La lettre de la bibliothèque

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Les romans historiques

japonais Pour ce 35e numéro de la Lettre de la bibliothèque, placé sous le signe de l’Histoire, nous avons eu envie d’aller fouiller du côté d’une littérature de genre, souvent qualifiée de « populaire », pour voir où en étaient les publications des romans historiques japonais en France. Le terme même de « roman historique » est matière à longs débats parmi les universitaires, et pour cause : au Japon, ce genre se décline en plusieurs catégories et sous-genres, dont l’appellation la plus répandue est le jidai shôsetsu « roman d’époque », à différencier du rekishi shôsetsu « roman historique » qui appartient à une forme plus « noble », ou moins « populaire ». Dans la pratique, ces deux dénominations tendent à se confondre pour désigner des fictions se déroulant avant Meiji (1868). Signalons que les romans d’époque appartiennent à une catégorie plus large encore, les jidai mono (litt. « choses/fictions du passé »), dans laquelle entrent certaines pièces de théâtre, et, bien entendu, le cinéma, comme par exemple les films en costumes de style chambara « films de cape et d’épée ».

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés

L’édition française a, quant à elle, déjà fait ses choix de publication. Car seule une partie infime de l’immense production japonaise a été présentée au public français et est passée avec succès au crible de la traduction. Nous présentons ici aux lecteurs passionnés d’histoire les principaux auteurs que l’on peut découvrir en français sur les rayonnages des librairies et des bibliothèques : ■ Inoue Yasushi (1907-1991) Largement traduit en langue française, cet auteur a consacré beaucoup de ses romans et nouvelles à l’histoire de l’Asie. Voici quelques titres inspirés de l’histoire japonaise : Le maître de thé, La geste des Sanada, Le sabre des Takeda, Le château de Yodo, La tuile de Tenpyô.

■ Shiba Ryôtarô (1923-1996) Romancier et essayiste incontournable lorsqu’on parle d’histoire du Japon, qualifié même « d’auteur de la nation », il est avant tout un grand narrateur : Le dernier Shôgun, Hideyoshi : seigneur singe.

■ Yoshikawa Eiji (1892-1962) Le premier auteur japonais à avoir introduit l’histoire japonaise au public français grâce au succès du personnage de Miyamoto Musashi : La pierre et le sabre, La parfaite lumière, Chronique des Heike.

■ Okamoto Kidô (1872-1939) Auteur d’enquêtes policières ayant pour cadre la ville d’Edo (actuelle Tôkyô), avec pour héros, l’inspecteur Hanshichi : Fantômes et kimonos, Fantômes et samouraïs.

Masateru Nakagawa Rédaction

Ses romans ont souvent pour toile de fond l’histoire du Japon, mais l’imaginaire et le surnaturel y tiennent une place non négligeable : Shinobi, Les manuscrits ninja (3 vol. parus).

Chisato Sugita Pascale Takahashi Racha Abazied Cécile Collardey Tony Sanchez

Pour ceux qui souhaitent creuser plus en profondeur la relation liant l’histoire à la fiction, un ouvrage paru récemment réunit les réflexions de spécialistes sur le sujet :

Conception graphique et maquette

■ Yamada Futarô (1922-2001)

Mémoire et fiction : décrire le passé dans le Japon du XXe siècle, éd. Philippe Picquier, 2010.

R. A.

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Directeur de la publication

La Graphisterie Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1er trimestre 2011 ISSN 1291-2441


n° 35 - Hiver, février 2011

La lettre de la bibliothèque Modernités Pierre-François Souyri Professeur d’histoire du Japon à l’Université de Genève a modernité constitue comme une sorte de motclé apparemment simple qu’on oppose, avec souvent grand aplomb, à son supposé inverse, la tradition. Tradition et modernité forment ainsi un couple infernal censé donner les « clés » pour les plus paresseux, pressés de découvrir une explication de surface aux réalités japonaises. Cette modernité est censée commencer avec la restauration impériale de 1868, quand l’État japonais se lance dans un mouvement de réforme pour rattraper le retard qu’il a pris face à l’Occident. Mais les hommes de Meiji n’évoquent guère la « modernité ». Ils sont en quête de kaika ou de bunmei, c’est-à-dire l’ouverture au monde, la civilisation, les lumières. Le mouvement dans lequel s’est engagée la société japonaise est en effet compris comme un effort pour s’arracher à l’arriération afin de rejoindre les pays occidentaux présentés comme « civilisés ». Pour reprendre l’expression de Fukuzawa Yukichi, il faut abandonner l’Asie et se tourner résolument vers l’Europe. Mais cette marche vers la « civilisation » peut aussi se comprendre comme un mouvement mimétique qui est dénoncé à la fin des années 1880 par ceux qui sont, non pas des réactionnaires partisans d’un retour à une tradition en voie de disparition, mais des progressistes ou des nationalistes qui accusent une « occidentalisation » de surface. C’est vers

© 2010 National Diet Library - Japan.

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cette époque qu’on commence d’ailleurs à évoquer des « traditions » japonaises. En même temps, avec le recul du temps, le régime d’Edo paraît de plus en plus lointain et la séquence historique nouvelle commençant avec la restauration Meiji est qualifiée de « proche dans le temps », kindai, c’est-à-dire « moderne » en japonais d’aujourd’hui. Mais vers 1900, kindai désigne non pas ce qui est « moderne » mais plus simplement ce qui est « contemporain ». L’historien Uchida Ginzô publie en 1903 une histoire du Japon des Tokugawa avec un titre qui sonne furieusement « moderne » : Nihon kinseishi, Histoire des Temps modernes au Japon. Pour Uchida, il existe trois temps historiques, kodai ou jôdai, « les temps d’autrefois », et kinsei, « les temps proches » avec entre les deux, une période intermédiaire, chûsei, le Moyen Âge. Pour lui, kindai

désigne « son temps » sans rapport avec une quelconque « modernité ». L’habitude aujourd’hui est de traduire kinsei, par early modern ou prémoderne, ce qui constitue une petite trahison d’Uchida. C’est avec le règne de Taishô (19121926) caractérisé par un monde plus industrialisé, urbanisé et une effervescence politique, sociale et culturelle que l’expression kindai en vient peu à peu à désigner une période historique en tant que telle, celle qui a commencé avec la restauration, qu’on peut dès lors traduire par « période moderne ». On ne se réfère alors plus guère à la « civilisation » mais plus facilement à la « modernité », comprise à la fois comme « la société dans laquelle nous vivons » et caractérisée notamment par le progrès technique et une certaine occidentalisation des mœurs. L’emblème 1


Regards de ce mouvement, c’est la jeune femme émancipée portant cheveux courts et jupes au-dessous du genou, la moga (modern girl). Il devient dès lors possible d’évoquer au Japon même une modernité opposée à une tradition ellemême donnée pour intangible et intemporelle et invariante, alors qu’elle est souvent une « invention » récente. Cette modernité pose pourtant problème car elle bouscule les mentalités, crée de l’incertitude, une perte de sens. Pour les marxistes des années 1930, le Japon n’est pas assez « moderne » et il est entravé dans sa marche en avant par des restes de féodalisme, le système impérial notamment. Les idéologues nationalistes de leur côté croient pouvoir s’engouffrer dans la brèche et la guerre menée contre les Anglo-Saxons est comprise alors comme une tentative pour « dépasser la modernité » (kindai no chôkoku). Après la défaite japonaise, l’un des principaux courants intellectuels de l’après-guerre mené notamment par Maruyama Masao est qualifié de « moderniste ». Pour les « modernistes » (kindaishugisha), l’évolution de la société japonaise passe par des réformes libérant l’individu du poids des contraintes sociales et familiales et donnant plus de poids à la société civile. D’autres dans les années 1960 se réfèrent aux théories américaines de la « modernisation » (kindaika) et insistent notamment sur la « croissance économique » qui devient le principal critère d’une société développée, c’est-à-dire « moderne ». Mais au même moment, on crée une nouvelle catégorie temporelle, gendai, le temps d’aujourd’hui, pour désigner le monde depuis 1945, renvoyant la période « moderne » à la courte séquence 1868-1945. Sans même évoquer les théoriciens japonais de la post-modernité qui avaient le vent en poupe dans les années 1980, il devient ainsi de plus en plus difficile d’évoquer avec précision le concept de « moderne » pour expliquer quoi que ce soit. Le terme tend à devenir, au Japon comme ailleurs, un fourre-tout qui englobe diverses acceptions, chacune jouant ou ayant joué son rôle explicatif. Encore faut-il apprendre à les reconnaître. ■

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sur le fonds

Manga, animation Raphaël COLSON, Gaël RÉGNER

Hayao Miyazaki, cartographie d’un univers Lyon : Les moutons électriques, 2010. 358p.

En quarante ans de carrière, Miyazaki Hayao, inspiré tant par sa propre culture que par les cultures occidentales, a proposé une représentation du monde singulière et nuancée. Cette vision s’est imposée naturellement comme un dialogue universel face à celle, plus manichéenne, de l’industrie du dessin animé américain. Les auteurs ont pris le parti d’explorer l’imaginaire de Miyazaki, au fil d’une présentation chronologique de ses productions, et d’en rechercher la cohérence interne par une analyse minutieuse des personnages, dessins et thèmes récurrents. Ce livre richement illustré invite à un voyage dont chaque étape raconte un film d’animation, retrace le contexte de création et les sources d’inspiration qui ont donné naissance à une œuvre au message écologique et profondément humaniste.

Helen McCARTHY

Osamu Tezuka : Le dieu du manga Trad. par Jean-Paul Jennequin Paris : Eyrolles, 2010. 271p.

Tezuka reste sans conteste celui qui a posé les fondations du manga et de l’animation japonaise. Auteur prolifique, avec quelque 700 titres, animateur hors pair créant ses propres studios de production et plus de 70 films et émissions de télévision, il influence de nombreux artistes aujourd’hui encore. Helen McCarthy, spécialiste reconnue des mangas et anime, retrace la vie et l’œuvre de Tezuka, présentant ses œuvres majeures jusqu’à celles restées inachevées. Véritables stars, les personnages les plus emblématiques, à l’image des acteurs de cinéma de chair et d’os, pouvaient « jouer » dans différentes séries en dehors de celle qui leur était consacrée. À travers ce beau livre comprenant nombre d’extraits de mangas, couvertures, dessins et affiches, l’auteur dévoile un univers aussi foisonnant qu’original.

Histoire Pierre-François SOUYRI

Nouvelle histoire du Japon Paris : Perrin, 2010. 627p.

Et si l’Histoire nous était contée ? C’est ainsi en tout cas que P.-F. Souyri envisage cet ouvrage. Un récit donc, mais un récit riche et bien documenté, basé sur les dernières recherches historiographiques japonaises. Une nouvelle manière d’appréhender l’histoire de ce pays loin des


clichés nationalistes, des visions occidentales égocentrées et des chroniques officielles. À chacune des grandes périodes marquantes de la civilisation nippone, l’auteur s’interroge et pose des questions essentielles telles que l’origine des populations japonaises, les influences des cultures voisines et étrangères sur la formation d’une culture « nationale », les relations qu’entretiennent les Japonais à la nature, etc. Une histoire du Japon ambitieuse, agréable à lire et qui jette un regard nouveau sur ces « histoires qui sont maintenant du passé »…

Religion Claire-Akiko BRISSET, Pascal GRIOLET

La vie du Buddha : racontée et illustrée au Japon Paris : Presses Universitaires de France, coll. Sources, 2010. 272p.

La vie du Buddha historique fut l’objet de nombreux récits aux épisodes souvent légendaires visant à convertir les foules ; c’est l’une des versions les plus populaires au Japon —Shaka no honji— que nous propose cette superbe édition. Diffusée pendant l’époque médiévale et jusqu’au XVIIIe siècle, cette Vie du Buddha teintée de merveilleux, mêle harmonieusement d’authentiques épisodes indiens à des éléments chinois ou proprement japonais, et peut être abordée comme un conte. La traduction est suivie d’un glossaire des termes bouddhiques et de la reproduction en fac-similé d’un manuscrit réalisé entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. L’ensemble, agrémenté de miniatures d’époque d’une grande fraîcheur, forme un ouvrage accessible, aussi plaisant pour les yeux qu’instructif.

François LACHAUD

Le vieil homme qui vendait du thé : excentricité et retrait du monde dans le Japon du XVIIIe siècle Paris : Éditions du Cerf, 2010. 158p.

À travers une étude riche et documentée, l’auteur s’attache à décrire le mode de vie singulier de personnages excentriques de l’époque d’Edo (1603-1868), avec comme figure centrale et représentative ce vieil homme qui vendait du thé : un ancien moine bouddhiste revenu à la vie laïque et pour qui la pratique du sencha (infusion de feuilles de thé vert) est une façon de se détacher du monde. Une manière étonnante de mettre en perspective cette époque, et qui permet de lever les clichés sur l’ermite solitaire. L’auteur évoque également les influences chinoises qui mènent à ce choix de vie, et dresse des parallèles avec les excentriques occidentaux. Un ouvrage pointu et original, qui met en avant un pan méconnu de la culture des lettrés de l’époque d’Edo, s’éloignant ainsi des sujets habituellement traités sur cette période.

Littérature YOSANO Akiko

Cheveux emmêlés Trad. par Claire Dodane Paris : Les Belles Lettres, coll. Japon 2010. 191p.

Véritable hymne à l’amour qui laisse libre cours à l’expression du bonheur et du désir féminin, ce premier recueil de tanka (poèmes de trente et une syllabes) de la jeune Yosano Akiko (1878-1942), par l’audace de son écriture, frappe de stupeur le monde littéraire japonais lors de sa parution en 1901. En rupture avec les conventions poétiques classiques mais aussi avec la réserve attendue des femmes de l’époque, ces quelque 399 poèmes chantent la passion naissante de l’auteur pour son futur mari, Yosano Tekkan (1873-1935), poète lui aussi. Cette œuvre capitale, traduite pour la première fois en intégralité, inaugure la longue et prolifique carrière de la plus grande femme poète du Japon moderne, qui occupe également par son engagement une place de tout premier ordre dans l’histoire de l’émancipation féminine au Japon.

LILY Franky

La Tour de Tokyo : maman, moi, et papa de temps en temps Trad. par Patrick Honnoré Arles : Éditions Philippe Picquier, 2010. 400p.

Premier roman de Lily Franky alias Nakagawa Masaya, star de la scène rock japonaise, ce livre énergique, poignant hommage à sa mère, est le récit de ses années d’enfance, puis d’errance à Tôkyô. Enfance insouciante entre un père violent, looser indécrottable, et une mère forte et généreuse. Et, pivot symbolique du monde moderne, la Tour de Tôkyô : elle attire les jeunes provinciaux, tels des insectes qui se perdent dans le tourbillon infernal de la capitale et s’y brûlent les ailes. Ce livre est devenu l’emblème d’une génération : celle qui eut 20 ans dans les années 80, qui ne s’est jamais reconnue à travers l’idéologie du « miracle » japonais et a refusé de rentrer dans le rang. Serti dans une langue orale spontanée, efficace et poétique, ce roman parsemé de petites leçons de vie entraîne d’emblée le lecteur et le tient entre rires et pleurs jusqu’à la dernière page.

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