Evolutions, Médias & Design

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Médias & Design

Matthew Marino Mémoire de fin d’études sous la direction d’Annie Gentès Ensci - les Ateliers, 2008



Sommaire

0. Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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1. Qu’est ce qu’un media?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 2. Les modalités de la presse traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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2.1. Les fonctions politiques de la presse, le quatrième pouvoir 2.2. Le processus éditorial 2.3. Le journal papier: le médium 2.4. Incarner les problématiques éditoriales 2.5. Quelques conclusions sur le graphisme de presse 2.6. Vers une évolution du design dans le secteur de la presse

3. L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface vers une problématique d’architecture. . . . . . . . . . . . . . 29

3.1. Le site web d’information 3.2. Le blog 3.3. Le lecteur de flux RSS 3.3.1. L’information fragmentée 3.3.2. Sens formel

4. Les objets connectés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

4.1. Le téléphone portable 4.2. Le livre électronique 4.3. Interagir avec l’information sur écran 4.4. L’objet connecté à son écosystème 4.5. En aparté : artefacts prospectifs dans le domaine de la musique numérique

5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 6. Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction

0. Introduction

est ponctué de moments dédiés à de nouvelles formes médiatiques qui n’existaient pas il y a encore cinq ans 1 . De nouveaux artefacts font surface, et contrastent fortement avec leurs prédécesseurs par leurs fonctionnements et leurs situations d’usage. La disponibilité “à la demande” du contenu sur Internet questionne la notion de programmation telle que nous l’entendions à la télévision ou à la radio, et l’ordinateur personnel, objet le plus emprunté pour accéder aux médias numériques, est originellement un outil de traitement d’information et non un terminal de réception. J’observe dans mon entourage scolaire et professionnel 2 la croissance des réalisations en matière de projets ouverts sur les médias. Plusieurs de mes projets à l’Ensci sont nés de ce contexte. En binôme avec Denis Pellerin, un autre élève, nous avons par exemple conçu des objets électroniques destinés à l’écoute musicale à partir de l’observation des nouvelles formes d’usage de la musique sur ordinateur :

Au cours de l’été 2006, j’ai eu l’opportunité de visiter le tout jeune département de Recherche et Développement du journal américain The New York Times. Cette visite a été pour moi l’occasion d’entrevoir les coulisses d’une presse écrite en pleine transformation. En effet, une mutation technologique bouscule actuellement l’ensemble des pratiques du secteur, du métier de journaliste aux modèles économiques. Cette mutation touche également le public : internet et les objets informatiques constituent désormais le biais par lequel il accède à une part considérable de ses activités culturelles, sociales et économiques. Ainsi vivons-nous tous les premières heures d’une presse qui se réinvente, parfois sous la contrainte. Cette expérience a été marquante, et n’a pas été la seule à attirer mon attention sur les médias. Qu’il s’agisse de la presse écrite, de la télévision ou encore de la musique, mon quotidien, comme celui de nombreuses personnes ayant grandi avec Internet d’ailleurs,

1.  La plateforme de partage de vidéo en ligne YouTube est vraisemblablement l’un des exemples les plus flagrants. Avec en moyenne 100 millions de vidéos visionnées par jour (dont une majorité de vidéos amateurs), ce site contribue à redessiner les contours du paysage médiatique, tant par la nature de l’artefact que par ses usages. La firme californienne Google acquière YouTube en Octobre 2006 pour la somme de 1, 65 milliards de dollars américains, moins de deux ans après sa création en Février 2005.  Source: The New York Times (Times Topics).    2.  À l’Ensci ou pendant un stage en entreprise chez l’opérateur téléphonique Orange/France Télécom en 2007.

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connectés à Internet, nos dispositifs s’inscrivent dans un climat plus général qui soulève des questions quant aux nouvelles perspectives de distribution de la musique numérique. La numérisation et la mise en réseau des contenus médiatiques sont effectivement de vastes chantiers liés au changement de l’infrastructure technologique – de l’analogique au numérique – sur laquelle repose toute l’industrie médiatique. Débutant dans les années 80 avec l’informatisation des outils de production, c’est la distribution des médias par le Web 3 , dès la seconde moitié des années 904 , qui intronise le nouveau paradigme numérique. Parmi les nombreuses conséquences de cette transformation en cours, les professionnels du secteur constatent notamment que le public s’approprie les médias numériques de manière radicalement différente des médias analogiques 5 . Ainsi, cette période de transition s’avère propice à la conception de nouveaux artefacts qui pourront tenter d’incarner l’essence des médias numériques.

En particulier, l’avènement du numérique dans cette branche change-t-il l’échelle d’intervention du designer? Les défis et les problématiques de conception sont-ils toujours les mêmes? Quels sont les visages des nouveaux artefacts numériques?

Basculement dans la structure de la chaîne de transmission Les médias tels que nous les connaissons – journal papier, radio, télévision hertzienne – s’appuient sur une infrastructure technique de transmission unilatérale, d’un émetteur vers de multiples récepteurs, dite “top-down”. Propulsés par des techniques de reproduction industrielle dès le début du 20e siècle, ces médias ont acquis le statut de “massmédias”, les messages pouvant atteindre un très large public, tel que la population entière d’une nation. Pour désigner ce modèle, les anglo-saxons emploient le terme de “broadcast” (qui s’applique essentiellement à la radio et la télévision). Contraction des mots “broad” – large – et “cast” – jeter – il synthétise l’ambition d’une distribution massive d’un même message, d’une problématique de diffusion. Il faut tout de même souligner que différentes formes de transmission “bottom-up” en montée existent, telles que l’appel téléphonique d’un auditeur pendant une émission radiophonique ou encore le courrier des lecteurs d’un journal. Cependant, ces formes de retour sont généralement d’un impact limité sur le médium luimême dans la mesure où elles n’offrent qu’un

Nouvelle relation entre le design et les médias Les expériences personnelles citées ci-avant me laissent entrevoir un nouveau type de relation entre le design et les médias. Aussi, en m’initiant à ce que sont les médias et la place traditionnelle que le design y occupe, je souhaite comprendre en quoi cette dernière discipline est concernée par les changements que vit actuellement l’industrie des médias.

3.  Le “Web”, abréviation du “World Wide Web” est l’une des applications d’Internet. Il permet la consultation publique de pages d’information reliées entre elles par un système de liens hypertexte, au moyen d’un navigateur (tel que Windows Explorer ou Mozilla Firefox).   L’amalgame entre “Web” et “Internet” est récurrent dans le langage courant. De manière schématique, Internet est la structure sur laquelle fonctionne le Web, aux côtés d’autres applications comme le courrier électronique ou la messagerie instantanée.    4.  Créé en 1990 au CERN par le chercheur Tim Berners Lee, l’usage public du World Wide Web prit son envol en 1993 avec la mise en service du navigateur “Mosaïc”. Cette application permit au Web de s’émanciper du milieu de la recherche vers le grand public grâce à sa compatibilité technique avec Windows, la plateforme informatique la plus répandue du marché, et ses capacités d’affichage multimédia. Après ce tournant, les premier sites web de l’industrie des médias virent rapidement le jour. À titre d’exemple, la majorité des journaux américains découvrirent le Web en 1995.   (source: Pablo J. Boczkowzi, Digitizing the News: Innovation in Online Newspapers, The MIT Press, Cambridge, London, 2005, p.40-41)    5.  Jim Kennedy (Director of Strategic Planning, AP) & Context Based Research Group, A New model for News, Studying the Deep Structure of Young-Adult News Consumption, Associated Press, New York, juin 2008.

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Introduction

détournement très contrôlé d’une structure mono-directionnelle, soumis à la bonne volonté de modérateurs. Au bout de cette chaîne de transmission linéaire (telle que théorisée par Shannon et Weaver dans A Mathematical Theory of Communications), le public accède aux informations par le biais d’artefacts appelés “objets de réception”. Comme leur nom l’indique, ceux-ci sont conçus pour recevoir les informations et les restituer à un auditoire ou lectorat, mais n’offrent aucune possibilité de retour vers l’émetteur ni d’influence sur la configuration du message. Traditionnellement, la place du design dans les médias se situe justement au niveau des objets de réception et porte, soit sur le support de diffusion (ex. : conception d’un téléviseur), soit sur l’information elle-même (ex. : graphisme pour la présentation et l’organisation des articles d’un journal). Par contraste, l’avènement du numérique impose une rupture dans la typologie même du média en le basculant d’une problématique de diffusion vers une problématique de communication. Ce basculement repose sur plusieurs changements. Tout d’abord, l’infrastructure technique se trouve composée d’artefacts et de canaux conçus pour la réciprocité des messages. Les ordinateurs sont en effet autant des objets de traitement et d’émission que de réception, et Internet est un canal ayant la double particularité d’être symétrique – les messages vont dans les deux sens – et multipolaire – il possède une structure rhizomatique, à la différence de la hiérarchie pyramidale des médias de diffusion, tels que la radio ou le journal papier. Inventé pour faciliter le partage entre chercheurs scientifiques, le Web, application principale d’Internet, s’inscrit dans une culture de “lecture-écriture” (chacun pouvant à la fois lire et publier sur la toile). Aujourd’hui, tous les usages du web sont pétris d’interactivité, et les professionnels des médias traditionnels de diffusion tentent de comprendre comment traduire cette notion dans leur secteur d’activité. Il est certes difficile d’affirmer que ces organisations vont échanger leur modèle de transmission verticale et asymétrique pour un modèle horizontal et symétrique, mais il est certain qu’elles doivent d’ores-et-déjà compo-

ser avec un environnement où la frontière entre les statuts d’émetteur et de récepteur est plus floue. Ainsi peut-on qualifier ces “néo-médias numériques” de “médias de communication” plutôt que de “médias de diffusion”.

Convergence des étapes industrielles Un deuxième changement considérable modifie le secteur. Chacune des différentes étapes de la chaîne industrielle des médias de diffusion constitue un milieu complètement dissocié : elle possède des techniques propres et des pratiques parfaitement reconnaissables. Par le passé, dans le contexte de la presse écrite, ce phénomène s’est trouvé d’autant plus explicite. De manière schématique : - l’étape de production : machine à écrire, presse d’imprimerie (écrire, imprimer) - l’étape de distribution : système postal, le support papier, points de vente (envoyer à distance, stocker, vendre) - l’étape de réception : journal (lire) Or aujourd’hui, l’infrastructure technique et les pratiques qui incarnent les médias de communication brouillent les distinctions entre ces trois grandes étapes. Les entreprises et le public utilisent les mêmes outils - Internet et l’ordinateur - quelle que soit leur position dans la chaîne ; la lecture et l’écriture se côtoient ainsi souvent dans le même artefact ; et il devient difficile de faire la distinction entre un média amateur et professionnel, les outils de production s’égalisant pour les deux catégories d’usagers. Ainsi, production, distribution et réception tendent à converger.

La place du design dans le nouveau contexte industriel Parce que les médias se trouvent transposés d’un modèle de diffusion vers un modèle de communication et parce qu’il y a une évolution 3


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dans les modalités de production, distribution et réception, nous pouvons émettre l’hypothèse de l’émergence d’un nouveau contexte d’élaboration propre au design dans le secteur des nouveaux médias de communication. En effet, si le design est traditionnellement circonscrit aux problématiques de réception (ex. : mise en page d’articles de presse), le nouveau contexte industriel fait appel à une autre approche, plus globale, dont le regard n’est plus focalisé sur le produit fini en bout de chaîne mais qui prend en compte la porosité des étapes et des pratiques autrefois distinctes. De fait, nous ne pouvons plus parler d’objet de réception pour les artefacts des médias puisqu’ils incorporent à la fois des modalités de production, distribution et réception. La transmission des contenus médiatiques numériques s’effectue à travers des artefacts qui s’apparentent davantage à des logiciels qu’à des publications, à des ordinateurs plutôt qu’à des terminaux récepteurs. Le rapport dialectique des médias traditionnels confrontés aux logiques de l’informatique pousse à la redéfinition des artefacts.

analysant trois genres d’artefacts qui incarnent la presse en réseau et qui s’éloignent du modèle de l’ancêtre commun, le journal papier : le site web d’information, le blog et le lecteur de flux RSS. Nous tenterons d’une part de comprendre comment ces artefacts transforment notre rapport à l’information et d’autre part d’expliquer quelle question cela soulève pour le design et la conception des futurs artefacts. Enfin, nous allons nous intéresser aux nouveaux supports numériques. Notamment alors à la manière dont les médias numériques conduisent à la reconfiguration des artefacts de lecture de la presse : les téléphones portables les plus récents ou encore les nouveaux livres électroniques. En outre, l’étude sera complétée par un aparté consacré à l’analyse de projets d’artefacts prospectifs dans un autre domaine des médias : la musique, sa diffusion et son partage. Au fil de ce mémoire, en marge des descriptions et analyses d’exemples, des encadrés “IMPORTANCE POUR LE DESIGN” ponctueront le texte. Je me propose en effet ici d’entamer la réalisation d’un vademecum pour le design des médias numériques, afin d’étayer ma pratique professionnelle future. Ô

Plan de l’étude Le secteur des médias est très vaste. Ainsi, vais-je tenter de comprendre le mouvement actuel des médias au travers du prisme de la presse écrite d’information. De tous les secteurs médiatiques, le secteur de la presse écrite est certainement celui qui a connu à la fois l’un des bouleversements les plus radicaux et qui possède l’une des pratiques de design spécifique les plus établies. Il semble donc probable que les mutations y soient plus visibles qu’ailleurs. Dans un premier temps, nous allons définir certains termes utilisés dans ce mémoire, notamment la polysémie du terme “média”. Puis, afin de se rendre compte des évolutions récentes, le deuxième chapitre s’attachera à comprendre les modalités traditionnelles de la presse. Nous y verrons notamment les fonctions de la presse, le processus éditorial et l’intervention du graphiste sur le journal papier. Il s’agira ensuite d’observer comment la presse écrite se métamorphose sur Internet en 4




Qu’est-ce qu’un média?

1. Qu’estce qu’un média?

Dans le monde entier, les médias constituent le plus souvent un secteur industriel soumis aux lois du marché. Cependant, certains gouvernements “aménagent” le système concurrentiel pour répondre aux enjeux politiques ou culturels des médias. En France, la loi interdit à une même organisation commerciale d’être propriétaire d’une part trop importante du marché de la presse écrite pour éviter un phénomène de concentration qui réduit le pluralisme des opinions. De même, les chaînes radiophoniques sont soumises à des quotas de diffusion de chansons francophones dans l’optique de défendre et promouvoir la culture française face à une prolifération de musiques étrangères, notamment américaines.

Naturellement, il ne s’agit pas de saisir ici l’ensemble de la polysémie de ce terme, qui comporte de multiples facettes et fait l’objet d’une recherche prolifique. Néanmoins, je vais tenter d’en esquisser certains aspects.

Médias au sens de techniques “Au sens de techniques”, les médias désignent des véhicules de transmission ou des supports de communication. Nous parlons alors du médium, en référence à sa définition étymologique de «substance, milieu dans lequel a lieu un phénomène.» 8 Dans son ouvrage Pour comprendre les médias, Marshall McLuhan qualifie les médias d’«extensions de l’homme» permettant de prolonger ses facultés à de nouvelles échelles (communiquer à distance, vers le plus grand nombre). En s’appuyant sur les études du mythe d’Epiméthée 9 et les recherches anthropologiques d’André Leroy-Gourant 10 , Daniel Bougnoux enseigne que l’homme a recours à un outillage technique dans le but de réparer une déficience originelle. Le mythe grec raconte que le feu aurait été offert à l’homme parce qu’il était l’espèce vivante la plus démunie en défenses naturelles. Ainsi, la technique peut être considérée comme «l’équivalent des griffes ou des sabots des

Selon l’universitaire Francis Balle 6 , «Les médias sont un moyen d’acheminer les messages vers leurs destinataires [...]» et doivent être entendus «à la fois au sens de technique (télévision, presse, radio) et au sens d’institution sociale (France 2, le Monde, France Inter).» 7

Média au sens d’institution sociale “Au sens d’institution sociale”, les médias sont des entreprises qui produisent et distribuent du contenu pour informer, divertir, communiquer ou encore éduquer. Chaque domaine d’activité (le journalisme, l’édition, etc.) possède ses propres pratiques, mais les professionnels des médias ont en commun le rôle de médiateur d’idées et d’opinions pour le public.

6.  Professeur en sciences de l’information et de la communication et en sciences politiques à l’université Paris II, Panthéon Assas 7.  Francis Balle, Introduction aux médias, Presses Universitaires de France, Paris, 1994, p. 84 et 207 8.  Alain Rey, Dictionnaire Historique de la Langue Française, Le Robert, Paris, 1998, p.2081 9.  Tel que raconté par Platon dans le Protagoras (320 d-322 a) 10.  Dans son ouvrage Le Geste et la Parole

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En poursuivant la comparaison avec le langage parlé, il existe dans les médias une interdépendance entre l’énoncé et l’énonciation. Ainsi, les professionnels des médias sont conscients du fait que le sens d’un message réside dans la relation entre son fond et sa forme.

animaux, l’outil [prolongeant] le corps vivant dont il extériorise chaque fois une fonction [...].» 11 Les médias numériques étendent ainsi à la fois nos facultés de perception et nos fonctions intellectuelles.

Relation entre un médium et son contexte social

Média au sens d’espace public

A travers l’exemple de l’invention du caractère mobile au 15e siècle, Daniel Bougnoux illustre l’écosystème complexe entre une technique et son contexte social : «L’outil forgé par Gutenberg a eu des conséquences indéniablement révolutionnaires (au nombre desquelles la révolution française peut-être), mais son énoncé se trouvait lui-même pris ou enchâssé dans un concert d’usages sociaux préexistants, et dans une foule de paramètres techniques ou moins techniques.» 12 L’accélération de la diffusion du livre n’est pas la conséquence directe de la presse, mais suppose un milieu “fertile” pour se développer (demande croissante d’un lectorat, infrastructure de réseaux bancaires, etc.). En somme, «on s’accorde aujourd’hui à dire que si l’outil autorise, il détermine rarement.» 13 De manière plus générale, les médias sont l’articulation d’un moyen ou d’une technique de transmission et d’un contexte social et politique.

Comme l’analyse la thèse du philosophe allemand Jürgen Habermas, la notion d’espace public dans le contexte des médias trouve ses origines dans les villes européennes du XVIIIème siècle. La fréquentation croissante des cafés, des salons littéraires ainsi que la presse naissante favorisent la circulation des idées et des opinions au sein des cercles bourgeois, créant l’émergence d’un espace intermédiaire entre la vie privée et l’Etat monarchique fondé sur le secret. Ce nouvel espace offre au public, «constitué d’individus faisant usage de leur raison» 14 , une sphère pour exercer une critique à l’égard de l’autorité. Les médias assument toujours cette fonction aujourd’hui et sont des composantes intrinsèques d’une société démocratique qui repose notamment sur une publicité des débats et une liberté d’expression. En ce sens, les médias sont un enjeu d’espace public.

Média au sens de manière d’être ensemble

Média au sens de langage

Afin de communiquer ses idées ou ses opinions, l’homme s’aide de signes. Dans le langage parlé, ces signes sont vocaux. Chaque support de transmission dispose aussi d’un système de signes qui lui est propre et constitue ainsi un langage.

Enfin les médias sont les éléments d’un processus de communication. L’étymologie latine du mot communiquer, “communicare”, signifie “mettre en commun, partager” et

11.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001, p.59 12.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001, p.62 13.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001, p.62 14.  tel que s’y réfère le philosophe allemand Jürgen Habermas dans L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1963)

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Qu’est-ce qu’un média?

Dans ce mémoire cependant, par souci d’efficacité et à défaut de trouver un terme plus satisfaisant, c’est une acception très contemporaine du terme que j’utilise : un “appareil” au sens très large, qui dans le cas présent embrasse aussi bien le journal papier, le logiciel de publication en ligne que le téléphone portable.

fait écho aux études de la “médiologie”15 . Celle-ci considère les médias comme des dispositifs permettant de «vivre ensemble séparément» 16 . De ce point de vue, nous pouvons affirmer que les médias constituent l’un des liants du tissu social.

Web ≠ Internet : L’amalgame entre “Web” et “Internet” est récurrent dans le langage courant. De manière schématique, Internet est la structure en réseau sur laquelle s’appuient diverses applications, telles que le Web, le courrier électronique (email) ou la messagerie instantanée. Le Web, abréviation de “World Wide Web”, permet la consultation publique de pages d’informations reliées entre elles par un système de liens hypertextuels, au moyen d’un navigateur (tel que Microsoft Internet Explorer ou Mozilla Firefox). ó

Autres définitions Ces définitions ont pour objectif de préciser le sens de termes utilisés dans ce mémoire qui peuvent prêter à confusion, par leur emploi souvent erroné dans le langage courant, leur statut de faux-amis issus de l’anglais ou encore leurs définitions multiples. Information : Le terme “information”, à l’instar du terme “média”, est un mot-valise qui embrasse aujourd’hui dans la langue française une grande variété de sens. Issu du latin informare, “informer” a signifié successivement “donner forme”, “façonner”, puis “esquisser”, “concevoir” avant de prendre son sens le plus courant aujourd’hui, celui de l’information quotidienne, des nouvelles. Si cette dernière définition convient dans la majorité des cas en français, il est important de souligner que dans l’étude de la théorie de l’information dite “de l’ingénieur”, une information s’apparente à un renseignement, un élément de, et que celui-ci se trouve transmis sous formes de données codées. On se réfère d’ailleurs parfois aux données elles-mêmes en parlant d’informations... Dans ce mémoire, la valise “information” se limite exclusivement à l’information issue de la presse quotidienne ou à un fragment de celle-ci. Artefact : Ce terme constitue un emprunt récent à la langue anglaise. Il signifie, en anglais comme en français, ce que son étymologie laisse transparaître : “fait par l’homme”, au sens d’ “artificiel”.

15.  Fondée par Régis Debray, la médiologie est une discipline qui s’intéresse aux techniques de transmission. 16.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001, p.71

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Les modalités de la presse traditionnelle

2. Les modalités de la presse traditionnelle

2.1. Les fonctions politiques de la presse, le quatrième pouvoir

Les fonctions politiques de la presse sont ainsi synthétisées par l’universitaire Pierre Albert et le journaliste Jean-Luc Martin-Lagardette: «L’information est un élément pratique de stratégie. Elle donne du pouvoir. Elle permet de préparer et d’orienter les actions du citoyen. Aussi se doit-elle d’être la plus juste, la plus vraie, la plus complète possible. Si elle est tronquée ou partiale, c’est tout un enchaînement de jugements, de comportements et d’attitudes qui va s’en trouver faussé. Les lecteurs en pâtiront alors, la plupart du temps à leur insu.» «Au total la presse exerce un véritable service public dont un des enjeux les plus visibles est son rôle politique. La presse informe les citoyens sur les problèmes d’actualité et leur expose les solutions que propose le gouvernement, les partis et les groupes sociaux, de manière a éclairer leurs choix politiques et leurs opinions, particulièrement mais non exclusivement dans les périodes électorales.» 19 «Dans les régimes politiques pluralistes, la presse se voit investie du «quatrième pouvoir»; elle doit veiller au bon fonctionnement des trois autres 20 , dénoncer leurs abus, éclairer leurs décisions en exprimant les opinions et les désirs des différents groupes sociaux; cette fonction

Selon Pierre Albert, «la première fonction [de la presse] est l’information, c’est-à-dire non seulement la transmission, l’explication et le commentaire des nouvelles de grandes et petites actualités, d’éléments de connaissances et des renseignements, mais aussi l’expression des jugements, des idées et des opinions.» 17. Il existe ainsi deux types de presse : la presse d’information et la presse d’opinion. Elles nous permettent de prendre connaissance et comprendre les événements qui nous entourent. Selon le Guide de l’écriture journalistique de Jean-Luc Martin-Lagardette, le journaliste informe «pour fournir à ses citoyens les moyens de comprendre le monde et d’agir efficacement. Plus techniquement, pour relater des faits et des événements, qui lui semblent significatifs, et qu’il suppose pertinents pour ses lecteurs.» 18 «Ceux-ci n’ont ni le temps, ni les moyens de procéder eux-mêmes à cette démarche coûteuse en énergie et en temps. Mais ils ont besoin de cette information pour comprendre le monde qui les entoure et se faire ainsi une opinion.» La presse dispose d’une fonction réflexive.

17.  Pierre Albert, Que sais-je? La presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.25 18.  Jean-Luc Martin-Lagardette, Le guide de l’écriture journalistique, La Découverte, 2005, Paris, p.19 19.  Pierre Albert, Que sais-je? La presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.29 20.  les trois autres étant l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

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rend les événements qui nous entourent plus accessibles et compréhensibles. Cet ensemble a été baptisé “processus éditorial”. Naturellement le processus éditorial ne constitue pas ici le sujet central de la recherche, je me borne donc à ne pointer que les grandes lignes d’une pratique qui fait l’objet de nombreuses études.

complexe de contrôle et de critique, d’élargissement des débats d’idées ou d’arbitrage des conflits d’intérêts suppose à l’évidence l’indépendance des organes de ce “contre-pouvoir” et leur liberté d’expression.» 21

fl Sélection, hiérarchisation de l’information et lectorat

IMPORTANCE POUR LE DESIGN

Il se produit un si grand nombre d’événements quotidiens qu’il est difficile de prendre connaissance de chacun d’entre eux. Ainsi, le journaliste effectue une sélection et une hiérarchisation «pour relater des faits et des événements qui lui semblent significatifs, et qu’il suppose pertinents pour ses lecteurs.» 22 . L’information se trouve donc issue d’un compromis entre des événements et les attentes d’un lectorat, lequel se définit culturellement, politiquement, socialement, économiquement. Cette mission d’arbitrage relève de la ligne éditoriale : en quelque sorte la charte journalistique d’une publication fixée par le responsable de la rédaction. Tatiana Repkova, chercheuse à l’Association Mondiale des Journaux, souligne: «la ligne éditoriale définit les priorités et les champs d’intérêt du contenu rédactionnel du journal.» 23 Afin d’y parvenir, les éléments suivants doivent être déterminés : «l’audience cible, le produit, la concurrence, la tendance politique, le contenu éditorial.» 24 Cela contribue à dessiner l’identité (et les valeurs) d’une publication, et donc le cadre dans lequel s’opère la sélection et le traitement des informations. De nombreux acteurs sociaux façonnent les actualités : le gouvernement, les entreprises, les syndicats, les organisations non-gouvernementales ou les individus. Pour concevoir leurs

- NOUS VOYONS AINSI QUE LA PRESSE EXERCE UN SERVICE D’UTILITÉ PUBLIQUE. EN S’INSÉRANT DANS LE SECTEUR DES MÉDIAS, LE DESIGNER DOIT PRENDRE EN CONSIDÉRATION CETTE PROBLÉMATIQUE POLITIQUE.

2.2. Processus éditorial Nous pouvons considérer le processus éditorial comme une mise en forme de l’actualité, dans la mesure où elle n’existe qu’à travers le prisme avec lequel nous la percevons. Ce prisme est façonné par une série d’actes qui visent à sélectionner et mettre en relief une partie du flux événementiel. Entre le moment où se déroule un événement et le moment où nous en prenons connaissance à travers les médias, les professionnels de la presse ont instauré plusieurs étapes de médiation afin de fournir une information intelligible à leurs lecteurs. L’ensemble de ces étapes

21.  Pierre Albert, Que sais-je? La presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.29 22.  Jean-Luc Martin-Lagardette, Le guide de l’écriture journalistique, La Découverte, 2005, Paris, p.19 23.  Tatiana Repkova, Vademecum de la presse écrite, Maxima, Paris, 2005, p.171 24.  Tatiana Repkova, Vademecum de la presse écrite, Maxima, Paris, 2005, p.174

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Les modalités de la presse traditionnelle

sujets, les journalistes mettent en exergue les interactions de ces derniers sous l’angle de la ligne éditoriale. Repkova propose un exemple : «Dans le cas de la pollution d’une rivière, un journal généraliste s’intéressera principalement aux éventuelles conséquences sur la santé des citoyens. Un journaliste financier évaluera probablement avant tout des dommages causés par l’usine d’aluminium et l’impact que cela aura sûrement sur ses résultats financiers.» 25 Etant donné qu’une publication s’adresse à un lectorat, les préoccupations de celui-ci sont un critère d’importance pour circonscrire les informations sélectionnées dans la salle de rédaction. Afin de s’aider dans cette tâche, les journalistes s’appuient notamment sur les «lois de la proximité.» 26 Celles-ci reposent sur l’idée suivante : plus une information est proche de mon lecteur, plus elle aura de chance de faire partie de ses préoccupations. Cette proximité existe sous des facettes variées : proximité géographique, chronologique ou sociale pour ne citer que les plus courantes. Cependant, en choisissant ce qui mérite l’attention du public, un journal ne peut se permettre d’être trop tributaire du goût de ses lecteurs. Tatiana Repkova précise: «les journalistes n’ont pas à interpréter les besoins et les souhaits du lectorat d’une manière trop étroite. Les spécialistes de la presse conseillent de viser un équilibre raisonnable: “le point de vue approfondi voudrait que l’on s’attache autant à la viabilité et à la crédibilité du journal sur le long terme qu’aux souhaits à court terme des lecteurs et des annonceurs.”» 27”28 . Ces tensions entre les envies du lectorat et les sujets estimés importants mettent en lumière les qualités de pondération que requiert le processus éditorial. Afin d’aborder un événement important dans le monde, mais qui au premier abord peut paraître éloigné de ses lecteurs, le journaliste utilise souvent un ancrage local. Le lecteur

dispose alors d’une porte d’entrée familière vers la compréhension d’un contexte plus global ou d’un sujet complexe. Enfin, la sélection des sujets agit comme un filtre qui donne du sens aux actualités. En définissant une politique éditoriale claire, les professionnels de l’information fournissent un service de médiation qui détermine les sujets prioritaires, c’est-à-dire ceux qui méritent l’attention de son lectorat. Toutefois, la sélection des sujets ne peut opérer seule, et se conjugue au traitement des actualités afin que celles-ci prennent tout leur sens pour le lectorat. Donner un ancrage local à un événement international dépend aussi bien d’une question de sélection que de traitement, c’est-à-dire d’un équilibre entre le choix des actualités et l’angle d’entrée en matière.

Traitement de l’information L’ensemble des choix de traitement, et donc de mise en forme des actualités, relève aussi de la ligne éditoriale. À partir des même faits, on constate qu’il existe des natures et des angles de traitement très divers pour un même sujet. De nombreuses solutions s’offrent aux journalistes telles que la vulgarisation, la reconstitution chronologique des faits, ou encore le recueil de témoignages. Et quand certains abordent le reportage sous l’angle économique, d’autres privilégient les déclarations sous l’angle géopolitique. Par ailleurs, la ligne éditoriale de chaque rédaction définit «le point d’équilibre entre le traitement des faits, leur analyse, voire leur commentaire, bref entre information et opinion.» 29 Thomas Ferenczi, correspondant du quotidien français Le Monde, précise: «L’information

25.  Tatiana Repkova, Vademecum de la presse écrite, Maxima, Paris, 2005, p.171 26.  Jean-Francois Bège, Manuel de la rédaction, les techniques journalistiques de base, CFPJ Editions, Paris, 2007, 27.  John M. Lavine, Daniel B. Wackmann, Managing Media Organizations - Effective Leadership of the Media, Longmann, New York, Londres, 1988, p.64 28.  Tatiana Repkova, Vademecum de la presse écrite, Maxima, Paris, 2005, p.164 29.  Rfi, Talent +, service de formation internationale, http://www.rfi.fr/talentplusfr/articles/066/article_258.asp

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est donc le produit d’un travail, qui consiste à mettre en forme - c’est le sens du mot «information» - les données du réel pour rendre celui-ci intelligible.» 30 En écrivant des articles, en réalisant des infographies ou reportages photos, le journaliste effectue un travail de médiation. Si, par le passé, le journal avait comme rôle principal de révéler les actualités à son public, l’apparition de la radio dans les années 1920 et de la télévision dans les années 1940 a modifié ses prérogatives. Pierre Albert, Professeur à l’Université Panthéon Assas, spécialiste du journalisme, commente : «Les journaux durent s’adapter à ces nouveaux concurrents qui restreignaient fortement le temps de lecture, révélaient les nouvelles avant eux, créaient dans le public des curiosités et des besoins nouveaux, et partageaient avec eux les recettes publicitaires.» 31 L’une des conséquences de l’arrivée de ces nouveaux canaux d’information fut l’orientation de la presse vers le commentaire des actualités. Dans leur livre, Une Presse Sans Gutenberg, Fogel et Patino nous rappellent que Turner Catledge, patron du New York Times dans les années soixante, invente le “news analysis” (l’article d’analyse de fait) qui sera ensuite copié dans le monde entier. Ce changement dans le traitement de l’information était motivé par les évolutions du monde auquel son journal ne pouvait rester indifférent. « C’était, reconnaît-il, une hérésie pour un quotidien fondé sur “la séparation nette entre l’information et l’opinion”, mais la complexité croissante des sociétés et la sophistication accrue de la communication des politiques imposaient cet effort d’explication. L’argument convainc, mais sans donner plus d’importance à son aveu, Catledge poursuit: “La télévision était un autre facteur important, car elle donnait de plus en plus d’information brute aux gens, ce qui augmentait du même coup leur besoin d’avoir une explication.” » 32

Qu’il s’agisse d’une décision politique ou d’une découverte scientifique, le vocabulaire et les mécanismes qui les sous-tendent sont souvent opaques aux yeux des non-spécialistes. Le travail du journaliste consiste à traduire, décrypter et savoir contextualiser les faits collectés sur le terrain pour en faire émerger les enjeux. À travers la mise en perspective, l’interprétation et le commentaire, les professionnels de l’information effectuent un travail de mise en forme de l’actualité afin qu’elle porte du sens pour le lectorat.

Percevoir l’actualité à travers un prisme Comme bien d’autres disciplines, le journalisme «a l’ambition d’offrir une représentation, aussi juste que possible, de la réalité.» 33 Cette représentation du monde repose sur l’information, un travail de mise en forme des données du réel : les faits. Si la mise en forme fournit des clefs pour décrypter l’actualité et se faire une opinion, elle est aussi le filtre à travers lequel nous percevons le monde. L’historien Edward Hallett Carr affirmait : «On a longtemps répété que les faits parlent d’eux-mêmes. À l’évidence, c’est faux. Ils ne parlent qu’à l’invitation de l’historien : c’est lui qui décide de ceux auxquels il donnera la parole et dans quelle succession et dans quel contexte.» Le journaliste Thomas Ferenczi convoque les paroles de Carr en y percevant un parallèle entre les deux professions: «pour l’un comme l’autre, établir un fait, c’est déjà l’interpréter.» 34 Le travail de médiation n’est donc jamais celui d’un intermédiaire neutre. Même en écartant les divergences d’interprétation, le cadrage et la hiérarchisation des faits sont en eux-mêmes des interprétations.

30.  Thomas Ferenczi, Que sais-je? Le journalisme, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p.8 31.  Pierre Albert, Que sais-je? Histoire de la presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2004, p.110 32.  Jean-Francois Fogel, Bruno Patino, Une presse sans Gutenberg, Grasset, Paris, 2005, p.71,72 33.  Thomas Ferenczi, Que sais-je? Le journalisme, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p.8 34.  Thomas Ferenczi, Que sais-je? Le journalisme, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p.8

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Les modalités de la presse traditionnelle

2.3. Le journal papier: le médium

Se dessine alors l’une des tensions du processus éditorial. En tentant de fournir une «représentation aussi juste que possible de la réalité» le journaliste est confronté à la justesse du prisme à travers lequel il relate les événements. Si, dans l’absolu, la ligne éditoriale agit comme l’une de ses faces émergées, l’artefact par lequel nous accédons à l’actualité y contribue aussi. Les professionnels de l’information développent des approches singulières pour tirer parti des caractéristiques de chaque médium. Il est clair en effet qu’un journal télévisé ne procure pas la même expérience à l’utilisateur qu’un journal papier.

Un artefact qui résiste au temps Si le processus éditorial participe de la mise en forme de l’actualité, l’objet journal quant à lui est l’artefact par lequel le lecteur accède à l’actualité. Depuis environ 400 ans, il a été le véhicule dominant de transmission de l’information, permettant aux journalistes de diffuser leur travail. En héritant des productions imprimées qui l’ont précédé, le journal papier s’inscrit dans un genre : celui du cahier. Bien entendu, sa naissance en tant qu’objet dédié répond aux contraintes de communication qui le sous-tendent. Quantité d’information, périodicité, échelle de diffusion et accessibilité influent sur les choix de ressources mises en oeuvre pour livrer les informations aux divers lectorats. Ainsi, le journal papier est la face visible d’un ensemble plus large convoquant techniques de production et réseaux de distribution. Même si leurs évolutions respectives à travers l’histoire 36 ont maintes fois modifié la matérialité et la diffusion du journal, il s’agit justement plutôt de modifications que de nouvelles configurations. Cet objet reste fait de papier, dispose de pages, propose un sens de lecture et se tient toujours dans la main. Depuis ses origines, le journal en tant que forme de distribution et réception de l’information, connaît une relative stabilité.

fl IMPORTANCE POUR LE DESIGN - LE PROCESSUS ÉDITORIAL LUI-MÊME EST UN TRAVAIL DE MISE EN FORME. LE JOURNALISTE SÉLECTIONNE ET TRANSFORME LES FAITS BRUTS EN ÉLÉMENTS RÉDACTIONNELS QU’IL AFFINE À TRAVERS PLUSIEURS ÉTAPES SUCCESSIVES AFIN DE LES RENDRE ACCESSIBLES POUR LES LECTEURS. IL RECOUPE UNE INFORMATION, LA VALIDE, LA HIÉRARCHISE, LA MET EN PERSPECTIVE, ET LA REND ATTRAYANTE35 . CE PROCESSUS DE MISE EN FORME EST GUIDÉ PAR LA LIGNE ÉDITORIALE QUI DONNE LE TON À RESPECTER POUR LE TRAITEMENT DE L’INFORMATION.

La place traditionnelle du design au coeur de l’information

- EN PÉNÉTRANT LE SECTEUR DE LA PRESSE ÉCRITE, LE DESIGN DOIT DONC PRENDRE EN CONSIDÉRATION LA LIGNE ÉDITORIALE ET LA TRADUIRE EN LANGAGE VISUEL.

Probablement de par la stabilité du journal papier, le design intervient rarement à l’échelle de l’artefact. Historiquement, le design s’insère dans le secteur de la presse écrite par le biais de l’information. Le journal a pour vocation de communiquer de l’information, des idées et des opinions avec

35.  Pascal Riché, La presse, l’Internet et la citadelle assiégée. Le Monde, Paris, 25/06/08 36.  développement de la poste, développement de imprimerie pendant la révolution industrielle, évolutions du papier, etc.

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du texte et des visuels. Cette forme de transmission de l’information à distance suppose une réception visuelle par ses lecteurs. Ainsi, pour qu’un article soit lu, la qualité de sa communication visuelle compte tout autant que l’intelligibilité de son contenu. Le travail du design porte précisément sur la gestion graphique des éléments rédactionnels et relève des pratiques de la typographie, du graphisme ou plus largement du design d’information. La sélection, l’organisation et la présentation de l’information constituent ses défis majeurs. 37 Étant donnée la variabilité dans les cycles de production selon les publications, différents modes de collaboration entre designers et journalistes cohabitent. Dans la majorité des journaux le graphiste construit la charte graphique et intervient de manière ponctuelle sur des événements nécessitant un traitement visuel plus approfondi. Les journalistes assurent eux la mise en page du contenu au quotidien en respectant la trame et la structure de base décidée au préalable, tout en gardant une certaine marge de flexibilité (fixée par le designer). Au sein de certains quotidiens majeurs, les designers, selon le cahier des charges éditorial fixé par le rédacteur en chef, conçoivent chaque jour la mise en page de la couverture des rubriques afin de garantir la qualité de la composition graphique.

choix éditoriaux des journalistes. Les solutions formelles que propose le designer doivent répondre tant à des problématiques éditoriales (qu’estce que je donne à lire?) qu’à des problématiques de communication visuelle (comment je le donne à lire?). Le coeur même du métier de “designer éditorial” se situe dans la recherche de synthèse de ces problématiques.

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Martin Venezky, directeur artistique du magazine SPEAK, précise que le rôle du “designer éditorial” est de concevoir «le cadre au travers duquel un sujet est lu et interprété. Il consiste à la fois de l’organisation d’ensemble de la publication (et la structure logique qu’elle implique) et au traitement spécifique du sujet (tel qu’il déforme ou défie cette même logique).» 39 Le cadre dont parle M. Venezky répond à trois problématiques de communication visuelle : la lecture, la narration et l’identité. La problématique de lecture est elle-même composée de plusieurs facettes qui incluent lisibilité,

2.4. Incarner les problématiques éditoriales Yolanda Zappaterra, designer et écrivaine, qualifie le design dans le secteur de la presse écrite de «journalisme visuel» 38 ou de «design éditorial» puisqu’il a pour objectif d’incarner les

37.  Peter Wilbur et Michael Burke, Le graphisme d’information, Thames and Hudson, Paris, 2001 38.  Yolanda Zappaterra, Editorial Design, Laurence King Publishing Ltd in association with Central Saint Martins College of Art & Design, London, 2007, p.6 39.  Yolanda Zappaterra, Editorial Design, Laurence King Publishing Ltd in association with Central Saint Martins College of Art & Design, London, 2007, p.7 (citation originale en anglais : « framework through which a given story is read and interpreted. It consists of both the overall architecture of the publication (and the logical structure that it implies) and the specific treatment of the story (as it bends or even defies that very logic)»

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Les modalités de la presse traditionnelle

hiérarchie, navigation et rythme de l’information. Bien souvent, une solution formelle recoupe différentes problématiques en même temps. Notons brièvement que l’expression “design éditorial” qualifie généralement le design dans le secteur de la presse écrite, mais qu’elle n’est pas exclusive à ce domaine. Elle se rapporte plus généralement à toute forme de design qui traite de contenu. Ainsi, pour éviter toute confusion, je parlerais dorénavant de “graphisme ou graphiste de presse” pour me référer au designer qui intervient exclusivement sur le journal papier. Observons à présent comment le graphisme de presse répond aux contraintes éditoriales d’un journal.

¯  Journal : Folha de S. Paulo (Brésil)

La lecture

Faire cohabiter l’hétérogénéité

Lisibilité : cette problématique touche à la clarté de présentation des éléments rédactionnels lorsqu’ils sont rassemblés dans l’espace de la page. Étant donné que le journal est un objet conçu pour une réception visuelle par le biais de la lecture, la mise en forme du texte facilite son déchiffrement. Celle-ci s’appuie sur la présomption de modes de lecture visuelle hérités d’une structuration croissante du contenu depuis les premières productions imprimées. Ainsi, les graphistes conçoivent une maquette à partir d’un système de grille, d’un choix de caractères et d’une gestion typographique afin d’offrir le meilleur confort visuel aux lecteurs. Ces aménagements sont cruciaux pour la lecture d’articles longs qui permettent la mise en perspective des événements. En aucun cas, la forme du texte ne doit être un frein à la lecture ! Face à la quantité et l’hétérogénéité des contenus, une gestion des signes graphiques permet de discerner les articles et leurs statuts respectifs. Pouvoir distinguer un éditorial d’un reportage, d’une publicité ou encore identifier la source d’un article est essentiel. Il en va de la crédibilité du journal.

Des nombreuses contraintes qui forment le cahier des charges d’un journal, la plus importante est vraisemblablement la très grande quantité d’information hétérogène. Pierre Albert nous rappelle que «Par nature, la presse quotidienne est une presse d’informations générales et la variété de son contenu est une de ses raisons d’être.»40 Ainsi, dans un même espace, le designer doit faire cohabiter les sujets les plus variés, les traitements les plus divers et des contenus de natures radicalement différentes (opinions, idées, faits etc.) Trouver une structure formelle qui réponde à cette contrainte relève d’un enjeu essentiel pour la presse : incarner le pluralisme des idées et des opinions. De plus, la quantité massive d’éléments rédactionnels à mettre en page et les cycles de productions rapides (des quotidiens, notamment) augmente l’ampleur du défi! L’hétérogénéité des contenus est une problématique inhérente à la presse d’information qui influe sur l’ensemble des autres problématiques de mise en forme qu’aborde le graphiste.

40.  Pierre Albert, Que sais-je? La presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2006, p.17

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˚  Exemples de mise en pages symétriques et asymétriques. Source iconographique : Harold Evans, La mise en page du journal, La chose imprimée, sous la direction de John Dreyfus et Francois Richaudeau, Les Encyclopédies Modernes du Savoir (CEPL), Paris, 1977, p. 439

Hiérarchie : La hiérarchisation des sujets est l’une des manières d’incarner les priorités prescrites par la ligne éditoriale. Celle-ci se traduit de plusieurs façons. Les journalistes tirent parti du sens de lecture d’un journal pour en faire un outil de hiérarchisation en soit. La première page – la Une – s’accapare les actualités les plus brûlantes au moment de la production. Ensuite le journal est organisé par type de contenu. L’ordre des rubriques renseigne généralement sur ces priorités éditoriales.

Pour mieux comprendre la valeur du style asymétrique, il faut observer ses alternatives, comme le style “symétrique” adopté par le New York Times en 1945. Cette mise en page permet d’obtenir un équilibre parfait à partir du milieu optique de la page. Il procure un moyen efficace d’organiser rationnellement une masse d’information hétérogène. Cependant, La hiérarchie de l’information est subordonnée au caractère systématique de la maquette qui se prête mal aux contrastes. D’où l’émergence de formes plus “organiques” capables de présenter l’actualité dans sa diversité et ses changements quotidiens. Le journaliste Harold Evans souligne l’avantage de la mise en page en “mosaïque asymétrique” par rapport aux autres options : «Il n’y a pas de point de fixation pour le regard, comme pour les dispositions symétriques. L’oeil parcourt toute la page sans le trouver. Mais il parcourt toute la page: c’est ce qui compte. La page est équilibrée mais pas machinalement.»41 En d’autres termes, ce type de mise en page favorise une circulation de l’oeil. Les articles sont agencés les uns par rapport aux autres pour favoriser une vision d’ensemble. Mais la maquette dispose d’une souplesse pour s’adapter à une information diverse. Celle-ci permet une hiérarchisation plus facile.

À l’échelle d’une page, la hiérarchie est traduite formellement par la taille de la titraille (surtitre, titre, sous-titre, et sommaire), ainsi que la superficie accordée à l’article. Ainsi, plus le sujet est estimé important, plus il est nécessaire de le mettre en valeur dans la mise en page. Pour y répondre, un style de mise en page domine dans la presse quotidienne aujourd’hui. Il s’agit d’une mise en page en “mosaïque” dans un style dit “asymétrique”. Elle a la particularité d’offrir un équilibre entre des contraintes d’ordre (pour faciliter la lecture) et de contraste (pour mettre en valeur les éléments d’importance) tout en s’adaptant au renouvellement quotidien de l’information.

41.  Harold Evans, La mise en page du journal, La chose imprimée, sous la direction de John Dreyfus et Francois Richaudeau, Les Encyclopédies Modernes du Savoir (CEPL), Paris, 1977, p. 440

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La mise en page du journal s’adapte ainsi à sa temporalité de publication. De par sa nature quotidienne, sa mise en forme n’est pas entièrement prévisible. Cependant, il est nécessaire qu’une charte canalise l’information tout en s’adaptant aux divers contextes. Navigation : Les journaux sont organisés par type de contenu. Un grand quotidien généraliste est généralement composé des rubriques suivantes : les grandes actualités (internationales, nationales et économiques), les analyses et les opinions, les petites actualités (faits divers ou nouvelles locales), les rubriques quotidiennes de renseignement (météorologie, horoscope, bourse...) et les “reportages magazine”. Cependant, il n’existe pas de règle absolue. Chaque publication présente un cas de figure unique guidé par sa ligne éditoriale. Ainsi, pour que le lecteur puisse se retrouver rapidement dans cette grande quantité d’informations, un journal doit aussi être pensé par rapport à des contraintes de navigation. Sommaire, pagination et en-tête des rubriques y contribuent. Les rubriques sont clairement identifiées dans l’en-tête, mais peuvent aussi bénéficier d’un traitement graphique spécifique, bien que cohérent avec la charte générale du journal. En feuilletant les nombreuses pages, le contraste visuel permet une reconnaissance immédiate de la rubrique. Le journal américain le New York Times organise ses rubriques avec des feuillets indépendants et séparés. Ainsi, la navigation est tant visuelle que tactile, les mains percevant facilement les cahiers d’épaisseurs différentes.

néité. Certains journaux changent légèrement de traitement graphique entre les différentes sections. De même, les visuels, photos ou illustrations, peuvent jouer le rôle de temps de pause dans la lecture d’un texte. Les différents éléments graphiques dans une page (titrailles, visuels, textes) correspondent au besoin d’alterner entre deux rythmes de lecture. Les éléments dominants (titraille, photos) permettent un balayage visuel, une libre prospection dans la page pour choisir un article. De plus, ce premier niveau de lecture rapide permet de prendre conscience des événements d’importance (visuellement les plus présents) même si le lecteur ne rentre pas dans le détail des articles. Un deuxième niveau de lecture, qui permet un rythme de lecture rapide et structuré, est constitué du “corps” des articles. La petite taille de ses caractères, structurés en colonnes, se prête à une lecture en profondeur. Dans le passé, les outils n’offraient pas la même souplesse de mise en page qu’aujourd’hui. De plus, selon le journaliste Harold Evans, il y avait peu de politique rédactionnelle 42 de la mise en page du journal. Contraints techniquement par les presses à imprimer, les articles étaient alignés les uns après les autres en colonnes régulières avec un traitement graphique quasi identique pour tous les articles. Ainsi, une lecture rigoureuse du début à la fin était de mise pour se faire une idée du sujet. Les innovations dans la mise en page, telles que la titraille, ont certes facilité notre capacité à parcourir rapidement l’information. Nous pouvons échantillonner les articles avant d’y accorder du temps et notre sélection personnelle est ainsi facilitée. Cependant ces innovations encouragent une lecture en “zapping”. Un public déjà saturé d’information effleure des bribes de contenu, sans jamais rentrer en profondeur dans le texte. Malgré le sentiment d’être au courant de l’actualité, le lecteur risque de ne pas comprendre les événements qui l’entourent.

Rythme : Pour mieux appréhender la grande quantité d’information, le journal est composé par rapport à un rythme de lecture. En alternant des sujets complexes avec d’autres traités de manière plus divertissante les journalistes créent un effet de “climax - anticlimax” pour éviter une saturation auprès des lecteurs. Ce rythme se traduit aussi graphiquement par une composition dynamique qui fuit l’homogé-

42.  Harold Evans, La mise en page du journal, La chose imprimée, sous la direction de John Dreyfus et Francois Richaudeau, Les Encyclopédies Modernes du Savoir (CEPL), Paris, 1977, p.426

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¯¯  Double page précédente : L’évolution dans la mise en page des journaux. Le Petit Journal (supplément illustré) datant de 1902 et l’édition contemporaine du journal anglais The Guardian. ˚  The Freelance-Star (Fredericksburg, Va., États-Unis) Graphisme : Meredith Sheffer

˚  Représentation infographique The New York Times (New York, Ny., États-Unis) Infographie : Matthew Ericson, Archie Tse, Jodi Wilgoren

˘  The Boston Globe (Boston, Mass., États-Unis) Graphisme : Lesley Becker

Narration

«Le journaliste raconte toujours une histoire. Il met en oeuvre des qualités de style qui rendent son récit agréable, qui sollicitent aussi bien l’intelligence que la sensibilité de son interlocuteur.»43 La composition des éléments graphiques dans l’espace de la page contribue au récit des événements, à l’argumentation d’une opinion et la description d’une situation. Certains sujets complexes font appel à une schématisation infographique.

En confrontant divers éléments rédactionnels et diverses représentations (article, infographie, photo, illustration, caricature), le journal tente d’enrichir la perception d’un sujet grâce à des visions plurielles. De même, en juxtaposant deux articles relatant des mêmes événements, mais construits sous des angles diamétralement opposés, le lecteur peut y percevoir un même sujet sous un autre angle.

43.  Jean-Marie Charon, Le journalisme, Editions Milan, Toulouse, 2007, p.5

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Identité Un langage visuel singulier incarne la ligne éditoriale, et constitue une démarcation efficace face à la concurrence. Selon Janet Froelich, directrice artistique du New York Times Magazine, le langage graphique «projette le contenu, l’esprit et les qualités innovantes de la publication et donne au lecteur un aperçu instantané de l’esprit du magazine.»44

˚  Rzeczpospolita (Pologne) ¯  The Boston Globe (Boston, Mass., États-Unis), Graphisme : Gregory Klee

Format Lors de la conception d’une nouvelle maquette, le graphiste doit choisir le format du journal. Le journaliste Harold Evans précise que le format est déterminé par «un certain rapport entre l’oeil humain, la carrure d’un lecteur moyen et la notion-même de journal en tant que support d’opinion. Il faut un format capable de présenter à la fois un grand nombre d’informations disparates, rédactionnelles et publicitaires.»45 Nous voyons ici que le format répond à des problématiques éditoriales, économiques et ergonomiques. 44.  Yolanda Zappaterra, Editorial Design, Laurence King Publishing Ltd in association with Central Saint Martins College of Art & Design, London, 2007, p.12 (citation originale en anglais : «telegraphs the content, spirit and forward thinking qualities of the publication and gives the reader an instant relationship with the spirit of the magazine.») 45.  Harold Evans, La mise en page du journal, La chose imprimée, sous la direction de John Dreyfus et Francois Richaudeau, Les Encyclopédies Modernes du Savoir (CEPL), Paris, 1977, p.415

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Quelques conclusions sur le graphisme de presse

Tout d’abord, notons que le design dans le secteur de la presse écrite s’attaque à une problématique de réception visuelle. De plus, le mode de transmission unilatérale de l’information l’y circonscrit. Ainsi, nous pouvons noter que les efforts de design dans le secteur de la presse écrite papier portent essentiellement sur des problématiques de communication visuelle. Le graphiste de presse conçoit l’interface visuelle pour que le lecteur puisse appréhender et décrypter l’information.

IMPORTANCE POUR LE DESIGN - NOUS VOYONS QUE LE JOURNAL EST MIS EN PAGE EN VUE DE CONTRIBUER À L’INTELLIGIBILITÉ DES ACTUALITÉS PAR SES LECTEURS. - À TRAVERS UNE GESTION DES SIGNES GRAPHIQUES, LE GRAPHISTE TRADUIT LES CHOIX ÉDITORIAUX ET CONÇOIT UN CADRE FAVORABLE À LA RÉCEPTION VISUELLE DE L’INFORMATION. TRADITIONNELLEMENT, LE DESIGNER INTERVIENT À L’ÉCHELLE DE L’INFORMATION SUR DES PROBLÉMATIQUE DE LECTURE, D’IDENTITÉ ET DE NARRATION.

En fonction des observations ci-dessus, nous pouvons affirmer que le cahier des charges de l’artefact journal comporte les contraintes suivantes : Premièrement, celles qui sont liées aux problématiques éditoriales (au service du traitement de l’actualité). Deuxièmement, celles qui sont liées à des problématiques ergonomiques (au service de la prise en main et du confort oculaire). Nous pouvons distinguer une troisième catégorie de contraintes que certaines entreprises de presse commencent à intégrer dans la conception de leurs artefacts. Elle s’intéresse à la mise en forme de l’objet, sous l’angle de son contexte d’usage. Elle ré-interroge la conception de l’artefact en fonction de nos modes de vies, de nos pratiques, dans la réalité de notre quotidien. L’artefact offre-t-il une forme d’accès à l’actualité en adéquation avec mon emploi du temps, au lieu dans lequel j’évolue ? À ce titre, nous pouvons noter l’exemple des magazines féminins, disponibles depuis quelques années en deux tailles différentes : le format classique et le format de poche. Ce dernier est conçu pour s’adapter au moeurs d’un lectorat en mobilité, facilitant le rangement du magazine dans le sac à main. Même si le design dans le secteur de la presse écrite se limite traditionnellement à l’information, nous voyons qu’il existe de la marge pour intervenir sur l’artefact lui-même.

- DE MANIÈRE PLUS GÉNÉRALE, NOUS POUVONS DIRE QUE LE DESIGN PREND EN CONSIDÉRATION DES CONTRAINTES ÉDITORIALES (EX. HIÉRARCHIE), DES CONTRAINTES ERGONOMIQUES (EX. CONFORT VISUEL) ET CONTEXTUELLES : LE LIEU ET LA SITUATION DE LECTURE. - LE JOURNAL S’INSCRIT DANS UNE DISTRIBUTION D’INFORMATION UNILATÉRALE, DU JOURNALISTE VERS LES LECTEURS. AINSI LE GRAPHISTE CONÇOIT-IL UNE INTERFACE VISUELLE POUR FAVORISER LA RÉCEPTION DE L’INFORMATION. L’INTERVENTION DU GRAPHISTE S’INSCRIT DANS UNE PROBLÉMATIQUE DE RÉCEPTION.

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2.6. Vers une évolution du design dans le secteur de la presse

davantage sur la mise en forme de l’information elle-même que sur l’artefact. Pourtant, l’artefact contribue aussi à structurer la relation que nous entretenons avec l’actualité, et l’inscrit dans un mode de réception spécifique. Il semble ainsi que les problématiques de mise en forme de la presse écrite ne peuvent être seulement regardées sous l’angle du graphisme d’information, mais aussi sous l’angle de la typologie de l’objet, et donc du design.

Un exercice de variation au sein d’un genre Nous avons vu à présent quelles sont l’échelle d’intervention et les problématiques de mise en forme de l’actualité traditionnellement abordées par le design dans le secteur de la presse écrite. Comme l’illustrent de nombreuses publications, une solution formelle répond parfois à plusieurs problèmes à la fois. À titre d’exemple, le choix et la gestion d’une police de caractère répond autant aux contraintes de lecture que d’identité. En jouant des libertés et des limites de ces paramètres, la mise en forme de la presse écrite est un exercice de variation au sein d’un genre. En parlant d’oeuvres littéraires, le philosophe Paul Ricoeur explique qu’il existe des «genres» (le roman, la nouvelle, etc.) et des «types» (roman historique, de science fiction, etc.) 46 . Les genres constituent des classes d’oeuvres à part entière possédant des caractères communs. Les types sont des oeuvres singulières mais dans le cadre d’un genre. Par comparaison, le journal, en tant qu’artefact médiatique, constitue un genre, et le design opère traditionnellement à l’intérieur de ce genre. Les innovations portent sur de nouveaux “types” de mise en page, mais jamais sur de nouveaux genres. Effectivement, à travers le prisme du graphisme, l’échelle d’intervention du design porte

L’artefact comme nouvelle problématique de conception Le contexte de la mutation technologique que nous traversons actuellement semble particulièrement propice pour se saisir de l’artefact lui-même comme problématique de conception à part entière. Même s’il est loin d’avoir disparu 47, de nombreuses organisations de presse occidentales constatent une baisse des ventes du journal papier48 , notamment chez les générations ayant grandi avec l’informatique. Pourtant, les études montrent que ces mêmes générations éprouvent un intérêt pour la presse écrite 49 . En y accédant par d’autres vecteurs que le journal papier, ils questionnent implicitement la pertinence avec laquelle celui-ci s’insère dans leurs modes de vie, dans leurs quotidiens. Les 18-34 ans ne sont pas les seuls détenteurs de ces nouvelles habitudes de consommation. À titre d’exemple, 73% des internautes américains affirment s’informer en ligne 50 . Internet s’impose clairement comme un nouveau

46.  Paul Ricoeur, Temps et récit, T1, « L’ordre philosophique », Seuil, coll. Paris, 1983, p.108 47.  Selon le World Association of Newspapers, la circulation mondiale des quotidiens payants a augmenté de 9,39% depuis les cinq dernières années et 2,57% pour l’année passée. Des baisses de circulation se situent principalement dans les pays occidentaux. A titre d’exemple -8,05% depuis cinq ans aux Etats-Unis. Cette statistique est à mettre en perspective, puisque les grands titres américains tels que le Wall Street Journal ou USA Today disposaient en 2007 d’une circulation quotidienne de plus de 2 000 000 d’exemplaires. En Asie, la circulation est en hausse. Source: Leah McBride Mensching, Göteborg: Newspaper circulation booming worlwide, Shaping the Future of the Newspaper (sfnblog. com), World Association of Newspapers, 2 juin 2008. 48.  Associated Press, Most Papers Again Report Big Declines In Circulation, New York Times, 29 avril 2008 http://www.nytimes.com/2008/04/29/business/media/29paper.html?fta=y 49.  Jim Kennedy (Director of Strategic Planning, AP) & Context Based Research Group, A New model for News, Studying the Deep Structure of Young-Adult News Consumption, Associated Press, New York, juin 2008. 50.  Amanda Lenhart and Susannah Fox, Bloggers: A portrait of the internet’s new storytellers, Pew Internet & American Life Project, 19 juillet, 2006.

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Évolutions, Médias & Design

par un travail de variation au sein d’un genre, c’est le genre lui-même qui est à réinventer aujourd’hui. L’une des nouvelles problématiques de mise en forme de la presse écrite se situe donc à l’échelle de l’artefact lui-même, et non plus seulement à l’échelle de l’information. Bien évidemment, le graphisme de presse n’est aucunement caduque, et se réinvente face au défi du multimédia. Effectuons un “zoom” plus spécifique sur les nouveaux genres d’objets, puisqu’il semble que c’est à cette échelle que se trouve la véritable rupture.

canal de distribution de la presse d’information. En prenant conscience de cette réalité pendant la deuxième moitié des années 90, la majorité des grands titres ont conçu un homologue en ligne. Aujourd’hui, ces sites captent des audiences largement supérieures à la diffusion papier51 mais leur adoption en tant qu’alternative au papier n’est ni systématique, ni exclusive. Les journaux en ligne cohabitent avec de nouveaux acteurs nés sur Internet qui ne sont pas nécessairement issus d’une culture journalistique. N’étant pas eux-mêmes producteurs de contenu, ces nouveaux acteurs proposent des formes d’accès aux informations qui proviennent d’une multiplicité d’organisations de presse. Nous pouvons ainsi arguer que la valeur de ces nouveaux artefacts se situe précisément à l’échelle de leurs modalités d’usage 52 . En somme, le choix de la presse écrite d’information s’étend du contenu vers les genres d’artefacts.

Une “approche de conception” différente Nous commençons à comprendre que les médias de communication étendent l’échelle d’intervention du designer. Qu’en est-t-il de “l’approche de conception”? Comment le designer confère-t-il de la valeur aux artefacts? Le graphisme de journal et la définition de

Ainsi le mode de lecture est-il remis en cause par les nouveaux médias. Si la mise en forme de la presse écrite a longtemps été caractérisée

51.  En octobre 2007, la circulation quotidienne du journal américain le New York Times approchait 1,04 million d’exemplaires tandis le nombre de visiteurs uniques du site d’information s’élevait à plus de 17,5 millions pour le même mois. Sources: Richard Pérez-Peña, More Readers Trading Newspapers for Web Sites, New York Times, 6 Novembre 2007 et Fiona Spruill, Talk to the Newsroom: Fiona Spruill, Editor of the Web Newsroom, New York Times, 26 Novembre 2007. Pendant le 61e “World News paper Congress” à Göteborg en Suède en 2008, Timothy Balding, directeur général de la Wold Association of Newspapers souligna la croissance des sites d’information en ligne. Source: Leah McBride Mensching, Göteborg: Newspaper circulation booming worlwide, Shaping the Future of the Newspaper (sfnblog.com), World Association of Newspapers, 2 juin 2008. 52.  Malgré toute énonciation explicite, ces acteurs disposent aussi d’une ligne éditoriale. À travers la volonté de leur direction, la technique ou le modèle économique, elles opèrent une sélection des sources compatibles avec leurs systèmes. Cependant, la compatibilité des sources est souvent d’une telle abondance, qu’il est difficile d’y percevoir des choix éditoriaux clairs. Ainsi, la manière d’accéder à l’information émerge comme facteur différentiant le plus visible.

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Les modalités de la presse traditionnelle

nouveaux artefacts arborent deux postures de conception très différentes qu’Armand Hatchuel, chercheur en sciences de gestion à l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, distingue comme une “opération de parure” et une “opération de pointe”. La “logique de parure” qui pourrait s’apparenter à celle du graphiste de presse consiste à provoquer une «transformation de l’objet qui donne une valeur à la fois extérieure et intérieure à l’objet, sans pour autant que celui-ci ne se perde dans l’opération. [...] La parure provoque une expansion de l’objet. Celui-ci se voit doté de nouveaux attributs appréciateurs. Mais l’objet conserve son identité: la chaise est toujours une chaise, même si elle est maintenant parée de nouvelles propriétés.» 53 Dans la presse traditionnelle, la valeur du design se situe précisément à cette échelle. En contraste, la posture du designer des médias de communication se rapproche d’une «opération de pointe». Dans celle-ci, «l’univers des objets» est lui-même «repensé et questionné.» «Le designer doit opérer une partition suffisamment expansive que pour que l’identité de l’objet soit ébranlée, [...] pour provoquer un sentiment de découverte, de libération, de brèche vers un monde d’objets soudain repensé.» 54 En somme, le designer innove en repensant la nature même de l’objet. Afin d’y parvenir, Hatchuel argue que le designer tire «parti de la part d’indéfini qui existe toujours dans le connu. Car c’est dans cet espace de liberté que l’on peut générer du nouveau, de l’inconnu.» 55 Effectivement, c’est en observant les pratiques et les envies qui ne sont pas formellement exprimées dans son quotidien que le designer va essayer de concevoir de nouveaux artefacts.

IMPORTANCE POUR LE DESIGN - PAR LE PASSÉ, LE LECTEUR POUVAIT CHOISIR PARMI DIVERSES PUBLICATIONS : CE CHOIX SE PORTAIT EXCLUSIVEMENT SUR LE CONTENU DE CELLES-CI. EN EFFET, TOUTES EXISTAIENT SOUS LA MÊME FORME DU JOURNAL PAPIER. AUJOURD’HUI IL EXISTE UNE GRANDE DIVERSITÉ DE SUPPORTS : LE CHOIX DU LECTEUR S’ÉTEND DÉSORMAIS DU CONTENU À L’ARTEFACT. - L’INTERVENTION DU DESIGN N’EST PLUS RESTREINTE À L’INFORMATION MAIS PORTE SUR L’ARTEFACT LUI-MÊME. ó

53.  Armand Hatchuel, Quelle analytique de la conception? Parure et pointe en design, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006, p.156-157 54.  Armand Hatchuel, Quelle analytique de la conception? Parure et pointe en design, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006, p.157 55.  Armand Hatchuel, Quelle analytique de la conception? Parure et pointe en design, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006, p.158

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n e é t i l a u t c a ’ L . 3 : u a e e rés n u ’ d r r e e l t u n i ’ d e basc u q i t a m é l b o pr e i n h u c r à a ’ e c d a e f u q i t a m é l prob e r u t tec Analysons à présent trois genres nouveaux d’artefacts médiatiques, et évaluons leur importance dans l’évolution des prérogatives du design de presse : le site web d’information, le blog, le lecteur de flux RSS. Chacun de ces trois genres incarne la presse en réseau et s’éloigne de plus en plus, par ordre de présentation, du modèle de l’ancêtre commun, le journal papier. Naturellement, chacun de ces genres d’artefacts est accessible en ligne sur le World Wide Web par le biais d’appareils informatiques : le plus souvent, l’ordinateur personnel. Par souci de clarté, chacun de ces genres est représenté par un ou deux exemples emblématiques. Les voici : Premier genre : un journal traditionnel, qui amorce sa métamorphose sur Internet avec son “site web d’information”. L’exemple utilisé sera le quotidien américain le New York Times. Il faut noter que le titre New York Times propose de multiples accès différents à l’information en ligne, mais que son “site web d’information” reste sa figure de proue. Deuxième genre : Le “blog”, une plate-forme de publication en ligne qui se prête à l’interaction entre un auteur et son public. Ici, je m’appuierai sur plusieurs exemples dont Informationarchitects.jp, le blog d’un designer, et Rue 89.com, un blog français indépendant de presse professionnelle. Troisième genre : le “lecteur de flux RSS”, un outil pour créer son journal personnalisé, pour assembler sur une seule page l’ensemble de ses sources et services Internet. Je m’appuierai sur l’exemple de Netvibes, une jeune entreprise française qui n’est pas productrice de contenu.

Chacun de ces trois types d’artefacts constitue un genre en soit qui témoigne d’une certaine évolution par rapport à la presse papier. Il faut noter qu’une même entreprise peut aujourd’hui proposer de multiples manières d’accéder à son contenu (New York Times); que certains acteurs n’existent que sur le web (Rue89); et que d’autres ne sont même pas producteurs de contenu, mais uniquement artefacts d’intermédiation (Netvibes). 29


3.1. Le site web d’information Une alternative sérieuse au papier En entamant sa migration vers Internet, la presse écrite est devenue protéiforme. La forme la plus répandue, et la première à naître, est sans aucun doute le “site web d’information”. Aux Etats-Unis, les grandes organisations traditionnelles de presse publient leurs premiers sites web d’information vers 1995. Cette date est significative, puisqu’elle marque la popularisation du web. Ainsi l’usage public du World Wide Web prenait son envol fin 1993 avec la mise en service du navigateur Mosaïc. Cette application permettait au Web de s’émanciper du milieu de la recherche pour atteindre le grand public grâce à sa compatibilité technique avec Windows, la plate-forme informatique la plus répandue du marché, et grâce à ses capacités d’affichage multimédia. Cet accès simplifié s’accompagnait rapidement d’une création exponentielle de contenus et services en ligne : de 150 sites web en 1993, l’on atteignait les 2,45 million en 199756 . Vers la fin des années 90, plus de 40% de la population adulte américaine était en ligne. Le web était devenu un canal d’information et de communication qu’aucune activité professionnelle ne pouvait désormais négliger. Il faut rappeler que pendant les années 80, les organisations de presse américaines avaient déjà exploré des alternatives au papier pour distribuer l’information, suite à des baisses de circulation des journaux. Divers projets informatiques avaient vu le jour, mais sans réel impact. Pablo J. Boczkowski, professeur à l’école de communication de la Northwestern University, argumente dans son livre Digitalizing the News57, que les organisations de presse, malgré leurs initiatives, était marquées par une politique d’innovation très “défensive”. Peu motivées par l’exploration d’un nouveau mode de distribution, elles se trouvaient davantage intéressées par la santé de leur modèle traditionnel. 56.  Pablo J. Boczkowski, Digitizing the News: Innovation in Online Newspapers, The MIT Press, Cambridge, London, 2005, p.7    57.  Pablo J. Boczkowski, Digitizing the News: Innovation in Online Newspapers, The MIT Press, Cambridge, London, 2005, p.49


L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

Ainsi entraient-elles en terrain inconnu plutôt pour évaluer l’impact de l’émergence de l’informatique et des réseaux sur leurs marchés traditionnels, que pour tenter d’adopter une posture pro-active concernée par le potentiel d’une structure réticulaire pour la presse.

Continuité dans l’artefact, en dépit d’un nouveau médium Cette culture d’innovation “défensive” est révélatrice des artefacts de presse qui firent leur apparition sur le web. En s’appuyant sur l’étude du site du quotidien américain le New York Times au milieu des années 90, Boczkowski soutient que les premiers “sites web d’information” étaient une transcription quasi-directe du journal papier.

˚  Journal : The New York Times Date de publication : 10/10/08 ¯  Site web: www.nytimes.com Directeur du design : Khoi Vinh Date de publication : 11/10/08 ˘  Site web : CyberTimes (The New York Times) Date de publication : 20/09/97

Malgré les aspirations d’un journalisme multimédia et plusieurs tentatives d’établir un processus éditorial qui interagisse davantage avec le lectorat (forums, échange de courrier électronique entre les journalistes et les lecteurs), l’innovation conservait un statut expérimental. La majorité du contenu du New York Times en ligne provenait des ressources destinées au papier et les journalistes confirment n’avoir modifié que légèrement leurs pratiques. Ainsi, en dépit d’un médium fondamentalement différent du papier, Boczkowski caractérise l’état d’esprit prévalent dans 31


Évolutions, Médias & Design

Les singularités du “site web d’information”

la salle de rédaction par «nous publions, vous lisez» 58 . De fait, le pourtant nouvel artefact du New York Times incarnait pleinement ce modèle de transmission unilatérale. Ainsi n’est-il pas étonnant que la nouvelle charte graphique se soit très largement inspirée de celle du papier. L’artefact était une fois de plus conçu pour la réception de l’information, sa fonction principale étant d’en faciliter la lecture. Tout comme pour le journal papier, le rôle du design était d’en concevoir l’interface visuelle.

Cependant, si les premiers sites web d’information avaient les mêmes fonctions que leur ancêtre commun, ils possédaient des caractéristiques inhérentes à leur médium qui en faisaient des artefacts à part entière, émancipés du journal papier : - un site web d’information est un artefact multimédia, permettant aux journalistes de mettre en forme leur sujet en combinant texte, photos, vidéos et sons. - Pour parcourir l’information, le lecteur navigue à travers le site par le biais de ses propriétés interactives, de son comportement, de ses réactions (survols d’images qui affichent de nouvelles informations...). - La structure d’un site web d’information est très différente de celle d’un journal papier. Pourtant, très souvent, la Une d’un site web d’information ressemble sensiblement à celle d’un journal papier. Cependant le lecteur accède à chaque article sur une page indépendante. Différentes pages peuvent être reliées entre elles par le biais de liens “hypertextes”. - Un site web peut être connecté à d’autres services en ligne par l’intermédiaire du réseau internet.

fl IMPORTANCE POUR LE DESIGN - UNE MUTATION TECHNOLOGIQUE N’EST PAS SUFFISANTE POUR REDÉFINIR LE RÔLE DU DESIGN, MAIS DÉPEND AUSSI D’UNE VOLONTÉ ÉDITORIALE. - LES PREMIERS “SITE WEB D’INFORMATION” AFFIRMENT UNE CONTINUITÉ AVEC LEURS “HOMOLOGUES PAPIER”. AINSI, LE TRAVAIL DU DESIGN EST-IL TOUJOURS CIRCONSCRIT AUX PROBLÉMATIQUES DE RÉCEPTION ET PORTE SUR LE TRAITEMENT GRAPHIQUE DE L’INFORMATION.

Aujourd’hui, les “sites web d’information” exploitent amplement ces caractéristiques qui procurent une expérience de la presse en ligne très différente de celle de la presse papier.

58.  Pablo J. Boczkowski, Digitizing the News: Innovation in Online Newspapers, The MIT Press, Cambridge, London, 2005, p.76

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L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

3.2. Le blog

Qu’est-ce qu’un blog? IMPORTANCE POUR LE DESIGN

De manière schématique, un “blog” est un logiciel de publication en ligne conçu pour le grand public. L’invention et le développement de cet artefact marque un véritable tournant pour le paysage médiatique, puisqu’il place l’acte de publier à la portée de tous. Par le passé, toute publication était fortement contrainte par des moyens techniques et financiers ainsi qu’une infrastructure de distribution complexe (presses à papier, réseaux de distributions, etc...). L’émergence du web minimisa le coût de distribution et de production matérielle, rendant la publication financièrement accessible aux particuliers. Cependant, publier en ligne était réservé aux détenteurs de compétences techniques en programmation. La grande révolution du blog a été de remplacer les étapes de programmation par une interface graphique, dont l’utilisation ne nécessite aucun savoir-faire préalable. Cette plate-forme compacte, au prix avantageux, et souple d’utilisation, fournit à tout individu un potentiel de publication de média autonome.

LES PROBLÉMATIQUES DU DESIGN ÉVOLUENT AVEC CE NOUVEAU MÉDIUM. AU-DELÀ DE LA COMMUNICATION VISUELLE QUI RESTE D’ACTUALITÉ, LE DESIGNER DOIT CONCEVOIR : - LE COMPORTEMENT DES PAGES (“RÉACTION” DU SITE POUR INDIQUER LES MANIPULATIONS À EFFECTUER). NOUS PARLONS ALORS DE DESIGN D’INTERACTION. - LA STRUCTURE DU SITE. NOUS PARLONS ALORS D’ARCHITECTURE D’INFORMATION. À LA DIFFÉRENCE DU GRAPHISTE QUI ORGANISE L’INFORMATION À L’ÉCHELLE D’UNE PAGE, L’ARCHITECTE D’INFORMATION ORGANISE L’INFORMATION À L’ÉCHELLE DU SITE. - LA COMMUNICATION VISUELLE, LE DESIGN D’INTERACTION ET L’ARCHITECTURE D’INFORMATION SONT DES PROBLÉMATIQUES DE BASE DE MISE EN FORME DE TOUT ARTEFACT NUMÉRIQUE.

Caractéristiques de l’artefact Le blog est un artefact à double facette qui fusionne des outils de production dédiés à l’usage de l’auteur (logiciel de traitement de texte, mise en page, etc.) avec un objet de publication-distribution (page web qui présente les contenus mis en page), destiné aux lecteurs. Un blog permet de publier tout à la fois du texte, de la photo, de la vidéo et du son, bien que la grande majorité des blogs se compose principalement de texte. En tant qu’artefact, un blog possède plusieurs traits caractéristiques. Sa page d’accueil est généralement composée d’une liste d’articles présentés verticalement par ordre chronologique et archivés par mot-clefs. Chaque article est luimême suivi d’un espace dédié aux commentaires des lecteurs. Ainsi, après avoir lu l’article, les lecteurs peuvent réagir par écrit. Chaque nouveau commentaire s’ajoute à la liste des commentaires précédents, visibles par tous.

Même si le site web d’information participe à la transformation de notre rapport à l’information, il existe des artefacts, comme le blog, qui exploitent de manière plus importante certaines des particularités de la presse en réseau. Ainsi cette deuxième partie se concentrera-t-elle sur les blogs.

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Évolutions, Médias & Design

Nous voyons donc que le blog est un outil de publication qui introduit une communication bilatérale entre l’auteur et son public. Dans les zones destinées aux commentaires (traditionnellement en bas des articles), une conversation asynchrone par messages textuels interposés peut s’instaurer entre les lecteurs et l’auteur (qui répond par un nouvel article ou directement par commentaire), ou encore, entre les lecteurs eux-mêmes. Ces échanges donnent souvent lieu à un contenu au ton conversationnel. Les modalités d’usage du blog sont extrêmement variées : journal personnel, carnet de voyage, carnet de bord professionnel, magazine de niche, plate-forme de distribution de journalistes indépendants, etc. Les blogs se voient autant appropriés par des particuliers que par des groupes, par des amateurs que par des professionnels. Analysons tout d’abord quel-

¯  Ton conversationnel entre l’auteur et les lecteurs du blog.  Ouriel Ohayon, TechCrunch. http://fr.techcrunch. com/  Date de publication : 30/10/08

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L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

ques exemples de blogs amateurs ou non-professionnels sous le prisme de leur impact sur le paysage médiatique. Nous pourrons ensuite nous intéresser à la manière dont la presse professionnelle s’approprie le blog.

Néanmoins, certains contribuent à enrichir l’espace médiatique. Même s’ils ne sont pas journalistes, les professionnels reconnus dans un domaine créent parfois un blog pour commenter l’actualité de leur secteur d’activité. Oliver Reichenstein, designer et fondateur de l’agence Informationarchitects.jp, “blogue” sur l’évolution des technologies de l’information et de la communication à travers le prisme de son expérience professionnelle. En affirmant vigoureusement ses opinions, la tonalité de ses articles est parfois franche et satirique. Cette partialité confère de la valeur mais représente aussi une limite pour ses écrits, en évoquant de manière distante le journalisme “Gonzo”61 . De par le statut d’électron libre de l’auteur, cette approche du blog contribue à la pluralité des idées et des opinions. Cet exemple illustre comment le blog peut faire office de tribune pour des sujets, points de vue et opinions qui ne seraient pas forcément relayés par la presse traditionnelle. En règle générale, la diffusion des articles est restreinte, même s’ils se voient parfois repris par des organes de plus grande audience. Reconnu pour la qualité de ses analyses, Olivier Reichenstein s’est vu offrir la responsabilité d’une chronique dans un hebdomadaire Suisse, le Werbewoche, un magazine de presse professionnelle qui traite de publicité et de médias. Démocratiser la publication représente à la fois un risque et une opportunité pour l’espace médiatique. D’un côté les blogs saturent l’espace médiatique d’un contenu à faible valeur informationnelle. De l’autre, ils représentent un potentiel pour l’expression publique des idées et des opinions ignorées par les mass médias.

Entre diversité et saturation Le “blog” est l’un de ces outils qui “redistribue les cartes” de la publication. En effet un grand nombre d’acteurs qui n’avaient pas accès à la publication traditionnelle disposent désormais d’une vitrine publique. S’il offre des potentiels à l’échelle individuelle, que signifie-t-il dans le paysage médiatique? Le blog fait tout d’abord l’objet d’une appropriation massive par des amateurs. En juin 2008, le moteur de recherche Technorati, spécialisé dans l’indexation des blogs, en comptait 112,8 millions. En mars 2006, la France comptait 9 millions de blogs dont 2,5 millions d’actifs (c’est-à-dire mis à jour au moins une fois tous les trois mois) 59 . Les blogs démultiplient ainsi les contenus accessibles dans l’espace médiatique. Pour beaucoup, les blogs sont des véhicules d’expression personnelle. Les auteurs qui s’intéressent à l’actualité sont plus nombreux à livrer leur avis qu’à effectuer un travail journalistique de fond. Francis Pisani, chroniqueur sur les technologies de l’information et de la communication pour le journal français Le Monde, explique que les actualités produites par les organisations de presse professionnelle deviennent souvent «une matière brute que les utilisateurs [blogueurs] assemblent pour formuler leur point de vue personnel, et re-publient pour exprimer leur perspective auprès de leurs amis, familles, collègues et communauté virtuelle.» 60 À défaut de temps ou de compétences requises pour un travail éditorial professionnel, la qualité de l’information et la véracité des faits publiés sont très variables.

59.  Le Journal du Net (http://www.journaldunet.com/diaporama/0604blogs/2.shtml)    60.  Francis Pisani, À quoi sert l’actu? Transnet, LeMonde.fr, 05/10/2007 (http://pisani.blog.lemonde.fr)    61.  Le journalisme Gonzo est un style journalistique axé sur la subjectivité de son auteur, qui est partie prenante du sujet qu’il couvre. Malgré un ton humoristique et impertinent, l’auteur reste clairvoyant. Ce terme a été popularisé par le journaliste américain Hunter S. Thompson

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¯  Chacun des articles du blog d’Oliver Reichenstein se voit rehaussé d’une liste de l’ensemble des publications où il se trouve cité. Celle-ci constitue un repère de fiabilité de l’information. Source iconographique: Oliver Reichenstein, Trend Map 2008: What’s New?, www.informationarchitects.jp, Tokyo, 11/01/08

S’y retrouver dans l’abondance des discours

sélectionnent et passent en revue les meilleurs sites web et blogs du moment. Certains auteurs de blogs conçoivent euxmêmes de nouveaux repères de fiabilité. C’est le cas d’Olivier Reichenstein, le designerblogueur que nous évoquions dans les paragraphes ci-dessus. Chacun de ses articles se voit rehaussé d’une liste de l’ensemble des publications où il se trouve cité. Le nombre de citations ainsi que la notoriété des publications constituent un premier indicateur de crédibilité. Chaque nom dans la liste est un lien hypertexte reliant le blog d’Olivier Reichenstein aux sites web respectifs des publications. Cette mise en relation des sources permet au lecteur de vérifier immédiatement l’authenticité des citations et savoir ce qui est dit sur l’article en question. Cette méthode ne bénéficie d’aucune reconnaissance officielle attestant de son efficacité. Cependant, il est intéressant de noter qu’elle s’apparente à l’H-index, l’une des mesures qu’utilise la communauté scientifique pour mesurer l’importance d’un article de recherche.

La “blogosphère” (communauté des blogs) amateur pose un autre défi pour les médias. Comment discerner les contenus de sources fiables des écrits sans fondements? Bien évidemment, chacun peut user de sa raison pour en évaluer le contenu, mais les limites entre informations et opinions sont parfois ténues et pas toujours explicitées par leurs auteurs. De plus la véracité des faits n’est pas toujours vérifiable. Il est clair que par le passé, l’acte même de publier n’était accessible qu’à des éditeurs professionnels. Aujourd’hui, ce filtre technique et économique s’estompe sur le Web. En outre, l’aspect (identité visuelle, charte graphique) des blogs d’un journaliste indépendant ou d’un amateur peut être absolument identique. Quels sont alors les nouveaux repères de la fiabilité? Les organisations de presse traditionnelle telles qu’Écrans.fr, l’un des sites web du quotidien Libération, assurent en partie ce rôle. Dans sa rubrique “site du jour” les journalistes 36


L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

dans les étapes précédant le choix parmi les produits finaux. Il souhaite quitter le bout de la chaîne, s’émanciper du carcan de consommateur. Le réseau Internet offre justement un environnement extrêmement favorable au développement de ce phénomène, et le blog en est l’une des preuves les plus saillantes.

IMPORTANCE POUR LE DESIGN - DANS UN ESPACE MÉDIATIQUE COMPOSÉ D’AMATEURS ET DE PROFESSIONNELS, LA RECONNAISSANCE D’UNE MARQUE N’EST PLUS LE SEUL REPÈRE DE FIABILITÉ D’UNE INFORMATION.

C’est dans ce contexte que les jeunes organisations de presse indépendantes, nées et travaillant exclusivement sur le Web, adoptent souvent le blog pour explorer de nouvelles formes journalistiques. En tirant parti de la communication bilatérale qu’il offre, elles invitent leurs lecteurs à participer au processus éditorial. Nous allons étudier l’exemple de Rue 89, un “blog” français d’information généraliste créé par plusieurs anciens journalistes du quotidien Libération. L’un des fondateurs, Pierre Haski, animait son blog sur la Chine lorsqu’il s’est rendu compte que les internautes qui commentaient ses billets en savaient souvent plus que lui sur plusieurs sujets : «Leurs commentaires apportaient un regard beaucoup plus complet

- AVEC UNE PRODUCTION D’INFORMATIONS CHAQUE JOUR CROISSANTE, CONCEVOIR DE NOUVEAUX REPÈRES EST UN CHANTIER CRUCIAL.

L’utilisation du blog dans la presse écrite professionnelle La presse professionnelle s’est aussi appropriée le blog. Ses usages sont nombreux et varient selon les organisations de presse. Les organisations de presse traditionnelles s’en servent principalement comme des annexes de leur site web principal, par exemple pour des rubriques qui nécessitent une certaine indépendance et une flexibilité de publication. Ainsi, les chroniques ou la couverture des événements exceptionnels (comme les Jeux Olympiques) prennent souvent la forme d’un blog.

¯  La page d’accueil de Rue 89 affichant sa spécificité : “L’info à 3 voix. Journalistes, experts, internautes”.

sur des situations complexes», explique-t-il. C’est ce constat qui donnait alors envie à Pierre Haski de poursuivre l’expérience à une échelle professionnelle.

Cette démarche s’appuie sur un constat partagé par de nombreux secteurs économiques : le public démontre d’une très forte envie de participer à l’élaboration des produits qu’il “consomme”. L’amateur, au sens de Bernard Stiegler62 , souhaite voir son pouvoir renforcé

62.  Bernard Stiegler, Du design comme sculpture sociale, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006, p.245

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En tout juste un an d’existence, Rue 89 compte déjà parmi les acteurs sérieux du paysage de la presse en ligne française avec plus d’un million de visites uniques par mois63 . Par comparaison, le site d’information le plus consulté en France, LeFigaro.fr, en comptabilise 3,17 millions64 . Rue 89 revendique «l’info à trois voix. Journalistes, experts, internautes». La petite équipe d’une dizaine de journalistes, sollicite la participation d’experts et des lecteurs pour accroître la diversité des sujets et des points de vue.

Une conversation permanente Dans une tribune ouverte du quotidien le Monde, Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue 89, fait le portrait de ce nouveau processus éditorial : «Il deviendra [...] de plus en plus difficile de parler d’un “article”. Sur un média qui utilise à plein les possibilités d’Internet, l’article, comme produit fini de la presse, tend en effet à disparaître au profit d’un processus sans début ni fin. Appelons cela un “article 2.0”. Il naît par exemple d’une idée dans un commentaire posté par un internaute ; ou alors d’une discussion sur un forum ; le journaliste en débat parfois avec ses lecteurs ; certains internautes, experts du sujet, l’aident à enquêter ; ensuite il rédige un premier texte, le publie en version Web - et parfois papier - de son média. Mais l’ “article 2.0” n’est pas terminé pour autant.

˘  Un article de Rue 89 suivi des commentaires des lecteurs.

Car les lecteurs le commentent, le critiquent, l’amendent. L’auteur répond à leurs questions. Il complète son texte si nécessaire, en fonction des nouvelles informations portées à sa connaissance. Ou alors, il écrit une suite. Le journalisme n’est plus en aplomb au-dessus de son lecteur, il n’octroie plus son information. Il est en conversation permanente avec lui. Ce journalisme de conversation n’est pas une chimère : c’est ce que vivent déjà de nombreux professionnels de l’information, pour peu qu’ils aient accepté de changer leurs pratiques. L’avenir du journalisme passe par une relation très différente de celle qui prévalait avant l’émergence du Web. D’une relation verticale et fermée, on découvre un échange horizontal, ouvert, interactif et itératif.» 65 Cette “conversation permanente” dont parle Pascal Riché s’incarne en grande partie dans la zone dédiée aux commentaires située directement à la suite des articles dans laquelle les lecteurs commentent, débattent entre eux et dialoguent avec le journaliste. Observons davantage la nature de son contenu.

63.  Cette statistique provient d’un compteur de l’entreprise Google. Source: Pierre Haski, Rue89 fête (aussi) son premier anniversaire, Rue 89 (www. rue89.com), Paris, 06/05/08.  L’institut Nielsen, qui s’appuie sur d’autres méthodes d’évaluation, dénombre 600 000 visiteurs uniques par moins.    64.  Jérôme Bouteiller, LeFiagro.fr dépasse LeMonde.fr, NetEco (www. neteco.com), Groupe Cyréalis (Groupe M6), Lyon, 16/07/08    65.  Pascal Riché, La presse, l’Internet et la citadelle assiégée. Le Monde, Paris, 25/06/08


L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

Un contenu de nature et pertinence variables Tantôt, les internautes apportent des compléments d’information à l’article (avec lien à l’appui pour vérifier la source), témoignent sur le sujet traité, débattent parfois entre eux. Dans la mesure de sa disponibilité, le journaliste intervient dans le dialogue 66 pour répondre aux interrogations, critiques, ou re-cadrer le débat. L’information gagne alors en valeur. Elle est mise en perspective, et confrontée à de nouveaux points de vue. Tantôt, les internautes lancent des conclusions hâtives, répètent les commentaires précédents ou discutent entre eux en s’éloignant du sujet. Parfois leurs propos sont erronés ou sans fondement. Dans ces cas, le contenu est d’une faible valeur informationnelle. Elle enrichit peu la compréhension du sujet. Le journaliste modère les commentaires de ses articles a posteriori en éliminant tout propos injurieux ou diffamatoire. En-dehors de ces dérives, la charte éditoriale de Rue 89 donne libre cours aux internautes pour s’exprimer comme ils le souhaitent. Ainsi, la liste des commentaires se compose souvent d’un pêle-mêle de discours de qualités, de styles et de natures très variables.

Une participation abondante Par ailleurs, les commentaires affluent souvent en quantité. Rue 89 en dénombre en moyenne 44 par article 67, mais les plus consultés atteignent facilement plusieurs centaines de commentaires. Ceux-ci sont généralement composés de plusieurs phrases mais certains internautes rédigent de véritables textes qui rajoutent un bon paragraphe à l’article. Cette abondance pose un défi à la fois pour les journalistes et les lecteurs. Pour les journalistes, il est difficile de modérer autant de com-

˚  Un article de Rue 89 suivi d’une sélection des commentaires effectués par le journaliste.

66.  “un article sur cinq contient des réponses de son auteur dans les commentaires”. Source: Rue 89, Riverains de Rue89, qui êtesvous? (http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous)    67.  Rue 89, Riverains de Rue89, qui êtes-vous? (http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous)

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Évolutions, Médias & Design

note à chaque commentaire (en cochant les cases appropriées). La note et le nombre de votes sont affichés en rouge en bas de chaque commentaire. Par ailleurs, les articles les moins bien notés sont minimisés visuellement. Après un an de fonctionnement, Rue 89 a évalué 69 qu’il n’existait aucune corrélation entre le vote des lecteurs et les sélections des journalistes. Au final, les lecteurs votent beaucoup en fonction de leur adhésion - politique, par exemple - avec un commentaire, alors que Rue 89 aime promouvoir des contributions faisant débat70 . Si ces commentaires peuvent enrichir l’information, leur tri reste nécessaire. Et ce tri demeure un énorme chantier : les bonnes formules restent encore à trouver. Bien évidemment, les critères de sélection relèvent d’une problématique éditoriale. Et celle-ci n’est pas sans conséquences sur la configuration de l’artefact.

mentaires et répondre aux éventuelles questions tout en assurant leurs tâches quotidiennes. Pour les lecteurs, l’article est prolongé par une quantité de texte démesurée, démultipliant le temps de lecture consacré à l’article. Nous voyons ici se dessiner une nouvelle problématique éditoriale : comment faire remonter à la surface les contenus les plus pertinents dans le cadre d’un mode de production partagée, entre les journalistes et les lecteurs? Observons à présent la manière dont Rue 89 aborde cette question.

La valorisation des contributions les plus pertinentes Rue 89 propose deux solutions pour valoriser les contenus les plus pertinents : Au fur et à mesure que les commentaires affluent, le journaliste effectue une petite sélection selon les critères de la ligne éditoriale. Cette sélection remonte alors en tête de liste et, encadrée en rouge, bénéficie du statut d’extension de l’article. À en croire le témoignage de certains internautes, la potentielle reconnaissance des commentaires par les journalistes pousse à la qualité du débat et des commentaires. “Ech-picard” (un pseudonyme) confie “J’ai eu l’honneur d’être sélectionné une ou deux fois”68 . En règle générale, ces commentaires sont une véritable ouverture abordant le sujet de l’article sous des angles très différents. Leurs confrontations multiplient les points de vue sur un même événement et nous rappelle que toute information n’est que le fruit d’une interprétation.

fl IMPORTANCE POUR LE DESIGN - Nous voyons ici que la surabondance d’information est un vrai problème. Même si le système de vote actuel ne présente pas des résultats satisfaisants, les diffuseurs d’information vont nécessairement devoir composer avec l’aide des lecteurs afin de trier les contributions. - Dans la presse traditionnelle, le journaliste sélectionnait et traitait l’information, qui était ensuite mise en page par le graphiste. Ici, le rôle du designer se déporte : il va devoir réfléchir aux outils permettant de déléguer en partie la sélection de l’information aux lecteurs.

En raison du grand nombre de commentaires, la deuxième solution consiste à en déléguer l’évaluation aux lecteurs eux-mêmes par un système de vote. Les lecteurs peuvent attribuer une

68.  Rue 89, Riverains de Rue89, qui êtes-vous? (http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous)    69.  Rue 89, Riverains de Rue89, qui êtes-vous? (http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous)    70.  Rue 89, Riverains de Rue89, qui êtes-vous? (http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous)

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en exprimant son accord (ou désaccord) avec son voisin peut rapidement prendre le pas sur la transmission d’une information permettant la compréhension de l’actualité. D’un autre côté, cette possibilité de communication permet aux lecteurs de dialoguer avec le journaliste pour approfondir le sujet, l’interroger, ou éventuellement contester son analyse. De plus, en participant à un éventuel débat, elle pousse à rechercher sur Internet des sources complémentaires pour appuyer son discours et, in fine, permet de s’informer davantage sur le sujet. Pierre Haski, directeur de la publication de Rue 89, pousse d’ailleurs ses journalistes à «passer aussi au moins une heure par jour à faire de l’animation dans les sections commentaires, pour stimuler le débat» 73 . En encourageant le journaliste à adopter la fonction de médiateur, Haski l’incite à placer son travail sous le signe de l’équilibre entre information et relation. De cette manière, il déplace le centre de gravité de la fonction traditionnelle du journaliste vers une combinaison originale, entre rédacteur et animateur de débat. Ce métier en gestation constitue certainement la clef de voûte appelée à venir sceller l’édifice d’une presse en ligne moderne, ouverte au débat. Historiquement en effet, le journal, régi par le principe de diffusion unilatérale propre au journal papier, ne comportait aucune porte ouverte sur une quelconque perturbation extérieure et non sollicitée. Nous voyons donc que les dialogues entre journaliste et lecteur, et entre les lecteurs euxmêmes n’assurent pas la production d’un contenu à valeur informationnelle, mais peuvent tout de même aider à décrypter le sujet et produire du débat. Thomas Feyer, rédacteur du courrier des lecteurs au New York Times nous rappelle qu’ «un débat sain et informé est la condition sine qua non d’une démocratie forte.» 74

- Supposons que Rue 89 trouve un système de vote plus fiable (par exemple, en limitant chaque lecteur à dix votes par mois, pour que chaque vote soit plus réfléchi). Nous pourrions alors imaginer que l’importance visuelle d’un commentaire sur la page soit proportionnelle au résultat du vote. L’information serait alors davantage hiérarchisée.

La communication au défi de l’information En permettant de dialoguer par commentaires interposés, le blog pose un autre défi : celui de faire cohabiter information et communication. Daniel Bougnoux, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Stendhal de Grenoble-III, explique que «la communication ne conduit pas toujours à l’information et s’en passe assez bien.» 71 Effectivement, une communication n’est pas toujours composée de messages à grande valeur informationnelle. Elle peut en revanche posséder une forte valeur relationnelle. Daniel Bougnoux poursuit en expliquant que c’est précisément cette communication, dite “phatique”72 , qui a fait exploser la vente des téléphones portables depuis 1997. Les gens démultiplient les appels pour garder le contact, mais n’ont pas de contenu précis à transmettre. Pouvons-nous y voir un rapprochement avec les discussions qui se poursuivent à la fin des articles de blog? Le sentiment d’appartenir à une communauté, en affirmant ses appartenances,

71.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001, p.72    72.  Par extension à la fonction “phatique” de la communication proposé par le linguiste Roman Jakobson.    73.  François Crépeau (directeur scientifique), Rue 89 : phénomène du Web à la sauce française, CERIUM, Université de Montréal, Montréal, 11/07/07    74.  Heather Moore, Talk to the Newsroom: Community Editor, New York Times, New York, 18/08/08, traduit de l’anglais : «healthy, informed debate is the lifeblood of a strong democracy.»

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En somme, la communication sur le blog permet le débat, mais présente le risque de tendre vers un dialogue qui s’émancipe de tout message à valeur informationnelle.

Des contenus rédactionnels éclatés dans le temps et dans l’espace Afin d’être intelligible, la “conversation” doit bénéficier d’une présentation efficace et intéressante. Observons sa mise en forme dans le blog Rue 89 : L’article et les commentaires sont présentés sur une même page, organisés dans le sens de la verticalité. Les commentaires suivent directement l’article sous la forme d’une liste chronologique. En bas de page, un champ de texte permet aux internautes d’écrire leurs commentaires. Deux possibilités s’offrent à eux. Ecrire un nouveau commentaire, ou répondre à un commentaire précédent, (par exemple, pour répondre à une question ou participer à un débat). S’il écrit un nouveau commentaire, un encadré affichant son texte, son pseudonyme, la date et l’horaire de la publication apparaîtra en queue de liste, déployé sur toute la largeur de la colonne. En revanche s’il répond à un commentaire précédent, l’encadré sera légèrement décalé vers la droite. Enfin si plusieurs internautes se répondent consécutivement, les commentaires se décaleront de plus en plus vers la droite, créant de la sorte une forme d’escalier. Par comparaison avec l’article calibré du journalisme traditionnel, “l’article 2.0” (article + commentaires) dont parle Pascal Riché est fragmenté dans le temps (de sa rédaction) et dans l’espace (de la page). Cette mise en page sous-tend la nature semi-finie de l’article exprimant la collaboration avec les lecteurs, mais elle ne se prête pas forcément à une lecture aisée.

˚  À la suite de son article, le journaliste de Rue 89, David Servenay, dialogue avec l’un de ses lecteurs, répondant au pseudonyme de “déluge”.

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différenciés pas un encadré de couleur. À l’avenir, nous pouvons imaginer que les commentaires des “experts” soient différenciés aussi. Pour le design, cela pose la question suivante : comment représenter la légitimité respective des contributeurs?

IMPORTANCE POUR LE DESIGN - À la mise en forme de l’information se rajoute la mise en forme de la communication. Cette liste de commentaires est-elle la seule manière de rendre lisible un dialogue?

Ces différentes présentations pourraient-elles reposer sur des méta-données attribuées par les journalistes, ou par les auteurs eux-mêmes ? Rue 89 distingue actuellement trois catégories de contributeurs : journalistes, experts, internautes. Quel système de représentation adopter pour les organisations qui pourraient en distinguer davantage ?

- Les commentaires ne suivent pas tous un fil logique. Ainsi, leur présentation linéaire n’est pas obligatoire. Pourquoi ne pas proposer plusieurs mises en page, afin de permettre aux lecteurs de dégager de nouvelles relations entre ces commentaires ?

Synthèse

Nous voyons ici se dessiner une nouvelle problématique éditoriale : comment rendre intelligible l’information issue d’un processus r édactionnel polyphonique?76 Cette problématique appelle les questions suivantes : comment rendre lisible la multiplicité d’auteurs, leurs légitimités respectives ainsi que les différents niveaux de discours? Et enfin, comment mettre en valeur les commentaires les plus pertinents?

Rendre lisible la légitimité des intervenants Comme nous l’avions vu ci-avant, l’abondance de données soumises par les internautes rend difficile l’exploitation et la valorisation des commentaires les plus pertinents. Rue 89 tente actuellement d’identifier une petite communauté “d’experts” (professionnels, amateurs éclairés, etc.) parmi les contributeurs. Dans l’un de ces communiqués, la rédaction de Rue 89 apprend qu’elle «voudrait mettre ces derniers plus en valeur, sans pénaliser les habitués.» 75 Cette intention soulève l’une des problématiques qui émerge du processus rédactionnel polyphonique : comment identifier les légitimités respectives des contributeurs? Pour l’instant, dans la liste des commentaires de Rue 89, seuls ceux des journalistes sont

fl IMPORTANCE POUR LE DESIGN - Au même titre que le journaliste, le designer se retrouve, par la configuration de l’artefact, à orchestrer la polyphonie qui vient de la multiplicité des sources, de leur autonomie, et de leurs légitimités variables.

75.  http://www.rue89.com/making-of/riverains-de-rue89-qui-êtes-vous    76.  Bien évidemment, un article traditionnel est déjà issu d’une polyphonie entre le reporter, le rédacteur et et un photo-journaliste par exemple, mais le résultat ne manifestait pas autant l’empreinte de ses sources hétérogènes.

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3.3. Le lecteur de flux RSS

Le graphiste de presse devait composer avec l’hétérogénéité des sources au sein du journal. à l’échelle du blog, le designer doit composer avec l’hétérogénéité au sein même de l’article.

3.3.1. L’information fragmentée Qu’est ce qu’un lecteur de flux RSS?

- À travers l’exemple du blog, nous voyons que l’échelle d’intervention du designer n’est plus la même qu’avec le journal papier (et dans une certaine mesure, celui du site web d’information) : il n’est plus limité à une problématique de réception de l’information. par sa nature de média interactif, le blog inscrit le design à la fois dans une problématique de production, de distribution et de réception.

Un “lecteur de flux RSS” est un logiciel qui permet à l’internaute d’assembler sur une même page Web une multitude de sources d’information. Une très grande majorité des sources d’information sur Internet sont mises à disposition au format “RSS” en plus de leur format classique “HTML”, qui permet d’afficher un site web tel qu’on le visualise habituellement. Le format RSS 78 , ou “flux RSS”, permet d’extraire le contenu de son contexte d’origine, afin de pouvoir le lire par l’intermédiaire d’un logiciel dédié : le “lecteur de flux RSS”.

- La mise en page n’est pas figée, mais évolue avec l’écriture du contenu. À travers l’analyse du blog, nous voyons que les artefacts qui permettent d’accéder à la presse ne sont plus inscrits dans une forme finie comme le journal papier, mais arborent des architectures qui évoluent dans le temps. Celles-ci réagissent à une multitude de paramètres externes tels que des flux d’information entrant ou l’intervention d’un utilisateur. Ainsi doit-on plutôt parler d’un système77 que d’un objet fini. Le designer doit donc concevoir un artefact protéiforme qui s’adapte à tous les paramètres variables qui influent sur le système. D’une logique de mise en page, l’on passe à une logique de logiciel.

fl Une structure rhizomique Le “lecteur de flux RSS” est un artefact qui exploite la structure rhizomique du réseau offrant la possibilité de croiser, recouper et confronter la multitude de sources qui exis77.  «Un système est un objet complexe formé de composants distincts reliés entre eux par un certain nombre de relations.» source : Encyclopedia Universalis 2005    78.  RSS désigne une famille de technologies permettant d’obtenir les mises à jours d’informations sur internet qui changent fréquemment. “RSS” est l’anagramme des trois formats concurrants: “Rich Site Summary”, “RDF Site Summary” et “Really Simple Syndication”.

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Les objets connectés

tent sur le web. En effet, tout contenu sur internet est directement ou indirectement relié, mais peut être potentiellement mis en relation. Le “lecteur de flux RSS” offre un environnement pour mettre en relation les contenus qui ne l’étaient pas au préalable.

le en tant que pigiste à San Francisco en couvrant les balbutiements du World Wide Web. Ce qui lui a permis de comprendre à la fois les enjeux et les problématiques des médias et du Web. Aujourd’hui, Netvibes est devenu un service très fréquenté, attirant les plus grandes organisations de presse pour qu’elles puissent figurer en tête de liste de l’annuaire des sources de ce “lecteur de flux RSS”. Son modèle économique repose sur les producteurs de contenus qui payent pour figurer dans l’écosystème Netvibes. Il accède ainsi au statut de distributeur.

Morceler les publications Au même titre que les moteurs de recherches, le flux RSS initie une véritable révolution dans le mode de distribution et de lecture de l’information en changeant l’échelle d’accès au contenu de la publication à l’article lui-même. Par exemple, un internaute pourra s’abonner à une source spécifique, comme la rubrique sport d’un journal en ligne, qui pourra être lue par le biais du “lecteur de flux RSS” sans avoir à consulter le journal lui-même.

Description La page d’accueil du site se présente telle un regroupement de contenus hétérogènes, comme pourrait le faire la Une d’un journal papier ou d’un journal en ligne. Cependant, la mise en page diffère d’une présentation classique. À la place d’un contenu hiérarchisé par son aménagement spatial ou par la taille de la police, la page se divise en modules d’apparence relativement homogène. Chaque module correspond à une source d’information régulièrement actualisée concernant une thématique provenant d’une publication. Par exemple, un utilisateur peut choisir un module contenant uniquement la rubrique “sport” du journal Le Monde. Chaque module se présente sous la forme d’un bloc textuel avec une courte liste de titres d’articles parfois accompagnés d’un résumé sommaire, de photos et/ou d’éléments infographiques. Chaque titre ou résumé donne accès à des contenus ou services se trouvant à l’extérieur de la page. Au sein même de chaque module, la quantité et la présentation de l’information sont modifiables. En outre l’utilisateur est invité à réorganiser la page entière en déplaçant, supprimant ou ajoutant des modules. En cliquant sur un bouton dans la partie supérieure de la page (“Ajouter du Contenu”), l’usager se voit proposer un catalogue de

Cas d’étude d’un lecteur de flux RSS : Netvibes.com Netvibes est le produit d’une “start-up” éponyme créée en 2005 par Tariq Krim, un jeune ingénieur et entrepreneur français. Lors de sa création, Netvibes figurait parmi les premiers acteurs à définir le genre d’artefact que nous appelons désormais “lecteur de flux RSS”. En offrant une forme d’accès innovante à l’information en réseau, Netvibes a su attirer plus de 10 millions d’utilisateurs 79 , dont la moitié aux Etats-Unis. Même s’il permet l’accès à des articles, Netvibes n’est pas ou n’appartient pas à une organisation de presse. Il ne produit aucun contenu lui-même. Sa valeur se situe précisément dans l’artefact qu’il propose pour accéder aux contenus des autres. Il faut cependant noter que Tariq Krim n’est pas étranger à l’univers de la presse puisqu’il débuta sa carrière professionnel-

79.  10 millions d’utilisateurs est le nombre total d’utilisateurs ayant ouvert un compte chez Netvibes. (source: Nathalie Brafman, Tariq Krim, le nouveau gourou du Web, Le Monde, Paris, 16/05/07). Netvibes compte 2,5 millions d’utilisateurs unique chaque mois (source: Jérôme Bouteiller, Freddy Mini : « Netvibes est en mesure de distribuer près de 100 000 widgets par mois », NetEco.com, 08/08/08)

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˚  Le “lecteur de flux RSS” Netvibes - page personnelle de Matthew Marino. L’utilisateur peut organiser les modules selon sa volonté.


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sources de contenus éclectiques destiné à alimenter sa page en modules supplémentaires. Les choix couvrent un panorama varié de sources d’actualités, ainsi que des services de renseignement ou de loisir80 . Nous pouvons comparer cet annuaire à un kiosque en ligne, sauf qu’au lieu d’accéder à des publications entières, l’internaute accède directement à des rubriques, auxquelles il pourra s’abonner gratuitement. En somme, l’utilisateur organise sa page selon ses centres d’intérêt. Ses préférences sont sauvegardées pour que le lecteur puisse retrouver une page personnalisée à chaque visite.

les médias constituent l’un des liants du tissu social, ou comme le souligne Daniel Bougnoux : «ce qui permet de dire durablement nous» 81 . En morcelant les publications, les “lecteurs de flux RSS” défient la solidité de cet ensemble. Ce phénomène est inhérent à l’ensemble des médias interactifs puisque chacun y fait son propre cheminement sans en percevoir l’ensemble. Mais au travers du “lecteur de flux RSS”, la fragmentation de l’agenda commun peut atteindre son paroxysme. Dans l’absolu, nous pourrions résumer la situation de la manière suivante : “une personne = un média”. Les effets de la personnalisation des médias préoccupent un grand nombre de spécialistes. Lors d’une conférence en 2007 traitant de la presse sur Internet 82 , Joyce Barnathan, présidente du “International Center for Journalists”, formule son inquiétude vis-à-vis de la personnalisation des actualités en expliquant que celle-ci diminue toute serendipité 83 concernant la découverte d’informations importantes pour l’individu ou sa communauté, ainsi que la capacité d’établir un agenda commun avec son entourage 84 . Cependant nous pouvons tempérer : la fragmentation de l’agenda commun supposerait que l’on n’accède plus aux médias que par des accès personnalisés, ce qui n’est évidemment absolument pas le cas.

Entre médiation professionnelle et sélection personnelle Fragmentation de l’agenda commun En personnalisant l’accès aux médias, les “lecteurs de flux RSS” fragmentent l’agenda commun. Il s’agit ici d’une négation très forte de l’espace public tel qu’il était constitué jusqu’à présent. Effectivement, la presse traditionnelle crée des sujets communs à tous ses lecteurs en les exposant au même contenu. Bien entendu, chacun y effectue sa sélection personnelle, mais le nombre limité de publications ainsi que la hiérarchie de l’information et la vision d’ensemble qu’offre un journal papier augmentent les chances du public de prendre connaissance des mêmes sujets. Au-delà de leur fonction d’information,

S’enfermer dans sa “zone de confort” En permettant à l’internaute de sélectionner lui-même les actualités qu’il recevra quotidiennement, les “lecteurs de flux RSS” produisent la

80.  Tel que des sites de partage de photos ou programme de séances cinématographiques    81.  Daniel Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001    82.  Joyce Barnathan (présidente du International Center for Journalists), Global Journalism, A Transformative Moment, Google Tech Talks, Google Inc., Mountain View, Californie, 29 Aout 2007    83.  La “sérendipité”, la francisation du mot anglais “serendipity” signifie l’effet par lequel quelqu’un effectue une découverte heureuse ou inattendue.  Source: The American Heritage Dictionary of the English Language, Fourth Edition, Houghton Mifflin Company, 2006    84.  En étudiant l’influence de la presse sur son public à la fin des années soixante, les universitaires américains Maxwell Mccombs et Donald Shaw introduirent la théorie de “l’Agenda setting”. Elle met en lumière la capacité des médias à établir la liste des thèmes débattus dans une société.   Pierre Albert sur l’influence de la presse: “Sa mesure en est pratiquement impossible. [...]   Son influence n’en reste pas moins importante et l’analyse de ses fonctions a montré combien elle était un indispensable facteur d’équilibre de la vie sociale, tant en aidant les individus à purger leurs passions qu’en renforçant les liens d’appartenance aux différents groupes sociaux et à la communauté nationale, voire internationale.”

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“désintermédiation” du journaliste. En effet, selon le modèle traditionnel de distribution de la presse, et sans prétendre à une transmission objective des actualités, le journaliste est un professionnel qui connaît les limites de sa pratique. En s’appuyant sur la fiabilité de ses faits, sa capacité de discernement, sa déontologie et les ressources qu’il met en oeuvre pour clarifier un sujet 85 , il tente d’établir un équilibre à travers la diversité de ses sources. En revanche l’internaute qui utilise un “lecteur de flux RSS” ne possède pas forcément le recul, l’expertise ou le temps nécessaire pour oeuvrer à la sélection des sources avec autant de clairvoyance. D’après les observations d’Eric Scherer, Directeur de l’Analyse Stratégique et des Partenariats de l’AFP, les générations ayant grandi avec l’informatique à leurs côtés seraient les premières concernées: “Hyper connectés, [les jeunes] refusent qu’on leur dise à quoi s’intéresser. Les jeunes veulent êtres les libres arbitres de leurs propres vérités.”86 En personnalisant ses informations en fonction de ses centres d’intérêts, le lecteur risque effectivement de s’enfermer dans une “zone de confort” et ne plus s’exposer à des idées ou des opinions qui pourraient diverger avec la sienne. En s’écartant d’une presse qui veille à la diversité des idées et des opinions, il devient difficile de relativiser afin de mettre en perspective ses centres d’intérêts et ses connaissances sur le reste du monde.

En permettant à l’internaute de suivre plusieurs sources en parallèle, Netvibes est un outil qui facilite le discernement de l’information par lui-même. Voir les différences et se rendre compte de la diversité des angles d’attaque pour rentrer dans un sujet est en soit un acte de médiation permettant de comprendre la complexité. Il faut donc reconnaître que le “lecteur de flux RSS” favorise l’autonomie plutôt que l’assistance. Ainsi, entre médiation professionnelle et sélection personnelle se jouent les enjeux cruciaux du discernement et de l’appropriation de l’information.

L’information morcelée Une lecture par bribes En balayant la page du “lecteur de flux RSS” des yeux, l’internaute visualise avant tout des bribes d’information. Il peut ainsi se rendre compte très rapidement et succinctement de l’ensemble des événements les plus récents et dignes d’intérêt que les sources qu’il a sélectionnées lui transmettent. Cette lecture de surface s’inscrit dans un phénomène plus large de consommation de l’information sur le Web. En Juin 2008, l’agence de presse Associated Press en partenariat avec les anthropologues du Context Based Research Group publièrent un rapport de recherche sur les tendances de consommation de la presse par les 18-34 ans. L’une de leurs conclusions principales concerne l’apparence de signes de “fatigue” ou de saturation des jeunes lecteurs dus à une surabondance de bribes ou de fragments de contenus qui ne mettent pas les événements en perspective. Selon le rapport : « Les personnes ayant participé à l’étude recevaient et accédaient à un manque d’équilibre entre les titres et misesà-jour dans leurs routines quotidiennes, versus une mise en perspective plus profonde [...]». Les anthropologues comparent le phénomène

Acquérir de l’autonomie Ce qui est dit ci-dessus suppose que les médias s’auto-régulent et ne subissent pas de pressions économiques ou politiques. Les grands organes disposent de moyens permettant l’investigation ou le reportage à l’étranger, mais subissent aussi des pressions. Sur Internet, il existe une très grande diversité de lignes éditoriales qui démultiplient les points de vue. De plus, les barrières géographiques ou financières sont éliminées, la majorité des sites se trouvant financée par la pub.

85.  Solliciter l’expertise d’un spécialiste, enquête de terrain, vérification des faits, etc.    86.  Eric Scherer (AFP - Directeur, Analyse Stratégique et Partenariats), «New media, new journalism?», Media watch, Observatoire mondial des médias, AFP, Paris, Automne 2007, p.3

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au régime alimentaire. En démultipliant l’accès à l’information sous forme de bribes, le régime de l’internaute est déséquilibré, comme s’il mangeait «trop de chips et pas assez de légumes» 87. Les anthropologues estiment que ce phénomène, s’il venait à croître, serait une menace pour la santé des sociétés démocratiques qui repose sur la qualité de l’information.

xes. Le “lecteur de flux RSS” répond peut-être au besoin de faire converger des sources disparates pour se forger une vision plus précise de ces domaines émergents. Transition Le “lecteur de flux RSS” extrait les informations de leur contexte et de leur présentation d’origine, pour (re)présenter le contenu selon ses propres codes. Ainsi, toutes les sources se trouvent homogénéisées du point de vue de leur forme. En dégageant les sources d’informations de leur forme d’origine, ainsi qu’en déléguant partiellement leurs présentations aux utilisateurs, Netvibes illustre l’un des plus grands changements auxquels le designer de médias numériques se trouve confronté : la perte de la maîtrise du sens formel.

La somme des parties Selon la psychologie de la forme ou “Gestaltpsychologie”, «la perception du tout est antérieure à celle des parties», ou comme le souligne Jean-Noël Kapferer: “Ce sont les propriétés relationnelles qui créent la forme et non pas l’assemblage de chacune des sous-parties.”88 Le “lecteur de flux RSS” semble incarner cette idée. S’il ne propose pas une présentation idéale pour la réception de chacun des éléments de manière isolée (mise en forme pour la lecture), le tout offre plus que la somme des parties. Il est un catalyseur pour faire émerger des rapprochements.

3.3.2. Sens formel Le sens de la production éditoriale : la co-production

La presse spécialisée assure naturellement le rôle de veille d’usages et technologies pour les métiers qui brassent de l’information de nature transversale. Lorsque celle-ci est absente ou restreinte, que la spécialité est émergente, les outils tels que Netvibes peuvent faire office de remplaçants. Prenons l’exemple de l’activité du design. Dans les dix dernières années, un certain nombre de spécialisations sont nées en réponse aux changements industriels : “designer d’interaction”, né au confluent des objets et médias informatisés, ou “designer de service”, qui reconnaît l’inscription des produits industriels contemporains dans un écosystème plus global de service. Ces spécialisations commencent à se préciser, mais leurs contours, parfois encore flous, puisent dans une variété de domaines conne-

Les médias, tels que les journaux ou tout autre produit de l’édition, véhiculent des messages dont le sens provient tant de leur forme rédactionnelle que de leur incarnation matérielle et graphique. Nous pouvons nous référer ici au concept d’«énonciation éditoriale» proposé par Emmanuel Souchier, professeur en sciences de l’Information et de la communication au CELSA, pour désigner «l’élaboration plurielle de l’objet textuel» 89 . En s’appuyant sur les oeuvres de Queneau, Cent Mille Milliards de Poèmes, et de Mallarmé, Un Coup de dés n’abolira jamais le hasard, Souchier montre que le

87.  Jim Kennedy (Director of Strategic Planning, AP) & Context Based Research Group, A New model for News, Studying the Deep Structure of Young-Adult News Consumption, Associated Press, New York, June 2008, p.52    88.  Francis Balle, Introduction aux médias, Presses Universitaires de France, Paris, 1994, p.215    89.  Emmanuel Souchier, (sous la direction de Mme le Professeur Anne-Marie Christin), Lire & Ecrire: Editer des manuscrits aux écrans autour de l’oeuvre de Raymond Queneau, Université Paris 7 Denis Diderot, UFR Sciences des Textes et Documents, Centre d’Etudes de l’Ecriture CNRS, Paris, Année universitaire 1997-1998, p.172

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Évolutions, Médias & Design

La perte de la maîtrise du sens formel

sens d’une oeuvre est co-produit par l’auteur et les professionnels de l’édition, notamment le graphiste, qui donnent une forme matérielle et graphique aux textes. En effet, la matérialité de Cent Mille Milliards de Poèmes «est une des données essentielles de sa littérarité» 90 . L’oeuvre rassemble 10 sonnets, chacun possédant 14 vers, que le lecteur peut combiner selon sa volonté, la somme de toutes les combinaisons possibles atteignant cent mille milliards. Le sens de cette oeuvre découle de sa structure dite “combinatoire”. Ainsi, Massin, le graphiste qui conçut en son temps la maquette originale, choisit d’imprimer chaque vers sur une languette mobile découpée et attachée à la reliure du livre. Il est intéressant de noter que des éditions subséquentes n’offrent pas les mêmes conditions matérielles permettant l’opération combinatoire 91 . L’oeuvre perd alors beaucoup de son sens. L’exemple de l’oeuvre de Mallarmé, Un Coup de dés n’abolira jamais le hasard, illustre à son tour combien le sens d’une oeuvre est lié à la forme graphique de son texte. Une grande part du sens de ce poème réside en effet dans sa composition typographique. De manière plus générale, Souchier souligne qu’«il n’est pas de texte qui, pour advenir aux yeux du lecteur, puisse se départir de sa livrée graphique» 92 . Ainsi “l’image du texte” est à maîtriser au risque de ne pas véhiculer le sens souhaité. Les journaux le reconnaissent très largement en convoquant l’expertise du design pour traduire graphiquement la ligne éditoriale. Le designer insuffle du sens sur le plan de l’identité visuelle, la narration et la lisibilité des contenus rédactionnels.

Historiquement, la fonction du designer dans l’industrie est de s’assurer de la maîtrise formelle des produits qu’il conçoit. Il en va de sa responsabilité (et le sens de l’existence de ses objets en dépend). En fonction du destinataire, des contraintes de fabrication et du coût de production, il détermine les formes, proportions, matières et couleurs qu’il estime être les plus judicieuses. Ces prescriptions sont figées par la fabrication industrielle du produit, qui par incidence, devient un produit fini, arrêté dans sa forme. À l’échelle de la presse écrite, le contenu rédactionnel, mis en forme par le designer, est imprimé sur le papier du journal. Les choix formels du designer sont inscrits de manière permanente dans la matérialité du support de transmission. Le designer peut ainsi s’assurer la stabilité de ses prescriptions.

Il en va autrement des supports numériques qui, de manière inhérente, dissocient contenu et présentation. Lev Manovitch, professeur de “new media art and theory” à l’Université de Californie à San Diego explique ainsi qu’un «[...]nombre d’interfaces complètement différentes peuvent être construites à partir des mêmes données, de la même base de données à un environnement virtuel. En somme, le nouvel objet médiatique est quelque chose qui peut

90.  Emmanuel Souchier, L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale, Les cahiers de la médiologie, n˚6, Paris, Décembre 1998, p.138    91.  Emmanuel Souchier, (sous la direction de Mme le Professeur Anne-Marie Christin), Lire & Ecrire: Editer des manuscrits aux écrans autour de l’oeuvre de Raymond Queneau, Université Paris 7 Denis Diderot, UFR Sciences des Textes et Documents, Centre d’Etudes de l’Ecriture CNRS, Paris, Année universitaire 1997-1998, p.153    92.  Emmanuel Souchier, L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale, Les cahiers de la médiologie, n˚6, Paris, Décembre 1998, p.138    93.  Lev Manovich, The language of new media, The MIT Press, Cambridge, London, 2001, p.134 traduit de l’anglais : «[...] a number of completely different interfaces can be constructed from the same data, from a database to a virtual environment. In short, the new media object is something that can exist in numerous versions and numerous incarnations»

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L’actualité en réseau : basculer d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture

par contre une très grande souplesse de structure permettant de reconfigurer l’information à l’infini.

exister sous de nombreuses formes, nombreuses versions» 93 . Dans la presse écrite en ligne, ce phénomène se manifeste au quotidien par la distribution des mêmes articles achetés aux producteurs de contenu, par de multiples portails web tel que Yahoo! News ou Google News. Ainsi, un même article édité par LeMonde.fr peut être publié sur plusieurs sites distincts, à chaque fois avec une présentation différente.

Ainsi les artefacts comme Netvibes procurent une organisation flexible de l’information que le journal papier ou le site web d’information n’offrent pas. De cette flexibilité peuvent naître divers modes d’appropriation et diverses pratiques telles que la veille. Ainsi, la valeur que l’artefact fourni à son utilisateur ne se situe plus à l’échelle de la forme de l’information, mais à l’échelle de l’usage que l’on peut en faire. Cependant la malléabilité engendre une perte de la maîtrise formelle. Dans ce contexte, le designer doit jongler entre la maîtrise du sens formel et la flexibilité de la structure de l’artefact. Ainsi, Khoi Vinh, directeur du design du “site web d’information” du New York Times explique que le designer «transfère une partie du contrôle à l’utilisateur» 95 . L’artefact qu’il conçoit relève plus de l’outil que de l’objet. Le designer doit se demander quelle quantité de contrôle il transfert vers l’utilisateur. Il s’agit là de trouver un équilibre entre la nécessité de maîtriser le sens formel de l’information et permettre les différents usages de l’information.

À une moindre échelle, la forme d’un site web d’information diffère aussi légèrement d’un ordinateur à un autre. Selon le paramétrage de la machine, le navigateur utilisé pour naviguer sur Internet ou le type d’écran, la police de caractère choisie par le designer peut se trouver substituée par une autre et les couleurs ne sont pas forcement fidèles. Dans l’absolu, la forme du site web d’information dépend aussi du débit de la connexion au réseau, de l’opérateur ou encore de la gouvernance d’Internet qui impose des standards industriels. Même si le designer a une bonne chance que son public visualise l’information telle qu’il l’a mise en forme, rien ne le garantit. Nous voyons donc qu’il existe un ensemble de couches formant un système de co-dépendance qui échappe au contrôle du designer. Ces couches constituent la nouvelle industrie 94 dans laquelle s’insère le designer de médias numériques. Celui-ci doit ainsi apprendre à reconsidérer le fondement théorique sur lequel repose sa pratique.

Basculement d’une problématique d’interface vers une problématique d’architecture

Un équilibre entre la maîtrise du sens formel et la flexibilité d’organisation de l’information

Nous avons vu qu’en perdant une partie de la maîtrise du sens formel, l’échelle d’intervention du designer s’ouvre à de nouvelles problématiques de conception. Il y a basculement d’une problématique d’interface vers une problématique d’architecture. Si l’activité du designer était autrefois circonscrite à la mise en page de l’information, aujourd’hui, elle se situe aussi dans la conception de la structure de l’artefact. ó

Si l’infrastructure technique sur laquelle reposent les médias numériques - l’informatique en réseau - ne se prête pas à la stabilité formelle des contenus qui y sont transmis, elle offre

94.  “Industrie”, au sens où l’emploie Pierre Damien Huyghe dans l’Éloge de l’aspect: «[...] la fabrique d’un effet par couches ordonnées du travail [...].  Source: Pierre-Damien Huyghe, Éloge de l’aspect, éditions MIX, Paris, 2006    95.  Khoi Vinh, Control, AIGA National Design Conference, Denver, 13/10/07

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Les objets connectés

connectés 4. Les objets Après avoir observé l’artefact de la presse traditionnelle et ses métamorphoses sur le réseau, le moment semble propice pour s’intéresser aux supports de l’information numérique. Aujourd’hui, l’ordinateur personnel est le moyen le plus commun utilisé pour accéder aux médias en ligne, quel que soit le média. Cependant, celui-ci présente certaines limites liées à la mobilité ou au confort de réception. Ainsi son statut omnipotent peut-il être remis en question. La lecture de la presse écrite, au même titre que d’autres médias, n’est pas seulement une question de décryptage visuel, mais aussi une question de situation et de contexte. Deux exemples classiques peuvent l’illustrer. Dans la majorité des grandes villes, le temps de transport entre le domicile et le travail est souvent un moment consacré à la lecture de la presse. Ou encore, pouvoir lire son journal le week-end, allongé(e) dans son lit, procure une expérience particulièrement agréable! En somme, la disponibilité qu’un individu accorde à la lecture de la presse dépend du temps dont il dispose, mais aussi de l’aisance avec laquelle il accède au contenu. Comment les industriels ou organisations de presse répondent-ils à ces situations? S’agit-il d’inventer de nouveaux produits, ou encore d’intégrer les médias à des supports existants? Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence de deux cas de figure, principalement : - Les médias intègrent les objets existants : il s’agit le plus souvent d’objets qui assument de multiples fonctions, tels que les téléphones portables. - De nouveaux objets sont conçus spécifiquement pour répondre aux usages des médias numériques et constituent parfois de nouveaux genres, tel que le livre électronique. 53


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4.1. Le téléphone portable Depuis plusieurs années, les téléphones portables s’émancipent de leur statut d’origine et tendent davantage vers des “ordinateurs de poche”. Aujourd’hui, la grande majorité des modèles permet l’accès à du contenu en réseau, à condition d’avoir le forfait adéquat. Cependant, la présentation de ce contenu est souvent très formatée pour s’adapter aux contraintes de taille des petits écrans. Le iPhone, le téléphone de la marque américaine Apple sorti sur le marché en 2007, inaugure une génération de téléphones qui affirment leur statut d’objet pluriel, tant destiné aux médias en tous genres qu’à la télécommunication. À l’échelle du produit, ce positionnement se traduit par une surface d’affichage bien supérieure à celle du téléphone moyen. Le clavier est remplacé par un écran tactile recouvrant la superficie quasientière de l’objet. De plus, le téléphone permet d’accéder à Internet avec la même présentation que sur un ordinateur domestique. Moins d’un an et demi après sa mise sur le marché, Apple a vendu plus de 12 millions de iPhones96 . Aujourd’hui, la majorité des organisations de presse propose son contenu dans un format optimisé pour l’iPhone. ¯  Plusieurs pages de la version du site web du New York Times dédiées au iPhone. source : http://www.nytimes.com/services/mobile/iphone.html ˚  Prise en main du livre électronique Kindle.

4.2. Le livre électronique Le livre électronique est un appareil dont la fonction principale est la restitution de texte ou d’images numériques de manière confortable. À la différence des écrans de PC, il s’appuie sur une technologie d’affichage conçue pour un confort oculaire avoisinant celui du papier. Même si ces technologies existent en laboratoire depuis les années 70, le livre électronique en tant que 96.  Michael Arrington, iPhone 3Gs Now Outnumber First Generation iPhones, TechCrunch, 26/08/08

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Les objets connectés

produit commercial, n’est disponible que depuis quelques années. La librairie en ligne américaine Amazon.com, est l’un des acteurs les plus fervents du marché des livres électroniques. En 2007, la société sort le Kindle, son premier livre électronique accompagné d’un catalogue en ligne propriétaire. L’accès au contenu s’effectue directement par le Kindle qui dispose d’une connexion au réseau sans fil et d’un clavier intégré. Ayant fait son choix, l’utilisateur télécharge le contenu directement sur l’appareil. Ainsi, aucune connexion n’est nécessaire pendant le temps effectif de la lecture. La capacité de stockage du Kindle s’élève à environ 200 livres. L’offre actuelle d’Amazon.com se compose d’environ 170,000 livres, ainsi que d’une sélection de quotidiens et de blogs importants tels que le New York Times, le Monde et le Huffington Post. Comme pour leurs homologues en papier, ces publications s’achètent à l’unité ou par le biais d’un abonnement. Le Kindle lit un format de document propriétaire l’intégrant à un système de distribution fermé. L’usage “presse quotidienne” du livre électronique reste encore minoritaire, mais les chiffres de ventes montrent une adoption croissante au fur et à mesure de l’augmentation des catalogues de contenu. Environ six mois après sa sortie, 240 000 Kindles avaient été vendus 97.

“Tourner une page” ou “marquer une page” quand il n’y a plus de papier? Interagir avec une machine numérique était déjà le défi auquel répondait la souris informatique, conçue par Douglas Engelbart et développée par les laboratoires de recherche du Xerox Park en Californie. Elle est l’extension physique du doigt à l’écran, adaptée au contexte de la bureautique : l’ordinateur est posé sur le bureau. Naturellement, pour répondre à la contrainte de la mobilité, la souris ne convient plus. Afin de permettre l’accès aux médias avec de nouveaux dispositifs mobiles, il faut donc redéfinir les modalités d’interaction. C’est ainsi que l’iPhone avec son écran tactile, et le Kindle avec son clavier et ses boutons offrent des modalités d’interaction très différentes.

4.4. L’objet connecté à son écosystème Nous remarquons que les nouveaux supports d’accès à la presse écrite sont des objets connectés au réseau. De ce point de vue, ils s’inscrivent dans la lignée d’objets médiatiques plus anciens, tels que le téléviseur, connecté à son réseau de distribution hertzienne. Ce modèle n’avait jamais été appliqué à la presse écrite. Elle s’est en effet toujours trouvée exempte de cette connexion permanente. Bien entendu ne pouvait-elle pas alors, et ne peut-elle toujours pas exister sans une distribution du journal papier, mais l’objet en tant que tel est autonome, ne nécessite et ne permet pas de mise à jour ! Les nouveaux supports ne sont en outre pas les terminaux d’un canal de distribution unilatéral. Reliés à internet, ils sont tout à la fois le journal et le kiosque.

4.3. Interagir avec l’information sur écran Ces deux produit rencontrent une problématique commune : comment interagir avec l’information sur écran? Pour naviguer à travers un livre ou un journal en papier, nous effectuons une série de gestuelles qui nous paraissent tellement évidentes que nous en oublions qu’elles ont été imposées par l’invention millénaire du codex. En changeant de support, il devient nécessaire de réinventer ces gestuelles afin de trouver des solutions pour les transposer à l’écran. Quel est le sens de

Pour le designer, cela signifie qu’il est nécessaire de concevoir un “dialogue” entre l’objet et le service. Adam Greenfield, directeur du design des services et des interfaces chez Nokia, souligne que la qualité des objets connectés tient en large partie à la cohérence de l’écosystè-

97.  Erick Schonfeld, We Know How Many Kindles Amazon Has Sold: 240,000, TechCrunch, 01/08/08

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me objet-service. Dans son article, On the ground running: Lessons from experience design98 , il souligne que le succès du iPod, le baladeur musical de la marque Apple, provient de la capacité de ses concepteurs à envisager les multiples couches du produit en tant que tout et non comme une somme d’entités isolées. Ce type d’écosystème présente une facette intéressante pour l’utilisateur : il permet de faciliter le processus global puisque toute l’expérience peut être maîtrisée d’un bout à l’autre (recherche, achat, lecture). Mais cette vertu pratique est integrée au détriment de la flexibilité d’usage. En particulier dans le cas de l’iPod, l’écosystème est extrêmement fermé : le logiciel qui lui est associé, iTunes, ne peut accéder à d’autres services que ceux fournis par le constructeur. Ce qui, bien entendu, se trouve être particulièrement intéressant commercialement pour Apple… Quoiqu’il arrive, le designer doit visualiser l’ensemble des étapes qui font le processus. En somme, traduire à travers de nouvelles formes l’expérience de la recherche, de l’achat, du rangement et de la lecture.

Je vais m’attacher maintenant à porter un regard neuf sur deux projets d’artefacts prospectifs que j’ai réalisé pendant ma scolarité à travers le prisme de l’analyse de médias que j’ai mise en place dans ce mémoire.

98.  Adam Greenfield, On the ground: Lessons form experience design, Think Tank, Adobe Design Center, 2007

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4.5. En aparté : artefacts prospectifs dans le domaine de la musique numérique

Rassembler pour tisser des liens Ambion est ainsi relié à une bibliothèque musicale en ligne. Cet accès à la musique diffère des supports traditionnels tels que le CD, tant par son potentiel de linéarité d’écoute que par son potentiel de quantité de musique.

Ce texte explore la nature des relations que nous entretenons avec la musique à travers deux projets que j’ai réalisé à l’Ensci en binôme avec Denis Pellerin dans le cadre d’un partenariat avec Kenwood, fabriquant japonais de produits électroniques audio.

L’utilisateur se trouve en effet face à une base de données quasi infinie rappelant davantage un catalogue que le produit d’un artiste. François Pachet, chercheur au CSL de Sony, s’y réfère en évoquant «...une immensité informe de musique à laquelle je ne peux donner du sens. [...] Quelle écoute pour ça? comment l’appréhender?».

Les deux projets, Ambion et Vox, participent d’un objectif commun : permettre et incarner les nouvelles relations avec l’usager induites par la mise en réseau de la musique. Ils abordent cependant le sujet de manières différentes : Ambion privilégie le partage d’une expérience sensible et domestique, alors que Vox explore plutôt notre rapport à la musique à travers de nouvelles modalités d’échange et de diffusion. Avant d’entrer plus avant dans l’analyse des usages et représentations auxquelles ces projets peuvent conduire, voici leurs descriptions.

Ambion Description

Ambion est un dispositif audiovisuel domestique, dédié à l’écoute musicale, qui se compose principalement d’un haut-parleur inspiré de la forme de deux abat-jours renversés et imbriqués. La surface de ce haut-parleur laisse transparaître un écran circulaire destiné à l’affichage des clips vidéo musicaux. Il s’agit ainsi d’une “chaîne hi-fi” augmentée de la capacité de diffusion de clips vidéos.

Plusieurs stratégies s’offrent au concepteur pour tenter justement d’insuffler du sens dans cette immensité. La stratégie du classement semble la plus évidente. Malgré des controverses sur les manières d’organiser les titres, de nombreux services travaillent sur les questions d’accès aux catalogues de musique en ligne (par exemple le service MoodLogic). En revanche, moins de projets explorent la réception-diffusion de la musique elle-même. Ambion propose d’investir ce terrain en partant du constat suivant : sans le contexte commercial et culturel de l’album, les morceaux individuels sont fragmentés et dissolus dans une masse hétérogène.

Ce dispositif se trouve complété d’une télécommande et d’un socle de contrôle, qui permettent l’accès et l’organisation des contenus. Enfin, l’ensemble est relié, sans fil, à un catalogue de musique et vidéo en ligne (semblable au iTunes Music Store).

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L’intégration d’un objet dans l’espace

L’intention qui consiste à recomposer les albums dans des listes semble un peu artificielle. En revanche la diversité des contenus rassemblés sur Internet paraît propice à l’établissement de liens entre des morceaux et vidéos de natures a priori diverses. Comme nous l’explique Francois Pachet, il ne s’agit pas tant de s’attarder sur la nature des liens que de constater que nous les construisons implicitement lorsque nous naviguons de titre en titre, au gré des évocations ou des souvenirs que les morceaux nous procurent : «J’ai donc, au passage, en passant, construit des liens, qui d’ailleurs s’effacent une fois l’écoute terminée. Je ne garde aucune trace de ces enchaînements compulsifs, mais il me semble qu’ils sont pourtant au coeur de toute cette affaire. Non pas tant les liens par eux-mêmes bien sûr : je ne cherche pas à convaincre quiconque que le passage de Michael Franks - Tell me about it (et cette si astucieuse syncope dans la mélodie) à Gino Vanelli - Appaloosa (et ces arrangements Jazz-rock symphoniques précis, puissants, et fatigants), ait une quelconque portée universelle. Ce lien, je l’ai fait pour moi, simplement avec l’idée que cette écoute à venir allait m’apporter quelque plaisir ou excitation musicale.» 99

L’ordinateur, aujourd’hui accès principal de la musique en ligne, isole l’auditeur par sa nature d’outil personnel. À l’inverse, Ambion est conçu pour s’insérer dans le salon à l’instar d’un plafonnier, ce qui lui confère une place centrale dans l’espace domestique. En effet, le choix d’intégrer un appareil de diffusion dans un espace en particulier contribue à définir la nature de la relation que l’on souhaite avoir avec la musique et le “degré d’intrusion et de partage” que l’on accepte (dans le cas d’Ambion, partage avec sa famille ou ses amis). Depuis quelques années, il est intéressant de constater la participation croissante aux concerts. Selon Alban Martin, auteur de L’Âge de Peer100 , ce regain d’intérêt pour des événements «live» intervient en corollaire du succès du partage de musique sur les sites de peer-to-peer, isolé de tout contact humain. En outre, L’écran informatique traditionnel et son interface, par laquelle nous recevons nos contenus en ligne, nous place dans un environnement héritier de la bureautique. Ambion s’éloigne de ces codes formels d’usage en privilégiant une expérience plus sensible. Un écran circulaire crée un nouveau rapport plus abstrait à l’image et au son. On peut parler d’une nouvelle expérience esthétique, de la création d’une ambiance, d’une atmosphère.

Ainsi l’enjeu d’Ambion est-il d’incarner ces fameux liens afin de rendre leur réception intelligible. Cependant à la différence des «enchaînements» qu’évoque Pachet, le dispositif Ambion tisse plutôt des liens à travers la mise en regard de contenus musicaux et vidéos. Ambion tente de s’emparer, d’incarner ce nouveau rapport à la musique.

Ambion prend ainsi toute sa dimension lors des moments de partage musical, en famille ou entre amis : il accède à son statut d’objet/média. Lorsque l’on souhaite écouter la musique davantage pour soi, même dans le salon, d’autre objets conviennent peut-être mieux. Dans ces circonstances, Ambion prend alors plutôt le statut de lampe “normale”, et attend l’occasion d’être remis en route.

99.  François Pachet, Noms de Fichiers: Le Nom, STP (Sujet, Théorie et Praxis), Maison des Sciences de l’Homme, EHESS, 2003 100.  Alban Martin, L’Âge de Peer, Pearson Education France, Paris, 2006

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Vox Description

Vox est un casque audio autonome qui mélange écoute musicale et télécommunication. Chaque utilisateur peut écouter de la musique, converser à distance ou mélanger les deux à la fois (converser sur fond musical). Comme avec un baladeur mp3 classique, Vox permet d’écouter sa propre “playlist”101 . De plus, celle-ci peut être diffusée en simultané à l’ensemble de ma communauté en ligne, pour ceux qui souhaiteraient l’écouter. Ainsi, chacun peut se connecter aux flux musicaux de ses amis, à l’instar d’une fréquence radio. Chacun devient DJ ou radio amateur pour sa communauté. Il existe par conséquent autant de programmations musicales que de personnes dans une communauté en ligne.

˚  Le casque audio est composé d’une oreillette qui se détache et fait office d’interface

Kazaa, ou sur le portail communautaire Myspace, vitrine audio de nombreux musiciens amateurs et professionnels. Dans ces différents cas, découvrir de nouveaux morceaux devient une pratique active mais solitaire. Enfin, la démocratisation des outils de production et diffusion numérique a amplifié l’abondance de musique sur Internet. On oscille ainsi entre une grande diversité et une terrible saturation, ne pouvant tout écouter ou tout apprécier. Dans ce contexte, peut-on proposer des dispositifs susceptibles d’aider à découvrir la musique à laquelle on peut être sensible?

Découvrir la musique dans un environnement de surabondance Le projet Vox explore notamment le thème de la découverte de nouvelles musiques sur Internet. Afin d’aborder cette question, il est intéressant d’investiguer le schéma traditionnel de la radio hertzienne. Celle-ci tient en effet une place de prédilection dans l’exposition de nouveaux talents grâce aux programmateurs radios qui, dans la mesure du possible, les choisissent selon leurs sensibilités. Il est remarquable que la diffusion est pyramidale : “quelques-uns s’adressent à des milliers ou des millions de personnes» 102 , selon les mots de Joël de Rosnay. Ainsi, la diversité de contenus se trouve limitée par le nombre de diffuseurs.

En proposant d’écouter les programmations musicales de ses amis, Vox permet de filtrer la (sur)abondance musicale sur Internet en faisant confiance à la sensibilité d’autrui. L’écoute et la diffusion sont simultanées, comme dans le cas de la radio traditionnelle. Ainsi, la musique peutelle être relayée par une communication téléphonique et se prolonger par une conversation pour partager ses impressions, ses découvertes, sa passion. Vox nous permet de comprendre que notre rapport à la musique incorpore en effet de nom-

Le partage de la musique en ligne offre une alternative. La musique est librement accessible sur les sites d’échange en peer-to-peer comme

101.  Liste de lecture de fichier audio. Peut être lu de manière séquentielle ou aléatoire. 102.  Joël de Rosnay, La Révolte du Pronétariat, Fayard, Paris, 2006

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˘  Le téléviseur “Panoramic 3” de la marque Téléavia, conçu par le designer Philippe Charbonneaux en 1957, est un exemple d’objet “récepteur” qui s’intègre dans l’habitat grâce aux codes formelles du mobilier.


Les objets connectés

à retransmettre des pièces de théâtre radiophoniques, diffuser des reportages, bulletins d’information et concerts. Ainsi la musique devient musique-service. Aujourd’hui sur Internet, nous redécouvrons le service à travers un processus “bottom-up” et non plus “top-down”. Connectée en réseau, toute personne a le potentiel d’être récepteur et diffuseur. Ainsi nos points de repères ne s’appuient plus uniquement sur des institutions mais aussi sur des individus indépendants de tout organisme. Réinventer la diffusion musicale en passant par les playlists de nos relais ou leaders d’opinion est un service qui s’appuie sur la connaissance du rôle des modèles dans la consommation ou dans les opinions. Bien évidemment, ce changement ouvre la voie à l’émergence de musiciens ignorés par l’industrie musicale classique, et menace le travail d’artistes plus installés qui ne sauraient s’emparer de ces nouvelles plates-formes.

breuses modalités de réception telles que le relais d’opinion ou le mimétisme. Ces modalités paraissent particulièrement adaptées au mode de diffusion propre à Internet du “tous vers tous”, caractérisé par Joël de Rosnay : nous écoutons ce qu’écoutent les gens qui nous entourent (la famille, les amis, les collègues, les leaders ou relais d’opinion). Elles permettent de s’affranchir du modèle classique de diffusion pyramidale et de régler une grande part du problème lié à la surabondance. En outre le numérique permet de concrétiser le nouvel espace partagé entre diffusion de contenus et télécommunications : certains jeunes placent d’ores-et-déjà leur téléphone contre une enceinte de chaîne Hi-Fi pour faire découvrir leurs morceaux préférés à leurs amis. Le projet Vox permet de favoriser cet usage en lui offrant une forme. Avec la malléabilité du numérique, communication et diffusion refont surface dans le même espace, ouvrant les perspectives à de nouvelles pratiques et de nouvelles formes.

Le récepteur en tant que meuble / situation d’écoute À partir des années 20, les premières stations radio grands public sont accompagnées par la naissance d’une nouvelle typologie de récepteur. Afin de favoriser leur intégration dans l’espace domestique, ceux-ci abandonnent leur caractère technique au profit des codes formels traditionnels du mobilier. De par leurs tailles imposantes, de nombreux postes tel que le Ducretet C 980 103 , accèdent à une place centrale dans l’habitat. Et ils s’intègrent au modèle familial de situation d’écoute de l’époque. L’image d’Épinal dépeint la famille, le soir, rassemblée autour du feu et du poste de radio. Elle témoigne de l’importance d’une musique qui se partage chez soi en famille ou entre amis. Avec le temps, la radio se disperse dans la maison ainsi que la voiture. L’évolution de la vie familiale commence à tendre vers une segmentation des situations d’écoute dans l’espace, une individualisation des moments dédiés à la musique.

Synthèse Ces projets s’intègrent à l’évolution actuelle des relations que nous entretenons avec la musique, depuis l’avènement de sa présence sur Internet. Cependant il est possible de comparer l’écosystème composé du dispositif Ambion et de la musique en ligne avec celui qui comprend l’appareil de réception radio domestique et l’émission radiophonique.

Et la musique devint service En 1922, Émile Girardeau crée Radiola, l’une des premières stations de radio grand public. La radio s’émancipe de sa fonction originelle d’instrument de communication pour devenir une entreprise de spectacle. Elle est la première

103.  Récepteur radio commercialisé par la firme Thompson à partir de 1938.

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intégré à plusieurs “playlists”. Cette flexibilité de gestion explique largement le succès de l’appropriation par le grand public de la musique sur ordinateur.

En 1961, la firme Philips invente la cassette audio. Présenté au public deux ans plus tard, ce support introduit l’appropriation de la musique en offrant la possibilité d’effectuer un enregistrement personnel. En 1979, Sony s’empare de ce format facilement transportable en orchestrant avec succès la commercialisation du baladeur musical : le Walkman. Celui-ci signe l’accès à l’espace public de l’écoute individuelle. L’avènement de la musique sur ordinateur marque par la suite lui-aussi un nouveau tournant dans les situations d’écoute. L’ordinateur classique n’est pas un meuble et ne peut être réduit au statut de simple lecteur, comme la chaîne hi-fi dont la fonction est de restituer l’information pour l’auditeur. Même si l’ordinateur est le lecteur principal des médias numériques, il est aussi l’outil qui permet de produire, organiser ou manipuler l’information. Connecté à Internet, il devient le dispositif d’accès direct à la distribution musicale. Cette rupture de statut de l’objet médiatique grand public révolutionne nos pratiques d’écoute musicale. À titre d’exemple, iTunes est la médiathèque virtuelle qui accompagne les objets du constructeur informatique Apple104 . Situé à la croisée des chemins de la bibliothèque, du lecteur et de la boutique musicale, ce logiciel embrasse un panorama impressionnant de pratiques courantes de consommation, d’organisation et de situations d’écoute de la musique numérique. En outre, n’étant plus contraint par des supports de stockage physique, chaque titre musical est autonome et “mobile”. Il peut ainsi s’acheter à l’unité, à toute heure de la journée, depuis chez soi, et être reçu quasi instantanément, c’est-à-dire juste le temps d’être téléchargé 105 vers l’ordinateur. Ce titre est alors déposé avec les autres dans la bibliothèque musicale. Ainsi, chacun réorganise sa musique en “playlists”, compilations personnelles destinées à être lues. Grâce encore une fois à l’indépendance des données vis-à-vis de la matière physique, un même titre peut être

Il faut néanmoins reconnaître que le dispositif ordinateur n’est pas adapté à toutes les situations d’écoute. De par sa nature emprunte de bureautique, dont les principes d’interaction reposent largement sur la machine à écrire, l’ordinateur offre une posture d’utilisation solitaire, face à un bureau. Cette configuration d’usage ne répond pas à toutes les situations d’écoute musicale, qui ne se réduisent évidemment pas à un usage solitaire. D’ailleurs, nombreuses sont les fêtes entre amis où l’on constate que l’ordinateur du foyer a été déplacé dans le salon et branché sur hauts parleurs pour l’occasion. Ce phénomène n’est pas passé inaperçu chez les industriels. En 2005, Apple, le fournisseur de iTunes, associe une télécommande à ses ordinateurs afin de proposer un dispositif d’interaction permettant à l’utilisateur de s’affranchir de la “posture bureautique” face à l’ordinateur. De leur coté les fabricants d’équipement audio, tels que Philips, proposent des lecteurs dédiés à la musique numérique. On y retrouve toutes les possibilités de lecture sur ordinateur (choix de la playlist avec lecture séquentielle ou aléatoire) injectées dans un produit assez semblable formellement aux chaînes hi-fi classiques. C’est justement ce qu’un “néo-objet” tel qu’Ambion propose de contredire, en tentant de s’intégrer dans le salon à travers un vocabulaire formel domestique jouant plusieurs rôles : une lampe, un diffuseur de lumière ainsi qu’un diffuseur de musique inspiré d’une ethnologie des comportements à la maison ou éventuellement d’autres lieux de partage musical. En outre Ambion suggère de repenser les médias eux-mêmes pour les intégrer au mieux aux situations familiales ou professionnelles.

104.  Début 2008, le constructeur californien recense 50 millions de clients de cette plate-forme de téléchargement. Source: NPD Group, 26/02/08. 105.  Action de récupérer (ou d’envoyer) un fichier depuis une source de contenu informatique distante.

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Les objets connectés

Et la musique devint objet Elle l’était déjà, incarnée dans l’album. Mais on le redécouvre avec la malléabilité du numérique qui souligne que l’ordinateur comme la chaîne hi-fi sont des objets liés à des situations spécifiques que l’on peut dépasser. La musique peut s’emparer d’autres formes, matières, s’insérer différemment dans notre vie. Après l’autoradio, le Walkman ou l’iPod le problème n’est plus seulement la mobilité mais la modularité des formes, des partages, des matières. ó

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Conclusion

5. Conclusion proposer une information plurielle au lecteur. L’un des défis à relever par le design consiste donc à proposer de nouvelles formes de lecture de l’information.

Avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication, l’échelle d’intervention du design dans le secteur de la presse écrite a effectivement changé. La mise en forme de l’actualité dépasse l’enjeu de communication visuelle, en basculant d’une problématique d’interface à une problématique d’architecture. Même si le graphisme reste l’un des piliers du design éditorial, il ne peut opérer seul dans la conception des artefacts numériques qui requièrent, dans la majorité des cas, d’être pensés comme des systèmes plutôt que des supports de transmission figés. Les nouveaux moyens d’accès à l’information combinent autant des logiciels que des objets matériels. Ainsi, c’est au carrefour du graphisme, de l’architecture d’information, du design d’interaction et du design produit que s’exerce le design des médias numériques. Nous pouvons souligner trois problématiques de design qui émergent de l’analyse des artefacts étudiés dans ce mémoire :

L’objet dans un système des objets Les moyens d’accès à l’information numérique sont, dans la majorité des cas, directement ou indirectement reliés entre eux, même s’ils ne sont pas proposés par la même entreprise. La relation entre “le lecteur de flux RSS” et le “site web d’information” en est un exemple significatif. Etant donnés que les nouveaux moyens d’accès à l’information ne sont pas systématiquement assortis d’une production originale de contenu, ils dépendent des contenus rédactionnels des organisations de presse traditionnelles qui restent les fournisseurs principaux d’information. L’existence d’un écosystème équilibré est vital à l’existence même de ces nouveaux moyens d’accès. Par ailleurs, les organisations traditionnelles de presse produisent désormais plusieurs artefacts à la fois 106 . Au fur et à mesure qu’émergent des artefacts aux modèles économiques plus stables, nous pouvons nous demander comment les organisations positionneront les différents moyens d’accès les uns par rapport aux autres. Dans un contexte d’objets multiples, les fonctions et les statuts de chaque artefact risquent de se trouver exacerbés. Par exemple, les supports de transmission analogiques (journaux et magazines), qui sont loin d’avoir disparus, risquent d’être redéfinis en fonction des autres artefacts aux cotés desquels ils cohabitent.

Tirer parti des propriétés inhérentes au Web pour les mettre au service des problématiques éditoriales Historiquement, la mission première du design dans le secteur de la presse écrite est d’incarner les problématiques éditoriales. Si le fond de cette mission ne change pas, il faut s’adapter au processus éditorial en pleine évolution. De plus, il s’agit de tirer parti de la structure (bilatérale et rhizomatique) du Web pour mettre en relation et confronter les sources d’information, les points de vue et les opinions afin de

106.  Le New York Times produit un journal papier, un site web d’information, un “lecteur de flux RSS”, plusieurs sites optimisés pour les téléphones portables, ainsi qu’une édition pour les livres électroniques.

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Évolutions, Médias & Design

Ainsi, peu importe que plusieurs objets soient produits par une même organisation de presse, ou par des entreprises concurrentes, chaque artefact s’inscrit de toutes façons dans un système des objets. Pour le design, l’enjeu relève alors d’un travail de cohérence entre de multiples moyens d’accès à l’information. Permettre un design à double vitesse Pour la presse d’information numérique, le design s’exerce désormais à deux échelles distinctes : le “design opérationnel” et le “design en amont”. Le design opérationnel assure le travail de mise en forme de l’actualité au quotidien au sein des genres d’artefacts établis. Il a pour défi d’incarner les problématiques éditoriales à travers les diverses modalités de production, circulation et d’accès à l’information ainsi que veiller à l’ergonomie d’usage des artefacts. En prenant conscience de l’évolution des moeurs et des nouveaux usages sociaux qui accompagnent l’accès à l’information en réseau, les grandes organisations de presse sont en train d’adopter des politiques d’innovation pro-actives. Des équipes pluridisciplinaires composées d’ingénieurs, marketeurs, journalistes, et parfois des professionnels issus des sciences sociales commencent à intégrer le design 107 en leur sein pour participer à la conception de nouveaux modèles d’artefacts 108 . C’est dans ce contexte que nous voyons émerger de nouvelles perspectives pour le design dans le secteur de la presse écrite : un design intégré en amont, plus proche d’une optique de Recherche et Développement.

107.  Tel que le bureau de Recherche & Développement du New York Times ou le bureau de “Future Media & Technology” de la BBC.     108.  Accompagnés de nouveaux modèles économiques

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Bibliographie

6. Bibliographie Ouvrages ALBERT Pierre  Que sais-je? La presse, Presses Universitaires de France, Paris, 2006 BALLE Francis  Introduction aux médias, Presses Universitaires de France, Paris, 1994 BALLE Francis  Que sais-je? Les médias, Presses Universitaires de France, Paris, 2004 BOCZKOWSKI Pablo  Digitizing the News: Innovation in Online Newspapers, The MIT Press, Cambridge, London, 2005 BOLTER Jay David, GRUSIN Richard  Remediation: understanding new media, The MIT Press, Cambridge, London, 2000 BOUGNOUX Daniel  Introduction aux sciences de la communication, La Découverte, Paris, 2001 CHARON Jean-Marie  Le journalisme, Editions Milan, Toulouse, 2007 CORROY Laurence, GONNET Jacques  Dictionnaire d’initiation à l’info-com, Vuibert, Paris, 2008 FERENCZI Thomas  Que sais-je? Le journalisme, Presses Universitaires de France, Paris, 2005 FOGEL Jean-Francois, PATINO Bruno  Une presse sans Gutenberg, Grasset, Paris, 2005 HUYGHE Pierre-Damien  Éloge de l’aspect, éditions MIX, Paris, 2006 MANOVICH Lev  The language of new media, The MIT Press, Cambridge, London, 2001 MARTIN Alban  L’Âge de Peer, Pearson Education France, Paris, 2006 MARTIN-LAGARDETTE Jean-Luc  Le guide de l’écriture journalistique, La Découverte, 2005, Paris MC LUHAN Marshall  Pour comprendre les média, traduit de l’anglais par Jean Paré, Mame / Seuil, Paris, 1968 (édition française) MOGGRIDGE Bill  Designing Interactions, The MIT Press, Cambridge, London, 2007 REICHENSTEIN Oliver  The future of News: how to survive the new media shift, (Manuscript V 0.5) ,Information Architects K.K., Tokyo, 2007 REPKOVA Tatiana  Vademecum de la presse écrite, Maxima, Paris, 2005 69


Évolutions, Médias & Design

de ROSNAY Joel, avec la collaboration de REVELLI Carlo  La révolte du pronetariat: Des masses médias aux médias de masses, Fayard, Paris, 2006 WARDRIP-FRUIN Noah et MONTFORT Nick (editors)  The new media reader, The MIT Press, Cambridge, London, 2003 WILBUR Peter et BURKE Michael  Le graphisme d’information, Thames and Hudson, Paris, 2001 ZAPPATERRA Yolanda  Editorial Design, Laurence King Publishing Ltd in association with Central Saint Martins College of Art & Design, London, 2007

Articles de recherche, essais BOYD Danah  A blogger’s blog: Exploring the definition of a medium, School of information, University of California-Berkely, Berkely, 2006 COTTE Dominique  Tout peut il être media?, Communication & Langage no 146, Armand Colin, Décembre 2005 EVANS Harold  La mise en page du journal, La chose imprimée, sous la direction de John Dreyfus et Francois Richaudeau, Les Encyclopédies Modernes du Savoir (CEPL), Paris, 1977 GREENFIELD Adam  On the ground: Lessons from experience design, Think Tank, Adobe Design Center, 2007 HATCHUEL Armand  Quelle analytique de la conception? Parure et pointe en design, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006 JANNERET Yves et SOUCHIER Emmanuel  Pour une poétique de «l’écrit écran», Xoana-Images et sciences sociales, no 6, 1998 PACHET François  Nom de fichiers: Le nom, Maison des Sciences de l’Homme, EHESS, Paris, 2003 REBILLARD Franck  L’externalisation des activités de création dans les industries de la culture, de l’information, et de la communication. A propos de tendances observables dans le secteur de la presse, Actes du colloque international Mutations des ICIC, Observatoire des mutations des industries culturelles, 2006 SOUCHIER Emmanuel  L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale, Les cahiers de la médiologie, n˚6, Paris, Décembre 1998 SOUCHIER Emmanuel (sous la direction de Mme le Professeur Anne-Marie Christin)  Lire & Ecrire: Editer des manuscrits aux écrans autour de l’oeuvre de Raymond Queneau, Université Paris 7 Denis Diderot, UFR Sciences des Textes et Documents, Centre d’Etudes de l’Ecriture CNRS, Paris, Année universitaire 1997-1998 STIEGLER Bernard  Du design comme sculpture sociale, Le design: Essais sur des théories et des pratiques, sous la direction de Brigitte Flamand, Institut Français de la Mode / Regard, Paris, 2006 70


Bibliographie

ZOUARI Khaled  La presse en ligne : vers un nouveau média?, L’université Stendhal - Grenoble 3, Grenoble, mis en ligne le 17/04/08

Périodiques, Articles de presse BELOT Laure (rédaction en chef)  Hors Série: Vivre en 2020, Société éditrice du Monde SA., Paris, 2007 COHEN Noam  A Web-only news operation gets its due, International Herald Tribune, Neuilly-sur-Seine, 24/02/08 MOORE Heather  Talk to the newsroom: Community Editor, The New York Times, New York, 18/08/08 PIERSON DE GALZAIN Virginie (rédactrice en chef)  Les étudiants et la presse quotidienne nationale, Génération solidaire, publication trimestrielle éditée par la LMDE, Ivry-sur-Seine, Automne 2007 VIRARD Marie Paule (rédactrice en chef)  Quand l’information fait sa révolution, Enjeux, Les Echos, Hera, Paris, Novembre 2007 RICHÉ Pascal  La presse, l’Internet et la citadelle assiégée, Le Monde, Paris, 25/06/08 ROBERTS Jim  Talk to the newsroom: Digital News Editor Jim Roberts, The New York Times, New York, 25/06/07 THUREAU-DANGIN Philippe (directeur de la publication, directeur de la rédaction)et LEBLANC Claude et TRUONG Anh Hoà (conception et coordination éditoriale)  Hors Série: Révolution 2.0, Société éditrice du Courrier International SA., Paris, 2007 VINH Khoi  Talk to the newsroom: Khoi Vinh, Design Director, The New York Times, New York, 21/04/08

Publications d’entreprise BOOTH Alan (BBC World Services - Controller, Marketing Communications and audiances) Facing the future today, BBC Global News, Londres, 2007 KENNEDY Jim (Director of Strategic Planning, AP) & Context Based Research Group  A New model for News, Studying the Deep Structure of Young-Adult News Consumption, Associated Press, New York, June 2008 SCHERER Eric (AFP - Directeur, Analyse Stratégique et Partenariats)  «New media, new journalism?», Media watch, Observatoire mondial des medias, AFP, Paris, Automne 2007

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Évolutions, Médias & Design

Sites Web http://www.iht.com http://www.informationarchitects.jp http://www.lemonde.fr http://www.netvibes.com http://www.nytimes.com http://publishing2.com http://www.rue89.com http://www.subtraction.com http://www.talkingpointsmemo.com/

Emission radiophonique MARTEL Frédéric (réalisation) et KOÏA Laetitia (production)  “Voyage au coeur du web 2.0”, (avec Tariq Krim, fondateur de NetVibes en tant qu’invité et Pascal Riché de Rue 89 en tant que chroniqueur d’actualité), Masse Critique, France culture, Paris, 10/05/08

Informations complémentaires Cours de Jacques-François Marchandise, Ensci, Paris, 2007 Transcription des cours de Pierre-Damien Huyghe, Ensci, Enst, 2007

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Je remercie : Annie Gentès pour son écoute, ses conseils et son dynamisme. Matthieu et Denis pour leur aide, soutien ainsi que leur amitié infaillible. Charlotte pour son aide, sa patience et son réconfort dans les moments de doute. Mom, Dad and Michael and culinary support.

for

their

moral

Swann, Félix, Xavier, Florence, Greg, Julien, Romain, Paul, et Alex pour toutes les discussions qui ont accompagné l’écriture de ce mémoire. Jacques-François Marchandise pour ses nombreux conseils tout au long de ma scolarité.

Mise en page : Denis Pellerin Impression : Promoprint, Paris, nov. 2008 75



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