Lettre de la bibliothèque N°42

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n° 42 - Printemps, mai 2013

sur... Le fonds Vera Linhartová

Bibliothèque

à la bibliothèque Madame Vera Linhartová nous a fait don de sa formidable collection privée d’ouvrages consacrés au dadaïsme et au surréalisme japonais, dont elle est l’une des rares spécialistes en France. Cette collection unique rassemble plus de 200 documents, classés et répertoriés dans notre catalogue sous forme d’ouvrages, sans compter les feuillets et petites brochures épars. En voici quelques exemples : ■ TAKAHASHI, Shinkichi

Dadaisto shinkichi no shi (« Poésies de Shinkichi, le dadaïste ») Tôkyô : Chûô bijutsu-sha, 1923.

Il s’agit d’un recueil de jeunesse du grand poète du mouvement dadaïste, Takahashi Shinichi (1901-1987), qui comporte le premier manifeste dada au Japon Dangen wa dadaisuto, traduit par Madame Vera Linhartová sous le titre « Sans réplique, le dadaïste ». Ce texte fut publié une première fois en septembre 1922 dans la revue Shûkan Nihon (« L’Hebdomadaire du Japon ») et fut ensuite repris dans cette édition. Le poète, alors âgé d’une vingtaine d’années, ne connut la célébrité en Occident que dans les années 1960, où il fut présenté dans les milieux littéraires comme un poète bouddhique et maître zen.

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr

Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés et tout le mois d’août

Ouvrage peu commun, non seulement pour sa couverture et sa page de titre entièrement rédigés en français, mais parce qu’à l’origine de ce livre, on retrouve deux grands noms du surréalisme japonais, le poète et critique Takiguchi Shûzô, qui fut le premier à adopter les idées du mouvement, et Yamanaka Chirû qui pose les jalons des premières collaborations entre poètes français et japonais. L’ouvrage comporte par exemple des textes d’André Breton et de Tristan Tzara traduits en japonais par Takiguchi Shûzô, ou encore un des textes fondamentaux de l’époque, « L’Évidence poétique » de Paul Éluard traduit par Ashinozawa Kakuzô, qui paraît en japonais avant même d’être publié en France par les éditions G.L.M., l’année suivante.

■ KOGA, Harue

Koga Harue gashû (« Recueil de peintures de Koga Harue ») Tôkyô : Dai.ichi shobô, 1931.

Ce recueil élaboré par l’auteur, contient une sélection de ses peintures et de ses poésies entre les années 1924-1931. À chaque œuvre peinte correspond un poème portant le même titre. L’œuvre de Koga Harue (1895-1933), qui apparaît aujourd’hui comme précurseur du surréalisme japonais, était moins soucieuse de l’orthodoxie du mouvement parisien que des questions surgies au cœur d’une existence individuelle. L’artiste définit d’ailleurs sa conception personnelle de la peinture surréaliste dans un texte demeuré célèbre intitulé Chôgenjitsushugi shikan (« Une approche du surréalisme »), paru dans un numéro spécial de la revue Atelier (vol. 7, n°1 janv. 1930), qui fait également partie de la collection. Directeur de la publication

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Hino Naohiko, architecte et commissaire de l’exposition Défis de villes ans les années 1960, la ville de Tôkyô a été, comme un certain nombre d’autres, confrontée à une « mégalopolisation ». La population de la capitale et de sa périphérie, qui comptait à l’époque quelque 20 millions de personnes, ne cessait de s’accroître. Dans la presse, la situation critique que traversait la ville à la suite de la modernisation (embarras de circulation, pollution atmosphérique, pénurie de logements, affaissement des sols, entre autres) ne cessait de défrayer la chronique. Les architectes se sont alors mis à publier des projets d’urbanisme très ambitieux qui, relayés par les médias de masse provoquèrent l’intérêt du public. Croire naïvement que la modernisation promettait à la société un avenir radieux était encore dans l’air du temps. Trois grands projets sont représentatifs des recherches engagées à cette époque : le « Projet pour Tôkyô 1960 » de Tange Kenzô, les propositions faites par le groupe « Métabolisme » qui réunissait quatre architectes (Kikutake Kiyonori, Ôtaka Masato, Maki Fumihiko et Kurosawa Kishô), et enfin le projet d’Isozaki Arata : « Villes en plein ciel ». Aucun de ces projets n’aboutit. Ailleurs, certaines villes furent construites selon des plans d’urbanisme novateurs : ce fut le cas pour Brasilia par Locio Costa, Chandigarh par Le

D

Éd. par Yamanaka Chirû et Takiguchi Shûzô, Tôkyô : Librairie Bon, 1936.

R. A.

Qu’est-il resté des projets d’urbanisme Qu’est-il 1960 ? 1960 ? japonais des années années

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

■ L'échange surréaliste

Bien entendu, ces quelques documents isolés ne peuvent rendre compte de la richesse de cette collection, dont la cohérence tient en sa capacité à rassembler en un seul lieu les références fondamentales pour ceux et celles qui s’intéressent au développement de ces deux mouvements artistiques au Japon entre 1920 et 1945. Nous sommes très honorés et remercions chaleureusement Madame Vera Linhartová d’avoir choisi notre bibliothèque pour ce don. Lors de la remise des documents, celle-ci nous a confié les raisons de son choix : « c’est grâce à la Fondation du Japon qui m’avait accordée une bourse d’études que j’ai pu me rendre au Japon en 1982 et réunir le matériau indispensable à ma recherche, il me semble naturel que ce soit à une bibliothèque de la Fondation du Japon que reviennent ces documents »…

La lettre de la bibliothèque

Sawako Takeuchi Rédaction

Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette

La Graphisterie.fr Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 2e trimestre 2013 ISSN 1291-2441

Corbusier, ou encore pour la planification du centre-ville de Skopje en Macédoine, et du quartier des affaires de Lagos au Nigeria par Tange Kenzô. Mais souvent, les idées de départ ne furent que très imparfaitement mises en pratique : concevoir l’image de la ville idéale, puis la concrétiser de façon cohérente, avec l’aide de partenaires qui partagent la même vision, au fil d’un processus inscrit dans la durée, voilà qui s’avère, dans la réalité, extrêmement difficile. Entreprise difficile, donc, mais peutêtre est-elle tout simplement inutile. Tôkyô est actuellement la plus grande ville du monde, et elle devrait le rester encore pendant un bon nombre d’années. Mais nous, les habitants de cette ville, n’avons pas vraiment conscience de vivre dans une « mégalopole ». Compte tenu de l’atmosphère de crise qui régnait dans les années 1960, il est extraordinaire de constater que le problème de l’urbanisme semble s’être réglé de luimême, en dehors de toute prise de conscience. Sans doute n’y a-t-il,

dans la capitale nipponne, ni vision idéale de la ville, ni cohésion du tissu urbain. Mais cela ne gêne personne. Bien sûr, toutes sortes de problèmes se posent, mais la réalité de Tôkyô nous prouve qu’une telle mégalopole peut être fonctionnelle. Dans certaines cités comparables à des patchworks faits de pièces composites, la ville nouvelle vient se superposer à l’ancienne, les quartiers construits sur un modèle de planification urbaine avoisinent des quartiers bâtis sans aucun ordre. Mais cette situation qui provient souvent d’une seule nécessité – faire face à la réalité des choses –, s’avère beaucoup plus efficace et fonctionnelle que celle qui résulte de projets d’urbanisme rationnels. Une fois admis que Tôkyô est structurée comme un réseau formé de multiples variables, comment faire pour maîtriser et gérer un tel réseau ? Il faut réinventer une vision de la ville qui permettrait, en combinant des éléments sans aucun rapport entre eux à l’origine, de créer une nouvelle organicité. La mondialisation et le néo-libéralisme en pleine expansion ont étriqué et étouffé notre manière de penser l’architecture et l’urbanisme. Une question demeure : quelle vision pouvons-nous concevoir pour nous dégager, concrètement, d’une telle oppression ? ■

Arata Isozaki, Cities in the Air @Takashi Ohtaka

Zoom

(Extrait du catalogue de l’exposition, traduit du japonais par Dominique Palmé). 1


Regards sur le fonds

Littérature

anecdotes et des surprises ; autant de points de départ de commentaires historiques, anthropologiques, voire de réflexions philosophiques. Ainsi, Nietzsche, Trotski sont-ils amenés à côtoyer les civilisations maya, aztèque ou otomi, le tout écrit dans un style précis et élégant admirablement rendu par le travail du traducteur.

KIRINO Natsuo

L’île de Tokyo Trad. par Claude Martin Paris : Seuil, 2013. 281p.

Art ALISHINA Juju

Le corps prêt à danser : secrets de la danse japonaise selon la méthode Alishina Paris : L’Harmattan 2013. 293p.

Juju Alishina est une chorégraphe et danseuse japonaise, formée à la danse traditionnelle nippone et au butô. Après avoir fondé et dirigé sa troupe Nuba au début des années 1990 au Japon, elle s’installe à Paris en 1998 où elle pratique le butô et l’enseigne. Dans cet ouvrage, elle rassemble toute une série d’exercices – échauffements physiques, préparation du corps et de l’esprit à la danse individuelle ou en groupe – fruits de ces années d’expériences dans la transmission d’un art issu d’une culture lointaine en France, en Europe ou aux États-Unis. Pratique et pédagogique, cette méthode, illustrée par la chorégraphe elle-même d’une série de croquis expliquant les postures, aborde aussi différents aspects historiques et pédagogiques du butô ou de la danse japonaise qui ne manqueront pas d’intéresser les néophytes.

Philosophie M. Dalissier, S. Nagai et Y. Sugimura (éd.)

Philosophie japonaise : Le néant, le monde et le corps Paris : Librairie philosophique J. Vrin, coll. Textes clés de la philosophie japonaise, 2013. 471p.

Ce recueil de textes se présente comme une proposition de définition de la philosophie japonaise à travers dix écrits clés. L’ère Meiji (1868-1912) figure le moment de l’histoire où la philosophie au sens occidental s’installe parallèlement à la pensée traditionnelle. L’ouvrage éclaire ce tournant en remontant le fil de l’histoire jusqu’au XIIIe siècle avec le moine Dôgen, avant de s’attacher plus particulièrement à l’étude des philosophes du XXe siècle. Chaque texte est précédé d’une introduction visant à conceptualiser une philosophie qui, dans un acte d’évidement de soi, a accueilli des traditions philosophiques du monde, mais qui demeure proprement japonaise.

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Soit une vingtaine de naufragés japonais échoués sur une île au large des Philippines, bientôt rejoints par une dizaine de Chinois. Au centre du récit, Kiyoko, seule femme, quarante-six ans, devient bientôt l’objet de toutes les convoitises. Or, tous ses maris successifs, tirés au sort, meurent dans d’étranges circonstances… Que la reine du suspense Kirino Natsuo, multi-récompensée en son pays et dont la notoriété dépasse les frontières du Japon, s’essaie avec brio à une fable dans la lignée de Daniel Defoe, et il en ressort une œuvre captivante. L’auteur livre, en effet, une vision cruelle de la violence des rapports humains et de la sexualité, au sein d’une société en vase clos qui tente, comme elle le peut, de retarder son retour inéluctable à un état primitif.

NAKAMURA Fuminori

Pickpocket Trad. par Myriam Dartois-Ako Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 189p.

Dans ce livre à la narration froide et distante, mais quelque peu mélancolique, se dessine le destin d’un homme solitaire, un pickpocket sans attaches ni illusions. Les jours se succèdent semblables les uns aux autres. Jusqu’à ce que ce pro du larcin se laisse amadouer par un petit garçon —que sa mère à la dérive force à chaparder— et tombe dans le piège d’un redoutable mafieux. Dès lors, tout n’est plus que question de vie ou de mort. Récompensé par le prix Oe Kenzaburô en 2010 et bénéficiant de la recommandation de la virtuose du polar Kirino Natsuo, ce roman révèle un jeune talent de la littérature japonaise.

YOSHIDA Kijû

Odyssée mexicaine : voyage d’un cinéaste japonais, 1977-1982 Trad. par Mathieu Capel Nantes : Capricci, 2012. 268p.

En 1977, le cinéaste Yoshida Kijû part au Mexique dans le but d’y tourner un film. Il y séjournera cinq ans, mais aucun film ne ressortira de cette « odyssée naufrage ». En revanche, après son retour au Japon, il publiera un livre rassemblant en onze chapitres des notes et réflexions de voyages, étonnant de par sa qualité littéraire et la richesse de son contenu. Si les conditions nécessaires au tournage font défaut, le foisonnement culturel lié aux mélanges des populations captivent l’auteur qui laisse sa plume filer au gré des

ABE Kazushige

Sin Semillas Trad. de Jacques Levy Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 838p.

Ce roman-fleuve est impossible à résumer car il brasse, sur presque un demi-siècle, la vie d’une ville, Jinmachi, dont l’auteur est lui-même originaire. À travers la longue chronique de la famille de Tamiya, le boulanger, on découvre une sorte de « Japon des coulisses » où la pègre, la drogue et le sexe régissent les liens complexes d’une multitude de personnages. Ce texte qui a souvent été comparé dans la presse japonaise aux romans de William Faulkner n’est pas sans nous rappeler le style particulier d’un autre grand écrivain japonais Nakagami Kenji. Un récit qui tient en haleine de bout en bout, où l’auteur décrit, sans sentimentalisme ni effet d’emphase, un monde corrompu, violent, rempli de conflits d’intérêt et d’intrigues familiales.

Société Antonio PAGNOTTA

Le dernier homme de Fukushima Paris : Don Quichotte éditions, 2013. 218p.

En mars 2011, au lendemain de la catastrophe nucléaire, les habitants reçoivent l’ordre d’évacuer la zone interdite autour de la centrale de Fukushima. Un fermier s’y oppose. Deux ans après, malgré les réacteurs qui continuent de répandre la radioactivité, Matsumura Naoto a fait le choix de rester sur la terre de ses ancêtres, et de s’occuper des animaux abandonnés. Antonio Pagnotta, photoreporter et journaliste, est allé à sa rencontre au cours de séjours multiples dans la « zone rouge ». L’histoire de ce « samouraï sans maître » est aussi celle d’une région dévastée, d’une population sacrifiée sur l’autel des priorités économiques à l’échelle nationale. Un documentaire inédit qui raconte, sur fond des vaines tentatives de décontamination ou des premiers symptômes inquiétants passés sous silence, la lutte symbolique de cet homme à travers le respect et le lien qu’il maintient avec la nature.

Agnès GIARD

Les histoires d’amour au Japon : Des mythes fondateurs aux fables contemporaines Grenoble : Glénat, 2012. 510p.

Agnès Giard n’en est pas à son premier essai sur la sexualité, l’amour et la relation au corps au Japon. Depuis ses premières recherches, elle s’est attaquée au fantasme de l’Occident sur cette sexualité japonaise supposée « autre », aux clichés que l’on colporte encore sur les relations amoureuses dans ce pays. C’est avec beaucoup de rigueur qu’elle tente de décrypter les images de la culture populaire. L’ouvrage recense les cent histoires d’amour les plus célèbres du Japon. Agnès Giard passe ainsi en revue un florilège significatif de drames, d’épopées, de chants, de films et de mangas qu’elle replace dans une perspective historique et esthétique. Un opus qui rassemble une iconographie riche et variée, faisant la part belle à un grand nombre d’artistes japonais contemporains.

ISHII Kôta

Mille cercueils : À Kamaishi après le tsunami du 11 mars 2011 Préf. de J.-F. Sabouret Paris : Seuil, 2013. 230p.

Ishii Kôta est journaliste et écrivain. Au lendemain du séisme du 11 mars 2011, il décide de se rendre dans le Tôhoku, pour voir, et surtout, vivre la catastrophe au plus près, car c’est la seule manière, selon lui, de rendre réellement compte de l’impact d’un tel désastre sur la population. Il choisit Kamaishi car le sort a voulu que cette ville ait été détruite à moitié seulement. Ce sont donc les habitants survivants de la partie épargnée de la ville qui ont dû se charger des dépouilles de leurs proches, voisins et amis décédés dans la partie sinistrée. Ishii observe et recueille les témoignages des personnes qui ont travaillé sans relâche dans les dépôts mortuaires de Kamaishi. Ce texte n’est pas un simple témoignage sur un événement qui a modifié à jamais l’histoire du Japon, il traite une question universelle : la réaction des hommes face à l’horreur, à la peur, à la souffrance et à la mort. Il pose également la question de la reconstruction, mais de l’intérieur et pour chacun.

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