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Les demandeurs d’asile
LES DEMANDEURS D’ASILE
LES POINTS
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ESSENTIELS En 2019, 14,5 % des personnes reçues dans les Caso sont en procédure de demande d’asile.
Plus de la moitié (57,4 %) des demandeurs d’asile sont originaires d’Afrique subsaharienne, 25 % d’Europe hors UE.
Seuls 40 % des demandeurs d’asile sont hébergés par des proches, par un organisme ou une association, ou par un réseau/collectif solidaire. Plus de la moitié (58,3 %) sont à la rue, en hébergement d’urgence de courte durée ou vivent en squat ou bidonville.
Les trois quarts des demandeurs d’asile ne disposent d’aucune couverture maladie alors qu’ils devraient y avoir droit en théorie.
Près de la moitié (48,6 %) présentent un retard dans l’accès aux soins et ont un besoin de soins urgents (46 %).
La poursuite de la dégradation de la situation sécuritaire, les déplacements forcés et le maintien de la pauvreté dans plusieurs régions du monde conduisent les personnes migrantes à fuir et/ou à concevoir des projets individuels ailleurs. En 2019, 132 826 personnes ont introduit des demandes d’asile, contre 66 251 en 2013 selon l’Ofpra. Les demandeurs d’asile sont principalement d’origine afghane (10 027), albanaise (8 032), géorgienne (7 757) et guinéenne (6 651). Au total, ce sont 36 139 personnes (réfugiées et sous protection subsidiaire, hors mineurs accompagnants) qui ont bénéficié d’une protection au titre de l’asile en 2019 en France soit une augmentation de 9,5 % par rapport à 2018 [Ofpra, 2019]33 .
En 2019, 3
305 demandeurs d’asile34, ont été accueillis dans les Caso soit 14,5 % de la file active. La part des demandeurs d’asile est restée stable par rapport aux deux années antérieures (figure 5).
FIGURE 5 : ÉVOLUTION DU NOMBRE ET DE LA PROPORTION DE DEMANDEURS D’ASILE(1) REÇUS DANS LES CASO DE 2009 À 2019.
Effectif
8000
7000
6000 Effectif
14,1
5000
4000
3000
2000
1000
0
6,0 6,3 6,5 7,0
1525 1726 1872 2108 7,5 6,8
2207 1894 6,3 9,0 11,0
2631 2142
1930
10,8
3342
2558
2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Années
2017 2018
14,5
10,7
3305
2434
2019 20
15
10 %
5
0
(1) Personnes dont la procédure de demande d’asile est en cours ou recours, c’est-à-dire les personnes ayant un rendez-vous ou une convocation en préfecture, une demande ou un recours/réexamen en cours ainsi que les personnes en procédure Dublin III. * Les personnes placées en procédure Dublin III sont incluses dans les demandeurs d’asile et les personnes en situation régulière à partir de 2018. En pointillé : résultats sans intégrer les procédures Dublin aux demandeurs d’asile.
Les personnes sont reçues par MdM très souvent au terme d’un parcours migratoire long et traumatisant, et des conditions de vie précaires lorsqu’elles arrivent en France. Celles qui souhaitent demander l’asile ne sont pas au bout de leur peine et doivent faire face à une véritable course d’obstacles. Si la réforme en 2015 de l’asile35 visait officiellement à faciliter le traitement et les conditions de vie des demandeurs d’asile, la réalité est tout autre et l’accès même à la procédure de demande d’asile s’est complexifié pour bon nombre d’entre eux – à en oublier que le droit d’asile a valeur constitutionnelle. Parmi les demandeurs d’asile reçus dans les Caso, 38,6 % ont une convocation pour un rendez-vous en préfecture, 28 % ont une demande en cours d’étude, 7,1 % ont un recours en cours et 26,4 % sont placées en procédure Dublin. Parmi les personnes en cours de demande ou de recours, 39,3 % sont en procédure accélérée36. Le recours à cette procédure, moins protectrice et n’assurant pas les mêmes garanties lors du processus d’instruction de la demande d’asile37, reste particulièrement élevé depuis 2016 et s’est multiplié depuis sa mise en place par la réforme de l’asile en 2015 [Ofpra, 2019].
Plus de la moitié des demandeurs d’asile reçus dans les Caso sont originaires d’Afrique subsaharienne (57,4 %), et un quart vient d’Europe hors UE (25,2 %). Ils sont également
(33) L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est un établissement public administratif sous tutelle du ministère de l'Intérieur depuis le décret du 25 novembre 2010 chargé d'assurer en France l'application des textes relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d'apatride et à l'admission à la protection subsidiaire, notamment la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides. La Cour national du droit d’asile (CNDA) est la juridiction administrative compétente pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Ofpra. (34) On considère comme demandeurs d’asile les étrangers (hors Union européenne) dont la procédure de demande d’asile est en cours, c’est-à-dire les personnes ayant un rendez-vous ou une convocation en préfecture, une demande OFPRA en cours ou un recours/réexamen Ofpra/CNDA en cours. Depuis 2018, les personnes placées en procédure Dublin III ont également été comptabilisées parmi les demandeurs d’asile. (35) Loi n°2015-925 du 29 juillet 2015. (36) Les demandes placées en procédure accélérée (qui se substitue à la «procédure prioritaire» depuis la réforme de l'asile en 2015) sont instruites par l'Ofpra dans un délai de quinze jours (ou de 96 heures lorsque le demandeur d'asile est placé en centre de rétention administrative) suivant l'introduction de la demande (article R. 723-4 du Ceseda). Le placement d'une demande d'asile en procédure accélérée est automatique dans deux cas : 1/ lorsque le demandeur d'asile a la nationalité d’un pays considéré comme pays d’origine sûr ; 2/ lorsque le demandeur d'asile a effectué une première demande d’asile qui a été définitivement rejetée et qu'il demande son réexamen. (37) Pour aller plus loin : https://www.gisti.org/spip.php?article5116&quoi=tout#1
7,6 % à provenir du Proche et Moyen-Orient et 5,0 % du Maghreb. Les nationalités les plus représentées parmi les demandeurs d’asile sont les Nigériens, les Guinéens, les Géorgiens et les Ivoiriens (tableau 8).
TABLEAU 8 : PRINCIPALES NATIONALITÉS REPRÉSENTÉES PARMI
LES DEMANDEURS D'ASILE REÇUS DANS LES CASO, 2019.
Nigeria Guinée
Géorgie Côte d’Ivoire
Albanie
Afghanistan Mali 13,0 11,9 8,0 8,0 6,3 4,1 3,8 Rép. dém. du Congo Sénégal Algérie Angola Russie - Tchétchénie
Bangladesh Autres
3,3 2,8 2,5 2,4 2,4 2,4 29,2
UN DISPOSITIF D’ACCUEIL SATURÉ : UNE INSUFFISANCE CRIANTE DANS LE NOMBRE DE PLACES D’HÉBERGEMENT
La majorité des demandeurs d’asile reçus aux Caso sont arrivés depuis peu, puisque 88,4 % d’entre eux sont en France depuis moins d’un an lors de leur première visite au Caso et près des deux tiers (65,2 %) sont en France depuis moins de 3 mois.
Théoriquement, pendant l’instruction de sa demande, le demandeur d’asile, qu’il soit placé en procédure Dublin, en procédure normale ou accélérée, doit bénéficier de conditions matérielles d’accueil : il doit lui être proposé un hébergement ainsi que le bénéfice d’une allocation pour demandeurs d’asile (ADA). En réalité, 58,3 % des
demandeurs d’asile ayant consulté dans les Caso sont sans domicile fixe, en hébergement d’urgence de courte durée ou
vivent en squat ou bidonville. Ils sont ensuite 39,9 % à être hébergés principalement par des proches (19,3 %) ou par un organisme ou une association (18,9 %). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ailleurs condamné la France, en juillet 2020, pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les autorités françaises ont laissé durant des mois des personnes ayant demandé asile en France sans ressources et sans hébergement. Pour le juge de Strasbourg, cette situation est constitutive d’un traitement dégradant, alors même que «l’obligation de fournir un hébergement ou des conditions matérielles décentes aux demandeurs d’asile démunis fait à ce jour partie du droit positif et pèse sur les autorités de l’État défendeur concerné, en vertu des termes mêmes de la législation nationale qui transpose le droit de l’Union européenne, à savoir la «directive Accueil » [Basilien-Gainche, 2020]. «M. O., demandeur d’asile, se présente à la consultation, accompagné de son fils de 1 an et demi qui l’a rejoint avec la mère de ce dernier depuis 10 jours. Il signale que, malgré ses demandes à l’Ofii et ses appels quotidiens au 115, il n’a pas pu trouver d’hébergement pour sa famille. Cette situation est devenue tristement banale et fréquente.»
[Caso de Bordeaux, 2019]
Par ailleurs, les conditions d’hébergement varient selon l’avancée de la demande d’asile. Ainsi, les personnes disposant d’une convocation en préfecture (58,3 %) ou placées en procédure Dublin (51,9 %) sont plus souvent sans domicile fixe ou en hébergement d’urgence de moins de 15 jours que les personnes dont la demande est en cours d’étude (41,7 %) ou en réexamen (30,4 %). Par ailleurs, parmi les demandeurs
d’asile placés en procédure accélérée, la moitié sont sans domicile fixe ou en hébergement d’urgence de courte durée
contre un tiers pour ceux placés en procédure normale. Cette multiplication de «sous-procédures» d’asile participent ainsi à la précarisation d’une partie majeure des demandeurs d’asile, avec des conséquences en partie visibles dans les rues des grandes agglomérations.
L’ensemble de ces résultats souligne encore et toujours l’insuffisance du nombre de places d’hébergement pour demandeurs d’asile. En 2019, la Cimade a mis en avant un «sérieux problème d'attribution des places» dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), et les centres provisoires d’hébergement (CPH), puisque la moitié des personnes qui demandent asile ne sont pas hébergées38. Une part importante des demandeurs d’asile sont à la rue, beaucoup d'autres sont mis à l'abri dans les dispositifs d’hébergement d'urgence (peu adaptés à leur situation) contribuant ainsi à leur saturation. L’absence de solution d’hébergement dans le dispositif national d’accueil a également pour conséquence de les priver de l’accompagnement nécessaire voire indispensable à leurs démarches et à leur accès aux droits. Un rapport sénatorial de 2019 a également souligné que le sous-dimensionnement du parc d’hébergement «favorise le développement de campements insalubres» où cohabitent demandeurs d’asile, bénéficiaires d’une protection internationale et étrangers en situation irrégulière [Sénat, 2019].
«Mme X. est une jeune maman de deux enfants âgées de 4 et 3 ans. Actuellement en demande d’asile, elle attend un hébergement. En attendant, elle erre dans les rues avec ses enfants et essaye de trouver l’endroit le plus sécurisant où passer la nuit. Elle ira trouver refuge à la gare, comme tous les soirs d’ailleurs. Nous tentons les appels au 115 sans réponse en raison de la saturation des places, et faisons le lien avec le Samu social pour lui fournir quelques biens matériels. Mais ces actions ne sont pas suffisantes. Il est même frustrant de dire à cette famille et à bien d’autres personnes que ce soir "je suis désolée mais il n’y a plus de place" et que ce sera encore la rue.»
UN ACCÈS AUX DROITS ET AUX SOINS COMPLEXE
En 2019, la série de mesures adoptées à l’encontre de l’AME et des étrangers concerne également les demandeurs d’asile, organisant ainsi une régression du droit de ces personnes à l’accès aux soins en France. En effet, les personnes en demande d’asile devront attendre trois mois sur le territoire avant de pouvoir demander une couverture maladie, alors que, jusqu’à l’application de ces nouvelles mesures, les textes prévoyaient un accès immédiat, pour tenir compte de l’accumulation de vulnérabilités en santé constatées chez les demandeurs d’asile. Cette mesure va avoir un impact majeur sur l’état de santé de cette population déjà très vulnérable (cf. partie «Accès à la couverture maladie : de nouvelles attaques en 2019 contre l’AME et les droits à la santé des demandeurs d’asile», page 71).
En effet, malgré ces droits théoriques, les trois quarts des demandeurs d’asile ne disposent d’aucune couverture
maladie lors de leur première visite au Caso. La part des demandeurs d’asile ayant une couverture maladie s’améliore avec la durée de résidence en France mais reste faible : 78,7 % des demandeurs présents depuis moins d’un an n’ont pas de droits ouverts contre 50 % pour ceux présents depuis plus d’un an.
Les principaux freins rencontrés dans l’accès aux droits des demandeurs d’asile sont les obstacles administratifs liés à la barrière linguistique (31,8 %), à la complexité des démarches (26 %), à la méconnaissance des droits et des structures de soins (23,2 %). De plus, 16,5 % d’entre eux évoquent également les délais d’instruction trop longs pour la couverture maladie. De plus, l’accès aux droits nécessite d’avoir une adresse postale. Or, 22,8 % des demandeurs d’asile n’en possèdent pas (cf. partie «La domiciliation : un obstacle important à l’accès aux droits», page 76).
Lors des consultations médicales avec un médecin généraliste, 48,6 % des demandeurs d’asile, présentaient selon les médecins un retard de recours aux soins et 46,3 % nécessitaient des soins urgents ou assez urgents. MdM est attentif aux conséquences de ce nouveau délai imposé de 3 mois de présence en France sur l’état de santé des personnes demandant l’asile.
LES RÉPERCUSSIONS DES CONDITIONS DE VIE SUR LA SANTÉ
En 2019, 4 258 consultations de médecine générale ou spécialisée ont été réalisées auprès de 2 240 demandeurs d’asile. Les pathologies les plus fréquentes rencontrées chez les demandeurs d’asile reçus au Caso sont globalement identiques à celles de l’ensemble des autres personnes rencontrées : ils ont principalement consulté un médecin généraliste pour des troubles liés au système digestif (24,7 %), respiratoires (18,8 %), ostéoarticulaires (18,0 %) ou dermatologiques (13,7 %). On remarque toutefois que les demandeurs d’asile souffrent plus fréquemment de troubles d’ordre psychologique (12,3 %). Ces troubles se caractérisent en premier lieu par des troubles anxieux, du stress, des manifestations psychosomatiques (9,6 % contre 5 % chez les autres personnes). Les facteurs de souffrance souvent évoqués par les personnes rencontrées sont des événements traumatiques avant ou pendant la migration, le faible niveau d’acculturation et l’isolement dans le pays d’accueil, la séparation de la famille, le manque de soutien social et la discrimination perçue [Reques-Sastre, 2019]. De plus, les difficultés et les lourdeurs liées à la procédure d’asile les fragilisent [Chambon, 2016] et renvoient l’image d’un système qui cherche à dissuader plutôt qu’à accueillir.