N°44

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n° 44 - Hiver 2014

Zoom sur... Le théâtre

Bibliothèque

moderne Naissance et évolution du théâtre moderne : À la fin du XIXe siècle naît un nouveau genre théâtral se distinguant des formes classiques, nô, kyôgen, kabuki, ou shinpa (un dérivé du kabuki) : le shingeki, ou « nouveau théâtre », s’appuie sur un large mouvement de traductions de pièces occidentales, de Shakespeare à Tchekhov. Le shingeki prend son essor avec la création en 1924 du Petit Théâtre de Tsukiji à Tôkyô par la troupe du même nom, qui produit un grand nombre de pièces étrangères. Dans les années 1930, la popularité du théâtre prolétarien influence de nombreuses troupes qui seront peu à peu confrontées à la censure, tandis que le gouvernement impérialiste instrumentalise le théâtre pour servir sa propagande. C’est néanmoins dans ces mouvements d’inspiration marxiste que le théâtre moderne d’après-guerre puisera ses racines. Les ouvrages suivants retracent cette aventure du théâtre au cours de la première moitié du XXe siècle : ■ Catherine Hennion : La naissance du théâtre moderne à Tôkyô : du kabuki de la fin d’Edo au Petit Théâtre de Tsukiji, Éd. L’Entretemps, 2009 ■ Jean-Jacques Tschudin : Le Kabuki devant la modernité, L’Âge d’Homme, coll. Théâtre années vingt, 1995 ■ Jean-Jacques Tschudin : La ligue du théâtre prolétarien japonais, Éd. l’Harmattan, 1989 ■ Brian Powell : Modern Japanese theatre: a century of change and continuity, Éd. Japan Library, 2002

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.fr

Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés

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Jacqueline Pigeot, professeur émérite à l’université de Paris 7 - Denis Diderot

vec Jean-Jacques Tschudin disparaît l’un des meilleurs spécialistes du théâtre japonais, celui qui aura, sur ce sujet, fourni en langue française les travaux les plus complets. Son parcours fut atypique, puisqu’il avait atteint la quarantaine lorsqu’il entama des études universitaires. Jusque-là, diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Genève, il s’était consacré à la peinture, à la gravure, au cinéma, en exerçant ses talents dans divers pays d’Europe et d’Amérique et, pour finir, au Japon. Il rapporta de ces voyages informations et réflexions sur les mouvements politiques de l’heure, mais aussi sur les recherches artistiques et théâtrales, et il gardera toujours une grande attention aux problèmes politiques, sociaux et culturels. Après un long séjour au Japon (1969-1974), il s’inscrit à la section de japonais de l’université Paris 7 (future Paris Diderot) et parcourt bien sûr sans difficulté le cursus, apportant son aide aux étudiants débutants. Assistant associé en 1981, puis maître de conférences et enfin professeur, toute sa carrière se déroulera dans la section de japonais de Paris 7, dont il devint l’un des piliers, jusqu’à sa retraite en 2003. Il laisse le souvenir d’un enseignant rigoureux mais proche des étudiants, attentif à chacun, qui s’investit totalement auprès d’eux.

A

Regards croisés :

C.C.

Disparition d’un grand japonologue : Jean-Jacques Tschudin (1934-2013)

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Le théâtre évolue à partir des années 1960, se détachant de la dramaturgie occidentale vers une écriture qui s’intéresse davantage à la vie quotidienne et à la société. Porté par une génération de metteurs en scène tels que Kara Jurô ou Suzuki Tadashi, le mouvement du « Petit théâtre angura », explore la mise en scène dans des endroits exigus, populaires ou insolites créant une proximité avec le public. Dès lors, le théâtre moderne n’aura de cesse de se diversifier, comme le montre la collection suivante : ■ Half a century of Japanese theatre, Éd. Kinokuniya, 2000 (avec l’aide de la Fondation du Japon) : ces dix volumes élaborés par la Japan Playwrights Association ont permis la traduction et la publication de pièces représentatives de leur décennie – des années 1950 aux années 1960 – soit un total d’une soixantaine de pièces, toutes précédées d’une introduction sur l’auteur et sur leur contexte social.

En 1900, les Français découvrent le shinpa à l’Exposition universelle de Paris. La troupe de Kawakami, en quête en Occident de nouvelles formes d’expression théâtrale, est finalement amenée à présenter des pièces conçues pour le public parisien, qui, en dépit de leur qualité médiocre, sont illuminées par le talent et le charisme de l’actrice Sada Yacco. Son souvenir marque les débuts d’une influence réciproque entre les scènes françaises et japonaises, jusqu’à aujourd’hui, sujet auquel est consacré un numéro de la revue Théâtre Public : Scènes françaises, scènes japonaises : allers-retours, Association Théâtre-Public / Université Waseda, 2010 ■ Oida Yoshi, acteur formé au kyôgen, rejoint en 1968 l’équipe internationale que Peter Brook a fondée à Paris, afin de faire des recherches expérimentales sur le théâtre. Il raconte cette époque qui a vu fleurir de grands noms du théâtre français. Son témoignage en tant qu’homme de théâtre japonais, à travers trois livres, apporte un éclairage particulier sur la recherche à la fois spirituelle, physique et artistique dans le métier de comédien : Oida Yoshi : L’acteur flottant ; l’acteur invisible ; L’acteur rusé, Actes Sud, 1992, 1997, 2000

La lettre de la bibliothèque

Directeur de la publication

Sawako Takeuchi Rédaction

Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette

La Graphisterie.fr Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1er trimestre 2014 ISSN 1291-2441

Pratiquant le travail d’équipe, il organisa notamment des colloques internationaux et publia des ouvrages collectifs de recherche (cf. La Société japonaise devant la montée du militarisme, en collaboration avec Cl. Hamon, Picquier, 2007). Dans le domaine de la traduction, il anima le « groupe Kirin » auquel on doit trois recueils préfacés par lui (Nouvelles japonaises, Picquier, 1986-1988). Il assura enfin la responsabilité éditoriale du volume II des Œuvres de Tanizaki (Bibliothèque de la Pléiade, 1998). Il fut un chercheur très actif (une soixantaine d’articles) et un traducteur fécond (plus de cinquante nouvelles et romans d’auteurs divers).

Mais la contribution essentielle de Jean-Jacques Tschudin à la japonologie est l’ensemble de ses études sur le théâtre, devenues des références essentielles. La Ligue du théâtre prolétarien japonais (L’Harmattan, 1989) présente « un pan méconnu du théâtre révolutionnaire de l’entredeux-guerres » ainsi qu’« un moment crucial de la maturation du théâtre moderne au Japon ». Comme dans ses travaux postérieurs, sont recensés

tous les aspects de l’activité théâtrale : le répertoire, mais aussi la scénographie, l’histoire et l’organisation des troupes, le point de vue des spectateurs des divers milieux, les relations avec les autres formes de théâtre, et, plus généralement, l’inscription dans un moment précis de l’histoire politique et culturelle. Dans Le Kabuki devant la modernité - Théâtre des années vingt (éd. L’Âge d’Homme, 1995), son doctorat d’État, JeanJacques Tschudin décrit la confrontation de ce genre traditionnel avec la « déferlante de l’occidentalisation », les stratégies adoptées pour « louvoyer entre les pressions contradictoires des autorités, des intellectuels, des financiers et des associations de spectateurs. » Élargissant encore le champ, il élabore ensuite une Histoire du théâtre classique japonais (Anacharsis, 2011, 500p.). Ici encore un récit suivi, alerte malgré son extrême précision scientifique, est assorti de multiples documents. Un dernier aspect de l’histoire du théâtre japonais est celui de la découverte qu’en ont faite les Occidentaux. Sur ce sujet, JeanJacques Tschudin mettait la dernière main à la rédaction d’un ouvrage lui aussi extrêmement riche quand il a succombé à la maladie. La publication en est prévue. ■

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Regards sur le fonds

Littérature OGAWA Ito

Le restaurant de l’amour retrouvé Trad. par Myriam Dartois-Ako Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 243p.

Cuisine Japon, la cuisine à la ferme Trad. par Marie Maurin, photos de Miura Kenji Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 381p.

Plus qu’un livre de cuisine, c’est un témoignage revigorant qui nous est présenté dans cet ouvrage superbement édité. Nancy Singleton Hachisu est californienne et vit au Japon depuis plus de vingt ans, avec son mari, agriculteur bio japonais, et leurs enfants, dans une ferme traditionnelle de la préfecture de Saitama. Elle y mène une vie très active en tant que fermière et cuisinière, militante du mouvement « slow food ». Ce livre de recettes est imprégné de sa vie quotidienne et de sa connaissance des produits japonais qui constituent la nourriture de base à la campagne. On apprendra aussi bien à faire du tôfu « maison », des nouilles udon, que des plats simples et savoureux, tout en lisant les anecdotes qu’elle partage sur son quotidien ; une vie particulière de fermière gaijin, portée par la volonté de transmettre l’amour des bonnes choses.

Art KAMISAKA Sekka

Les Herbes de l’éternité Présent. et trad. de Manuela Moscatiello Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 143p., livret 44p.

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C’est à un illustre représentant des arts décoratifs japonais, peintre prolifique et singulier, que ce coffret rend hommage. Kamisaka Sekka (18661942), souvent considéré comme le dernier grand héritier du courant Rimpa, fit de l’art sa quête, tant dans ses peintures, dessins, qu’au fil de riches collaborations avec des artisans divers. Chef-d’œuvre de Sekka pour ce qui est de la gravure sur bois, publié au tout début du XXe siècle, Les Herbes de l’éternité est une collection de soixante images faisant la part belle à l’univers végétal et à la littérature japonaise classique. Le talent original de Sekka, qui révèle, ici, des cadrages audacieux, là, une simplification extrême des formes ou encore de très gros plans, aura largement contribué à la modernisation du design japonais.

Rinco perd la voix à la suite d’un chagrin d’amour, et revient malgré elle dans son village natal, chez sa mère, femme fantasque vivant avec un cochon apprivoisé. Ravagée, mais forte de son savoir-faire culinaire, elle met toute son énergie dans l’ouverture d’un petit restaurant, dont la formule spéciale consiste à rendre les gens heureux, grâce à des plats cuisinés avec amour en fonction du profil de ceux qui les mange. Avec fraîcheur et simplicité, Ogawa Itô déploie un monde de saveurs où l’alchimie entre les aliments, choisis avec science et recueillement par l’héroïne, libère les énergies, où l’on est ravivé par le goût des choses simples et vraies. Une savoureuse histoire sur le partage, le don et la guérison, qui se déguste bouchée après bouchée, comme la cuisine de Rinco.

ÔE Kenzaburô

Adieu, mon livre ! Trad. par Jean-Jacques Tschudin Arles : Éd. Philippe Picquier, 2013. 475p.

Bien que le prix Nobel ait continué à publier d’autres textes par la suite, ce roman a été écrit avec la volonté de son auteur de dire « adieu au genre romanesque ». Cet ouvrage fait partie d’une trilogie intitulée « Période tardive » (concept tiré de l’essai d’Edward W. Saïd, On Late Style). Les trois textes sont articulés autour du personnage d’un vieil écrivain, Chôkô Kogito, double de l’auteur, aux prises avec ses interrogations, doutes et démons du passé. Ce roman, comme beaucoup d’autres textes de cet écrivain engagé, entre en résonance avec la catastrophe nucléaire que vit le Japon, creusant le thème qui obsède son auteur : la mémoire et la vulnérabilité des êtres. Si ce livre n’est pas le dernier d’Ôe Kenzaburô, c’est néanmoins la dernière œuvre de traduction de Jean-Jacques Tschudin, grand japonologue à qui nous rendons hommage dans ce numéro de La Lettre.

AKUTAGAWA Ryûnosuke

Jambes de cheval Trad. par Catherine Ancelot ; postf. Ninomiya Masayuki Paris : Les Belles Lettres, coll. Japon, 2013. 221p.

Akutagawa Ryûnosuke est l’un des maîtres incontestés de la littérature japonaise moderne ; le plus prestigieux des prix littéraires porte d’ailleurs son nom. Si ses principaux romans et nouvelles ont déjà été traduits en langue française, il reste néanmoins des inédits pour le grand plaisir des amoureux de ce prodigieux narrateur, qui, malgré sa courte carrière, nous a laissé une œuvre riche et étonnante. Les dix-sept récits réunis dans ce recueil témoignent du talent de cet écrivain qui

alliait une profonde connaissance des classiques chinois et japonais à une maîtrise des procédés narratifs modernes. Dans la postface, le professeur Ninomiya se penche sur le décalage entre la popularité d’Akutagawa et sa réception par la critique à travers l’analyse de textes rarissimes tels qu’une lettre envoyée au philosophe Mori Arimasa, signée du grand chercheur français Bernard Franck.

Project Itoh

Harmonie Trad. de l’anglais par Christophe Cuq Saint-Laurent-du-Var : Panini Books, coll. Éclipse : 2013. 323p.

Ce titre, couronné de plusieurs prix pour la science-fiction (Seiun, Nihon SF taishô, Philip K. Dick Award), est l’œuvre ultime de Project Itoh, mort en 2009. Cette dystopie au suspense soutenu est un récit glaçant qui s’ouvre au lendemain d’une troisième guerre mondiale, nucléaire. Un nouvel ordre mondial ultramédicalisé est en place : la vie humaine étant la ressource la plus précieuse au monde, la santé de chacun est surveillée en permanence grâce au WatchMe, un dispositif implanté dans chaque adulte. Une situation intenable pour un groupe d’adolescentes qui opte pour la seule rébellion possible, le suicide. L’une d’elle, Tuan, survivra, s’intégrant tant bien que mal au système. Adulte, elle se replongera dans son passé pour lutter contre une entreprise terroriste aux desseins effroyables...

Manga TOYODA Tatsuya

Goggles Paris : Éd. Ki-oon, 2013. 228p.

Toyoda Tatsuya est un mangaka autodidacte, soucieux de nourrir son œuvre de ses expériences personnelles sans se soumettre à un système commercial. Son talent est néanmoins digne des plus grands maîtres d’aujourd’hui. Manga largement primé au Japon comme en Europe, Goggles offre six histoires inspirées avec réalisme de la société des années 1990 à 2000, en pleine récession. On y croise de jeunes chômeurs désabusés s’occupant comme ils peuvent, des patrons intraitables, une société à la merci des fluctuations boursières, une enfant meurtrie en mal d’amour... Mais loin de verser dans la noirceur, l’auteur s’attache avant tout avec délicatesse et empathie aux relations humaines ; les joies et les peines fluctuent entre ses personnages parfois paumés, à la recherche de liens qui maintiennent l’espoir.

Sociologie Joseph TOBIN (dir.)

La grande aventure de Pikachu : grandeur et décadence du phénomène Pokémon Toulouse : Pix’n Love, 2013. 415p.

Aujourd’hui, tout le monde ou presque connaît les fameux Pokémon. Conçu par Nintendo, Pokémon est d’abord une série de jeux vidéo. Rapidement le jeu vidéo s’est décliné en produits dérivés en tous genres : mangas, série télévisée, cartes à collectionner, autocollants, jouets… Pokémon est devenu très rapidement une marque reconnue par les enfants du monde entier. Le phénomène a néanmoins failli disparaître en 2002 où il connut une période de déclin, avant de renaître. Cet ouvrage se propose d’étudier ce phénomène, élargissant l’analyse à la mondialisation de la culture japonaise et à la consommation par les enfants d’une culture produite en masse.

Ethnologie Alain BRIOT Monstres et prodiges dans le Japon d’Edo : présentation, traduction et commentaires de l’Album Tayasu 84 Paris : Collège de France, Institut des Hautes Études Japonaises, 2013. 178p.

L’Album Tayasu 84, qui provient des archives du seigneur Tayasu Narimasa (1779-1846), consigne les apparitions en divers endroits du Japon d’êtres mystérieux entre 1789 et 1843. D’une très grande diversité, cette trentaine de planches illustrées relève pour moitié du monde des yôkai, êtres surnaturels de la culture populaire issus d’un fonds de croyances très anciennes dont l’étude compte des noms illustres. Les autres illustrations se répartissent entre anomalies humaines, ou animales, et « animaux étranges ». C’est donc également dans le monde de la tératologie, aussi dérangeant que riche de sens, que nous guide le japonologue et médecin Alain Briot, non sans établir quelques parallèles érudits avec l’Occident. 3


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