n° 24 - Printemps, mai 2007
La lettre de la bibliothèque À propos de Seijun Suzuki… Nicolas Saada
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Il aura fallu l’entêtement de cinéastes cinéphiles comme Christophe Gans pour révéler au grand public l’existence de chefs-d’œuvre absolus qui co-existaient depuis toujours avec les films de Mizoguchi, Naruse, Ozu et Kurosawa. Seijun Suzuki appartient à un âge d’or du cinéma nippon, qui révélera, entre autres, des maîtres incontestés tels Hideo Gosha (Goyokin), Tai Kato (La pivoine rouge) et Kenji Misumi (auteur des premiers Baby Cart) ou Kinji Fukasaku. Seijun Suzuki a suivi le parcours classique des cinéastes de studio japonais. Longtemps assistant, il devient ensuite réalisateur et se lance dans la fabrication « en série » de films policiers ou de drames historiques. En suivant scrupuleusement les règles de la progression hiérarchique au sein du studio de la Nikkatsu jusqu’en 1967, Suzuki
aurait pu donner l’illusion à ses supérieurs qu’il était déjà rentré dans le rang, mais une fois devenu metteur en scène « officiel », Seijun Suzuki s’entêta à bafouer l’une après l’autre les règles coercitives du cinéma de genre. À partir de 1963, grâce au soutien de collaborateurs artistiques fidèles (comme l’acteur Joe Shishido, mais aussi le chef-opérateur Kazue Nagatsuka), Seijun Suzuki tourne un à deux films par an, avec une liberté de ton et une exigence formelle de tous les instants.
Samuel Fuller, avec qui il partage le même sens de la provocation et du sensationnel. Dans « sensationnel », il y a « sensation » et Suzuki est passé maître dans l’art de faire d’un plan une expérience sensuelle unique, qui dépasse de loin le simple « effet de style ». Une goutte de sang sur une peau (La jeunesse de la bête), une rue déserte au crépuscule (La marque du tueur), une prostituée qui parle à la caméra sur un fond coloré (La barrière de la chair) : Suzuki est un poète, capable de créer de l’émotion avec du style, de produire du sens avec de la géométrie. Il poussera cette logique d’association libre, où l’image devient un pur geste de cinéma, dans son dernier film de studio La marque du tueur, en 1967. Cette œuvre unique valut à Suzuki son poste à la Nikkatsu, mais l’irrévérence et la drôlerie du film furent perçues par les jeunes cinéastes japonais comme un appel à la révolte. © Takako Sueyoshi
ai entendu prononcer le nom de Suzuki pour la première fois en 1990, à l’occasion d’un article magnifique signé Frédéric Sabouraud dans les Cahiers du Cinéma. L’auteur offrait un compte-rendu détaillé de la première grande rétrospective consacrée à ce cinéaste, au festival de Rotterdam. À cette époque, le cinéma de genre asiatique se résumait pour la majorité des cinéphiles aux productions de HongKong signées Chang Cheh, Tsui Hark ou King Hu. Et au Japon, les films de « grands monstres » d’Inoshiro Honda (Godzilla, Mothra…) étaient la partie émergente du somptueux iceberg du film de genre japonais.
Qui n’a jamais vu un film de Seijun Suzuki est d’une certaine façon privilégié : on aurait du mal à résumer en quelques phrases le choc provoqué par la découverte de ses films. C’est un foisonnement de plans, de sons, de formes. De La jeunesse de la bête à La marque du tueur, c’est à chaque fois un éblouissement. Suzuki est un des rares cinéastes de sa trempe à pouvoir transformer un cliché ou une convention en quelque chose d’inédit et de presque expérimental. En ce sens, son travail est à rapprocher de celui d’un autre grand formaliste,
De tous les cinéastes japonais de genre de sa génération, Suzuki fut sans conteste le plus iconoclaste, le plus rebelle et le plus « culte ». Jim Jarmusch lui rend hommage dans Ghost Dog ; Tarentino n’a jamais caché son admiration pour lui. Sin City de Robert Rodriguez doit tout à La marque du tueur mais il n’en est qu’une redite, monotone et sadique. Cette rétrospective Suzuki à la Maison de la culture du Japon du 31 mai au 30 juin 2007 va de nouveau permettre à ce metteur en scène unique de retrouver la place qu’il mérite. Politique, formaliste, impressionniste, Seijun Suzuki est un cinéaste « sensationnel », un vrai. ■ 1
Regards sur le fonds
MIURA Ayako
Au col du mont Shiokari Trad. de Marie-Renée Noir Arles : Éd. Philippe Picquier, 2007. 318p.
Littérature HAYASHI Fumiko
Les yeux bruns Trad. de Corinne Atlan Monaco : Éd. du Rocher, Série japonaise, 2007. 296p.
Après Nuages flottants paru en 2005 chez le même éditeur, voici la traduction d’un autre roman de Hayashi Fumiko, écrivain féminin majeur de la littérature japonaise du XXe siècle. Couple sans enfants, Jûichi et Mineko Nakagawa sont mariés depuis quatorze ans. Mais au lendemain de la guerre, ils se débattent dans les difficultés de la vie quotidienne. Lui n’est qu’un employé subalterne dans son entreprise et le couple est contraint de prendre des locataires. À la routine et au poids des ans s’ajoutent les récriminations de Mineko et la lassitude de Jûichi. Alors que le couple est sur le point de se défaire, Nakagawa s’éprend d’une collègue de bureau, jeune veuve qui incarne à ses yeux le raffinement et la promesse d’une vie nouvelle… On retrouve dans ce roman — adapté en 1953 au cinéma par le réalisateur Naruse Mikio sous le titre L’épouse — toute l’acuité et la lucidité dans l’observation des aléas du cœur qui font la force de l’œuvre de Hayashi Fumiko.
Collectif
Jeunesse : anthologie de nouvelles japonaises contemporaines, Tome 1 Trad. par Jean-Jacques Tschudin et Pascale Simon Monaco : Éd. du Rocher, Série japonaise, 2007. 283p.
La nouvelle occupe une place importante dans la production littéraire au Japon. Cette anthologie regroupe dix textes de fiction s’étalant de 1945 à nos jours. Le choix est guidé par un thème commun à toutes les nouvelles : la jeunesse. Jeunesse d’un intellectuel de l’aprèsguerre dans Bizan du grand Dazai Osamu, ou jeunesse rebelle et désaxée chez Ishihara Shintarô, celle de l’engagement pour le Prix Nobel Ôe Kenzaburô, ou encore, celle des premiers émois érotiques chez Nakazawa Kei. Dans ce premier tome d’une anthologie thématique se côtoient des écrivains inconnus en France et des auteurs dont la renommée est indéniable. 2
Roman important dans l’œuvre de Miura Ayako (1922-1999), Au col du mont Shiokari a pour contexte historique la restauration de Meiji et ses bouleversements sociaux, culturels et industriels, mais aussi, à une échelle plus petite, le développement de l’île septentrionale de Hokkaidô qui devient en peu de temps un territoire stratégique. Le riche arrière-plan historique, évoqué çà et là par légères touches, n’altère en rien la petite musique intimiste de ce roman d’une rare sensibilité. Ayant pour trame une histoire vraie, ce récit retrace la vie d’un fils de samouraï, homme simple et d’une générosité sans pareille, qui, après de difficiles cheminements intérieurs, se convertit au christianisme malgré l’hostilité générale éprouvée à l’époque pour cette religion. Cent ans après sa mort tragique, la mémoire de cet homme est toujours honorée dans sa ville, Asahikawa, d’où est originaire également l’auteur.
Manga MIZUKI Shigeru
NonNonBâ Paris : Cornélius, 2007, Collection Pierre, 2007. 420p.
Mizuki Shigeru est un auteur singulier dans le monde du manga. Ayant perdu son bras droit durant la seconde guerre mondiale, il dut réapprendre à dessiner de la main gauche, ce qui ne l’empêcha pas de dépeindre à merveille l’imaginaire populaire nippon, peuplé d’êtres surnaturels, de monstres et de créatures étranges (les yôkai). NonNonBâ s'inscrit dans cette veine, au cœur du Japon rural, au début des années 1930. Le titre est aussi le nom d'une petite mémé au visage ridé qui est accueillie dans la famille du petit Gégé (Shigeru) — alter ego de Mizuki Shigeru — un enfant débordant d'imagination, qui, grâce à elle, va s'initier aux vieilles histoires oubliées et aux légendes des fameux yôkai. Un album talentueux, drôle, très imprégné d'une culture nippone traditionnelle et méconnue. Le récit est riche en péripéties et fertile en petites méditations paisibles et poétiques sur la vie quotidienne. Ce manga a reçu le prix du meilleur album du festival d'Angoulême 2006.
Art Japanese embroidery center
L’art millénaire de la broderie japonaise = Japanese embroidery through the millenium Trad. de Mireille Amar Paris : L’inédite, 2007. 225p.
L’histoire de la broderie japonaise remonte au VIe siècle lors de l’introduction du bouddhisme depuis la Chine. Il s’agissait à l’époque d’une broderie religieuse, mais plus tard, cette technique a évolué vers la décoration du vêtement. Ce livre, bilingue français-anglais, présente dans ses premières pages les techniques générales de la broderie : instruments, assemblage du cadre, torsions des fils, etc. Se succèdent ensuite neuf chapitres proposant de réaliser pas à pas des motifs essentiellements floraux, chaque technique étant illustrée par de nombreux schémas et tableaux. Ce bel ouvrage de grand format allie parfaitement l’esthétisme et la technique.
Christine SHIMIZU
Tôji : avant-garde et tradition de la céramique japonaise Paris : Réunion des musées nationaux, 2006. 215p.
La céramique est considérée comme un art majeur au Japon en raison de ses liens ancestraux avec la cérémonie du thé et la doctrine bouddhique zen. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’expression artistique individuelle s’émancipe du carcan de la tradition, confirmant une tendance amorcée dès les années 1920 en opposition avec la céramique populaire et la céramique d’atelier. Différents mouvements voient ensuite le jour, parmi lesquels les « céramiquesobjets » des années 1950 qui rejettent les œuvres utilitaires, jusqu’au regain d’intérêt ces dernières années pour la porcelaine, matériau assimilé à la tradition chinoise. Le présent ouvrage est le catalogue richement illustré de l’exposition qui s’est tenue au Musée national de Sèvres de novembre 2006 à février 2007. L’auteur, qui n’est autre que Christine Shimizu, commissaire de l’exposition et conservateur en chef dans ce même musée, s’attache à montrer l’évolution de cet art au cours du XXe siècle à travers les œuvres d’une centaine de céramistes.
Diane ARNAUD
Kiyoshi Kurosawa : mémoire d’une disparition Pertuis : Rouge profond, 2007. 174p.
Cinéaste phare de la nouvelle génération, Kurosawa Kiyoshi accède à la notoriété internationale avec son polar Cure en 1997. Le réalisateur enchaîne depuis des succès (Charisma, Kaïro…), principalement des films d'angoisse flirtant avec le fantastique et qui offrent de multiples possibilités d'interprétation. Dans ce premier livre en français dédié au cinéaste, Diane Arnaud, maître de conférences spécialiste du cinéma contemporain, retrace le parcours prolifique d’un réalisateur qui donne une vision perturbante et violente de la
société japonaise actuelle. Nourries aux films de genre, les œuvres de Kurosawa — qu’elles traitent par exemple de l’amnésie ou d’une jeunesse sans repères — révèlent la disparition des héros nippons et de la mémoire historique.
Architecture Le Corbusier et le Japon Ed. française sous la dir. de Gérard Monnier Trad. d’Erika Peschard-Erlih Paris : Éd. Picard, 2007. 173p.
Le Symposium international Le Corbusier et le Japon qui s’est tenu à Tokyo les 9 et 11 février 1997 a donné lieu à un ouvrage en japonais — Ru korubyuje to nihon (disponible dans notre bibliothèque) — dont la traduction française sort aujourd’hui. Ce livre présente les témoignages et les travaux de grands architectes et/ou d’historiens de l’art, tels Maki Fumihiko ou Isozaki Arata, sur la relation entre Le Corbusier et le Japon, relation qui s’étire sur un demi-siècle, des années 1920 aux années 1960. La réception, dans l’Archipel, du grand architecte et urbaniste français a été diverse et la manière dont son œuvre a été accueillie a changé selon les époques. C’est ce que permet de découvrir ce livre, première étude sur le sujet.
Histoire FUKUZAWA Yûkichi
La vie du vieux Fukuzawa racontée par lui-même Traduit et annoté par Marie-Françoise Tellier Paris : Albin Michel, 2007. 411p.
Fukuzawa Yûkichi (1835-1901) est l’un des bâtisseurs du Japon moderne ; il est aussi le fondateur de la prestigieuse Keiô, aujourd’hui première université privée du Japon. Ce penseur curieux consacra sa vie à la connaissance et à l’éducation de ses contemporains, qu’il aida à traverser cette période délicate que fut l’ère Meiji (1868-1912), à abandonner le féodalisme pour épouser les nouvelles idées qui affluaient d’Occident. Cette autobiographie écrite par Fukuzawa à la fin de sa vie est un document historique, car elle nous permet de connaître la vie de l’un des promoteurs de l’ouverture aux « lumières de la civilisation » (Bunmei kaika), et d’apprendre une foule de détails sur cette période charnière de l’histoire du Japon.
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Bibliothèques d’ici et d’ailleurs Visite
Bibliothèque
de la bibliothèque de l’INALCO Le matin du 2 avril, à 10 heures, douze bibliothécaires japonisants se sont rendus à la BIULO (Bibliothèque interuniversitaire des Langues Orientales) où ils ont été accueillis par M. Hurth, responsable du fonds japonais à la BIULO et Mme Bidard, chef du service Asie. Cette visite s’inscrit dans une volonté collective des bibliothécaires japonisants en France de créer un réseau de coordination et d’échange d’informations, qui leur permettra à l’avenir de mieux exercer leur métier. Une première rencontre avait déjà eu lieu à l’initiative du responsable du fonds japonais de l’EFEO (École française d’Extrême-Orient) le 19 février dernier. Pour cette visite, sept institutions étaient présentes : la BnF (Bibliothèque nationale de France, sites Richelieu et Tolbiac), l’EFEO (École française d’Extrême-Orient), l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), l’IAO (Institut d’Asie Orientale - Lyon), l’IHEJ (Institut des Hautes Études Japonaises), le Musée Guimet et la MCJP (Maison de la culture du Japon à Paris).
Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.asso.fr
Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés et tout le mois d’août
M. Hurth a tenu à présenter à ses confrères les imprimés et manuscrits anciens conservés par cette bibliothèque déjà bicentenaire. Vingt-neuf documents rarement consultables par le public furent présentés. Parmi ces petits trésors, les manuscrits illustrés étaient les plus impressionnants. Dans un excellent état de conservation, la plupart avaient presque gardé leurs couleurs d’origine. Citons, à titre d’exemple, quelques documents qui ont retenu notre attention : ■ L’Azuma Kagami (chroniques du shôgunat de Kamakura) : compilé à la fin du XIIIe siècle, ce texte imprimé en kokatsujiban (caractères mobiles anciens) en 1605 est le plus ancien ouvrage en japonais de la collection. Il fut donné à la bibliothèque par le gouvernement japonais en 1884. Ce document est extrêmement recherché par les historiens car c’est l’unique texte de cette importance encore conservé permettant d’étudier la fin de l’époque Heian et le début de Kamakura. ■ « School Reader for use of The Blind Institution in Tokyo » : ce don du Ministère de l’Éducation japonais, fait à la bibliothèque en 1927, est un texte à l’usage des déficients visuels. Des caractères en relief permettent de reconnaître au toucher les signes de l’écriture japonaise. ■ Une carte manuscrite du Japon datant de ca. 1701, offerte à la bibliothèque par un héritier de Gabriel Devéria (1844-1899), sinologue, diplomate en Chine et professeur aux Langues’O de 1889-1899. Contrairement aux cartes que l’on déroule, celle-ci est composée de 52 rectangles de papier fixés côte à côte sur un grand morceau de tissu, permettant ainsi de la déplier aisément pour ne former qu’un seul rectangle une fois pliée. Certains de ces manuscrits et documents anciens ont déjà fait l’objet d’une numérisation qui facilite leur consultation, mais la plupart ne peuvent être consultés que sur rendez-vous étant donné leur fragilité. Ces trésors, comme le reste du fonds japonais de la BIULO, déménageront pour intégrer la future grande BULAC (Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisations) à l’horizon 2010. R. A.
Directeur de la publication
Masateru Nakagawa Rédaction
Chisato Sugita Florence Paschal Pascale Takahashi Racha Abazied Conception graphique et maquette
La Graphisterie Impression
Imprimerie d’Arcueil Dépôt légal : 2e trimestre 2007 ISSN 1291-2441 4