Lettre N°14

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ISSN 1291-2441

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A LETTRE LETTRE DE DE LA LA A BIBLIOTHÈQUE IBLIOTHÈQUE N° N° 14 14 -- Automne Automne 2003 2003 Maison de la culture du Japon à Paris

Courtisanes du Japon ancien Jean-Noël Robert Directeur d’Etude à l’EPHE – Ve section

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e que l’on croit savoir du Japon ancien, les images les plus répandues en Occident comme au Japon même, reflètent en réalité la plupart du temps l’époque d’Edo, l’âge précédant immédiatement la vague de modernisation, dont le souvenir a persisté assez longtemps dans la littérature de Meiji, voire au-delà, pour s’imprimer durablement dans l’imaginaire commun, entretenu qu’il était par le cinéma et les feuilletons historiques télévisés. L’extraordinaire vogue que connaît cette période depuis les années 90 n’a fait qu’enraciner plus profondément ces représentations à tous les niveaux de la culture japonaise et a confirmé l’Occident dans l’intérêt ambigu qu’il porte depuis près d’un siècle et demi au phénomène des geisha, objet de nombre d’études, d’essais et de romans tout récents, américains et européens, qui vont du meilleur au pire. Le livre de Jacqueline Pigeot Femmes galantes, femmes artistes dans le Japon ancien XI-XIIIe siècle (Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2003) vient enfin donner une perspective historique permettant de réviser ces images qui sont souvent des clichés, mais aussi de mieux comprendre l’origine des courants qui aboutiront à « l’âge d’or» des Tokugawa. L’auteur, l’un des plus fins connaisseurs non-japonais de la littérature médiévale japonaise, s’est lancé dans l’entreprise ardue de présenter et d’analyser l’ensemble des sources dont nous disposions sur l’origine et l’essor des courtisanes, de la fin de l’époque de Heian à l’époque de Kamakura. On y découvre un milieu fort différent des quartiers de

plaisirs de l’âge d’Edo, des communautés de femmes jouissant d’une étonnante liberté, à la fois en marge de la société et au cœur de la vie aristocratique, intellectuelle et artistique. On est surpris de découvrir qu’en un âge où les valeurs de la morale confucianiste n’ont pas

encore imposé le confinement des femmes de plaisir en des quartiers réservés, les courtisanes ne sont pas l’objet de l’opprobre bien-pensante, mais sont souvent considérées comme des partenaires au moins intellectuellement égales à leurs clients et patrons. Cependant, Jacqueline Pigeot se garde de céder à une vision idéale de la courtisane japonaise, elle nous prévient qu’il existe très certainement une classe bien plus misérable de prostituées, mais nous n’en connaissons pratiquement rien ; en philologue accomplie, elle ne peut travailler que sur les matériaux dont elle dispose. Cela ne l’empêche nullement de mener une réflexion éclairante sur

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le lien qu’il y avait entre la relative valorisation des courtisanes à l’époque médiévale et la sensibilité bouddhique. Les moines japonais voyaient volontiers dans ces femmes des consœurs dont la vie était à l’image même de l’inconstance de l’humaine condition; leur vocation à soulager les affres des hommes en proie au désir en font presque les égales des bodhisattva, ces sauveurs opérant dans le monde et le romancier du XVIIe siècle Ihara Saikaku reprendra ce thème dans une scène célèbre. On n’en finirait pas d’approfondir ces conceptions au long de l’histoire japonaise et l’on trouvera dans ce livre de Jacqueline Pigeot des pages aussi subtiles qu’érudites sur ce sujet, qui invitent à poursuivre ses recherches. Il est par exemple curieux de remarquer que l’une des fleurs les plus chantées de la poésie japonaise classique, la « patrinia » (ominaeshi), s’écrit avec des caractères chinois signifiant littéralement « fleur de courtisane»; ce sens de «courtisane », sans doute tardif, n’existe qu’en japonais pour ces caractères, qui désignent simplement en chinois la « jolie fille ». Or la patrinia est aussi métaphore de la femme en poésie, et son emploi dans la poésie japonaise à thème bouddhique illustre de façon remarquable les idées de l’auteur. Ajoutons que la lecture de ce livre est un pur plaisir, en raison de la limpidité du style, exempt du ton vindicatif qui est souvent de mise lorque l’on aborde un tel sujet, mais aussi en raison des comparaisons esquissées, toujours légèrement, avec les parallèles européens.

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REGARDS SUR LE FONDS SOCIÉTÉ - LUSSON, Pierre, PEREC, Georges et ROUBAUD, Jacques Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go. Paris : Christian Bourgois, 2003. 146p. Comme son titre l’indique, cette réédition d’un ouvrage paru en 1969 invite à découvrir le « subtil art » qu’est le go. L’invitation en question, cependant, est elle-même subtile. Bien sûr, on y apprend à jouer au go. Mais une large place est faite à la réflexion, notamment à travers l’humour. Oulipiens tous les trois, les auteurs n’en manquaient pas en effet, eux qui écrivaient : « Il n’existe qu’une seule activité à laquelle se puisse raisonnablement comparer le Go. On aura compris que c’est l’écriture». - LEHENY, David The Rules of Play – National Identity and the Shaping of Japanese Leisure. Ithaca, New York : Cornell University Press, 2003. 188p. Depuis l’ère Meiji, l’Etat japonais s’est toujours intéressé de très près au temps libre de ses sujets-citoyens. Par le biais d’initiatives de promotion du tourisme, d’aides au financement des parcs à thèmes etc. les gouvernements successifs ont tenté de persuader les Japonais d’adopter le mode occidental de loisirs, volonté s’inscrivant dans le cadre de la modernisation du pays. Dans cet ouvrage, l’auteur retrace la politique des loisirs depuis 1868 et révèle l’influence des normes internationales sur la construction de l’identité nationale japonaise.

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RELATIONS FRANCO-JAPONAISES - FERRIER, Michaël (dir.) La tentation de la France, la tentation du Japon – Regards croisés. Arles : Philippe Picquier, 2003. 260p. Cet ouvrage collectif reprend dans son titre le thème d’un colloque organisé à la Maison franco-japonaise de Tôkyô en mars 2001. Les intervenants, écrivains ou professeurs pour la plupart, analysent l’histoire des relations littéraires franco-japonaises depuis l’ère Meiji et montrent comment les images de la France et du Japon nourrissent aujourd’hui encore les écrivains des deux pays. Le titre de ce colloque s’inspire de l’essai de Watanabe Kazutami Furansu no yûwaku (La Tentation de la France) paru aux éditions Iwanami en 1995 et qui analyse sur une période d’environ un siècle les itinéraires d’écrivains japonais fascinés par la France.

ART - POLLARD, Clare Master potter of Meiji Japan – Makuzu Kôzan (1842-1916). Oxford : Oxford University Press, 2002. 173p. Première étude complète dans une langue européenne de la vie et des travaux de Kôzan, potier de l’ère Meiji souvent décrit au Japon et à l’étranger comme le plus grand céramiste de son époque. Cette monographie présente les différents styles et techniques auxquels s’est essayé l’artiste avec brio au cours de sa vie. Elle retrace également, grâce à la description et à l’analyse détaillée de certaines de ses créations, l’évolution artistique et les progrès techniques accomplis par Kôzan et ceux qui lui ont succédé entre 1860 et 1940, marquant ainsi l’histoire de la céramique japonaise.

ÉCONOMIE - AVELINE, Natacha La ville et le rail au Japon – L’expansion des groupes ferroviaires privés à Tôkyô et Osaka. Paris : CNRS Editions, 2003. 238p. Le rail est omniprésent au Japon et certaines gares urbaines sont fréquentées quotidiennement par des millions de voyageurs. Très tôt, les groupes ferroviaires ont fourni aux voyageurs quantité de services, transformant parfois les gares en véritables pôles urbains, et opéré une diversification impressionnante de leurs activités : distribution, immobilier, sport, services financiers, etc. Chercheur en sciences urbaines, l’auteur retrace l’évolution continue de ces conglomérats, rouages majeurs de la société et de l’économie japonaises.

CINÉMA - Friends of Silent Films Association et Matsuda Film Productions The Benshi – Japanese Silent Film Narrators. Tokyo : Urban Connections, 2001. 172p. Les benshi (litt. « hommes parlants »), dont le métier consistait à raconter les films au public pendant la projection, étaient des stars du cinéma muet japonais au même titre que les grandes vedettes de l’écran. Ces « narrateurs » hors du commun tiraient leur savoir-faire d’une longue tradition inspirée du théâtre. Cet ouvrage rend hommage à ces

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artistes oubliés en dressant leur portrait et en présentant, traduction à l’appui, les plus célèbres de leurs prestations. A signaler également un entretien avec Sawato Midori, un des derniers benshi luttant pour la conservation de cet art. LITTÉRATURE

sans peine et fut au faîte de sa popularité vers 1927. La bibliothèque a récemment acquis les numéros des dix années jugées les meilleures. Les autres numéros suivront. - YUMENO, Kyûsaku Dogra Magra, traduit par Patrick Honnoré. Arles : Picquier, 2003. 595p.

- KEENE, Donald Les journaux intimes dans la littérature japonaise. Paris : Institut des Hautes Etudes Japonaises, Collège de France (diffusion : De Boccard), 2003. 90p. Donald Keene, professeur à l’Université Columbia et éminent connaisseur de la littérature japonaise, décrit l’évolution historique et stylistique de l’un des genres les plus originaux de cette littérature, le journal intime (nikki). Il donne un aperçu de cette histoire en quatre étapes, de l’élaboration du genre par les dames de cour de l’époque ancienne jusqu’à la rencontre enthousiaste avec l’Etranger à la fin du XIXe siècle. Basés sur les leçons données au Collège de France en 1990, ces textes écrits sur le ton de la causerie avec un véritable talent de conteur, raviront tout amateur de littérature. - Shinseinen (Nouvel Adolescent) fukkokuban (reproduction en fac-similés), Shôwa 2-12 (1927-37), 81 vols. Tokyo : Hon no tomosha, 1990-1995. Cette revue mensuelle, lancée par les Editions Hakubunkan en 1920, a joué un rôle important dans l’avènement du roman de détective japonais, avec notamment la publication en 1923 de Nisen dôka (La pièce de deux sous), roman d’Edogawa Rampo qui remporta un vif succès. Sous l’impulsion d’un nouveau rédacteur en chef, Yokomizo Seishi, la revue entreprit de présenter des auteurs étrangers comme Agatha Christie et organisa également des concours d’écriture pour jeunes amateurs auxquels participèrent des romanciers comme Yumeno Kyûsaku, Unno Jûza ou encore Hisao Jûran. Animée d’un esprit neuf tourné vers le fantastique, la revue s’imposa

règne de l’empereur Gosuzaku (1036-1045). Ce premier tome d’une traduction qui doit en compter deux comble donc opportunément cette lacune. Il décrit, entre autres faits et de manière très vivante, les relations de pouvoir entre l’empereur et le grand chancelier, source de débats historiographiques importants qui se poursuivent encore de nos jours. - NAITO, Akira Edo, the city that became Tokyo – An illustrated history. Tokyo, London, New York : Kodansha International, 2002. 211p.

Ce roman colossal est l’œuvre majeure de Yumeno Kyûsaku, auteur atypique de la fameuse revue Shinseinen. Le personnage principal de l’histoire se réveille amnésique dans un asile psychiatrique: point de départ d’une véritable intrigue policière, le récit s’enrichit au fur et mesure de concepts psychanalytiques et de doctrine bouddhique. Se jouant des règles du genre, déconstruisant les notions de temps et d’espace narratif, Dogra Magra offre une réflexion vertigineuse sur la folie humaine. Paru sans grand écho en 1935, ce livre sera redécouvert en 1962 par le philosophe Tsurumi Shunsuke qui compara Yumeno à Poe et à Kafka.

Cet ouvrage d’un spécialiste de l’histoire de l’architecture se présente comme une collection de textes courts, remarquablement servis par de pittoresques dessins en noir et blanc. Outre les étapes du développement d’Edo, de nombreux sujets y sont abordés : les genres artistiques de l’époque (kabuki, estampes...), l’organisation de la société (quartiers spécifiques, brigades du feu...) ou encore la vie quotidienne avec les échoppes de barbiers par exemple. Nous découvrons ainsi comment le village d’Edo qui abrita le siège du gouvernement shogunal à partir de 1603 se développa au cours des trois siècles suivants, jusqu’à donner naissance à la mégalopole Tôkyô mais aussi à une culture d’origine populaire d’une immense richesse.

HISTOIRE - Notes journalières de Fujiwara no Sukefusa (Shunki). Tome premier (1038-1040) traduit par Francine Hérail. Paris : Droz, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2001. 751p. Parmi les sources les plus importantes de l’histoire du Japon des XIe et XIIe siècles, figurent les notes journalières (nikki) de hauts dignitaires et de fonctionnaires. Or rares sont les documents sur le

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- BABICZ, Lionel Le Japon face à la Corée à l’époque Meiji. Paris : Maisonneuve et Larose, 2002. 271p. Cet ouvrage présente l’évolution des perceptions japonaises

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Heures d’ouverture

Du mardi au samedi 13h00-18h00 Nocturne le jeudi jusqu’à 20h00 Fermeture

Les dimanches, lundis et jours fériés Du 23 déc. 2003 au 3 janv. 2004 inclus

de la Corée à l’époque Meiji, depuis la Restauration de 1868 jusqu’au déclenchement de la guerre sino-japonaise de 1894-1895. L’analyse détaillée de sources diverses – articles de presse, docu-

ments officiels, œuvres littéraires – montre comment ces perceptions s’inscrivent dans un cadre stratégique, civilisationnel ou racial. Et comment, parfois, elles prennent aussi la forme de théories écono-

miques, historiques ou linguistiques. L’auteur, spécialiste de l’histoire du Japon moderne, est également un fin connaisseur de la Corée.

BIBLIOTHÈQUES D’ICI ET D’AILLEURS Bibliothèque du musée Guimet : le fonds japonais Fondé en tant que musée de l’histoire des religions en 1889, le musée Guimet est devenu progressivement un musée d’arts asiatiques à partir de 1920. La bibliothèque, instrument de recherche essentiel, a vu ses collections suivre l’évolution de l’institution. Aujourd’hui spécialisée dans les arts anciens et l’archéologie de l’Asie orientale et extrême-orientale, elle recèle plus de 100 000 volumes dans des langues européennes et asiatiques, parmi lesquels 9 à 10 000 en langue japonaise. La bibliothèque gère également un important fonds de périodiques, parmi lesquels environ 340 titres japonais (133 vivants et 207 morts). Ces périodiques ont fait l’objet d’un dépouillement systématique depuis 1937-1938 jusqu’aux années 1980. L’existence de la collection presque complète, depuis sa création en 1889, du grand périodique d’art japonais Kokka, « Fleurs du pays », est un bel exemple de ce que peut être une bibliothèque patrimoniale.

Si la majorité des collections couvrent les XIXe et XXe siècles, certains ouvrages sont plus anciens. Ainsi, la section japonaise possède dans une édition de 1626, Azuma-kagami, chronique en 52 volumes du shôgunat de Kamakura, document historique de premier ordre pour l’étude de l’époque en question. L’accès à la bibliothèque est gratuit et la salle de lecture peut accueillir 60 lecteurs sur deux étages. Le fonds est répertorié dans un imposant fichier papier, classé par auteur et matière. La consultation se fait sur place uniquement et les ouvrages sont apportés sur demande en échange d’une pièce d’identité. Exception faite des usuels en accès libre, l’ensemble du fonds est conservé dans deux magasins en sous-sol. Il peut être consulté dans son intégralité, les manuscrits précieux doivent néanmoins faire l’objet d’une demande spéciale. Il n’existe pas encore de catalogue en ligne proprement dit.

Une partie du fonds des périodiques est néanmoins répertoriée dans le catalogue du Système universitaire de documentation (www.sudoc.abes.fr). Les nouvelles acquisitions (depuis 2001) sont quant à elles, enregistrées dans le catalogue collectif des bibliothèques des musées nationaux (www.culture.fr/documentation/ doclvr/pres.htm). Un détour par la rotonde du 1er étage permet de découvrir la bibliothèque d’origine, devenue aujourd’hui une « bibliothèque morte », splendide lieu d’exposition dédié aux arts graphiques. Bibliothèque du Musée national des Arts Asiatiques-Guimet 6, place d’Iéna - 75016 Paris Tél : 01 56 52 53 01 Ouverture le lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 10h00 à 17h00. A partir de novembre 2003, ouverture prévue le samedi également.

BLOC-NOTES • La conférence annuelle de l’EAJRS (European Association of Japanese Resource Specialists) s’est tenue du 24 au 27 septembre 2003 au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes sur le thème : « Japan in Images ». Une quarantaine de personnes y ont participé (dont un membre de notre bibliothèque) et une quinzaine d’interventions se sont succédé au fil de ces quatre journées.

MAISON DE LA CULTURE DU JAPON À PARIS BIBLIOTHÈQUE 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Maison

Tél : 01.44.37.95.50 - Fax : 01.44.37.95.58 - internet : http ://www.mcjp.asso.fr

de la Culture du Japon à Paris

Directeur de la publication : Hisanori ISOMURA Rédaction : Etsuko MORIMURA - Florence PASCHAL - Pascale TAKAHASHI - Racha ABAZIED Kazuo LEE - Christophe SABOURET Composition : Texto! Roubaix - Impression : Imprimerie Artésienne Liévin Dépôt légal : 4e trimestre 2003

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