interrogation que sera mise en question l’architecture. Quels
7
Marie-Hélène Contal, Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, Paris, Gallimard, 2014, p. 10 8
« l’humanité est devenue une force géologique à l’échelle de la planète » Will Steffen
9
Pierre Rabhi, Vers la Sobriété Heureuse, Arles, Actes Sud, 2010, p. 123
architectes pour notre planète ? Cette réflexion sur le sujet citoyen, tentera de mettre en lumière les changements possibles des esprits de notre société, en se gardant de vouloir être autoritaire.
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Il s’agira dans une deuxième partie de traiter du caractère systémique de la problématique environnementale. Après l’analyse de l’unité individu, la complexité dans laquelle s’inscrit celui ci fera l’objet de considérations pour étendre la compréhension du contexte actuel. En opposition à tout modèle simplificateur ou réductionniste, il sera question d’appréhender la notion de système pour dévoiler quelles pourraient être les modalités par lesquelles une action serait possible pour sortir de l’impasse planétaire. L’architecture sera confrontée à cette dimension plus large qui s’avère être un passage obligé pour évaluer son champ des possibles en réponse à la crise environnementale.
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Enfin, un troisième temps sera consacré à la notion d’éthique en architecture. Cette étape de la recherche s’intéressera à la responsabilité de l’architecte et à la remise en question de sa pratique. Dans un élan 12
rétroactif avec les deux premières parties, il s’agira de comprendre les interactions qui peuvent exister entre l’architecte et la société et à la lumière de ces relations de faire émerger des perspectives dans la profession. Cette mutation de la pensée, de la pratique, des subjectivités devient indispensable au vue de la marche actuelle du monde, de nouvelles réponses adaptées et adaptables sont à imaginer, cette réflexion tentera d’en exprimer l’habileté.
!
Cette recherche fut impulsée par un questionnement personnel : « quel sera mon rôle dans la société une fois diplômée en architecture ? » C’est cette quête de sens qui a dirigé le travail de recherche. Les lectures menées ont permis d’aborder des notions et points de vue qui ont trouvé leur place de manière transversale dans la réflexion. En parallèle de cette accumulation de matière, un entretien avec Jérôme Sigwalt, de l’agence K-architectures, a été mené. Cette discussion a conduit à un témoignage enrichissant pour la recherche permettant la confrontation entre les idées développées et une certaine
réalité de la profession et plus particulièrement du contexte français. C’est à la rencontre entre l’univers des possibles et la réalité que tente de s’inscrire ce mémoire.
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! fig. 1
I. l’individu en question
! « l’être sujet est né dans un univers physique, lequel ignore la subjectivité qu’il a pondu, qu’il abrite et menace à la fois. L’individu vivant, vit et meurt dans cet univers où seuls le reconnaissent comme sujet quelques
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congénères voisins et sympathiques 10 » Edgar Morin Pour comprendre les problématiques contemporaines
auxquelles l’homme fait face aujourd’hui, il faut porter notre attention aux capacités de ce dernier à appréhender le monde. C’est dans la nature humaine que réside le façonnage planétaire dont nous sommes aujourd’hui les héritiers et il semble pertinent de se demander si la révolution qui doit s’opérer réside dans l’individu lui même.
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1. la prise de conscience 11 L’homme a su montrer au fil de l’histoire sa capacité à s’adapter
à un environnement aussi divers soit il, en développant des techniques et des coutumes lui permettant de surmonter les contraintes de la nature. La volonté de survie sur Terre, comme celle de tout être animé, s’est vite transformée chez l’homme en « un étrange malaise, comme si les excès de l’avoir abolissaient les besoins de l’être, la société de consommation créant simultanément besoins et frustrations.12 ». Il faut revenir à la révolution industrielle au XIXème siècle pour comprendre comment l’homme a engendré une mutation progressiste de son comportement, de ses pratiques, dans une traduction nouvelle de sa nature profonde. Cette révolution, somme toute justifiée par la volonté de l’homme de toujours innover et renforcer son existence, nous a amené dans une société commerciale et industrielle, tournant le dos peu à peu à la 10
Edgar Morin, Science avec conscience, Paris, Fayard, 1982, p. 237
11
prise de conscience : passage à la conscience claire et distincte de ce qui, jusqu'alors, était automatique ou implicitement vécu, Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales. Est-il suffisant de considérer cette définition ? C’est ce que nous essayerons de discuter au cours de cette étude. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/conscience 12 Pierre Rabhi, Vers la Sobriété Heureuse, op. cit., p. 22
15
relation privilégiée que nous avions avec la nature. La vie moderne, comme on l’appelle, s’est traduite par une émancipation de l’homme envers son essence, la Terre. Le progrès, la productivité, et la rentabilité sont devenus les mots d’ordre de notre société et il s’en est suivi le conditionnement d’un nouveau mode de vie, avec ses habitudes de consommation, l’émergence de comportements dénaturés, ainsi qu’une conscience populaire dictée par le pouvoir établi.
fig. 2
Cette conscience populaire pourrait se rapprocher de la pensée
16
marxiste sur la « conscience de classe13 », chacun doit se tenir à sa place et opérer des actions dans les limites que celle ci lui donne. Mais il s’avère que « les sociétés économiques occidentales se sont habituées à trouver normal qu’un grand nombre de leurs membres dorment dans la rue, ‘‘sans domicile fixe’’, elles en sont venues à considérer comme un fait de nature qu’un grand nombre de personnes soient privées d’emploi.14 ». Dans un tel climat d’inégalité, il devient difficile de considérer le pouvoir subjectif de chacun dans la société. Si le champ d’action se limite à celui que la classe sociale permet, ne sommes nous pas sujet à une forme moderne d’esclavage ? La servitude, engendrée par la modernité, a formaté nos consciences pour nous permettre de mieux accepter notre condition. Nous sommes asservis par l’argent et le temps. Ces deux concepts humains couplés renforcent la distanciation qui s’opère avec la nature 13
connaissance claire qu'ont les membres d'une classe sociale du statut qu'occupe leur classe dans l'échelle de la société différenciée dont elle fait partie, et les sentiments que suscite cette connaissance 14
Hervé Kempf, Fin de l’Occident, naissance du monde, Paris, éditions du Seuil, 2013, p. 97
en programmant le diktat de l’urgence et de l’immédiateté, et en perdant de vue la dimension humaine elle même. Au sommet de la société s’est détaché un groupe qui suit sa logique propre, tant au niveau du pouvoir que de son mode de vie. Cette oligarchie contrôle les grands médias de masse et s’attèle ainsi à orienter la conscience populaire pour protéger sa richesse. « Les uns possèdent des motifs de sentir que le monde est confortable, les autres n’arrivent point à s’y accoutumer. Les premiers se conforment au monde et ne voient point de raisons de le changer, ils n’aiment point les seconds qui n’acceptent pas le monde comme il va et veulent le changer.15 » Paul Nizan nous montre que c’est en suivant un schéma oppresseurs/opprimés que fonctionne notre société aujourd’hui. Il semble juste d’émettre l’hypothèse qu’une prise de conscience collective pourrait faire naître des alternatives sur le chemin de la reconquête de la mesure de l’homme.
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La compréhension de son héritage psychique, culturel, social ou encore politique, permettrait à l’individu de questionner la marche actuelle de la société. C’est dans cette remise en question que pourrait émerger « une culture commune née de la conscience nouvelle du péril écologique commun à tous.16 ». Le travail individuel de la conscience serait un premier pas pour appréhender le fossé qui existe entre le mode de vie moderne et le long terme. Dans Fin de l’Occident, naissance du monde, Hervé Kempf énonce que c’est en posant un regard éveillé sur les contradictions du modèle actuel que peut émerger la conscience qu’il porte en lui « les germes de sa propre destruction ». Avant d’acquérir cette conscience claire et distincte, l’homme doit travailler à un retour aux valeurs profondes, et en premier lieu celle d’appartenir à la Terre et plus particulièrement à une terre. Si la mondialisation a permis la découverte et le partage des cultures, elle a aussi dé-térritorialisé l’homme. Pour être présent à lui même, l’appartenance à une terre est vitale. La mobilité contemporaine des individus présente de grandes qualités dans la compréhension qu’elle permet des diversités qui
15
Paul Nizan, Les chiens de garde, Paris, [première édition : Rieder, 1932], Agone, 2012, p. 48
16
Hervé Kempf, Fin de l’Occident, naissance du monde, op. cit., p. 120
17
composent le monde, mais pouvoir être partout peut aussi signifier venir de nulle part.
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« L’humanité s’installe dans la mono-culture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat.17» Claude Lévi-Strauss18
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Nous sommes aujourd’hui les produits d’une période d’extravagance planétaire, « cette façon d’être incontestée s’est implantée au coeur de notre mode de vie, en même temps qu’elle nous divise et menace le fondement des relations que nous partageons avec l’espace construit - et, plus gravement, avec notre environnement et avec la terre.19 ». Sur le chemin d’un retour à des valeurs essentielles profondes, pourrions nous nous atteler au développement d’une première dimension de l’écologie, l’écologie mentale ? Si la pensée de chaque individu traduit une conscience des enjeux qui sont ceux de la planète, il s’agirait alors de l’amorce à toute autre écologie : politique et environnementale, dans la pensée de Guattari. La nature humaine est dotée d’une capacité 18
extraordinaire qui est celle de la conscience, n’est-il pas nécessaire de trouver les moyens de prendre entièrement possession de celle ci pour s’atteler à exprimer au monde son effort de paix envers l’environnement ?
! ! ! ! ! ! ! ! 17
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 37
18
Claude Lévi-Strauss (1908-2009), né à Bruxelles, anthropologue et ethnologue, son oeuvre qui introduit le structuralisme dans l’ethnologie, emprunte à la linguistique et cherche à atteindre les règles inconscientes qui, dans toutes les sociétés sont à la base des croyances, des coutumes et des traditions. Kevin Low, « Le dogme », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 17 19
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fig. 3
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2. prendre connaissance 20 « le problème de la conscience suppose une réforme des structures de la
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connaissance elle même 21» Edgar Morin Si l’homme a su exceller dans une ‘connaissance’ c’est bien celle
d’étudier la nature pour la comprendre, la dominer et la considérer notamment comme gisement de ressources. En s’érigeant comme être roi de la planète, il s’est construit un mode de vie qui contient les germes de sa propre destruction, tout comme « un fumeur sait très bien, qu’il creuse sa tombe, et qu’il a toutes les chances de mourir dans la douleur du cancer du poumon, fumant en pleine conscience, il ne veut pourtant pas s’arrêter.22 ». Il s’agit alors de mettre en évidence le conditionnement des esprits qui nous a rendu suicidaires et intransigeant avec la nature. Car c’est bien cette situation qui est la notre : nous sommes pleinement conscients de l’impasse dans laquelle nous mène nos conditions de vie, plus particulièrement celles des occidentaux qui tend à inspirer le reste du monde. Mais pourquoi rien ne change ? 20
!
« Il faut demander à chaque homme comment il perçoit les éléments de sa vie : son activité, son bonheur, son malheur reposent sur cette perception. Il faut ensuite savoir toujours les sources de sa perception, si elle naquit d’une expérience réelle ou d’une leçon rabâchée par quelques maitres étrangers à sa vie. Il faut demander à chacun s’il y a un accord ou un pénible écart entre les perceptions et les idées qu’il répète, et ses véritables
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épreuves du monde.23 » Paul Nizan
20
connaissance : action ou fait d'apprendre quelque chose par l'étude et/ou la pratique ; résultat de cette action ou de ce fait : compétence en quelque chose, expérience de quelque chose; connaissance / savoir acquis(e). Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/lexicographie/ connaissance 21
Edgar Morin, Science avec conscience, op. cit., p. 82
22
Jérôme Sigwalt lors de notre rencontre le 10.04.2015, compte rendu d’entretien en Annexes p.74 23
Paul Nizan, Les chiens de garde, op. cit., p. 131
Dans la lignée de la prise de conscience évoquée précédemment, il semble nécessaire de questionner notre savoir, d’en appréhender l’origine. Il ne s’agit pas de tout remettre en question mais de réussir à croiser les informations qui nous parviennent pour en tirer une connaissance claire. Pour exemple, aujourd’hui nous donnons facilement notre confiance aux médias qui traitent l’information comme ils l’entendent ou comme l’entend le pouvoir en place. Sans tomber dans la théorie du complot, la nécessité de comprendre le monde qui nous entoure doit passer par des expériences propres à chacun, et un partage des perceptions que celles ci produisent. Nous nous devons de retrouver la mesure humaine et la dimension sociale du savoir, pour porter attention au « sort du ‘‘vrai’’, qui se trouve être l’un des fondement d’une société éclairée.24 »
21
fig. 4
! Ce que Pierre Rabhi s’attèle à nous dire dans son ouvrage Vers la sobriété heureuse, c’est qu’il faut retrouver sens à la vie, réussir à comprendre ce qu’elle est et la valeur inestimable qu’elle représente. Pour que cette conscience s’affirme, il s’agit de reprendre possession de la dimension humaine fondement d’une relation équilibrée entre l’homme et la nature. Aujourd’hui nous accumulons bon nombre d’informations qui s’étendent au delà de toute frontière culturelle, ce
24
Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, op. cit., p. 44
qui nous donne le sentiment d’être citoyen du monde mais tend à nous éloigner de l’environnement proche qui nous caractérise.
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« Est il absurde d’imaginer que des citoyens moins aliénés par la télévision délaisseraient celle ci pour venir assister aux nombreux spectacles - théâtre, lectures, concerts, conférences, bateleurs, conteurs, clowns, poètes et autres agitateurs du rêve et de l’intelligence - que susciterait le nouvel état d’esprit ? 25 » Hervé Kempf
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Il s’agirait de reconsidérer notre présence au monde en comprenant notre appartenance à un territoire, à une culture, à une dimension locale unique. Ainsi c’est en prenant pleine connaissance des particularités et savoirs faire locaux que pourrait émerger la redéfinition de nos modes de vie. Philippe Madec26, après ses études et à la fin d’une période de voyage comprend alors que la théorie héritée des Modernes a échoué en un « internationalisme meurtrier » . Il explique : « On y avait confondu l’universalité et l’unité : ce qui vaudrait pour l’un 22
vaudrait pour tous27 ». Il s’agit là de dévoiler les conditions réelles de notre expérience humaine, il est question d’un choix, celui de s’affranchir de ce cadre, de ce rythme par de nouvelles habitudes de consommation, d’usage ou encore de partage. Si l’on se positionne dans le champs de l’architecture, et donc à la place de l’architecte, la connaissance évoquée serait un acte volontaire et affirmé de compréhension de l’action possible dans un contexte défini. La position prise par l’architecte tiendrait compte d’une étude approfondie du local, tant dans sa dimension physique que culturelle, propre à l’implantation d’un projet. 25
Hervé Kempf, Fin de l’occident, naissance du monde, op. cit., p. 103
26
Philippe Madec (1954), né en Bretagne, vit à Paris et Bruxelles. Formé à l'architecture au Grand-Palais à Paris (atelier Ciriani/Maroti) de 1972 à 1979, il crée son atelier en 1989. Il conduit de concert trois activités : l'écriture, l'enseignement et la pratique professionnelle de ses métiers d'architecte et d’urbaniste. Sa pratique professionnelle lui a valu de nombreuses distinctions, notamment le Global Award for Sustainable Architecture 2012, il participe à la politique générale de l'architecture et de l'urbanisme en France. 27
Philippe Madec, « Oser - l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 41
! Conscience et connaissance tendent à fonctionner de concert pour répondre à l’urgence de la crise environnementale. Par une remise en question de l’individu, de son héritage, psychique et culturel, peut renaître un intérêt pour l’en-commun. Il s’agit d’autre part de développer ces prises de conscience et de connaissance dans la dimension sociale qui caractérise l’être humain.
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23
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fig. 5
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3. une pédagogie de l’être « il ne s’agit pas simplement de ‘sauver’ la planète, mais d’apprendre à y vivre.28 » Michael Braungart
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Apprendre à vivre sur notre planète se présente comme l’urgence de notre temps. En effet les hommes héritiers de la modernité, s’avèrent avoir pris un chemin contraire aux lois de la nature, en annexant l’argent au temps, ils vivent dans une frénésie collective tournant le dos à la mesure de toute chose. Il faut alors changer de paradigme, mais comme nous le dit Paul Nizan : « une nouvelle philosophie ne triomphe pas avant que la philosophie précédente n’ait été détruite. Il faut travailler à sa dissolution.29 ». Si l’on s’en tient à ces propos nous devrions alors dans un premier temps « désapprendre les systèmes du monde dont nous avons hérité 30».
! 24
Pour engendrer un tel changement, l’éducation se présente comme essentielle dans la quête de nouvelles valeurs. Sa plus grande force réside dans l’échange qu’elle induit. Éveil du regard en société et enrichissement nécessaire à tout être pour comprendre le monde qui l ’e n t o u r e , l ’é d u c a t i o n p e u t p r e n d r e d i ff é r e n t e s f o r m e s . Malheureusement si l’on s’intéresse à la formation délivrée dans les écoles, le désenchantement peut être grand. Dans un conformisme moral, il s’agit là de semer quelques graines du vivre ensemble, de prôner ; pour le cas de la France par exemple, « les valeurs de la République », en instaurant un climat de compétition néfaste au développement et à l’accomplissement personnels.
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28
Michael Braungart & William McDonough, Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infini, Paris, Gallimard, 2011, p. 35 29 30
Paul Nizan, Les chiens de garde, op. cit., p.52
Kevin Low, « Le dogme », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p.23
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fig. 6
« Ce que le monde appelle ‘éducation’ est une machine à fabriquer des soldats de la pseudo économie, et non de futurs êtres humains accomplis, capables de penser, de critiquer, de créer, de maitriser et de gérer leurs émotions, ainsi de ce que nous appelons spiritualité ; ‘éduquer’ peut alors se résumer à déformer pour formater et rendre conforme 31» Pierre Rabhi
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Un consensus collectif sur la redéfinition des méthodes d’enseignement n’est pas évident. Pourtant si l’on s’intéresse aux pédagogies de Célestin Freinet32, de Maria Montessori33 ou encore de Rudolf Steiner34 on remarque que les réflexions sur une nouvelle forme d’éducation ont déjà fait leur preuve, prolongées aujourd’hui avec 700 écoles dites alternatives en France. Ces nouveaux lieux d’apprentissage se tournent particulièrement vers la responsabilisation de l’enfant dans une relation privilégiée avec son environnement, en effet chacune de ces écoles s’inscrit non plus dans une unité nationale mais dans une dimension locale.
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« C’est l’enfant qui va trouver par lui-même la nourriture qui lui est 26
nécessaire pour construire sa personnalité et son savoir. Avoir un lieu de vie comme support d’apprentissage, un lieu quotidien d’évolution, enrichit considérablement l’environnement où l’enfant peut trouver de quoi satisfaire ses envies de savoir et nourrir l’énergie naturelle de croissance qui est en lui. Le potentiel de l’enfant peut ainsi se développer d’une manière créative.35 » Sophie Rabhi, à propos de La ferme des enfants en Ardèche 31
Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, op. cit., p.120
32
Célestin Freinet (1896-1966), est un pédagogue français. Il insiste sur le rôle du travail et de la coopération dans l'apprentissage, ainsi que sur l'insertion de l'école dans la vie locale, y compris politique. En opposition à l’éducation traditionnelle qui exagère le rôle des connaissances et des performances intellectuelles, sa pédagogie se veut d'inspiration socialiste, naturaliste et anti-intellectualiste. 33
Maria Montessori (1870-1952), est une pédagogue et femme médecin italienne. Elle a élaboré une pédagogie qui repose sur des bases scientifiques, philosophiques et éducatives. « N'élevons pas nos enfants pour le monde d'aujourd'hui. Ce monde aura changé lorsqu'ils seront grands. Aussi doit-on en priorité aider l'enfant à cultiver ses facultés de création et d'adaptation. » 34
Rudolf Steiner (1861-1925), de parents autrichiens, il est philosophe, occultiste et penseur social. Sa pédagogie prend place dans des écoles associatives autonomes, elle réside dans l’articulation des enseignements intellectuels et de l'exercice d'activités artistiques et manuelles. « Pour connaître la nature de l’homme en devenir, il faut avant tout se fonder sur l’observation de la nature cachée de l’être humain » (L’éducation de l’enfant à la lumière de la science spirituelle, 1907) 35
https://www.colibris-lemouvement.org/
De cette importance de laisser naître une cohérence intérieure en chaque être, une autre réflexion tend à considérer l’architecte comme potentiel concepteur de protocoles institutionnels alternatifs. La formation en architecture, ne dérogeant pas à la nécessité d’une redéfinition de l’enseignement, pourrait-elle envisager de se diriger vers plus de cohésion avec le monde d’aujourd’hui et vers plus d’adaptabilité avec le monde de demain ? Le travail du Rural Studio36 vise un apprentissage à partir de l’architecture locale, les étudiants sont immergés et appréhendent les particularités climatiques ou encore culturelles de leur terrain d’étude. Confronté à la réalité, l’atelier vit au milieu de ses propres projets, il observe ainsi de quelle manière ils se comportent dans l’environnement. « Par la pratique, les louanges et les critiques, les étudiants tirent les leçons de leurs erreurs comme de leurs succès.37 » Œuvres architecturales et sociales, les projets de l’atelier naissent de manière concrète, durable et sont le plus souvent à destination des mal-logés. La dimension humaine permet dans le cadre de ce programme d’enseignement de retrouver des valeurs essentielles à la vie en communauté.
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27
Formés pour bâtir le monde, les architectes sont-ils en mesure d’initier de nouvelles pratiques ? un dialogue avec les citoyens ? Peuvent-ils créer des espaces qui laissent place à la pédagogie et à une réflexion en constante évolution ? Le Rural Studio nous montre un bel exemple de savoir-être. Il semble nécessaire de s’intéresser alors à la complexité à laquelle se confronte les initiatives.
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36
Le Rural Studio est un programme de premier cycle de l’École d’Architecture de l’université de Auburn (Alabama, États-Unis) 37
Andrew Freear & Elena Barthel, « Concevoir et construire dans le comté de Hale, Alabama (USA) », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 25
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fig. 7
II. Un caractère systémique
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« le système n’est pas un maître mot pour la totalité ; c’est un mot racine pour la complexité.38 » Edgar Morin
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L’unité individu s’inscrit dans un tout plus grand, caractérisé par la diversité de ce qui le compose. Nous ne sommes pas seuls sur Terre, d’autres unités vivantes nous entourent et se définissent au sein d’écosystèmes. Ces ensembles sont influencés par un milieu, dans lequel ils évoluent suivant un schéma cyclique. « L’arbre parvient à fabriquer des fleurs en abondance sans épuiser son environnement. Une fois tombées par terre, leurs matériaux se décomposent et se transforment en nutriments qui alimentent des micro-organismes, des insectes, des plantes, des animaux et le sol.39 » Pour comprendre les répercussions que le modèle de vie occidental, qui suit un schéma linéaire, engendre sur les différents écosystèmes, il faut étudier sa position au sein du tout, la planète.
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1. échelles
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Lorsqu’on parle d’écosystème, il faut être en mesure de définir ses limites. En tant qu’association de différentes espèces vivantes dans un environnement donné, le système naturel en place diffère en fonction du milieu. La particularité de l’espèce humaine est d’avoir su s’adapter à tous les milieux. L’homme compte près de 7 320 000 000 d’individus répartis sur l’ensemble de la planète. Il est donc en relation ou du moins à proximité de nombreux écosystèmes, d’autant plus que son mode de vie influe sur toutes les autres espèces vivantes. En effet les techniques développées par l’homme l’amènent à produire chaque jour plus de dioxyde de carbone et de déchets non assimilables par la planète.
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38 39
Edgar Morin, Science avec conscience, op. cit., p.187
Michael Braungart & William McDonough, Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infini, Paris, Gallimard, 2011, p. 103
« Ce qu’on prend à l’environnement et les déchets qu’on lui rejette sont supportables et assimilables par la nature jusqu’à une certaine limite, au delà, la Terre ne peut plus se régénérer, ne peut plus assimiler les déchets et se dégrade de manière de plus en plus dramatique et irréversible.40 » Jérôme Sigwalt
fig. 8
L’homme est donc devenu une force géologique à l’échelle de la 30
planète, ce qui définit l’ère de l’Anthropocène. L’espèce humaine s’est répandue aux quatre coins du monde et met plus que jamais en péril les autres espèces. Sa caractéristique est d’avoir su développer des techniques, qui lui permettent d’augmenter son confort de vie, ou attise un peu plus chaque jour ses besoins de l’avoir au détriment des valeurs de la vie. La vie en société propre à l’être humain se compose de structures qui conditionnent à différentes échelles des systèmes sociaux. La complexité engendrée par la mise en place de ces structures empêche la remise en question des pratiques de l’homme. Comme nous l’avons évoqué avec Jérôme Sigwalt lors de notre entretien « la prise de conscience collective initiée par le protocole de Kyoto qui a abouti à la conviction générale et ultra majoritaire de l’ensemble de l’humanité des nouvelles orientations qu’elle devait prendre impérativement (…) a été complètement balayée sur l’autel de la croissance (…) ‘Bon on arrête les conneries, les trucs d’écolo, de babas, c’est bien gentil mais c’est pas en voilier que vous allez partir au Bahamas passer vos vacances, et vous n’allez pas 40
Jérôme Sigwalt lors de notre rencontre le 10.04.2015, compte rendu d’entretien en Annexes p.74
aller au boulot à cheval ni vous éclairer à la bougie, on est bien d’accord ? ce n’est pas ça que vous voulez ? On oublie tout, continuons à monter notre empire.’
41
» L’égocentrisme qu’illustre cette situation est alarmant.
L’homme est donc conscient d’accélérer l’impasse planétaire mais ne peut se refuser le confort qu’il a pu connaitre auparavant. Nous pouvons dire qu’il y a une aspiration au changement mais qu’il manque une impulsion majoritaire pour la porter, l’étalement humain et l’inégalité planétaire ne sont pas là pour améliorer la situation. L’homme doit gouverner ses actions en étant conscient qu’il est la partie prenante de l’écosystème terrestre. « Il n’y aura pas une révolution formelle, mais une métamorphose de l’intérieur basée sur un changement radical des modes de vie. Chaque action, quelque soit l’échelle où elle est menée, participe à une refondation des lieux et des sociétés où elle se déroule. Mais de quelle refondation s’agit-il ? Nous visons la refondation, ressentie, incorporée, pour rétablir l’estime entre un territoire, ses habitants et ses aménageurs. Elle passe par de nouvelles interprétations du territoire, de nouvelles manières d’y intervenir. Il ne suffira pas d’amender notre monde pour sortir de la situation actuelle. Il faudra cheminer vers une autre relation au monde, avec un peu plus de lenteur. La question de la puissance s’y rejouera, sera d’abord la puissance collective des citoyens avant d’être de watts, de joules ou de lumens.42 » Une action franche des architectes est bien sous entendue par Philippe Madec. Si chacun d’entre eux prend position de manière à reconnecter le citoyen à son territoire, aux valeurs essentielles de la vie, il s’agirait peut être de l’impulsion nécessaire à une propagation de bienveillance envers la planète.
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L’inégalité mondiale et la nature humaine soulèvent une problématique. Comment demander à chaque homme de redéfinir son mode de vie vers plus de modération alors que beaucoup ont connu, connaissent ou rêvent un confort de vie ? 41
Jérôme Sigwalt lors de notre rencontre le 10.04.2015, compte rendu d’entretien en Annexes p.73 42
Philippe Madec, « Ralentir la ville », conférence commune avec la philosophe Chris Younès, donnée à La Sucrière, à Lyon le 26 mai 2010, à l’occasion du cycle « Lyon 2100 » dans le cadre de l’exposition des travaux de Luc Schuiten « Les villes végétales ». http://www.philippemadec.eu/
31
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2. culture(s) « l’acculturation commence par la négation des particularismes qui donnaient à chaque groupe humain une identité, une spécificité 43»
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Pierre Rabhi Par ler d ’ inscription dans un territoire induit une
compréhension du contexte et une démarche de stratégie du disponible. C’est dans la spécificité d’un environnement que réside les modalités d’action de la conscience mondialisé. Retrouver la mesure de l’homme, c’est aussi revenir à une relation bienveillante avec la Terre nourricière, et surtout avec le local. Vivre ou s’installer quelque part devrait être un acte mené par l’envie de participer au développement de ce territoire qui devient un écosystème à part entière. Il s’agit alors de parler de culture dans toutes ses dimensions épistémologiques. La culture comprise comme mise en valeur d'une terre à des fins nourricière, comme l’ensemble de connaissances et de valeurs qui éclairent l’homme à lui même ou encore comme un savoir étendu et fécondé par 32
l’expérience à une époque et dans un lieu donné 44.
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Si l’on considère une conscience collective des enjeux que les crises environnementale, démographique et économique induisent, la volonté de chacun de rediriger le monde dans un développement soutenable pour la planète ne pourrait être initiée que dans un acte spontané de modération. « Nous appartenons à la Terre » nous rappelle Pierre Rabhi, et c’est bien cela qui doit revenir à notre esprit. Car aujourd’hui nous détruisons chaque jour un peu plus le merveilleux système fondement de la vie. « La fragilité de la Terre est notre propre fragilité. Sa finitude est la notre.45 »
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43
Pierre Rabhi, Conscience et environnement, Éditions du Relié, 2013, p. 46
44
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/culture Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales 45
Philippe Madec, « Oser - l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 39
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fig. 9
Ré-apprendre à vivre consisterait avant tout à appartenir à une terre. Redécouvrir ce que nous offre une région, en ressource, en paysage, en savoir faire et en culture. Renoncer aux mythes fondateurs de la modernité et de la mondialisation pour se recentrer et protéger le patrimoine culturel qui s’inscrit dans des valeurs profondes vers un renouvellement de la relation entre l’homme et son environnement, réaffirmer les identités des peuples pour qu’ils se sentent enfin acteurs du monde. Les cultures locales aujourd’hui sont souvent reléguées à un statut touristique, qu’il s’agisse de destination lointaine ou non. Un touriste lambda visitant une ville lambda en connait peut être plus sur l’histoire locale qu’un habitant. Nous avons sous nos yeux un patrimoine important qui contient en lui l’amorce d’une redéfinition de nos pratiques et mode de vie. « Engager des artisans locaux qui apprendraient aux jeunes à se servir des matériaux et des techniques locales encouragerait des liens inter-générationnels.
46 »
Pour renouer avec son
identité, la remise en question de l’individu n’est certainement pas suffisante, l’architecte peut il être le médiateur entre le citoyen et sa localité ? 34
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Comme nous le dit Aliki-Myrto Perysinaki47, « l’appropriation du développement durable consiste à approfondir une démarche complexe qui dépasse les exigences du programme demandé et parvient à adopter une posture critique. Le projet d’architecture cesse ainsi d’être un objet posé sur le site ou additionné au territoire, il devient élément de l’anatomie du site dans lequel il est créé en contribuant à la structuration de l’identité d’un territoire.48 » L’histoire de l’architecture nous a montré combien elle pouvait être l’expression d’une culture, d’une région, d’un pays. Pour palier à l’uniformisation et la standardisation engendrées par la modernité, un retour à une architecture qualitative et représentative d’une identité semble être un médium intéressant. 46
Michael Braungart & William McDonough, Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infini, Paris, Gallimard, 2011, p. 163 47
Aliki-Myrto Perysinaki a écrit une thèse sous la direction de Yann Nussaume et Jana Revedin : Évolution du processus de création en architecture face aux impératifs du développement durable : vers une théorie du process pour des temps écosophiques, soutenance en juillet 2014 48
Aliki-Myrto Perysinaki, « Postface » dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Réenchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 150
L’architecte, dans une démarche écologique (appréhendant la relation des êtres vivant avec leur environnement), pourrait alors initié une redéfinition de sa pratique. Mais son action est liée à une dimension encore trop peu développée : l’écologie politique.
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« Nous avons besoin de politiques établissant les paramètres indispensables à une ‘Écopolis’ : un espace écosophique (Guattari) et régénératif, qui assure le rétablissement de l’autosuffisance. Ces politiques doivent désormais avec les structures et infrastructures existantes, densifier, renouveler et améliorer nos espaces urbains. Elles doivent transformer le métabolisme de nos villes actuelles, consommatrices de ressources et créatrices de déchets, en un métabolisme circulaire qui réduise consommation et pollution via le recyclage et le renouvellement. Qu’importe si la société consumériste ironise : notre mode de vie est appelé à adopter bientôt des valeurs et comportements plus durables, une simplicité intelligente, et une culture pluraliste du partage 49 »
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Jana Revedin
Jana Revedin, « La ville radicante : une morphologie en oeuvre ouverte pour la ville durable », dans dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 74
35
3. interactions
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« un organisme n’est pas constitué par les cellules, mais par les actions qui
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s’établissent entre ces cellules.50 » Edgar Morin Quand on parle de contexte, il y a diverses dimensions qui
entrent en jeu et qui rejoignent par ailleurs les 3 écologies de Guattari : mentale, environnementale et politique. Comme nous le dit Edgar Morin il n’est pas question d’en faire une simple énumération mais d’appréhender les relations qui existent ou peuvent exister entre elles. Et c’est bien cela qui nous intéresse dans la mutation que nos sociétés doivent entreprendre pour répondre à l’urgence de l’impasse planétaire. Nous avons évoqué l’importance du local dans le renouvellement de la relation entre l’homme et son territoire, et il s’avère que ces actions contextualisées doivent fonctionner de concert avec une réflexion plus large : Penser Global, Agir Local. Toute durabilité est locale avant de de devenir globale. Il s’agirait alors de comprendre les diversités dans leur ensemble, celles ci concourant vers une cohésion collective sur 36
notre avenir à tous.
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Jana Revedin évoque une théorie qui intéresse notre sujet d’étude : la catalyse urbaine. « Une seule intervention initiale et potentiellement minuscule, un élément de la cité laboratoire qui donne forme à son contexte suffit à provoquer une réaction en chaine 51». Ainsi toute action à quelque échelle que ce soit pourrait permettre par le biais d’interactions un développement non plus hiérarchique mais horizontal dans lequel chaque élément peut en influencer tout autre. L’étude du process rhizomique fut développé dans les théories philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur collaboration de deux volumes Capitalisme et schizophrénie52.
50
Edgar Morin, Science avec conscience, op. cit., p.179
51
Jana Revedin, « La ville radicante : une morphologie en oeuvre ouverte pour la ville durable », dans dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 80 52
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie : l’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972 et Capitalisme et schizophrénie : Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980
fig. 10
Le rhizome53 n’est autre qu’un processus naturel de développement et comme l’indique le manifeste Cradle to Cradle : « nous pouvons nous sentir tout petits devant la complexité et l’intelligence des activités de la nature, mais nous pouvons également nous inspirer d’elles.54 » Et la première chose qui caractérise la nature c’est bien sur la diversité, et celle ci ne s’oppose pas aux interactions bien au contraire elle ne fait qu’enrichir et qualifier le tout qu’elle produit. « La métaphore de la tapisserie est souvent utilisée pour décrire la diversité : un réseau de belle facture, composé d’espèces particulières tissées ensemble par des tâches communes. Dans un tel cadre, la diversité signifie force, et la monoculture, faiblesse. Retirez les fils les uns après les autres et vous déstabilisez l’écosystème, qui devient alors moins capable de résister aux catastrophes naturelles et aux maladies, de rester sain et de perdurer dans le temps. Plus il y a de diversité, plus de fonctions productives - pour l’écosystème et pour la planète - sont remplies. 55»
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53
rhizome : tige souterraine vivace plus ou moins allongée, ramifiée ou non, pourvue de feuilles réduites à l'état de très petites écailles, émettant chaque année des racines adventives et un bourgeon apical qui donne naissance à une tige aérienne, légèrement enfouie dans le sol dans lequel elle pousse horizontalement ou affleurant la surface Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/rhizome 54
Michael Braungart & William McDonough, Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infini, op. cit., p. 112 55
idem, p. 160
37
Contrer l’uniformisation des cultures, redonner sens aux identités, réconcilier l’homme avec son territoire tels peuvent être les nouvelles dimensions du rôle de l’architecte au sein de nos sociétés. Et il semble qu’une solution se trouve dans l’échange des perceptions et interprétations que chaque acteur peut avoir de son environnement et du monde. Si l’on s’intéresse au principe de l’oeuvre ouverte d’Umberto Eco56, l’importance d’un projet quel qu’il soit est de stimuler et solliciter une collaboration pour trouver un sens dans le temps, que le projet applique une durabilité exemplaire : l’en-commun partagé.
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« La possibilité d’inviter des spécialistes dans tous les domaines requis garantit à la communauté ‘le meilleur conseil possible’, tout en facilitant une belle ‘oeuvre ouverte’ impliquant les citoyens, les spécialistes locaux et
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l’architecte compagnon extérieur avec son équipe.57 » Jana Revedin Si l’on se tient à la définition de Nicolas Bourriaud58, « être
radicant signifie mettre ses racines en mouvement, les placer dans des contextes et formats hétérogènes, traduire des idées, transcoder des images, 38
transplanter des comportements, échanger plutôt qu’imposer », l’architecture qui est au coeur de l’établissement humain, de la structure spatiale des sociétés pourrait-elle, suivant le schéma du rhizome, initier la transition vers de nouvelles pratiques en société ?
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56
Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, Paris, Éditions du Seuil, 1965
57
Jana Revedin, « La ville radicante : une morphologie en oeuvre ouverte pour la ville durable », dans dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 85 58
Nicolas Bourriaud, Radicant : pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2009
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fig. 11
III. Vers une architecture de l’éthique
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« le paradigme systémique nous demande de maitriser, non la nature, mais la maitrise, ce qui nous ouvre des formes d’actions comportant nécessairement la conscience de soi et le contrôle de soi (…) un tel principe débouche sur une pratique à la fois responsable, libérale, libertaire, communautaire, elle débouche aussi sur la redécouverte du problème de la sagesse. La recherche de cette sagesse est dans ce sens, la recherche pour surmonter la cassure qui s’est opérée en Occident entre l’univers de la méditation et celui de la pratique sociale. 59» Edgar Morin Selon son étymologie, ethos, qui signifie « manière d’être », l’éthique se distingue de la morale ou de toute pensée moralisatrice. Dans la relation à autrui et au monde, elle s’apparente à la responsabilité. Les questions contemporaines soulevées par les différentes crises de notre temps réintroduisent l’éthique dans les débats. Il s’agit de confronter cette notion au champ de l’architecture, et de tenter d’exprimer vers quelle pratique peut se diriger cette discipline.
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41
1. la notion de responsabilité
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La responsabilité engage toute personne à assumer les conséquences de ses actes, les conséquences de son pouvoir, mais surtout elle est « une notion humaniste éthique qui n’a de sens que pour un sujet conscient.60 » Répondre de ses actes, de ses intentions est indissociable du travail de l’architecte. Bâtir l’environnement de nos sociétés engage une responsabilité juridique mais aussi éthique. Cette dernière notion demeure peu explicite dans les débats de la discipline, même si elle est inhérente à beaucoup de sujets. Il est question de savoir comment appréhender la responsabilité de l’architecte dans sa dimension sociale, pour cela il s’agit d’interroger la discipline sur le rapport entre ses « oeuvres » et la société. Et c’est leur légitimité qui demeure d’autant plus une interrogation. Dans le climat politique en 59
Edgar Morin, Science avec conscience, op. cit., p.189
60
idem, p.77
place qui prend le système capitaliste comme référence incontestable, il semble intéressant de se demander si malgré des intentions bienveillantes l’architecte est en mesure d’être éthiquement responsable.
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« Bienveillance tant esthétique qu’éthique, tant pratique que plastique. La différence entre bâtiment et architecture est là, dans l’attention amoureuse qui préside à l’acte de concevoir pour l’autre. 61 » Philippe Madec Mais aujourd’hui la notion de responsabilité prend une dimension toute autre que la relation de l’homme à autrui, elle l’engage désormais vis à vis de la totalité de la communauté humaine. L’architecte se positionne alors comme le garant de la sauvegarde du monde physique et doit assumer une valeur éthique dans le rapport entre actions humaines et nature. Véhiculer une intelligibilité de l’art d’habiter la Terre, telle devrait être sa mission. Entre alors en jeu la question du rapport entre architecte et destinataire/usager. Comment
42
fig. 12 61
Philippe Madec, « Oser - l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 40
rendre adéquat le projet avec les attentes et pratiques du destinataire d’une part et avec la responsabilité de renouveler la relation de l’homme à son territoire ? Nous revenons à une question fondamentale : comment une oeuvre de commande peut entrer en cohérence avec les enjeux globaux de la planète ?
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« Quand vous arrivez avec une vraie démarche environnementale, qui sort complètement du cadre, du processus (…) ça ne colle pas ! Ce schéma n’est pas du tout compatible à cette profession de foi, que l’on aimerait pourtant bien suivre, et faire suivre un jour à un maitre d’ouvrage. Mais tant qu’ils ne sont pas demandeurs d’une vraie démarche de fond, s’ils ne se tournent pas réellement vers l’économie de matière, de ressources, d’énergie grise, on a pas assez de pouvoir, même pas de pouvoir de conviction…62 » Jérôme Sigwalt
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Au regard de la relation entre maitrise d’ouvrage et maitrise d’oeuvre, qui entre dans le complexus des restrictions et normes politiques en vigueur, il semble compliqué d’imaginer des conditions alternatives pour la pérennité du bien commun. Règles de conception, de fonctionnement, d’usages s’inscrivent dans une séquence qui peut rapidement figer l’exercice de la profession. Mais toutes ces règles amènent parfois à des oeuvres ‘hors d’usage’ altérant ainsi toute pérennité. Parler d’un « retour de l’éthique » devrait s’appliquer à toutes les dimensions constituantes de nos sociétés pour prétendre être enfin une affirmation globale. Pour être une profession responsable en tout point l’architecture se doit de trouver le chemin de la véritable éthique pour gagner en respectabilité. Renouer les usagers et leurs environnement bâti, encourager l’engagement citoyen dans la phase de projet constituent des pistes de recherche. La responsabilité de l’architecte ne devrait-elle pas l’amener à être porteur d’une nouvelle synthèse ? Pourrait-il entreprendre légitimement de remettre en question le cadre de sa discipline ?
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62
Jérôme Sigwalt lors de notre rencontre le 10.04.2015, compte rendu d’entretien en Annexe p.66
43
! ! ! « la complexité avance une vision selon laquelle le durable ne peut être universel que dans sa démarche et son engagement politiques. En ce sens, la mutation qui s’opère actuellement autour de la réflexion conceptuelle sur l’architecture introduit une nouvelle responsabilité non seulement des architectes, mais aussi celle des habitants du monde.63 »
44
!! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !! 63
Aliki-Myrto Perysinaki
Aliki-Myrto Perysinaki, « Postface » dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Réenchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 151
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2. la redéfinition du rôle de l’architecte Le milieu de l’architecture est bien vivant et stimule encore et
toujours les innovations. La discipline est pourtant souvent réduite à la seule pratique des architectes ce qui la discrédite auprès des citoyens, et il y a parfois un fossé énorme entre les intentions architecturales et la réalité sociale d’un projet. L’architecte est le plus souvent incompris, faute d’avoir confondu communication et relation. D’un autre côté il est de plus en plus considéré comme « vague emballeur de mètres carrés, amené à faire du packaging64 » Cette situation héritée des mutations politico-sociales des dernières décennies et de la période du modernisme qui a éloigné l’homme de son essence, la Terre, nous amène aujourd’hui à trouver une profession en quête d’un renouveau.
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« la citoyenneté comme acte créatif vaut redéfinition du citoyen-architecte et de l’architecte-citoyen. Celle ci n’est plus seulement fonction d’une identité professionnelle, mais davantage de construire un plan d’action, une volonté politique de créer de nouvelles interfaces essentielles à travers des populations, des juridictions et des institutions divisées. Nous sommes partie prenante dans la médiation entre le débat public et le débat du public : comment
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construire une nouvelle imagination citoyenne ? 65» Teddy Cruz Au travers des propos de Teddy Cruz66, l’architecte devrait
engager toute la puissance de son savoir au côté de l’homme. La reconsidération de la pratique doit être initiée par le rapprochement entre les hommes, entre l’architecte et le citoyen, pour prendre la mesure de l’avenir commun. Philippe Madec nous l’exprime avec 64
Jérôme Sigwalt lors de notre rencontre le 10.04.2015, compte rendu d’entretien en Annexe p.69 65
Teddy Cruz, « San Diego / Tijuana : un urbanisme au-delà de la limite de propriété », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 126 66
Teddy Cruz, né au Guatemala, il fonde son agence en 1991 à San Diego. Professeur et chercheur à l’Université de Californie, il s’est consacré à l’analyse d’un territoire : la frontiere Mexique/USA, entre Tijuana et San Diego, qui est pour lui un site clé du conflit urbain global. Il cherche à travers ses études de s’approprier du conflit comme catalyseur des pratiques architecturales, urbaines et artistiques.
45
clarté : « « Mon métier sert à associer un peu d’humanité à un peu de matière. 67» Comme nous l’avons vu précédemment la responsabilité est une notion humaniste, le décalage entre la pratique architecturale et la réalité sociale ne peut plus durer. La question du relationnel semble être la clé d’une mutation bienveillante de la profession plus en phase avec le monde en marche.
!« Nous devrions nous réunir et construire, d’une façon honnête et collective, des projets rapides et astucieux à petite échelle avec des qualités condensées. Notre action commune devrait davantage ressembler au jardin d’enfants qu’à l’université pour apprendre plus vite et apprendre pour la vie. Car ce qui compte c’est que notre profession a quelque chose à apporter à la société, des compétences qui nous appartiennent en propre. Nous devrions bâtir notre carrière sur un socle fait de pratique sur le terrain, de connaissance et de compréhension des matériaux et de leur volonté, et devenir des maitres d’oeuvre. D’une façon plus générale, nous devons trouver une nouvelle forme pour notre civilisation, une forme capable de mieux répondre à un monde en marche. (…) Quand nous nous entourerons d’une architecture pleine d’espoir, 46
nous réussirons non seulement à structurer le vide autour de nous mais aussi à promouvoir activement le changement vers un équilibre entre l’homme et la nature. Autrement dit nous serons à même de survivre.68 » Sami Rintala et Dagur Eggertsson
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D’autre part, il semble important d’agir pour minimiser la capacité de nuisance de l’architecture. Dans un monde déjà métamorphosé par l’action de l’homme, la redéfinition de la profession d’architecte ne peut être dissocier de l’absence actuelle de remise en question des grands projets neufs alors que le tissu existant qui représente plus de 99% de l’environnement bâti est en phase de devenir inadapté. On ne peut continuer à construire sans commencer par réparer ce qui devient peu à peu « hors d’usage ». L’étalement et la 67
Philippe Madec, « Oser - l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 39 68
Sami Rintala & Dagur Eggertsson, « Architecture - la ressource habitée », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 91
47
fig. 13
diffusion du tissu urbain, hérités des pratiques modernistes, devrait disparaitre des logiques de développement. Un intérêt nouveau pour le patrimoine bâti, qu’il soit ancien ou plus récent doit naître de cette période transition. Le travail de l’architecte devrait se rediriger dans l’étude des possibles devenirs de ce qui est déjà là et non plus une performance conceptuelle.
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La ville de demain n’est elle pas celle qui, dans un élan collectif, tente de tirer les leçons de son passé interrogeant ses pratiques actuelles et prospectant vers un mode de vie alternatif à son modèle destructeur ? Les architectes sont-ils en mesure d’amorcer une transition sociale qui s’émanciperait jusqu’à un consensus bienveillant pour la planète ? Par quels moyens peuvent-ils faire naître une cohésion collective pour demain ?
!
! !
3. le projet comme médium Sur la base d’un travail suivant un mode plus horizontal et
démocratique, il s’agit de questionner la dimension que peut prendre le projet d’architecture. En s’adressant à la société qu’il veut contribuer à développer, l’architecte doit prendre en considération le paysage en transition dont il est partie prenante de part sa discipline. L’expérience que nous avons au monde est caractéristique de notre manière de le percevoir, de l’appréhender. Si aujourd’hui le projet d’architecture entre dans une expérience collective et évolutive, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il soit plus en mesure de répondre à la métamorphose incessante de nos sociétés. Ce que Umberto Eco nous propose avec « l’oeuvre ouverte », sollicitant la collaboration et l’interprétation de chacun dans l’évolution d’une oeuvre qui devient alors collective, tend à correspondre à l’enjeux d’un renouvellement des mentalités et pratiques. On ne cesse de l’entendre : l’homme est un animal social et ce qui le caractérise n’est autre que la vie en communauté et les relations que 48
celles ci engendrent. Dans un monde aujourd’hui extrêmement connecté, la communication a remplacé la relation. Les avancées technologiques ont réussit à rapprocher des habitants du bout du monde mais dans un paradoxe contemporain ont finalement mis à distance les voisins. Comme nous avons pu le voir la mesure de l’homme a été balayée ces dernières décennies par l’incommensurable en tout point.
!
Si l’intérêt de cette étude porte sur le rôle de l’architecture, c’est bien parce qu’elle est par nature : établissement et protection des individus, qu’elle s’inscrit dans une étude des attentes et besoins humains dans la relation des êtres à leur environnement. Malheureusement elle n’a pas été épargnée par la vague de mondialisation et en ressort aujourd’hui discréditée auprès de son destinataire, le citoyen. Sa force réside dans les différentes étapes qui donne lieu au projet. Approche d’un site, compréhension des attentes, étude des possibles et des enjeux, représentation des perceptions et intuitions, engagement du processus de conception, rencontre avec les
acteurs locaux, construction, la liste peut être longue si l’on énumère chacune des phases qui conditionnent un projet. Ce qui semble important à la fois dans le renouvellement de la relation entre l’homme et son territoire ainsi qu’entre l’architecte et le citoyen, c’est que chaque phase du projet peut donner lieu à une collaboration, une concertation, un échange.
!
« Quand on discute d’un projet avec les usagers, les maitres d’ouvrage et les élus, quand on parle au sein de l’équipe de maitrise d’oeuvre élargie, quand on partage les raisons des décisions, quand les arguments du projet se construisent dans ces allers-retours entre chacun, alors c’est le projet qui fait autorité : il représente aux yeux de tous l’expression d’un accord, de leur accord 69» Philippe Madec
!
Le travail de remise en question de l’individu évoqué en première partie de l’étude pourrait laisser naitre une réelle motivation écopolitique d’une transformation collective de notre environnement bâti. Pour plus de cohésion le projet devrait alors se situer à la rencontre des différents acteurs, des citoyens, de l’architecte et du contexte pour qu’il devienne non plus un objet fini mais une oeuvre collective en devenir. De la volonté de modifier nos habitudes, le projet pourrait devenir un médium intéressant, à la croisée des pensées, volontés, perceptions de chacun, faisant naitre une intelligence collective, l’oeuvre architecturale devenant non plus celle d’un architecte mais celle de chaque intervenant. Si les futurs usagers prennent part à la conception, il est logique d’imaginer qu’ils soient plus concerner. La discussion produite par la rencontre autour d’un projet permettrait l’échange de connaissances nécessaire à la bonne compréhension des choix et enjeux. Un tel schéma pourrait établir « un lien émotionnel entre le public, ses responsabilités présentes et futures, et l’endroit 70» et surtout le souvenir d’un projet mené de concert encourageant l’amour du lieu. 69
Philippe Madec, « Oser - l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures », dans MarieHélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 45 70
Shlomo Aronson Architects, « Une architecture réactive pour un avenir dynamique », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 103
49
! « Le concepteur doit maintenir un équilibre délicat entre réagir et guider, entre satisfaire les besoins et les désirs des clients, tout en soutenant une démarche pédagogique vers des changements progressifs.71 » Shlomo Aronson Architects Inscrire le projet dans le local tout en pensant à son impact global, tel est l’enjeu de notre temps et s’il est un succès en son lieu, nous pouvons imaginer que ce schéma de concertation se répande. C’est la théorie de la morphologie radicante de Jana Revedin qui est en mesure de nous éclairer sur ce sujet. En exprimant le concept de ‘catalyse urbaine’, il s’agit là d’imaginer qu’un projet prenant racine et développant sa pérennité en un lieu donné puisse inspirer un autre lieu et y faire naître un nouveau projet et ainsi de suite. La conception collective pouvant susciter l’engagement citoyen pourrait donner progressivement naissance à un engouement planétaire. La réaction affective suscite l’imagination et la responsabilité des usagers vis à vis d’une oeuvre. 50
! ! 71
fig. 14
Shlomo Aronson Architects, « Une architecture réactive pour un avenir dynamique », dans Marie-Hélène Contal (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, op. cit., p. 102
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CONCLUSION
La démarche transversale mise en place lors de ce travail de recherche a permis de confronter différentes pensées pour tenter d’appréhender les enjeux de la transition en marche, plus particulièrement du rôle de l’architecte dans nos sociétés.
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A l’heure du deuil du modernisme, il a été question de poser un regard sur les caractéristiques de l’individu héritier d’un mode de vie destructeur pour la planète. Cette première étude nous a montré que la première mutation à engendrer était une révolution intérieure de l’être humain lui même. Il en ressort que sa perception du monde ainsi que ses pratiques en société devrait entamer un processus de remise en question. C’est dans un système complexe planétaire que s’inscrit l’individu citoyen. La portée des actions de chacun entrent en relation avec les diverses dimensions qui composent l’environnement global qu’est la Terre.
!
L’architecture se présente comme une discipline dépositaire du devoir de paix que l’homme doit exprimer envers l’environnement. L’architecte de part sa discipline et sa position dans la société peut initier de nouvelles pratiques du projet, plus collectives. Les conditions de cette redéfinition sont éminemment liées aux différents corps qui interagissent avec la profession. L’impulsion que peut donner l’architecte vers une mutation progressive de nos modes de vie réside dans la conception du projet. Celle ci doit être en mesure de faire naître des collaborations et concertations pour renforcer la pérennité des ouvrages physiquement mais aussi mentalement. Par une réconciliation avec les citoyens, les germes d’un consensus collectif peuvent fleurir au quatre coins du monde.
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53
L’Écosophie appliquée à l’ensemble de la planète est un objectif ambitieux, qui rencontrera sur son chemin de nombreux obstacles. L’étude menée lors de cette initiation à la recherche, m’a permis d’appréhender la complexité de notre temps au travers du rêve d’un monde en phase avec la nature. La retransmission de ces découvertes a été un véritable exercice périlleux au vu de l’engouement personnel qui m’a habité tout au long de cette recherche. La volonté première de trouver un sens aux études d’architectures qui dirigent ma vie aujourd’hui s’en est trouvé clarifiée en de nombreux points.
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L’architecture est une discipline avant tout sociale. En cela il est certain que l’architecte comme tout citoyen est garant d’une mission responsable à mener envers autrui et envers la planète.
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Les nouvelles pratiques en architecture sont en clin d’éveiller un intérêt grandissant pour l’avenir des sociétés et territoires du monde. Il est urgent de se demander si les architectes d’aujourd’hui vont réagir, et surtout quelles seront les réponses de la nouvelle génération. 54
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fig. 15
MÉDIAGRAPHIE
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Livres
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. Contal, Marie-Hélène, Ré-enchanter le monde : l’architecture et la ville face aux grandes transitions, Paris, Gallimard, 2014
!
. Contal, Marie-Hélène, Revedin, Jana, Architectures durables : une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, Éditions Le Moniteur, 2009
!
. Bourriaud, Nicolas, Radicant : pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2009
!
. Braungart, Michael & McDonough, William, Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infini, Paris, Gallimard, 2011
!
. Deleuze, Gilles & Guattari, Félix, Capitalisme et schizophrénie : l’AntiŒdipe, Paris, Minuit, 1972
!
. Deleuze, Gilles & Guattari, Félix, Capitalisme et schizophrénie : Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980
! . Eco, Umberto, L’Œuvre ouverte, Paris, Éditions du Seuil, 1965 ! . Guattari, Félix, Les Trois Écologies, Paris, Galilée, 1989 !
. Haëntjens, Jean, La ville frugale : un modèle pour préparer l’après pétrole, Limoges, FYP éditions, 2011
!
. Kempf, Hervé, Fin de l’Occident, naissance du monde, Paris, éditions du Seuil, 2013
! . Lévi-Strauss, Claude, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955 ! . Morin, Edgar, Science avec conscience, Paris, Fayard, 1982 ! . Naess, Arne, Écologie, communauté et style de vie, éditions MF, 2008 !
. Nizan, Paul, Les chiens de garde, Paris, [première édition : Rieder, 1932], Agone, 2012
!
. Paquot, Thierry & Younès, Chris, Éthique, architecture, urbain, Éditions la Découverte, 2000
! . Rabhi, Pierre Conscience et environnement, Éditions du Relié, 2013 ! . Rabhi, Pierre, La Sobriété Heureuse, Arles, Actes Sud, 2010 !
57
!Articles ! !
. Afeissa, Hicham-Stéphane, « How deep is your ecology ? », Egologik, 2010(juin/juil.) n°15, pp. 25-28
!
. Deshayes, Philippe, « Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement », Innovations 2012/1 (n°37), p. 219
!
. Didelon, Valéry, « Kraftwerk, vers un nouvel âge de la coopération », Criticat n°11, avril 2013, pp. 2-12
! ! Web !
. Colibri, faire sa part https://www.colibris-lemouvement.org/
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. Le Monde http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/nous-sommesentres-dans-l-anthropocene-depuis-1950_4557141_3244.html
! 58
. Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales http://www.cnrtl.fr/lexicographie/connaissance http://www.cnrtl.fr/lexicographie/conscience http://www.cnrtl.fr/lexicographie/culture http://www.cnrtl.fr/lexicographie/rhizome
!
. Félix Guattari : Qu'est-ce que l’écosophie? par Jean-Philippe Cazier http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/210214/felixguattari-quest-ce-que-lecosophie
! !
. K-architectures http://www.k-architectures.com/
!
. La ruche qui dit oui https://laruchequiditoui.fr/fr
!
. Philippe Madec http://www.philippemadec.eu/
!
. Programme de recherche Sobriété de la MESHS http://sobrietes.meshs.fr/
! ! ! !
! !Vidéos !
. Balbastre, Gilles & Kergoat, Yannick, Les nouveaux chiens de garde, documentaire Epicentre Films, 2012
! . Borrel, Philippe, L’urgence de ralentir, documentaire ARTE F, 2014 !
. Rabhi, Pierre, Ma (R)évolution intérieure, Mouvement Colibri, 2015 https://www.youtube.com/watch?v=WdfDE1eGOoQ
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! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !! ! ! ! ! ANNEXES
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Compte rendu de l’entretien avec Jérôme Sigwalt co-fondateur de l’agence K-architectures avec Karine Herman
63
! « À chaque projet correspond un récit fondé sur la rencontre avec un lieu, un site, un territoire. De matière générale, notre architecture est faite d’histoires prélevées ou inventées in situ. Une fois réalisés, nous espérons que ces lieux nourrissent l’imaginaire de tout un chacun ». Karine Herman et Jérôme Sigwalt
! ! ! ! !
! Cette rencontre a eu lieu à Paris le 10.04.2015, dans les locaux de l’agence. L’entretien s’est déroulé pendant environ une heure.
Le compte-rendu qui suit constitue l’intégralité de l’entretien, la transcription a été légèrement modifiée après relecture.
! ! ! « Il y a des ondes, comment dire … marines, cela dépend, il y a des crêtes très basses et des crêtes très hautes, et c’est vrai qu’en ce moment on est 4 et on peut dire qu’on est dans le bas. »
! !
Remontons à votre formation de l’ENSA de Montpellier, vous aviez monté le groupe K-architectures avant la fin de vos études, quelle a été l’impulsion ?
!
Oui alors, on était encore étudiants et je compare ça un petit peu à la musique : vous êtes a l’école au conservatoire de musique et vous n’avez qu’une envie c’est de bosser sur des thèmes et faire vos gammes ; qu’une envie, prendre votre envol et mener vos propres créations. C’est un peu comme monter un groupe de rock, pour faire des projets ensemble, et notamment dans notre cas des concours, des 64
appels à concours d’idée. C’est ce qui nous a motivés.
! !
En avez vous remporté ? Oui pas mal, on a gagné l’Europan72 IV (1997), ça fait un petit
bout de temps déjà, on a fait du chemin depuis. On en a fait 3 / 4 comme ça, et ça marchait bien. On pense que le concours forme, on était quasiment encore tous étudiants quand on a été publié, on ne se rendait pas compte à l’époque, mais c’était exceptionnel.
! ! ! 72
Europan est un concours d’idées d’architecture et d’urbanisme suivi de réalisations lancé simultanément tous les deux ans dans une vingtaine de pays européens autour d’un thème commun et à partir de situations urbaines concrètes proposées par des collectivités. Ce concours s’adresse aux jeunes architectes, urbanistes, paysagistes, artistes, géographes, écologues… et toute discipline en lien avec la conception des territoires, de toute l’Europe géographique. http://www.europanfrance.org/
De ce groupe d’étudiant, il est resté Karine et vous, qui êtes montés à Paris pour vous lancer. Dans sa contribution au livre « You can be young and an architect »73 Karine s’exprime ainsi : ’nous sommes montés à Paris comme on va a la chasse au trésor, le matelas sur le toits comme des gitans… nous ne connaissions absolument personne’. Comment avez vous vécu votre arrivée dans la capitale ?
!
Pour enchainer avec le développement durable, je dois dire qu’on a vécu les objectifs du protocole de Kyoto, vingt ans avant tout le monde ! On vivait avec quasiment pas d’électricité, on récupérait l’eau des gouttières. A ce moment là on était deux, trois sur le papier mais le troisième était resté à Montpellier. Plus qu’une volonté venir à Paris était une réaction de survie, c’était le seul moyen d’exister. En province, on fait parti des nantis locaux, en tous cas de leur relations directes, donc pas la peine d’imaginer accéder à la commande avant une vingtaine d’année et encore. En vingt ans d’exercice j’entend.
!
Comment définiriez vous le travail de votre agence aujourd’hui ?
!
C’est un peu présomptueux de dire ça mais on a pas promu la méritocratie républicaine pur jus, on a ni l’un ni l’autre des parents qui nous ont aidé en quoi que ce soit, évidement un peu financièrement comme tous les parents mais au niveau relationnel rien. On a jamais obtenu une seule commande, même pas une salle de bain à refaire de la part de notre famille proche ou éloignée donc on s’est battu dans le cadre de ce que peut apporter la République pour mettre en valeur, d’abord dans la formation. L’école et ensuite les concours, les moyens de distinction culturelle, nationaux comme municipaux, l’Arsenal a Paris, la Cité de l’Architecture… À force de travail, on se distingue et les responsables de ces organismes donnent un coup de main, vous exposent, parlent de vous et puis vous accédez petit a petit à une certaine notoriété qui fait qu’ensuite, quand vous candidatez au marché
73
Hugues Jallon, You Can Be Young and an Architect, based on a true story of LAN Architecture, Ante Prima / AAM éditions, 2008
65
public, vous avez plus de chance d’être retenu, même si vous n’avez encore rien construit. Faire des concours permet de compenser l’absence de références qui sont pourtant indispensables. Il y a des AJAP74, que l’ont a obtenu et qui ont contribué à notre essor, même si on a ramé pendant un an à lancer des candidatures sans être retenus, au moins une centaine, au bout d’un moment ça a marché.
!
Une notion m’a interpellée dans le cadre de mon intérêt pour le développement durable, c’est la notion de frugalité ou encore de modération dans votre démarche de travail. Pouvez vous la développer ?
!
À vrai dire, c’est une profession de foi, parce que malheureusement dans le système de production de l’architecture aujourd ’hui tout est industrialisé. Toutes ces démarches environnementales, HQE etc… c’est du blabla. C’est du complet blabla ! Et quand vous arrivez avec une vraie démarche environnementale, qui sort complètement du cadre, du processus 66
production / distribution / pose / vente / consommation de produits industriels dans le bâtiment, ça ne colle pas ! Ce schéma n’est pas du tout compatible à cette profession de foi, que l’on aimerait pourtant bien suivre, et faire suivre un jour à un maitre d’ouvrage. Mais tant qu’ils ne sont pas demandeurs d’une vraie démarche de fond, s’ils ne se tournent pas réellement vers l’économie de matière, de ressources, d’énergie grise, on a pas assez de pouvoir, même pas de pouvoir de conviction… C’est que le cadre que l’on nous impose, le cadre d’exercice de la profession, tout simplement, n’est pas adapté. Mais je ne désespère pas un jour de pouvoir mettre cela en place parce que de toutes manières c’est un impératif, arrêter le massacre et la dégradation accélérée de notre environnement, de nos ressources !
! 74
Les Albums des Jeunes Architectes et des Paysagistes se présentent comme un dispositif de promotion visant à favoriser l'accès à la commande des architectes et des paysagistes de moins de trente-cinq ans. Ils illustrent ainsi la volonté du ministère de la Culture et de la Communication de soutenir ces deux professions, au sein de son action en faveur du cadre de vie. http://ajap.citechaillot.fr/
Comment se traduit votre prise de conscience personnelle du ‘devoir de paix’ envers l’environnement en tant que citoyen ? en tant qu’architecte ?
!
Cette prise de conscience je dirai qu’elle est assez culturelle. Mon père était scientifique, il était ingénieur à Grenoble et biologiste tourné vers l’étude des insectes, donc on peut dire que l’écosystème c’est quelque chose dont il avait plus que conscience. Très vite, avant même que l’écologie politique apparaisse, je l’entendais parler avec ses amis, à ses 30/40ans, il s’attelait à dénoncer les dérives de notre société postindustrielle qui était en train de déséquilibrer l’ensemble des écosystèmes. Même si on ne parlait pas de développement durable à l’époque, déjà lui et ses amis savaient que sur cette voie là, le déséquilibre atteindrait un point de non retour. C’était une sorte de prophétie, on ne pouvait pas imaginer à l’époque que ça se passerait vraiment comme ça trente ans plus tard. On était encore dans une période ou la raison l’emportait sur la cupidité, en tous cas dans la majorité des pays développés ; je ne parle pas des pays ultra-libéraux comme les États-Unis qui eux s’en foutaient depuis déjà longtemps ; mais en Europe on peut dire qu’on avait encore une attitude très raisonnée et raisonnable et que le discours de la raison l’emportait toujours, celui de la cupidité étant moralement très vite identifié et évacué.
!
Votre site internet est très généreux. Est-ce une volonté de départ pour vous de communiquer votre imaginaire du projet ? Vous utilisez beaucoup l’écriture, la construction d’un récit autour du projet, est ce que l’écriture constitue un outil dans votre démarche ?
!
C’est une intuition, je pense initiale qui est apparue à l’origine du groupe quand on était encore étudiants et spontanément pour nous l’architecture c’était avant tout un récit fait de matières et d’histoires, d’éléments piochés dans le contexte et même s’il n’y en avait pas assez on l’inventait et c’est comme ça que l’on concevait. On ne l’a pas inventé après ou découvert par la suite, c’était vraiment la ligne de
67
conception initiale du groupe et cela nous est resté, enfin en tous cas on a essayé de tenir cette ligne à tous les niveaux possibles du contexte opérationnel du métier. Parfois c’est un peu dur, surtout quand on doit intervenir dans des ZAC ou des éco-quartiers. Dans les ZAC de périphérie où la politique de la table rase a été appliquée le contexte n’a pas grand chose a nous offrir. Il nous arrive de ne pas hésiter à réinventer l’histoire du site. On s’est essayé à cette approche narrative parce qu’en concours on vous demande toujours un texte, une notice architecturale. Dans une notice habituelle, c’est une description très scolaire et très factuelle des projets, qui ne présente la plupart du temps aucune émotion et qui ne révèle absolument pas l’histoire conceptuelle du projet. Tout le monde a pris l’habitude de comprendre l’architecture par ces notices basiques et factuelles et on a essayé d’innover, on a essayé de raconter l’histoire d’une autre manière dans les jurys puis on a laissé tomber parce que, apparemment c’était très mal pris. Ils avaient l’impression que nous n’étions pas architectes.
! ! 68
!
Comment définiriez vous votre rôle au sein de la société ?
Je pense que l’architecte a un rôle central, fondamental dans la société. Il est là pour penser et bâtir l’environnement de cette société, et surtout le prolonger, le perpétuer. L’environnement a une longue histoire derrière lui, surtout pour les villes du mondes comme Paris, ou même d’autres plus petites villes de province qui ont un lourd patrimoine séculaire qu’il faut développer d’une manière sensible et fine sans les bouleverser. Il faut faire avec son temps mais il faut toujours faire cela avec délicatesse. Il y a une sorte de notion d’esthétique de la ville en général, l’architecture et la ville en particulier sont le décor de la société, c’est notre paysage, plus qu’un environnement c’est une mise en scène de la vie. Et nous avons la responsabilité en tant qu’architectes de faire notre travail avec esthétisme et sens pour amener un vrai contenu culturel patrimonial dans tout ça. L’architecture par dessus tout doit être considérée comme le premier des arts majeurs, un art assez total en fait. Notre responsabilité est immense, nous sommes investis d’une
mission très noble à laquelle il faut se consacrer avec beaucoup d’énergie et de conscience. Malheureusement on est de plus en plus seuls à la considérer comme telle. C’est une discipline qui perd beaucoup de prestige et qui est en train de reculer dans la hiérarchie des enjeux globaux de la société. On nous considère de plus en plus comme de vagues emballeurs de mètres carrés, on est amené à faire du packaging. Et c’est un peu dramatique ! On ressent nettement la baisse de qualité générale et le monde devient très laid. Les centres villes patrimoniaux sont un petit peu préservés, mais en périphérie c’est une catastrophe, j’en suis épouvanté…
! !
Dir iez vous que l’environnement conditionne le comportement des usagers ? L’architecture peut elle amener à de nouvelles pratiques ?
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Pour le coup non, je ne pense pas qu’on puisse prétendre a cela. Et tous ceux qui ont essayé de conditionner en quelque sorte le comportement social, cela n’a jamais fonctionné. Il faut vraiment beaucoup de modestie, il faut s’inscrire dans une continuité globale, sentir ce qui marche bien ce qui fonctionne de manière évidente. Les lieux ont une grâce, il faut essayer de sentir pourquoi, comment, et tenter de les perpétuer à notre manière et en toute modestie. Les architectes comme à l’époque de la charte d’Athènes75, réinventaient un coté utopique, ils voulaient réinventer la société et étaient convaincus que la société aller suivre leurs principes. C’était un échec.
! ! 75
La Chartes d’Athènes a été rédigée en 1933 à l’occasion des CIAM : congres internationaux d’architecture moderne. Ces congres ont réunis de nombreux architectes et urbanistes entre 1928 et 1956 dans Le Corbusier était l’investigateur de ces recherches. Cette charte, établie en 95 points d’un programme pour la planification et la construction des villes, porte sur des sujets comme les tours d’habitation, la séparation des zones résidentielles et les artères de transport ainsi que la préservation des quartiers historiques et autres bâtiments préexistants. le cadre de réflexions sur l’avenir des villes. http://projets-architecte-urbanisme.fr/
69
!
Pouvez vous me parler de la recherche glObalia76 ? C’est une recherche permanente, intuitive je précise, parce que
on a reçu pas mal de critiques par des chercheurs estampillés chercheurs universitaires, qui nous ont fait comprendre que ça ne pouvait pas être appelé une recherche, nous disant que la recherche c’est très sérieux, que cela doit être établit sur des faits précis, démontré, établi. Hors, nous, on est parti sur un postulat et un scénario complètement libres où il n’y aurait aucune contrainte réglementaire juridique et même constitutionnelle, puisque l’on considère que le droit de propriété est quasiment abolit, et que l’on met tout le patrimoine en commun, en bref très utopique. C’est donc une recherche permanente dans le sens où dès qu’on a un peu de temps, quand on est trop nombreux a l’agence et qu’on a 2 ou 3 semaines devant nous on reprend cette recherche libre et on la pousse un peu plus loin.
!
Dans le projet VAL de Courbevoie, on ressent une dimension pédagogique dans l’imaginaire du projet, aussi vous osez évoquer 70
l’imaginaire qu’un matériau peut transmettre. Avez vous souhaité mettre en place une discussion avec les enfants à travers ce bâtiment ? transmettre un imaginaire et des notions importantes dans le cadre urbain dans lesquels vous vous êtes implanté ?
!
Absolument, mais encore une fois en toute modestie. On s’est mis à la place des enfants. On nous a demandé un bâtiment à l’origine qui a pour principe le développement de la biodiversité urbaine, c’était très important pour eux et on aurait pu se contenter d’une installation technique en terme de biodiversité mais on est allé un peu plus loin en essayant de raconter la biodiversité aux enfants, en faisant appel à un imaginaire collectif qui est : la ville et la nature sont compatibles. La ville à la campagne ça a toujours existé, ça s’appelait les villages, les petites villes, des hameaux et ça marchait très bien, on a essayé de piocher dans notre propre mémoire collective, références, sensibilités,
76
« Le projet glObalia ne cherche pas à réinventer la ville, il propose de la « dérouler » suivant ses formes les plus familières et désirées.» http://www.k-architectures.com/
des images qui correspondent à cette époque révolue, un peu cette douce France qu’on a connu et cela a donné ce bâtiment un peu iconique avec les toits à double pentes, le bois, les granges ajourées. On se souvient tous de ces granges assez sombres avec les faisceaux de lumière. Tout cela a donné une ré-interprétation contemporaine.
! !
Avez vous eux des retours des usagers ? Ils sont tous ravis de l’outil qu’on leur a conçu, mais personne
nous a dit explicitement ‘c’est magnifique, j’ai l’impression d’être dans la ferme de mes grands parents’. Les enfants forcement puisqu’ils sont nés en ville pour la majeure partie, mais même les adultes. L’architecture est une discipline d’élite malheureusement…
! !
Y a t’il un fossé entre la volonté et la réalité ? Il est évident que cela demande beaucoup de culture, pour
apprécier l’architecture à sa juste valeur à son juste sens, y compris pour distinguer celles qui n’ont aucun sens aucune qualité à celles qui en ont un, ainsi que des qualités. Même les architectes ne l’ont pas toujours. Je ne dis pas que j’en ai une particulière, mais chacun à sa sensibilité, une culture, ses intuitions et tout cela fait que l’ont est plus ou moins capable de sentir si une architecture a un sens et une grâce. La grâce est quelque chose de très important, totalement subjectif qu’on ne peut expliquer même avec de la culture, mais cela se sent. Au bout d’un moment on le sent et parfois c’est évident pour tout le monde, les chefs d’oeuvre patrimoniaux : Rome, Chambord, Versailles, c’est évident pour tout le monde. Pour exemple, il y a encore 15 ans quand on allait dans un site industriel en friche avec une qualité constructive évidente, pour ceux qui avait un minimum de sensibilité et de culture, quand vous expliquiez au gens la force, la dimension, la grâce et une vraie valeur patrimoniale, on vous regardait en vous demandant « pardon ? que voulez vous qu’on en fasse». Après, au fil du temps la culture a permis à chacun de reconnaitre ces qualités, enfin presque tout le monde. Il y a une évolution mais cela prend du temps, et en général ceux qui sont un
71
petit peu a l’avant garde, ceux qui n’ont pas envie de suivre les tendances du moment, défrichent à leur compte des terrains dont vont profiter ceux qui les suivront.
!
Que vous évoque la concertation autour du projet en tant que transmission de savoir entre les commanditaires, les usagers, les politiques, les ouvriers de chantier, les architectes ?
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Les artisans et ouvriers ont de la culture, des compétences, et ils comprennent exactement nos plans et le sens constructif du projet. On a jamais eu de fossé de compréhension avec les ouvriers. Le métier est très cadré par les réglementations, en particulier par les DTU (document technique unifié), qui cadrent vraiment tous les ouvrages ainsi que le cadre de leur mise en oeuvre, tout ça est connu par tous les corps de métier. Il n’y a pas beaucoup de place a l’expérimentation et à la création, on serait vite re-cadré. On doit pratiquer tous le même langage. Mais là je parle des projets dans le cadre courant et industriel, mais des projets de plus petites échelles, plus expérimentaux et 72
artisanaux, hors des cadres réglementaires, pourrait effectivement allier toutes les compétences, et toutes les bonnes idées en amont de la conception, et cela existe. On a jamais eu l’occasion de le faire, puisqu’on travaille à de grosses échelles industrielles, ce dont je ne me vante pas du tout. J’adorerai travailler à plus petites échelles, avec les matériaux du site et faire une architecture qui à un sens direct avec les notions de développement durable. Cela a par ailleurs toujours eut lieu jusqu’au début du XXe siècle, on bâtissait toujours avec les matériaux du site dans un processus de recyclage permanent de matériaux, je ne vous apprends pas tout ça. On devrait refaire comme ça, on devrait ! Ce n’était pas complètement utopique de militer pour ça. Je ferais parti militant de ce retour aux sources, et aux valeurs.
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Pensez vous que nous devrions réapprendre de notre passé ?
Plus que jamais, évidement ! Malheureusement il faut savoir que cette prise de conscience collective, et raisonnable, qui a fait que tout le
monde s’est rendu compte, que tout le monde a pris conscience qu’il fallait revoir nos habitudes et notre façon de penser et de produire, a été initiée par le protocole de Kyoto77 il y a 20 ans, renforcée quelques années plus tard par un gros travail pédagogique, général, planétaire, par des leaders internationaux ; qui a vraiment abouti à la conviction générale et ultra majoritaire de l’ensemble de l’humanité des nouvelles orientations, qu’elle devrait prendre impérativement. Mais elle a été complètement balayée il y a 5 ou 6ans. Ce n’était même pas une idéologie, c’était une évidence, tout le monde a été balayé en quelques mois sur l’autel de la croissance qui était en ralentissement et c’était un drame pour l’économie, pour les profits et pour le système de la finance ! Le développement durable a mis en péril leur expansion, et ils se sont tous réunis pour se dire : « bon on arrête les conneries, les trucs d’écolo, de babas, c’est bien gentil mais c’est pas en voilier que vous allez partir au Bahamas passer vos vacances, et vous n’allez pas aller au boulot à cheval ni vous éclairer à la bougie, on est bien d’accord ? ce n’est pas ça que vous voulez ? » tout le monde réfléchit et effectivement « on oublie tout, continuons à monter notre empire »
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Pensez vous que le devoir de paix envers l’environnement est incompatible avec le modèle capitaliste d’aujourd’hui ?
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Le modèle capitaliste a plus que vaincu, il s’est imposé comme modèle unique, une pensée unique partagée malheureusement par 99% de la population mondiale, y compris ceux qui en subisse directement les conséquences, la masse laborieuse spoilée par les riches et exploitées par ces derniers. À l’époque on avait conscience mais on cherchait à lutter contre les exploiteurs, aujourd’hui ils sont convaincus que leurs exploiteurs ont raison. Leur seule issue est d’accéder au statut d’exploiteur. Ce modèle d’élévation, de croissance est plus qu’acquis pour des dizaines d’années… Ce qui est bizarre c’est qu’on a tous la conscience qu’on va dans le mur et cela me fait penser à un 77
le Protocole de Kyoto est un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et qui vient s'ajouter à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques dont les pays participants se rencontrent une fois par an depuis 1995
comportement addictif, l’exemple de la cigarette. Un fumeur sait très bien, qu’il creuse sa tombe, et qu’il a toutes les chances de mourir dans la douleur du cancer du poumon, fumant en pleine conscience, il ne veut pourtant pas s’arrêter et continue. Notre addiction a la facilité de consommation et au confort, est évidente, on ne peut pas revenir en arrière. Il faudrait une sorte de thérapie de groupe qui serait simultanée, il ne faut pas que 10% fassent le travail et que les autres en profitent pour prendre notre place. Si on ralentit le rythme, on perd notre puissance financière, on sort de la hiérarchie. Rien que l’exemple des chinois, l’Europe a levé le pied, c'est alors qu’ils en ont profité pour nous enfler deux fois plus et deux fois plus vite et il ont multiplié par 10 leurs émissions de CO2 en l’espace de quelques années. Le temps qu’on ralentisse, ils en ont profité pour exploser leur production et leur consommation. Cela ne peut donc marcher que si c’est suivi collectivement et simultanément par l’ensemble de la planète. Cette addiction au confort et a l’exaltation de la consommation est quelque chose qui gagne naturellement toute les âmes, y compris les plus pures, encore au fin fond de leur campagnes, des pays encore modestes, pas 74
trop développés industriellement, encore agricoles. Notre empreinte écologique insupportable pour l’environnement était compensée par ces peuples qui vivait encore modestement, s’ils s’y mettent aussi, c’est une catastrophe. Je ne sais pas si vous savez mais ce qu’on prend à l’environnement et les déchets qu’on lui rejette sont supportables et assimilables par la nature jusqu’à une certaine limite, au delà, la Terre ne peut plus se régénérer, ne peut plus assimiler les déchets et se dégrade de manière de plus en plus dramatique et irréversible. Il y a un organisme canadien qui calcule cette empreinte écologique et qui indique symboliquement lorsque notre empreinte écologique annuelle est atteinte. Quand ils ont commencé à l’évaluer il y a une dizaine d’années, le plafond maximum était aux alentour du mois d’octobre, aujourd’hui on l’atteint quasiment fin aout, et cela ne fait que s’accélérer. On consomme toujours plus, on rejette toujours plus et en même temps la nature recule, et plus elle recule moins elle a de capacité à donner des ressources et à continuer de traiter toujours plus de déchets…
VAL
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centre culturel pour enfants à Courbevoie
LE CONTEXTE Le site se trouve au cœur d’un îlot pavillonnaire hétéroclite et séculaire. Sa densité et son style modeste manifestent l’antithèse du quartier de La Défense qui dresse ses plus proches tours à moins de 200 mètres. L’ENJEU Inventer un bâtiment capable de narrer une nouvelle façon de vivre une ville compatible avec la biodiversité. Le programme prévoit une architecture en symbiose avec le paysage. LE CONCEPT Le centre de Loisir de Courbevoie, dit « Maison du Val » met littéralement en scène la dimension environnementale souhaitée par la maîtrise d’ouvrage. Ainsi, il puise dans la mémoire collective des formes et des images qui racontent un environnement idéal situé entre ville et nature. Fermes, granges et autres volières sont clairement évoquées pour opérer un lien spontané avec notre imaginaire. Cette approche contribue également à perpétuer une architecture volontairement modeste capable de réactualiser les topiques vernaculaires dont les qualités en terme d’empreinte écologique sont encore inégalées. Le bois est massivement utilisé pour deux raisons. La première pour ses qualités durables et sa capacité à emprisonner une quantité importante de CO2. La deuxième, plus subjective, réside dans sa capacité culturelle à transmettre une image douce et naturelle liées aux valeurs défendues par le projet. L’édifice repose délicatement sur des poteaux frêles pour laisser filer sous lui un square conçu simultanément tandis qu’une paroi en miroiterie permet de confondre le hall avec le parvis. Les volumes sont habillés d’un appareillage de bois finement ajouré dont la densité s’allège en terrasse pour matérialiser une aire d’escalade à la façon d’une volière. Au delà d’un exercice de style de la famille des « folies de parc » et loin d’un bâtiment de style néo-institutionnel, le « VAL » cherche à offrir un univers singulier dans lequel les enfants et les plus grands puissent s’y faire des « mondes ».
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source : http://www.k-architectures.com/
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glObalia «
Le projet glObalia ne cherche pas à réinventer la ville, il propose de la « dérouler » suivant ses formes les plus familières et désirées.»
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aperçu de la recherche source: http://www.k-architectures.com/
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! TABLE DES ILLUSTRATIONS
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! . fig. 1
Rossella Bellusci, Controfigura, 2008
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. fig 2
Steve Cutts, http://www.stevecutts.com/
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. fig. 3
Banksy, Sorry! The lifestyle you ordered is currently out of stock, 2011
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. fig. 4
Banksy, TV heads
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. fig. 5
Fauxreel, Tara, Toronto
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. fig. 6
http://www.luckymum.fr/pedagogie-montessori-une-aide-a-la-vie/
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. fig. 7
Escher, Relativity, 1953
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. fig. 8
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. fig. 9
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Alejandro Duran, Une plage de bouteilles
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Banksy, No trespassing
. fig. 10 Mycelium Rhizome (2008)
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. fig. 11 Illustration « How deep is your ecology », Ecologik 2010
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. fig. 12 http://www.laboiteverte.fr/street-art-du-monde-legout/
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. fig. 13 http://www.haworthtompkins.com/
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. fig. 14 photographie personnelle, Vervins, 2015
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. fig. 15 Bryan Nash Gill, woodcuts black & white #3, 2003
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! ! ! ! ! Architecture et Écosophie de la responsabilité de l’architecte face à la société et à l’homme
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La prise de conscience des enjeux environnementaux est en phase de marquer notre temps. Les modes de vie sont amenés à changer, vers un renouvellement de la relation entre l’homme et la planète. Ce mémoire a pour objet d’analyser les nécessaires mutations de nos sociétés en commençant par questionner les capacités de l’être humain à opérer des changements radicaux. En considération des problématiques contemporaines, il s’agit d’appréhender la complexité dans laquelle s’inscrivent les différents acteurs. Il ressort de l’analyse que les diversités entrent dans une dynamique d’interdépendance. Au regard des grandes transitions, l’architecture se voit remise en question. L’architecte devient dépositaire d’une mission de médiateur à travers le processus de projet. Le développement de nouvelles compétences dans la discipline pourrait initier des réponses non plus normalisées mais issues d’une imagination collective en vue de construire le monde de la civilisation de demain.
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