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LISEZ MAYOTTE LA BD (6/6) : UN OUVRAGE D’UTILITÉ PUBLIQUE

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

Nassur Attoumani est enfin partie prenante, dans l’état actuel de nos connaissances, du dernier projet de littérature en estampes. Intitulé, selon un lieu commun souvent appliqué aux îles, Mayotte, rencontre des peuples et des civilisations (2021) il est le fruit d’une collaboration avec Jean-Marie Cuzin Philan, Yann Sougey-fils, Pascal Vitte, sans oublier la participation des Archives Départementales de Mayotte. Il s’agit donc d’une bande dessinée à vocation historique. En réalité, l’œuvre est triple puisqu’elle paraît en français, en shimaore et en kibushi, c’està-dire, dans la langue officielle de l’île, dans sa langue vernaculaire ainsi que dans une variante de malgache parlée par une part non-négligeable de la population. Mais alors que le lecteur naïf pourrait croire à l’identité entre les trois livres, le simple examen attentif de l’image en première de couverture indique que les choses ne sont pas si simples.

Si nous lisons l’image de haut en bas, on devine d’abord, à l’arrière-plan, deux moyens de transport pour entrer dans l’île ou en sortir, chronologiquement le bateau puis l’avion. En-dessous, si l’on va de gauche à droite, c’està-dire du passé vers le présent, on remarque d’abord deux personnages, dont le premier, identifiable comme le sultan Adriantsouli, lit le papier que le second, un marin, lui a sans doute donné. Il s’agit, selon toute vraisemblance, du commandant Passot et du Traité de cession de Mayotte à la France. Le troisième personnage présent sur cette même ligne, portant le costume et la cravate, mais aussi le koffiah et arborant une médaille, n’est autre que Younoussa Bamana. Les trois personnages indiquent que la bande dessinée a quelque rapport avec l’histoire officielle de l’île, telle qu’on peut également la lire sur la façade du MUMA en Petite Terre. Derrière ces figures, on devine le cadi Omar, d’autres marins, des colons et des Mahorais. Et cet arrière-plan n’a rien de pacifique.

En dessous encore, la deuxième partie de la première de couverture montre à la fois un oiseau exotique, mais aussi et surtout des cocotiers échevelés par un ouragan qui est tout à la fois réel et métaphorique, renvoyant à l’histoire de Mayotte et à ce que l’on appelle aujourd’hui le « climat social ». On voit en effet un groupe de femmes en habits traditionnels brandissant des drapeaux français comme sur les cartes postales de l’époque coloniale. Mais leur chemin est barré par deux hommes de dos. Ils portent des treillis militaires et des matraques menaçantes. Ils arborent aussi un casque colonial mais ce sont sans doute moins des colons que des gardes indigènes comoriens face aux chatouilleuses en colère.

À nouveau, le climat de l’image n’est pas apaisé. Dans la version en kibushi, la femme en bleu qui attire le regard n’est plus jeune, mais vieille. On peut peut-être y voir la chatouilleuse Zakia Madi…

Lorsqu’on ouvre le livre, après une première page exotique où Mayotte, vide d’hommes, laisse des tortues émerger tranquillement sur la plage, on découvre Younoussa Bamana prenant la parole pour raconter (sa version de) l’histoire de Mayotte. L’ouvrage, qui se veut pédagogique, fait des pauses qui prennent la forme de frises chronologiques. On y retrouve le rôle mythique du kadi tel qu’il est souligné dans les Chroniques mahoraises (2001) éditées scientifiquement par Jean-François Gourlet : « En faisant d’Adriantsouli sa dupe, Omar ben Aboubacar n’offrait-il pas aux Mahorais leur revanche sur les envahisseurs dominateurs ? En affirmant avoir remis lui-même Mayotte à la France, avec l’accord de l’aristocratie mahoraise, il rendait à ses compatriotes le sentiment d’avoir maîtrisé un destin qui leur échappait depuis des lustres. L’histoire selon les ‘chroniques mahoraises’ peut s’éloigner des exigences de rigueur et d’exactitude scientifique que nous y attachons, elles assument en revanche un rôle sociologique et politique de première importance, en fabriquant un discours historique acceptable par la collectivité. Omar Ben Aboubacar n’est peutêtre pas un historien irréprochable, mais il avait l’étoffe d’un homme politique aux intuitions fécondes, inventeur d’un mythe promis à un bel avenir : celui du ‘rattachement volontaire de Mayotte à la France’. » (p. 27)

La bande dessinée entend donc raconter aux plus jeunes l’histoire officielle de Mayotte française et de ses acteurs. Indiquons enfin que l’ouvrage propose également une expérience de « réalité augmentée »

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