Lettre n°34

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Hommage à... Inoue Hisashi

Bibliothèque

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Le 9 avril dernier, le monde des lettres et du spectacle japonais perdait l’une des ses plus fines plumes : Inoue Hisashi décédait à son domicile de Kamakura des suites d’un cancer du poumon... Né en 1934 à Kawanishi, une petite ville de la préfecture de Yamagata au nord du Japon, il perdit son père à l’âge de quatre ans et passa son adolescence dans une institution chrétienne tenue par des missionnaires français. Il poursuivit des études de français à l’université de Sophia à Tôkyô tout en rédigeant des saynètes pour le Furansu-za, petit théâtre de strip-tease d’Asakusa, quartier populaire de la ville. Son diplôme en poche, c’est tout naturellement que ce « magicien du verbe » (comme on le surnommera plus tard) se mit à écrire des contes comiques pour la radio, et s’engagea petit à petit dans la carrière d’auteur dramatique. Ses satires mordantes, dont l’humour s’inspire d’une longue tradition populaire issue du gesaku de l’époque d’Edo, le rendirent célèbre parmi les écrivains de sa génération, mais la plupart de ses compatriotes le connaissaient grâce à un feuilleton télévisé pour marionnettes qui passait sur la chaîne NHK dans les années 1960, Hyokkori Hyôtan-jima (« L’île calebasse »).

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés Du 24 décembre au 3 janvier 2011 inclus

En 1969, sa pièce Nihonjin no heso (« Le nombril des Japonais ») fit beaucoup parler d’elle et lui permit d’asseoir sa notoriété en tant qu’auteur dramatique. Cette comédie aux jeux de mots piquants transformait le shingeki, genre théâtral marqué jusque-là par un réalisme à l’occidentale. Inoue Hisashi signa d’autres pièces célèbres dont : Yabuhara Kengyô (« Yabuhara, le grand professeur »), Ame (« La pluie »), Keshô (« Maquillages »), Chichi to kuraseba (lit. « Vivre avec papa » traduit en anglais sous le titre The face of Jizô), etc. En 1984, il fonda la compagnie Komatsuza qui présentait essentiellement ses propres créations. Inoue Hisashi était également un essayiste et un romancier de renom, dont l’œuvre fut couronnée par de nombreux prix littéraires. En 1972, il obtint le prestigieux prix Naoki pour son roman Tegusari Shinjû (« Double suicide menotté »). En 1981, Kirikirijin (« Gens de Kirikiri ») reçut le Prix Yomiuri ainsi que le Grand prix de la science-fiction japonaise. En 1991, il se vit également décerner le prix Tanizaki pour Shanghai Moon, ainsi que le Prix Kikuchi Kan pour Tokyo seven roses en 1999. Seul son roman Jûninin no tegami est traduit en langue française sous le titre Je vous écris (éditions Philippe Picquier). Il occupa la fonction de président de l’Association des auteurs dramatiques japonais de 2003 à 2007. Ce grand écrivain et dramaturge était passé maître dans l’écriture de parodies satiriques qui ne manquaient ni de perspicacité ni de profondeur. Il possédait un sens de l’humour corrosif et une vision critique de la société japonaise, marqués par la lucidité dénonciatrice du militant antinucléaire et du pacifiste engagé qu’il demeura jusqu’à la fin de sa vie.

Directeur de la publication

R. A.

Chisato Sugita Pascale Takahashi Racha Abazied Cécile Collardey

Masateru Nakagawa Rédaction

Conception graphique et maquette

La Graphisterie Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 3e trimestre 2010 ISSN 1291-2441 4


n° 34 - Automne, octobre 2010

La lettre de la bibliothèque Kurosawa Akira : un « monument » bien vivant Max Tessier, critique et spécialiste du cinéma japonais

L

Les différentes périodes de son œuvre, assez brève à l’échelle des autres cinéastes « classiques » (une trentaine de films seulement, contre de cinquante à cent pour la plupart de ses confrères) correspondent à celles du

Japon contemporain, qu’il a su traverser avec panache, sans jamais renier ses hautes ambitions, ni oublier le public : d’abord le temps de la guerre et de l’après-guerre, de La Légende du Grand Judo (1943, en partie mutilé par la censure d’État) à L’Ange ivre (1948), Chien enragé (1949) ou Scandale (1950), film méconnu. Suivirent les grands films « humanistes » des années 1950 (Vivre, 1952, son film préféré, avec l’incomparable Shimura Takashi), et les éblouissantes fresques historico-sociales, transformées par sa grande découverte : Mifune Toshirô (Rashômon, Les

Japon qui change à toute vitesse, et la douloureuse expérience de l’échec public, avec Dodes’kaden (1970), qui le mènera à une tentative de suicide. Vient ensuite la renaissance internationale, d’abord grâce a la ferveur des Russes (Dersou Ouzala, 1975, URSS), puis celle des Américains (Kagemusha, 1980, Palme d’Or à Cannes), Rêves (Dreams, 1989), et enfin des Français (Ran, 1985, sur le canevas du Roi Lear de Shakespeare). Et finalement, le « vrai » testament artistique de son œuvre, avec l’émouvant Madadayo / le Maître, son dernier film, projeté à Cannes en 1993.

Sept samouraïs, Le château de l’araignée, d’après Macbeth, La Forteresse cachée, Yojimbô et Sanjurô, jusqu’à Barberousse en 1965, qui marque la rupture irréversible avec Mifune, et une bifurcation de son œuvre). Puis le temps des productions indépendantes dans un

De cette œuvre « monumentale » mais toujours à l’échelle de l’homme, à la recherche d’une perfection imaginaire, et de son apprentissage à un métier, ou à une raison de vivre, ressort que Kurosawa n’a jamais cédé aux modes du moment, et demeure telle l’image de la « montagne » de Kagemusha, celle vers laquelle il faut aller pour découvrir ses secrets, celle qui ne bouge pas face à la folie du monde. Et le tramway imaginaire de Dodes’kaden poursuit sa route, guidé par le descendant des samouraïs, à travers un Japon qu’il a parfois du mal à reconnaître. ■ © Wild Side Films

es anniversaires se complètent pour Kurosawa Akira, dit « l’Empereur » du grand cinéma japonais : centenaire de sa naissance (1910), mais aussi 60e anniversaire de Rashômon, « film expérimental » tourné à la Daiei en 1950, mais qui, couronné d’un Lion d’Or inattendu à Venise en 1951, suivi de l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood, ouvrait les portes du monde au cinéma japonais, jusque-là étrangement négligé. « Humaniste », mais aussi « occidentalisé » et « dictatorial » (sur les plateaux), que n’a-t-on pas dit sur Kurosawa Akira, très tôt encensé, mais aussi rejeté par une partie de la critique française, qui lui préférait alors Mizoguchi Kenji ? Toutes passions confondues, l’auteur des incontournables Sept samouraïs, du Château de l’araignée, de La Forteresse cachée ou de Kagemusha conserve l’image d’un authentique cinéaste de culture japonaise (il adorait le théâtre nô, moins le kabuki...), mais qui a su aussi s’approprier les grands auteurs littéraires étrangers dans un Japon alors féru de culture occidentale (Dostoïevski, Gorki, Shakespeare, mais aussi... Ed McBain, pour Entre le ciel et l’enfer !).

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Regards sur le fonds

Manga Karyn POUPÉE

Histoire du manga Paris : Taillandier, 2010. 396p.

Cinéma KITANO Takeshi, Michel TEMMAN

Kitano par Kitano Paris : Grasset, 2010. 329p.

Kitano Takeshi, personnage aux multiples facettes, compte parmi les célébrités japonaises qui, en France, ne cessent d’étonner. Connu au Japon sous le nom de « Beat Takeshi » en tant qu’animateur d’émissions populaires à l’humour burlesque, voire douteux, sa réputation en Europe en tant que réalisateur de films d’auteur n’est plus à faire. Au terme de plusieurs années d’entretiens avec le journaliste français Michel Temman, il livre son parcours hors du commun : gamin de Tôkyô élevé au sein d’une famille pauvre, adolescent passionné par les sciences, comédien humoriste avide de reconnaissance, touche-à-tout hyperactif jusqu’à ce qu’un grave accident survenu en 1994 change profondément sa vision des choses… Sur un ton franc et convivial relevé de l’humour qui lui est propre, le réalisateur de Hanabi fait revivre la société japonaise des différentes étapes de sa vie, l’observe avec le recul de l’âge, n’hésitant ni à la critiquer, ni à exprimer l’attachement profond qui le lie à son pays.

Ethnologie Charles HAGUENAUER

Okinawa 1930 : Notes ethnographiques de Charles Haguenauer Éd. et comment. par Patrick Beillevaire Paris : Collège de France, Institut des Hautes Études Japonaises, 2010. 312p.

Charles Haguenauer (1896-1976), professeur à la Sorbonne, fut aussi le fondateur de l’Institut des Hautes Études Japonaises. En mars 1930, alors qu’il est pensionnaire à la Maison franco-japonaise de Tôkyô, pour y conduire des recherches ethnographiques et linguistiques, il entreprend un voyage à Okinawa, d’où il rapportera sept cahiers de notes et de croquis qui constitueront un précieux témoignage sur cette région à une période charnière de son histoire. Ce matériau d’une étonnante richesse et d’une grande précision est resté inédit à ce jour. Il est ici publié dans son intégralité, accompagné d’un important appareil critique qui le situe dans son contexte et en facilite l’accès. 2

Après Les Japonais, qui a reçu le prix Shibusawa-Claudel en 2009, Karyn Poupée aborde le sujet très prisé des mangas. L’auteur-journaliste opte pour l’angle large de la bande dessinée en tant que miroir de la société. Elle décide de s’intéresser aux mangas en s’appuyant sur les grandes dates de l’histoire du pays et aux moyens de production et de diffusion de cette forme d’expression. Elle fait des choix singuliers, comme celui de faire remonter les origines de la bande dessinée japonaise aux premiers dessins à caractère narratif signés de Kitazawa Rakuten (1876-1955) au lieu des mangas de Hokusai, ou plus anciens encore, des rouleaux Chôjû-jinbutsu-giga du XIIe siècle. Cet ouvrage, bien documenté et agréable à lire, recèle également quelques anecdotes sympathiques comme celle où Moebius relate sa rencontre avec un certain « Monsieur Tezuka » et sa découverte du manga à l’heure où, en Occident, personne encore ne s’y intéressait.

HAYASHI Seiji

Élégie en rouge Trad. par Béatrice Maréchal Paris : Cornélius, coll. Pierre, 2010. [240p.]

Dans le Japon post-1968, Sachiko et Ichirô, 20 ans, vivent en concubinage, chose peu courante pour la société de l’époque. Ichirô tente de vivre de ses bandes dessinées, tandis que Sachiko doit résister à une proposition de mariage arrangé par sa famille. Tous deux fument, boivent et vivent leur passion en rêvant à une vie meilleure sans se soucier du lendemain. Mais bientôt les réalités de la vie quotidienne s’immiscent entre eux et les frustrations s’accumulent. Publié tout au long de l’année 1970 par la revue Garo, ce manga représentatif du gekiga — genre au ton grave et réaliste — connut un immense succès. S’y reconnaissait toute une génération de jeunes Japonais en rupture avec la société traditionnelle de leurs parents, mais dont les espoirs d’émancipation avaient été durement brimés. Le scénario sobre servi par les dessins très stylisés de Hayashi Seiji expriment avec justesse les émotions et font de cette œuvre un classique indémodable.


Littérature

autres récits de la même période, offre un tableau résolument noir des mœurs du Tôkyô des années 1930, peuplé de personnages mesquins et égoïstes survivant d’expédients. Dans ce monde abrupt où se croisent petites gens, viveurs et criminels, des intellectuels pauvres se débattent, aspirant à des absolus qui toujours leur échappent.

Denis C. MEYER

Monde flottant : La médiation culturelle du Japon de Kikou Yamata Paris : L’Harmattan, 2009. 317p.

Malgré une réédition de certains de ses romans ces dernières années, Kikou Yamata (1897-1975), femme de lettres de mère française et de père japonais, semble être tombée dans l’oubli. Cet auteur, dont le premier recueil de poèmes fut préfacé par Paul Valéry, occupa pourtant une place remarquée sur la scène littéraire française. Le Japon et son histoire, la femme japonaise — une figure puissante sous sa plume, à l’opposé de la « mousmé » de Loti — et le métissage forment des thèmes récurrents qui tissent des correspondances entre ses œuvres. Kikou Yamata laisse derrière elle une vingtaine d’ouvrages variés (romans, essais, prose poétique…) et plusieurs dizaines de nouvelles. L’essai de Denis Meyer, docteur en littérature comparée, met en avant, à travers l’analyse de ces écrits, la contribution particulière de cet écrivain à une représentation du Japon loin des stéréotypes.

HIGASHINO Keigo

La maison où je suis mort autrefois Trad. par Makino Yutaka Arles : Actes Sud, coll. Actes noirs, 2010. 253p.

Sayaka va mal : épouse d’un homme d’affaire absent, elle élève seule sa fille de trois ans qu’elle maltraite, et a déjà tenté de se suicider. Plus étrange, elle n’a aucun souvenir d’enfance jusqu’à l’âge de cinq ans. Lorsqu’à la mort de son père, elle reçoit une clé accompagnée d’un plan menant à une maison isolée dans les montagnes, elle demande à son ex-petit ami de l’y accompagner dans l’espoir de trouver une explication à son mal-être. Avec patience et méthode, ils finiront par reconstituer l’histoire enfouie d’un drame familial dont la maison fut témoin. Higashino Keigo, figure majeure du roman policier japonais, nous entraîne dans un univers obsédant, où l’on explore par le biais d’une écriture à la fois sereine et lugubre, les lancinantes lacunes de la mémoire, celles qui recèlent l’enfant mort reposant au fond de tout un chacun.

ISHIKAWA Jun

Fugen ! Tôkyô années 1930 Traduit et présenté par Vincent Portier Paris : Les Belles Lettres, Collection Japon, 2010. 287p.

Considéré par ses pairs comme l’une des figures les plus marquantes de la littérature japonaise du XXe siècle, Ishikawa Jun (1899-1987) reste encore peu connu en France. Dans un premier temps traducteur d’auteurs français, Ishikawa connaît d’emblée la consécration en 1936 avec le récit Fugen ! (« Le Boddhisattva de la Grande Merci ») pour lequel il obtient le prestigieux prix Akutagawa. Ce recueil, qui comporte deux

Théâtre SAKATE Yôji

Le Grenier Trad. par Corinne Atlan Besançon : Les Solitaires intempestifs, 2010. 181p.

Les traductions françaises de pièces de théâtre japonais sont assez rares pour ne pas passer inaperçues. Après nous avoir fait découvrir l’œuvre de Hirata Oriza, les éditions Les Solitaires intempestifs mettent cette fois-ci sur l’avant de la scène un autre grand dramaturge nippon : Sakate Yôji. Le Grenier (Yaneura) est la pièce pour laquelle l’auteur obtint en 2002 le Prix littéraire Yomiuri et le Prix Yomiuri du meilleur dramaturge. Cette comédie dramatique traite du phénomène hikikomori qui touche un grand nombre de jeunes au Japon. Ces individus, qui pour des raisons complexes décident de se cloîtrer chez eux, sont représentés par des personnages défilant à tour de rôle dans un petit grenier, lieu symbolisant l’espace où ces jeunes s’isolent du monde extérieur. L’auteur peint un portrait poignant et poétique de la société japonaise dont les problèmes simplement « humains » sont ceux de toutes les sociétés modernes…

Catherine HENNION

La naissance du théâtre moderne à Tôkyô (1842-1924) : Du kabuki de la fin d’Edo au Petit Théâtre de Tsukiji Montpellier : L’Entretemps, 2009. 411p.

L’ère Meiji (1868-1912), époque charnière où le Japon s’ouvrit brutalement à l’Occident, marqua le début d’une évolution profonde du monde du théâtre à la recherche de nouveaux modes d’expressions. Du shinpa, version modernisée du kabuki — genre qui était à son apogée dans les décennies précédentes — au shingeki, qui érige la dramaturgie occidentale en modèle absolu, et à travers l’aventure des troupes théâtrales de Tôkyô, transparaissent des questionsclés : quel rapport entretient ce nouveau théâtre avec le pouvoir ? avec l’Occident ? Quelle place y fait-on aux femmes, longtemps bannies des scènes ? Quel rôle jouent la presse et le cinéma naissant ? D’une lecture aisée, cette étude très documentée s’accompagne d’un glossaire remarquablement riche et précis. 3


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