L'ermitage de Chateaubriand

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L’ERMITAGE DE CHATEAUBRIAND GUIDE HISTORIQUE

« Un lieu retiré d’où l’on puisse voir s’envoler les années... »

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« La Vallée-aux-Loups, de toutes les choses qui me sont échappées, écrit Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, est la seule que je regrette ; il est écrit que rien ne me restera. » Le présent guide retrace l’histoire de ce lieu enchanteur, « étroit espace » qu’acheta l’auteur en 1807, mais dont la notoriété parvint pourtant jusqu’à la Vienne de Metternich. Le séjour de plus de dix ans qu’y fit Chateaubriand l’a marqué d’une empreinte que n’ont pas effacée, bien au contraire, les propriétaires ultérieurs du domaine. Le Conseil général des Hauts-de-Seine, qui l’ouvrit au public en 1987, pouvait-il vouloir autre chose qu’y perpétuer, pardelà les âges, la mémoire de celui dont l’œuvre demeure un sujet d’études, certes, mais avant tout la source de bonheurs de lecture que rééditions et traductions font découvrir de plus en plus largement ? Celui, également, dont le parc mémoriel et littéraire dessiné par ses soins abrite aujourd’hui encore des arbres choisis et plantés par lui ?

Préface

Cette volonté de transmission ne pouvait donc se concevoir que vivante. Non pas comme un hommage à une figure statufiée dans un temps révolu, mais inscrite au contraire dans le mouvement profond d’une œuvre et d’une carrière aux facettes multiples. Notre volonté, hier déjà, mais aujourd’hui davantage encore, est de faire de la Vallée-aux-Loups un lieu d’échanges et de rencontres, ouvert à des publics divers, enté sur cette Europe qui parlait alors français, dont les plus grands esprits lisaient et commentaient l’œuvre de Chateaubriand, une Europe dont Paris fut le centre brillant. L’histoire de la Vallée-aux-Loups, en outre, ne s’est pas interrompue après le départ de Chateaubriand en 1817 : dès le XIXe siècle, mais particulièrement à l’époque du docteur Henry Le Savoureux, elle a connu une vie littéraire, artistique et mondaine intense, dont on rencontrera dans les pages qui suivent quelques-unes des grandes figures. Cet héritage redouble celui de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe : lieu de mémoire, cette maison d’écrivain est également appelée à être un lieu de création que je souhaite inscrit dans le présent. Patrick Devedjian Ministre auprès du Premier ministre, chargé de la mise en œuvre du plan de relance Président du Conseil général des Hauts-de-Seine

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Chateaubriand : esquisse d’une vie _ Chateaubriand par Delphine de Custine peinture - vers 1804 Coll. particulière « Je me suis rencontré entre les deux siècles comme au confluent de deux fleuves ; j’ai plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où j’étais né, et nageant avec espérance vers la rive inconnue où vont aborder les générations nouvelles. » (Mémoires d’outre-tombe, Préface testamentaire).

Saint-Malo, rue des Juifs, le 4 septembre 1768, alors qu’une tempête faisait rage : François-René de Chateaubriand se vit « infliger la vie ». Il était le dernier né de dix enfants, dont six survécurent. Son père, armateur, consacra la fin de sa vie à relever, par l’acquisition du château de Combourg, un nom qui avait été illustré lors de la bataille de la Massoure (1250). C’est dans les bois du domaine familial que Chateaubriand naquit à la poésie, à l’invitation de sa sœur Lucile. Plutôt favorable aux patriotes modérés, il fut écœuré par les premières violences de la Révolution.

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Avec l’appui du beau-père de son frère aîné JeanBaptiste, Malesherbes, il entreprit en 1791 un voyage en Amérique, dont l’un des motifs fut la recherche de couleurs pour une épopée de l’homme sauvage dans laquelle il s’était engagé. Dans les forêts du NouveauMonde lui apparut une « Muse inconnue » qui marqua son œuvre d’une empreinte indélébile, lui « dictant » un style où le mot lui-même devenait matière sonore. Revenu en France à la nouvelle de l’arrestation du roi à Varennes, il rejoignit en 1792 l’armée des Princes. Blessé peu après, il se traîna jusqu’en Angleterre, pour un exil de sept années, durant lequel il apprit l’exécution de son frère, de sa belle-sœur et de Malesherbes (1794), et connut la misère. Il y publia en 1797 un ouvrage ambitieux, l’Essai sur les Révolutions, qui débute par une double question : « Qui suis-je, et que viens-je apporter de nouveau aux hommes ? ». Dédié à tous les partis, l’Essai n’en contenta vraiment aucun et ne connut qu’une diffusion assez confidentielle, mais il ouvrait une réflexion sur le temps et l’histoire qui constitue un des traits majeurs de l’ensemble de l’œuvre de Chateaubriand. Lorsqu’il regagna, en 1800, la France (sous un nom d’emprunt, avant d’obtenir sa radiation de la liste des émigrés), il avait entrepris le Génie du Christianisme, dont la parution en 1802 (avec l’épisode de René) vint à point nommé concourir à la célébration du Concordat. Le succès du livre, préparé par la publication, l’année précédente, d’Atala, lui ouvrit une nouvelle carrière : il fut nommé en 1803 secrétaire de légation à l’ambassade de France à Rome, mais il ne tarda pas à entrer en conflit avec le titulaire du poste, le cardinal Fesch, qui n’était autre que l’oncle de Bonaparte. Rentré en France huit mois plus tard, il retrouva sa femme, Céleste, née Buisson de La Vigne, qu’il avait quittée quelques mois après un mariage arrangé par sa famille, en 1792, à son retour d’Amérique, et guère revue depuis. L’exécution du duc d’Enghien (1804), l’éloignant de l’Empire, contribua à son retour à la littérature : il s’attacha à un roman, les Martyrs de Dioclétien. La recherche

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des couleurs pour cet ouvrage, une fois encore, fut l’un des motifs de son départ pour l’Orient, en juillet 1806 ; il parcourut alors la Grèce, se rendit à Constantinople puis à Jérusalem : moment décisif, pour un homme qu’avait longtemps enchanté la lecture de Rousseau, du dépassement de la nature pour l’histoire. Chateaubriand fit également, durant son voyage, la constatation atterrée de ce dont on ne pouvait exclure que fût menacé l’avenir de la France, le despotisme, en l’occurrence. Un article inséré le 4 juillet 1807 dans le Mercure de France, dont il était l’un des propriétaires et des rédacteurs, tira le bilan à son retour en France de cette double prise de conscience et froissa l’Empereur. Chateaubriand se retira avec sa femme à quelques lieues de Paris, à la Vallée-aux-Loups : c’était également la réalisation d’une aspiration à s’ensevelir dans une chaumière, loin du monde, exprimée à plusieurs reprises déjà. Il y acheva ce qu’il a lui-même nommé sa « carrière littéraire », en transformant le roman des Martyrs de Dioclétien en une épopée, en rédigeant le récit des Aventures du dernier Abencérage, la relation de son Itinéraire de Paris à Jérusalem, et une tragédie en vers, Moïse. C’est là également qu’il entreprit d’ériger un monument à sa patrie, en commençant ses Études historiques ; c’est là, enfin, qu’il commença son chefd’œuvre, les Mémoires de ma vie, futurs Mémoires d’outre-tombe. Napoléon ne lui tint pas une rigueur extrême de son attitude : il s’étonna de ne pas le voir couronné par les Prix décennaux, puis aurait laissé entendre qu’il lui aurait plu qu’il fût membre de l’Institut ; Chateaubriand fut ainsi élu académicien en 1811, mais il refusa courageusement de faire à son discours de réception les corrections qu’on lui suggérait et ne siégea que sous la Restauration, sans avoir jamais été reçu. Un violent pamphlet contre « Buonaparte » le rendit à la vie publique en 1814 : il mit alors sa plume au service de la première Restauration et de son mot d’ordre d’Union et d’Oubli, en débutant une longue carrière de défenseur de la Charte et d’« instituteur » du parlementarisme. Durant les Cent-Jours, il suivit Louis XVIII à Gand.

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_ Chateaubriand en costume de pair de France par Pierre-Louis Delaval huile sur toile - 1828 « Pauvre et riche, puissant et faible, heureux et misérable, homme d’action, homme de pensée, j’ai mis ma main dans le siècle, mon intelligence au désert ; l’existence effective s’est montrée à moi au milieu des illusions, de même que la terre apparaît aux matelots parmi les nuages. Si ces faits répandus sur mes songes, comme le vernis qui préserve des peintures fragiles, ne disparaissent pas, ils indiqueront le lieu par où a passé ma vie. Dans chacune de mes trois carrières je m’étais proposé un but important : voyageur, j’ai aspiré à la découverte du monde polaire ; littérateur, j’ai essayé de rétablir le culte sur ses ruines ; homme d’État, je me suis efforcé de donner aux peuples le système de la monarchie pondérée, de replacer la France à son rang en Europe, de lui rendre la force que les traités de Vienne lui avaient fait perdre ; j’ai du moins aidé à conquérir celle de nos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse. Dans l’ordre divin, religion et liberté ; dans l’ordre humain, honneur et gloire (qui sont la génération humaine de la religion et de la liberté) : voilà ce que j’ai désiré pour ma patrie. » (Mémoires d’outre-tombe, XLII, 17)

La seconde Restauration, marquée par un raidissement politique qu’illustre l’élection de la fameuse Chambre introuvable, très majoritairement ultra-royaliste, et dont Chateaubriand partagea l’orientation générale, commença par lui être favorable : il fut en l’espace de quelques mois nommé ministre d’État et créé pair de France. La dissolution de cette Chambre, en 1816, le rejeta dans l’opposition. Privé de sa pension après la saisie de sa brochure De la Monarchie selon la Charte, il dut se résoudre à vendre la Vallée-aux-Loups (1817-1818). Il avait rencontré Juliette Récamier au printemps de 1817. Ses interventions à la Chambre des pairs, ses brochures, les nombreux articles qu’il fournit au Conservateur, notamment, le révélèrent comme un politique de haut vol et un redoutable polémiste, en même temps qu’il était tenu par les « romantiques » royalistes (Hugo au premier chef) comme la figure même de la souveraineté du génie. Puissance d’opinion souvent jugée encombrante par ses « amis » politiques, il fut « éloigné » à deux reprises de France, au moment du retour des royalistes au ministère : l’ambassade de Berlin (1821), puis celle de Londres (1822), ne furent guère que des pis-aller. Chateaubriand, qui pourtant portait un soin extrême aux dépêches qu’il rédigeait, s’y ennuya. Les événements d’Espagne, où les Cortès voulurent imposer au roi Ferdinand VII une constitution inspirée de la Constitution française de 1791, lui furent l’occasion d’accéder enfin à un rôle à sa dimension : nommé ministre des Affaires étrangères, il défendit le principe de l’intervention qui rétablit en 1823 Ferdinand sur son trône après la victoire du Trocadéro. Las, ce « triomphe » ne lui fut pas compté : le 6 juin 1824, il était renvoyé du ministère « comme un voleur » – ce fut le commencement d’une virulente campagne d’opposition au ministère Villèle, menée dans le Journal des Débats. L’accession au trône de Charles X déçut assez rapidement ses ambitions et il poursuivit, en parallèle à la publication de ses Œuvres complètes à partir de 1826, sa campagne contre le ministère jusqu’à la chute de Villèle, en 1827. Il ne fut pas pour autant rétabli dans le ministère qu’il souhaitait, mais éloigné une fois de plus, à Rome, comme ambassadeur cette fois (1828). La nouvelle de la constitution du ministère Polignac le conduisit à démissionner.

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Durant la révolution de Juillet, il ajoutait aux cris des étudiants qui le portaient en triomphe, celui de « Vive le Roi ». Il fut l’un de ceux, peu nombreux, qui refusèrent de prêter serment à Louis-Philippe : il s’en expliqua magnifiquement dans son ultime discours prononcé devant les pairs, accablant au passage Charles X de sa fidélité, avant de dresser contre le régime de Louis-Philippe une flamboyante opposition, entamée dès 1831 par deux brochures virulentes et qui ne se démentit pas, lui valant même quelques jours de détention en 1832. Il revit le vieux roi en exil en 1833, en Bohême, où il se rendit en une vaine ambassade à la demande de la duchesse de Berry, mère du futur comte de Chambord (« Madame, votre fils est mon roi »), prince auprès duquel il se rendit en 1843 (à Londres) et en 1845 (à Venise). Aux Études historiques, publiées hâtivement en 1831, il ajouta un Essai sur la littérature anglaise et une traduction du Paradis perdu de Milton (1836) ; en 1838, avec le Congrès de Vérone, il revint longuement sur son « René en politique », « sa » guerre d’Espagne de 1823.

Chateaubriand ` par Antoine Étex huile sur toile - 1847 « En traçant ces derniers mots, ce 1er novembre 1841, ma fenêtre qui donne à l’ouest sur les jardins des Missions étrangères, est ouverte : il est six heures du matin ; j’aperçois la lune pâle et élargie ; elle s’abaisse sur la flèche des Invalides à peine révélée par le premier rayon doré de l’Orient ; on dirait que l’ancien monde finit, et que le nouveau commence. Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse ; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité. » (Mémoires d’outre-tombe, XLII, 18)

1830 avait marqué la fin de sa « carrière politique », ainsi que la révision du projet des Mémoires d’outre-tombe – remaniés jusqu’en 1847 –, qui ne parurent qu’après sa mort. Enveloppant tous les sens qu’avait recouverts traditionnellement le genre des mémoires, élevant cette synthèse au rang d’une épopée de son temps dont la figure centrale, homme des dualités et des confins, nage d’une rive à l’autre (mais à lui inconnue, retirée au-delà de tout horizon visible) de l’histoire, le chef-d’œuvre enregistre in fine le divorce, au moins momentané, de l’histoire et du temps : « je ne suis plus que le temps », écrivit-il en 1844 dans l’ultime ouvrage paru de son vivant, la Vie de Rancé. Il s’éteignit à Paris le 4 juillet 1848, un an après son épouse, et fut enterré selon son vœu, seul, au large de SaintMalo, sur l’îlot du Grand-Bé. Mme Récamier mourut le 11 mai 1849 ; les Mémoires d’outre-tombe avaient commencé de paraître en feuilleton dans La Presse le 21 octobre 1848.

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La Vallée-aux-Loups, de Colbert à Chateaubriand Sceaux, Aulnay et Châtenay : destins croisés C’est sur la seigneurie d’Aulnay que se situe au XVIIe siècle le hameau d’Aulnay, incluant le lieu dit de la Vallée-auxLoups, qui paraît avoir tiré son nom de la présence de loups. Ledit hameau dépend alors de Sceaux pour le temporel, et de Châtenay – dont l’église est placée sous l’invocation de saint Germain l’Auxerrois – pour le spirituel. La seigneurie d’Aulnay est acquise, le 16 juillet 1683, auprès de l’Abbaye royale de Sainte-Geneviève de Paris, par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), qui possède déjà la seigneurie de Sceaux, achetée le 11 avril 1670, où il avait transformé et agrandi le château édifié en 1597. Situées à un niveau plus élevé que Sceaux, les terres d’Aulnay devaient permettre à Colbert d’alimenter, par captage des eaux, le parc de son château.

Jean-Baptiste Colbert par Nanteuil, d’après Champaigne - gravure

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Après la mort de Colbert, son fils Jean-Baptiste (16511690), marquis de Seignelay, hérite de tous ses biens. Il achète en outre, le 20 janvier 1687, à l’Église cathédrale de Paris, la seigneurie de Châtenay, qui borde au sud la seigneurie d’Aulnay. Neuf ans après le décès du marquis de Seignelay (3 novembre 1690), la « terre, seigneurie et baronnie de Sceaux [...] plus les terres et seigneuries de Châtillon, du PlessisPicquet, de Châtenay et d’Aulnay, [...] consistant aussi en fermes, bâtimens, terres labourables, prez, vignes, cens et rentes, et droits de justice [...] et généralement toutes les autres appartenances et dépendances desdites terres et seigneuries » (acte du 20 décembre 1699), sont vendues à Mgr Louis-Auguste de Bourbon, souverain de Dombes, duc du Maine et d’Aumale, comte d’Eu, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan.

Veüe du chateau de seaux prise dans l’Eloignement en Face du côté de chatenay par J. Rigaud - lithographie

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Trois jours après l’avoir achetée, le duc du Maine donne à Nicolas de Malézieu (1650-1727), qui fut son précepteur, la seigneurie de Châtenay. Malézieu, chancelier des Dombes, membre de l’Académie des Sciences (1699) et de l’Académie française (1701), ami de Bossuet, y reçoit le duc et la duchesse du Maine avant leur installation à Sceaux et donne de somptueuses fêtes en leur honneur. Jouissant d’une perspective sur Sceaux et Berny, les convives goûtent les tables abondantes, les promenades dans les bois et prairies environnantes, les parties de chasse, les conversations et jeux du soir, ainsi que les spectacles variés (feux d’artifice, opéra, comédie-ballet, mascarades...). Après la mort du duc (1736) et de la duchesse du Maine (1753), c’est leur second enfant, Louis-Auguste de Bourbon, prince de Dombes (1700-1755), qui hérite de leurs biens, puis son frère Louis-Charles (1701-1775), comte d’Eu, lieutenant général des armées du roi. À la mort de ce dernier, les propriétés passent à son cousin, Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793), qui possédait déjà de nombreux domaines et ne fit que de courts séjours à Sceaux. Son souvenir perdura néanmoins dans les communes avoisinantes du fait des abondants secours qu’il donna aux populations. Détruit vers 1803, le château de Sceaux fut reconstruit au XIXe siècle par le duc de Trévise ; il abrite aujourd’hui le musée de l’Île-de-France.

Retour à la Vallée-aux-Loups

Pavillon du parc de ` Mr de Châteaubriand (Vallée aux Loups) par Benard, d’après Villain - lithographie « [...] au fait je ne sais trop ce qui me plaît et ce que je veux. J’ai cependant un grand plaisir, c’est de m’enfermer dans la vieille France, d’oublier les nouvelles excepté vous et quelques personnes rares ; tant que je bouquine, cela va bien, mais quand je cesse de lire et de griffonner, malheur à moi. [...] » (lettre de Chateaubriand à Mme de Duras, 26 juin 1813)

C’est à partir de 1752 que commence à se distinguer nettement la Vallée-aux-Loups de l’ensemble dont elle faisait partie jusque-là. Un an avant sa mort, la duchesse du Maine se dessaisit par bail à cens et rente de quelques terrains situés à la Vallée-aux-Loups au profit de Jean Benoît, son fermier laboureur : celui-ci avait à charge d’achever la construction d’un mur délimitant sa propriété, mais ne put tenir cet engagement. Le 20 juillet 1776, la Vallée-aux-Loups est vendue aux enchères au sieur Basly, écuyer, conseiller du roi, avocat au Parlement et au Conseil, qui obtient de lever l’obligation faite au précédent propriétaire, et rachète la rente due au duc de Penthièvre. Le hameau d’Aulnay compte alors seulement six foyers. En 1782, Basly donne en dot la propriété à sa fille, qui la vend un an plus tard à André-Arnoult Aclocque (1748-1802).

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Le premier bâtisseur de la Vallée-aux-Loups Le 21 août 1783, précisément, ce brasseur parisien et soldat de la garde nationale achète pour 7 500 livres un terrain planté de châtaigniers dans ce lieu-dit, afin de se rapprocher de son oncle Jean-Baptiste Aclocque qui habite alors Châtenay. Il s’agit d’un clos sans construction ceint d’un mur de pierre, où une serre en maçonnerie avait été antérieurement démolie. Le nouveau propriétaire fait édifier en bordure de l’ancien chemin de l’Orme Mort une petite maison constituée d’un rezde-chaussée, d’un étage et d’un grenier, avec une cour dotée d’une terrasse. Devant sa résidence, Aclocque plante un potager et un verger, et élève plusieurs dépendances : une bassecour, une remise, une écurie, une étable, deux jardins, un enclos, ainsi qu’un pavillon. En mêlant diverses sources, il crée un ru, s’écoulant le long du verger. Autour du pavillon en brique et pierre qu’il édifie au fond du parc – aujourd’hui dénommé Tour Velléda, du nom d’un personnage des Martyrs – s’est nouée une légende, dont Mme de Chateaubriand s’est fait l’écho dans ses Cahiers : elle aurait été édifiée en quelques jours pour accueillir Marie-Antoinette. Cette légende a trouvé son origine dans le royalisme d’Aclocque qui, le 20 juin 1792, alors commandant d’une légion de la garde

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nationale, avait sauvé Louis XVI lors de l’invasion des Tuileries en convainquant le Roi de se présenter devant la foule en arborant le bonnet rouge et la cocarde tricolore, et en buvant à la santé de la Nation. Après la prise des Tuileries et la chute de la royauté (10 août 1792), Aclocque est obligé de s’enfuir à Sens, et fait vendre sa propriété par son épouse pour la somme de 35 000 livres (acte de vente du 10 février 1793). Neuf propriétaires se succèdent ensuite, préoccupés semble-t-il avant tout de spéculation, sans apporter d’altération majeure à la propriété, qui est ainsi acquise par Chateaubriand en 1807 à peu près dans l’état où elle se trouvait en 1793.

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De retour à Paris, en 1800, le brasseur emménage à SaintAndré-des-Arts et dirige une entreprise de moutarde et de vinaigre appartenant à Maille. Les produits sont exportés dans toute l’Europe. Il meurt le 5 août 1802. Son fils aîné, Gabriel Aclocque, est nommé baron en 1814. Il achète en 1822, à Aulnay, une propriété séparée seulement d’une muraille de celle que son père possédait jadis. Il s’agit du domaine qui appartient actuellement à la famille Thévenin, rue Chateaubriand, en face de l’arboretum.

Intérieur de la Tour Velléda b

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Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups Dès 1803, Chateaubriand, las de « l’admiration stérile » qu’on lui porte, exprime le « vœu sincère et permanent de [s]on cœur » de goûter « au bonheur de la retraite et du repos », aspirant à « une chaumière et un coin de terre à labourer de [s]es mains » : il le réalise après la publication dans le Mercure de France, à son retour d’Orient, d’un article dans lequel, nouveau Tacite, il comparaît Napoléon, qui n’apprécia guère, à Néron et mettait en garde certains de ses amis royalistes contre la tentation d’un gouvernement absolu dont le spectacle du despotisme ottoman l’avait « bien guéri ». Le 22 août 1807, François-René de Chateaubriand et son épouse Céleste achètent ainsi la Vallée-aux-Loups,

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au hameau d’Aulnay, paroisse de Châtenay, sans que l’on sache ce qui les détermina à choisir ce lieu en particulier pour s’y installer. La transaction est réalisée pour un montant de 20 000 francs – somme couverte par un prêt hypothécaire consenti le 31 octobre 1807 par Mme Thiroux-Monregard, veuve Choiseul-Beaupré – devant Me Denis, notaire royal à Paris. À cette somme s’ajoutent 10 000 francs de mobilier et 3 000 francs de frais. L’acte de vente décrit succinctement une maison « consistant au rez-de-chaussée en une cuisine, salle à manger, salon attenant, chambre de travail avec bûcher derrière, au premier étage en quatre chambres avec des cabinets ; deux grands greniers et un fruitier au-dessus dudit premier étage ; au dessous dudit bâtiment quatre caves, cour, terrasse, basse cour, remise, écurie, étable, vacherie, laiterie, grange, poulailler, douze lapinières, colombier, volailler avec des faisans, une vache laitière, une bourrique avec une charrette, un jardin potager avec sa maçonnerie bien entourée, puits dans ledit jardin, prairie, vigne, bois enveloppant un joli pavillon, canal empoissonné, bordé d’arbres des deux côtés, bois couvert de tilleul ».

a Murs du parc Chateaubriand à Aulnay par Jean-Jacques Champin sépia « Je ne peux, ma chère, te donner des nouvelles de l’insurgé. [...] J’ai su par des étrangers qu’il était fort tranquille et qu’il avait fait l’acquisition d’une jolie maison de campagne, avec de beaux jardins [...]. Je souhaite qu’il y soit heureux [...]. » (lettre de Marie-Anne de Marigny, sœur de l’auteur, à sa sœur Bénigne de Chateaubourg, 23 septembre 1807)

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Quant au parc, il représente « sept hectares et demi (15 arpents) de terrain environ » ; c’est Aclocque qui aurait fait rectifier cette superficie, évaluée à quatorze arpents au moment de la vente par la duchesse du Maine. D’octobre 1809 et jusqu’au 1er avril 1817 – c’est-à-dire trois jours avant la mise en loterie ! –, les Chateaubriand ont, en cinq achats successifs, agrandi leur domaine de plus de 80 ares ; le dernier achat couvre deux arpents « ou environ », « anciennement en bois essence de chêne et châtaigniers », et atteint 4 000 francs payés comptant. Au total, les dépenses liées à l’aménagement et à l’embellissement du lieu furent bien lourdes pour Chateaubriand, ainsi que le craignait son ami Joseph Joubert dès septembre 1807, jetant de « hauts cris sur les difformités du lieu et sur l’énormité des dépenses où la nécessité de se plaire dans son chez lui va le jeter », ce que Chateaubriand confirma, dans une lettre du 20 juin 1812 à Mme de Duras : « Le contrat de vente de la Valléeaux-Loups n’est que de 20 000 francs quoiqu’elle m’en ait coûté 30 000. [...] J’ai mangé [...] depuis plus de 150 000 francs dans la Vallée, à la bâtir, à la planter, etc. »

La grille « Colbert » du parc de la Maison de Chateaubriand Gravure sur bois

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En attendant de prendre possession de leur maison, qui nécessite réparations et aménagements, les Chateaubriand logent à l’Hôtel de Lavalette, rue des Saints-Pères, à Paris. À la fin du mois d’octobre 1807, ils s’installent dans leur nouvelle maison « pleine d’ouvriers qui riaient, chantaient, cognaient, [...] chauffée de copeaux et éclairée par des bouts de chandelle ».

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Grand escalier

Un écrivain en sa demeure La maison construite par Aclocque subit en effet plusieurs modifications. Au rez-de-chaussée, Chateaubriand installe un escalier de bateau à double branche : le Malouin de naissance se souvenait avoir traversé l’Atlantique. Du côté du Bois de la Cave – où une allée mène de la grille d’entrée actuelle à la maison, allée à gauche de laquelle était alors situé le chemin vicinal de l’Orme Mort –, il fait peindre sur le mur le séparant du chemin des créneaux et des décors gothiques, et construit une porte ogivale encadrée par deux tourelles à la façon de l’entrée d’un château fort – n’avait-il pas passé sa jeunesse au château de Combourg ?

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Façade sud de la Maison : portique et cariatides « La Maison (qui n’était [...] qu’une Chaumière) a été refaite tout entière dans l’intérieur, et décorée extérieurement d’un portique de marbre supporté par des cariatides dont le torse est antique. On trouve dans l’intérieur, au rez-de-chaussée : un Vestibule avec un escalier à deux branches, et disposé pour y mettre des fleurs ; une Cuisine, une Salle à manger, un Salon (qui n’est pas meublé) ; un Office bâti par le propriétaire. [...] » (prospectus de la mise en loterie, 4 avril 1817)

Contre la façade regardant le parc (l’entrée principale se fait alors au fond du parc, par la grille dite de Colbert), Chateaubriand fait édifier un portique orné de cariatides de marbre blanc et de colonnes de marbre noir qui lui rappellent son voyage en Grèce. À travers ces aménagements s’exprime une nostalgie qu’à deux reprises Chateaubriand développa à cette période, dans les Aventures du dernier Abencérage (rédigés en 1810) ainsi que dans son discours de réception à l’Institut en février 1811 : celle du temps des Valois, et plus particulièrement du règne de François Ier, qui vit selon lui se marier « l’honneur, la loyauté, la chevalerie des anciens temps, [...] à la politesse des siècles civilisés, les tourelles gothiques ornées des ordres de la Grèce [...] ».

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_ La Tour Velléda « Pendant qu’on restaurait la principale demeure, retiré dans une chapelle étroite consacrée aujourd’hui sous le nom de Tour de Velléda, il resta deux hivers séparé du monde. On m’a dit qu’il commençait à six heures sa double journée de poète et de jardinier. Il quittait l’étude pour aller tenir de ses mains le jeune cèdre dans la place qu’il avait fait ouvrir ; et après avoir exactement, autour des racines, appuyé la terre avec son sabot de paysan, il revenait ranimer son âtre, et reprendre cette plume qui donnait la vie à Eudore et la grâce à Cymododée. » (Henri de Latouche, « Étude de paysage », Vallée aux Loups. Souvenirs et fantaisies)

Dans la Tour Velléda, dans la partie haute du parc, Chateaubriand installe sa bibliothèque dans laquelle il se retire jusqu’à douze heures par jour pour travailler. Il y dépose des objets et fragments rapportés de son voyage autour de la Méditerranée : « [...] je suis rentré dans mes foyers avec une douzaine de pierres de Sparte, d’Athènes, d’Argos, de Corinthe, trois ou quatre petites têtes en terre cuite que je tiens de M. Fauvel, des chapelets, une bouteille d’eau du Jourdain, une autre de la mer Morte, quelques roseaux du Nil, un marbre de

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Carthage et un plâtre moulé de l’Alhambra », écrit-il dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem. Mme de Chastenay témoigne que, placés « dans un joli jardin, sauvage quoique arrangé, dans un petit pavillon où les chants de Cymodocée furent dictés avec tant de charme, où les mœurs agrestes des Gaules furent peintes avec tant d’énergie », ils « prêtaient à l’intérêt, et non au ridicule ». Dès 1810, les Chateaubriand prévoient d’installer une chapelle à l’étage du bâtiment. Ce projet n’aboutit que trois ans plus tard ; la première messe y fut célébrée le 26 juin 1813 – cet intervalle assez long fit dire que Chateaubriand avait coutume d’y recevoir ses amies.

Chateaubriand jardinier Si en 1807 Madame de Chateaubriand trouve la maison comparable à « une espèce de grange » et estime que parmi les arbres, seul un fort bel acacia mérite l’intérêt, elle concède toutefois que « [...] ce verger rempli de mouvements de terrain et environné de coteaux plantés était susceptible de devenir un fort joli jardin ». Céleste s’imagine quelque temps pouvoir disputer à son mari le titre de « jardinier par excellence », mais doit rapidement en rabattre devant l’alliance de son mari et de Benjamin, « le plus fripon des jardiniers ». Les Cahiers de Mme de Chateaubriand rapportent en effet qu’elle souhaitait planter des arbres « en avant », afin de former un « enfoncement » destiné à donner « de la grandeur au jardin ». Ce n’était rien d’autre que la mise en œuvre de l’un des principes fondamentaux du jardin anglais tel qu’on le concevait depuis la fin du XVIIe siècle : comme dans une peinture de paysage, les groupes d’arbres placés en premier plan permettent d’accentuer la profondeur de l’espace. Chateaubriand ne voulut rien céder sur cet article. Il s’affranchit au contraire des modèles en vogue, jardin à la française ou jardin anglo-chinois si prisé au XVIIIe siècle, pour créer une œuvre personnelle, un parc littéraire (voir encadré p. 34) : les arbres qu’il choisit revêtent une autre valeur que celle de simples éléments d’un décor. L’écrivain se souvient de ses nombreux voyages ; il plante des essences provenant des pays qu’il a visités (cèdre du Liban et de Virginie, pin de Jérusalem, catalpa, cyprès chauve,

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_ Cèdre du Liban « Revenu de Montboissier, voici les dernières lignes que je trace dans mon ermitage [...]. Je ne verrai plus le magnolia qui promettait sa rose à la tombe de ma Floridienne, le pin de Jérusalem et le cèdre du Liban consacrés à la mémoire de Jérôme, le laurier de Grenade, le platane de la Grèce, le chêne de l’Armorique, au pied desquels je peignis Blanca, chantai Cymodocée, inventai Velléda. » (Mémoires d’outretombe, III, 8)

_ Catalpa

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Maison de Mr de Châteaubriant dans la Vallée aux Loups par Felipe Cardano, d’après Constant Bourgeois - gravure dans Alexandre de Laborde, Description des nouveaux jardins de la France et de ses anciens châteaux, Paris, 1808-1815 « Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l’environnent : l’ambition m’est venue ; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents : tout chevalier errant que je suis, j’ai les goûts sédentaires d’un moine : depuis que j’habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu’ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. » (Mémoires d’outre-tombe, I, 1)

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hêtre pourpre, magnolia, laurier de Grenade), semblable en cela aux négociants et matelots de sa terre natale qui considéraient leurs arbres comme « quelque souvenir d’une autre rive et d’un autre soleil : c’est l’itinéraire et la carte du maître du lieu ». Il fait « coup[er] une colline devant la Maison pour élargir les entrées, et adoucir la pente du chemin », trace les allées, et demande à ses nombreuses relations de contribuer au peuplement de son ermitage en essences diverses : ses amies Natalie de Noailles et Claire de Duras lui adressent des plants de leurs propriétés de Méréville et d’Ussé, le botaniste Humboldt s’entremet auprès d’Aimé Bonpland, jardinier de la Malmaison, pour lui obtenir quelques sujets des serres impériales. Chateaubriand se rend même personnellement à la Malmaison, au début de mai 1812, en frac, pour y recevoir des mains de Joséphine un magnolia à fleurs pourpres qui, aux dires de son épouse, était « le seul qu’il y eût alors en France après celui qui lui restait à la Malmaison ». Enfin, des acquisitions faites chez les pépiniéristes d’Île-de-France comme Cels, à la barrière du Maine, ou Noisette, faubourg Saint-Jacques, viennent compléter le peuplement du parc.

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Chateaubriand planta ainsi « des milliers d’arbres verts, à peine hauts d’un pied », qui ne devaient malheureusement jamais rendre à l’écrivain l’ombre paternelle qu’il ne cessa de leur prodiguer. « J’ai fait deux cents fois le tour de cette petite vallée que vous avez daigné visiter, écrit-il le 29 mars 1810 à Mme de Duras, et j’aime tant mes arbres [...] que je ne puis les perdre de vue un moment. Quel dommage que ce plaisir soit si cher ! Si j’étais riche, il est bien clair que mon rôle serait fini dans la vie, et que je deviendrais un gentleman farmer dans toute la force du mot ».

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_ Chateaubriand plantant

un cèdre

par André Édouard Marty - encre « Mes arbres, étant encore petits, ne recueillaient pas les bruits des vents de l’automne ; mais, au printemps, les brises qui haleinaient les fleurs des prés voisins en gardaient le souffle, qu’elles reversaient sur ma vallée. » (Mémoires d’outre-tombe, XVIII, 5)

La Maison de Chateaubriand aujourd’hui « La Vallée aux Loups, tout assombrie de ses forêts en feuilles, et toute résonnante de ses rossignols, ressemblait à l’avenue d’un mystère. [...] le Chateaubriand de la Vallée aux Loups a toujours été pour moi le véritable Chateaubriand. L’un était un rôle, l’autre était un homme. » (Lamartine, Cours familier de littérature, entretien X, 1856)

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_ La salle à manger (détail)

Si la Vallée-aux-Loups est pour Chateaubriand un « ermitage », une « thébaïde » ou encore une « chartreuse », le couple y reçoit toutefois de fréquentes visites. « La distance était trop petite, rapporte Mme de Chateaubriand, pour qu’on ne vînt pas nous voir souvent, et trop grande pour qu’on ne passât pas au moins la journée ». Les amis intimes, Clausel de Coussergues, Louis de Fontanes (nommé grand-maître de l’Université en 1808), Joseph Joubert et son épouse, Mmes de Vintimille, de Lévis, de Bérenger, mais aussi le chancelier Pasquier (préfet de police de 1810 à 1814), le journaliste Bertin l’aîné, l’abbé de Bonnevie, etc., se réunissent régulièrement autour de l’Enchanteur. Chaque 4 octobre, l’on célèbre à la Vallée-aux-Loups la Saint-François, fête de l’auteur et jour anniversaire de son entrée à Jérusalem (1806). Céleste – délaissée par son époux qui écrit et « plante et déplante, tant qu’il peut » –, « suffoquée du besoin de mal parler du genre humain et surtout des gens qui reviennent de Barbarie assez barbares pour enfermer leur femme entre quatre montagnes », met toute son

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Céleste de Chateaubriand par Hippolyte-Benjamin Adam - huile sur toile - 1836 « Comme je ne suis point mélancolique et que j’ai passé l’âge où l’on aime à soupirer, je n’aime ni le vent ni la lune ; je ne me plais qu’à la pluie pour mon gazon, et au soleil pour me réjouir. » (lettre de Céleste de Chateaubriand à Clausel de Coussergues, Val-du-Loup, 27 juillet 1811)

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ardeur à faire miroiter à ses hôtes espérés les délices « gargottés à merveille » par le cuisinier Ménil, dont le penchant affirmé pour la boisson le contraint à n’exercer ses talents qu’après avoir sacrifié à Bacchus. « Pour moi, écrit-elle à Joubert, je trouve qu’une apparition de vivants est toujours bonne [...] La Vallée est triste à mourir et ses habitants ennuyeux à périr. Que cela ne vous décourage pas ; tout changera de face à votre arrivée ». Elle fait là écho au vœu exprimé par Chateaubriand en 1803 au même Joubert : « Puissionsnous avant d’être trop vieux nous rassembler tous sous le même toit ! Quel bonheur alors dans notre radotage, quelle joie dans nos tristesses, quelle gaîté dans nos humeurs ! Je suis convaincu que nous finirons par là. [...] ».

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Une autre visiteuse, Madame de Boigne, tendre amie du chancelier Pasquier, mémorialiste fameuse, qui habita à Châtenay dans la maison présumée natale de Voltaire de 1812 à 1848 (où Juliette Récamier passa plusieurs étés), a laissé de Chateaubriand le portrait d’un « solitaire » heureux des visites imprévues : « Il faisait un cri de joie en nous voyant passer devant sa fenêtre [...] arrivant au-devant de nous avec la gaîté d’un écolier émancipé de classe ». Chateaubriand rompt également sa solitude en se rendant régulièrement à Paris : le couple y séjourne durant l’hiver, et l’auteur s’y occupe de ses affaires de librairie, de ses tractations avec des séides de l’Empire puis, à partir de 1814, de politique. Les Chateaubriand font éga-

Chateaubriand par Aubry-Lecomte, d’après Girodet-Trioson - lithographie « On aurait dû s’apercevoir, il y a longtemps, que M. de Ch[ateaubriand] peut, avec un égal succès, être sobre ou être prodigue, qu’il emploie avec le même goût et la même noblesse le luxe et la simplicité ; que ce grand peintre n’a besoin pour charmer d’aucune couleur quand il ne veut que dessiner, et que, même lorsqu’il colore, il le fait avec épargne ou avec profusion, comme il lui plaît. [...] Ce beau génie excelle également et à peindre les objets comme il les voit, et à les voir comme il les aime, et à les juger tels qu’ils sont. Ce sont là trois genres de mérite bien éminents et que possède au plus haut degré et à doses égales, quand il le veut, l’être aimable et un peu mêlé que nous nommons : Chateaubriand. [...] C’est un enfant quand il est gai, un grand homme quand il est grave, un ange quand il aime, un gnome sombre et un peu noir lorsqu’il est de mauvaise humeur. Il résulte de toutes ces compositions l’homme du monde le plus aisé à vivre, à conserver, à louer, à gronder, à critiquer, à apaiser et à fâcher. [...] » (Joseph Joubert, lettre à _ Mme de Lévis, 22 octobre 1814)

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lement plusieurs séjours à Méréville chez les Laborde (où Chateaubriand rencontra en 1805 Natalie de Noailles), à Verneuil chez les Tocqueville (le comte de Tocqueville, qui avait épousé une petite-fille de Malesherbes, était le beau-frère par alliance du frère de Chateaubriand, Jean-Baptiste, et le tuteur de ses enfants), au Mesnil chez les Rosanbo (le petit-fils de Malesherbes, vicomte de Rosanbo, et son épouse), à Chanday, à Montboissier, etc. Enfin, les visites à ses « Madames », selon l’expression de son épouse, sont à l’écrivain d’autres occasions de s’éloigner d’Aulnay. Le séjour de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups ne se résume pas de la sorte à la paisible retraite loin du monde dont peuvent donner l’impression les regrets sincères d’avoir dû quitter ce lieu exprimés par Chateaubriand dans les Mémoires d’outretombe et sa correspondance. Homme des réalités et des chimères, homme du monde et « sauvage » à la fois, homo duplex, Chateaubriand demeura tiraillé entre les affaires du temps, la déception qu’il pouvait en éprouver, et une aspiration profonde à la solitude et à sa mélancolie. Rayé de la liste des ministres d’État le 21 septembre 1816, privé de la pension afférente de 24 000 francs annuels, Chateaubriand, qui n’a toujours pas remboursé les emprunts faits pour sa propriété, a l’idée de proposer, au début du mois d’avril 1817, la Vallée-aux-Loups en loterie : quatre-vingt-dix billets de 1 000 francs chacun sont ainsi imprimés et, le 12 avril, le Journal des Débats de son ami Bertin, apporte son concours à la publicité de l’opération : « Nous pouvons parler, en connaissance de cause, de cette demeure charmante, de ces beaux arbres trop tôt ravis aux mains qui les ont plantés ; et

a Lettre autographe signée de Chateaubriand à son neveu, 12 avril 1817 Manuscrit « Je vous envoie, mon cher neveu, quelques prospectus de la vente de ma petite maison de campagne auprès de Paris. Faites les circuler dans votre département : quoiqu’on n’y soit pas riche, quelques amateurs peuvent se laisser tenter. [...] »

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a Vue de la Maison de Chateaubriand par James Forbes - aquarelle 28 juillet 1817 Coll. Musée de l’Île-de-France (Sceaux) « On racontait à Vienne, il y a deux ou trois lustres, que je vivais tout seul dans une certaine vallée appelée la Vallée-aux-Loups. Ma maison était bâtie dans une île : lorsqu’on voulait me voir, il fallait sonner du cor au bord opposé de la rivière. (La rivière à Châtenay !) Alors, je regardais par un trou : si la compagnie me plaisait (chose qui n’arrivait guère), je venais moi-même la chercher dans un petit bateau ; sinon, non. Le soir, je tirais mon canot à terre, et l’on n’entrait point dans mon île. Au fait, j’aurais dû vivre ainsi ; cette histoire de Vienne m’a toujours charmé : M. de Metternich ne l’a pas sans doute inventée ; il n’est pas assez mon ami pour cela. » (Mémoires d’outre-tombe, XXXVIII, 8)

nous félicitons d’avance la personne qui devra à la faveur du sort la propriété d’une campagne qui, comme celles de Tibur et d’Auteuil, sera à jamais illustrée par le nom et le souvenir de son premier créateur ». Le 24 avril, Pierre-Simon Ballanche, pourtant ami et imprimeur de Chateaubriand, déplore la publicité donnée par les journaux à cette vente : « [...] ce n’est pas sans un profond chagrin que j’ai vu l’annonce du Val-de-Loup en loterie. J’ai trouvé cela plus que triste, car je l’ai trouvé misérable. Sans doute son nom ajoute quelque chose à ce petit tertre de terre, mais est-ce à lui à agioter sur sa renommée ? ». Las ! quelques billets seulement sont souscrits (quatre selon Chateaubriand, un peu moins de vingt d’après Mme de Montcalm). Chateaubriand n’a plus d’autre solution que de rembourser les souscripteurs (certains s’y refusent), et de vendre aux enchères sa bibliothèque : la session, qui

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_ Bureau de Montboissier attribué à Lemarchand fils acajou et placage d’acajou

concerne 398 ouvrages (1 772 volumes), est détaillée dans une « Notice de bons livres provenant de la Bibliothèque de M. de Ch*** », qui annonce en outre la vente, durant les vacations, de « beaucoup de Livres qui ne sont pas portés sur la Notice » ; l’adjudication dure quatre jours, du 28 avril au 1er mai. Une fois encore, le Journal des Débats y apporte son concours, en l’annonçant le 29 avril. Ce n’est qu’une étape avant la vente de la Vallée-aux-Loups aux enchères.

« Depuis la dernière date de ces Mémoires, Vallée-aux-Loups, janvier 1814, jusqu’à la date d’aujourd’hui, Montboissier, juillet 1817, trois ans et six mois se sont passés. [...] Hier au soir je me promenais seul [...] Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. À l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. Quand je l’écoutais alors, j’étais triste de même qu’aujourd’hui ; mais cette première tristesse était celle qui naît d’un désir vague de bonheur, lorsqu’on est sans expérience ; la tristesse que j’éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg m’entretenait d’une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n’ai plus rien à apprendre ; j’ai marché plus vite qu’un autre, et j’ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m’entraînent ; je n’ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? » (Mémoires d’outre-tombe, II, 10)

Durant les cinq mois qui suivent, les Chateaubriand se rendent de château en château : à Montboissier, à Montgraham chez M. et Mme de Pisieux, à Lonné chez Mme d’Orglandes (sa nièce par alliance), et à Voré chez les parents de celle-ci, M. et Mme d’Andlau. À la fin du mois d’octobre, ils trouvent enfin un appartement à Paris, rue du Bac.

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Un parc lieu de mémoire Le parc de la Vallée-aux-Loups est avant tout, d’un terme galvaudé mais en l’occurrence parfaitement approprié, un lieu de mémoire. Chateaubriand n’escomptait pas seulement des arbres qu’il y a plantés qu’ils protègent ses vieux jours en lui rendant l’ombre qu’il leur donnait alors qu’ils étaient tout petits encore. Il les a choisis « des divers climats » où il avait erré, pour lui rappeler ses voyages. Évocations vivantes des lieux qu’il avait parcourus, ils jouaient cependant un autre rôle ; le mémorialiste ajoute en effet qu’ils nourrissaient « au fond de son cœur d’autres illusions ». La formule fait allusion à tout ce que Chateaubriand mit de lui-même et de sa propre histoire dans les personnages qu’il rêva à leurs pieds, « fils de ses songes » ou « filles de ses chimères » : Eudore, Cymodocée, Velléda, Blanca, Aben Hamet... Mais on peut entrevoir d’un peu plus près encore la nature de son attachement pour ses arbres en songeant que l’aménagement du parc a été contemporain de la mise en œuvre des mémoires : ses arbres y ont été « plantés et grandis, pour ainsi dire, dans [s]es souvenirs », souvenirs au milieu desquels il s’était établi « comme dans une grande bibliothèque : je consultais celui-ci et puis celuilà... ». Les arbres concoururent à cet établissement ; ils furent eux aussi des livres de cette bibliothèque de la mémoire. Mais à une grande différence près. Chateaubriand a poursuivi l’évocation de l’écriture de ses mémoires par ces mots : « [...] ensuite je fermais le registre en soupirant, car je m’apercevais que la lumière, en y pénétrant, en détruisait le mystère. Éclairez les jours de la vie, ils ne seront plus ce qu’ils sont ». Douloureuse et paradoxale expérience d’une conscience qui fait disparaître ce qu’elle met au jour ; par contraste, les arbres, enracinés et croissant dans les réminiscences, loin de s’évanouir à la lumière, leur conféraient, leur restituaient une vie propre, les ouvraient à l’avenir depuis leur fond de mystère et d’illusions.

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a Le parc de la Maison de Chateaubriand « J’étais dans des enchantements sans fin ; sans être madame de Sévigné, j’allais, muni d’une paire de sabots, planter mes arbres dans la boue, passer et repasser dans les mêmes allées, voir et revoir tous les petits coins, me cacher partout où il y avait une broussaille, me représentant ce que serait mon parc dans l’avenir, car alors l’avenir ne manquait point. En cherchant à rouvrir aujourd’hui par ma mémoire, l’horizon qui

s’est fermé, je ne trouve plus le même, mais j’en rencontre d’autres. Je m’égare dans mes pensées évanouies ; les illusions sur lesquelles je tombe sont peut-être aussi belles que les premières ; seulement elles ne sont plus si jeunes ; ce que je voyais dans la splendeur du midi, je l’aperçois à la lueur du couchant. – Si je pouvais néanmoins cesser d’être harcelé par des songes ! » (Mémoires d’outre-tombe, XVIII, 5)

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a Les Martyrs (1809) Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811) Les Aventures du dernier Abencérage (1826) Moïse (1831) « Je suis au fond un vrai sauvage et certainement, si j’étais libre, je vivrais dans la solitude la plus absolue. Toutes les fois qu’on a un goût dominant, on n’est propre qu’à cela. Je sens fort bien que je ne suis qu’une machine à livres. [...] » (lettre de Chateaubriand à Mme de Duras, juillet 1812)

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Les œuvres de la Vallée-aux-Loups L’époque de la Vallée-aux-Loups se situe, si l’on se fie au découpage proposé par Chateaubriand lui-même, à la charnière de deux « carrières » de l’auteur futur des Mémoires d’outre-tombe : celle de l’écrivain, commencée sous le Consulat et continuée sous l’Empire ; celle du politique, qui débuta avec la première Restauration, se poursuivit sous les Cent-Jours et sous la seconde Restauration, jusqu’à la Révolution de 1830. Les événements qui bornent cette époque n’ont pas dépendu du choix de Chateaubriand : c’est contre son gré qu’il dut quitter sa « chaumière » en 1817 ; c’est aussi, jusqu’à un certain point, contre son gré qu’il s’y installa en 1807 : il souhaita fuir, après la publication d’un article retentissant dans le Mercure de France, la colère de l’Empereur. À dire vrai, les Mémoires d’outre-tombe ont donné plus de relief à la colère de l’Empereur en 1807 qu’elle n’en eut véritablement ; à plusieurs reprises, déjà, Chateaubriand avait exprimé à des correspondants choisis sa volonté de se retirer d’un monde auquel il n’allait pas tarder à s’affirmer complètement étranger. En outre, dès avant la publication du Génie du Christianisme, il avait fait état de sa résolution de « jeter là le métier d’homme de lettres, du moins pour longtemps », résolution renouvelée en diverses occasions, non seulement avant sa nomination à Rome, mais également après. On a parfois jugé que c’était dès lors affirmer que sa vraie voie était la politique. Il faut cependant faire sa part à une profonde insatisfaction devant les Lettres et les milieux littéraires, devant des pratiques qui n’étaient plus appropriées aux temps nouveaux, marqués par la séparation

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abyssale entre l’avenir et le passé, pratiques qui ne tenaient pas compte de la situation des contemporains, « restes infortunés d’un grand naufrage » (Discours académique, mars 1811) : la littérature ne pouvait plus avoir pour seule ambition la distraction ou l’agrément ; le partage entre la littérature d’une part et la politique de l’autre était appelé à être de plus en plus poreux. La « solitude » de la Vallée-aux-Loups se révéla ainsi propice à un recueillement, à une interrogation de soi et de l’histoire qui alla de pair avec une interrogation de la littérature, comme le reflète la diversité des genres auxquels s’est alors attaché Chateaubriand : épopée, tragédie biblique, récit troubadour, récit de voyage, études historiques, mémoires.

* À peine installé, de retour d’Orient, à la Vallée-aux-Loups, Chateaubriand entreprend de transformer en épopée le roman des Martyrs de Dioclétien : il en avait conçu l’idée lors de son premier séjour en Italie (1803-1804), et la recherche de couleurs pour cet ouvrage avait été l’un des motifs qui le menèrent en Orient. La réutilisation pour les Martyrs du matériau fourni par la première rédaction de ce roman conféra à l’épopée, publiée en 1809, un de ses

_ Velléda Anonyme - crayon noir sur vélin « J’ai assis Velléda sur les grèves de l’Armorique, Cymodocée sous les portiques d’Athènes, Blanca dans les salles de l’Alhambra. Alexandre créait des villes partout où il courait : j’ai laissé des songes partout où j’ai traîné ma vie. » (Mémoires d’outre-tombe, VII, 8)

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caractères propres : le martyre d’un personnage obscur, mais dans lequel Chateaubriand avait mis beaucoup de lui (Eudore), y est le pivot de cet événement déterminant pour l’Histoire que fut l’avènement du christianisme dans l’Empire ; en revanche, la fin de l’ouvrage, par un jeu de transpositions entre le passé lointain et le passé récent de la France, laissait l’avenir de celle-ci en attente d’une proclamation ou d’une fondation – et laissait pendante aussi bien la question du sujet exigé par cette fondation. Les fameux « adieux à la muse » (à la muse du beau mensonge poétique) faits au terme du livre assignaient à l’Histoire la prise en charge de cette fondation. C’est pourtant à une œuvre de fiction que Chateaubriand se consacre ensuite (en 1810) : les Aventures du dernier Abencérage. Au-delà de la transposition en un récit « troubadour » de sa passion pour Natalie de Noailles et de leur rencontre de Grenade, à la fin du périple oriental, ces Aventures reprennent le thème de l’opposition des religions déjà présent dans Atala, mais y superposent celui de l’histoire : ce qui sépare définitivement les amants, la chrétienne et le Maure, c’est ce qu’Aben Hamet doit à la mémoire des Abencérages, Blanca à celle des Bivars, les faisant ce qu’ils sont, les « derniers de leurs races » auxquelles, chacun de son côté, ils demeurent fidèles.

a Bianca et Aben Hamet dans les jardins de l’Alhambra Anonyme - plume et aquarelle « C’est dans le Dernier des Abencérages que j’ai décrit l’Alhambra. L’Alhambra, le Généralife, le Monte-Santo se sont gravés dans ma tête comme ces paysages fantastiques que, souvent à l’aube du jour, on croit entrevoir dans un beau premier rayon de l’aurore. » (Mémoires d’outre-tombe, XVIII, 3)

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Chateaubriand s’attelle ensuite à la relation de son Voyage en Orient, présentée comme des mémoires d’une année de sa vie : moment décisif où l’écriture donne au voyage un sens qui, à en juger notamment par les différences entre ce que nous connaissons de son Journal de voyage et l’Itinéraire (publié en 1811), était sur le moment demeuré latent. Chateaubriand s’installe dans l’histoire et y gagne en propre ce que, jusqu’à son séjour en Italie, il n’avait, essentiellement, pensé qu’à partir de l’œuvre de Rousseau et du thème du bon sauvage. La fin de l’ouvrage répète les adieux à la muse au profit de l’histoire et, une fois de plus, Chateaubriand se soustrait à l’engagement qu’il venait de prendre, pour écrire une nouvelle œuvre de fiction, la tragédie de Moïse, son œuvre sans doute la moins connue. Ce n’est qu’après l’achèvement, au moins provisoire, de celle-ci (Chateaubriand ne cessa d’y travailler jusqu’à sa publication en 1831), que les adieux à la muse furent enfin suivis d’effet.

Itinéraire de Paris à Jérusalem, édition originale Paris, Le Normant, 1811 « Ici, j’ai écrit les Martyrs, les Abencerages, l’Itinéraire et Moïse ; que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne ? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem, me tente à commencer l’histoire de ma vie. » (Mémoires d’outre-tombe, I, 1)

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a Mémoires d’outre-tombe, édition originale Paris, Penaud, 1849-1850 « La plupart de mes sentiments sont demeurés au fond de mon âme, ou ne se sont montrés dans mes ouvrages que comme appliqués à des êtres imaginaires. Aujourd’hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs. » (Mémoires d’outre-tombe, I, 1)

En parallèle à une Histoire de France, il commence alors également la rédaction des Mémoires de ma vie. C’est en Italie, une fois encore, qu’il en avait formé un premier projet demeuré avorté : la perspective en était alors celle de la mise au tombeau de Pauline de Beaumont, à travers une sorte de confession édifiante, conçue à la fois à partir du modèle rousseauiste et contre celui-ci. Les Mémoires d’outre-tombe proposent pour date de la reprise du projet l’année 1809, ce que semble confirmer une indication portée par Chateaubriand sur l’un de ses manuscrits : « Mémoires de ma vie commencés en 1809 ». Mais c’est bien plutôt à sa correspondance qu’il faut se reporter pour la généalogie de cette première version du chef-d’œuvre : ses lettres à Mme de Duras lui assignent quant à elles pour date l’année 1812 – il est vrai cependant que la date réelle de rédaction du premier livre de ces mémoires ne préjuge pas d’un mûrissement du projet au cours des années précédentes. La perspective de l’ouvrage est en tout cas désormais différente : il s’agit,

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loin d’un monde auquel il est « si parfaitement étranger », d’écrire pour rendre compte de lui à lui-même, d’expliquer un « inexplicable cœur » dont il n’avait jusque-là laissé transparaître certains mouvements qu’à travers ses personnages de fiction. Histoire et mémoire sont adossées l’une à l’autre : « Quand je me sentirai las de tracer les tristes vérités de l’histoire de l’homme, je me reposerai en écrivant l’histoire de mes songes ». Ces deux histoires sont conçues comme des découvertes : Chateaubriand écrit à sa correspondante privilégiée, Mme de Duras, qu’il est curieux de voir ce qui sortira de sa plume, mais également qu’il s’étonne de constater combien l’histoire de France est « tout à faire » ; la quête d’identité se joue sur ce double registre. Ainsi, quand bien même le jour est loin encore où Chateaubriand va concevoir expressément l’inscription de son histoire propre dans l’Histoire et transformer ses mémoires en une « épopée de son temps », l’Histoire estelle, dès l’époque de la Vallée-aux-Loups, intimement liée au projet d’écriture mémorielle, et vice-versa. Les détours par la fiction, les reports successifs de la mise en œuvre des engagements des « adieux à la muse » répétés montrent qu’avant d’entreprendre aussi bien l’Histoire que les Mémoires, il a fallu à Chateaubriand d’une part poser une limite à la véracité, exprimer quelque chose qui ne trouverait pas place dans les Mémoires, en l’occurrence sa passion pour Natalie de Noailles, et d’autre part formuler, à travers sa tragédie Moïse, une injonction à l’historien-juge qu’il voulait être de se conformer à la Loi, toute sévère fût-elle. Avec la chute de l’Empire commença sa carrière politique, entamée par De Buonaparte et des Bourbons (avril 1814). Nommé ambassadeur en Suède, poste qu’il ne rejoignit pas, il publia le 27 novembre 1814 des Réflexions politiques, défense de la Charte qu’apprécia Louis XVIII. Ayant suivi le roi à Gand, durant les Cent-Jours, il y fut nommé ministre de l’Intérieur par intérim : à la seconde Restauration, il fut en quelques mois nommé ministre d’État (juillet 1815), puis pair de France (août, alors que, Président du collège électoral du Loiret, il allait sans doute être élu député) et membre du Conseil privé (septembre). En revanche, indigné par la dissolution le 5 septembre 1816 de la Chambre introuvable d’inspiration très majoritairement

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a Brochures politiques de Chateaubriand (1814-1816) « Les ouvrages proprement dits Politiques, et qui touchent aux circonstances du jour, sont une sorte de relation des événements : l’histoire de la restauration est pour ainsi dire renfermée entre le petit écrit De Buonaparte et des Bourbons, et la brochure intitulée : Le Roi est mort, vive le Roi ! Le temps qui sépare ces deux écrits est rempli par les Réflexions politiques, le Rapport fait au Roi dans son conseil à Gand, La Monarchie selon la Charte, etc., etc. Ces ouvrages ont exercé sur les événements une influence qui n’a point été niée : Louis XVIII avait la bienveillante générosité de dire que la brochure De Buonaparte et des Bourbons lui avait valu une armée. On sait assez quelle tempête éleva contre moi La Monarchie selon la Charte. » (Préface aux ouvrages politiques)

ultra-royaliste, il ajouta à la brochure qu’il achevait alors, De la Monarchie selon la Charte, un Post-Scriptum qui lui valut la saisie de son ouvrage, la radiation de la liste des ministres d’État et la privation de sa pension. La vente de la Vallée-aux-Loups était inéluctable ; c’est à Montboissier, en juillet 1817, qu’il reprit alors l’écriture des Mémoires de ma vie, demeurée en suspens depuis 1814.

* La carrière ouverte en 1814 n’éteignit pas la précédente, pas plus du reste que la politique n’avait été absente de la carrière littéraire. Réunissant chronologiquement l’une et l’autre, l’époque de la Vallée-aux-Loups est celle d’une quête d’identité, conduite dans un double registre individuel et général, puis de la confrontation avec ce que Chateaubriand nomma « l’histoire vivante ». C’était un déplacement, et non pas une substitution d’un registre à l’autre : l’horizon nouvellement ouvert posait à nouveaux frais la question du sujet Chateaubriand dans l’histoire.

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_ Affiche de la vente par adjudication du 21 juillet 1818 « La Vallée-aux-Loups, de toutes les choses qui me sont échappées, est la seule que je regrette ; il est écrit que rien ne me restera. [...] Je défie le sort de m’attacher à présent au moindre morceau de terre [...]. » (Mémoires d’outre-tombe, XVIII, 5) « [...] ma Vallée-aux-Loups fut vendue, comme on vend les meubles des pauvres, sur la place du Châtelet. Je souffris beaucoup de cette vente [...]. » (Mémoires d’outre-tombe, XXV, 6)

L’époque de Montmorency et des La Rochefoucauld Matthieu de Montmorency et Juliette Récamier Après l’échec de la mise en loterie de la Vallée-aux-Loups, Chateaubriand trouve en Juliette Récamier, qu’il avait rencontrée chez Mme de Staël le 28 mai 1817 – début d’une longue relation –, une aide précieuse, alliée à celle de Matthieu de Montmorency, leur ami commun, pour traverser les difficultés financières qui avaient résulté de la suppression de sa pension. N’étant pas en mesure d’acheter la maison, elle décide de la louer pour en faire sa résidence : le bail du 18 mars 1818, consenti pour trois années, mentionne « une maison de campagne, cour, basse cour, parc, pavillon, contenant une chapelle au rez-de-chaussée [sic] et

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_ Le duc Matthieu de Montmorency par Caminade - lithographie colorée Homme politique réputé, Matthieu de Montmorency (1767-1826) fut créé pair de France par Louis XVIII en 1815 et fut ministre des Affaires étrangères en 1821-1822, poste auquel Chateaubriand lui succéda. Élu à l’Académie française en 1825, où il fut reçu par Chateaubriand, il fut nommé sous Charles X gouverneur du duc de Bordeaux, fonction à laquelle Chateaubriand aspira ultérieurement.

un corps de bibliothèque au premier, le tout clos de murs [...] ladite maison connue sous le nom de la Vallée ou Val de Loup [...] ». Lorsque Chateaubriand, acculé à vendre sa propriété, en rabat de ses prétentions, renonçant aux 90 000 francs escomptés, et se résout aux aléas d’une vente à la chandelle, Matthieu de Montmorency mandate Me Henry Agasse pour porter enchère lors de l’adjudication du 21 juillet 1818, en la chambre des notaires de Paris, sous le ministère de Me Charles-Nicolas Denis. Avant l’extinction de la bougie, Me Agasse couvre la mise à prix de 50 000 francs des cent francs minimum requis pour l’adjudication. Matthieu de Montmorency devient propriétaire de la Vallée-aux-Loups. Parmi les personnes auxquelles il demanda des fonds, Pierre-Simon Ballanche, ami de Chateaubriand et Juliette Récamier, lui prêta 12 500 francs. Le procès-verbal d’adjudication mentionne alors « un parc de six hectares quatre vingt trois ares soixante dix sept centiares (vingt arpents) enclos de murs dont un potager

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composé de soixante huit ares trente huit centiares (deux arpents) ». La maison se compose « d’un rez-de-chaussée, un vestibule avec un escalier à deux branches, une cuisine, une salle à manger, un salon et un office ; au premier étage, de deux chambres à coucher, un petit salon séparé des deux chambres par un vestibule ; à l’attique ou mansardes, de deux chambres de garçons, quatre chambres de domestique et de plusieurs cabinets dans les combles ; de plus d’une citerne, une serre, une remise, une écurie pour quatre chevaux, une étable, une cour, basse cour et logement de jardinier, et enfin d’un petit pavillon placé au milieu du parc, contenant une chapelle au premier étage et l’établissement d’une bibliothèque au rez-de-chaussée ». a Juliette Récamier par Joseph Chinard - terre cuite « En approchant de ma fin, il me semble que tout ce que j’ai aimé, je l’ai aimé dans Madame Récamier, et qu’elle était la source cachée de mes affections. Mes souvenirs de divers âges, ceux de mes songes, comme ceux de mes réalités, se sont pétris, confondus pour faire un composé de charmes et de douces souffrances, dont elle est devenue la forme visible. » (Mémoires d’outre-tombe, appendice)

De 1818 à 1826, Juliette Récamier fut conviée à séjourner chez Matthieu de Montmorency, et devint même l’hôtesse privilégiée de celui-ci : la banqueroute de son mari, en 1819, l’avait mise en difficulté, et elle n’était plus en mesure d’honorer le bail de trois ans souscrit naguère. Toutefois, Matthieu de Montmorency ne souhaitait pas que Chateaubriand l’y vînt visiter : « Je compte sur votre parfaite discrétion pour ne pas trop souvent recevoir l’ancien propriétaire », lui mandait-il, tout en invitant son ami l’abbé Genoude à joindre ses prières aux siennes pour fortifier Juliette dans sa résolution. Mme Récamier résidait à la Vallée-aux-Loups essentiellement l’été ; elle permettait ainsi à sa nièce Amélie Cyvoct,

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de santé fragile, de profiter du grand air. Elle y recopia avec cette dernière les trois premiers livres des Mémoires de ma vie de Chateaubriand, connus sous le titre de Manuscrit de 1826. Le 24 mars 1827, elle revint à la Vallée-aux-Loups pour commémorer le jour anniversaire de la mort de Matthieu de Montmorency.

L’aile Montmorency

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Aménagements Le vicomte de Montmorency s’emploie, dès son installation, à agrandir la demeure d’une aile de style troubadour : le portail communiquant avec le Bois de la Cave (qui s’étend derrière la maison) est dessiné en ogive, et des baies géminées couronnées de quadrilobes viennent orner la façade. Par ailleurs, une tourelle d’inspiration gothique est ajoutée à l’extrémité de l’édifice, réalisant le vœu de Chateaubriand d’agrandir sa maison : « Mon projet était d’ajouter une tour au bout de mon pavillon [...] ». Montmorency, en se laissant gagner par l’engouement pour l’art médiéval, faisait également écho au goût de l’ancien propriétaire.

Montée de la Valléeaux-Loups par Jean-Jacques Champin huile sur bois Coll. particulière, en dépôt à la Maison de Chateaubriand

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Au même moment, sont érigées côte à côte dans le parc une orangerie ainsi qu’une chapelle de style Restauration, placée sous le patronage de la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI. L’épouse du vicomte, Pauline-Hortense d’Albert de Luynes, augmente en 1822 la superficie du domaine de quatre hectares par l’acquisition du Bois de la Cave.

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a La chapelle

L’Orangerie b

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L’époque La Rochefoucauld Après le décès de son mari en 1826, cette dernière cède la maison à sa fille, Élisabeth, mariée à Sosthènes de La Rochefoucauld, duc de Doudeauville (17851864), qui fut aide de camp du comte d’Artois, député, surintendant des beaux-arts, s’illustrant en 1814 en présidant au déboulonnement de la statue de l’Empereur au sommet de la Colonne Vendôme, et que moquèrent Henri de Latouche et Théophile Gautier, après bien d’autres, pour avoir allongé les robes des danseuses de l’Opéra et appliqué « de ses mains patriciennes un pudique emplâtre sur le milieu de toutes les statues ». Il n’est pas sans sel que Chateaubriand l’ait considéré en 1824 comme l’un des auteurs de sa disgrâce.

a Le vicomte Sosthène de La Rochefoucauld attribué à François-Joseph Heim huile sur bois Paris, Musée du Louvre

Suivant le vœu de Mme Matthieu de Montmorency et le don fait à la fabrique de Sceaux, deux messes basses hebdomadaires, le vendredi et le dimanche, devaient être dites dans la chapelle par un prêtre de Sceaux, et ce à perpétuité, fréquence ramenée en 1913 à une messe le dimanche.

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En 1841, la propriété échoit en indivision à ses deux fils, Stanislas (1822-1887) et Sosthènes, dit Sosthènes II (18251908), qui à la mort de leur grand-mère, en 1859, établissent un arrangement : Stanislas renonce à la maison, laquelle revient à son frère cadet. Celui-ci fut un personnage influent, ex-ambassadeur de France à Londres (comme le furent Matthieu de Montmorency puis Chateaubriand !), président du jockey-club, bailli de l’Ordre de Malte, et qui, député royaliste et conseiller général de la Sarthe (de 1871 à 1898), intervint dans les négociations entre le duc de Bordeaux (Henri V) et la maison d’Orléans. Sosthènes II, riche et mondain, va transformer la Vallée-auxLoups en un lieu de plaisir et de mondanités, y recevant beaucoup pendant les mois d’été. Ses nombreux hôtes séjournent à la Vallée, ce qui rend rapidement indispensable la construction, vers 1860, d’une nouvelle aile, symétrique à l’aile de Montmorency, afin d’héberger les invités et leurs domestiques. Cette construction en forme de pavillon, comprenant sous-sol, rez-de-chaussée et trois étages, le dernier sous comble, témoigne de l’intérêt que l’on portait au style gothique : balustrade en bois décorée de trilobes et quadrilobes, lambrequins découpés sur le toit, arcatures moulurées soulignant portes et fenêtres, et enfin association de briques et de pierres évoquant l’architecture normande de la fin du Moyen Âge. L’ensemble n’en a pas moins un aspect massif.

L’aile La Rochefoucauld `

Placards d'inventaire de 1872 : « Chambre de maître N° 14 » et « Petit salon du N° 26 » b

D’importantes modifications accompagnent cette adjonction : grâce à l’annexion à la propriété, en 1859, d’une section du chemin vicinal de l’Orme Mort, le mur de clôture construit par Chateaubriand face au bois peut être rasé, ce qui permet la construction, à l’arrière du corps central (l’ancienne maison de Chateaubriand), de deux bow-windows, surmontés de terrasses à balustrades quadrilobées de pierre, rappelant celles de l’aile ouest. Les pièces, assombries par des plafonds bas, gagnent ainsi en clarté. Cette façade arrière est rhabillée de briques et reçoit un décor semblable à celui du pavillon. De ce côté, la maison a désormais un aspect néo-médiéval qui aurait peut-être agacé Chateaubriand qui, bien qu’ayant grandement œuvré à la réhabilitation du Moyen Âge dans le Génie du Christianisme, parle dans ses Mémoires de « la manie du Moyen-Âge qui nous hébète à présent ». La maison, qualifiée de « Maison de maître » dans l’acte de vente de 1895 (cf. infra), comprend désormais plusieurs

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salons et salles à manger, vingt-et-une chambres de maîtres, une salle de bain, dix-sept cabinets de toilette et treize chambres de domestiques. De plus, à l’ouest du bois de la Cave, un bâtiment de communs en briques et couvert de tuiles, est édifié, comprenant une aile principale et deux retours, réunis par une cour pavée. Ils sont composés d’un étage et d’un sous-sol partiel. L’ensemble abrite deux écuries contenant ensemble dix-huit stalles et deux boxes, une étable pour huit vaches, une remise pour quatorze voitures et à l’étage, vingt-cinq chambres et le logement du jardinierchef. À l’arrière, une citerne est alimentée par un puits avec pompe à vapeur. Enfin, à l’entrée du domaine, est construite une petite maison de gardien qui existe toujours. Le parc planté par Chateaubriand, parvenu à maturité, semble avoir été peu modifié. En revanche, le duc agrandit son domaine par vingt-trois achats de parcelles de bois, de prés et d’un potager, autour ou proches de l’ancienne propriété mais non réunies à elle, portant l’ensemble du domaine à une vingtaine d’hectares.

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Cinq jardiniers sont chargés d’entretenir le jardin fleuriste comprenant huit serres et des bâches, où croissent fleurs et plantes destinées non seulement au parc de la Vallée, mais également aux jardins du somptueux hôtel parisien de la rue de Varenne, au cœur du Faubourg SaintGermain, propriété de la famille depuis 1841, ex-hôtel de Boisgelin, aujourd’hui siège de l’ambassade d’Italie. Dans le bois, une citerne et un ensemble de bassins sont alimentés par une concession des eaux de la Seine et tout un ensemble de conduites la distribue dans la maison, les communs et, grâce à des bouches d’arrosage, dans le parc et le jardin fleuriste. Le domaine du duc Sosthènes II est à la fois parc d’agrément, exploitation forestière, jardin fleuriste de production et exploitation agricole. C’est donc là la propriété d’un aristocrate propriétaire-terrien moderne auquel la notion de rentabilité et d’efficacité est familière. On est bien loin de la « thébaïde » de Chateaubriand... Pourtant, celui-ci n’était pas oublié : en 1872, la Grande-Rue d’Aulnay avait été rebaptisée rue Chateaubriand et le cinquantenaire de sa mort fut célébré à la Vallée-aux-Loups en 1898. À cette date, la propriété avait été déjà vendue à Armand de La Rochefoucauld, duc de Bisaccia (1870-1963), second fils de Sosthènes II. La vente avait eu lieu le 22 août 1895. Le prix de 250 000 francs convenu entre le père et

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_ La Vallée-aux-Loups, vue du parc avec personnages Anonyme - crayon noir avec rehauts de gouache - vers 1860

Plan d’assemblage de la propriété de la Vallée aux Loups et de ses dépendances appartenant à Mr le duc de Bisaccia par A. Troufillot, géomètre à Sceaux - gravure colorée

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le fils n’a apparemment pu être acquittée par ce dernier, et il semble que ce soit sa belle-mère, la princesse Constantin Radziwill, épouse séparée de corps et de biens du prince, grand mondain que Proust connaissait bien, qui ait payé sur sa dot l’intégralité de la somme. Sosthènes II, en accord avec son fils, continua à venir pendant l’été à la Vallée-aux-Loups, jusqu’à sa mort en 1908. Armand, qui avait suivi la carrière politique de son père et comme lui était maire de Bonnétable, conseiller général de la Sarthe (mais pas député) et président du jockey-club (1919-1963), ne paraissait pas avoir le même respect de la mémoire de Chateaubriand, décourageant admirateurs et curieux ; des incertitudes pesèrent sur l’avenir de la propriété : elles furent levées par la vente du domaine en 1914 aux Docteurs Le Savoureux et Hugonin.

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_ Le Dr Henry Le Savoureux par Marie-Élizabeth Wrede mine de plomb

L’œuvre du Dr Le Savoureux C’est le 21 juillet 1914 que le docteur Henry Le Savoureux (1881-1961), médecin aliéniste, acquiert avec son confrère César Hugonin (l’acte de vente est fait au bénéfice de la société Le Savoureux-Hugonin, mais ce dernier mourut bientôt au front) la propriété de Chateaubriand – qui compte alors vingt hectares –, ainsi que tout le mobilier meublant, dont la liste précise figure dans l’acte de vente. La propriété est acquise au prix de 400 000 francs, dont 60 000 pour les meubles, et doit être réglée en 25 annuités de 26 560 francs aux vendeurs (jusqu’en 1941) ; les droits des La Rochefoucauld sont préservés par une hypothèque de 340 000 francs sur la propriété. Par contrat, les docteurs doivent continuer à fournir aux La

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_ Acte de vente La Rochefoucauld / Le Savoureux-Hugonin 21 juillet 1914

Rochefoucauld pour l’hôtel de la rue de Varenne, et ce pendant un an, de multiples plants de fleurs et fleurs coupées (plusieurs dizaines de milliers !). Auteur d’une thèse sur le Spleen parue en 1913 chez Steinheil, le Dr Le Savoureux s’attache sa vie durant à une meilleure connaissance et compréhension des maladies de l’esprit. Il transforme la maison de Chateaubriand en maison de repos, qui compte une vingtaine de chambres. Lettré cultivé, il applique en la transposant sa méthode analytique, appuyée sur une écoute attentive des patients, à son étude de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe dont il habite la demeure. Il constitue à la Vallée-aux-Loups une collection (livres, dessins, gravures, sculptures, etc.) dédiée à la mémoire de l’écrivain ; il écrit en 1929 un Chateaubriand qu’il publie en 1930, l’année même où il fonde la Société Chateaubriand, réunissant autour de lui historiens, érudits et critiques, tous désireux de mieux connaître et comprendre l’homme et son œuvre, et pour la plupart à l’origine d’importantes études sur Chateaubriand.

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Lydie Le Savoureux ` à la Vallée-aux-Loups Anonyme - encre

« Ce changement d’atmosphère qui s’est produit autour de Chateaubriand depuis la naissance de notre Société, ce passage du dédain ironique à l’intérêt, ou, tout au moins, à l’attention, et du dénigrement à la sympathie, cette découverte, en un écrivain réputé démodé et à courtes vues, de ressources

_ Lettre autographe signée du Dr Le Savoureux (avec en-tête médical à la Vallée-aux-Loups), 8 janvier 1925 Manuscrit « [...] Je réunis à la Vallée-auxLoups, dans la demeure de Chateaubriand, tout ce qui intéresse ce grand homme, sa propriété, Aulnay et Châtenay, etc. Monsieur Lesenne me signale votre grande amabilité pour les chercheurs. Il m’assure que si vous possédez quelque document iconographique sur ce sujet qui m’intéresse, vous seriez assez aimable pour me le laisser voir. J’espère, en tous les cas, avoir le plaisir de vous faire les honneurs de ce beau domaine planté par Chateaubriand. [...] »

d’art toujours nouvelles et d’intuitions prophétiques, bref cette véritable résurrection dont nous avons été les témoins, aujourd’hui, avec le recul du temps, n’avons-nous pas le droit d’affirmer qu’Henry Le Savoureux en fut le principal artisan ? » (Pierre Clarac, membre de l’Institut, Président (†) de la Société Chateaubriand de 1962 à 1979).

À la Vallée-aux-Loups, le docteur et son épouse, Lydie Plekhanov (1881-1978), fille du fondateur du mouvement social-démocrate russe et elle-même médecin chirurgien, accueillent un salon littéraire où se côtoient écrivains et artistes : l’écrivain et critique d’art Félix Fénéon (né en 1861, mort à la Vallée-aux-Loups en 1944), Henri de Régnier, Julien Benda, Paul Valéry, Paul Léautaud (qui mourut à la Vallée-aux-Loups en 1956), Édouard Herriot, la poétesse Anna de Noailles, Jean Paulhan, la princesse Marthe Bibesco, le peintre Jean Fautrier, Antoine de Saint-Exupéry, et bien d’autres encore.

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_ Façade sud de la Maison de Chateaubriand par Paul de Pidoll - mine de plomb et encre de Chine 17 juillet 1949

Dédicace du Dr Le Savoureux à Paul Léautaud

C’est également au docteur Le Savoureux que l’on doit le classement du site de la Vallée-aux-Loups (octobre 1939), au sujet duquel Paul Léautaud apporte ce témoignage dans son Journal littéraire : « Le Docteur Le Savoureux m’a expliqué il y a quelque temps qu’il est fort question d’exproprier une partie de la Vallée aux Loups pour l’établissement de je ne sais quelle ligne de tramway. Il cherche à parer à cette tuile en cherchant à faire classer la Vallée aux Loups comme lieu historique. Sa Société Chateaubriand, son Musée Chateaubriand, ses dîners auxquels il convie toutes sortes de gens plus ou moins notoires, et je crois bien jusqu’à ses fonctions de conseiller municipal et ses générosités pour les écoles et patronages de l’endroit, tout cela doit être encore en vue de la réussite qu’il désire » (22 janvier 1930). Après la cession de la propriété à la Fondation Rothschild (en décembre 1957, du vivant du docteur Le Savoureux), seront inscrits le 31 janvier 1964, à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, le bâtiment central et l’aile Montmorency. Enfin, le classement à l’inventaire des Monuments historiques du 24 janvier 1978 comprendra les façades et toitures, l’escalier intérieur, la Tour Velléda et le parc.

« Il connaît fort bien Chateaubriand, il a fait de la Vallée aux Loups une maison délicieuse, parfaitement restaurée, et son Musée est plein de choses intéressantes, remarquables, rares. » (Paul Léautaud, Journal littéraire, 22 janvier 1930)

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a L’actuel Grand Salon, en 1984

L’actuel Salon politique, en 1984 b

S’il est peu aisé de collecter les témoignages sur la Vallée-aux-Loups à l’époque du docteur Le Savoureux, disséminés dans des écrits autobiographiques, des correspondances et des hommages posthumes, parfois encore inédits à ce jour, on peut considérer qu’il y a là une mine d’informations dont l’exploitation permettrait de retracer la vie de cette maison au XXe siècle. Le docteur Le Savoureux et son épouse offrirent également l’asile à de nombreux résistants durant la Seconde guerre mondiale, parmi lesquels Jean Paulhan et le professeur Robert Debré, avec lequel Henry avait fait ses études de médecine. C’est de cette sombre époque que date la série des « Otages » (1943-1945) réalisée par le peintre Jean Fautrier tandis qu’il séjournait à la Vallée-aux-Loups, transposition picturale du traumatisme

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provoqué par les exécutions de résistants par les Allemands, dans le bois voisin, où a depuis été aménagé un mémorial. « Il convient de rappeler ici le rôle joué par notre Président et qu’en raison de son extrême modestie, nous sommes peu à connaître. Il ne se contentait pas de répandre tracts, brochures clandestines, il donnait l’exemple de la résistance, procurant des cartes d’identité, ravitaillant des aviateurs cachés à Paris et surtout risquant sa vie en hébergeant condamnés à mort, résistants, Israélites : " Il y aura toujours un divan pour vous à la Vallée ", leur disait-il. Les Allemands connaissaient ce qu’ils appelaient " ce repaire de gaullistes ". Plusieurs fois menacé de servir d’otage, il n’en continua pas moins, héroïquement, à recevoir à la Vallée tous ceux qui s’y réfugiaient : il suffit de dire qu’à la Libération treize personnes recherchées par la Gestapo y étaient cachées ; chacune d’elles, découverte, lui aurait valu la prison et même la déportation. » (Comtesse d’Andlau, Vice-Présidente (†) de la Société Chateaubriand)

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_ La Vallée-aux-Loups par Eugène Atget photographie

Le livre d’or de la Vallée-aux-Loups (1925-1960) Dès 1925, les visiteurs se succèdent à la Vallée-aux-Loups : le livre d’or ouvert cette année-là, peu avant que paraissent les premiers articles de presse louant le musée constitué par le docteur, en porte le témoignage. L’un de ces articles énumère les qualités de ses hôtes et des premiers adhérents à la Société récemment fondée : « des bibliophiles, des littérateurs, des philosophes, des conservateurs de musée et même des médecins... » L’ami des surréalistes, Maurice Heine, en visite le 14 août 1926, le psychiatre photographe, Gaëtan Gatien Clérambault, ancien maître du docteur Le Savoureux, en octobre de l’année suivante, relèvent à la fois de la catégorie des médecins et de celle des écrivains. Le passage de la photographe américaine Berenice Abbott, en 1927, explique sans doute la présence, dans les archives de la Maison, d’une série de photographies d’Eugène Atget qu’elle redécouvrit et de quelques clichés de Man Ray dont elle était alors la jeune assistante. Les visites de l’homme de théâtre Georges Pitoëff, le 9 septembre 1927, et de Marc Chagall, cinq ans plus tard en 1932, sont en revanche des réponses probables à l’invitation de Lydie Le Savoureux, laquelle ne renia jamais ses origines russes. Le premier lui était redevable de son introduction au sein de l’élite intellectuelle genevoise dans les premières années du XXe siècle.

Le parc de la Vallée-auxLoups Anonyme - huile sur papier

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Parmi d’autres gens de plume, Jean Prévost, Jules Supervielle, Saint-John Perse et le docteur J. C. Mardrus, apposent leur paraphe au livre d’or entre les deux guerres.

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Ce dernier, traducteur des Mille et une nuits, fait suivre le sien d’un commentaire en arabe. Le chanoine Arthur Mugnier, surnommé « l’abbé mondain », est l’un des plus assidus, qu’il y vienne, dès 1926, en fervent lecteur de Chateaubriand ou en ami des Noailles, Valéry et Cocteau.

a Livre d’or et invitation de 1936

Les écrivains de la prestigieuse NRF, Marcel Arland et Jean Paulhan, qui avaient résidé tous les deux à Châtenay-Malabry, attirèrent à la Vallée-aux-Loups, parmi d’autres, le philosophe Bernard Groethuysen, André Malraux, Dominique Aury, Francis Ponge dont le premier article qu’il consacra à Fautrier, en 1944, s’intitulait « Fautrier à la Vallée aux Loups », Jean Grenier, installé dans le voisinage à Bourg-la-Reine, et enfin Albert Camus à la fin de la guerre, le 25 juillet 1945. Après guerre, la maison-musée et son fondateur reçoivent encore des invités aussi divers que Wladimir Jankélévitch, les deux peintres Arpad Szenes et Elena Vieira da Silva, aussi bien que des comédiens. Le tout jeune Claude Brasseur, encore Claude Espinasse, vient avec sa mère la comédienne Odette Joyeux, en août 1955 ; leurs signatures figurent au milieu de celles des nombreux amateurs de tous pays venus en pèlerinage dans l’ancienne demeure de Chateaubriand.

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La Vallée-aux-Loups des années 1960 à nos jours Le 21 décembre 1957, la Maison de Chateaubriand est acquise en viager par la Fondation Rothschild. Après le décès du Dr Le Savoureux (1961), son épouse Lydie y demeure jusqu’à sa mort, en 1978. Acquises par le Département de la Seine (1967), les propriétés de la Vallée-aux-Loups (près de 24 hectares et demi au total) sont remises le 1er janvier 1970 au Département des Hauts-de-Seine, qui y entreprend dès 1972 d’importants travaux de restauration, de protection et d’extension. Aujourd’hui, le périmètre désormais désigné sous le nom de « La Vallée-aux-Loups Chateaubriand », qui inclut la Vallée-aux-Loups proprement dite, l’arboretum, le parc boisé et l’Île verte, compte plus de 60 hectares.

La Maison vue d'une allée du parc b

L’acquisition de la Vallée-aux-Loups par le Conseil général des Hauts-de-Seine a donné une nouvelle vie à ce lieu qui, de lieu privé, allait dorénavant devenir un lieu public. Après consultation d’un Comité, créé le 17 novembre 1982 et placé sous la présidence de M. Jean d’Ormesson, de l’Académie française, il a été décidé d’en orienter la restauration et l’animation dans la perspective « [...] que cette maison devienne non pas un musée, avec ce que le mot suggérait d’un petit peu figé, mais une demeure, la demeure “ Chateaubriand ” ». Sur le domaine de Chateaubriand (qui s’étend alors sur un peu plus de 14 hectares et demi), il est procédé en premier lieu à la restauration de la façade principale, de la chapelle et de la serre attenante (l’actuelle Orangerie), ainsi qu’à la reconstruction de la clôture de la

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propriété. À compter de 1984 sont entrepris la remise en état des intérieurs et l’aménagement des pièces du musée et des lieux d’accueil du public, la création de la bibliothèque et du centre de recherche, la restauration de la Tour Velléda, l’aménagement d’appartements et l’enrichissement du parc en arbres exotiques, pins de Jérusalem, magnolias, etc. Les bâtiments des communs, en trop mauvais état pour être conservés, menaçant ruine, sont détruits. Classée au titre des Monuments historiques, la Maison de Chateaubriand est restaurée sous l’égide d’un architecte des Bâtiments de France. Les archives ne permettant pas un réaménagement à l’identique de la maison telle que la connurent Chateaubriand et les propriétaires suivants, le choix arrêté est celui de recréer une demeure romantique du XIXe siècle, où sont évoquées à travers les collections muséographiques la vie et l’œuvre de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, ainsi que la vie des salons littéraires de l’époque.

a Cariatides

La Maison de Chateaubriand est inaugurée et ouverte aux visiteurs le 26 mai 1987. En 2008, le Conseil général, dans le cadre d’une politique générale adoptée vis-à-vis de grandes associations départementales qu’il subventionnait à hauteur de la presque totalité de leur budget, a décidé l’internalisation de la Maison de Chateaubriand, effective depuis le 1er janvier 2009. Le Président du Conseil général, M. Patrick Devedjian, lui a fixé pour objectifs de devenir une véritable Maison d’écrivain, vouée à l’auteur des Mémoires d’outre-tombe mais également et plus largement à la mémoire littéraire des

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XVIIIe et XIXe siècles, devenant un forum de rencontres européennes de haute qualité, et l’une des références et des lieux d’identité du Département dans l’ordre de la tradition littéraire et artistique et dans celui de sa transmission.

a Le Comité scientifique

Un Comité scientifique international a été installé le 28 septembre 2009, présidé par M. Marc Fumaroli, de l’Académie française, et constitué de personnalités éminentes issues de grandes institutions nationales et internationales, ainsi que de sociétés littéraires et historiques françaises et étrangères. Il est chargé d’une mission de conseil, d’assistance et d’évaluation pour l’élaboration du programme culturel de la Maison et apportera également son concours pour les acquisitions exceptionnelles venant enrichir ses collections. Le Comité fera bénéficier la Maison de Chateaubriand de sa notoriété, contribuant à son inscription dans le réseau des grands établissements internationaux et à son rayonnement comme à celui de la culture française au niveau national et international.

Collections La Maison de Chateaubriand est dotée d’un centre de recherche rassemblant une bibliothèque consacrée à Chateaubriand et au romantisme, et un important fonds muséographique. L’ensemble de ses collections a pour origine le précieux fonds constitué par le Docteur Le Savoureux, légué pour partie à la Société Chateaubriand à la mort de Mme Le Savoureux et mis en dépôt par la Société Chateaubriand à la Maison de Chateaubriand.

La bibliothèque de la Maison b

La bibliothèque a été considérablement enrichie par le Conseil général des Hauts-de-Seine et compte aujourd’hui plus de 12 000 volumes : œuvres de Chateaubriand (éditions

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originales et ultérieures), ouvrages sur Chateaubriand, œuvres de contemporains, ouvrages généraux sur la période, etc. Le fonds muséographique rassemble, outre les pièces exposées dans la Maison, des peintures, gravures, manuscrits, sculptures, et objets d’art autour de Chateaubriand et de son époque. Parmi les manuscrits figurent des lettres autographes de Chateaubriand, poèmes et fragments autographes, mais aussi des lettres à lui adressées, des correspondances de ses amis et contemporains, etc. Le centre de recherche est accessible à tous – chercheurs, auteurs, érudits et amateurs –, sur rendez-vous. L’ensemble des collections peut également être consulté sur rendez-vous pour des recherches préparatoires à des expositions, conférences, illustrations d’ouvrages, etc.

Vie culturelle de la Maison Outre les visites guidées de la Maison, le programme culturel se décline autour des grands axes suivants : ` chaque année, remise du Prix Chateaubriand, récompensant une œuvre de recherche historique portant sur la période durant laquelle vécut Chateaubriand (XVIIIe-XIXe siècles), présentant d’évidentes qualités de style et accessible à un large public ` expositions temporaires ` spectacles musicaux et littéraires ayant trait à Chateaubriand, son œuvre, son époque, ses contemporains ` concerts dans le parc ` créations contemporaines ` conférences et colloques sur Chateaubriand et plus largement les XVIIIe et XIXe siècles ` rencontres-débats ` participation aux grands événements nationaux : les Journées du Patrimoine, la Nuit des Musées, Lire en Fête, Rendez-vous aux jardins, etc. ` manifestations exceptionnelles ` découverte du parc entretenu par la Direction des parcs, jardins et paysages du Département (DPJP) ` accueil de réunions de travail de sociétés littéraires ou historiques, etc.

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L’Association des Amis de la Maison de Chateaubriand Cette association a été créée en 2009 pour regrouper les particuliers ou les personnes morales intéressés par les activités de la Maison de Chateaubriand et soucieux de l’enrichissement de ses collections. Elle fait suite au collège des adhérents individuels de l’Association pour la Maison de Chateaubriand qui, jusqu’au 31 décembre 2008, assurait la gestion et l’animation de la Maison. Présidée par M. Édouard Lacroix, président du Conseil d’administration, elle est administrée aujourd’hui par M. Guy Berger, secrétaire général, et Mme Béatrice Clément Grandcourt, trésorière. Son premier objectif est de soutenir l’action des responsables de la Maison de Chateaubriand. Elle se propose, en outre, d’organiser, à l’intention de ses membres, des soirées ou matinées culturelles à la Vallée-aux-Loups et des voyages d’agrément en des lieux rendus célèbres par Chateaubriand et le Romantisme européen. Les demandes d’adhésion à cette association sont à adresser à Mme Béatrice Clément Grandcourt, 60 boulevard Suchet, 75016 Paris, accompagnées d’un chèque de 20 euros pour la cotisation annuelle (25 euros pour un couple).

La Société Chateaubriand La Société Chateaubriand est une association fondée en 1930 à la Vallée-aux-Loups par le docteur Le Savoureux et quelquesuns de ses amis afin de promouvoir les études et recherches sur Chateaubriand et son environnement familial, social, politique, littéraire et artistique. Elle œuvre à la publication des écrits de l’écrivain et notamment à celle de sa correspondance. Elle organise chaque année une séance de travail, à l’occasion de son assemblée générale, un colloque d’une ou deux journées, un atelier des chercheurs spécialisés et deux sorties, l’une au printemps et l’autre à l’automne, pour faire visiter à ses membres des lieux ou des monuments ayant un lien avec des épisodes de la vie ou des œuvres de Chateaubriand. Le Bulletin annuel de la Société Chateaubriand est un instrument culturel irremplaçable. Tous les travaux de la Société y sont publiés, accompagnés de notices bibliographiques et de documents divers. La Société Chateaubriand est présidée aujourd’hui par M. Guy Berger. Le bureau comprend également M. Jean-Claude Berchet, vice-président, M. Jean-Marie Roulin, secrétaire général, Mme Monique Leforestier, secrétaire générale adjointe, et M. Guillaume Hartog, trésorier. Les demandes d’adhésion sont à adresser à M. Guillaume Hartog, 7 rue Jean Bologne, 75016 Paris, accompagnées d’un chèque de 40 euros pour la cotisation annuelle (20 euros pour les étudiants). Cette cotisation donne droit à l’envoi du Bulletin et à l’information sur toutes les activités à venir.

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Informations pratiques NOUS CONTACTER Maison de Chateaubriand 87, rue Chateaubriand 92290 Châtenay-Malabry Tél. : 01 55 52 13 00 - Fax : 01 55 52 12 98 chateaubriand@cg92.fr

SITES WEB www.maison-de-chateaubriand.fr www.vallee-culture.fr www.hauts-de-seine.net

JOURS ET HORAIRES D’OUVERTURE, À COMPTER DE JANVIER 2010 (*)

VISITES (*) Du mardi au samedi, les conférenciers du service des publics vous proposent des visites guidées de la maison (environ 40 mn) Mars à octobre : 11h – 14h30 – 15h30 – 16h30 Novembre à février : 14h15 – 15h15 – 16h15 Ces horaires peuvent être décalés d’une dizaine de minutes en fonction de l’affluence. Les visites des dimanches et jours fériés sont libres ; toutefois les agents présents dans les salles se feront un plaisir de répondre à vos questions.

` Maison Mars à octobre : du mardi au samedi : 10h00-12h00 14h00-18h00 le dimanche : 11h00-18h00 Novembre à février : du mardi au dimanche : 14h00-17h00 Fermeture :

tous les lundis du 1er au 15 janvier inclus le 1er mai le 1er novembre le 25 décembre

` Parc Mars : 10h00-18h00 Avril à septembre : 10h00-19h00 Octobre : 10h00-18h00 Novembre à février : 10h00-17h00 Le parc est ouvert tous les jours, toute l’année, sauf fermeture décidée en cas d’intempéries.

ACCUEIL DES GROUPES (*) Les groupes sont reçus sur rendez-vous préalable (réservation un mois à l’avance), de préférence les mardis et jeudis, les autres jours selon les possibilités d’accueil.

TARIFS (*) Parc et Maison :

plein tarif : 4,50 € tarif réduit : 3 €

Dimanches et jours fériés :

1,50 €

1er dimanche du mois :

gratuit

Parc seul :

gratuit

Groupes : les mardis et jeudis : 3 € (mini. 18 personnes, maxi. 80 personnes) les autres jours : 4,50 € Scolaires (groupes) :

0,75 €

(*) Informations susceptibles de modifications.

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ACCÈS ` Par le pont de Sèvres : Prendre l’autoroute en direction de Bordeaux-Chartres, puis, près de Vélizy, la direction Créteil (A 86). Sortir à ChâtenayMalabry. Suivre l’avenue de la Division Leclerc sur environ un kilomètre. Au rondpoint Salvadore Allende (stade), prendre à gauche. Le parcours est ensuite fléché (sigle des Monuments historiques sur les panneaux de signalisation).

` Par la porte d’Orléans : Prendre la RD920 (ex-RN20) (direction Antony), puis à Antony, l’A86 (direction Versailles) jusqu’à la sortie 28, Châtenay-

Malabry. Le parcours est ensuite fléché (sigle des Monuments historiques sur les panneaux de signalisation).

` Par le RER : Ligne B, station Robinson (terminus), puis itinéraire piétonnier fléché (environ 2025 minutes à pied). Dernier train pour Paris : 0h13

` Par le bus : RATP ligne 194, arrêt Marc Sangnier RATP ligne 294, arrêt Marc Sangnier Paladin ligne 11, arrêt « Arboretum – Maison de Chateaubriand » (au bas de la propriété)

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Ouvrage réalisé sous la direction de M. Bernard Degout, directeur de la Maison de Chateaubriand

Ont participé à la rédaction : Alain Canat, Gisèle Caumont, Bernard Degout, Olivier Grinhard, Blandine Leclerc, Olivia Sanchez, Véronique Troublé

Numérisations : Stéphane Dumas Recherche iconographique : Olivia Sanchez Iconographie : 4 Collection particulière / 26 © Adagp, Paris 2010 / 32 Musée de l’Île-de-France (Sceaux) / 36(a), 43(a) Bibliothèque André-Desguine, Archives départementales des Hauts-de-Seine / 48 Collection particulière / 51 Paris, Musée du Louvre / 61A, 61B Archives départementales des Hauts-de-Seine (1609 W 36 et 1609 W 13) 8, 11, 25, 29, 31, 33, 36(c), 38, 43(b,c,d), 47, 54, 58BC, 65A, 65B, 66 Maison de Chateaubriand 12, 13, 15, 18, 19, 26, 30, 36(b), 39, 40, 41, 43(e), 44, 46, 52, 53B, 54-55, 56, 58A, 59, 60A, 60B, 62, 63, 64 Société Chateaubriand

Crédits photographiques : Couverture : CG92 - Willy Labre 4 droits réservés / 8, 11, 20, 25, 29, 31, 38, 44, 47, 54, 54-55 Studio Sébert / 12, 13, 15, 18, 19, 26, 30, 32, 39, 46, 52, 53B, 56, 58BC, 59, 60A, 60B, 63 Maison de Chateaubriand / 16, 22, 24B, 28, 33, 36, 40, 41, 43, 48, 50A, 50B, 53A, 58A, 64, 66 CG92 - Olivier Ravoire / 21, 67A, 67B, 71 CG92 - Jean-Luc Dolmaire / 24A, 26-27, 49 CG92 - José Justo / 34-35, 65 CG92 - Willy Labre / 51 RMN - René-Gabriel Ojéda / 61A, 61B CG92 / 62 Eugène Atget

Reproduction interdite © Conseil général des Hauts-de-Seine / Maison de Chateaubriand Dépôt légal : janvier 2010 ISBN 978-2-9519615-4-8

Conception et réalisation : Groupe des Imprimeries Morault - 01 53 35 95 15 Couverture : Conseil général des Hauts-de-Seine - Direction de la Communication

Citation de la 4ème de couverture : extrait d’une lettre de Chateaubriand à Mme de Duras, [1er février 1812] : « [...] À mon âge, il faut être dans un lieu retiré d’où l’on puisse voir s’envoler les années, et non pas dans un tourbillon où le temps s’enfuit sans que vous puissiez le regarder venir. [...] »

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