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De l’avenir pour les matières organiques industrielles résiduelles

Michaël Desrochers

Chargé de projets Ing. jr., génie biotechnologique, M. Env. Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI)

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michael.desrochers@cttei.com

Avec la collaboration de Jean-François Vermette, M. Sc., directeur scientifique, et d’Astrid Debeissat, M. Comm, B. Sc. pol., réd. a.

MATIÈRES ORGANIQUES : DU TRAVAIL POUR L’INDUSTRIE

Engagé dans la lutte contre les changements climatiques de manière concrète, le Québec a considérablement amélioré le traitement qu’il réserve à la gestion des matières organiques.

Si ces matières d’origine résidentielle sont de mieux en mieux collectées et valorisées, les résidus organiques de source industrielle sont à la traîne. Or, les débouchés se multiplient grâce aux progrès effectués dans le secteur des bioprocédés. Résultat : les industries agroalimentaires s’intéressent de plus en plus au recyclage avec gain de valeur (ce que l’on appelle le suprarecyclage) de leurs matières, une stratégie d’économie circulaire qui rapporte.

DES MATIÈRES ORGANIQUES FAVORABLES AU SUPRARECYCLAGE

En dépit de tous les efforts investis pour améliorer les services de collecte résidentiels, les résidus qu’on y récolte demeurent hétérogènes et de qualité variable. Difficile de les valoriser autrement que par le compostage ou la biométhanisation !

En revanche, une proportion encore importante des industries, des commerces et des institutions (ICI) du Québec ne sont pas desservis par la collecte sélective des matières organiques (78 % d’entre eux étaient dans cette situation en 2016, selon RECYC-QUÉBEC1). On sait pourtant que ces secteurs génèrent de gros volumes de matières organiques. Pensons au secteur agroalimentaire, qui produirait selon RECYC-QUÉBEC au moins 1,2 million de tonnes humides de résidus organiques par année 2 .

On sait que ce secteur est le premier émetteur de matières organiques résiduelles parmi les ICI, mais on trouve peu de chiffres précis sur leur volume et leur provenance par métier.

Ce que l’on sait, par contre, c’est que, d’une part, une multitude de débouchés et de technologies sont en émergence, tout à fait adaptés à la particularité des résidus industriels. Et d’autre part, notamment grâce à la communauté de pratique Synergie Québec, on constate qu’il existe une demande croissante pour valoriser les résidus organiques issus de l’agroalimentaire. Enfin, et c’est encourageant, les gains économiques à la clé sont réels et les industriels en sont de plus en plus conscients.

D’EXCELLENTS GISEMENTS, D’EXCELLENTS DÉBOUCHÉS

Contrairement à la production résidentielle, les extrants organiques issus de l’industrie agroalimentaire sont généralement homogènes, car issus de procédés de fabrication constants. Pensons notamment à une fromagerie ou à un fabricant de pain industriel. Leurs matières entrantes sont traçables, les recettes connues, le nombre d’ingrédients limité. Résultat : une bonne partie du gisement industriel de matières organiques, plutôt homogène, présente un fort potentiel de suprarecyclage. Prenons l’exemple du lactosérum généré par les laiteries dans la fabrication du fromage. Ce liquide résiduel riche en lactose, en protéines et en matières grasses fut longtemps évacué dans les eaux usées, au grand dam des municipalités. Puis, son volume devenant trop important, on lui trouva des possibilités de réemploi. C’était déjà mieux que rien : répandu dans les champs, le liquide riche en nutriments agissait comme fertilisant ; distribué aux éleveurs, il nourrissait et hydratait les porcs.

On peut faire beaucoup mieux que cela désormais, et plusieurs grands producteurs l’ont bien compris. Les procédés de traitement physique ou les bioprocédés permettent aujourd’hui d’élaborer des produits à bien plus haute valeur ajoutée. En concentrant les solides (gras, protéines, minéraux, lactose), en les fractionnant ou en les fermentant, les lactosérums résiduels produisent des débouchés très rentables : levures et probiotiques, médicaments, et même bioplastiques et biosurfactants, à l’étude actuellement pour remplacer des produits issus de la pétrochimie.

BIENTÔT DES INSECTES DANS VOTRE ASSIETTE ?

La valorisation des résidus organiques des industries agroalimentaires par l’entomoculture est un marché émergent en plein essor au Québec. D’une part, on peut nourrir les insectes à l’aide de résidus organiques impropres à la consommation humaine, d’autant qu’ils offrent un taux de conversion de la matière organique 12 fois supérieur à celui du bœuf. D’autre part, les insectes déshydratés sont un excellent aliment pour les animaux domestiques et les volailles. Riches en protéines, ils deviendront même un excellent aliment pour l’humain, une fois l’acceptabilité sociale atteinte.

Et les exemples se multiplient. Parmi les procédés de valorisation émergents, on trouve encore les procédés bioélectrochimiques, qui permettent de produire de l’électricité ou de l’hydrogène à partir de matière organique ; la déshydratation thermomécanique comme méthode de conditionnement pour réduire la masse des matières organiques industrielles et donc l’impact des transports ; et la production de biocarburant à partir de microalgues et de résidus organiques.

LENTEMENT, MAIS SÛREMENT ?

En plus de l’accompagnement offert aux entreprises par les centres collégiaux de transfert technologique comme le CTTÉI et les centres de recherche, de plus en plus d’aide est offerte par le gouvernement afin d’accélérer l’implantation des technologies émergentes.

Au sein de Synergie Québec, le réseau québécois de symbioses industrielles chapeauté par le CTTÉI, deux projets sont consacrés à la valorisation de ces matières : Maillage transformation halieutique, porté par Merinov, et Symbiose agroalimentaire Montérégie, porté par le Conseil régional de l’environnement de la Montérégie.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, mentionnait en janvier 2021 :

« On pense qu’au cours des prochaines années, 100 % de la matière organique dans les commerces, les institutions, mais également les industries, pourra être récupérée et revalorisée. Québec investira 1,2 milliard de dollars d’ici 2030 pour y parvenir et développer une économie autour de cette matière 3. »

Reste donc aux entreprises qui se débarrassent encore de leurs matières organiques sans en tirer parti à revoir leur chaîne d’approvisionnement en mode circulaire, et ce, pour leur propre bénéfice ! ■

1 RECYC-QUÉBEC. (2020). Plan stratégique 2017-2022. https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/sites/default/files/documents/plan-strategique-2017-2022.pdf" \t 2 RECYC-QUÉBEC. (2020). Bilan 2018 de la gestion des matières résiduelles au Québec. Les matières organiques. https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/sites/default/files/documents/bilan-gmr-2018-section-matieres-organiques.pdf 3 Prince, Véronique. (2021, 28 janvier). Québec vise à réduire de moitié les déchets enfouis d'ici 5 ans. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1766475/plan-reduction-enfouissement-dechets-quebec

EnviroCompétences est avant tout connu pour sa mission de développement et de formation de la main-d’œuvre dans les secteurs de l’environnement et de l’économie verte. Mais cet OSBL situé à Montréal demeure une ressource sous-utilisée, croit sa directrice générale Dominique Dodier. Portait d’un organisme souhaitant voir les entreprises en environnement rayonner davantage.

Fondé en 1996, EnviroCompétences fait partie des 26 comités sectoriels de la province. Il se présente comme une « passerelle » entre Emploi-Québec et les quelque 5000 entreprises œuvrant de près ou de loin en environnement. Environ 60 % de ses activités tournent autour du développement de programmes de formation continue en classe ou à distance.

En 25 ans d’existence, il a créé 65 thématiques de formation, permettant ainsi à des dizaines de milliers de travailleurs québécois de développer et d’améliorer leurs compétences. Le secteur environnemental emploie actuellement 68 000 personnes au Québec.

Grâce aux formations qu'il offre, aux études qu'il réalise et aux connaissances qu'il diffuse, EnviroCompétences est présent dans tous les secteurs de l’environnement, allant de l’eau (la plus importante filière de l’industrie de l’environnement au Québec) à la gestion des matières résiduelles, en passant par la décontamination des sols.

« Nous ne faisons pas de lobbying et je ne suis pas un porte-étendard, tient à préciser Dominique Dodier, en poste depuis 15 ans. Nous n’avons pas de membership membres, nous ne sommes pas une association et nous sommes apolitiques. »

Les programmes de formation chapeautés par EnviroCompétences ne relèvent pas du hasard. Et ils ne sont pas exclusifs à une entreprise. Les lois et règlements, mais aussi les besoins d’un sous-secteur donné, dictent les besoins en formation, dit-elle.

« Toutes nos formations sont issues d’un besoin concerté, explique la dirigeante. Après avoir identifié un besoin, nous faisons une demande au Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre (FDRCMO : le fameux 1 % consacré à la formation). Ensuite, ça prend de six à huit mois pour mettre au point une formation. La personne formée qui réussit son examen reçoit une attestation ou un diplôme. »

Par exemple, il existe une formation à distance sur mesure, conformément au Règlement sur les halocarbures. Mécaniciens de véhicules, frigoristes, réparateurs d’appareils électroménagers et autres travailleurs manipulant des équipements contenant des halocarbures doivent impérativement suivre cette formation (et la réussir !). C’est chaque année l’un des cours les plus souvent offerts par EnviroCompétences.

Idempour le cours sur la décontamination microbienne, lequel doit être suivi par les techniciens et techniciennes en restauration après sinistre. En marge de la pandémie de COVID-19, ce type de connaissances s’avère d’ailleurs très utile par les temps qui courent.

RAYONNER DAVANTAGE

La formation continue représente environ 60 % des activités d’EnviroCompétences. Les trois autres axes autour desquels l’organisme travaille sont les ressources humaines, l’information sur le marché du travail et la promotion des métiers et des carrières en environnement.

L’OSBL de huit employés (auxquels se greffent une trentaine de spécialistes) soutient donc les entreprises en environnement dans la gestion de leurs ressources humaines. Dominique Dodier est particulièrement interpellée par ce sujet : diplômée en relations industrielles, elle fait partie de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.

Quant au marché du travail, l’équipe d’EnviroCompétences mène des études, fait des analyses et pose des diagnostics sur la question. Entre autres enjeux de l’heure : la pénurie de main-d’œuvre. « La pandémie n’a fait qu’accentuer le problème. Le taux de chômage est actuellement de 8,6 % pour l’ensemble du Québec. Dans les entreprises en environnement, il est de 3,8 % », dit-elle.

Enfin, la promotion des métiers et des carrières en environnement est un autre dossier faisant partie des missions de l’organisme. « Le secteur sera en forte croissance au cours des prochaines années. Il faut le rendre attrayant, rappelle Mme Dodier, qui est derrière la création d’EnviroEmplois.org, un site Web consacré exclusivement à l’affichage d’emplois dans le secteur de l’environnement et de l’économie verte.

« Les entreprises du secteur de l’environnement sont plus effacées, davantage dans l’ombre. Ce devrait pourtant être le contraire. Les trois quarts des entreprises du secteur ont une influence sur la santé publique. Et en temps de pandémie, 70 % de nos entreprises ont été reconnues comme offrant un service essentiel. » ■

Me Nicolas Trottier

Avocat, LL. B., B. Sc. Daigneault, avocats inc.

nicolas.trottier@daigneaultinc.com

L’ entrée en vigueur du Règlement encadrant les activités en fonction de leur impact sur l’environnement 1 (ci-après « REAFIE ») et du Règlement concernant la valorisation de matières résiduelles 2 (ci-après « RVMR »), le 31 décembre dernier, marque l’arrivée de nouvelles règles et d’un nouveau régime d’autorisation pour la gestion des matériaux granulaires issus du domaine de la construction et de la démolition. Plus spécifiquement, nous aborderons ici le régime de déclarations de conformité et d’exemptions qui leur est applicable.

Tout d’abord, ces règlements introduisent une nouveauté : la notion de « matières granulaires résiduelles » (ci-après « MGR »). Que veut-on dire par ce terme ? Nous en comprenons qu’il s’agit en fait d’un statut que l’on donne à certains matériaux granulaires : a priori, ces derniers constituent des matières résiduelles, car ils sont issus de travaux de construction ou de démolition, mais lorsqu’ils répondent à certaines normes, ils peuvent être valorisés en tant que MGR. Ces normes sont prévues au RVMR et concernent entre autres la granulométrie, le niveau de contamination et le contenu (incluant les impuretés) des matières 3. Cette notion de MGR et le régime d’autorisation qui l’entoure viennent entre autres remplacer les Lignes directrices relatives à la gestion de béton, de brique et d’asphalte issus des travaux de construction et de démolition et des résidus du secteur de la pierre de taille 4 (ci-après « Lignes directrices »). Peuvent être des MGR, de façon non exhaustive, la brique, le béton, les enrobés bitumineux (asphalte) et, contrairement à ce que prévoyaient les Lignes directrices, la pierre concassée5 .

Ce nouveau régime d’autorisation entourant les MGR fait une distinction entre, d’une part, les activités de valorisation qui précèdent leur utilisation et, de l’autre, leur utilisation en tant que telle, soit le moment où les MGR sont valorisées ou utilisées comme produit dans un procédé ou comme matériaux de construction.

LES ACTIVITÉS QUI PRÉCÈDENT L’UTILISATION

Commençons par les activités de valorisation qui précèdent l’utilisation des matériaux, notamment le concassage, le tamisage et le stockage. Le REAFIE prévoit aux articles 259 et 260 que ces activités sont admissibles à une déclaration de conformité, en vue de leur valorisation, en ce qui a trait à la pierre concassée, aux résidus du secteur de la pierre de taille, à la brique, au béton ou aux enrobés bitumineux, et ce, à plusieurs conditions. Ces dernières concernent notamment l’aménagement de l’aire de stockage, les normes pour les eaux usées, le volume maximal de matières pouvant se retrouver sur le site (1 000 m3) et les catégories de matières visées (au sens du RVMR). Les activités visées par ces articles s’apparentent à la production de MGR. Par ailleurs, l’article 282 du REAFIE prévoit une exemption pour les activités de stockage de matériaux granulaires qui ont le statut de MGR à certaines conditions. Par exemple, on prévoit l’aménagement d’une aire de stockage si le volume accumulé est de plus de 60 m3, alors que le volume total doit en tout temps être inférieur ou égal à 300 m3. Ces activités de stockage peuvent être, par exemple, adjacentes et préalables à l’utilisation des MGR dans un procédé. Il faut noter que l’article 283 du REAFI contient une exemption spécifique concernant le stockage de MGR pour les usines de béton bitumineux et de béton de ciment qui fonctionnent par déclaration de conformité, lesquelles utilisent régulièrement des MGR.

Afin d’accommoder les chantiers de construction et de démolition, le REAFIE prévoit une exemption à l’article 291 pour le stockage, le concassage et le tamisage de certains matériaux granulaires (brique, béton, enrobé bitumineux et pierre concassée) effectués lors de travaux de construction ou de démolition, à condition que le stockage soit exercé sur le site des travaux et que les matériaux ne contiennent pas d’amiante. Bien que le libellé de cet article ne mentionne nulle part la notion de MGR, on peut supposer que celles-ci pourront être valorisées si elles se qualifient à ce titre.

En sus des conditions prévues au REAFIE, chacune des activités faisant l’objet d’une déclaration de conformité ou d’une exemption doit se conformer aux normes du RVMR concernant la localisation6 et l’exploitation (bruit, tenue d’un registre) 7 .

LE VOLET UTILISATION

En ce qui concerne le volet utilisation des MGR, mis à part l’article 178du REAFIE, qui permet spécifiquement l’utilisation des MGR pour le remblayage des tranchées de conduites d’eau destinée à la consommation humaine, c’est l’article 284 du REAFIE qui s’applique. Celuici prévoit que la valorisation de MGR est exemptée d’une autorisation si les conditions qui y sont énumérées sont respectées. Plusieurs de ces conditions concernent l’utilisation des MGR en tant que remblai (épaisseur, compactage, recouvrement, niveau par rapport aux eaux souterraines).

Autrement, les MGR peuvent être utilisées pour les usages permis 8 selon leur catégorie 9. Il s’agit ni plus ni moins d’une mise à jour des Lignes directrices quant aux usages permis et aux quatre catégories de MGR.

Toujours selon l’article 284 du REAFIE, les MGR doivent provenir d’un producteur de matières granulaires légalement en mesure de les produire. L’article 15 du RVMR prévoit une définition de la notion de producteur de MGR : « une personne exploitant une entreprise qui effectue le stockage et le conditionnement de matières résiduelles visées par le présent chapitre ainsi que le stockage, la distribution ou la vente de matières granulaires résiduelles produites à partir de celles-ci ». Ce producteur a d’ailleurs l’obligation d’effectuer une caractérisation des MGR selon la fréquence et les paramètres indiqués aux articles 19 à 25 du RVMR.

Enfin, cette exemption prévue à l’article 284 du REAFIE portant sur l’utilisation des MGR nous mène à la question suivante : doit-on supposer que tout usage de MGR qui ne peut bénéficier de cette exemption doit impérativement faire l’objet d’une autorisation ministérielle en vertu de l’article 22 de la LQE ? ■

1 (2020) 152 G.O. II, 3627A. 2 (2020) 152 G.O. II, 3763A. 3 RVMR, art. 14 à 18. 4 Lignes directrices relatives à la gestion de béton, de brique et d’asphalte issus des travaux de construction et de démolition et des résidus du secteur de la pierre de taille. (2009). http://www.environnement.gouv.qc.ca/matieres/valorisation/lignesdirectrices/beton-brique-asphalte.pdf 5 RVMR, art. 5 et 6. 5 RVMR, art. 8 et 9. 5 RVMR, art. 27. 5 RVMR, art. 26.

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