Zoom sur Hokusai
Bibliothèque
Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr
L’actuelle exposition dans les locaux de la MCJP intitulée Huit Maîtres de l’ukiyo-e (collection du Musée national d’art asiatique de Corfou, en Grèce), est l’occasion de présenter quelques ouvrages récemment publiés sur l’auteur de la célèbre Grande vague de Kanagawa, et dessinateur au génie universellement reconnu : Katsushika Hokusai (1760-1849).
Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Enfant d’Edo adopté par un fabricant de miroirs, il fait son premier apprentissage en observant le travail des artisans, notamment celui de reproduire Katsushika Hokusai Les quatre noms illustres : Le sabre « Kogarasumaru » des motifs pour décorer le dos des des Minamoto, vers 1822 © Museum of Asian Art Corfu, Greece. Photography by New Color Photographic Printing Co., Ltd miroirs. À l’âge de 14 ans, il est embauché chez un graveur sur bois, expérience qui jouera un rôle essentiel dans sa formation, car elle lui permettra de communiquer ses exigences aux éditeurs d’estampes avec lesquels il travaillera. La vie du peintre fut longue, riche et complexe, dominée par une recherche artistique exigeante et le besoin d’affirmer sa liberté et son indépendance face aux puissants, attitude peu commune pour un artiste de son époque qui lui valut une réputation « d’excentrique ».
Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés Fermeture annuelle du 24 décembre au 3 janvier inclus
La production de Hokusai est d’une richesse exceptionnelle : elle regroupe un nombre incalculable de dessins, peintures, estampes et livres illustrés. Il est le premier à utiliser le terme de manga pour désigner une collection monumentale d’illustrations et croquis imprimés constituant, pour les artistes et artisans, un guide sur toutes sortes de sujets, et développa l’estampe du paysage, thème qui sera repris par un autre grand maître de l’ukiyo-e, Hiroshige. Formé aux écoles traditionnelles de peinture et de dessin, il a enrichi son savoir-faire en étudiant la perspective occidentale auprès d’un peintre japonais ayant acquis cette technique grâce aux Néerlandais, seuls étrangers autorisés à résider au Japon à l’époque. En retour, son œuvre parvenue en Europe, d’abord sous la forme de papiers d’emballage utilisés par un marchand hollandais qui n’y voyait là que de banals imprimés, exercera une forte influence sur les peintres à l’origine du mouvement impressionniste. Deux ouvrages parus sur l’œuvre de Hokusai : ■ Hokusai Présentation très pédagogique qui parcourt les principales œuvres et différents styles, accompagnée d’explications biographiques et de commentaires précis et synthétiques. (Francesco Morena. Coll. Vie d’artiste, Éd. Gründ, 2010) ■ Hokusai Monographie riche d’environ 700 illustrations, divisée en six chapitres qui correspondent chacun à une période de la vie du peintre, le dernier étant consacré à l’influence de Hokusai outremer. (Gian Carlo Calza. Éd. Phaidon, 2010) Deux autres ouvrages s’intéressent plus particulièrement à la vie du personnage : ■ Hokusai aux doigts d’encre L’auteur usant de la première personne du singulier, fait revivre le peintre qui conte ses mémoires. Il offre ainsi une biographie à la fois rigoureuse et poétique, aussi bien qu’un manifeste d’esthétique. (Bruno Smolarz. Éd. Arléa, 2011) ■ Hokusai Manga inspiré de la vie du peintre. L’auteur a choisi une trame non linéaire pleine de rebondissements à l’image de la vie trépidante de l’artiste, et des épisodes illustrant bien l’originalité du personnage. (Ishinomori Shôtarô. Éd. Kana, 2010) C. C. 4
Directeur de la publication
Sawako Takeuchi Rédaction
Chisato Sugita Pascale Takahashi Racha Abazied Cécile Collardey Tony Sanchez Conception graphique et maquette
La Graphisterie Impression
Imprimerie Moutot Dépôt légal : 4e trimestre 2011 ISSN 1291-2441
n° 37 - Automne, octobre 2011
La lettre de la bibliothèque Les estampes japonaises : la passion de Gregorios Manos Nelly Delay, auteur spécialiste d’art japonais a découverte des estampes japonaises qui enthousiasma l’Europe entière à la fin du XIXe siècle, est due en très grande partie à la présence de marchands – tel Hayashi Tadamasa – venus du pays du Soleil-Levant pour participer à la grande Exposition universelle qui fut organisée à Paris en 1889, et dont la tour Eiffel fut un symbole majeur. Peut-être faut-il voir comme un clin d’œil à l’Histoire le fait que la Maison de la culture du Japon à Paris, construite à proximité de la célèbre Tour, accueille aujourd’hui une remarquable collection venue du Musée national d’Art Asiatique de Corfou. La diversité des artistes représentés témoigne de la richesse d’inspiration et de l’évolution du mouvement de l’ukiyo-e attaché à célébrer « le monde éphémère et mouvant ». La gravure sur bois développée par les moines de retour de Chine s’était libérée très vite de son origine religieuse pour célébrer la beauté des courtisanes du quartier du Yoshiwara, les acteurs les plus connus du théâtre Kabuki, la vie quotidienne du petit peuple d’Edo ; ce fut véritablement un « art du peuple pour le peuple », non seulement à cause des sujets abordés, mais aussi en raison du grand nombre d’exemplaires qui pouvaient être produits de chaque œuvre, et donc diffusés à un prix « modique ». La technique de l’estampe n’est pas simple pour autant. Elle consiste à sculpter en relief sur une planche de cerisier tout ce qui doit être imprimé
L
selon le dessin original de l’artiste qui a conçu l’œuvre ; la feuille de papier (en moelle de mûrier) est reportée de planche en planche : dix planches pouvaient être nécessaires pour imprimer les estampes polychromes, dites nishiki-e ; une encoche, le kentô, sert de repère pour les impressions successives des couleurs sur une même feuille. Une estampe
Suzuki Harunobu Parodie de Kikujidô, Le jouvenceau aux chrysanthèmes, 1766 © Museum of Asian Art Corfu, Greece. Photography by New Color Photographic Printing Co., Ltd
est donc la création commune d’un artiste qui conçoit et dessine le sujet, d’un artisan qui sculpte cette œuvre sur le bois et d’un autre qui imprime les couleurs ; c’est la virtuosité de tous qui concourt à l’apparition d’une œuvre d’art ; aussi ne faut-il pas s’étonner que Hokusai ait exigé que l’impression des Cents vues du Mont Fuji soit confiée à un graveur – qu’il nomme expressément – en qui il avait une totale confiance. Les éditeurs étaient célèbres, particuliè-
rement Tsutaya dont le cachet prestigieux figure sur les plus belles estampes de Utamaro, Hokusai, Toyokuni, Kiyonaga, etc. Tous se retrouvaient dans le « quartier des plaisirs » du Yoshiwara, autour des grandes oiran, les courtisanes célèbres du moment ; les acteurs de Kabuki y venaient parfois chercher l’inspiration. Sharaku – véritable météore de l’ukiyo-e – observait ces acteurs dont il fit des portraits d’un expressionnisme stupéfiant. Les œuvres de Sharaku inspirèrent à Toulouse-Lautrec ce style incisif avec lequel il représenta la Goulue. La collection de Gregorios Manos fut constituée à Paris et à Vienne au tout début du XXe siècle, Vienne où vivait également Gustav Klimt qui avait lui aussi réuni un grand nombre d’estampes japonaises, et dont l’œuvre était fortement influencée par Utamaro. La grande époque de l’Impressionnisme fut aussi celle du « Japonisme » et les estampes exposées aujourd’hui nous permettront de mieux regarder des peintures occidentales que nous pensions familières. Enfin, si les artistes japonais n’ont pas tous le génie universel de Hokusai, nous parviendrons à identifier l’univers de Hiroshige parcourant inlassablement la route du Tôkaidô et reconnaissant la moindre « pierre qui pleure » ou une auberge où faire étape, et de tant d’autres tels Toyokuni ou Kiyonaga qui contribuèrent à faire de ce mouvement de l’Ukiyo-e l’une des formes les plus originales en même temps que les plus universelles de l’art japonais. ■ 1
Regards sur le fonds
Littérature INOUE Hisashi
Les 7 roses de Tôkyô Traduction de Jacques Lalloz Arles : Éditions Philippe Picquier, 2011. 755p.
Religion Joseph KYBURZ (dir.)
Ofuda : images gravées des temples du Japon : la collection de Bernard Frank Paris : Collège de France, Institut des hautes études japonaises, 2011. 352p.
Un ofuda, littéralement « tablette inscrite », se présente le plus souvent sous la forme d’un feuillet de papier qui, grâce à la présence centrale d’une image ou parfois simplement d’une inscription, incarne un être vénéré dans le bouddhisme ou, plus rarement, dans le shintoïsme. Cette impression consacrée est tout à la fois support de dévotion et talisman. Représentations très répandues, au niveau le plus quotidien, des croyances au-delà de notre monde, ces gravures constituent un matériau primordial pour l’ethnologie religieuse, mais, en tant qu’objets de dévotion privée, ont été encore peu étudiées. Cet ouvrage, publié à l’occasion de l’exposition qui s’est tenue au musée Guimet du 11 mai au 12 septembre 2011, est un ouvrage incontournable pour l’iconographie bouddhique japonaise.
Manga TATSUMI Yoshihiro
Une vie dans les marges Traduit par Victoria Tomoko Okada et Nathalie Bougon Paris : Éditions Cornélius, coll. Pierre, vol.1, 2011. 452p.
Dans cette bande dessinée, l’auteur met en scène son double, Hiroshi Katsumi, un jeune dessinateur qui rêve de devenir aussi doué que le grand Tezuka Osamu, le père du manga moderne. Il doit faire face au manque d’argent de sa famille, à l’échec du mariage de ses parents, à la jalousie et la mauvaise santé de son frère, et à une concurrence sans merci dans un marché éditorial en plein essor. Fruit de onze années de travail, cette autobiographie qui se déroule entre 1945 et 1960 est l’ultime chef-d’œuvre de l’inventeur du gekiga, genre réaliste qui allait révolutionner le monde de la bande dessinée japonaise et faire naître le manga pour adultes. Elle livre un témoignage exceptionnel sur ce milieu et raconte le quotidien des petites gens dans un Japon qui se remet difficilement de la défaite et des conséquences de la Seconde Guerre mondiale. 2
Shinsuke, fabricant d’éventails de son état, rédige son journal entre avril 1945 et avril 1946, à la veille et au lendemain de la reddition du Japon. Avec les événements de l’Histoire en filigrane, il évoque de manière attachante la vie quotidienne des habitants de Tôkyô, entre combines, tracasseries administratives… et les menées secrètes et rocambolesques de sept jolies femmes décidées à déjouer le projet du gouvernement, qui vise à imposer l’alphabet latin pour transcrire le japonais ! Entre la révolte et le rire, ce roman offre un portrait vivant et chaleureux du peuple japonais. Surnommé le magicien du verbe, Inoue Hisashi (1934-2010), romancier, dramaturge, essayiste, couronné de nombreux prix a mis dix-sept ans à écrire ce livre, où se lisent son attachement à la langue japonaise et son indéfectible engagement pacifique.
YAN Sogiru
Sang et os Traduit par Sekiguchi Ryôko et Patrick Honnoré Monaco : Éditions du Rocher, coll. Série japonaise, 2011. 560p.
Ce roman-fleuve retrace un drame sur soixante années, celui d’un homme sans foi ni loi pris dans le tourment d’une page sombre et méconnue de l’histoire nippo-coréenne. L’auteur, Yan Sogiru, s’inspire du portrait de son père pour créer Kim Junpyoung, le personnage violent de cette saga familiale qui a pour arrière-plan l’histoire de l’immigration coréenne. Yan Sogiru est l’un des plus grands représentants de la littérature coréenne du Japon, dite zainichi bungaku. Son roman a obtenu le prix Yamamoto Shûgorô en 1998. Il a été adapté à l’écran par Sai Yôichi en 2004 avec Kitano Takeshi dans le rôle principal. Cette œuvre majeure est un récit personnel magistralement narré, dans une langue riche mêlant le dialecte coréen et le parler d’Osaka, relatant à la fois les souffrances individuelles et les blessures de toute une communauté.
Pierre BOULLE
Le pont de la rivière Kwaï Paris : Éditions Julliard, 2011. 258p.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, au cœur de la jungle thaïlandaise, les Japonais soumettent au travail forcé des milliers de prisonniers anglais pour construire la voie ferrée BangkokRangoon. Le régiment du colonel Nicholson est affecté à la construction d’un pont sous l’autorité du tyrannique colonel Saïto. Mais Nicholson, en tant
qu’officier de l’armée britannique, s’oppose à son geôlier pour le pousser à respecter les conventions internationales sur les prisonniers de guerre. Saïto finira par céder et Nicholson prendra petit à petit le projet en main... Inspiré de la propre expérience de l’auteur en Indochine, ce superbe roman qui met en scène avec un réalisme sobre la dure condition des prisonniers, offre avant tout une réflexion sur l’opposition entre des valeurs morales – l’idéal du travail bien fait pour pallier la souffrance – et les réalités de la guerre. Comptant parmi les classiques depuis sa parution en 1952, il a engendré l’un des plus grands succès du cinéma.
Théâtre Jean-Jacques TSCHUDIN
Histoire du théâtre classique japonais Toulouse : Anacharsis, coll. Essais, 2011. 528p.
Voici un ouvrage complet sur le théâtre classique japonais. Il examine, au fil de l’histoire du Japon, les différentes catégories de représentations scéniques, depuis leurs origines mythologiques et sous les premières formes de danses agraires ou divines, jusqu’à leur inscription dans la société contemporaine. Les trois genres majeurs (nô, kabuki et bunraku) occupent une grande partie de l’ouvrage : tour à tour sont présentés et analysés le répertoire, la mise en scène, les décors, les costumes, les masques, les acteurs, etc. Un répertoire de pièces et documents anciens, un glossaire de termes techniques, des illustrations et une riche bibliographie achèvent de faire de cet ensemble colossal, réalisée par un grand spécialiste du théâtre japonais, un ouvrage de référence.
Anthropologie Claude LÉVI-STRAUSS
L’autre face de la lune Paris : Éditions du Seuil, coll. La Librairie du XXIe siècle, 2011. 190p.
À l’âge de six ans, Claude Lévi-Strauss connaît son premier émerveillement pour la civilisation nippone grâce à une estampe japonaise qui lui est offerte par son père artiste-peintre. Avec la maturité et l’expérience de cinq séjours au Japon, cet attachement s’est renforcé : face à ce qu’il considère comme « les deux périls de l’humanité, l’oubli de ses racines et son écrasement sous son propre nombre », le grand anthropologue voit dans ce pays une nation ayant su trouver un équilibre, entre pensée animiste et avant-garde technique. Ce recueil de conférences et d’écrits inédits préfacé par l’anthropologue Kawada Junzô, aborde de nombreux traits de civilisation passés au crible de l’ethnologie, et laisse deviner, à travers le regard éperdu d’admiration de Lévi-Strauss, une certaine critique des sociétés occidentales modernes.
Société Christian GALAN, Emmanuel LOZERAND (dir.)
La famille japonaise moderne (1868-1926) : discours et débats Arles : Éditions Philippe Picquier, 2011. 666p.
Fruit de quatre années de travail collectif du groupe de recherche « Discours et débats de l’ère Meiji » qui rassemble une vingtaine de chercheurs français, suisses et japonais, ce recueil d’essais traite de la famille, aussi bien sous ses aspects institutionnels, juridiques, sociaux et médicaux, qu’à partir de questions émotionnelles, sexuelles ou morales. Dès la fin du XIXe siècle, à côté du discours officiel très prégnant sur l’ie, le modèle familial patriarcal, quantité de réflexions sont menées sur la famille qui devient alors un enjeu essentiel pour le jeune État issu de la Restauration de Meiji (1868), et un objet de réflexion majeur au sein de la société japonaise au cours des décennies suivantes. Peu à peu émerge ainsi la notion de famille restreinte ou « foyer » (katei), mais également se font entendre des voix plus minoritaires comme les premiers discours féministes.
MURAKAMI-GIROUX S., SÉGUY C., SCHAAL S. (dir.)
Censure, autocensure et tabous : actes du quatrième colloque d’études japonaises de l’Université de Strasbourg Arles : Éditions Philippe Picquier, 2010. 455p.
La trentaine d’articles présents dans ce recueil, signés de japonologues européens et japonais, mais aussi d’artistes et d’écrivains nippons, s’emploient à identifier les causes et conséquences de la censure et de l’autocensure, posent la question de la liberté d’expression et, au-delà, de la liberté à diverses époques de l’histoire du Japon. Littérature, arts du spectacle, arts visuels, éducation, médias, pratiques sociales : autant de domaines étudiés, où s’exercent la censure étatique et les pressions de divers groupes sociaux et religieux, avec les tabous afférents. Les parades n’en sont pas moins nombreuses. Ainsi des écrivains ont-ils usé de stratagèmes aussi variés que subtils pour contourner les restrictions. Certains arts traditionnels ont même su tirer parti des interdictions pour se décliner sous des styles nouveaux, voire des formes plus élaborées.
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