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LES HISTOIRES DE ZAÏM ET OUSTAME

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

Gaelik Razimbaud possède deux spécificités. Il fait partie de la catégorie de la catégorie que nous appelons écrivain-mzungu, c’està-dire qu’il prend la plume à la suite de son séjour à Mayotte, parce qu’il est d’origine métropolitaine. Il fait ensuite partie, relativement à l’île aux parfums, des écrivains pour la jeunesse, entrant en littérature par le truchement de la forme du conte. Voici comment l’écrivain se présente en quatrième de couverture de l’ouvrage publié, en 2019, dans la collection “ Jeunesse ” de la maison d’édition L’Harmattan :

“ Gaelik Razimbaud est né en 1978 à Paris. Professeur agrégé d’éducation physique, plongeur, il a enseigné quatre ans à Mayotte après avoir voyagé deux ans en sac à dos. Et quand il pose ses valises, quel meilleur bagage que les mots pour contempler le chemin parcouru ? Et rêvasser face à celui qui demeure. ”

L’homme au corps sain se veut donc aussi un esprit qui se reconnaît parmi les écrivains voyageurs. Il livre donc deux textes réunis en un volume sous le double titre : Zaïm, l’enfant sans rêves suivi de Oustame, le pêcheur oublié.

Intéressons-nous d’abord à la première histoire. On remarque, dans les deux cas, une construction similaire. L’auteur commence par un nom, “ Zaïm ” en l’occurrence, suivi d’une périphrase “ l’enfant sans rêves ”. La double détente de ce rêve mobilise immédiatement la curiosité du lecteur. Ne pas rêver est un mauvais signe : comment se fait-il que Zaïm ne rêve plus ? C’est Bida – un djinn dont l’auxiliaire est le tigre Nunga - qui a jeté un sort à Zaïm, lui volant ses songes. Fin de la baraka ! Dès lors, le personnage n’a plus qu’à se mettre en quête de ses rêves perdus, sur un chemin d’embûches, mais aussi balisé par de nombreux adjuvants comme Nyuki, l’abeille-soldat. Avant de vieillir précocement faute de rêves, Zaïm apparaît comme un frère de Bao, l’enfant heureux de Mayotte inventé par Vincent Liétar :

“ Hôôaah…, ce petit garçon au sourire franc, aux yeux noirs en amandes et aux longues boucles lui tombant sur la nuque se prénommait Zaïm. Il vivait dans un jardin fleuri de mangues, de papayes, de bananes, de maracujas et d’ananas. Si Zaïm n’était ni riche, ni fort, Hôôaah…, il possédait en revanche le don de parler aux animaux, et passait son temps à jouer à cache-cache avec les makis dans les collines de la Vigie, ou à taquiner les roussettes quand elles faisaient la sieste suspendue aux frangipaniers du cimetière marin de PetiteTerre. Quand il avait trop chaud, il s’en allait par les sentiers se baigner dans le lagon. De la plage, il rejoignait à pied les piscines des Badamiers ou le Tombant des aviateurs. Les poissons coralliens dansaient sa venue en couleurs, Hôôaah…, jaune, bleu, rouge, orange et volet se mariaient dans une farandole aquatique. ” (p. 14)

L’histoire est racontée à l’ensemble des animaux de la savane, sous le baobab aux palabres, par Ndovou, un vieil éléphant vénérable, mais qui commence à se répéter et dont ce sera la dernière histoire. Conseillé notamment par la lune, Zaïm quitte à dos de baleine, Mayotte pour l’Afrique afin de trouver Lion d’Or, c’est-à-dire le lit où on dort.

Nyamba, une tortue millénaire à l’immense carapace recouverte d’huîtres, fait le lien entre les deux contes. La seconde histoire est donc celle d’Oustame, le pêcheur oublié. La figure du pêcheur est souvent présente dans les histoires à Mayotte. Elle renvoie souvent à une certaine précarité ou pauvreté. Cette histoire ne déroge pas à la règle :

“ Ce pêcheur s’appelait Oustame. C’était un solitaire, un oublié. Non par choix, mais parce que le destin avait été injuste avec lui. On pouvait lire au fond de ses yeux pierre de lave cette mélancolie qui l’habitait. Son corps aussi racontait la dureté de sa vie. Sa peau noire et rugueuse comme celle du poissonpierre avait été tannée par le soleil, les embruns et le sel lors d’interminables campagnes de pêches. Et ses mains aussi dures que le bois de manguier arboraient autant de cicatrices que de pêches difficiles face aux grands poissons du large. ” (p. 47)

L’histoire n’est cette fois-ci plus racontée par un conteur, mais par une conteuse : la vieille tortue. Les poissons ont disparu et les villageois commencent par blâmer les requins ; mais eux aussi ont déserté le lagon comme le large. Les deux histoires s’entremêlant bientôt, Oustame qui part à la recherche de la faune marine croise Zaïm qui revient d’Afrique. Ils se rendent ensemble sur le banc du Geyser où une baleine leur explique que c’est en raison de la surpêche que les poissons ont décidé de s’éloigner définitivement des hommes. Ainsi les deux histoires, qui dépeignent poétiquement une nature en harmonie avec l’homme, plaident-elles en faveur de la nécessité de protéger l’environnement. Et Oustame finit par tomber à l’eau et se métamorphoser en espadon. Nous laissons enfin le lecteur découvrir les dessins oniriques et poétiques de Barbara Menga, qui font de la couverture l’écrin de ces deux histoires.

Christophe Cosker

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