n°31

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n° 31 - Automne, septembre 2009

La lettre de la bibliothèque Le voyage au sein de la photographie japonaise Marc Feustel, commissaire indépendant, directeur du Studio Equis

ors d’une interview au printemps dernier avec le photographe Toshio Shibata dans son studio à Tôkyô, il m’a expliqué qu’après avoir étudié la peinture, le dessin et la gravure, ce qui l’a attiré vers la photographie, c’est la liberté qu’elle proposait. Lorsqu’il a reconnu que la photographie pouvait lui permettre de sortir du studio et, seul avec son appareil, de se plonger dans un monde présentant une infinité de possibilités, il a su qu’il avait trouvé sa voie. Ce qu’a ressenti Shibata illustre à quel point la photographie est intimement liée au voyage : c’est un ingrédient universel qu’on retrouve autant dans la tradition européenne et américaine qu’au Japon. Il nous a donné certaines des plus grandes séries du XXe siècle, des errances, traversées et détours de Raymond Depardon au road-movie photographique de Robert Frank, Les Américains, ou celui de Hiromi Tsuchida, Zokushin. Dès la fin de la guerre du Pacifique, c’est le voyage qui permettra à Ihei Kimura et Hiroshi Hamaya de s’évader de la destruction massive de Tôkyô pour tenter de retrouver un esprit japonais « pur » qui n’avait pas été ravagé par le militarisme. Leurs photographies sont autant un voyage dans l’espace que dans le temps. Comme celui de Eikoh Hosoe avec son Kamaitachi, une série où il recrée ses visions d’enfants au Nord du Japon avec le fondateur du Butô, Tatsumi Hijikata.

crédit photo : Takeshi Dodo Rishiritô Hokkaidô 2003

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L’après-guerre au Japon est caractérisé par une puissante déferlante d’américanisation, objet de fascination pour une nouvelle génération de photographes de Shomei Tomatsu à Daido Moriyama. Subitement l’Amérique a envahi leur monde et ils ont pu l’explorer obsessivement sans quitter leur pays. Le chaos politique de la fin des années 1960 donne lieu à un tout autre voyage photographique : une immersion dans l’intimité du photographe. Dans Sentimental Journey, Araki met sa vie sentimentale et sexuelle à nue. Avec Karasu (Corbeaux), Masahisa Fukase nous plonge dans un subconscient torturé jusqu’à la rupture totale avec le monde humain. Malgré une américanisation continue du pays, le « traditionnel » perdure, restant un sujet essentiel pour les photographes contemporains. Avec Mount Fuji, Naoki Ishikawa a tenté de voir d’un œil nouveau un lieu sacré qui occupe toujours une place primordiale dans la culture japonaise.

L’œuvre de Rinko Kawauchi nous emmène dans un quotidien qui revêt une lueur extraordinaire, comme si nous accompagnions une fourmi à la découverte du monde humain. Et de par ses résonances et ses contrastes, le voyage continue à faire naître les séries photographiques, comme le travail de Momose Toshiya sur les villes devenues fantômes, vidées de leurs habitants. Depuis sa naissance, le Japon a su intégrer les influences externes tout en les digérant pour former une entité nouvelle et fondamentalement japonaise. À l’image de son pays, la photographie japonaise continue à dévorer les influences extérieures pour mieux les disséquer, nous renvoyant ainsi une vision nouvelle du monde. ■

Exposition Voyages : regards de photographes japonais sur le monde Du mercredi 14 octobre 2009 au samedi 23 janvier 2010 à la MCJP 1


Regards sur le fonds

Manga Paul HERMAN

Europe Japon : regards croisés en bandes dessinées Grenoble : Glénat, 2009. 256p.

Cinéma Benjamin THOMAS

Le cinéma japonais d’aujourd’hui : cadres incertains Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009. 307p.

Docteur en études cinématographiques, Benjamin Thomas, interroge les cadres esthétiques et les motifs narratifs récurrents du cinéma japonais : altérité inquiétante, dépossession de soi, figures du double ou de l’amnésique… Par-delà leur hétérogénéité, les films de ces vingt dernières années semblent traversés par une question obsédante, celle de l’identité japonaise moderne. L’étude passe au crible plus d’une centaine d’œuvres réalisées à partir de 1989, début de l’ère Heisei, mais aussi, année du premier film de Kitano Takeshi, réalisateur contemporain emblématique. Outre qu’il constitue une cartographie du cinéma actuel, cet essai offre un éclairage intéressant sur la société dans laquelle ces œuvres s’inscrivent et dont elles rendent compte à leur manière.

Musique Ziad KREIDY

Takemitsu : à l’écoute de l’inaudible Paris : L’Harmattan, coll. Univers musical, 2009. 163p.

Le musicologue Ziad Kreidy nous propose un voyage à la découverte des différentes sources d’inspiration qui ont marqué l’œuvre du célèbre compositeur de musique contemporaine, Tôru Takemitsu (1930 1996). Comme beaucoup de musiciens de sa génération, Takemitsu a, dans un premier temps, rejeté la musique traditionnelle de son pays pour se consacrer à l’étude de la musique occidentale. L’auteur nous raconte comment Takemitsu a redécouvert ses origines, puis son cheminement vers l’intégration d’une sensibilité musicale japonaise à une écriture strictement occidentale. Il nous éclaire sur les principes de l’esthétique musicale dont s’est inspiré le compositeur : le principe taoïste du vide, l’harmonie avec la nature, la petitesse de l’être humain perdu dans une nature grandiose. Pour boucler ce voyage, il souligne l’influence de ses deux mentors français, Olivier Messiaen et Claude Debussy. 2

Alors que la popularité grandissante du manga en France nous fait vivre un « second japonisme », Paul Herman a eu la bonne idée de se consacrer à un travail sur le regard réciproque des deux cultures à travers l’art de la bande dessinée. D’un côté du livre, la BD européenne, en grande partie francobelge ; de l’autre, le manga japonais. L’ensemble offre un large éventail d’extraits d’œuvres, depuis les débuts de ces arts graphiques (estampes, illustrations de journaux ou caricatures), qui, d’un point vu historique, coïncident avec les prémices des relations entre le vieux continent et le Japon. Un ouvrage riche, très documenté et bien agencé qui, outre ce regard croisé des deux cultures, nous offre un panorama de l’histoire parallèle de la bande dessinée et du manga.

TANIGUCHI Jirô

Un zoo en hiver Trad. par Corinne Quentin Tournai : Casterman, coll. Écritures, 2009. 231p.

En 1966, le jeune Hamaguchi est un simple employé d’une société de textile en gros à Kyôto. Il passe son temps libre à aller au zoo de la ville pour faire des croquis d’animaux. Jusqu’au jour où un ami du lycée lui propose de le rejoindre à Tôkyô et lui offre la possibilité de réaliser son rêve en devenant assistant dans un atelier de manga… Taniguchi Jirô choisit un registre explicitement autobiographique, convoquant ses souvenirs de jeunesse. Cet album est une véritable plongée dans le Japon des années 1960, celui des premiers succès du manga, des nuits de bouclage enfumées et de la vie nocturne de Shinjuku. Un beau récit d’apprentissage en bande dessinée, où l’on retrouve la finesse et l’élégance qui ont fait le succès du maître japonais.


Art Claire-Akiko BRISSET

À la croisée du texte et de l’image : passages cryptiques et poèmes cachés (ashide) dans le Japon classique et médiéval Paris : Collège de France, Institut des hautes études japonaises, 2009. 548p.

Les ashide, ou « écriture sous forme de roseau », sont ces petits caractères dissimulés ici et là dans les images de paysages que l’on retrouve sur les objets d’art tels que les peintures ou les laques, par exemple. Cette étude décortique ce phénomène intersémiotique d’une rare complexité dans l’art japonais classique et médiéval. L’auteur rassemble une centaine d’œuvres dont seule une partie a été déchiffrée aujourd’hui de façon certaine. L’ouvrage présente ces images en fonction de la nature des procédés cryptographiques mobilisés par les artistes et du type de relation entre texte et image qu’elle induit. Un travail de longue haleine pour éclairer ce mélange étonnant entre l’art pictural et l’écriture.

singulière au sein de la nouvelle danse française, mais dont peu d’enregistrements subsistent. Le livre retrace le parcours artistique de Yano, depuis ses débuts à Tôkyô et son arrivée à Paris, jusqu’à sa disparition prématurée. Avec le Mâ Danse Rituel Théâtre, compagnie qu’il fonde dans les années 1970, il élabore une œuvre originale dans laquelle se croisent différentes influences tant traditionnelles qu’avantgardistes. Au fil des chapitres, l’influence du chorégraphe sur la danse contemporaine se dessine. Superbement illustrée, cette biographie comprend également des textes et des croquis de la main de l’artiste.

Littérature TÔGE Sankichi

Poèmes de la bombe atomique Trad. par Ono Masatsugu et Claude Mouchard Paris : Éditions Laurence Teper, coll. Bruits du temps, 2008. 169p.

Religion Bernard FAURE

Bouddhisme et violence Paris : Le Cavalier Bleu, 2008. 174p.

Le bouddhisme, idéal de tolérance et de compassion devenu particulièrement populaire dans nos sociétés occidentales, n’a pourtant pas toujours été au cours de son histoire exempt de guerres ou d’autres formes de violences. Bernard Faure, professeur d’histoire des religions et grand spécialiste du bouddhisme, révèle cette part d’ombre méconnue. Balayant les différents courants, les pays et les époques, l’auteur jalonne son ouvrage de faits concrets accompagnés d’une réflexion sur l’éthique bouddhique ou sur la justification de la violence : des « moines-guerriers » aux guerres entre monastères, de la violence symbolique à l’égard des femmes à la violence envers soi-même, les exemples ne manquent pas. Le but est, non pas de donner un réquisitoire, mais de souligner les contradictions et les ambiguïtés d’une religion que l’on a tendance à considérer comme « exemplaire ».

Danse Chantal AUBRY

Yano : un artiste japonais à Paris Pantin : Centre national de la danse, 2008. 380p.

À l’aide de nombreux témoignages, l’auteur, critique de danse, dresse un portrait sensible de Yano Hideyuki (19431988), chorégraphe japonais ayant occupé une place

Tôge Sankichi était âgé de vingt-huit ans lorsque la bombe atomique a explosé à Hiroshima. Il mourut en 1953 à l’âge de trente-six ans d’une leucémie, conséquence de l’irradiation. Son recueil de poèmes composé entre 1949 et 1951 n’avait jamais été traduit en français jusqu’ici. Plus qu’un témoignage, les poèmes de ce livre condensent l’enfer, l’horreur de la destruction massive, ce que l’être humain ne peut endurer même dans ses pires cauchemars. Ces poèmes en vers libres, ont été écrits, dit Tôge, avec la honte de ne livrer de cette déflagration que quelques traces de silhouettes hagardes, écrasées ou brûlées vives. Un livre où la poésie confronte l’insoutenable d’un moment historique qui ne dura que quelques instants, mais qui laissa un profond traumatisme dans les mémoires.

Education Annie RENONCIAT, Marianne SIMON-OIKAWA (dir.)

La pédagogie par l’image en France et au Japon Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2009. 152p.

Les essais de cet ouvrage présentent et confrontent les principaux supports français et japonais d’enseignement par l’image, leurs formes et leurs usages. Depuis la Renaissance en France et l’époque Edo au Japon (1600-1868), l’image est reconnue comme un vecteur d’information efficace à destination des enfants. Simple illustration, intermède récréatif, support commode de mémorisation ou encore jeu graphique, elle véhicule connaissances, idées ou normes. Ce livre invite également à une réflexion plus fondamentale sur le statut de l’image au sein des deux cultures : alors que, dans la culture alphabétique, texte et image sont considérés a priori comme des médias hétérogènes, ceux-ci ne sont pas perçus comme des termes étrangers ou concurrents dans le monde de l’idéogramme.

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Zoom sur... L’espace

Bibliothèque

Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 Fax 01 44 37 95 58 www.mcjp.asso.fr

audiovisuel

Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

L’espace audiovisuel offre aux lecteurs un choix de plus de 300 films, ainsi qu’environ 1 200 documentaires en anglais, français ou japonais, couvrant un large éventail de sujets. Si les documentaires en japonais semblent d’emblée peu accessibles à ceux qui ne maîtrisent pas la langue, certains méritent cependant l’intérêt d’un public non japonisant. En particulier, deux séries sur l’artisanat :

Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés Du 24 décembre 2009 au lundi 4 janvier 2010

La première, La collection complète des arts traditionnels japonais, contient 75 documentaires de 30 minutes répartis en 6 domaines : le travail du bois, l’orfèvrerie, la céramique, le textile, la laque et le papier. La deuxième, Travail manuel, techniques et esprit de tradition est une série de 13 documentaires de 25 minutes, chacun consacré à un métier artisanal typique d’une région ou qui s’inscrit dans une tradition. Les sujets sont aussi divers que la fabrication des lanternes en pierre, l’art du furoshiki (tissu d’emballage), la fabrication des fûrin (clochettes à vent), etc. Ces séries montrent avec précision toutes les étapes de fabrication et constituent un complément visuel très utile aux ouvrages de la bibliothèque pour ceux qui s’intéressent à ces sujets. Tous les mois, l’espace audiovisuel reçoit un nouveau DVD de la série Japan Video Topics, réalisée pour le compte du ministère des Affaires étrangères japonais. Chaque DVD présente 4 petits reportages de 5 à 10 minutes sur des sujets d’actualité extrêmement variés allant du banal à l’insolite : on y découvre le rituel qui existe autour du plus gros feu d’artifice du monde, ou bien la présentation d’une région... En dehors de l’aspect divertissant ou informatif, ces DVD offrent l’avantage de pouvoir être visionnés en plusieurs langues. Sur les 500 CD de musique japonaise, on compte autour de 180 CD de musique pop japonaise, dont certains noms incontournables sont récemment devenus populaires sous nos climats. Mais le fonds est aussi riche en musiques traditionnelles de tous genres : chants de matsuri (fêtes traditionnelles), de monastères, instruments à vent, percussions ou cordes nous emportant à travers les différents âges et régions du Japon. Le rayon de musique classique et de musique jazz contient les enregistrements des principaux interprètes, chefs d’orchestre ou compositeurs nippons qui sont nombreux à s’être distingués dans leur domaine. Le fonds recèle aussi quelques musiques de films, un répertoire de enka (mélodies sentimentales populaires), et une collection d’œuvres littéraires lues dans leur version originale. Enfin, l’espace audiovisuel est aussi le passage obligé de ceux qui veulent s’initier à la langue japonaise ou se perfectionner. Les outils audiovisuels de méthodes reconnues comme celle de la BBC ou de la NHK les y attendent, de même que les annales du Japanese Proficiency Test pour s’entraîner avant l’examen, ou encore, plus exotique, une méthode de la langue aïnoue et de la langue d’Okinawa.

Directeur de la publication

Masateru Nakagawa Rédaction

Chisato Sugita Pascale Takahashi Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette

La Graphisterie Impression

Imprimerie Moutot

C. C.

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Dépôt légal : 3e trimestre 2009 ISSN 1291-2441


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