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A LETTRE LETTRE DE DE LA LA A BIBLIOTHÈQUE IBLIOTHÈQUE N° N° 17 17 -- Automne Automne 2004 2004 Maison de la culture du Japon à Paris
Par delà le pont aux fleurs Christian Dumais-Lvowski Auteur, directeur de collection aux éditions Actes-Sud
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courut la salle quand ce jeune epuis quatre cents ans homme qui à la ville porte jeans qu’il hante les théâtres troués et rangers, s’avança sur le du Japon, le fantôme d’O-Kuni veille aux destinées pont aux fleurs, le visage fardé de blanc, vêtu de soies précieuses, inextricablement mêlées des ardans la tristesse d’une âme qui se tistes et des spectateurs de kabuki. Cette danseuse du temple désespère d’amour. Cette incarnad’Izumo, mi-prêtresse mi-hétaïre, tion poétique nous permettait, le doit être considérée comme une temps d’un songe, de vivre avec bienfaitrice de l’humanité pour l’avoir dotée d’une forme théâtrale spectaculaire, qui pour ne pas être réaliste ne cesse de susciter rêves et fantasmes. Les milliers de personnes qui se sont pressées au théâtre de Chaillot il y a peu, ont pu ressentir les émotions singulières que le public japonais éprouve depuis quatre siècles. Certes, la connaissance des codes complexes © Bel-Air-Media elle les fastes incomparables de la du kabuki en permet une meilleure compréhension – un mouchoir cour de Heian. Le kabuki c’est serré entre les dents qui exprime aussi l’invraisemblance assumée l’angoisse, une main portée en vipar le spectateur, de l’acteur sière qui fait surgir une montagne Nakamura Jakuemon, qui à plus devant nos yeux, un roulement de de quatre-vingts ans personnifie tambour comme le clapotis de toujours les jeunes princesses de l’eau – mais cet art s’adresse l’ancien Japon. On peut lire que d’abord aux sentiments. Pour pacet octogénaire Trésor National raphraser Francis Bacon parlant Vivant « conserve la fraîcheur de la peinture, le kabuki vise le d’une beauté juvénile »… « système nerveux ». Il faut aller au kabuki comme Il y a quelques mois, j’ai eu le à une fête, s’enchanter de l’allure privilège d’assister à une représenpliée des vieilles dames qui vientation du Dit de Genji au théâtre nent au théâtre dès onze heures du Minami-za de Kyoto. Il fallait enmatin, et qui y passeront la jourtendre le murmure d’admiration née entière, leur kimono savamprovoqué par l’apparition de ment pris dans un obi semé de Ichikawa Ebizo, vingt-six ans, fleurs ou d’oiseaux rares. Moins dans le rôle de ce prince dont la libres de leur temps, des hommes chronique nous conte les amours d’affaires en costume anthracite, contrariées. Un frissonnement parun attaché-case à la main, la mine La Lettre de la Bibliothèque - N° 17 - AUTOMNE 2004
exténuée, les rejoindront à la sortie des bureaux, pour venir applaudir un acteur fameux. Car ici le culte de l’acteur est aussi ancien que le kabuki lui-même. L’époque n’est pas loin où des admiratrices achetaient à prix d’or l’eau du bain dans laquelle avait trempé leur acteur favori, pour la conserver dans un flacon précieux, ou pour la boire... Une archive filmée nous montre une poupée que l’on dirait animée par le sortilège d’un enchanteur, maniant un minuscule éventail dans une danse heurtée. C’est Bando Tamasaburo, onnagata* de génie alors âgé de cinq ans, qui déjà nous fascine et nous trouble. Des circonstances heureuses m’ont permis de pénétrer ce monde fermé, d’accompagner Bando Tamasaburo dans les heures qui précèdent une représentation. Là, dans le secret de sa loge, transformée en jardin d’orchidées blanches par ses admirateurs, Tamasaburo se transforme en « Fille héron », un rôle qu’il interprète depuis vingt ans. L’art est ici porté au dernier période, son raffinement extrême nous emporte dans un autre temps. L’une des spécificités de cet art est précisément que le temps du kabuki n’est pas, ou plus, celui de l’extérieur qui l’entoure. Une fois passées les portes du théâtre commence un voyage spatio-temporel qui stupéfie l’amateur. (suite page 2) * Onnagata : acteur de kabuki spécialisé dans les rôles féminins.
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Au sein des familles de kabuki, on se succède de père en fils, des changements de nom marquent les jalons de la carrière et la progression de l’acteur vers la parfaite maîtrise. C’est dire que la transmission des rôles, trésor intangible, revêt un caractère essentiel. Pourtant, le kabuki du siècle commençant n’a certainement plus grand chose à voir avec celui d’O-kuni, il doit sans cesse se défaire de sa mue et faire peau neuve. C’est à cette seule condi-
tion qu’il continuera d’attirer un public fidèle et à le renouveler. Au Japon, à la sortie du théâtre un soir de printemps, un spectateur chanceux pourra se trouver pris dans une tourmente de pétales de cerisiers que le vent fait tournoyer. A peine éveillé du songe qui quelques heures durant l’aura maintenu au pays des samouraïs, des femmes de galanterie, des oiseaux fabuleux, où il aura vibré au conte des malheurs de deux amants que la fatalité conduit à un
double suicide, ou bien se sera réjoui de la danse joyeuse d’un lion fantastique, il ne saura plus quelle est la part de la réalité ou du rêve. Gageons qu’il n’aura de cesse de voir se reproduire sa rêverie et que pour ce faire, dès le lendemain, il retournera au kabuki. Christian Dumais-Lvowski est également l’auteur, avec Don Kent, du film documentaire « Kabuki, la voie du geste », coproduit par Bel-Air-Media et ARTE.
REGARDS SUR LE FONDS ART - RICO NOSE, Michiko Le design au Japon. Paris : Octopus. 2003. 160p.
Travail, repos, loisir. D’emblée, les titres des trois grands chapitres nous convient à une découverte sans a priori du design japonais qui, depuis l’éclatement de la bulle économique dans les années quatre-vingt, s’affranchit des concepts occidentaux et se réinvente. L’architecture et la décoration intérieure se déclinent ici en une multitude de créations originales touchant à tous les secteurs d’activité et de vie (bureaux, restaurants, salons de massage…) : un aperçu intéressant du travail d’une vingtaine de designers qui reflète on ne peut mieux la vitalité du design au Japon. - NUSSAUME, Yann Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise – Le regard du milieu. Bruxelles : Editions OUSIA, 2004. 543p.
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Ouvrage qui permet au lecteur de découvrir quelques textes fondateurs de la théorie architecturale nipponne. Ces textes sont regroupés suivant cinq parties présentées selon la logique du déroulement historique, de « l’ouverture vers l’Occident » (1868) jusqu’à « la crise de la modernité et la redéfinition de l’espace, du temps et de l’existence (1970-) ». Le regard du milieu, sous-titre du livre, met en perspective l’objet même de cet ouvrage : montrer les liens qui unissent la culture, l’environnement (le milieu) et la création architecturale. - ODATE, Toshio Outils japonais, tradition, esprit et usages. Dourdan : Editions Vial, 2004. 213p.
sont remplacés aujourd’hui, pour la majorité d’entre eux, par des outils électriques. Les métiers de charpentier, menuisier, ébéniste perdent ainsi peu à peu leur savoir ancestral. L’auteur, qui a appris la menuiserie dans les règles de l’art au Japon peu après la Seconde Guerre mondiale, s’est installé aux Etats-Unis et enseigne aujourd’hui, dans les écoles américaines des métiers d’art, la fabrication et le façonnage du mobilier en bois. Il expose les techniques de maniement et d’entretien des outils japonais disponibles en Occident, dans l’espoir que ces outils connaissent une seconde vie dans les mains d’artistes soucieux de produire des objets naturels et dépouillés. Cet ouvrage, abondamment illustré de dessins et de photographies, servira de manuel d’initiation pour le travail artisanal du bois. - WATSKY, Andrew Mark Chikubushima. Seattle : University of Washington Press, 2004. 350p.
Les outils traditionnellement utilisés au Japon dans la construction d’une maison en bois
Ile sacrée située au nord de l’ancienne capitale Kyôto, Chikubushima est restée au cœur des attentions des suzerains du Japon durant la période Momoyama (1568-1615). Petit à petit, l’île abrita la quintessence des arts de l’époque : le temple richement décoré dédié au culte de Benzaiten en constitue l’un des fleurons. Dans cette étude très documentée, l’auteur analyse l’influence majeure des croyances individuelles
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et des ambitions politiques sur l’art d’inspiration religieuse au cours de cette période de grands changements politiques, sociaux et esthétiques. Ses conclusions présentent sous un jour nouveau l’importance de ce site exceptionnel et, plus largement encore, la nature de la production artistique au Japon, notamment la question de la perception du sacré qui régissait les actions des seigneurs d’autrefois.
Dans cet ouvrage qui réunit dix études, la place prédominante qu’occupe le Japon s’explique par le rôle que la traduction, en tant que véhicule de transmission des sciences, a occupé dans la culture japonaise depuis les temps anciens. - ESMEIN, Suzanne Hugues Krafft au Japon de Meiji : photographies d’un voyage 1882 – 1883. Paris : Hermann. 2003. 110p.
ÉDUCATION - SATO, Nancy Ellen Inside Japanese classrooms. New York : Routledge Falmer, 2004. 325p. Cette étude ethnographique sur les écoles japonaises introduit l’idée que différents aspects de la vie sociale quotidienne plongent directement leurs racines dans le système éducatif. Etudiant tous les éléments qui touchent à l’organisation et à la vie de l’école, cet ouvrage, outre qu’il fait apparaître le fort degré d’intrication entre éducation et société, nous éclaire sur des notions centrales pour comprendre les processus d’enseignement et d’apprentissage au Japon, notamment la notion de « groupe ». Dans la dernière partie, l’auteur démontre enfin que le propos du livre, sans se limiter à un cadre japonais, peut offrir les bases d’une réflexion plus universelle.
HISTOIRE - CROZET Pascal, HORIUCHI Annick (dir.) Traduire, transposer, naturaliser – La formation d’une langue scientifique moderne hors des frontières de l’Europe au XIXe siècle. Paris : L’Harmattan, 2004. 262p. Cet ouvrage collectif s’attache à comprendre le rôle de la traduction scientifique dans la diffusion des sciences occidentales hors des frontières de l’Europe, à l’époque de son expansion au XIXe siècle. En d’autres mots, comment restituer, dans une autre langue, un système de savoir ou une terminologie issus d’une aire culturelle différente ?
vinciale de Shingû et ses parias condamnés à l’endogamie par la ségrégation. Un endroit que Nakagami Kenji, l’un des plus grands romancier de l’aprèsguerre, connaît fort bien pour y avoir grandi comme un exclu, un burakumin (gens des hameaux). Un monde violent où les drames se transmettent d’une génération à l’autre tout comme les liens consanguins; un monde où discrimination, trahison et croyances populaires dictent les règles du jeu. Ce roman lyrique à la construction complexe nous envoûte littéralement par son phrasé et sa richesse thématique. - OKAMOTO, Kidô Fantômes et samouraïs – Hanshichi mène l’enquête à Edo, trad. par Karine Chesneau. Arles : Philippe Picquier, 2004. 411p.
Ce recueil réunit les photographies prises par Hugues Krafft en 1882-1883 lors d’un séjour de près de huit mois au Japon. Ce jeune bourgeois fortuné de Reims parcourut les routes du Tôkaidô et du Nakasendô. Les quatre cents plaques originales et notes rédigées au cours de ce voyage ont été conservées pendant cent ans au Musée le Vergeur de Reims. L’auteur, qui a fait de longs séjours au Japon et emprunté à son tour ces routes mythiques, a pu classer cette collection et préciser certaines légendes. Ce recueil d’une soixantaine de clichés constitue également un témoignage sur l’atelier de photographie japonais qu’avaient utilisé en leur temps Beato et Stillfried, illustres prédécesseurs.
Hanshichi est un détective aux exploits inégalés dans l’imaginaire populaire japonais. Il est l’équivalent d’un Sherlock Holmes ; seulement lui, il opère à Edo (ancien nom de Tôkyô). Ses investigations débouchent toujours sur un succès, mais il croise des personnages pour le moins étranges : moine corrompu, fantômes, esprit vengeur. A travers les quatorze récits énigmatiques qui composent cet ouvrage, ce détective original nous plonge littéralement dans une autre époque. Ses récits nous conduisent dans le Japon d’autrefois avec ses petits métiers, ses coutumes, et ses croyances …
LITTÉRATURE - NAKAGAMI, Kenji Miracle, trad. par Jacques Lévy. Arles : Philippe Picquier, 2004. 486p. C’est l’histoire de Taichi, jeune yakuza. C’est aussi l’histoire des petites ruelles de la ville pro-
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Heures d’ouverture
Du mardi au samedi 13h00-18h00 Nocturne le jeudi jusqu’à 20h00 Fermeture
Les dimanches, lundis et jours fériés Du 24 déc. 2004 au 3 janv. 2005 inclus
- PERI, Noël Le théâtre nô – Etudes sur le drame lyrique japonais. Paris : Ecole Française d’Extrême-Orient. 2004. 402p. Voici un livre qui devrait faire date dans les études japonaises. Préfacé par François Lachaud, cet ouvrage reprend en fac-similé les
articles sur le théâtre nô que publie Noël Péri (1865-1922) dans l’illustre revue Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient entre 1909 et 1920. Prêtre des Missions étrangères au Japon, l’auteur, après quelques différends avec sa hiérarchie, décide de se consacrer à ses recherches, sur le nô et le boud-
dhisme notamment. Si de rares livres donnaient au public français de l’époque un léger aperçu du nô, Péri ouvre véritablement la voie pour ce genre théâtral à des générations de chercheurs. Des traductions de pièces commentées complètent cette synthèse sur le nô toujours fort estimée de nos jours.
BIBLIOTHÈQUES D’ICI ET D’AILLEURS La collection japonaise de la Staatsbibliothek zu Berlin Fondée il y a près de trois cent cinquante ans, la Staatsbibliothek zu Berlin est aujourd’hui la bibliothèque scientifique universelle la plus importante d’Allemagne avec près de 10 millions d’ouvrages. Le fonds japonais de la Staatsbibliothek zu Berlin (Bibliothèque d’État de Berlin), qui est le plus fourni de toute l’Europe, fait partie intégrante du département d’Asie de l’Est qui a été créé en 1922. Ce département a non seulement la charge de collecter les publications en langues occidentales sur cette région du monde, mais surtout celle de réunir des matériaux écrits dans les langues de l’Asie de l’Est, c’est-à-dire en chinois, japonais, coréen, mongol, tibétain, ouighour,
© Staatsbibliothek zu Berlin
ainsi que dans les langues «minoritaires» de la Chine. Le département compte environ 710000 volumes en langues originales, enrichis chaque année par 20 000 volumes supplémentaires, sans compter les ouvrages en langues occidentales et les 4 000 périodiques courants.
bibliographies et autres ouvrages de référence regroupés dans les salles de lecture communes aux différentes sections du département. Ces salles « Orient- und Ostasienlesesaal » ou OLS (salles de lecture de l’Orient et de l’Asie de l’Est) comptent environ 10 000 titres.
Le fonds japonais, quant à lui, compte environ 220 000 ouvrages en japonais et en langues occidentales. Il faut noter que les ouvrages en langues occidentales sont inclus dans le catalogue général de la bibliothèque, consultable à distance ; les ouvrages en japonais sont enregistrés quant à eux dans un catalogue spécifique nécessitant le codage EUC. Ce catalogue contient actuellement environ 15000 titres et la recherche peut être effectuée en caractères japonais.
La Staatsbibliothek abrite également des collections rares, comme le plus ancien document imprimé de l’histoire encore conservé de nos jours, le Hyakumantô Darani du VIIIe siècle.
La plupart des ouvrages sont stockés en magasin et sont communicables aux lecteurs sur demande. Le libre accès concerne les usuels, les
La bibliothèque propose en outre différents services aux lecteurs, dont le prêt inter-bibliothèques. Staatsbibliothek zu Berlin Potsdamer Straße 33, 10785 Berlin Tél :+49 (0)30 266-2447 Fax: +49 (0)30 266-3613 Ouverture du lundi au vendredi : 9h-17h - Le samedi : 9h-13h http : //ead.staatsbibliothekberlin.de R.A.
BLOC-NOTES • Hirano Keiichirô, lauréat du prix Akutagawa en 1999, donnera une conférence à la Maison de la culture du Japon sur le thème de « Mishima vu par l’écrivain Keiichirô Hirano » le jeudi 2 décembre à 17h30.
MAISON DE LA CULTURE DU JAPON À PARIS BIBLIOTHÈQUE 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Maison
Tél : 01.44.37.95.50 - Fax : 01.44.37.95.58 - internet : http ://www.mcjp.asso.fr
de la Culture du Japon à Paris
Directeur de la publication : Hisanori ISOMURA Rédaction : Etsuko MORIMURA - Florence PASCHAL - Pascale TAKAHASHI - Racha ABAZIED Kazuo LEE - Taka OKAZAKI Composition : Texto! Roubaix - Impression : Imprimerie Artésienne Liévin Dépôt légal : 4e trimestre 2004
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