n° 47 - Hiver 2015
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Bibliothèque
Le Japon dans la littérature française (2) Brigitte Koyama-Richard (éd.) Série 1 : 1880-1899 ; série 2 : 1900-1910 ; série 3 : 1910-1929 (13 vol.) Tokyo : Edition Synapse, 2010-2012
La seconde série de cette publication en fac-similé de romans français d’inspiration japonaise – que nous avons commencé à présenter dans la Lettre de la bibliothèque n°45 – compte 6 volumes avec des œuvres comprises entre 1900 à 1910. Plusieurs se situent dans le Japon contemporain d’alors : une façon de rendre plus concret et moins fantasmé ce pays que lors de la période précédente ? En réalité, deux courants se dessinent. Le premier continue d’explorer la veine d’un Japon idéalisé plus ou moins fictif, comme c’est le cas des romans de Jane de la Vaudère : quelques méchants pour l’intrigue, mais le pays est, pour ses lecteurs, une merveille d’exotisme mignard avec ses jolies « mousmés » (jeunes femmes) dévouées. À travers ces romans d’aventure très appréciés, il semble clair que le public continue d’éprouver une certaine attirance pour cette contrée lointaine portée aux nues par les artistes du japonisme des décennies précédentes en quête d’une esthétique nouvelle.
Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 www.mcjp.fr
La lettre de la bibliothèque
Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Entretien avec Oida Yoshi comédien et metteur en scène
Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés
Le Japon se présente sous un jour beaucoup plus sombre dans les autres œuvres de cette série. En effet, la période est marquée par la guerre russo-japonaise (19041905) dont le pays sortira vainqueur, ce qui ne manque pas d’ébranler la suffisance des puissances européennes. La France, qui plus est, est alliée de la Russie. Dès lors, ce n’est plus le Japon des estampes, mais une nation belliqueuse et arrogante que les romans ayant pour fond la guerre russo-japonaise décrivent. Les inévitables clichés deviennent alors dans certains titres suffocants et ouvertement racistes.
F
ormé au théâtre classique (nô et kyôgen), Oida Yoshi est arrivé à Paris en 1968 pour rejoindre la troupe internationale de recherche théâtrale de Peter Brook : il a joué sous la direction de celui-ci dans de nombreux spectacles, tels que le Mahabharata ou La conférence des oiseaux présentés à travers le monde et aux Bouffes du Nord, et s’est progressivement orienté vers la mise en scène. Véritable pont entre le théâtre japonais et occidental, il raconte ses expériences et son cheminement personnel à travers trois livres : L’acteur flottant, L’acteur rusé et L’acteur invisible, parus aux éditions Actes Sud. En tant que metteur en scène, Oida Yoshi a présenté récemment à la Maison de la culture du Japon Yume (« Rêve ») et a accepté de répondre à quelques questions :
■ La Guescha amoureuse (1904) et La cité des sourires (1907) Le quotidien Le Temps saluera la disparition de l’auteure de ces deux titres en ces termes : « On annonce la mort d’un écrivain connu, Mme Jane de La Vaudère, auteur de plusieurs ouvrages où la hardiesse du sujet n’enlevait rien à la grâce littéraire. » L’écrivain dépeint ici un Japon dont Yoshiwara, le quartier des plaisirs à Edo, est le centre chimérique, une cité de beauté et de « sourires ». Les intrigues amoureuses forment la trame de ces romans peu réalistes.
■ Le Chinois de Mademoiselle Bambou (1907) Grand reporter ayant parcouru la Russie, la Chine et le Japon où il séjournera un an, Charles Petit met en scène un lettré chinois qui se rend au Japon à l’aube de la guerre russo-japonaise, afin de développer les liens entre ce pays et la Chine. Le pauvre homme va de surprises en déceptions, malgré toutes les visites officielles ou d’agrément qu’il enchaîne. Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’une geisha à Yoshiwara — dépeint cette fois comme un lieu où évoluent « des prisonnières » au regard vide.
■ Blanche contre Jaunes (1904) Ce roman d’aventures, aux accents fortement patriotiques, est écrit sous le pseudonyme de Pierre Maël par Charles Vincent et Charles Causse, auteurs de livres pour la jeunesse publiés chez les plus grands éditeurs. Le destin va unir une belle aristocrate russe à un courageux officier français, lesquels vont triompher, après de dangereuses aventures, des cruels Japonais...
■ L’invasion jaune (1909) Roman fleuve écrit sous un pseudonyme par le Colonel Émile-Cyprien Driant, auteur à succès du roman colonial et patriotique ouvertement raciste. Les aventures de ce roman belliciste se déroulent sur trois continents avec des Japonais, armés par les Américains, qui menacent d’effondrement l’Europe et la Russie.
P. D. 4
Directeur de la publication
Sawako Takeuchi Rédaction
Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette
La Graphisterie.fr Impression
Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1er trimestre 2015 ISSN 1291-2441
Votre formation au théâtre classique japonais vous a-t-elle aidé ou gêné dans la pratique du théâtre occidental ?
Le théâtre occidental ne m’était pas inconnu, mais lors des premiers essais d’improvisations avec Peter Brook, des mouvements japonais me sont naturellement venus. Brook m’a sommé d’arrêter tout de suite. Une grande partie de mon apprentissage a été de me débarrasser de mon bagage théâtral japonais et de travailler sur moi-même, afin de restituer quelque chose de plus originel.
suis triste, mais à l’intérieur de moi il existe un double qui observe cette émotion et ce moi triste, comme un acteur sur scène. Le théâtre m’a aidé à acquérir une mise à distance, une sérénité, qui aide à accepter toutes sortes d’émotions. Vous avez aussi été apprenti-moine bouddhiste. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté dans votre pratique d’acteur ou dans la vie en général ?
Dans vos livres, il est beaucoup question de votre recherche spirituelle dans la pratique du théâtre. Être comédien apprend-il à vivre dans la vie quotidienne ?
D’abord, j’ai considéré que la vie quotidienne était un lieu d’étude pour le théâtre. Puis, je me suis rendu compte qu’à l’inverse, jouer pouvait aider à enrichir sa vie quotidienne. Concrètement, le personnage de Hamlet à un moment pleure, crie... L’acteur observe ces émotions, il se demande comment se les approprier et lorsqu’il arrive à restituer l’émotion juste, il est heureux. Autrement dit, Hamlet est triste mais l’acteur est heureux. Dans la vie quotidienne aussi, si la personne aimée me quitte, naturellement je
Ce n’est pas du tout l’aspect religieux qui a motivé cette expérience. Je voulais saisir concrètement la place du physique dans la pratique religieuse. C’est là où j’ai appris que le corps pouvait comprendre au-delà de l’intellect. Dans le bouddhisme ésotérique, on pratique la psalmodie de mantras qui demande une synchronisation de différentes parties du corps. Au fur et à mesure l’imagination vient, et c’est là que certaines choses s’éclaircissent. Cela rejoint la pratique du théâtre. Dans L’acteur invisible, vous dites que le travail de l’acteur doit le mener, non pas à parader sur scène, mais à disparaître. Que voulez-vous dire ?
Par exemple, un acteur dit aux spectateurs « regardez la lune » : les spectateurs admirent la belle figure qu’il esquisse en pensant « quel bon acteur ! ». Un autre acteur joue la même scène : je ne me souviendrai ni de son geste, ni de sa façon de le dire, mais j’ai vu la lune ! L’acteur 1
Regards sur le fonds Littérature aussi bon soit-il, s’il fait trop forte impression ne fera pas apparaître les choses qui sont invisibles sur scène ou dans la vie quotidienne, tandis que le bon acteur est celui qui en « disparaissant » les fait apparaître aux spectateurs. Vous pratiquez le théâtre depuis longtemps en Europe, le métier a-t-il beaucoup changé depuis votre venue ?
Que l’on soit au Japon ou en Europe, on se concentre davantage sur l’essentiel de l’expression humaine en se passant du « superflu ». Ces dernières années, la tendance consiste à effacer les aspects typiquement japonais ou du moins supposés difficiles à comprendre pour un public d’une autre culture, afin d’atteindre une expression plus globale qui touche à l’essentiel. J’ai moi-même appris à concentrer l’expression sur ce qui est vraiment porteur de sens. Quelles sont les notions ou les conseils que vous aimez transmettre dans vos ateliers aux acteurs français ?
J’incite les stagiaires à trouver de nouvelles expressions, en se défaisant de leur passé. Il incombe à chacun de faire un travail afin de trouver la créativité en soi, car c’est elle qui est au cœur du métier de l’acteur. Je les aide à vivre le jeu dans leur corps et dans leur voix, et à trouver comment ils sont heureux sur scène. Yume que vous venez de présenter est une pièce japonaise. Revenez-vous à vos origines ?
En tant que metteur en scène, je n’avais rien fait de « japonisant », jusqu’à ce qu’on me demande de monter cette pièce à partir d’un texte japonais. Cela a été intéressant de réfléchir à la façon d’éviter l’effet du « folklorique ». Tout en utilisant des éléments proprement japonais, comme le bunraku ou la poésie japonaise par exemple, j’ai tenté une approche qui mettrait en valeur non pas l’exotisme mais le message dans sa totalité. ■ 2
KAWABATA Yasunari
Première neige sur le mont Fuji Trad. par Cécile Sakai Paris : Albin Michel, 2014. 155p.
Ce recueil regroupe six nouvelles inédites de Kawabata Yasunari (1899–1972) parues entre 1952 et 1960 et traduites par Cécile Sakai, spécialiste française de l’œuvre du prix Nobel de littérature. D’anciens amants qui se retrouvent après la guerre, un vieil écrivain muré dans son silence, une jeune fille qui porte en son cœur sa mère suicidée… Avec des mots simples, ces récits explorent les sentiments qui, à travers heurs et malheurs, survivent à l’éloignement, à la guerre, au temps, et semblent imprégner jusqu’aux paysages. Chacun dans sa singularité révèle la palette sobre mais très nuancée du grand écrivain.
101 poèmes du Japon d’aujourd’hui Trad. par Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé Arles : Éd. Philippe Picquier, 2014. 181p.
Cette anthologie, composée de 101 poèmes, choisis par le poète Ôoka Makoto en collaboration avec plusieurs spécialistes de la poésie japonaise contemporaine, réunit les textes de 55 poètes couvrant la période de l’après-guerre jusqu’à nos jours. Pour chaque poète, le choix s’est fixé sur le texte le plus représentatif de l’écriture de son auteur ou celui qui a connu un grand retentissement lors de sa publication. Ce recueil sélectif marque les étapes importantes de l’histoire de la poésie contemporaine japonaise. Un texte de présentation de Yagi Chûei sur les turbulences qu’a traversé cette poésie, ainsi qu’un avant-propos de Ôoka Makoto, donnent les clés pour bien saisir ces poèmes dans une belle traduction française.
SATÔ Haruo Mornes saisons Trad. par Vincent Portier Paris : Les Belles Lettres, coll. Japon, 2014. 265p.
Quittant la ville, un homme tente de s’installer à la campagne pour retrouver la paix intérieure, mais très vite son environnement se fait menaçant : les paysans, roublards ou jaloux, la nature elle-même devient oppressante. Ce roman publié en 1919 s’inscrit dans un genre commun à la tradition littéraire chinoise et japonaise, selon laquelle l’auteurnarrateur, homme de lettres, s’établit à la campagne pour s’éloigner des vicissitudes de la ville et de la vie sociale. Satô Haruo (1892–1964) se révèle à travers une écriture poétique et contemplative, teintée de romantisme et de mélancolie : peu d’action, sinon des descriptions très détaillées et subtiles de la nature qui font écho aux états intérieurs de l’auteur. Vincent Portier accompagne cette traduction sensible d’une postface permettant de mieux cerner l’univers de cet écrivain jusqu’alors non traduit en français, ainsi que d’une biographie détaillée.
Art Jean-Sébastien CLUZEL (dir.) Hokusai : Le vieux fou d’architecture Paris : Seuil ; Bibliothèque nationale de France, 2014. 111p. [pagination multiple].
Nul sujet n’a semblé échapper au regard incisif du grand maître de l’estampe Katsushika Hokusai (1760–1869). Le monde des bâtisseurs, notamment, a exercé une fascination particulière sur l’artiste. Ces deux manga, manuels de dessins, qui y sont consacrés frappent par leur aspect avant-gardiste. Pour la première fois au Japon, la création architecturale est appréhendée par le dessin. Hokusai prend aussi de fait position contre la longue tradition du secret artisanal chez les charpentiers et, d’une manière générale, contre la ségrégation du savoir par les différents corps de métiers. Plusieurs chapitres introductifs nous permettent de comprendre au mieux la valeur de ces œuvres, dont des exemplaires sont conservés à la Bibliothèque nationale de France.
Hokusai Catalogue de l’exposition [Paris : Grand Palais, Galeries nationales, oct. 2014–jan. 2015] Paris : RMN, 2014. 415p.
Ce volumineux catalogue est à l’image de la plus grande exposition consacrée au maître de l’estampe japonaise en France, Katsushika Hokusai. Cette exposition nous fait découvrir les multiples talents d’un artiste qui a marqué l’histoire de l’art. Si tout le monde connaît l’auteur des Cent vues du mont Fuji, avec la fameuse grande vague de Kanagawa, cette exposition, qui est divisée selon les périodes marquantes de la carrière de l’artiste, révèle la multiplicité des styles. Ainsi, Hokusai a conçu de nombreux nishiki-e (images de brocart) et surimono (estampes de luxe), des livres illustrés, des peintures… On découvre également son influence sur les impressionnistes européens, ses fameuses manga ainsi que ses images grotesques de monstres et de fantômes griffonnées en quelques traits parfaitement maîtrisés. Quels que soient les genres abordés, il se dessine toujours l’image d’un homme en lutte pour aller de l’avant afin d’exhausser son art à une dimension supérieure.
Jean-Jacques TSCHUDIN L’éblouissement d’un regard : découverte et réception du théâtre japonais de la fin du Moyen Âge à la seconde guerre mondiale Toulouse : Anacharsis, coll. Histoire, 2014. 389p.
Cet essai posthume du grand spécialiste de théâtre japonais fait suite à son précédent ouvrage encyclopédique, Histoire du théâtre classique japonais, paru chez le même éditeur en 2011. Jean-Jacques Tschudin avait achevé la rédaction de cette dernière étude complémentaire avant de nous quitter,
l’été 2013. Grâce à son entourage, et à la minutieuse relecture de Madame Jacqueline Pigeot, les dernières vérifications ont finalement pu être apportées à cet essai. S’appuyant sur de nombreux témoignages de jésuites, d’écrivains-voyageurs, ou sur les chroniques des premières tournées européennes de troupes japonaises, le livre retrace comment l’Occident a découvert, dès le XVIe, et surtout à partir du XIXe siècle, les arts du spectacle japonais. Au-delà de la fascination, des incompréhensions, c’est toutes les influences mutuelles, la question de la réception et de l’apprentissage d’un art majeur qui sont au centre de cette étude.
Claude ESTÈBE Yokohama Shashin : 1860–1900 Paris : Yellowkorner éditions, 2014. 221p.
Yokohama Shashin se traduit littéralement par « photographies de Yokohama », cette expression consacrée désigne un genre de photos né à la fin des années 1870, produites à Yokohama grâce aux nombreux ateliers qui y virent le jour. Il se caractérise par de grandes épreuves sur papier albuminé, de paysages, portraits et scènes du Japon soigneusement colorées par des mains expertes déjà rompues à l’exercice de l’estampe. Destinées à une clientèle occidentale, ces images ont largement circulé en Europe ou aux États-Unis, nourrissant l’inspiration du japonisme. Claude Estèbe, photographe et historien de la photographie japonaise, présente et commente une collection inédite : si certaines de ces superbes reproductions prises en studio tendent vers une mise en scène exotique, d’autres nous plongent avec un réalisme troublant au cœur d’un Japon encore imprégné de l’atmosphère de l’époque Edo, avant les grands bouleversements de la modernité.
Finance Frédéric BURGUIÈRE Institutions et pratiques financières au Japon : De 1600 à nos jours Paris : Hermann, 2014. 342p.
L’auteur, lui-même issu du monde de la finance, livre une synthèse de l’évolution de la finance et de son rôle dans le développement de l’économie japonaise depuis l’époque Edo (1600-1868), période qui a précédé l’émergence du Japon comme puissance industrielle. De la refonte des monnaies au XVIIe siècle, en passant par la création d’un système monétaire sur le modèle occidental pendant Meiji (1868–1912), la bulle financière des années 1980, jusqu’à la politique économique Abenomics du gouvernement actuel, cet ouvrage de référence offre une vision historique qui permet de mieux comprendre les spécificités des pratiques financières japonaises et les défis qui attendent le modèle japonais. 3