n° 28 - Automne, septembre 2008
La lettre de la bibliothèque Le Japon et la France : une histoire d’interdépendance Christian Polak, chercheur associé au Centre de recherches sur le Japon de l’EHESS, président-fondateur de la SÉRIC e 9 octobre 2008, le Japon et la France vont célébrer le 150ème anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. C’est la France qui vient officiellement à la rencontre du Japon dès 1844 aux îles Ryûkyû, puis en 1846 à Nagasaki, et dix ans plus tard en 1855 à Hakodate, mais sans pouvoir convaincre les représentants de l’Archipel de lier des relations. Il faut attendre 1858 pour voir l’envoyé de Napoléon III, le baron Jean-Baptiste Gros, signer à Edo (ancien nom de Tôkyô) le premier traité de paix, d’amitié et de commerce avec l’Empire du Soleil levant. Comme pour les quatre autres traités signés la même année avec les États-Unis, la GrandeBretagne, la Russie et les Pays-Bas (les cinq traités de l’ère Ansei), le Japon considère à juste titre ces traités comme inégaux et va revendiquer ses droits pendant quarante longues années avant de pouvoir en faire accepter la révision. Le premier consul général de France, Duchesne de Bellecourt, arrive à Edo en 1859. Sur le plan diplomatique, la France du Second Empire suit son alliée du moment la GrandeBretagne. En revanche sur le plan économique, elle recherche d’urgence un pays partenaire capable de l’approvisionner en un produit stratégique pour son commerce extérieur : la soie
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grège. En effet, au milieu du XIXe siècle, l’économie du Second Empire repose sur son industrie textile de la soie qui occupe la première place mondiale et dont les produits transformés forment le premier poste des exportations. Entre 1855 et 1860, deux maladies, la pébrine et la flacherie, viennent ruiner et mettre en péril cette industrie séricicole. Les premières dépêches du représentant de la France à Edo confirment bien que l’industrie séricicole du Japon pourra pallier la pénurie qui sévit en France. Ainsi les premiers Français à débarquer dans les ports ouverts au commerce, Nagasaki, Yokohama et Hakodate, sont les soyeux de Lyon qui constatent la qualité supérieure de la soie grège du Japon comparée à celle de Chine. Exportée en quantité de plus en plus importante vers la région de Lyon, la soie de l’Empire du Soleil levant va permettre à l’industrie séricicole française de maintenir sa première place mondiale : c’est aussi une nouvelle route de la soie qui s’ouvre par la voie maritime entre Yokohama et Lyon. Le deuxième représentant de la France, Léon Roches, arrivé en 1864, originaire de Grenoble et sensibilisé au grave problème de la maladie des vers à soie en France, s’assure d’abord d’un approvisionnement régulier en soie grège vers la France, puis obtient
la levée de l’interdiction d’exportation des graines de vers à soie de l’Archipel, les seules à résister aux deux maladies, comme le confirme en 1865 un rapport de Louis Pasteur ; les bombyx du Japon vont régénérer et sauver la sériciculture des régions de Lyon et de la vallée du Rhône. Sous l’impulsion du 14ème shogun, Tokugawa Iemochi, et de Léon Roches, une relation d’interdépendance s’installe entre les deux pays : la France achète au Japon ses besoins en graines de vers à soie et en soie grège, et en contrepartie accepte d’apporter au Japon ses dernières technologies et innovations en matière de construction navale, de sidérurgie, d’armement, de filature et d’extraction de minerais. La France participe ainsi à la modernisation de l’Empire du Soleil levant dès 1865 et jusque dans les années 1920. L’arsenal de Yokosuka, les missions militaires, la filature de Tomioka, les mines d’Ikuno et de Besshi forment les grandes réalisations françaises au Japon, sans oublier de mentionner le rôle des juristes français comme Gustave Boissonade, Georges Bousquet au début de l’ère Meiji (1868-1912) et la mission aéronautique du colonel Faure qui met en place au milieu de l’ère Taisho (1912-1926) les fondements de l’industrie aéronautique japonaise. ■
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Regards sur le fonds
Art Art brut du Japon Lausanne : Collection de l’Art Brut / Infolio, 2008. 143p.
Société Sophie HOUDART
La cour des miracles : Ethnologie d’un laboratoire japonais Paris : CNRS Éditions, 2008, 351p.
Cet essai ethnologique porte sur un laboratoire spécialisé dans l’étude des mouches drosophiles, dirigé par un professeur japonais cherchant à créer au Japon une équipe de recherche pluriculturelle. Grâce à la découverte d’un gène de l’homosexualité chez cette espèce de drosophile, le laboratoire met en cause l’opposition traditionnelle entre nature et culture, ce qui va constituer l’un des fils directeurs autour duquel l’auteur élabore sa réflexion. Se pose notamment la question de l’appartenance nationale et culturelle du scientifique. Comment peut-on être Japonais et scientifique ? Y a-t-il une manière de « faire de la science » proprement japonaise ? C’est à ces questions complexes que s’attaque Sophie Houdart dans son étude particulièrement fouillée et remarquablement écrite.
AZUMA Hiroki
Génération otaku : les enfants de la postmodernité Trad. de Corinne Quentin Paris : Hachettes Littératures, Série Haute tension, 2008. 189p.
Même si certains jeunes Japonais commencent à se revendiquer comme otaku, ce terme, à connotation souvent négative, désigne des individus repliés sur un monde virtuel nourri de mangas, de dessins animés et de jeux vidéos. En s’appuyant notamment sur les apports de la pensée française contemporaine (Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard...), Azuma Hiroki, professeur de philosophie, analyse sans les juger certaines caractéristiques de cette culture : brouillage de la frontière entre l’œuvre originale et les produits dérivés, entre auteur et consommateur, personnages et séquences prévalant sur le récit... La culture otaku, qui touche une frange significative de la jeunesse nippone et qui, avec le succès planétaire des mangas, commence à s’exporter, serait-elle la première culture postmoderne, comme le pense l’auteur ?
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Selon la définition de Jean Dubuffet, l’Art Brut comprendrait les « dessins, peintures, ouvrages d’art de toutes sortes émanant de personnalités obscures, de maniaques, relevant d’impulsions spontanées, animées de fantaisie, voire de délire, et étrangers aux chemins battus de l’art catalogué ». Cette publication accompagnant l’exposition Japon, présentée à la Collection d’Art Brut à Lausanne du 22 février au 28 septembre 2008, présente pour la première fois les œuvres d’artistes en marge du Japon. Une exposition et un catalogue qui mettent en avant des créateurs souvent ignorés des grandes instances de l’art contemporain car résidant dans des hôpitaux psychiatriques ou des institutions spécialisées.
KUROSAWA Kiyoshi
Mon effroyable histoire du cinéma : Entretiens avec Makoto Shinozaki Trad. par Mayumi Matsuo et David Matarasso Pertuis : Rouge profond, coll. Raccord, 2008. 157p.
L’ouvrage se présente sous la forme d’un long entretien entre le réalisateur Kurosawa Kiyoshi et Shinozaki Makoto, célèbre cinéaste et critique de cinéma japonais qui fut également son élève à l’université. Kurosawa dévoile, au fil des pages, ses références cinématographiques : les films qui l’ont marqué, les séries B en provenance des États-Unis ou d’Europe, le cinéma d’horreur occidental et les histoires de fantômes japonais. Autant de films de genre qui ont nourri son œuvre et l’ont rendue aussi étrange. Shinozaki invite ensuite Kurosawa à disséquer les scènes clefs révélant les méthodes de travail et la marque de fabrique du maître du cinéma fantastique japonais actuel.
Édith MONTELLE
La boîte magique : le théâtre d’images ou kamishibaï : histoire, utilisations, perspectives Strasbourg : Callicéphales éditions, 2007. 89p.
Le kamishibai (littéralement « théâtre de papier ») est un art du conte d’origine japonaise, nécessitant un castelet de bois à trois portes (butai) de la taille d’un écran de télévision, dans lequel le conteur fait défiler des planches illustrées qui animent son récit. Le premier kamishibai pour enfants est apparu au Japon en 1923. Depuis les années soixante-dix, cette technique s’est répandue en Europe et aux États-Unis où elle a conquis des publics variés (très jeunes enfants, handicapés, personnes âgées, etc.). Cet ouvrage aborde tous les aspects de cet art du conte : histoire du kamishibai, présentation et manipulation des différents éléments pour le bon déroulement d’une séance, applications pédagogiques (alphabétisation, apprentissage de la lecture à haute voix, écriture d’histoires), liste d’éditeurs proposant des histoires pour kamishibai et lieux de formation à cette technique.
Littérature
Religion
SHIBA Ryôtarô
Jérôme DUCOR
Hideyoshi, seigneur singe
Shinran : un réformateur bouddhiste dans le Japon médiéval
Trad. de Yoko Kawada-Sim et Silvain Chupin Paris : Éd. du Rocher, Série japonaise, 2008. 567p.
Japon, milieu du XVIe siècle. À cette époque, le futur Hideyoshi n’est qu’un fils de paysans pauvres confié aux soins d’un monastère. Trop rusé et ambitieux pour s’en tenir à cet ordre des choses, le gamin au faciès simiesque s’enfuit avec des marchands ambulants, avant d’entrer, quelques années plus tard, comme serviteur chez le grand général Nobunaga. Tous les moyens sont alors bons pour gravir les échelons du pouvoir. Promu samouraï, Toyotomi Hideyoshi se révèle un stratège hors pair et devient l’un des favoris de Nobunaga. Lorsque celui-ci est assassiné, seuls quelques rivaux subsistent : son rêve de grandeur, devenir le maître incontesté du Japon réunifié, est désormais à portée de main… Grand maître du roman historique, Shiba Ryôtarô (1923-1996) retrace le parcours, fascinant s’il en est, d’un homme du peuple devenu l’une des figures mythiques du Japon.
Lausanne : Infolio, 2008. 206p.
Shinran (1173-1263) est un moine célèbre au Japon pour avoir fondé une école du bouddhisme nippon : l’« École véritable de la Terre pure » (Jôdo-shinshû). Son enseignement est révolutionnaire à bien des égards, puisqu’il offre à tout un chacun, même aux plus démunis, la possibilité de réaliser l’éveil bouddhique et de s’affranchir de la souffrance inhérente à toute forme d’existence. Ce livre s’efforce de situer clairement l’enseignement de Shinran dans les différents courants du bouddhisme. Il retrace ainsi le développement de la tradition de la Terre pure, secte bouddhique la plus répandue en Extrême-Orient, avant de présenter la vie et la pensée de Shinran en se fondant sur les sources chinoises et japonaises originelles.
Histoire Jean-Paul DEMOULE, Pierre-François SOUYRI (dir.)
Archéologie et patrimoine au Japon KAKUTA Mitsuyo
Celle de l’autre rive Trad. d’Isabelle Sakai Arles : Actes Sud, 2008. 287p.
Sayoko, une jeune mère diplômée décide d’en finir avec sa condition de femme au foyer qui la déprime et affecte ses relations avec son mari et son enfant. Prête à tout pour rompre l’ennui et la solitude et ce malgré la pression sociale, elle accepte un emploi dans une entreprise de nettoyage dirigée par une femme brillante et célibataire, Aoi, et reprend goût à la vie. Parallèlement, au fil des chapitres, se déroule le récit de la jeunesse d’Aoi, adolescente solitaire. Une amitié naît entre les deux femmes qui, chacune à leur manière, ont souffert d’avoir marqué leurs différences. Tout en subtilité, ce roman, récompensé par le prix Naoki en 2005, est le premier ouvrage traduit en français de cette auteure née en 1967.
Paris : Éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2008. 142p.
L’archéologie japonaise est peu connue en Occident alors qu’elle est sans doute l’une des plus dynamiques au monde. Elle a considérablement enrichi la connaissance du passé de l’archipel et s’accompagne aujourd’hui d’une forte prise de conscience au Japon de la nécessité de défendre le patrimoine. Cet ouvrage de présentation claire et agréable se compose de trois parties : la préhistoire japonaise, le Japon ancien et médiéval, le Japon moderne : réflexions sur le patrimoine. Les auteurs archéologues, préhistoriens, historiens et chercheurs français et japonais - contribuent ainsi à créer des liens entre spécialistes et à décloisonner les univers de la recherche française et japonaise dans le domaine de l’archéologie.
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Hommage Nicolas Bouvier (1929-1998),
Bibliothèque
un amoureux du Japon
À l’heure où la MCJP fête son 10ème anniversaire, nous ne pouvons qu’avoir une pensée émue pour autre anniversaire, celui du décès de Nicolas Bouvier, voyageur, écrivain, poète et photographe qui a su rencontrer et raconter le Japon avec une sensibilité hors pair. Nicolas Bouvier a beaucoup voyagé à travers le monde et il se rendra au Japon à plusieurs reprises. La première fois, en 1955, embarquant sur un bateau français des Messageries maritimes, il passe une année entière à sillonner l’archipel. De ce voyage, il tire son célèbre ouvrage Japon qui deviendra plus tard Chroniques japonaises et rapporte plus de 3 000 clichés. Il se rend à nouveau dans le pays entre 1964 et 1965, en compagnie de son épouse et de ses enfants. D’autres voyages, moins longs, suivront…
Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.asso.fr
Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h (Espace audiovisuel jusqu’à 19h) Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés Du 23 décembre 2008 au 3 janvier 2009 inclus
Le Japon ne cesse de fasciner Nicolas Bouvier. Il le décrit aussi dans ses carnets (Le Vide et le plein : Carnets du Japon 1964-1970) avec enthousiasme, d’une plume légère, en livrant expériences et émotions avec une extraordinaire acuité. De ce pays, il dira notamment : « Le Japon est un apprentissage du peu. Il n’y est pas bien vu d’occuper trop de terrain. » Nicolas Bouvier s’éteint d’un cancer dans sa Genève natale en 1998, nous laissant bien plus que son humilité voulait bien reconnaître. À l’occasion du 10ème anniversaire de son décès, deux parutions lui rendent hommage : ■ François LAUT
Nicolas Bouvier : L’œil qui écrit Paris : Éd. Payot, 2008. 318p.
Une biographie sensible écrite par un auteur-voyageur qui a connu Bouvier à la fin de sa vie et qui lui vouait une profonde estime. Le portrait se fonde sur des documents inédits : la correspondance de Nicolas Bouvier avec son ami peintre Thierry Vernet ainsi que ses feuilles de routes et ses carnets. ■ Hervé GUYADER
L’oreille du voyageur : Nicolas Bouvier de Genève à Tokyo Genève : Éd. Zoé, 2008. 143p.
Un ouvrage qui présente un aspect moins connu de la vie de Bouvier : sa passion pour la musique, ses rencontres avec des musiciens et des sons venus d’ailleurs qu’il a aimés et enregistrés, avec un enthousiasme particulier pour la musique japonaise. Un CD d’accompagnement reproduit deux entretiens radiophoniques dans lesquels Nicolas Bouvier s’exprime sur la musique. R. A.
Directeur de la publication
Masateru Nakagawa Rédaction
Chisato Sugita Florence Paschal Pascale Takahashi Racha Abazied Conception graphique et maquette
La Graphisterie Impression
Imprimerie d’Arcueil Dépôt légal : 3e trimestre 2008 ISSN 1291-2441 4