Lettre de la bibliothèque n°46

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n° 46 - Automne 2014

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Bibliothèque

Le textile

japonais

Si la forme du vêtement traditionnel japonais s’est peu diversifiée à travers les âges, une multitude impressionnante de techniques se sont développées autour du textile : tissages, teintures, broderies ou applications des motifs, ces artisanats exigeant une grande dextérité sont transmis jusqu’à nos jours selon des savoir-faire précédant la mécanisation imposée par l’industrie, qui garantissent l’obtention de textures, couleurs ou dessins de haute qualité. La bibliothèque contient un fonds fourni dans ce domaine, dont voici un aperçu : ■ Nihon no senshoku Kyoto shoin’s Art Library of Japanese textile, 1994 Une collection bilingue en anglais et en japonais de 20 petits livres reliés, chacun portant sur un style de textile, ou une technique particulière. Illustrée de photos, elle permet au néophyte d’aborder les différents styles régionaux, les costumes de théâtre, de cour, les tissus décoratifs caractéristiques. Chaque volume se termine par une courte explication sur les techniques employées. ■ DVD Nihon no some to ori (“teintures et tissages japonais”) Isetan, 2012 Une collection de 6 DVD édités en 2012 sous le patronage des magasins Isetan et Mitsukoshi : chaque DVD contient trois ou quatre reportages en japonais (avec des sous-titres en anglais) entre 15 et 25 minutes sur une technique particulière. Filmé avec précision, l’ensemble permet d’approcher de façon très concrète la diversité des matières, les manières de filer et de tisser la soie, le coton, le chanvre, le lin, ou même le papier ! On parcourt l’impressionnante déclinaison des teintures naturelles et les recettes qui leur permettent de résister au temps, les différentes façons d’obtenir un motif : broderie, shibori ou dessins obtenus à partir du tissu pincé avec de la ficelle, motifs tissés, pochés ou dessinés à main nue. ■ DVD The Yuzen silk : The dyeing art of Kakoh Moriguchi

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Du 21 décembre 2014 au 5 janvier 2015

Sakura motion pictu-

Moriguchi Katoh, Trésor national vivant est un grand maître du dessin et de l’ornementation façon yûzen (teinture à réserve par l’application d’une pâte de riz, teinture au pochoir ou peinture à la main directement sur le tissu). Ce documentaire de 30 minutes le suit dans son travail et permet d’observer toutes les étapes de cet artisanat d’une extrême précision, depuis le croquis pris sur le vif, à l’application des couleurs, en passant par la mise en espace du dessin sur un kimono. ■ Kimono and the colors of Japan et Summer kimono and the colors of Japan Tokyo : Pie Books, 2005

■ Textiles across the seas Tôkyô Ori no umimichi jikko iinkai, 2002-2005 Trois volumes reliés, bilingues anglais et japonais, très complets et illustrés sur les textiles des îles du sud du Japon, du large de Kyûshû à travers tout l’archipel d’Okinawa. Chaque île conserve ses motifs, ses méthodes de tissage, et ses matières caractéristiques, tel que le bashôfu dans les îles les plus tropicales : un textile à base de fibres de banane, idéal pour les climats chauds et humides. C. C. 4

Kimonos, hier et aujourd’hui Aude Fieschi, auteure et traductrice

Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés

re, 1989

Les couleurs ont depuis l’Antiquité revêtu différentes significations, voire conféraient aux vêtements des pouvoirs spéciaux. Par ailleurs, elles sont très présentes dans la littérature classique japonaise. Pelures d’oignon, safran, indigo, fleur d’hibiscus, insectes, terres... la nature a de tous temps fourni une profusion d’ingrédients pour colorer les vêtements, qui furent enrichis avec des procédés chimiques à partir de la fin du XIXe siècle. Ces deux volumes forment un répertoire des couleurs obtenues sur les textiles, avec leur appellation japonaise et une brève explication sur leur origine.

La lettre de la bibliothèque

Directeur de la publication

Sawako Takeuchi Rédaction

Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette

La Graphisterie.fr Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 3e trimestre 2014 ISSN 1291-2441

À

la fin du XIXe siècle, lors des grandes expositions universelles, les Occidentaux découvrent avec étonnement et admiration le vêtement emblématique du pays du Soleil Levant : le kimono. Ki(ru)-mono, « chose que l’on porte sur soi », ne signifie pourtant pas n’importe quel vêtement, mais renvoie précisément à un vêtement de dessous porté par les dames de cour de l’époque Heian (IXe – XIIe siècle), le kosode. À la fin du XIXe, le terme de kosode est remplacé par celui de kimono, utilisé dans son sens large comme « vêtement japonais » (wafuku), englobant tous les vêtements traditionnels masculins ou féminins, par opposition aux vêtements de style occidental (yôfuku), dont le port allait se développer à partir de Meiji, avec l’ouverture du Japon aux étrangers. Le costume des premiers princes du Yamato puisait son origine en Chine, où l’on portait, à la cour des Han, une longue robe croisée de gauche à droite, s’évasant légèrement aux pieds, et dont les larges manches pouvaient servir de manchon. Après plusieurs transformations, cette robe donnerait naissance au kosode.

La simplicité extrême du patron, utilisant tout le rouleau de tissu sans aucun gaspillage, les coutures droites aisées à coudre et à découdre et surtout la possibilité de le transmettre de génération en génération, expliquent sans doute la longévité extraordinaire de ce vêtement, toujours porté aujourd’hui par les Japonais dans les grandes occasions de la vie sociale, ainsi que dans l’intimité de leur foyer. Le kosode, simple vêtement de dessous blanc à manches courtes du IXe siècle, allait avec le temps, se parer de décors de plus en plus somptueux pour plaire à l’aristocratie d’abord, puis aux riches marchands. Une grande attention était portée au choix des étoffes, aux associations de couleurs, aux techniques de tissage et de teinture, à la taille et l’emplacement du nœud de la ceinture (obi), avec l’obligation toutefois de se soumettre aux lois somptuaires émises d’abord par la cour, puis par les shoguns, afin qu’une fois vêtu, « il n’y ait pas de confusion possible entre le prince et son vassal, entre le supérieur et l’inférieur ». Contrairement au costume occidental bâti en volume pour s’adapter au corps, le kimono est un vêtement plat, sans aucune pince donnant du relief, que l’on « construit » sur soi, en réglant la hauteur et la largeur du vêtement, qui convient ainsi à toutes les morphologies.

Déployé à plat, il forme une grande toile que les artisans et certains peintres célèbres, surtout à l’époque d’Edo (1616 – 1867), embellirent de toutes sortes de décors, en accord avec la mode du moment, jouant avec le thème des saisons, des œuvres littéraires, des objets quotidiens, des lieux célèbres soudain rendus accessibles par le développement des moyens de communications. Un grand soin était porté à l’harmonie entre les dessins et les couleurs aux dégradés subtils, mais aussi entre plusieurs motifs, qui, associés les uns aux autres, formaient des allégories. La réussite de l’ensemble permettait de juger du goût et du niveau de culture de la personne qui portait le kimono. Et c’est, nourris de ce même désir de perfection, que les créateurs contemporains, dont certains ont été élevés au rang de « Trésor national vivant », pour l’excellence de leur savoir-faire, ont à cœur de former les nouvelles générations aux techniques traditionnelles de teinture, de tissage et de décor, faisant du kimono plus qu’une simple parure : la manifestation d’une philosophie, d’une esthétique, et d’un art encore bien vivant aujourd’hui — un art à revêtir. ■

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Regards sur le fonds

Art Pierre PIGOT Apocalypse Manga Paris : PUF, coll. Perspectives critiques, 2014. 248p.

Société KITANAKA Junko De la mort volontaire au suicide au travail Montreuil-sous-Bois : Ithaque, 2014. 309p.

La mort par excès de travail (karôshi, en japonais) est devenue un véritable phénomène dans les sociétés développées. Au Japon, le nombre des personnes diagnostiquées chaque année comme souffrant d’une « dépression avec tendance suicidaire », liée à leurs conditions de travail, inquiète de plus en plus le corps médical et les autorités. Cette forme de dépression exprime aussi un mal-être social aggravé par la crise économique qui a débuté il y a vingt-cinq ans. Longtemps pourtant, les Japonais se sont montrés réticents à la psychiatrie et aux antidépresseurs, considérés comme étant des méthodes thérapeutiques importées. L’auteure, professeur d’anthropologie de la médecine et de la psychiatrie à l’université de Keio, analyse comment les Japonais se sont approprié ces thérapies et les ont adaptées dans la pratique clinique et dans la vie sociale pour lutter contre cette forme de dépression.

Jean-Paul PORRET

Vivre le Japon Lille : Hikari éditions, 2014. 336p.

L’auteur, journaliste vivant au Japon depuis de nombreuses années, a voulu partager ses expériences à travers ce guide de vie pratique. Du quotidien aux loisirs, des rubriques aussi variées qu’indispensables, et autant de sujets auxquels on ne pense pas toujours avant le grand envol vers le Japon, s’enchaînent parsemés d’anecdotes et d’entretiens avec des expatriés. Ceux qui ont le projet d’habiter l’Archipel trouveront les informations nécessaires pour leurs premières démarches : louer un appartement, payer le téléphone, trouver un travail ou un stage... L’ouvrage explore aussi le pays un peu plus en profondeur pour faire découvrir comment se passe un accouchement, le monde de l’éducation, les risques alimentaires liées à la radioactivité, ou la vie dorée d’un animal domestique... Enfin, ceux qui s’intéressent simplement au Japon sans projet de s’y installer se délecteront des enquêtes teintées d’humour, passées au filtre des différences culturelles, qui mettent en lumière certains aspects de la société nipponne. 2

La première bombe atomique lancée sur une population civile, qui a marqué la psyché japonaise et l’ensemble de l’humanité, est aussi un événement qui provoque la création. Comment les Japonais se sont-ils emparés de cette page noire de leur histoire et comment l’ont-ils représentée dans les plus commerciaux des médias artistiques : le manga et l’animation ? C’est ce que tente d’analyser Pierre Pigot, historien de l’art, dans cet essai. De Miyazaki Hayao à Matsumoto Akira, en passant par des personnages aussi célèbres qu’Albator, Gen d’Hiroshima ou Princesse Mononoke, la violence de la catastrophe est explorée à travers le regard esthétique d’auteurs aux styles variés, chacun ayant traduit à sa manière l’angoisse ou l’intériorisation d’une inquiétude collective.

Littérature SANTÔ Kyôden Fricassée de galantin à la mode d’Edo Trad. et présent. de Renée Garde Paris : Les Belles Lettres, 2014. 124p.

Enjirô, fils à papa affligé d'un nez grotesque et d'une naïveté sans pareille, se rêve en séducteur reconnu, à l’instar d’une star de kabuki ou d’un élégant des quartiers des maisons closes. Pris en main par deux comparses filous, l’apprenti galant met en scène une succession d’épisodes censés servir sa gloire : autant de mésaventures qui iront crescendo… Représentant le plus connu du kibyôshi, livre satirique illustré en vogue à la fin du XVIIIe siècle, Santô Kyôden connut d’abord la gloire comme peintre d’estampes, avant de se lancer avec le même succès dans l’écriture, où il incarne l’esprit typique de la classe montante des commerçants d’Edo férue de dérision. Assortie d’une introduction d’une grande clarté, cette édition alterne les planches illustrées, avec une légende explicative, et leur savoureuse traduction.

UNO Chiyo Ohan Trad. par Dominique Palmé et Kyôko Satô Arles : Philippe Picquier, 2014. 93p.

Le héros de ce livre d’une belle épure nous narre, sur le ton de la confidence, ses errances entre deux femmes, sa maîtresse Okayo avec qui il vit et sa femme dont il est séparé depuis sept ans, mais qu’il revoit et aime en cachette. Conscient de sa veulerie et de son inconsistance, peu avare de promesses faciles, l’homme se dépeint comme un bon à rien, balloté par les événements qui peu à peu resserrent leur étau sur lui.

Uno Chiyo (1897-1996) mena la vie d’une môga —ces « modern girls » éprises de liberté des années vingt—, fréquentant artistes et écrivains de renom qui surent saluer sa personnalité et son talent littéraire. Ce roman, qu’elle mit plus de dix ans à écrire, est considéré comme son chef-d’œuvre.

SHIMADA Masahiko La fille du chaos Trad. par Miyako Slocombe Paris : Wombat, coll. Iwazaru, 2014. 343p.

Le roman est construit autour de trois personnages : le jeune Naruhiko qui souffre de narcolepsie mais qui a hérité des dons de voyance de sa grand-mère chamane ; Mariko, une lycéenne amnésique qui, séquestrée et abusée par un homme durant deux ans, réussit à échapper à son kidnappeur en le tuant ; enfin, Sanada, un professeur d’université condamné par le cancer qui va tenter d’aider Mariko à retrouver la mémoire en la transformant en une sorte de machine à tuer. Les trois personnages vont unir leur destinée pour libérer la société de son mal-être par la destruction et en faisant régner le chaos. Ce polar fantastique, qui appartient à un genre bien défini au Japon, le « spiritual mystery », livre malgré des allures de série B déjantée, une critique fine de la crise que traverse la société japonaise aujourd’hui.

Histoire Pierre-François SOUYRI (dir.) Japon colonial 1880-1930 : Les voix de la dissension Paris : Les Belles Lettres, 2014. 168p.

Après la Restauration Meiji de 1868, le Japon conquiert de nouveaux territoires, soit en annexant des terres sur lesquelles sa souveraineté ne s’étendait que de manière partielle ou théorique (Ezo au nord, qui devient Hokkaidô, et le royaume des Ryûkyû au sud, dès lors département d’Okinawa), soit dans le cadre de conflits entre grandes puissances (Taïwan, la Corée ou la Mandchourie). Avant la chape de plomb des années 1930, où censure et répression s’intensifient, de nombreuses voix d’hommes et de femmes se sont élevées durant l’entre-deux-guerres pour dénoncer la politique impérialiste du « Grand Japon ». Les dix textes d’universitaires, journalistes ou militants présentés et traduits par les chercheurs du Groupe de Genève témoignent de la pluralité des opinions et de l'engagement personnel des opposants dans un contexte de montée en puissance du militarisme.

Eddy DUFOURMONT Confucianisme et conservatisme au Japon : La trajectoire intellectuelle de Yasuoka Masahiro (1898–1983) Pessac : Presse Universitaire de Bordeaux, 2014. 347p.

KAWAKAMI Mieko

De toutes les nuits, les amants Trad. par Patrick Honnoré Arles : Actes Sud, 2014. 278p.

Fuyuko a 34 ans, est correctrice et travaille en free-lance pour l’édition. Timide et introvertie, elle vit seule à Tôkyô, ne s’imagine pas de relation amoureuse et aime sortir la nuit pour contempler les lumières de la rue. Quelques personnages viennent cependant nourrir sa vie de conversations autour d’un café : Hijiri, son interlocutrice professionnelle, qui aime observer les gens et refaire le monde, Kyôko, une ancienne collègue, ou encore M. Mitsutsuka, un professeur de physique dont elle tombera progressivement amoureuse. Pas de grande trame narrative autour de ce personnage aux ambitions simples, mais des questions soulevées, telles que comment se positionner dans une société conformiste lorsque l’on est une femme célibataire ? À travers la vie quotidienne de Fuyuko, Kawakami Mieko se fait l’observatrice critique et minutieuse de la condition des femmes actives dans la société d’aujourd’hui.

Rares sont les études consacrées au néoconfucianisme du Japon contemporain. L’héritage confucianiste est néanmoins très présent : à la base d’un conservatisme très ancré au sein du Parti Libéral Démocrate, il se traduit par des sujets polémiques tels que les visites de ministres au sanctuaire de Yasukuni, ou le développement des forces armées. Pour comprendre le rôle du confucianisme à travers le XXe siècle japonais, l’auteur, maître de conférences de l’histoire politique du Japon à l’université de Bordeaux, a choisi d’étudier la trajectoire de Yasuoka Masahiro, personnage influent dans les milieux politiques et économiques pendant la montée de l’impérialisme, mais surtout au cours de la période de haute croissance économique jusque dans les années 1980. L’étude de ses idées parfois contradictoires —pour un idéal de paix, mais axées sur la nécessité d’une unité culturelle de l’Asie sous la direction du « grand frère japonais »— apporte un éclairage sur l’histoire des tensions que le Japon connaît de nos jours encore avec ses pays voisins.

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