Lettre n°38

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Jeu de portraits Bibliothèque L’oiseau que je préfère

Les moineaux que je salue le matin. Mes auteurs favoris en prose Rousseau par son génie à la fois politique et poétique, Diderot par sa voix qui nous parle d’outre-tombe, Montaigne par son doute qui ébranle tout un monde, Balzac par l’immensité incroyable de son univers social. Mes poètes préférés Baudelaire par la puissance de sa langue qui fait de son époque la nôtre. Mes héros dans la fiction Julien Sorel qui refuse de subir le destin imposé. C’est sa volonté inébranlable que j’aime chez lui. Mes héroïnes favorites dans la fiction La Princesse de Clèves qui se confond avec l’image de Chiara Mastroianni depuis que je l’ai vue dans La lettre (1999) de Manoel de Oliveira. Mes compositeurs préférés Le Mozart des opéras, en particulier celui des Noces de Figaro et de Cosi fan tutte. Le Beethoven des Quatuors à cordes, le Brahms et le Schumann de la musique de chambre. La passion juvénile du Trio pour piano et cordes en si majeur (opus 8) de l’un me touche tout autant que la mélancolie abyssale de l’adagio du Quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur (opus 47) de l’autre. Mes peintres favoris Vermeer par exemple. Chardin aussi. J’ai un penchant pour les peintres qui me font entendre la voix intérieure des personnages peints. J’aime entendre des sons ou le silence dans les tableaux. Mes héros dans la vie réelle Mon père qui n’a pas succombé à la tyrannie de la majorité durant la sombre période de la guerre. Ce que je déteste par-dessus tout L’arrogance, le caractère infatué des hommes qui vivent de politique mais pas pour la politique. Ils sont légion ici comme ailleurs. L’amour de la chose publique, l’idée de bien public s’affaiblissent de nos jours. La république est en danger. Le fait militaire que j’admire le plus Les mouvements de résistance des citoyens obscurs qui ont su garder leur sang-froid dans la folie meurtrière de toutes les guerres coloniales et impériales. La réforme que j’estime le plus La plus grande de toutes les réformes est celle réalisée par la Révolution française. Le don de la nature que je voudrais avoir J’aurais aimé avoir le don de la musique pour pouvoir jouer du violoncelle qui est mon instrument préféré. Le français est pour moi une sorte d’instrument de musique. Je n’ai pas pu avoir deux instruments à ma disposition, malheureusement. Comment j’aimerais mourir Une voix me dit que l’idéal serait de partir tout doucement sans en être vraiment conscient pour éviter d’affronter la terreur de la mort. Une autre voix me dit qu’il faudrait quitter ce monde qu’on a habité un certain temps en ayant le courage de lui faire ses adieux. Une chose est sûre en tout cas : je ne serai jamais prêt à accepter la mort. Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence La passion amoureuse pour une personne autre que son conjoint / sa conjointe. Est-ce d’ailleurs une faute ? C’est à dessein que je ne parle pas d’adultère. Certes, la fidélité est une vertu. Mais en même temps, rien n’est plus insensé que d’exiger la constance alors que tout est voué au changement ici-bas et que l’homme, s’emparant de cette merveilleuse faculté de se transformer, vit dans le devenir. C’est là l’audacieuse leçon de Diderot qu’on retrouve d’ailleurs dans celle de Don Alphonso, ce vieux philosophe lucide de Cosi fan tutte, conscient de la humaine condition. La littérature, qui deviendrait squelettique si on lui enlevait le thème de l’adultère, témoigne d’une certaine manière de cette indulgence. Cela dit, la fidélité absolue de ma chienne Mélodie, qui me fait penser à celle de Hachiko, me bouleverse d’autant plus que nous avons perdu pour toujours cette innocence première. Ma devise Je suis un homme sans religion, sans foi. Mais je me suis toujours laissé guider par la maxime suivante : Jinji wo tsukushite tenmei wo matsu. “Tâche d’aller jusqu’au bout de tes possibilités et attends en toute sérénité la décision du Ciel.”

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Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.asso.fr

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés

Directeur de la publication

Sawako Takeuchi Rédaction

Chisato Sugita Pascale Takahashi Racha Abazied Cécile Collardey Tony Sanchez Conception graphique et maquette

La Graphisterie Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1er trimestre 2012 ISSN 1291-2441


n° 38 - Hiver, février 2012

La lettre de la bibliothèque Le Japon à l’honneur au Salon du livre Jean-François Colosimo, Directeur du Centre national du livre

eux grandes civilisations qui n’ont jamais cessé de converser depuis qu’elles se sont découvertes, s’apprêtent à raffermir le lien qui les unit. L’occasion en sera l’invitation officielle au prochain Salon du livre, en mars 2012, d’une vingtaine d’écrivains japonais. Preuve que l’intensification des échanges culturels, entraînée par la mondialisation, ne saurait être synonyme de la standardisation des goûts et des pratiques. Bien avant l’élan de solidarité soulevé dans les cinq continents par les effroyables conséquences humaines et matérielles du séisme de mars 2011, le tour pris par la relation franco-japonaise aura été l’un de ces « cercles vertueux » que le Centre national du livre, avec ses différents partenaires qui représentent avec talent le génie respectif des deux nations, aime à cultiver.

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Il est vrai que la complicité du Japon et de la France s’enracine dans la profondeur des siècles. On se souvient, entre autres mille exemples, de la dette de nos impressionnistes, si prompts à magnifier la vallée de la Seine, envers le coup d’œil des peintres de l’ukiyo-e et leur « image du monde flottant ».

Depuis quelques décennies, les affinités électives entre la France et le Japon se sont affirmées d’une façon incontestable. Paris s’en félicite. C’est là, depuis plus de trente ans, que les créateurs et stylistes japonais sont venus enrichir de leurs projets avant-gardistes la mode et les arts visuels, domaines où leur excellence s’est imposée. C’est à Paris, en 1997, que la fondation de la Maison de la culture du Japon a scellé cet heureux rapprochement, notamment dans le champ de la littérature. Et c’est aussi en France que tant de jeunes, et de moins jeunes lecteurs, réservent un accueil enthousiaste aux mangas qui ne s’est jamais démenti.

auteurs français – parmi lesquels 21 auteurs de sciences humaines et sociales (SHS) aussi représentatifs de la pensée française que Claude LéviStrauss, Jean Delumeau ou Régis Debray – notre établissement a encouragé la traduction dans la langue de Molière de 38 ouvrages japonais, issus des genres les plus divers : fiction, poésie, théâtre, littérature jeunesse, essais. L’émouvant Saules aveugles, femme endormie d’Haruki Murakami, paru chez Belfond, compte parmi ceux-là… Le Salon du livre 2012 va illustrer avec éclat la qualité et la densité de ces échanges. Il confirmera, aussi, ce que les promoteurs de la Maison de la culture du Japon à Paris avaient déjà compris : que l’avenir appartient aux cultures solidement ancrées dans leurs glorieuses traditions, dans cette « stabilité immuable du monde » célébrée, jadis, par Mishima. ■

La ferveur du lien avec la scène éditoriale japonaise, le CNL veut non seulement la saluer, mais la soutenir. Ainsi, tout en aidant depuis 2002 à la traduction en japonais de nombreux 1


Regards sur le fonds Littérature TOKUNAGA Sunao

Le quartier sans soleil Trad. par S. Ôno et F.-A. Orel Paris : Éditions Yago, coll. Ciel ouvert, 2011. 262p.

Moins connu que le Bateau-usine de Kobayashi Takiji, roman majeur de la littérature prolétarienne japonaise, Le quartier sans soleil est sans conteste un remarquable témoignage des conditions de vie ouvrières dans les années 1920. Dans ce roman inspiré par la grève tragique de l’imprimerie Kyôdô, l’auteur, lui-même ouvrier, ne se contente pas d’entraîner le lecteur au cœur du mouvement de contestation, il s’intéresse aussi aux destinées individuelles des personnages, chacun ayant ses propres motivations. Si la solidarité est bien présente, des dissenssions ne tardent pas à éclater, et le récit montre comment des vies se retrouvent broyées dans la lutte collective. Cette réédition d’une traduction de 1929 est accompagnée d’une postface d’Evelyne Lesigne-Audoly qui apporte un éclairage supplémentaire sur le courant prolétarien dans la littérature japonaise.

YOSHIDA Shûichi

Le mauvais Trad. par G. Siary et M. Nakajima-Siary Arles : Éditions Philippe Picquier, 2011. 381p.

Ce roman est le troisième ouvrage traduit en français de Yoshida Shûichi, qui avait reçu le Prix Akutagawa pour Park Life, et le Prix Yamamoto Shûgorô pour Parade. Cette fois-ci, il s’essaie au polar et parvient à maintenir le suspens d’un bout à l’autre du livre. Par une nuit enneigée, une femme est étranglée. L’enquête policière se focalisera tour à tour sur des personnes qui ont connu la victime : parents, amies, collègues, etc. Seulement, chacune va de sa version et la vérité qui se dévoile en filigrane surprend le lecteur en plaçant « le mauvais » là où on ne l’attendait pas forcément. Au-delà d’un récit d’enquête classique, ce roman nous trouble par la vulnérabilité de ses personnages et la complexité de la psychologie humaine, la prétendue « victime innocente » n’étant finalement pas tout à fait un ange…

UCHIDA Hyakken

La digue Trad. par Patrick Honnoré Serres-Morlaàs : Éditions de l’Atelier In8, coll. Escapades, 2011. 102p.

Qui d’entre nous n’a pas éprouvé en rêve la sensation d’un sol qui se dérobe, le sentiment étrange de déjà-vu, l’intuition d’un danger imminent vers lequel on s’engouffre sans être 2

capable de résister ? C’est dans ce monde onirique, où le vent n’en finit pas de souffler et la nuit de tomber, que nous emmène Uchida Hyakken à travers ce recueil de huit nouvelles. Un monde où le remord omniprésent guette, où des femmes impérieuses exercent sur des hommes égarés leur pouvoir implacable. Avec une écriture à la limite du fantastique alliant le sens de l’observation et l’esthétique évocatrice du haiku, Uchida Hyakken (1889-1971) crée un univers envoûtant et d’autant plus inquiétant que la volonté fait souvent défaut au narrateur. Ces histoires sont introduites par une préface de Patrick Honnoré, qui s’emploie à restituer certains personnages et éléments de décor dans leur contexte et mythe populaire d’origine.

MATSUI Kesako

Les mystères de Yoshiwara Trad. par D. Chiche et Y. Shimizu Arles : Éditions Philippe Picquier, 2011. 297p.

Yoshiwara, le quartier des plaisirs d’Edo (future Tôkyô) au début du XIXe siècle : un monde on ne peut plus codifié où enquête un mystérieux personnage. Dix-huit personnes sont interrogées en autant de chapitres : du portier à la tenancière de maison close en passant par l’homme à tout faire, l’ancienne geisha, le client fortuné, etc. Chacun, à sa manière, est amené à parler de la grande geisha Katsuragi qui faisait la fierté du quartier et dont le nom à présent suscite la gêne… Ces monologues truculents orientés par les questions et interventions jamais transcrites de l’enquêteur, font revivre tout le petit peuple du quartier réservé et, au-delà des murs qui ceignent ce microcosme, la société du vieil Edo. L’auteur, spécialiste du théatre kabuki, a fait ses débuts de romancière en 1997. Elle remporte en 2007 le prix Naoki de la littérature populaire pour ce livre.

Manga MIZUKI Shigeru

Mon copain le kappa Paris : Éditions Cornélius, coll. Pierre, 2010-2011, 3 vol.

Le kappa est une créature surnaturelle issue du folklore japonais : diablotin anthropomorphe, il peuple les rivières de sa présence malicieuse. Le jeune Sampei ressemble à un kappa, à tel point que deux d’entre eux s’y méprennent et l’entraînent avec eux dans leur monde aquatique. C’est le début d’une série d’histoires rocambolesques au cours desquelles Sampei passera par bien des épreuves... À travers cette trilogie burlesque, Mizuki Shigeru, un des maîtres du style gekiga ayant consacré sa vie d’auteur à dessiner des histoires de yôkai, renoue avec la tradition du conte populaire dans lequel un enfant esseulé parvient à apprivoiser un monstre. Derrière la tendresse qu’il porte à son héros, l’humour grinçant et parfois scatologique, se dessine une critique ironique de la société moderne.


Jeu de portraits Mizubayashi Akira

écrivain

À mi-chemin entre l’essai et le journal intime, Une langue venue d’ailleurs (Gallimard, 2011), subtil et vibrant hommage à la langue française rédigé directement dans cette langue, propulse sur le devant de la scène littéraire Mizubayashi Akira, récompensé par le Grand Prix du rayonnement de la langue et de la littérature de l’Académie française. Traducteur et écrivain, celui qui déclare « aimer le français et audelà… » naît en 1951 dans le nord du Japon. Le sentiment d’une inadéquation au japonais et la rencontre aussi fortuite que décisive de la langue de Molière pousseront l’auteur à épouser le français, dans une quête passionnée qui engage toute son existence. Bilingue, mais se sentant étranger à lui-même dans les deux idiomes, l’écrivain analyse avec finesse ces allées et venues incessantes entre les deux langues, grâce auxquelles il « accède à la parole ». Depuis Tôkyô, où il enseigne le français à l’université, Mizubayashi Akira s’est prêté de bonne grâce au questionnaire de Proust. © Catherine Hélie/ Gallimard

Le principal trait de mon caractère

J’oserai dire que je suis un homme d’effort et de volonté. La persévérance dans le travail, le goût de la netteté, l’ardent désir d’aller le plus loin possible dans la réalisation de soi sont des constantes dans la définition du trait de mon caractère. La qualité que je désire chez un homme La modestie, l’ouverture d’esprit et l’écoute attentive et bienveillante des autres. La qualité que je désire chez une femme La modestie, l’ouverture d’esprit et l’écoute attentive et bienveillante des autres. Ce que j’apprécie le plus chez mes amis La fidélité désintéressée qui triomphe du vieillissement. Mon principal défaut Un goût trop prononcé pour la sédentarité qui m’éloigne sans doute des vraies occasions de voyage. Mon occupation préférée Cela dépend. Autrefois, mon occupation préférée était la promenade matinale que nous faisions en famille en compagnie de notre chienne Mélodie, au printemps ou en automne, par un temps ensoleillé. Maintenant qu’elle n’est plus de ce monde, j’aime refaire les chemins de Mélodie avec mon épouse. Sinon j’aime me plonger dans les Essais de Montaigne comme dans Du contrat social de Rousseau. J’aime être avec des êtres que j’aime, en hiver plutôt qu’en été, dans un coin obscur à peine éclairé d’une bougie à l’intérieur d’un petit restaurant éloigné des rumeurs urbaines. Enfin, j’aime entrer dans l’univers d’un opéra de Mozart, en particulier celui des Noces de Figaro, mais aussi celui de la Tétralogie de Wagner. Mon rêve de bonheur Je vis avec des êtres que j’aime. J’ai un travail qui me procure du plaisir. J’ai une maison. J’ai de quoi meubler cette maison. Je me nourris correctement. Je peux aller me faire soigner quand je suis malade. Je suis dans le bonheur. Je n’ai pas l’insolence d’avoir d’autres rêves. Quel serait mon plus grand malheur La disparition de mon épouse, de ma fille et de mon frère. Ce que je voudrais être Je voudrais être celui qui inspire confiance, sérénité, énergie vivifiante... Le pays où je désirerais vivre Il n’existe nulle part. J’habite au Japon. J’ai toujours habité au Japon, sauf pendant six ans en France lorsque j’étais encore étudiant. Mon désir de me fixer quelque part ne dépasse pas l’horizon de ces deux pays. Mais, d’une certaine manière, je me sens étranger à ce qui fait que la France est la France et que le Japon est le Japon. Déterritorialisé si j’ose dire, je suis plutôt entre les deux. C’est là un des thèmes d’Une langue venue d’ailleurs. La couleur que je préfère Le vert qui, dans toutes ses variations, refuse violence et agression. Le violet qui est la couleur de la passion secrète et discrète. La fleur que j’aime Je n’ai pas de passion pour les fleurs. J’épouse donc volontiers les préférences de mon épouse : anémones et tulipes. Cela dit, j’aime les fleurs dans leur environnement. Je n’aime pas le déploiement ostentatoire des tulipes sur une grande étendue. Je préfère quelques petites fleurs de prunier ou de pêcher qui s’efforcent d’éclore dans une froide journée de mars.

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