L'imaginaire dans la lecture et l'interprétation de l'entité architecturale - Pfe Med Yahya El Alj

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Le rôle de l’imaginaire dans la lecture et l’interprétation de l’entité architecturale


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rEMERCIEMENT :

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SOMMAIRE : Problématiques et hypothèse ................................ 8 Plan de Travail .........................................................12

Introduction :

Le réel et la réalité, entre perception et imaginaire ....... 15

CHAPITRE I : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec l’humain 1 - L’anatomie d’une architecture ........................................................... 21 2 - Le dialogue espace/usager .................................................................. 24 3 - Le facteur temps dans la formulation dialogue espace/usager ............. 51

Chapitre II : La linguistique architecturale et l’interprétation de l’architecture : 1 - Introduction .......................................................................................................... 59 2 - Le langage verbal : ................................................................................................. 60 3 - Le langage architectural ...................................................................................... 75 4 - L’architecture comme langage ............................................................................ 101

Chapitre III : L’imaginaire et son inhérence à l’architecture : 1 - Introduction : ........................................................................................................... 125 2 - Le mythe et l’utopie dans la construction du réel ............................................. 127 3 - Le role de l’imaginaire dans la construction de noitre perception ......................138

Chapitre IV : L’architecture comme vecteur de postériorité 1 - Introduction ......................................................................................................... 149 2 - Le mythe et l’utopie dans la construction du réel ....................................... 160 3 - Les fondements de la méthodologie de lecture et d’analyse ................... 138

Chapitre V : L’architecture mérinide : analyse et relecture 1 - Introduction : .........................................................................................165 2 - Lecture du cadre contextuel relatif à la période mérinide .........169 3 - Les medersas à l’ère mérinide .................................................176 4 - Ce que les medersas nous révèlent comme vérité sur la période mérinide .................................... 222

Synthèse .................................................................. 229 Bibliographie ....................................................... 230 Liste des figures .................................................. 232

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On raconte que lorsque le roi Nimrod voulu s’autoproclamer Dieu, il ordonna l’édification d’une tour si haute que son sommet devait dépasser les cieux. Il souhaitait, par cet édifice, exhiber son pouvoir et sa prépotence, et accentuer son règne et sa suprématie. Et même si la tour de Babel ne fut jamais achevée, elle était si somptueuse que les récits qui la décrivaient la présentaient comme étant un édifice féérique et mystique. Ainsi, elle devint un mythe, et ce mythe immortalisa à tout jamais, la légende du Nimrod. Autre despote qui s’est servi de l’architecture pour immortaliser son nom était Mausole, gouverneur de Carie (Bodrum actuellement). Ce dernier fit édifié à sa gloire le mausolée d’Halicarnasse, un bâtiment si spectaculaire qu’Homère l’a défini dans son Iliade comme l’un des sept merveilles du monde. De ces dernières, seule la grande pyramide résista à l’épreuve du temps. Aujourd’hui, elle continue toujours de nous emerveiller. Son échelle titanesque, sa géométrie occulte, son rapport avec les constellations et sa réalisation hors normes rendent inimaginables qu’une civilisation ancestrale a put ériger, dans des temps jadis, ce qu’on ne pourra réaliser dans nos temps modernes. Et c’est ce qui nous pousse à construire tout un imaginaire sur l’histoire de cette pyramide et sur l’identité de ses bâtisseurs.

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Tour de Babel Elena Schweitzer

[2] Le mausolée d’Halicarnasse Evgeny Kazantsev

[3]

La pyramide de Gizeh

Scott Richard

Comme nous pouvons le constater, depuis l’aube de la civilisation et jusqu’à nos temps modernes, l’homme a toujours su comment se servir de l’architecture pour manifester ses volontés et ses désirs. Par le biais de cette dernière, des civilisations ont pu refléter leur culture et leurs croyances. D’autres ont pu l’utiliser pour mettre en avant la prospérité de leur société et sa richesse. Tandis que d’autres l’ont utilisé pour imposer leur suprématie et assouvir leur narcissisme. Aussi, de notre interférence avec ces architectures, nous arrivons à saisir ce que les bâtisseurs ont souhaité nous transmettre à travers elles, et à déceler ce que ces dernières incarnent comme sémantiques et données latentes formulant l’identité de l’édifice et personnifiant l’idéel qu’elles symbolisent. De ces lignes, nous comprenons que l’architecture est d’abord une volonté traduite en espace,

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la transcription concrète d’un imaginaire construit et le miroir reflétant une image mentale particulière. Au-delà de sa forme corporelle, elle est ce qu’elle recueille comme éléments sensibles et imperceptibles. Elle est ce qu’elle renvoie comme imaginaire et ce qu’elle symbolise comme idéel. Comme l’explique Juhani Pallasmaa, « elle est la projection d’une image métaphorique d’un scénario architectural que nous construisons dans notre imaginaire et qui se veut pro1 curer une réalité idéaliste ». Cette définition illustre avec exactitude ce qu’est une architecture : la personnification d’un scénario, construit mentalement, illustrant un idéel que nous souhaitons exprimer. Parallèlement, la force de l’architecture réside aussi dans son habileté à faire resurgir d’elle cet ensemble d’actions sémantiques qu’elle incarne en elle et qui traduisent ce qu’elle personnifie comme imaginaire. Sans pour autant se prononcer, elle arrive à transmettre en nous certains ressentis et impressions stimulant notre imaginaire et induisant à une lecture et une interprétation particulière d’elle. Cette nature discursive fait de l’architecture un outil linguistique puissant. Non seulement elle permet au bâtisseur d’exprimer ses rêveries mais elle permet aux autres de lire et interpréter ces dernières. Par conséquent, si l’architecture naît d’un imaginaire et le manifeste, il est légitime alors que ce soit lui qui structure la lecture et l’interprétation que nous faisons d’elle. Ceci est correct, puisque lorsque nous rentrons en interférence avec une entité architecturale, nous arrivons à identifier, à travers ce qu’elle inspire (monumentalité, autorité, sacralité…), l’image identitaire qu’elle œuvre de manifester. Cependant, cet imaginaire formulé sur elle et à travers elle n’est pas exactement à l’image de l’imaginaire que le concepteur souhaitait nous transmettre, pourtant, ces deux images se convergent et se ressemblent. Conjointement à cela, il faut savoir aussi que la lecture et l’interprétation que nous faisons de l’espace sont des processus de perception. Elles sont donc assujetties à des facteurs subjectifs (les croyances, le vécu, la culture…). Cela fait que chacun de nous lit et interprète l’espace différemment. Toutefois, cela n’empêche en rien que nos lectures et nos interprétations peuvent afficher de grandes similarités. Prenons l’exemple de la pyramide de Gizeh, en la visitant, on sera tous éblouis par sa forme monumentale et monolithique. Cela engendrera en nous une sensation d’émerveillement vis-à-vis cet aspect solennel qu’elle renvoie. Or, ce ressenti, malgré qu’il soit partagé, doit sa formulation à des facteurs qui diffère d’une personne à une autre. Chez certains, il sera relatif à l’échelle monumentale de la pyramide, chez d’autres il sera relatif à sa nature éternelle et immémoriale, et chez d’autres il sera relatif sa dimension ésotérique.

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Comme nous pouvons le remarquer, nonobstant le fait que l’imaginaire et la perception sont des mécanismes subjectifs qui différent d’une personne à une autre, notre interférence avec l’entité architecturale induit, tout de même, à des lectures et des interprétations pratiquement similaires qui concordent avec le sens et la signification que les concepteurs souhaitaient communiquer. Ce qui nous met devant une grande controverse : est-ce vraiment notre imaginaire qui structure et achemine notre lecture et interprétation de l’architecture ou est-ce cette dernière qui le fait ? L’un des premiers architectes ayant abordé une telle question, si ce n’est le premier, était William Richards Lethaby. Dans son livre « architecture, mythe et mysticisme », il questionne plusieurs phénomènes relatifs à l’architecture, dont celle de la perception. Pour lui, l’un des phénomènes les plus intriguant en architecture est cette impression commune que nous formulons tous sur une même architecture. Prenons par exemple la notion du « beau ». Lethaby trouve fascinant que quelles que soient nos origines, notre culture, notre religion ou notre idéologie, nous arrivions tous à voir la beauté là où elle se trouve : personne ne peut ne pas aimer l’apaisement que génère le paysage paradisiaque de Zanzibar, la sérénité qu’engendrent les couleurs azur de Chefchaouen, la paix qu’instaure la sobriété des jardins japonais… Ce constat l’a mené à formuler une question très intéressante : est-ce que l’architecture incarne dans ses travers les codes d’un langage universel maniant notre perception ?

2 - W.R. Lethaby, Architectvre, mysticism & myth, Macmilan, 1892, pp. 11.

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En puisant dans les origines de l’architecture, Lethaby comprit que pour aborder ce sujet, il fallait dissocier la notion « architecture » du sens « construction » qu’elle peut renvoyer, et l’aborder uniquement dans son sens notionnel, soit «comme pensée réflective œuvrant la personnification d’un désir en un objet corporel dont le sens réside dans ce qu’il manifeste et transmet; et visant à satisfaire, non pas les simples besoins du corps, mais plutôt les besoins complexes de 2 l’intellect ». Cette optique de recherche a amené Lethaby, dans un premier temps, à constater que toute pensée architecturale est structurée, inconsciemment, par des mécanismes instinctifs : la recherche de symétrie, de sublimité, d’esthétisme… Aussi, il a remarqué que la notion de « style » n’est qu’une évolution préméditée et légitime relative l’évolution de la culture, du culte et de la pensée humaine, une évolution fruit du streams des civilisations qui se sont succédées et qui se sont influencées héréditairement. Ainsi, il constata que trois paramètres prédominants manufacturent l’émersion d’une architecture : en premier temps, nous retrouvons les besoins et les désirs communs de l’homme. En second plan, les propriétés physiques des matériaux et ce qu’elles imposent comme réalité constructive. En dernier plan, le style qui est le reflet du savoir et l’imaginaire acquits et formulés de notre connexion avec les mondes terrestres et célestes.


Ces investigations ont amené Lethaby à la vérité que les innombrables styles architecturaux, quels que soient leurs lieux de naissance et quels que soient leurs contextes historiques, partagent, tous, les mêmes origines ; que derrière leur émergence, le besoin de s’exprimer ; et que derrière les codes esthétiques, sémiotiques et spaiales qui les structurent une pensée relative à l’imaginaire d’un espace dans le temps. De ce que cette enquête épistémologique relève et révèle, on déduit que l’immanence réelle de l’architecture réside dans ce qu’elle matérialise et transmet comme imaginaire ; que l’entité architecturale, comme objet, n’est qu’un vecteur servant à véhiculer cette dernière ; et que sa progéniture n’est que la résultante d’un ensemble de combinaisons formelles et spatiales visant à calligraphier et transmuter l’image d’une pensée en réalité. C’est pourquoi, nous clamons que l’architecture est, en vérité, un langage de communication. Idem à notre langage naturel, elle aussi a des racines étymologiques. Elle aussi est structurée par des lois de syntaxe, de sémantique et de vocabulaire. Elle aussi est l’expression d’une image mentale. De ce fait, nous estimons qu’il est possible, à travers une approche de lecture basée sur la linguistique architecturale (étude linguistique approfondie comprenant des études de la sémantique, de la sémiotique, l’herméneutique, de philologie…), d’étudier comment l’imaginaire et l’architecture manient notre lecture et notre interprétation de cette dernière. Aussi, puisque nous supposons que la linguistique architecturale nous permettra de restituer des connaissances archaïques relatives à l’usage de l’architecture comme langage dans différents temps, nous estimons alors qu’il est possible de se servir de cette approche de lecture pour faire de l’architecture un outil permettant de révéler des connaissances occultes de temps jadis. Ce mémoire aura donc comme visée l’élaboration d’une méthodologie de lecture qui nous permettra de comprendre comment l’imaginaire et l’architecture influencent la lecture et l’interprétation que nous faisons de l’entité architecturale, et qui nous permettre aussi de se servir de cette dernière comme vecteur de postériorité.

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Chapitre I : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec l’humain : Chapitre visant l’étude des mécanismes et des facteurs structurant notre dialogue avec l’entité architecturale et abordera les questionnements suivants : • D’où l’architecture (dans son sen notionnel) acquiert signification et comment elle prend forme ? • Comment nos différents mécanismes de réception lisent et interprètent l’entité architecturale et comment cela induit à la formulation d’une perception spatiale particulière ? • Comment le facteur temps (dans toutes ses formes) impacte régulièrement notre perception architecturale ? Cette étude va nous nous élucider le rôle de la nature discursive de l’architecture dans la formulation de notre perception architecturale. Chapitre II :La linguistique architecturale et l’interprétation de l’architecture : Dans ce chapitre, nous allons appréhender l’architecture comme étant un langage. Nous allons questionner sa nature discursive et étudier comment ses trois formes linguistiques lui donnent sens. Cette étude s’articulera autour de trois thématiques fondamentales : • Le langage verbal et son rôle dans la formulation l’identité intrinsèque de l’architecture : étudier comment le langage verbal imprègne et la formulation de la pensée architecturale et la construction de notre perception. • Le langage des formes : étudier comment les compositions formelles et sémiotiques de l’entité architecturale inculquent à cette dernière sens, symbolique et sémantique, et étudier comment ces derniers structurent le sens de notre lecture et interprétation de l’espace. • L’architecture comme langage : étudier comment la sémantique de l’espace imprègne la lecture sensitive et sensible que nous faisons de l’entité architecturale, et comment elle induit à la formulation d’une perception architecturale dont la nature est basée sur la nature de notre lien relationnel avec l’architecture. Dans cette étude, nous allons comprendre le rôle probant de notre cognition, et en particulier de notre imaginaire, dans la lecture de ce que ces trois forme linguistique communique. Chapitre III : L’imaginaire et son inhérence à l’architecture : Ce chapitre sera une réflexion sur le lien inhérent existant entre l’imaginaire et l’architecture. Nous allons voir comment du premier émerge l’entité architecturale, et comment, à travers lui, cette entité incarne sens et symbolique. Dans ce chapitre, nous questionnerons comment l’entité architecturale stimule notre imaginaire et comment elle l’achemine à interpréter ce qu’elle personnifie comme imaginaire. Pour aboutir à cela, nous aborderons les questionnements suivants :

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• Comment le mythe et la fiction ont engendré la notion « architecture » et comment ils lui ont toujours été assujettis ? • Comment l’imaginaire et l’utopie ont évolué à travers le temps et comment cette évolution a affecté l’architecture ainsi que notre perception d’elle ? • Comment, à travers notre imaginaire, se conçoit l’image identitaire perceptible que nous portons sur l’architecture ? Chapitre IV : L’architecture comme vecteur de postériorité : L’investigation que nous avons mené tout au long des chapitres précédents nous a fait comprendre que l’architecture éclot d’une pensée qu’elle communique ou souhaite communiquer, que sa corporalité n’est que le fruit de l’agencement d’un ensemble de dimensions vouant à transcrire et communiquer cette pensée. Cette étude nous fera comprendre aussi que c’est à travers ses trois formes linguistiques que l’architecture déploie ce qu’elle incorpore comme idéel, et que c’est à travers notre imaginaire que nous arrivons à interpréter et à saisir ce qu’elle est et ce qu’elle signifie. De ce fait, nous estimons qu’à travers cette compréhension, qu’il est possible de retracer les vestiges qui ont induit à la formulation de la pensée architecturale et utiliser cela pour formuler une image rétrospective de ce que l’architecture a recueillis comme imaginaire. Ce chapitre visera donc à déployer les différentes facettes dans lesquelles l’architecture préserve les vestiges du passé, et élaborer une méthodologie de lecture permettant de faire de l’architecture un vecteur de postériorité. Chapitre V : L’architecture des medersas mérinides (cas d’étude) : Chapitre visant à expérimenter l’efficience de notre méthodologie de lecture. Il portera sur l’architecture des medersas mérinides. Il visera à retracer l’imaginaire derrière leur genèse et reconstituer une image assez lucide et verdict sur comment était le Maroc à l’ère mérinide. Cette analyse portera, dans un premier temps, sur l’étude du contexte historique de l’époque. Dans un second, elle portera sur l’étude exhaustive des différents aspects retraçant l’idéelle derrière la conformation de ces medersas. Ces révélations vont nous permettre de construire une idée sur le contexte politico-religieux et socio-culturel de l’époque.

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introduction :

Le réel et la réalité entre perception et imaginaire


INTRODUCTION : « E pur se muove -et pourtant elle tourne- », ainsi fut la réponse de Galileo à l’Église catholique au moment où cette dernière réprima ses travaux sur la cosmologie et le condamna à s’exiler à Florence. L’église trouvait que ces travaux étaient hérétiques. Ils soutenaient la thèse copernicienne présumant que le centre de l’univers était le soleil. Chose qui contredisait les enseignements de l’église qui catéchisait plutôt une conception géocentrique du monde.

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Galilée devant le Saint Office au Vatican (1847) Joseph-Nicolas Robert-Fleury

Lorsque Galilée publia son « Sidereus Nuncius -Le Messager céleste- », il savait pertinemment que ses observations allaient déplaire à l’église et que, en les publiant, il allait mettre sa vie en péril. Pourtant, il exposa ce qui était, dès lors, les preuves irréfutables de l’héliocentrisme. Galilée était persuadé qu’on ne pouvait démentir ce qu’on pouvait vérifier nettement de nos propres yeux. Les observations qu’il avait faite à travers ses lunettes astronomiques lui ont montré que Copernic avait raison. Kepler, astronome de la même période, avait la conviction que seules les réponses qui avaient des fondements logiques et qui concordaient avec les lois physiques pouvaient être admise comme réalité. Et puisqu’il avait pu démontrer mathématiquement la véracité de la théorie copernicienne, lui aussi la soutenue. Pour l’église, il n’y avait pas de réalité autre que celle citée dans les évangiles, c’est pourquoi, elle considérait que toute découverte scientifique hétérodoxe était un outrage qui portait atteinte à la religion. Si le procès de Galilée avait suscité beaucoup de bruit, c’est parce que non seulement le contenu de son livre avait bouleversé la conception millénaire que les anciens avaient du monde, mais aussi parce que cette polémique avait remis en question les fondements mêmes de la réalité, et a ouvert la parenthèse sur de nombreuses questions : doit-on construire notre réalité sur la base de nos croyances ou sur la base de faits concrets ? Doit-on se fier à nos sens pour approuver une réalité ou doit-on la fonder sur la base de notre compréhension des lois structurants le monde tangible ? Est-ce que notre conception de la réalité traduit-elle vraiment le réel ?

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Le réel subsiste indépendamment de nous. Il se tient sur des faits tangibles pouvant être indiscernables et hors entendement humain. La réalité, par contre, ne se base que sur les données récoltées ou formulées à travers nos sens, notre conscience et notre inconscient. Sa conformation est relative à comment notre système cognitif traite ces informations. Le fait que plusieurs choses nous échappent fait que notre réalité peut ne pas être une vérité absolue. A vrai dire, elle ne peut être qu’une vérité partielle ou bien une illusion. C’est pourquoi, notre réalité ne traduit que notre « perception » du réel. Dire que notre réalité dépend de notre perception stipule implicitement qu’a chacun sa réalité. Or, le fait que notre existence soit assujettie à une réalité commune rend ces propos paradoxaux. Pour résoudre cette aporie, il est nécessaire de comprendre la corrélation existante entre l’ensemble de ces questionnements existentiels (le réal, la réalité, l’existence…). La réalité de notre existence se fond sur notre conscience du soi. Cette dernière émerge de notre conscience du monde qui nous entoure (perception du monde et conscience du non soi). En d’autres termes, la conscience qui éclot de notre perception fait de notre existence une réalité indéniable. Par ailleurs, la légitimité de notre existence ne dépend pas uniquement de notre conscience de soi, elle dépend aussi de notre insertion (présence) dans l’espace et de la conscience du non-soi de nous. En fait, nous pouvons dire que la légitimité de notre existence est assujettie au fait de pouvoir percevoir et au fait de pouvoir être perçu. C’est pourquoi Merleau-Ponty pense que la réponse à tous les questionnements existentiels réside dans la question de perception. La perception, selon Merleau-Ponty, est d’abord ce contact naïf avec le monde. À travers elle, notre réalité prend forme et sens. Sa construction se base sur ce que nous récoltons comme données sensorielles et sur comment notre conscience et notre subconscient analysent et interprètent ces dernières. Ce processus analytique fond sa construction aussi sur nos connaissances, nos croyances, notre apprentissage, notre vécu, notre intellect, notre culture, notre imaginaire... La pluralité de ces facteurs ainsi que leur caractère impondérable fait que le cheminement que prend cette construction soit arbitraire et fluctuant, et fait que l’étude de la perception paraît être, jusqu’à aujourd’hui, une quête inscrutable. Comme nous pouvons le comprendre, la formulation de notre perception se base sur deux phases : une phase réception (assimilation) et une phase d’appréhension (accommodation). Dans la première, nos sens récoltent, de ce qui nous entoure, les données ostensibles extrinsèques à nous, tandis que notre conscience et notre subconscient (la connaissance, la mémoire, le raisonnement, l’intuition…) formulent des données intrinsèques relatives aux données récoltées.

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Ces données réceptionnées ainsi que celles formulées se divisent en deux catégories : des données communes à nous tous (données récoltées sensoriellement, des évidences, des connaissances avérées…) et des données propres à chacun de nous (données relatives à notre exprérience, à nos émotions, à notre raisonnement…). Dans la seconde, nos systèmes cognitifs traitent l’ensemble de ces données sur la base des multiples facteurs de perception (le raisonnement, les sensations, l’intelligence, les croyances…) tout en favorisant certains sur d’autres. Dans cette phase, nos perceptions peuvent suivre le même cheminement et se fonder sur les mêmes facteurs (exemple : Copernic, Kepler et Galilée qui ont fondé leur perception sur la raison), comme elles peuvent suivre des cheminements relatives à chacun de nous et se fonder sur des facteurs distincts (l’église qui a fondé sa perception sur leurs croyances). À revoir ces deux phases, nous allons constater que nous construisons nos perceptions sur des fondements collectifs et d’autres individuelles ; que ces fondements collectifs sont principalement des données tangibles réceptionnées, universellement, de la même manière ; tandis que les fondements individuels sont des donnes impalpables naissant de nos facteurs de perception (connaissances, sentiments, intuition, culture, croyances…). Entre autres, nous pouvons dire que notre perception se construit sur du factuel, de l’idéel et du sensitif. Comme nous avons pu le voir, la majorité des facteurs formulant notre perception sont de l’ordre de l’idéel et du sensible (la mémoire, la cognition, les croyances, la rêverie, l’intuition, la culture…). Leur prépondérance fait que notre perception fond sa construction plus sur un imaginaire construit que sur du réel. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous percevons différemment la même réalité. Pour que mes propos ne soient pas mal compris, dire que notre perception naît d’un imaginaire construit ne signifie nullement qu’elle est le fruit d’une chimère ou d’une illusion (même si ça pourrait être le cas). Cela signifie simplement qu’elle est le fruit de plusieurs opérations mentales effectuées par notre imagination induisant à la formulation d’une réalité alternative substituant le réel et voulant être une image explicite et appréhensible de ce dernier. Clairement, nous sous-entend par imaginaire tout ces processus mentaux que notre cerveau effectue pour décrypter et appréhender tout ce qui l’entoure : c’est cette capacité à anticiper l’impact d’une action dans l’espace et dans le temps, c’est cette capacité à faire resurgir ce qui est latent de ce qui est visible, c’est cette capacité à projeter dans un espace un ensemble de faits illustrant un passé, un futur ou une rêverie... Le terme « imaginaire » signifie ici cette lecture et cette interprétation propres à chacun que nous faisons de ce qui nous entoure.

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Pour vous mettre dans l’image, prenons l’exemple de nos échanges avec autrui : lorsque nous dialoguons avec quelqu’un, notre attention ne se porte pas uniquement sur ses paroles, mais aussi sur son aspect physique, les traits de son visage, sa physionomie, son style vestimentaire, son parfum, sa voix… En écoutant ses propos, nous devenons attentifs à sa manière de penser et de parler. Nous devenons attentifs aussi à sa gestuelle et à ses expressions de visages. En reliant ces données méticuleusement réceptionnées avec des connaissances déjà acquises ou avec des présomptions, nous formulons une image plus complète sur notre interlocuteur et nous arrivons à formuler des impressions sur lui : est-il quelqu’un de sincère, est-il quelqu’un d’intelligent, est-il quelqu’un de bien ?... Et c’est sur la base de cette lecture et interprétation que se définit notre comportement avec lui (affection, respect, mépris, …). Ainsi, nous comprenons à quel point notre imagination et notre imaginaire sont déterminants dans la construction de notre perception, soit de notre réalité. Ce rôle patent que joue l’imaginaire dans la construction de notre perception est immuable aussi dans notre relation avec l’espace et l’architecture. Non seulement il structure et achemine la formulation de notre perception architecturale, mais c’est par son biais que l’architecture arrive à générer en nous des ressentis et des émotions. Si dans notre discours nous faisons distinction entre « perception » et « perception architecturale », c’est parce que nous estimons que la formulation de cette dernière suit un cheminement assez particulier : comme cité précédemment, la réalité de notre existence naît du cogito. Ce dernier émerge de notre perception de l’espace et de ce qu’il incarne en lui comme entités extrinsèques à nous. De ce fait, il est important de distinguer entre « perception spatiale » et « perception du non-soi ». L’architecture, par conséquent, se présente à la fois comme espace qui nous contient et comme entité extrinsèques à nous. Notre perception d’elle se veut être alors une corrélation entre les deux formes de perception citées. De ce fait, nous estimons que la perception architecturale doit être étudiée comme processus appart entier ayant ses propres spécificités et ses propres mécanismes de fonctionnement. Vu la nature discursive de l’architecture, notre perception architecturale naît de notre dialogue avec elle. Ce dialogue est une forme d’interférence comprenant trois strates : la première est cette interférence qui se produit entre nous, comme corps, et l’architecture comme entité corporelle. La seconde est celle qui se produit entre notre intellect et l’architecture comme entité corporelle et spatiale. La dernière est celle qui se produit entre nous, comme entité consciente et sensible, et l’architecture comme entité identitaire discursive. Dans chacune de ces strates, notre imaginaire influence, d’une manière ou d’une notre, la lecture et l’interprétation que nous faisons de l’entité architecturale. Cette influence se répercute manifestement sur le cheminement et le sens que prend la formulation de notre perception architecturale. De ce fait, nous pouvons déduire que notre imaginaire joue un rôle probant dans la formulation de cette dernière.

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Comme citée précédemment, notre imaginaire se structure sur la base de plusieurs facteurs et mécanismes. La pluralité de ces derniers ainsi que leur caractère impondérable font que la formulation de notre perception suit un cheminement arbitraire et fluctuant. Aussi, le fait que chacun de nous fond sa perception sur la base de fondements qu’il juge, lui, crédible, fait que la formulation de cette dernière diffère d’une personne à une autre. C’est pourquoi, vouloir étudier les causes et les processus induisant à la formulation d’une perception architecturale précise se veut être une quête insaisissable. Par contre, étudier la causalité de l’interférence entre l’architecture et notre imaginaire sur le cheminement que prend la formulation de notre perception est une quête plus accostable. C’est pourquoi, dans ce travail, nous allons étudier comment l’entité architecturale, à travers ses dimensions et ses composantes, influence la lecture et l’interprétation que nous faisons d’elle. Puis, nous étudierons comment cette lecture et interprétation influence la formulation de notre perception. Mais d’abord, il nous est nécessaire d’étudier en premier lieu les dimensions et les composantes de l’entité architecturale qui stimulent nos mécanismes de perception.

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Chapitre i :

L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec le corps humain


« Tels les pigments d’une toile qui ne sont que le véhicule d’une peinture, la construction n’est que le véhicule d’une architecture. L’essence de cette dernière ne réside pas dans la forme qu’elle incorpore, mais dans l’idée qui l‘a engendré et qu’elle doit véhiculer ». L.W. Lethaby, Architecture mysticism and myth, 1892

Au-delà du dessein de transcrire un scénario imaginé reflétant l’image d’un idéel, à la genèse d’une architecture, la volonté de répondre à un ensemble d’enjeux et de problématiques. Cette visée contraint l’architecte à trouver une formule idoine qui lui permettra d’aboutir à une réponse seyante répondant pertinemment à l’ensemble des questionnements posés et ne générant aucune discordance pouvant induire à des dysfonctionnements fonctionnels. Ceci fait de l’architecture la progéniture d’un ensemble de réflexions et de concepts, la résultante d’une multitude de scénarios et d’hypothèses, et la juxtaposition d’un ensemble de dimensions qui lui donnent sens et symbolique.

Par le terme « dimension », nous désignons le registre dans lequel s’inscrit un aspect particulier identifié dans une architecture. Il se présente comme une forme répondant à un questionnement précis ou comme une spécificité identitaire propre à cette entité architecturale. Ces dimensions sont indénombrables. Elles varient d’un projet à un autre et dépendent des problématiques et des enjeux auxquels le projet doit répondre. Chacune d’elles est un organe indépendant qui a sa propre fonction, sa propre structure et son propre mécanisme, et chacune d’elles participe à la formulation du corps architectural. Le bon fonctionnement de ce dernier dépend de la complémentarité et du bon fonctionnement de ces dimensions. Certaines d’entre elles sont présentes dans tous les projets puisqu’elles lui sont fondamentales, et se manifestent sous des aspects tangibles (Forme, fonction, structure, disposition spatiale, échelle…). D’autres dimensions sont une réponse à des volontés propres au projet. Elles peuvent se manifester sous des aspects concrets ou abstraits. Tandis que d’autres dimensions peuvent être acquises avec le temps, ou perdues. Certaines dimensions ne peuvent naître qu’après l’interaction entre d’autres dimensions. Leur genèse, peut-être une volonté propre à l’architecte comme elle peut être un résultat accidentel ou chaotique d’une configuration non maîtrisée. Ces dimensions sont, pour l’architecture, ce qu’est une cellule pour un tissu vivant. Elles lui sont vitales, et participent profondément au processus de sa genèse.

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Pour illustrer ce que nous sous-entendons par le terme « dimension », prenons l’exemple d’un édifice connu et analysons-le selon les différentes dimensions qui le composent. Prenons l’exemple la mosquée Hassan II (Casablanca, Maroc) :

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Mosquée Hassan II, Casablanca, Maroc Michel Pinseau (1993)

La mosquée Hassan II est une figure emblématique de l’architecture marocaine. A sa genèse, une volonté royale d’offrir au Maroc un édifice iconique qui sera à l’image de ce qu’est le Taj Mahal pour l’inde, la tour Eiffel pour la France, ou l’opéra de Sydney pour l’Australie ; une icône qui reflétera les spécificités identitaires du royaume et qui mettra en avant sa richesse patrimoniale et culturelle. Aussi, derrière cet édifice, le désir de feu Hassan II d’immortaliser son nom dans la mémoire collective des marocain. seule l’édification d’un monument d’envergure pouvait lui assurer cela. Dans l’optique de concrétiser ces désirs, la conception devait disposer d’un certain nombre de propriétés qui seront déterminantes dans la personnification des différentes quêtes recherchées. Par exemple, il était légitime que l’édifice soit d’une échelle titanesque pour lui étiqueter le statut « d’icône nationale ». Aussi, Il était légitime que la mosquée soit d’un style architectural souligné reflétant la culture et l’identité du pays. Ce qui explique la prédominance du travail artisanal colossal présent dans l’intégralité de l’édifice. Par ailleurs, attribuer à ce dernier le nom du monarque était aussi un geste nécessaire pour graver le nom « Hassan II » à tout jamais dans la mémoire collectifs des citoyens. Par conséquent, aboutir à ces desseins passait par l’obligation de confronter une multitude de contraintes. Par exemple, le désir de théâtraliser la mosquée et de l’ériger, en partie, sur la mer a rendu sa réalisation délicate. Le fait que le minaret n’était pas visible depuis l’intérieur de la salle de prière a induit à la surélévation de ce dernier. Ceci a causé, bien évidemment, des complications dans la réalisation. Aussi, les sommes budgétaires colossalles que nécessitait une telle réalisation a

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fait que l’état imposa des taxes participatives à tous les citoyens pour pouvoir récolter les fonds nécessaires. Tout cela, a attribué à la mosquée des dimensions autres que celles recherchées. En analysant le projet, nous remarquerons qu’il personnifie et procure l’ensemble de propriétés répondants aux enjeux et aux problématiques posés, des propriétés qui se manifestent à travers les différentes dimensions qu’il renvoie : • Dimension identitaire : l’édifice incarne en lui les piliers fondamentaux sur lesquels s’érige l’image identitaire que le makhzen souhaitait diffuser du pays : la culture et la tradition manifestées par le travail artisanal, la religion manifestée par le choix du programme et la monarchie manifestée par le nom attribué à l’édifice. • Dimension patrimoniale : se manifeste par les différents motifs et décors traditionnels marocains qui se lisent sur l’intégralité de l’édifice. A travers ce travail artisanale exquis et prédominant, on souhaitait exhiber la beauté de l’artisanat traditionnelle, le savoir-faire artistique excellé de l’artisan marocain et la richesse du patrimoine matériel et architectural du pays. • Dimension esthétique : se manifeste par l’aspect formelle soulignée de l’édifice qui se caractérise par son l’échelle majestueuse, son style architectural particulier et son épiderme fait de mosaïque, marbre, pierre et bois de cèdre. Dimension religieuse : se manifeste par la fonction du monument, l’ampleur qui lui a été donner et son architecture insigne de style islamique. Cette dimension reflète le grand statut qu’a l’islam dans la société marocaine. • Dimension politique : se manifeste par le nom attribué à l’édifice et reflète la volonté du roi Hassan II d’édifier un édifice iconique portant son nom qui immortalisera son passage dans l’histoire. • Dimensions urbanistique : se manifeste par l’échelle monumentale de l’édifice qui fait de lui un repère urbain éloquent dans la ville casablancaise. De cette analyse, nous pouvons comprendre qu’une dimension désigne le registre dans lequel s’inscrit un caractère particulier identifié dans l’objet architectural. Nous pouvons la définir comme étant un trait de caractère participant à la formulation de l’identité de l’édifice. Toujours d’après la même analyse, nous pouvons comprendre que chaque dimension peut se manifester selon un ou plusieurs aspects. Elle peut être exprimée de plusieurs manières et par différentes compositions. Aussi, une même composition peut générer et manifester plusieurs dimensions à la fois. Certaines dimensions ont plus d’envergure que d’autres. Elles se manifestent d’une manière plus prononcée, et peuvent être composées de plusieurs autres dimensions. Tandis que d’autres dimensions naissent suite à l’interprétation singulière que peut avoir chaque individu du projet ou d’une de ses composantes.

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L’étude de l’anatomie de l’architecture nous a menés vers la conclusion que l’architecture est une entité identitaire corporelle. De ce constat, l’étude du métabolisme qui se fait entre les différentes composantes architecturales est légitime si nous souhaitons décortiquer encore plus le corps architectural et mieux comprendre son mécanisme de fonctionnement. Comme nous avons pu le voir, l’architecture résulte l’interférence entre l’ensemble des dimensions composant son identité. De ce fait, ce qui distingue une architecture d’une autre, c’est la manière avec laquelle leurs dimensions se manifestent et comment ces dernières interfèrent entre elles (leur degré d’homogénéité et de complémentarité). Par cette forme de symbiose produite entre ses différentes dimensions, l’espace architectural acquiert vie : Il acquiert des caractéristiques autres que celles attribuées par son concepteur. Il arrive alors à se détacher de sa dimension plastique et spatiale pour se manifester sous de nouvelles formes et dimensions. C’est pourquoi l’étude anatomique de l’architecture ne peut se faire sans l’étude de cette symbiose. Toutefois, nous ne pouvons étudier cette dernière sans savoir comment une dimension se génère et qu’est-ce qui la compose. Comme expliqué précédemment, chaque dimension se présente comme étant une réponse synthétique à un questionnement ou une problématique posée. Leur variété fait que l’étude des composantes précises qui les formulent est impossible pour deux raisons : la première est le nombre indéterminé des dimensions qu’une architecture peut avoir, et la seconde est le fait qu’une même dimension peut être manifestée de plusieurs manières. En revanche, il est tout à fait possible de déterminer la typologie de ces composantes. Ces dernières se divisent en trois catégories :

1. Composantes PHYSIQUES :

Des composantes élémentaires à la formulation de la corporalité de l’entité l’architecturale (forme, échelle, proportions, matières…). Elles sont palpables et manipulable et restent statique. Sauf impact du temps ou facteur humain, ils ne subissent ni mutation ni changement. Nous pouvons citer par exemple : la forme géométrique de la composition architecturale, l’échelle et les proportions de cette composition, le type des matériaux utilisés et leur texture… A travers ces composantes, se définit l’image identitaire visuelle propre à chaque architecture. Cette image identitaire visuelle est ce qui fait la particularité de plusieurs édifices architecturaux appréciable : Opéra de Sydney (John Utzon) (fig 6), Guggenheim Bilbao (Franck Gehry), cité des arts et des sciences (Santiago Calatrava), musée Niteroi (Oscar Niemeyer)…

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Opéra de Sydney, Australie John Utzon (1973)


2. Composantes EPHÉMÈRES : Des éléments impalpables mais concrets que nous pouvons utiliser dans la conception architecturale. Ils sont relatifs à des phénomènes instables et mouvants ce qui leur donne un caractère évanescent et instable. Nous citons par exemple : l’usage de la projection d’une ombre pour dessiner les surfaces d’une architecture, l’usage du reflet du mouvement d’eau dans un bassin pour animer une surface, l’usage des rayons lumineux pour souligner des espaces…Ces composantes, malgré leur présence irrégulière et inconstante, représentent des constituants majeurs dans les œuvres de plusieurs architectes : Luis Barragan qui utilise les rayons de soleil pour mettre en vibration ses surfaces coloriées (voir fig 8), Tadao Ando qui se sert de la lumière pour donner vie à ses surfaces en béton brut, Peter Zumthor qui se sert du silence pour faire parler ses espaces…

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Casa Gilardi, Mexique Luis Barragán (1976)

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Casa Gilardi, Mexique Luis Barragán (1976)

3. Composantes SENSIBLES :

Des éléments qui peuvent être soit concrets soit abstraits mais qui renvoient de la symbolique. Ces éléments peuvent être une forme architectonique, une abstraction, un nom, une dimension (une taille ou une mesure), un parcours…En général ces éléments renvoient à une mémoire ou une idée. Comme exemple : le mausolée de Yassir Arafat (qui est un cube de 11 mètres). Un choix symbolisant le 11 Novembre (date de décès de cet activiste et résistant palestinien). Autre exemple : le mémorial de Walter Benjamin (fig 8), qui est une balade architecturale symbolisant le parcours tragique de Benjamin lors de sa fuite des nazis, et qui a induit à son suicide. Cette symbolique est utilisée comme composante qui donne tout le sens à cette architecture.

Maintenant que nous avons pu classer les différentes typologies des composantes d’une dimension, analysons maintenant comment ces dernières se fusionnent pour composer une dimension et comment le changement d’un ingrédient peut l’impacter radicalement et impacter même l’ensemble du projet architectural.

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Prétendre qu’une simple modification dans la composition d’une dimension peut causer la mutation de tout le projet peut paraître abusé, mais imaginons : que serait la grande pyramide de Gizeh si ses proportions étaient différentes. À quoi ressemblerait l’architecture de Meier sous des couleurs autres que le blanc? À quoi ressemblerait l’architecture d’Ando sans son béton brut ? Pour assimiler les répercussions du changement d’un simple ingrédient sur l’ensemble d’une architecture, mettons de côté les hypothèses et analysons la mutation qu’ont connue différentes architectures à cause d’un simple changement :

Changement de contexte : La particularité de la « Falling water house » réside principalement dans son insertion et son dialogue avec son site. Le choix d’implanter la maison sur la cascade et de la penser comme un élément organique émergeant de la nature est l’essence de ce projet. C’est pourquoi les liens entre la maison, la cascade et son site sont indissociables. Dans la réplique de Mohamed Sahraoui, et malgré le fait que c’est une copie conforme à l’œuvre originale de Wright, nous pouvons bien voir que le changement du contexte à causer une réelle déformation du projet. D’une part, l’incompatibilité entre l’objet bâti et son nouveau site à susciter une architecture parasitaire perturbant la sérénité du lieu. Par son implantation inadaptée et sa textualité discordante avec la palette de couleurs du site, cette réplique gangrène ce dernier. C’est pourquoi, contrairement à la vraie maison sur cascade, cette réplique est ôtée de toute force et poétique. Cela prouve que l’architecture n’est pas définie que par sa corporalité, mais aussi par des composantes extrinsèques déterminantes pour son identité.

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Maison sur cascade Frank Lloyd Wright

réplique Maison sur cascade Mohamed Sahraoui (Tipaza, Algérie)


Changement de Matérialité : « Mies missing materiality » est une intervention artistique qui a été faite sur le pavillon de Barcelone par Anna et Eugeni Bach. Par l’habillage de l’intégralité du pavillon en blanc, ces deux architectes dématérialisent cette icône d’architecture moderne pour questionner le rôle de la matérialité et de la matière dans l’expression architecturale, pour questionner la pureté qu’apporte le blanc à une architecture pure et explorer la lecture d’un espace virginal. Comparons les figures 11 et 12, à première vue, nous allons croire que ce sont deux édifices distincts, pourtant les deux illustrent le pavillon allemand du même angle. Ceci prouve qu’un simple changement de matérialité peut impacter radicalement une architecture dans son aspect visuel.

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Pavillon allemand de Barcelone Mies Van Der Rohe

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instalation Mies missing materiality Anna & Eugeni Bach

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FARNSWORTH HOUSE Mies Van Der Rohe

Changement de couleur : La Fransworth House est un projet qui s’inscrit parfaitement dans son contexte. Par son minimalisme, sa finesse et sa légèreté, elle arrive à manifester sa présence sans pour autant perturber le site. Dans le film « Batman vs Superman », l’habitation de Bruce Wayne est une version noire de la Fransorworth House. Un choix de couleur qui s’explique par la volonté d’effacer visuellement la maison du site. De cette comparaison, nous pouvons voir comment l’usage du blanc a exposé l’édifice, tandis que l’usage du noir l’a rendu discret. Ceci est un exemple illustrant comment le changement d’un simple élément peut changer toute la lecture du projet et empreigne son insertion dans son site.

réplique FARNSWORTH HOUSE Scéne film Batman vs Superman (Zack Snyder)

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Changement de contexte : La tour Eiffel est l’icône de la France et de sa capitale. Elle est plus un symbole qu’une sculpture. Sa symbolique est principalement liée à sa hauteur de 324 m. Cette dernière fait toute sa majesté et fait d’elle aussi un repère urbain éloquent visible depuis tout Paris. Cette échelle titanesque interpelle le visiteur et le pousse à questionner : sa taille vis-à-vis l’échelle de cet édifice et visà-vis de la terre et les cieux, et le pousse à se demander comment l’humain peutil ériger des constructions aussi extravagantes malgré son échelle minable… Contrairement à la réplique de la maison sur cascade (fig.10) qui est une copie conforme à l’œuvre originale, cette réplique de la tour Eiffel est plutôt une miniature difforme de l’original. Son échelle ridicule comparée à l’échelle réelle de la tour Eiffel ne suscite que de l’indifférence chez l’usager de l’espace urbain. Ce sentiment s’explique par l’aspect banal de la sculpture : vu son échelle, la réplique ressemblait plus à un pylône électrique qu’une sculpture iconique.

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Tour eiffel Paris, France,

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réplique Tour eiffel Fés, Maroc

D’après ces exemples, nous comprenons que chaque composante est primordiale à la formulation d’une dimension et qu’un simple changement peut affecter monumentalement ce que sera l’entité architecturale. Nous comprenons que les dimensions d’une architecture sont le fruit de la fusion d’un ensemble d’ingrédients bien déterminés formulant, ensemble, un sens précis. Par ailleurs, il faut noter aussi qu’une même dimension peut se manifester sous différentes formes puisqu’elle peut être formulé à partir d’ingrédients différents. Pour comprendre comment une même dimension peut incorporer différentes formes, analysons comment un même architecte arrive à travers deux compositions différentes à exprimer la même dimension dans deux corps architecturaux différents qui ont la même fonction. Analysons comment Tadao Ando a pu exprimer la dimension symbolique dans son église de lumière et son église sur l’eau.

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L’EGLISE de lumière : La dimension symbolique dans ce projet prend forme à travers le croisement d’un élément physique (la fente en forme de croix), un élément sensible (la symbolique de la croix) et de deux éléments éphémères (la course du soleil et l’intensité de la lumière). L’union entre ces quatre éléments permet au visiteur de percevoir cette lumière pure générée en forme de croix comme étant la manifestation du divin. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle acquiert un aspect inconstant dû au changement permanent que subit sa couleur, sa teinte et son intensité (Mutation causée par la course du soleil). Ce caractère instable et cette perpétuelle mutation que connaît cet espace architectural attribuent un caractére vivant à cette lumière qui paraît comme « une âme céleste » qui vient trouver refuge dans ce lieu sacré. Ainsi à travers quatre ingrédients, Tadao Ando a pu formuler une dimension qui illustre une symbolique très prononcée et très profonde.

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L’église de la lumiere, Osaka, Japon Tadao Ando, (1999)

L’EGLISE SUR L’EAU : Dans son église sur l’eau, et afin de façonner la dimension symbolique, Ando utilise de nouveau le symbole de la croix mais lui ajoute aussi des ingrédients nouveaux : il utilise un élément physique en béton brut matérialisant la croix. Il se sert du paysage du site comme écran dévoilant et diffusant le mouvement du temps. Il utilise la croix comme repaire constant témoin de ce mouvement. L’immuabilité de la croix face au temps est utilisée pour attribuer une dimension intemporelle à l’espace qui symbolise le caractère éternel du seigneur. Dans un premier lieu, Ando conçoit la salle principale et la pense comme une sorte d’écran géant à travers lequel il expose une scène particulière. Si on regarde à travers cet écran, ce qu’on va percevoir dans un premier temps est cette croix en

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béton qui vient ornementer le paysage, mais ce qu’Ando voulait exposer était plutôt l’empreinte du temps : en printemps comme en été, le paysage se vêt en vert, et sans les cieux, je ne pense que nos yeux pourraient s’échapper de la dominance de cette couleur que même le bassin d’eau accentue puisqu’il reflete l’ensemble de ce paysage et le rend sans limite. En automne, la chute des feuilles d’arbres divulgue un nouveau paysage. Nos yeux s’ouvrent sur un champ plus vaste qui s’étend jusqu’aux montagnes lointaines, et l’image du lieu subit une métamorphose radicale qui nous fait croire que l’édifice change de lieu. En hiver, le paysage se vet en blanc, la neige recouvre la globalité de l’espace, elle recouvre les terrains, les arbres, les montagnes, et dissimule le bassin d’eau qui se transforme aussi en glace. Le blanc devient dominant au point que les nuances du gris sont les seuls outils qui nous permettent de distinguer entre la terre et le ciel. Encore une fois, l’image du lieu succombe à l’épreuve du temps. S’il y a un élément qui n’a pas succombé à cette épreuve c’est la croix. Elle seule a pu rester immuable devant l’empreinte du temps. Elle seule est restée stable et rigide depuis sa création. Elle seule est resté intouchable et même immortelle. Ces caractéristiques sont propres au divin, et c’est leur manifestation qui donne à cette dimension symbolique de la force et du sens.

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L’église sur l’eau, Hokkaido, Japon Tadao Ando, (1988)

Après avoir vu et assimilé comment une même dimension peut être générée de plusieurs manières et à travers différentes compositions, voyons maintenant comment une même composition peut générer une multitude de dimension, prenons comme exemple le mur édifier par le roi Léonidas et ses 300 spartiates lors de la bataille de Thermopyles.

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le mur des 300 spartiates :

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Image illustrant le mur de cadavre construit par les Spartiates lors de la bataille de Thermopile Scéne du film «300», Zak Snyder (2006)

En 490 av. JC, Xerces roi de l’Empire perse décide de conquérir la Grèce pour élargir son empire. Contraint de faire face à ces menaces, Lionidas, roi de Sparte, décide de se diriger en compagnie de 300 soldats vers les Thermopyles (lieu qui condamne l’accès à la Grèce), et de mener une bataille contre l’armée perse (dont le nombre dépassait les 100.000 soldats selon les historiens) afin de bloquer leur invasion. Conscient de la supériorité numérique de l’armée perse, et conscient du fait que franchir Thermopyles facilitera la conquête de la Grèce par Xerces, Léonidas ordonne à son armée de construire un mur. Ce mur fut construit pour multiple raisons : d’abord pour une question sécuritaire puisque le mur devait empêcher l’invasion perse en Grèce. Dans un second temps, pour une raison militaire : Léonidas voulait à partir de ce mur générer un étroit corridor qui servira comme théâtre de combat (dans cet étroit corridor, la supériorité numérique de l’armée perse sera facultative puisque seule un nombre limité pourra y accéder). La particularité de ce mur ne réside pas seulement dans sa dimension sécuritaire et militaire. Ce qui fait sa particularité aussi étaient ses composantes : ce mur qu’ont construit les Spartiates n’était pas fait seulement de pierre, il était surtout fait de cadavres (L’insuffisance des pierres a poussé les Spartiates à se servir des cadavres des Perses pour surélever leur mur), et d’après les mythes, les soldats perses confondaient entre les cadavres et les Spartiates, et ainsi pensaient que le nombre de leurs adversaires était aussi important que le leur. D’autres mythes racontent que ce mur, et à cause de sa matérialité, avait angoissé les Perses et les avait affaiblis moralement. Nous comprenons donc que cette matérialité a généré une nouvelle dimension, une dimension illusoire qui ne s’est générée que chez les adversaires, et qui, elle aussi, a contribué à faire du mur des Spartiates un outil stratégique lors du combat.

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De cette analyse, nous comprenons qu’une même composition peut générer une multitude de dimensions qui peuvent différer en matière de nature et de fonction. Nous comprenons aussi que certaines dimensions naissent suite à la perception singulière que peut avoir un individu d’une certaine composition. C’est pourquoi il est capital d’étudier la perception comme interface de dialogue entre l’espace architectural et l’usager.

II- LE dialogue espace/usager :

1 - le système réceptif et ses mécanismes de fonctionnemment : Lorsque nous rentrons en contact avec un espace architectural, ce dernier stimule nos capteurs réceptifs (nos sens, notre conscience et notre subconscient). Chacun de ces récepteurs fonctionne selon un mécanisme précis, et chaque mécanisme obéit à des lois particulières. Leur activité engendre six formes de lectures spatiales : lecture cognitive, lecture sensorielle, lecture sensitive, lecture par la mémoire, lecture par l’imagination, lecture par l’imaginaire (les croyances culturelles, religieuse…). Malgré le fait que ces lectures sont stimulées séparément et différemment, ils participent ensemble dans le décryptage de l’espace architectural. Ce phénomène est ce que nous qualifions de « mécanisme de réception », les trois capteurs qui les engendrent sont ce que nous qualifions de « système réceptif ». La compréhension du mécanisme de réception réside dans la compréhension du fonctionnement de chacun de ces récepteurs. Mais avant d’entamer cette phase, nous devons rappeler qu’elle va porter sur la réception que fait notre corps et notre cognition de l’espace architectural non sur la perception comme thème philosophique. Et même si plusieurs notions peuvent se rapprocher de notions similaires abordées par la psychologie expérimentale sur la perception, « la réception » et « la perception » sont deux notions différentes mais relatifs puisque, comme nous allons le voir dans les pages à venir, la perception naît de la réception. Etudions alors le premier capteur réceptif : le système sensoriel.

1 -1- LE SYSTEME SENSORIEL :

3 - Patrick Juignet, Quelle ontologie proposer aujourd’hui ? In : Philosophie, science et société [en ligne], 2016.

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Si notre conscience considère l’existence du monde qui nous entoure comme une réalité indéniable et évidente, c’est parce que nous avons pu l’observer, le questionner et le comprendre, et nous avons pu trancher qu’il est « réel ». Le réel, selon Patrick Juignet, est par définition une forme d’existence stable, structurée, effective et incontestable, et dont la légitimité ne dépend pas de sa perceptibi3 lité. Par ailleurs, l’accès au réel ne peut se faire sans la connaissance de la réalité. Cette réalité, selon la thèse constructiviste, ne peut être formulée qu’à travers l’interaction entre nous et le monde, soit entre notre système sensoriel et le monde. En d’autres termes c’est notre système sensoriel qui nous offre les outils nécessaires pour pouvoir rendre ce monde mystérieux intelligible.


Selon Manuel Gimenez « La perception est un mode de représentation de l’environnement, ainsi qu’un mode de connaissance (phénoménologie de réception) ; Elle se déroule dans l’instant en utilisant des capteurs sensoriels, 4 c’est finalement une connaissance immédiate d’origine sensorielle ». Selon ces propos, nous comprenons que l’architecture, qui fait partie de notre environnement, est aussi une connaissance immédiate d’origine sensorielle qui ne s’illustre qu’après avoir stimulé l’ensemble de notre système sensoriel. De ce fait, nous pouvons conclure que c’est par le système sensitif que s’initialise la « réception » de l’espace. Ce système sensoriel est un mécanisme intégral constitué de quatre mécanismes fondamentaux : la réception binoculaire, la réception auditive, la réception olfactive et la lecture haptique et somatique. Chacun de ces quatre récepteurs est stimulé par l’architecture constamment et différemment, et ensemble, révèlent ce que l’architecture incorpore entre ses parois (ambiances, atmosphères, sons, odeurs…).

4 - Manuel Gimenez, La psychologie de la perception, Flamino, 1997.

LA RECEPTION visuelle : C’est à travers nos yeux que notre monde manifeste son existence. Des images que nous visualisons, naît notre conscience du monde externe, et c’est à travers cette dernière que naît notre conscience de soi. A la comparer à nos autres sens, la vue, est le capteur sensoriel qui explicite le plus le monde externe. Contrairement à l’ouïe qui ne capte que des sons, ou l’odorat qui ne capte que des odeurs, le champ de données que réceptionne l’œil n’est pas aussi limité : à travers l’œil nous arrivons à capter des formes et des proportions, des couleurs et des teintes, des ombres et des lumières, des textures et des matières, des notions de distance et d’échelle…à travers ce flux important d’informations que nous arrivons à formuler une idée assez complète sur ce qui nous entoure.

Fig.20 - Illustration exprimant comment l’œil collecte des images visuelles et comment notre cognition les traduit en données qu’elle décrypte à l’instant. C’est à travers ce processus que nous donnons sens à ce que nous regardons.

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Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970)

L’œil est ce que l’architecture stimule en premier. Tout d’abord, il lit en elle une corporalité (sa forme, ses textures, ses couleurs…). Ensuite, il lit ce que cette architecture délimite comme cadre spatiale (programme, spatialité, fonctionnement…). Cette lecture spatiale s’accompagne par la lecture des différentes composantes corporelles de l’espace (Fenêtres, portes, escalier…).

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A travers, les données récoltées de ces différentes lectures, nous arrivons à assimiler le mécanisme de fonctionnement de l’espace architectural pour le pratiquer adéquatement. L’œil lit aussi ce que l’espace incorpore comme ambiantes. Il lit les différentes couleurs et leurs différentes nuances, les différentes textures, les ambiances lumineuses et leurs différentes intensités… l’œil lit tout phénomène perceptible et impalpable susceptible de générer subconsciemment, chez l’usager, un ressenti, une sensation ou une émotion. De cette lecture quasi intégrale de l’espace, se construit une image assez lucide de l’entité architecturale. En parallèle, il faut noter que la réception visuelle n’est pas uniquement une visualisation d’images. Elle est aussi un processus analytique lié à la mémoire et à la cognition. Lorsque nous visualisons une image, notre cerveau la relaie directement à une image intuitive sauvegardée dans la mémoire. En superposant les deux, le cerveau conçoit une image identitaire spéculative sur l’objet visualisé. Par exemple, en visualisant une pièce qui contient un tableau et des pupitres bureaux, nous allons instinctivement spéculer que cette pièce est une salle de cours. Si nous visitons un appartement vide, nous arriverons à deviner les fonctions de ses différentes pièces… Cette lecture analytique nous permet aussi de divulguer des aspects identitaires latents. Par exemple, à contempler certains édifices à Casablanca, nous arriverons à deviner le style architectural dans lequel ils s’inscrivent, et deviner par la suite, dans quelle période ils ont été construits. De même, en visualisant certains attributs formels, il nous sera facile de deviner le concepteur de l’espace : Il est facile d’identifier le minimalisme Mies Van der Rohe, la sensualité de la courbe de Niemeyer, le purisme de Campo Baeza … Encore, par cette lecture, il nous est possible parfois d’identifier des indices qui permettent de situer l’objet architectural dans son contexte géographique. Par exemple : la couleur ocre qui caractérise les bâtiments de Marrakech (Maroc), la couleur bleue propre à la médina de Chefchaouen (Maroc)... De cette analyse, il semble clair que la réception visuelle est le récepteur sensitif le plus fiable et le plus habilité à expliciter la nature identitaire d’une architecture. Néanmoins, elle reste une lecture partielle qui doit être complétée par les autres données réceptionnées par gàles autres capteurs sensoriels. Toutefois, le flux immense de ces informations réceptionnées rend difficile leur assimilation intégrale. C’est pourquoi, la réception comme mécanisme, comprend deux autres outils réceptifs qui facilitent l’assimilation de l’ensemble de ces informations.

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Fig.21, Fig 22, Fig 23 : Série d’images illustrant des bâtiments incarnant des propriétés reflétant l’identité de leur concepteur.

Aérogare,Tit Mellil, [22] Villa suiza,Casablanca, [23] Mosquee suna,Casablanca, Jean-François Zevaco (1970) Jean-François Zevaco (1960) Jean-François Zevaco (1947)

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ig.24, Fig 25, Fig 26 : Série d’images illustrant des bâtiments incarnant des propriétés propres à l’époque de leur édification.

[24] Immeuble gallinari (1924) [25] Immeuble La Princière (1920) [26]

Les frères Suraqui, Casablanca Pappalardo Charles, Casablanca

Immeuble Maret (1932) Frères Delaporte, Casablanca

Fig.27, Fig 28, Fig 29 : Série d’images illustrant des constructions incarnant des propriétés propres au lieu où elles se situent.

[27] Kasbah Ait haddou, Maroc [28]

Kasbah Ait haddou, Maroc [29]

Chefchaouen, Maroc

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LA RECEPTION somatique : Lors d’un séminaire encadré par Mr Bruno Queysanne (Philosophe et historien de l’espace architectural), il nous avait expliqué que la notion de « foyer » a acquis son sens du « feu » pour ce qu’il procure comme chaleur. En creusant dans l’épistémologie de ce mot, nous allons comprendre que le feu était le noyau autour duquel une famille se rassemblait pour ce qu’il procurait comme chaleur. Quand l’homme a pu l’introduire à l’intérieur de la maison, la cheminée devint le noyau de la maison. L’appellation foyer est donc une référence à l’atmosphère chaleureuse qu’une maison procurer. Toujours selon les dires de Mr Queysanne, dans la langue arabe, la notion de « maison» est désigné par le mot «Dar - ‫»دار‬, qui signifie littéralement « qui entoure ». L’origine du mot vient du terme «da’ira - ‫»دائــرة‬ qui signifie « Cercle ». Pour comprendre la relation non évidente entre un cercle et une maison, il nous suffit de creuser dans les pratiques ancestrales des tribus arabes nomades. Quand ces derniers trouvaient où s’installer, ils dressaient leurs tentes de sorte à ce qu’ils forment un grand cercle pour s’entourer autour « du feu » qui leur procurerait lumière et chaleur. Cela mais l’accent encore une fois sur le rôle des propriétés thermiques dans la construction identitaire de l’espace.

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Désert abU DHABI Abu Dhabi, Émirats arabes

La relativité entre l’espace et son atmosphère se lit aussi à travers nos pratiques spatiales. Pour comprendre comment, il nous suffit d’aller dans un parc et d’observer comment chaque personne va le pratiquer différemment : certains choisiront de se mettre dans un endroit ensoleillé pour profiter de la chaleur des rayons de soleil, d’autres se mettront dans un endroit couvert pour profiter de la fraîcheur que procure l’ombre. mettront dans un endroit couvert pour profiter de la fraîcheur que procure l’ombre. Par ailleurs, et de même que la sensibilité olfactive, cette sensibilité somatique nous permet, inconsciemment, de délimiter certains espaces par leur atmosphère. Par exemple, quand nous faisons nos courses dans des grandes surfaces, et nous traversons des rayons qui contiennent des réfrigérateurs. Inconsciemment, Nous nous rendons compte que nous avons franchi un nouvel espace. Cette transition qui se lit lors du passage de l’espace tempéré vers un espace froid marque les limites d’espace, et fait de son atmosphère sa particularité identitaire.

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En parallèle des donnes immatérielles, notre peau nous permet de lire aussi les propriétés à caractère haptique de l’espace. À travers le toucher, nous pouvons expérimenter les textures, la matière, les formes… À travers cette lecture haptique, nous arrivons à formuler deux formes de connaissances : • Une connaissance plastique : elle concerne la physionomie corporelle des différentes composantes physiques de l’espace architectural. (Leur forme, leur physiologie, leur physionomie, leur proportion…). • Une connaissance épidermique : elle concerne essentiellement la matérialité des différentes composantes spatiale, ainsi que les caractéristiques de leurs textures (opacité, conductivité, rudesse…). Ces deux connaissances permettent une meilleure compréhension de l’espace et une meilleure pratique. Je m’explique, lorsqu’on est chez soi le soir, et on a envie de nous déplacer d’une pièce à une autre dans l’obscurité. Il nous suffit juste de suivre les murs pour pouvoir le faire. Lors de ce cheminement, les différentes informations que nous récoltons tactilement, et vu leur relativité avec la mémoire, nous permettent de deviner notre positionnement (dans quelle pièce, à quel niveau de la pièce ou du couloir…). Aussi, elles nous permettent d’identifier les différentes composantes spatiales de l’espace (portes, fenêtres, meubles…).

Fig.31 - Image par laquelle nous souhaitons exprimer que la réception tactile permet de collecter un nombre assez important d’informations permettant de formuler une image assez lucide sur l’entité architecturale.

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Lonely Metropolitan Herbert Bayer (1932)

A travers ces données, nous construisons une image mentale virtuelle de l’espace dans lequel on est. Cela nous permet d’atteindre facilement notre destination. Grâce à cette connaissance haptique, nous pratiquons l’espace d’une manière plus avisée : quand nous marchons sur une surface extrêmement lisse, nous faisons attention à nos pas pour ne pas glisser. Nous évitons de nous accouder sur une surface fragile par crainte de la casser. Nous évitons de nous assoir sur une surface humide pour ne pas mouiller nos habits. Cette connaissance influence même nos pratiques dans l’espace : je me rappelle de quand j’étais petit, on jouait au foot dans une ruelle, et on limitait l’espace de jeu au bord d’une maison dont les murs avaient une texture tranchante, et cela pour éviter tout accident.

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Dès que nous rentrons en contact avec un espace architectural, notre cerveau commence à récolter les différentes donnes sonores réceptionnées par notre ouïe (récepteur auditif). Par la suite, il analyse ces donnes et construit une connaissance identitaire basée sur les propriétés auditives de cet espace (ses propriétés acoustiques et les types de son qu’il incarne). Nous pouvons classer les sons constituant cette connaissance en trois catégories : Sons propres à l’espace : son de serrure, son des charnières d’une porte, sons relatifs aux activités quotidiennes qu’accueil l’espace… Sons propres à la fonction de l’espace : son d’appelles téléphonique dans un centre d’appel, son des tirages dans une imprimerie, son des touches de claviers dans un bureau… Sons relatifs au lieu où se situe l’espace : le son du passage des trains si l’espace architectural est prêt d’un chemin de fer, son de la cloche de récréation que nous entendons quand on habite prêt d’une école, son récurent des sirènes d’ambulances qu’on entend lorsque l’espace est à coté d’un hôpital… Par ailleurs, il faut savoir que ces sons réceptionnés impactent aussi notre état d’âme (ce qui se répercute directement sur notre perception de l’espace) : travailler dans un espace calme et propice peut procurer de l’allégresse tandis que le fait de travailler dans un vacarme peut être un supplice. Aussi, Il faut noter que cette lecture auditive influence même nos pratiques spatiales : entendre le son de l’eau sur le sol et les murs nous permettra de deviner que la pluie tombe et de prendre nos précautions. Entendre le son des marches dans le corridor, nous permettras de deviner l’identité de celui ou celle qui arrive. On saura distinguer entre le son que peuvent produire les talons, les semelles de chaussures ou les roues d’une chaise roulante sur la texture du sol et relier ces informations pour pouvoir, par la suite, deviner l’identité de celui qui arrive et réagir par rapport à ça. Ce processus analytique se produit d’une manière instinctive et instantanée puisqu’il est directement lié à la mémoire et la conscience. Sans la mémoire, tout son perdra sa singularité, et sans la conscience nous ne pourrons relater et analyser les différentes données stimulées. C’est pourquoi, sans cette réception auditive, le dialogue avec l’espace sera muet : l’architecture ne pourra pas révéler sa nature, et l’individu ne saura pas comment s’y connecter.

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LA RECEPTION olfactive : Tout espace se caractérise par une certaine odeur propre à lui faisant sa particularité. Dans mon école par exemple, il était facile de distinguer entre l’odeur de l’atelier, celle de la bibliothèque et celle des salles de cours. D’ailleurs, ces salles de cours, qui sont toutes identiques formellement, disposent chacune d’une émanation propre à elle. Cette signature olfactive qui caractérise chaque espace, m’interpellait tout petit : dans l’immeuble dans lequel j’habitais, j’étais très averti par rapport à cette notion d’odeur. Tout espace se caractérise par une certaine odeur propre à lui faisant sa particularité. Dans mon école par exemple, il était facile de distinguer entre l’odeur de l’atelier, celle de la bibliothèque et celle des salles de cours. D’ailleurs, ces salles de cours, qui sont toutes identiques formellement, disposent chacune d’une émanation propre à elle. Cette signature olfactive qui caractérise chaque espace, m’interpellait tout petit : dans l’immeuble dans lequel j’habitais, j’étais très averti par rapport à cette notion d’odeur. Aussi, il faut savoir que la dominance d’une odeur sur un lieu, peut impacter le fonctionnement de ce dernier et impacter même son identité. Cette dernière sera plutôt liée à l’odeur marquante qu’aux autres éléments qui composent l’espace. Prenons comme exemple la tannerie Chouwara à Souk Eddabaghin à Fès, dans ce lieu touristique qui séduit l’œil par ses couleurs, le visiteur sera marqué plus par l’odeur puante du lieu que par la richesse et la variété de ses palettes de couleurs. Et même si cette palette plaît au regard, le visiteur voudra plutôt fuir l’espace que de rester l’admirer.

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La tannerie Chouwara Souk Eddabaghin, Fés

Par ailleurs, nous devons mentionner aussi que certains espaces émettent des exhalations similaires à d’autres : les hôpitaux, par exemple, ont presque tous ce même effluve caractérisé par la trace de l’odeur de l’alcool et du Bétadine. Les stations d’essence se caractérisent toutes par cette odeur de gasoil… Comme nous l’avons expliqué, chacune de ces effluves résulte de l’émanation des différentes odeurs présentes dans les mêmes espaces. Il est normal alors que les espaces qui abritent les mêmes fonctions et qui recueillent les mêmes substances aient une odeur propre à eux. Ce qui nous induit à dire que l’effluve de certaines espaces fait leur particularité, et devient une marque identitaire d’une fonction. Autrement dit, certaines odeurs formulent une certaine image identitaire d’un programme et d’un espace.

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l’émanation des différentes odeurs présentes dans les mêmes espaces. Il est normal alors que les espaces qui abritent les mêmes fonctions et qui recueillent les mêmes substances aient une odeur propre à eux. Ce qui nous induit à dire que l’effluve de certaines espaces fait leur particularité, et devient une marque identitaire d’une fonction. Autrement dit, certaines odeurs formulent une certaine image identitaire d’un programme et d’un espace.

1-2-LA CONSCIENCE :

Fig.33 - Image par laquelle nous souhaitons exprimer que notre conscience traite intégralement toutes les données réceptionnées pour pouvoir bien les assimiler et interagir avec elles.

Imaginons-nous dans un lieu familier. La température est plus basse que d’habitude. Plusieurs sons s’entendent : le son du mouvement des feuilles d’arbres produit par le vent, le son des gouttes d’eau sur les surfaces des vitres, le son du frottement de la semelle mouillée des chaussures de celui qui vient de rentrer… En regardant ce dernier, nous allons voir que ses cheveux et ses vêtements sont mouillés. En regardant les vitres, nous allons constater les traces de gouttes d’eaux sur leurs surfaces. En analysant toutes ces données réceptionnées, nous allons instinctivement deviner le temps qu’il fait. Ce processus analytique est ce que nous qualifions de « réception par la conscience ».

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Image de la série Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970)

La réception par la conscience est un processus analytique cognitif qui décrypte les différentes données sensoriellement réceptionnées et les traduit en connaissances spatiales. Cette lecture comprend plusieurs degrés : Lecture élémentaire : Elle nous permet de reconnaitre le rôle et le fonctionnement des différentes composantes de l’espace : fonction d’une pièce, le rôle de la porte, le sens des escaliers, le fait qu’une fenêtre s’ouvre sur quelque chose… Lecture intellective : lecture circonspecte de l’espace permettant de l’appréhender d’une manière avisée et raisonnée. Elle est un processus cognitif à travers lequel notre cerveau analyse l’espace (sa morphologie, sa forme, sa construction…) et questionne son mécanisme de fonctionnement. Cela détermine, par la suite, la manière avec laquelle nous allons interpréter l’espace et le pratiquer.

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Cette lecture se manifeste par trois formes de pratiques d’espace : 1. Notre capacité à interpréter l’espace tel qu’il a été pensé. 2. Notre capacité à adapter nos pratiques à la morphologie de l’espace. 3. Notre capacité à adapter l’espace à nos besoins spatiaux. Lecture prospective : une lecture spéculative intuitive et immédiate permettant d’anticiper le déroulement que peut avoir une potentielle pratique spatiale. Cette lecture influence nos pratiques spatiales puisqu’elle nous permet de pratiquer l’espace d’une manière plus avisée. Comme exemple : le fait de détourner notre chemin en voyant un obstacle sur notre route (flaque d’eau, boue…) par crainte de mouiller nos chaussures, le fait de s’éloigner d’un mur fraichement peint par crainte de tacher nos vêtements, changer de voie pour éviter les odeurs nauséabondes émanant d’un encombrement d’ordures… Comme nous pouvons le voir, la réception par la conscience est un processus analytique par lequel le cerveau transforme les donnes réceptionnées sensoriellement (principalement visuelles) en flux de donnes numériques. Ces donnes nous permettent de lire l’espace à travers ses différentes propriétés et nous explicitent son mécanisme de fonctionnement. Ainsi, nous formulant un savoir immédiat sur l’espace qui nous entoure. Sur la base de ce savoir, se définit la manière avec laquelle nous allons interagir avec l’espace. Tout ce processus cité se fait d’une manière instantanée et immédiate, et base son élaboration sur la mémoire, la cognition et la cogitation. Instantanément que nos capteurs sensoriels réceptionnent les données émises par l’espace où nous sommes, notre cerveau initialise leur traitement. S’il s’agit de données déjà réceptionnées auparavant, nous arrivons à les assimiler immédiatement grâce à la mémoire. Cette dernière, nous dévoile aussi des données latentes préservées des lectures précédentes. Ce qui nous permet de pratiquer l’espace d’une manière plus avisé. Cette lecture se reflète dans nombreuses formes de nos pratiques spatiales : le fait de suivre un chemin bien précis lorsqu’on veut se diriger vers un lieu visité antérieurement, le fait d’éviter de s’assoir dans une place de café par connaissance que celle-ci ne dispose pas de prise… Lorsqu’il s’agit de données nouvelles, notre cerveau comparé celle-ci aux données déjà acquises (la mémoire) pour formuler une connaissance approximative sur l’objet puis se sert de notre cognition pour deviner son sens et comprendre son mécanisme de fonctionnement. Pour expliciter mes propos, prenons comme exemple la porte : pour nous tous, le fait de savoir que toute porte s’ouvre dans un sens particulier est une évidence qui a comme source nos connaissances mémorisées. À travers la cognition, nous arrivons à deviner le mécanisme par lequel s’ouvre une porte particulière (pousser, tirer…). À travers la mémoire, nous allons parvenir à la rouvrir instinctivement dan sle futur.

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1-3-LA réception subconsciente :

Fig.34 - Image illustrant comment les donnes stockées dans notre subconscient manient aussi notre réception.

Avons-nous déjà cherché à comprendre l’origine derrière cette première sensation qui se génère en nous lors de notre tout premier abord avec un espace architectural ? Nous sommes nous demander pourquoi nous éprouvons de l’affection dans certains lieux, et de l’angoisse dans d’autres . Nous sommes nous déjà posé la question pourquoi certains espaces provoquent en nous de la nostalgie et évoquent en nous un souvenir lointain même si ces espaces ne nous sont pas familiers ? … Tout cela est relatif à la réception subconsciente que nous faisons de l’espace. Contrairement à la réception conscience qui est un système réceptif analogique raisonné, la réception subconsciente est un système réceptif intuitif qui se base sur une lecture rapide subjective de l’espace. Elle aussi est liée au vécu de l’usager, à sa mémoire, à ses connaissances cumulées… Quoiqu’elle soit anarchique et instinctive, elle est soumise à une structuration bien définie. Pour m’expliquer sur ce point, prenons l’exemple d’un individu qui a une phobie de dormir dans le noir. Cette peur du noir incontrôlée semble non justifiée puisque de nature, dormir dans le noir est le plus commun. Mais en creusant pour comprendre la cause de cet acte Image de la série Sci-fi Illustrations inconscient, nous allons comprendre [34] Nikolai Lutohin (1970) qu’il est né d’une expérience d’enfance dont les sources émanent d’un imaginaire indéterminé que formulait l’individu quand il était petit. Nous comprenons alors que cette phobie inconsciente et spontanée peut être expliquée par une lecture synthétique subconsciente de l’espace, et qui se base sur des éléments non identifiés par la conscience.

LA RECEPTION SUBCONSCIENTE PARAMETRE : Lors de sa visite au palais du roi Salomon, la reine de Saba devait traverser une passerelle faite de pavé de Crystal sous laquelle se dressait un lac d’eau. Trompée par la translucidité du Cristal, la reine leva intuitivement sa robe par crainte de la faire mouiller. Ce geste n’était finalement pas nécessaire puisque le pavé allait éviter tout contact avec l’eau. Si je mentionne cette histoire c’est pour

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mettre le doigt sur deux phénomènes à analyser : le premier est cette lecture rapide, analytique et partielle que le cerveau effectue sur l’intégralité de l’environnement spatial, le second est la réaction machinale irréfléchie qui peut se produire suite à cette lecture. Le premier phénomène est une analyse analogique rapide consciente peu avertie de l’espace et de ses composantes. Comme mécanisme de réception, il est plutôt une visualisation de l’espace et non une lecture de l’espace. Je m’explique, si on nous demande de décrire à quoi ressemble notre chez-soi depuis l’extérieur, nous allons être très précis dans la description de sa corporalité, et cela parce que nous avons effectué une lecture consciente de l’intégralité de l’édifice. Par contre, si on nous demande de décrire une autre maison avoisinante, notre description sera irrésolue malgré le fait que nous la percevons quotidiennement. Cela est dû à une lecture subconsciente superficielle de plusieurs données que le cerveau néglige. Le second mécanisme, par contre, est une réaction intuitive qui résulte de la lecture précédente. Il se base aussi sur des jugements de valeur, les différentes connaissances acquises et sur la récurrence d’une pratique spatiale. Dans notre quotidien, il se manifeste sous forme de différentes pratiques : le fait de fermer la porte à chaque fois que nous rentrons ou sortons de la maison, le fait de chercher l’interrupteur dans une certaine position du mur, le fait de pousser une porte d’un restaurant au lieu de la tirer pour l’ouvrir (ou l’inverse) … La réception subconsciente paramétrée est donc une réaction mécanique impulsive fondée sur une connaissance antérieure de l’espace et son fonctionnement et qui se détache de la lecture achevée et instantanée de l’environnement. Elle est une réaction répertoriée que le cerveau définit comme légitime et constante à un fait répétitif et habituel. Elle se manifeste souvent à travers nos pratiques spatiales quotidiennes les plus communes.

Fig.35 - Image illustrant comment les donnes stockées dans notre subconscient font que nous réagissons d’une manière mécanique avec certaines données réceptionnées.

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Image de la série Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970)

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LA RECEPTION SUBCONSCIENTE PULSIONNELLE :

Fig.36 - figure illustrant que les images que nous visualisons sont en réalité une constitution résultant du maillage d’un ensemble d’informations et de données.

Dans son livre, « l’image corporelle », Juhani Pallasmaa explique que la notion « image » ne se réduit pas au sens superficiel de « représentation visuelle d’une corporalité » ou celui « d’outil de communication visuelle ». L’image est une projection momentanée et instantanée d’un recueil d’expériences spatiales corporelles liée à une mémoire, une pensée, une imagination et un imaginaire mental. L’image est un langage qui traduit d’une manière concentrée tous ces éléments à la fois. Cette concentration d’informations que regroupe une seule image, fait de cette dernière le défilement d’une série d’autres images produites chacune dans leurs propres dimensions. De ce fait, lorsque nous réceptionnons une image (scène), notre cerveau ne projette pas

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Mirror House, (1996) Ekkehard Altenburger

seulement ce que le système sensoriel à collecter, mais aussi une infinité d’informations qui complète l’image réceptionnée. Exactement comme dans le film « Matrix », ce que notre cerveau nous projete, n’est pas une image mais plutôt un flux intermittent d’informations. Ce flux exhaustif d’informations ne peut être traité d’une manière intégrale, égal et immédiate. De ce fait, notre cerveau influence notre conscience à lire les données jugées importantes, et à négliger les autres données jugées marginales. C’est pourquoi ce que nous visualisions n’est pas seulement l’image brute de l’objet ou l’environnement visualisé, mais une image composite instinctive sur cet objet visualisé. A l’origine de cette image composite des connaissances acquises, la mémoire, le vécu, l’imagination, l’imaginaire… Pour le cerveau, ces informations sont des acquis incontestables. Il les traite de manière spontanée et machinale. Chose qui se reflète directement sur certaines de nos pratiques spatiales (le fait de remonter les vitres de la voiture lorsqu’on commence à avoir froid, le fait de mouvoir légèrement notre chaise ou bureau lorsqu’un rayon de soleil transperce nos yeux…). De ce fait, pour comprendre le mécanisme réceptif pulsionnel, il est nécessaire d’analyser comment le cerveau interagit à cette succession d’images générées par « l’image ».

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Lorsque nous visualisons un objet nouveau dont ni la nature ni la fonction ne sont identifiables pour nous, la première chose que le cerveau fera est de chercher dans sa base de données des objets similaires (par leur forme ou leur fonction ou leur composition). Par cette opération, le cerveau essaie de relier l’objet nouveau à un objet identifiable, connu et compris. Lorsqu’il n’arrive pas à lier cet objet à une quelconque référence connue, il se penche alors vers son raisonnement ou son imaginaire pour formuler des hypothèses qui faciliteront l’identification de l’objet. Notre lecture de l’espace se fait de la même manière. Lorsque la première image de l’environnement spatial rencontre le cerveau, ce dernier cherche à identifier cet espace d’une manière rapide. Il fait recours, à la fois, aux expériences spatiales corporelles et poétiques, à la mémoire, à la réception paramétrée, à l’imagination, et même à l’imaginaire (les figures culturelles, cultuelles et fantastiques). Prenons l’exemple d’un cas particulier : imaginons que deux individus sont devant une ancienne maison abandonnée et détériorée par les traces du temps. Dès le premier coup d’œil, une sensation particulière sera génèrer chez chacun d’eux. Pour le premier, c’est une courte sensation d’affection et de nostalgie. Pour le second c’est une légère sensation de frisson qui le traverse. Si la même image a produit deux sentiments différents au même instant, c’est tout simplement parce que le cerveau de chacun a utilisé deux références différentes de reconnaissance visuelle. Dans le premier cas, la référence la plus similaire à l’image perçue était une mémoire (celle d’une maison dans laquelle le premier individu a passé une partie de son enfance), ce qui explique ce souffle nostalgique affective qu’il a pu ressentir sur l’instant. Pour le deuxième, le cerveau s’est référé à une image imaginaire fictive folklorique (celle que l’individu conçoit sur les maisons hantées par les mauvais esprits), d’où le sentiment anxieux généré chez cet individu. Ce processus référentiel se fait d’une manière systématique et suit un cheminement anarchique que seule la neuroscience peut étudier et élucider. La complexité de ce processus réside principalement dans le choix de la référence : tantôt il se réfère à des données évidentes et connues auxquelles nous pouvons accéder par la cognition ; tantôt, il se réfère à une image qui est une sédimentation de données vétustes et effacées situées au fin fond de notre mémoire. Par ailleurs, ce processus, et par son caractère systématique et sommaire, peut induire à une lecture illusoire manifestant un simulacre. La genèse de ce simulacre est relative soit à une question de perspective, soit à une interprétation inconsciente non avisée. Cette illusion peut être causé par une lecture individuelle de l’espace, comme elle peut être commune chez tout individu (ce qui met l’accent sur le caractère dialectique universel du langage architectural).

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Fig.37, 38 et 39 IImages illustrant comment les propriétés formelles d’une architecture peuvent provoquer un stimulus induisant à une lecture étonné ou illusoire de cette architecture.

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Mirror House, (1996) [38] L’église transparente, (2011) [39] sculpture «Horizons», (1994) Ekkehard Altenburger Van Vaerenbergh, Belgique Neil Dawson, Nouvelle zélande

Bien évidemment, ce sont des facteurs subjectifs qui suscitent une lecture singulière illusoire ou confuse chez un certain individu. Or, lorsque cette lecture est partagée par un ensemble de personnes, c’est que derrière sa formulation des facteurs relatifs à nos mécanismes de perception et aux propriétés formelles de cette entité architecturale. Le gestaltisme nous permet de comprendre ce qui est derrière ce phénomène. La théorie du « Gestalt » ou la psychologie de la forme est une théorie expliquant comment notre cerveau traite et interprète les données récoltées visuellement. Cette théorie repose sur le postulat que notre cerveau tend à restructurer et organiser ces différentes données visuelles de sorte à faire resurgir l’objet de son fond afin de le simplifier et lui donner sens et signification. Cette théorie nous indique que notre cerveau lit en premier lieu un ensemble dans un contexte et non des composantes fragmentées. Par exemple, en visualisant un édifice, notre cerveau le lit d’abord dans son intégralité, puis lit ses différentes composantes architecturales (portes, fenêtres, ornementations....). La gestalt nous informe aussi que le processus perceptif a un caractère arbitraire (relatif) dans le sens où c’est notre cerveau qui fait la distinction de la forme qu’il souhaite dissocier de du fond. D’où le caractère équivoque de la perception. Aussi, le sens de cette forme distinguée est relatif au contexte dans lequel elle est placée. Par exemple, en visualisant une table dans un salle de cours, notre cerveau l’interprètera comme une table d’étude. En visualisant cette même table dans une buvette, il l’interprétera comme une table à manger. Finalement, la

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gestalt nous indique que six paramètres structurent la lecture et l’interprétation que notre cerveau fait de ce qui est perçu. Ces paramètres sont : • LA BONNE FORME : facteur manifestant cette inhérence entre l’habilité de notre cerveau à identifier, dans l’objet visualisé, une forme reconnaissable (ex : le fait de lier la forme d’un nuage ou d’une ombre à une figure particulière) et les propriétés formelles de ce dernier qui nous référent à cette forme. • LA CLÔTURE : la tendance de notre cerveau à construire une forme complète et achevée lorsque la disposition des éléments visualisés engendre une forme distinctive (exemple fig.38).

Fig.40 : Le triangle ici n’existe pas. Il n’est qu’une illusion. Sa forme est manifeste car il est « une bonne forme » et car notre cerveau arrive à le reconstituer sur la base de la clôture.

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Figure de kanizsa Fig.41 : Figure illustrant des éléments disjoints que notre cerveau traite comme un ensemble vu leur proximité et leur ordonnancement sous une forme circulaire.

• ORDRE : notre capacité à ordonnancer les éléments visualisés sous forme d’une structure corrélative ayant un sens (par exemple on lit les unités architecturales comme un ensemble formulant un tissu urbain ). • PROXIMITÉ : la tendance de notre cerveau à considérer comme ensemble les différents éléments visualisés ayant des rapports de proximités entre eux.

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Figure de kanizsa

• SIMLARITÉ : notre attitude à structurer et ordonnancer les éléments visualisés sur la base des rapports de similarité qu’ils peuvent manifester. • CONTINUITÉ : Notre cerveau considère comme ensemble conjoint les éléments dont la disposition manifeste une certaine forme de continuité ou d’arithmétique.

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Figure de kanizsa

Fig.42 : Figure illustrant un ensemble conjoint constitué d’éléments ayant des propriétés formelles similaires et disposées selon un ordre continuel.

Bien évidemment, ces mécanismes fonctionnent en corrélation. Ils structurent conjointement la lecture et l’interprétation que nous faisons de l’objet visualisé. Toutefois, certaines deviennent plus influentes lorsque ce dernier manifeste des propriétés physiques stimulant un mécanisme en particulier.

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2 - La perception comme lecture sensible de l’architecture :

Fig 43 (Robert Fludd) : Dessin illustrant les théories de Robert Fludd qui explique que nous sommes liés au monde monde réel, le cosmos et le céleste à travers notre perception. Il explique que cette dernière se construit sur la base de l’esprit (la conscience et l’inconscience), la cognition, la mémoire (individuel et collective), les sens, les sensations, l’imagination et l’imaginaire.

Dans notre introduction nous avons donnée l’exemple de notre dialogue avec autrui pour expliquer comment notre perception sur ce dernier se construit. Nous avons expliqué qu’en agençant les données méticuleusement réceptionnées et en les filtrant à travers des modes de traitement cognitifs (mémoire, raisonnement, croyances, sensations, comportement…) nous arrivons à formuler une image personnifiée explicite sur notre interlocuteur, et c’est sur la base de cette image perceptuelle que se définira la nature de notre dialogue avec lui. Nous avons expliqué aussi que notre dialogue avec l’entité architectural suit une phénologie différente puisqu‘elle est à la fois espace qui nous incorpore et entité identitaire extrinsèque à nous (non-soi). Cette particularité permet à cette entité de stimuler quasi l’intégralité de nos mécanismes de réception y compris nos esprits.

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Microcosme du mécanisme de perception Robert Fludd(1619)

Lorsque nous rentrons en dialogue avec l’entité architecturale, la lecture que nous effectuons sur cet espace ne se limite pas uniquement en une lecture sensorielle ou cognitive, mais comprend aussi une lecture sensitive de cet espace. Cette dernière s’articule essentiellement sur les ressentis, les émotions et les sensations que provoque l’espace en nous. C’est pourquoi nous pouvons dire que le dialogue que nous effectuons avec l’architecture s’établit entre nous comme corps, comme intellect et comme âme. Et c’est à travers ce dialogue que se formule notre perception. Selon Robert Fludd, cette perception est plutot la résultante de notre interaction avec les trois mondes formulant notre réalité : •Mundus sensibilis (monde physiques) : le monde tel que nous le percevons à travers nos sens •Mundus imaginabilis (monde psychique) : le monde tel que nous le percevons à travers notre intellect, notre conscience, nos sensations, notre imaginaire et notre imagination. •Mundus intellectualis (monde Spirituel) : le monde comme expérience cosmogonique où les mondes physique et métaphysique se conjoignent.

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Le fait que Fludd se considérait comme étant un alchimiste, et le fait qu’il illustrait ses théories à travers des approche hermétique, ne nous permet pas de trancher si ses conceptions émanent d’une réflexion philosophique ou si elles sont le fruit de notions ésotériques. Toutefois, nous pouvons bien comprendre qu’il porte à notre attention qu’il existe trois niveaux de conscience par rapport à ce monde dans lequel nous existons : • Le premier niveau est notre conscience de l’espace matériel perceptuel où s’effectuent nos actions. Ce champ d’action comprend toutes les échelles spatiales limitant notre insertion dans le monde. Il est compris entre cette première sphère qui nous englobe (ex : espace bâti, nature, espace urbain …) et par notre planète. Cette première sphère existentielle est ce que nous pouvons qualifier de « microcosme » (l’homme par rapport au grand monde). • Le second niveau est notre conscience que ce monde dans lequel nous existons, existe lui aussi au sein d’un monde plus large qui est l’univers. Cette conscience se manifeste essentiellement dans la compréhension du rapport de causalité existant entre ce macrocosme qui est l’univers et ce microcosme qui est notre planète (les cycles, les saisons, l’alternance du jour et de la nuit…). • Le troisième niveau est la conscience de l’existence d’un monde métaphasique structurant et le macrocosme et le microcosme. Cette conscience part du principe que cette précision parfaite structurant le fonctionnement de l’homme, du monde et de l’univers ne peuvent être le fruit d’un chaos, et que certainement derrière cet ajustement existe une puissance suprême (la théorie de l’ajustement fin de l’univers - fine-tuning argument -). Cette conscience se manifeste concrètement dans la croyance en l’existence de Dieu, de l’au-delà et de l’âme. Comme l’illustre la figure 37, Fludd explique que c’est de l’interférence entre ces trois formes de conscience que se construit notre perception de ce qui nous entoure. Concrètement, nous pouvons contempler cela lorsque certains ressentis nous traversent en étant dans certaines lieu ( ressenti de sacralité, de frisson…). Merleau-Ponty a questionné aussi cette notion de « perception ». Contrairement à Fludd, il l’a abordé selon une démarche plutôt «empirique». Il a compris alors qu’elle est à la fois « processus » et « image » (dans sa finalité), qu’elle est le fruit de l’instant et la construction consécutive du temps. Il a aussi compris que sa construction repose sur une pluralité de facteurs à caractère impondérable (facteurs relatifs à notre psyché) ce qui explique que son caractère arbitraire et fluc5 tuant. Devant cette nature ambivalente et inconstante, Merleau-Ponty a compris que l’étude de la perception est une quête insaisissable. C’est pourquoi, il introduit la notion «phénoménologie de perception» : une approche d’analyse rationnelle vi-

5 - Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945.

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6 - Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l‘invisible, Gallimard, 1964.

7 - Jean-Pierre Cléro, Théorie de la perception : de l’espace à l’émotion, L’interrogation philosophique, 2000, pp. 3.

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sant à investiguer comment se construit progressivement notre perception de l’espace, une approche dans laquelle il met à notre connaissance qu’il est nécessaire de distinguer entre «espace perçu» et «espace vécu». L’espace perçu est cette image perceptuelle que nous construisons au moment même où on rentre en dialogue avec l’espace architecturale. Elle est, comme l’explique Merleau-Ponty, ce contact naïf avec le monde qui née de notre ouverture sur lui, soit ce que Fludd définie comme « mundus sensibilis ». L’espace vécu, par contre, est cette image perceptuelle que nous construisons progressivement de notre dialogue avec l’espace. Une image qui se construit de ce que l’espace renvoie comme visible et invisible. Cette notion nous la développe Merleau-Ponty dans son autre ouvrage « le visible et l’invisible ». Dans ce dernier, Il appréhende l’être humain comme étant un être préobjectif construisant la réalité qui l’entoure sur du solipsiste (réalité acquise à travers des certitudes fondées sur la cognition, des véracités, des croyances, des présomptions…). En termes plus simplifiés, Merleau-Ponty nous explique que la perception que nous portons sur ce qui nous entoure est l’image d’une réalité acquise construite sur du factuel, de l’idéel et du sensitif. Le fait que notre perception est la synthétisation du maillage entre plusieurs donnes de nature factuelle, idéelle et sensitive signifie qu’elle est construite sur des données constantes, des données changeantes et d’autres propres à chaque individu. C’est pourquoi, si nous avons à donner une définition concise sur notre perception de l’espace, et en l’occurrence de l’espace architecturale, nous dirons qu’elle est l’image explicite de ce qu’est l’espace architectural pour nous, la conception singulière que chacun de nous formule sur l’espace et son identité. Pour Jean-Pierre Cléro, la perception est « une représentation de la représen7 tation ». Le fait qu’elle naît d’une lecture individuelle singulière assujettie à des éléments invariables et variables lui donne un caractère mutant et subjectif. Et c’est la raison pour laquelle la perception varie d’une personne à une autre. Dire que chacun à sa propre perception de l’espace sous-entend que chaque individu perçoit un même espace différemment de l’autre, chose qui peut paraitre insensée, mais à comparer le discours que chacun emploie pour décrire un même espace, nous allons vite nous rendre compte que cette notion prend forme et devient évidente. Par exemple, si on demande aux membres d’une même famille de décrire ce qu’est leur chez-soi pour eux, leur discours ne portera pas que sur l’aspect formel et spatial de la maison, mais portera plutôt sur le lien relationnel qui unit chacun d’eux avec elle. Chaque description sera différente de l’autre, et seules les descriptions qui portent sur le corps et la forme de l’espace seront plus au moins similaires. Alors, qu’est qu’un espace ? Est-il une réalité fictive ou un simulacre avéré ?


Fig.44 : Film où les scènes se déroulent dans une réalité fictive. Fig.45 : Film où le monde réel et le monde imaginaire s’interférent. Fig.46 : Film où les scènes se déroulent dans un monde fictionnel réel. The Matrix [45] Lana et Lilly Wachowski, (1999)

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Pan’s labyrinth [46] Guillermo del Toro,(2006)

L’Imaginarium du docteur Parnassus Terry Gilliam, (2009)

III- LE facteur temps dans la formulation de la perception : Pour Magdalini Gregoriadou, « l’espace est une entité identitaire qui ne peut 8 se défaire de deux notions importantes qui sont le temps et le corps ». Selon elle, en liaison avec ces deux notions, l’espace devient mutant et ne peut avoir de forme absolue. Elle explique qu’en relation avec le corps (la perception de l’usager), et vu les multiples interprétations que le cerveau fait de l’espace, ce dernier incarne une forme bidimensionnelle qui manifeste deux aspects à la fois : un aspect « réel » et un aspect « sensible ». Elle explique aussi, qu’en relation avec le temps, cette forme bidimensionnelle se métamorphose au fur et à mesure et incarne multiples formes. Magdalini insinue que même notre propre perception de l’espace est susceptible de changer, et d’une manière très fréquente, à cause de l’impact du temps. Pour comprendre la relation existante entre la perception de l’espace et le temps, il nous est nécessaire d’abord de comprend re ce qu’est « le temps » et d’analyser les différentes manières avec lesquelles il empreigne l’espace.

8 - Magdalina Gregoriadou, El imaginario en la génesis del proyecto arquitectónico: La construcción de la realidad a través del mito, la utopía y la cibercultura, Nobuko Diseño, 2016.

Le temps, comme notion, est une entité incorporelle abstraite et effective. Il est orbite, absolue et continuel. Il existe sous trois formes distinctes qui sont : • Chronos (la forme physique du temps) : Il est la manifestation du temps comme valeur linéaire mesurable (passé, présent, futur ; jour/ nuit ; date et heure…). • Kairos (la forme métaphysique du temps) : il représente la dimension qualitative du temps défini par le ressenti, et manifeste un moment ou une phase séquentielle particulière qui différé de son antécédente.

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• Aiôn (le temps cyclique) : il illustre les cycles et les phases qui se succèdent à travers le mouvement du temps. Il délimite des périodes ou des phases qui sont relativement longues, ou bien qui se répètent d’une manière saisonnière. Ces trois formes temporelles, et vu leurs métamorphoses perpétuelles, affectent, chacune d’elles, l’espace architectural et affectent sa lecture. Prenons « Chronos » comme exemple, son impact sur l’espace et sur sa lecture peut se lire à différents niveaux : l’empreinte et les traces du temps sur l’espace ou le corps architectural (délabrement de la construction, dégradation de la couleur de l’épiderme…), l’alternance du jour et de la nuit et le contraste visuel qu’elle génère lors de la lecture d’un bâtiment… L’empreinte de Kairos, par contre, se manifeste sous d’autres aspects notamment la mutation temporaire de l’espace dû à un événement soudain ou particulier ce qui affecte sa lecture et imprègne sa pratique. En ce qui concerne Aion, son caractère saisonnier rend son empreinte sur l’espace très prononcé, et cette empreinte se manifeste sous plusieurs aspects comme par exemple : la métamorphose du paysage par la neige ou la pluie et ce que ça induit comme changement de confort thermique, la métamorphose de la pratique spatiale et de l’espace lors de certaines périodes de l’année (vacances d’été, fête nationale ou religieuse…).

Fig 47 : Figures illustrant des lieux à qui le temps leur a fait perdre leurs réelle identités et leurs histoires.

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Impact Kairos (Passé/Présent)


Fig.48 : Figures illustrant comment un lieu peut se métamorphoser à travers le temps.

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Impact Chronos (Passé/Présent)

Fig.49 : Figures illustrant comment un événement saisonnier peut faire subir à l’espace une mutation radicale.

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Impact Aiôn (Pélerinage saison Hajj/Pélerinage période Omra)

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Impact Chronos (Jour/Nuit) Édifice Metrópolis, Madrid,(1911)

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Impact Chronos (Passé/Présent) Nid d’abeille, Casablanca, (1931)

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Impact Aiôn(Hiver/Printemps) Glass House, New canaan, (1931)

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Impact Kairos (Le quotidien/Les jours où le Real Madrid gagne une coupe) Place Cibeles, Madrid,(1895)


De cette analyse, nous comprenons que l’espace, comme entité corporelle, subit une métamorphose perpétuelle incessante causée par le temps et son mouvement. Cette métamorphose affecte la lecture que l’usager fait de l’espace et génère de nouvelles perceptions spatiales relatives à une forme temporelle précise. Par ailleurs, l’impact du temps sur l’usager influence aussi sa perception de l’espace : prenons le temps chronos comme exemple, son impact sur notre lecture spatiale se lit sur plusieurs niveaux, par exemple, les nuits, certains d’entre nous, étant petits, avaient du mal à dormir dans le noir, puisqu’ils effectuaient des lectures spatiales basées sur des fictions. En grandissant, cette lecture s’efface donnant place à une lecture fondée sur de l’effective. Nous comprenons donc que le temps affecte notre lecture spatiale et affecte avec elle notre perception de l’espace. De ce fait, nous comprenons que l’espace, comme finalité, est une entité identitaire mutante relative à ce que l’usager perçoit. En réponse à la question majeure de ce chapitre («qu’est qu’une architecture ?»), nous pouvons dire qu’une architecture est « une identité perceptible » qui prend forme suite à l’interférence de trois éléments qui sont : •Le corps architectural : il désigne l’espace architecturale comme objet bâti et comme entité corporelle construite. Cette dernière est tangible et immuable. En relativité avec elle-même, elle reste toujours statique et figée, et ne subit quelconques mutations, sauf impact du temps ou intervention humaine. Elle permet la reconnaissance visuelle de l’espace architecturale et définit son identité corporelle. •Le temps : un facteur orbite, absolu et impérieux. Il a un aspect immatériel, mais ses traces sont ostensibles et sont clairement visibles notamment sur le corps architectural. Son omniprésence inévitable fait subir au corps architectural une perpétuelle mutation qui affecte son aspect visuel, figuratif et affecte même son mécanisme de fonctionnement. C’est pourquoi il est une composante déterminante et capitale de l’identité de l’espace architecturale. Le corps humain : il représente le capteur réceptif qui permet la lecture et la compréhension de l’espace architecturale. Cette lecture permet de décortiquer et d’assembler les différentes données qui permettront à l’usager, par la suite, de construire sa propre conception sur l’espace. Comme le corps architectural, le corps humain subit aussi le facteur du temps, ce qui affecte la réception et la lecture de l’espace. De l’interférence entre ces trois éléments, née une dimension latente incarnant les propriétés identitaires propre à l’espace architecturale. À travers elle, ce dernier acquiert « âme » et devient vivant et discursif.

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Les facteurs engendrant la dimension latente

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Les vecteurs tangeant élémentaires à la formulation de l’identité perceptible

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Les Mécanismes structurant le cheminement que suivra la formulation de la perception


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Le processus de conformation de l’identitÊ architecturale perceptible et discursive

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Chapitre ii :

la linguistique architecturale et l’interprétation de l’architecture :


introduction : Dans l’Iliade comme dans l’odyssée, les épopées d’Homère nous rapportent qu’une bataille légendaire opposa les Grecs aux Troyens. L’enlèvement d’Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte, par le prince troyen Pâris fut l’élément déclencheur de cette guerre. En quête de vengeance, d’honneur et de gloire, Ménélas, en alliance avec les autres rois grecs, dirigea l’armée vers l’impénétrable ville de Troie dans le but de la conquérir et reconquérir le cœur de sa bien-aimée… Ce fut dix ans depuis le commencement de cette guerre, dix ans que les batails s’enchainent entre les deux camps. Dix ans que les Grecs encerclent la citadelle troyenne sans pouvoir la pénétrer. Les soldats grecs commençaient à s’exaspérer. La guerre était dans son déclin et la Grèce était sur le seuil d’une défaite. Puis vint Ulysse (commandant grec et personnage principal de l’odyssée) avec une idée machiavélique

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Cheval de Troie Louis Glanzman

qui renversa les balances de la guerre. Ulysse proposa de construire une sculpture géante en forme de cheval dans laquelle ils dissimuleront quelques-uns de leurs soldats. En offrant cette sculpture comme présent aux Troyens, ces derniers allaient l’interpréter comme signe de victoire et n’allaient pas hésiter à la faire rentrer à l’intérieur de leurs murailles. Une fois à l’intérieur, les soldats dissimulés devaient s’infiltrer au sein de la citadelle, saisir le moment opportun et ouvrir les portes de Troie pour permettre à l’armée grecque de l’envahir. Et ainsi fut. Les Troyens acceptèrent le présent et le célébrèrent. Le soir, ils se réveillèrent sur les cris de leurs compatriottes pleurant la chute de leur ville. Et c’est ainsi qu’est née la légende du « cheval de Troie ». Si le plan d’Ulysse avait parfaitement marché, c’est parce qu’il savait parfaitement comment les troyens allaient lire et interpréter son cheval. Ulysse savait comment à travers une forme, une échelle, une symbolique et une histoire, il pouvait stimuler l’imaginaire de ses adversaires et acheminer la formulation de leur perception dans un sens précis. Ulysse savait que l’identité d’un objet sculptural, y compris l’architecture, était relative aux trois formes de langages qui le constituait. Alors quelles sont ces trois formes de langages ? comment ils participent à la formulation de l’identité architecturale ? Et comment stimulent-ils notre imaginaire et influencent notre perception ?

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1 - le langage verbal : « Even though I walk through the valley of the shadow of death, I will fear no evil, for you are with me; your rod and your staff, they comfort me. » « Même quand je marcherais par la vallée de l’ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal ; car tu es avec moi ; ton bâton et ta houlette sont ceux qui me consolent. » Psalm 23 : 4

Fig 59 : Images illustrant la réelle géhenne où Moïse a emmené son peuple après l’exode.

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Le Jugement dernier, Hans Memling, 1471

Que sera votre réaction en apprenant que ce lieu édénique est littéralement l’enfer. Que sera votre réaction si je vous dis que ces images illustrent la vallée de l’ombre de la mort à laquelle se référait la Bible dans le verset cité. Beaucoup pensent que la vallée de l’ombre de la mort est une référence au royaume des morts ou aux ténèbres. Ce n’est pas faux. Mais peu savent que le texte biblique faisait allusion à un lieu effectif existant sur terre et non dans l’au-delà. Les origines de l’histoire de cette vallée remontent au temps de l’exode. Dirigeant son peuple à la terre promise, Moïse dut faire un détour au mont Sinaï pour rencontrer Dieu. Il installa son peuple dans une vallée à coté de Jérusalem et leur demanda d’attendre son retour. Ce fut de nombreux jours depuis que Moïse quitta son peuple. Ces derniers perdirent leur foi, construisirent un veau en or et firent de lui une idole. Pour vénérer leur nouveau dieu « Moloch », les hébreux pratiquaient des rituels horrifiques : ils allumaient un feu inextinguible et jetaient dedans, comme sacrifice, leurs nouveau-nés. Pour que les parents n’entendent pas les cris de leurs enfants qui s’immolaient, ce rituel était accompagné de chants et de tintamarre, ce qui donnait à ces rituels un caractère apocalyptique. À son retour, la scène tourmenta Moïse. Fou de rage, il détruisit les tablettes sur lesquelles Dieux avaient inscrit ses dix commandements et promit aux pécheurs un châtiment aussi atroce que celui qu’ils ont fait subir aux enfants. Il leur promit de passer l’éternité à bruler dans un feu impérissable plus acharné que celui qu’ils avaient déclenché dans la Geui Hinnom. Il leur promit la Géhenne.

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Comme nous pouvons le comprendre, le feu de la géhenne telle que nous le connaissons aujourd’hui, n’était à la base qu’une métaphore par laquelle Moïse souhaitait transmettre aux blasphémateurs de son peuple que le jour du jugement dernier, ils subiront un sort à l’ampleur du mal qu’ils avaient commis, soit ils sombreront éternellement dans un feu similaire à celui de la vallée de géhenne. La transmission orale de cette histoire a fait que beaucoup de gens ont interprété la métaphore dans son sens littéral. Géhenne devint alors un lieu appartenant à l’au-delà et perdit subitement sa réelle identité. Et comme cette histoire se transmettait à travers les temps et d’une terre à une autre, elle se transmutait perpétuellement puisque chaque peuple et chaque culture l’adaptaient à un imaginaire et à une pensée. Et c’est comme ça que se formula l’imaginaire que nous portons aujourd’hui sur la géhenne : un lieu sulfureux dans lequel toutes les mauvaises âmes qui ont habité la terre depuis la création et jusqu’à la fin des temps subiront ce qu’ils méritent comme châtiment. Fig.60 : Figure illustrant à quoi ressemble la Géhenne dans l’imaginaire collectif. Fig.61 : Figure illustrant à quoi ressemblait la Géhenne dans le temps de l’exode.

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Le Jugement dernier, [61] Hans Memling, 1471

Le culte de Moloch, Charles Foster, 1897

Aujourd’hui, en visualisons les images de la vallée de Guei Hinnom ou en la visitant, notre perception d’elle ne sera pas si particulière. Mais une fois qu’on connaîtra son histoire, cette perception se transmutera d’une manière radicale. C’est comme si l’identité d’une architecture ou d’un lieu était surtout ce qu’on rapportait d’elle et non pas ce qu’elle est comme espace vécu ou comme corporalité. De cette histoire, nous comprenons que les récits racontés sur un lieu, un espace ou une architecture affectent directement leur identité et arrivent même à la dénaturer, et que ces récits affectent même la formulation de notre perception. La question qui se pose alors comment le langage verbal influence la formulation de l’identité architecturale et comment affecte t-il la formulation de notre perception ?

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Questionner le rôle du langage verbal dans la formulation de l’identité architecturale implique que notre étude doit porter et sur le rôle que joue ce langage dans la phase conceptuelle (comme étant outil constructif), et sur le rôle qu’il joue lorsqu’on l’emploie pour communiquer d’une architecture (comme étant une représentation verbale de l’entité architecturale). Commençons par l’étude du rôle du langage verbal dans la formulation de l’entité conceptuelle :

Le rôle du langage verbal dans la conception de l’entité architecturale : Construire une architecture est synonyme de construire une pensée. Comme expliqué dans le chapitre précèdent, à la genèse d’une architecture, le besoin de répondre à un ensemble de problématiques et d’enjeux, et la volonté de concrétiser plusieurs désirs. Transcrire ces desseins en une entité conceptuelle pouvant incarner le réel ne peut se faire qu’à travers un processus cognitif permettant l’analyse, le traitement et le maillage d’un ensemble de données et de variantes. Ce processus connaît deux phases : une première dans laquelle se construit l’image notionnelle de ce que doit être l’entité architecturale, et une seconde dans laquelle on personnifie cette image notionnelle en une image figurative illustrant ce que sera l’incarnation du projet dans le réel. D’une manière plus simplifiée, on construit d’abord une pensée, puis on lui donne forme. Dans la philosophie grecque, la pensée découle du « logos ». Dans son sens premier, ce dernier signifie le discours parlé ou écrit, mais pour être plus précis, c’est un terme dont la signification englobe un ensemble de sens à caractère linguistique. Il signifie à la fois : parole, discours, énoncé, rapport, raisonnement, définition et argumentation. Si les grecques attachent la pensée au logos, c’est parce qu’ils considèrent que la pensée incarne forme à travers notre capacité à utiliser le langage; et puisque la pensée ne peut exister sans mise en forme, l’architecture ne peut exister sans langage. Pour bien assimiler la relation existante entre l’émergence d’une pensée et ce dernier, il faut se mettre en tête que lorsque nous cogitons, notre cerveau défile une multitude d’images formulant la pensée. Ces images ne s’affichent que lorsque notre mental décrypte un ensemble de données et de paramètres analytiques. Ces données acquièrent sens et signification du langage qui les construit. Ce langage est le même que nous employons pour exprimer et diffuser cette pensée construite. En d’autres termes, le langage enfante la pensée et la pensée ne peut exister indépendamment de lui. Lors du processus conceptuel, construire la pensée architecturale implique le recours à un ensemble d’opérations de nature réflective (décrire, construire, rac-

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corder, synthétiser…). Le langage verbal, par sa pluralité d’usage, se présente comme le seul outil permettant d’effectuer toutes ces opérations. Sans lui, l’image notionnelle de ce que doit l’architecture ne pourra se construire. Son rôle est donc élémentaire lors de la première phase de ce processus. Dans la seconde phase, nonobstant le fait que l’outil image prend plus de protagonisme et devient prééminent, la légitimité du recours au langage verbal reste immuable.C’est à travers lui que la représentation graphique ostensive de la pensée architecturale et celle de ce que sera la finalité du projet se formulent. Dans son essai « de la synthèse 9 de la forme », Alexander Christopher explique que dans cette phase, le langage se présente comme outil « d’analyse » et de « synthétisation » ; qu’il est une force active permettant d’effectuer un processus de décomposition et d’assemblage permettant la formulation de la représentation graphique du corps architectural. Selon lui toujours, cette dernière est aussi langage et force active. Elle permet de communiquer une image visuelle de ce que pourrait être l’entité architecturale dans la réalité. Christopher indique que malgré que cette image devient l’outil par lequel on exprime la pensée, le recours au langage verbal reste toujours nécessaire soit pour communiquer cette représentation graphique soit pour la justifier.

9 - Alexander Christopher, La synthèse de la forme, Harvard College, 1964.

De ce qui précède, nous comprenons que l’architecture incarne forme du langage verbal. Cela signifie que, systématiquement, cette forme est dépendante de la forme du logos. Plus précisément, elle est dépendante de comment le concepteur formule, structure et exprime sa pensée. Comme nous le savons, «s’exprimer» est un processus à caractère mutant. Sa construction suit un cheminement instable qui n’amène pas forcément à une pensée à forme figée. Autrement dit, la construction de la pensée incarne dans ses travers les difficultés que peut rencontrer le concepteur en essayant de «s’exprimer». Chose qui se répercute nettement sur la formulation de la pensée architecturale. Pour bien assimiler à quel point notre usage du langage influence et notre perception de l’espace et la formulation de la pensée architecturale, Bernardo Ynzenga, dans son livre « espaces Zéro », nous suggère de substituer l’appellation que nous donnons à un programme par le terme « espace » en ajoutant à ce dernier un adjectif relatif à sa fonction. Par exemple, remplacer le terme « Boulevard » par « espace dynamique », « place » par « espace public », et ainsi de suite. Ce processus est applicable aussi par apport aux caractéristiques spécifiques de chaque projet : « espace de vacance », « espace de divertissement », « espace de méditation », 10 « espace de relaxation »…Pour Ynzenga, ce simple fait de remplacer l’appellation commune d’un programme par une appellation plus générique nous libère des clichés qu’on pouvait porter sur l’espace, ce qui se répercute directement sur la manière par laquelle nous allons le percevoir. Il explique aussi que ce changement affecte même le cheminement du processus conceptuel. Selon lui, il permet au

10- Bernardo Ynzenga, Espacios zero, Broché Broché, 2014.

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11 - Ludwing Wittgenstein, Philosophical investigations, Blasil Blackwell, 1953, pp. 7.

concepteur de penser l’espace avec une certaine émancipation. Par exemple, si je vous demande de penser une salle de classe, généralement, la finalité de votre proposition se limitera en une salle avec une configuration de rangée classiques (disposition en rangées ou en forme de u) orienté vers un tableau. Par contre, si je vous demande de concevoir un espace d’apprentissage, vous allez délibérément faire preuve de plus de créativité et d’innovation. Votre réflexion sera libre de tout assujettissement. Elle portera sur la question de l’apprentissage et ne sera pas astreinte par la contrainte futile de la disposition des rangées. Pour Ynzenga, l’influence de notre usage du logos sur notre pensée s’éxplique par notre tendance à «nommer» les choses. Selon lui, en nommant une fonction, on l’attache à des clichés et des stéréotypes. Cela conditionne la réflexion du concepteur et limite son champ d’opportunités envisageables. Par rapport à cela, Wittgenstein dit : «nom11 mer quelque chose est similaire à labéliser un objet». Selon ces dires, « nommer » est synonyme de « labéliser », et puisque la labélisation est une forme de standardisation, il est normal que se fait achemine notre pensée vers un sens prédéfini. D’où la nécessité de distinguer entre le vocabulaire employé pour concevoir le projet et le vocabulaire employé pour communiquer de lui. Par contre, Alexander Christopher pense que les répercussions du logos sur la pensée architecturale ne sont pas forcémment du à la manière avec laquelle nous employons le langage. Pour lui, ce sont plutôt nos capacités cognitives limitées à analyser l’information dans sa globalité, d’une manière instantanée et intégrale, qui conditionnent notre réflexion et notre usage du langage : plus la quantité d’informations à traiter s’élève, plus l’usage du langage devient lacunaire. Christopher explique que ce fait mène souvent vers un acheminement analytique mal structuré. Il ajoute que cet acheminement s’explique aussi par un autre fait : la relativité entre la pensée et le langage, ainsi que notre penchant vers le rationalisme font que notre cognition prend le devant, intuitivement et implicitement, sur le processus analytique qui finit par suivre un acheminement pulsionnel non structuré. Comme nous avons pu le voir, du langage nait la pensée, et à travers lui, elle prend forme. Nous avons pu voir aussi que le langage que nous employons pour construire cette pensée ainsi que la manière avec laquelle nous l’employons ont une incidence directe sur cette dernière. Mais qu’en est -il du caractère vivant du langage ? Précédemment, nous avons évoquer que la pensée relève dans ses travers toutes les difficultés et les lacunes que peut rencontrer le concepteur lors de la formulation et l’expression de sa pensée. C’est pourquoi il peut exister de grandes disparités entre ce qu’il pense, ce qu’il souhaite énoncer, ce qu’il énonce et ce qui est compris de son énoncé. Pour comprendre les raisons derrière un tel fait, il nous faut puiser dans la linguistique Saussurienne.

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Ferdinand de Saussure, à travers son concept du signe linguistique, nous explique que ce qui découle du langage sont des mots (corpus d’énoncés) qui symbolisent un sens. Ces mots représentent « le signifiant » (face concrète du signe : mots, écriture, parole, son, dessin…). D’elles, émerge une image acoustique psychique symbolisant l’image mentale spéculative d’un objet, une chose ou une idée particulière. Elle est ce que Saussure définit comme « signifié ». Par conséquent, l’idée que renvoient le signifiant et le signifié matérialise le réfèrent (l’objet ou la pensée comme signifié, dans sa réalité et dans la réalité).

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Les deux faces du signe linguistique Ferdiand de Saussure

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Le triangle sémiotique Ogden & Richards

Pour vous simplifier les choses encore plus, analysons ces notions selon l’approche d’Odgen et Richard et prenons comme exemple du « cheval » : la graphie «cheval», comme manuscrit et comme terme, provoque une sonorité particulière qui se traduit dans notre mentale en une image acoustique conceptuelle de ce qu’est « un cheval» dans la réalité. La graphie « cheval » est donc le signifiant, l’image acoustique est l’idée de ce qu’est un cheval (référence), le cheval en soi, comme créature vivante, est le signifié (référent).

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Le triangle sémiotique d’un cheval

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Bien évidemment, une pensée architecturale ne se construit pas sur la base d’un seul mot, mais à travers l’agencement d’un ensemble de corpus d’énoncés (ce qui implique un emploi plus détaillé et plus précis du langage). Or, plus on utilise le langage d’une manière détaillé, plus son usage devient lacunaire. Je m’explique : comme soulevé précédemment, la pensée découle du langage et incarne forme à travers lui. Pour pouvoir transmuter cette pensée d’une image notionnelle en une entité conceptuelle effective, nous devons d’abord la libérer de notre mentale et l’exposer. Nous devons donc la communiquer. Ce passage implique le recours au langage qui permet de transformer l’image mentale en une image acoustique qui, elle, engendrera l’image figurative ostensive de cette pensée. Or, pour que cette image figurative soit à l’image de la pensée formulée, l’image acoustique doit être conforme à l’image de la pensée. Authentifier l’image acoustique à l’image mentale implique une construction verbale consciencieuse, exhaustive et précise de l’image acoustique. Ceci nécessite une série d’ajouts et une restructuration constante et incessante de cette construction, et plus on essaiera d’expliciter nos pensées, plus l’usage du langage se compliquera ; et tant que l’expression sera inaccomplie, nos pensées ne pourront incarner la réalité d’une manière absolue. De ces lignes, nous comprenons que, sauf une construction linguistique exhaustif ou « concise » de l’image acoustique, la pensée architecturale ne peut se construire uniquement sur la base du langage. C’est pourquoi, nous pouvons dire que quoique ce dernier soit un outil impérieux dans l’acte conceptuel, il reste un outil déficient et lacunaire qui doit être légitimement épaulé par un autre outil expressif, en l’occurrence le dessin et l’imagerie. Aussi, cela prouve que nos pensées sont soumises à notre langage, que les limites de ce dernier sont les limites de ces pensées et de notre réalité. En fait, nous pouvons même dire que ni notre réalité ni notre imaginaire ne peuvent exister en dehors de notre langage. Si dans le paragraphe précédent nous avons signalé que seule une construction exhaustive mais surtout « concise » peut permettre la transcription absolue de la pensée architecturale, c’est parce que, lors de l’émergence du sens de l’image acoustique, le poids des mots pèse. Comme dit Wittgenstein, le langage est un recueil d’actions vivantes. Au-delà de ce qu’il renvoie comme sens, sa force réside dans ce qu’il provoque comme impact significatif et sensitif. Par impact significatif, nous insinuons cette capacité qu’a une composition linguistique à renvoyer, d’une manière concise et précise, un sens limpide bien défini qui sera appréhender par tout le monde de la même manière. C’est cette sonorité qui permet, instinctivement, l’émergence de la manifestation exacte de la pensée dans notre mentale. L’illustration « i’m a monument » de Robert Venturi & Denise Scott Brown en est le parfait exemple.

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Le dessin ci-dessous est une figure iconique qui nous réfère aux théories de Venturi sur l’ambiguïté en architecture. Il est paru dans son livre «Learning from Las Vegas» comme une caricature critiquant le «Boston city hall» (1969). Venturi et son épouse Denis Scott trouvaient que cet édifice était «trop architectural» et «ennuyeux». Selon eux, un bâtiment plus conventionnel surmonté d’une enseigne lumineuse proclamant « je suis un monument » suffisait pour générer le même impact urbanistique sans pour autant suivre un « formalisme servile ». Leur dessin est l’expression de cette idée. Il est puissant car il illustre parfaitement ce que le Boston city hall est dans la réalité, il est puissant car l’inscription écrite sur lui manifeste, d’une manière éloquente et prononcé, ce que le Boston city hall renvoie comme sémantique. Bien évidemment, quoique cette illustration soit une fusion entre deux symboles linguistiques (l’imagerie et la parole écrite), nous pouvons s’accorder à dire que c’est l’inscription « I am a monument » qui définit le sens de ce qui est dessiné. Ici, inscription et dessin se conjoignent pour générer un sens unique et bien précis permettant de faire resurgir ce sens abscons latent dans la pensée. Ceci affirme nos propos disant que le langage doit être épaulé par un autre outil expressif et rejoint la théorie de Magritte soulevée dans son oeuvre «la trahison de l’image» sur l’inhérence existante entre la pensée, la réalité, le langage et l’imagerie.

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I am a Monument Robert Venturi & Denise Scott Brown, Learning from Las Vegas (1972)

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L’œuvre de Magritte « la trahison de l’image », est un exemple concret exposant à quel point le sens que peut avoir nos pensées est soumis au poids des mots qui les expriment. Elle prouve que, peut importe la forme que prendra cette pensée, son sens sera toujours assujetti au langage qui l’exprime. En d’autres termes, c’est du langage d’où la pensée acquiert son sens et ce n’est que lorsque ce langage est concis que son sens devient éloquent. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’expression «Less is more» est devenu la devise du minimalisme. Elle est un aphorisme reflétant d’une manière lucide que la richesse du minimalisme et de l’œuvre du Mies Van der Rohe réside dans sa simplicité et sa sobriété. De même l’expression « F**k the contexte » est devenu une réplique culte car, d’une part, elle simplifie la compréhension de la théorie de Koolhaas sur la bigness, et d’une autre, elle reflète avec exactitude la manière avec laquelle il pense l’architecture (selon une approche osée et anticonformiste à la limite radicale). Autre exemple probant prouvant que la pensée est toujours soumise au poids des mots est celui de cette installation au zoo du Bronx. La simple phrase « l’animal le plus dangereux du monde », inscrite sur le haut d’un miroir installé dans ce zoo, a pu stimuler l’orgueil des visiteurs et éveiller leur conscience par rapport aux répercussions affreuses de la bêtise humaine sur nos vies et sur le monde.

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La trahison des images René Magritte(1929)

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Devise minimalisme Mies Van der Rohe (1947)

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S, M, L, XL Rem Koolhaas (1994)

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L’animal le plus dangereux du monde Zoo de Bronx (1960)


En parallèle, Wittgenstein, à travers ses investigations linguistiques, met l’accent sur un autre phénomène majeur inhérent au langage et inculquant à la pensée caractère vivant. Dans sa théorie « jeu de langage », il s’intéresse à l’étude des sentiments et des sensations émergeant des compositions sémiotiques : l’indignation que peuvent susciter des paroles racistes, l’allégresse que génère un poème, la peur que peut provoquer une information…. S’il est nécessaire d’étudier cet aspect discursif, c’est parce que les volontés et les enjeux d’où naissent le besoin de concevoir une architecture ne sont pas forcément de nature fonctionnelle ou spatiale, ils sont aussi des besoins sensitifs et émotionnelles. Par exemple la recherche du bien être que doit procurer un chez-soi, cette sensation de sacralité que doit renvoyer un lieu de culte, ce caractère d’autorité que doit inspirer un bâtiment d’état (un ministère, une préfecture, un commissariat)... Bien évidemment, pour arriver à inculquer à la conception des attributs sémantiques particuliers, il est légitime que les mots qui formuleront la pensée architecturale incarnent et expriment ces propriétés recherchées. Ceci n’est pas évident vu le caractère équivoque que peut relever le langage. C’est pourquoi, lors de la première phase du processus conceptuel, le dessein sémantique recherché reste souvent captif dans le mentale du concepteur. Néanmoins, il est possible de l’exposer lors de la seconde phase de ce processus puisque le langage nous permet de calquer les attributs sémantiques d’une architecture sur une conception. Par exemple, en concevant une architecture nous pouvons dire que l’espace auquel nous souhaitons aboutir doit générer l’apaisement qu’instaurent les termes de Valls de Peter Zumthor, la spiritualité qu’inspire le jeu d’ombres et de lumière présent dans l’église de lumière de Tadao Ando, le ressenti que génère la pluie de lumières existant dans le musée du Louvre d’Abhu Dhabi de Jean Nouvel… Ici, cet usage du langage ne permet pas uniquement de personnifier la pensée d’un élément abstrait, mais permet aussi au concepteur de penser son espace de sorte à ce que sa composition spatiale et sémiotique génère la sémantique souhaitée. Comme nous l’avons précédemment indiqué, dans cette seconde phase, le langage est une force active permettant d’effectuer un processus de décomposition et d’assemblage. À travers ce dernier, ces compositions sémiotiques prennent forme puisqu’il est une construction verbale de la forme corporelle de la conception. Ce rôle se manifeste par exemple dans le fait d’indiquer qu’un tel espace doit être de forme carrée, que le volume extérieur doit être d’une forme épurée, que les murs doivent avoir une texture lisse… Par conséquent, il ne faut pas oublier qu’il existe d’innombrables styles architecturaux, que chacun de ces styles à un vocabulaire formel propre à lui le distinguant des autres styles architecturaux, chacun de ces vocabulaires est associé à un lexique et un vocabulaire verbal qui le représente.

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Simplifions un peu les choses, si nous désirons concevoir une architecture de «style moderne», notre conception devra disposer d’un plan libre, d’une façade libre, de pilotis, d’un toit-terrasse et de fenêtres en bandeau. Ces cinq éléments sont le vocabulaire formel manifestant ce style architectural. « Architecture moderne », par conséquent, est le terme linguistique utilisé pour qualifier ce style, de même pour les termes linguistiques utilisés pour parler des cinq éléments qui doivent le composer. Bien sûr, lors de la construction de cette architecture, il suffit par exemple de dire que ces éléments doivent être disposés selon telle ou telle manière pour aboutir au même résultat. Néanmoins, le simple fait d’indiquer que ce projet doit être de style moderne suffit pour comprendre que sa composition architecturale devra contenir un vocabulaire particulier. Et c’est là où le rôle du langage verbal est probant. Il permet de calquer la syntaxe d’un vocabulaire architectural dans la sémiotique d’une autre.

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Les 5 points de l‘architecture moderne Le Corbusier

Simplifions un peu les choses, si nous désirons concevoir une architecture de «style moderne», notre conception devra disposer d’un plan libre, d’une façade libre, de pilotis, d’un toit-terrasse et de fenêtres en bandeau. Ces cinq éléments sont le vocabulaire formel manifestant ce style architectural. « Architecture moderne », par conséquent, est le terme linguistique utilisé pour qualifier ce style, de même pour les termes linguistiques utilisés pour parler des cinq éléments qui doivent le composer. Bien sûr, lors de la construction de cette architecture, il suffit par exemple de dire que ces éléments doivent être disposés selon telle ou telle manière pour aboutir au même résultat. Néanmoins, le simple fait d’indiquer que ce projet doit être de style moderne suffit pour comprendre que sa composition architecturale devra contenir un vocabulaire particulier. Et c’est là où le rôle du langage verbal est probant. Il permet de calquer la syntaxe d’un vocabulaire architectural dans la sémiotique d’une autre.

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Le langage comme représentation verbale de l’entité architecturale : En parlant du langage comme représentation verbal de l’entité architecturale, notre esprit se réfère généralement au rôle qu’il joue dans la description corporelle de cette entité. Généralement, l’usage premier que nous faisons du langage pour communiquer d’une architecture se fait dans ce sens. En l’utilisant d’une manière correcte et précise, il nous permet de construire, oralement, l’image corporelle exacte de l’entité architecturale. Prenons comme exemple le phare d’Alexandrie. Hormis le fait qu’il a disparu, les récits qui le décrivaient nous ont permis de reconstituer son image : l’archéologue Jean-Yves Empereur, en étudiant différentes illustrations du phare ( illustrations sur mosaïque, sur des pièces de monnaie ancienne, sur des documents anciens…), et en se basant essentiellement sur les récits qui le décrivaient (récits d’Ibn Battuta, de Strabon, de Plutarque et d’Abu Hamid Al-Andalusi), a pu récolter des indices tangibles définissant les propriétés formelles et géométriques du phare (dimensions,proportions, composition architecturale…). Sur la base de ces données, il était possible de reconstruire des représentations picturales conforme à l’image de ce à quoi ressemblait le phare. De la même manière, on a pu reconstituer la statue de Zeus, le temple d’Artémis, le colosse de Rhodes…

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Le phare d’Alexandrie Alexandrie, Egypte (280 av.J-C/1480)

Mais au-delà de ce qu’elle est comme objet corporelle, l’entité architecturale est d’abord un recueil de phénomènes vivants (sémantiques, symbolique, imaginaire, une mémoire…). Certains de ces phénomènes sont de nature sensible et latente, tandis que d’autres naissent du lien espace/usager. Le fait que l’identité architecturale soit assujettie à ces phénomènes ainsi qu’à notre perception, attribue à cette identité un caractère fluctuant. Par exemple, en demandant aux membres d’une même famille de décrire leur chez-soi, leurs descriptions vont différer. Elles ne s’articuleront pas autour de l’aspect spatial ou formel de leur domicile, mais plutôt sur ce qu’il représente pour chacun d’entre eux. Les parents

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parleront peut-être de l’histoire derrière l’acquisition de ce bien et des sacrifices qu’ils ont dû faire pour se la procurer. Ils parleront aussi de comment leur petite famille s’est multipliée au sein de ce foyer, et comment, dans son enceinte, ils ont pu observer leurs enfants grandir. Ces enfants diront que ce lieu représente leur sphère intime dans laquelle ils se partagent leur vie et leur quotidien. Lorsqu’ils grandiront et quitteront cette maison, ils raconteront, avec beaucoup de nostalgie, qu’elle est un lieu étoffé de souvenirs retraçant les moments de joie et de bonheur qu’ils ont vécu dans leur enfance. De cet exemple, nous comprenons que c’est à travers le langage verbal que les dimensions latentes d’une architecture se révèlent ; et comme ces dimensions sont des constituantes majeures de l’identité de cette dernière, sans le langage qui les révèle, l’architecture ne sera qu’un objet bâti fade et anodin. La vallée de Guei Hinnom en est le parfait exemple. Autre exemple prouvant que le langage verbal peut, à lui seule, définir l’identité d’un lieu et d’une architecture est le « Maristan Sidi Frej » de Fès. Cet édifice patrimonial tombé dans l’oubli était l’un des tout premiers asiles psychiatriques du monde et a joué un rôle pionnier dans l’émergence de la psychiatrie. Lorsque la dynastie mérinide était dans son apogée, le mâristân était géré par des fonds publics. Il assurait les besoins de tous ses patients, hommes et femmes. Il disposait même d’une cour et d’un jardin assurant des promenades pour ces derniers et accueillant des soirées de musique soufie utilisée pour l’apaisement spirituel qu’elle générait. Puis, le mâristân tomba dans l’oubli. Il se transforma d’un asile psychiatrique assurant des services hospitaliers aux patients à une structure recueillant les aliénés et les proscrits de la société, puis il devint un bobinard. Aujourd’hui, il est une simple bâtisse délabrée abritant une kissaria. L’état déplorable caractérisant l’édifice aujourd’hui ne renvoie en rien ce qu’il était dans un passé antérieur. Seule la plaque sous forme de sépulture installé dans sa cour garde vivant un petit bout de l’identité réelle du Mâristân. Dans cet exemple, l’identité architecturale est relative à la mémoire du lieu. Sans le langage maintenant la transmission de cette dernière, l’identité réelle de ce lieu allait se dissoudre et se perdre à tout jamais.

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Maristan Sidi Frej Fés, Maroc (1286)


Parler d’identité « réelle » d’un lieu peut sembler discordant avec nos propos puisque, comme nous l’avons bien fait savoir, l’identité d’une architecture est relative à une perception propre à chacun. Or, par « identité réelle » nous sous-entendons cette perception commune construite sur une architecture sur la base d’une mémoire collective. Prenons le bagne de Tazmamart comme exemple. Généralement, la majorité des marocains connaissent ce lieu ou, au moins, ont dû entendre parler de lui. C’était une prison secrète dans laquelle on avait séquestré les officiers et les soldats ayant participé aux deux coups d’État contre le roi Hassan II. Les allégations parues sur l’existence de ce lieu et sur les violations des droits de l’homme qu’elle connaissait, les rapports de l’ONU et les articles de presse traitant du sujet ainsi que les témoignages des anciens détenus sur les atrocités qu’ils ont subies lors de leurs 18 ans d’incarcération ont fait qu’un certain imaginaire s’est formulé dans les esprits sur ce lieu. Sans visualiser ni une seule photographie du Tazmamart, et en se basant uniquement sur les récits qui se racontaient sur lui, une image identitaire commune s’est construite dans l’imaginaire des marocains sur ce lieu. Bien sûr, cette image commune ne ressemble en rien à l’image identitaire qu’ont les détenus sur ce lieu. Pour nous rapprocher de celle-ci, Ahmad Marzouki, un des survivants de ce bagne, publie son livre « Tazmamart, cellule 10 ». Dans ce livre, l’auteur nous décrit, avec précision, à quoi ressemblait sa cellule et à quoi ressemblait sa vie dedans : il nous raconte qu’elle était étroite et obscure, et qu’elle était d’une puanteur absolue. Lors des rudes mois d’hiver, elle était aussi froide que l’Antarctique. En été, elle était aussi chaude que l’enfer. Par ses proportions et sa morphologie inadaptés ni à leurs besoins ni à leur nombre, elle était en soi un supplice affreux. Les mots utilisés par Ahmed Marzouki pour décrire sa cellule étaient si puissants qu’elles arrivaient à nous mettre, nous lecteurs, dans la peau des prisonniers et de nous faire ressentir l’atrocité de ce que ces détenues ont enduré. Et pourtant, ces mots, aussi puissant soient-ils, ne suffisaient pas pour décrire le degré réel de l’atrocité qu’ils ont subi entre les murs de Tazmamart. Par la parole, Ahmad Marzouki a pu nous nous communiquer ce qu’était réellement le Tazmamart. Si, encore une fois, nous employons le terme « identité réelle » c’est parce que nous considérons que seuls ceux qui ont été en dialogue permanent et profond avec l’entité architecturale ont pu connaitre l’identité intégrale de cette dernière, et seulement eux peuvent nous la divulguer. Toujours est-il que cette identité est relative à une lecture sensitive propre à l’individu, c’est pourquoi, elle ne peut être ni absolue ni objective. Lors d’un échange avec l’un de mes camarades (Othmane Filali travaillant sur le Tazmamart comme sujet de fin d’étude), il m’avait avisé que ce que les victimes racontaient des cellules de détentions ne

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pouvait être vrai vu sa discordance avec la logique. Autrement dit, l’image identitaire sensitive et l’image identitaire corporelle d’une entité architecturale peuvent se disjoindre, et pourtant, cela n’annule en rien le fait qu’elles illustrent l’identité réelle de cette entité. D’ailleurs, en les superposant, on obtiendra une image identitaire plus explicite de cette architecture. D’une manière plus simple, puisque l’identité d’une architecturale est liée à plusieurs facteurs, dont la perception, elle se manifeste sous différents aspects. Ces derniers sont tous des images identitaires véridiques, mais partielles, de cette architecture. Chacun d’eux s’affiche selon notre usage du langage. En d’autres termes, le langage verbal permet de révéler l’identité architecturale dans toutes ses formes. De cette étude portée sur le langage verbal comme forme linguistique constituant une architecture, nous avons pu voir que c’est de lui que naît la pensée architecturale et que c’est à travers lui que cette pensée prend forme. Comme représentation verbale de l’architecture, il est un outil puissant permettant de révéler l’architecture dans toutes ces formes. Il permet de communiquer ce qu’elle est comme entité corporelle et ce qu’elle est aussi comme entité perceptuelle discursive. Son rôle impérieux et dans la phase conceptuelle et comme représentation verbale de l’entité architecturale fait que notre perception architecturale lui soit assujettie. Nous comprenons donc qu’il structure la genèse de l’œuvre architecturale, qu’il impacte la formulation de son identité et influence la lecture et l’interprétation que nous faisons d’elle.

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2 - le langage architecturale : L’immanence d’une architecture réside dans la pensée qu’elle transcrit et qu’elle doit véhiculer, mais elle est aussi cette forme véhiculant cette pensée. Elle est l’idée et la forme. Donner forme à une pensée se fait en convertissant les donnes composant cette dernière en compositions sémiotiques. C’est en agençant ces dernières que l’entité architecturale prend forme et incarne sens. Ce processus est semblable au fait de composer une phrase : d’abord, nous définissons les mots (corpus d’énoncés) par lesquelles on va exprimer notre pensée, puis on les agence de la manière la plus adaptée pour formuler la phrase communiquant cette pensée. Métaphoriquement, ces compositions formelles sémiotiques seront les corpus d’énoncés, l’architecture comme entité corporelle sera la phrase, le sens que cette dernière renvoie sera la pensée architecturale. Tel le dessin, la parole ou l’écrit, l’architecture comme « entité corporelle » sert à véhiculer une pensée. Elle est donc outil linguistique. Cette partie d’étude portera sur cet attribut : nous puiserons dans les origines derrière cette nature et nous décrypterons cette algorithmique d’où les compositions architecturales sémiotiques acquièrent sens. Ceci dit, je précise que cette partie d’étude portera uniquement sur l’architecture comme objet.

1 -Aux origines de l architecture comme forme et comme langage : L’usage de l’objet bâti comme véhicule d’une pensée remonte à bien avant l’apparition de la notion «architecture». Les premiers ayant initié la construction étaient les hommes préhistoriques. Leur instinct de survie les poussaient à explorer des terres nouvelles offrant un cadre de vie propice. S’aventurer dans ces dernières les confrontait à différents dangers (intempéries, bêtes sauvages, individues…), d’où le besoin de «s’abriter». En observant les constructions faites par certaines espèces animales, ils ont pensé à faire de même et construire leur propre abri. Au début, ils ont reproduit la hutte car leur pensée était soumise aux images d’huttes faites par les castors et certains oiseaux. L’évolution de leur pensée (imagination) a fait que cette hutte à évoluer en tente, puis en constructions plus sophistiquées en pierre, en bois et en chaume.

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Tente en peaux Période néolithique

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La vie dans la nature devenait de moins en moins ardue (vu l’évolutionnisme que connaissait cet homme primitif), et le souci de survie devint obsolète. Comprendre les mystères de ce monde devint alors la nouvelle quête de ces hommes, et c’est dans le culte où ils trouvèrent les réponses assouvissant leur curiosité. L’avènement de la religion a suscité la genèse de la civilisation et engendra, avec, la naissance de l’architecture. Cette dernière, dans le commencement, été exclusivement au service du culte. On l’utilisait comme outil linguistique véhiculant des conceptions cultuelles. En commençant par les civilisations de la Mésopotamie, en passant par l’Égypte antique, l’Asie et jusqu’en arrivant aux Aztèques et aux Mayas, on remarquera que les édifices les plus éloquents de ces civilisations se vouaient à la dévotion du culte, et que derrière leur formulation, des conceptions religieuses cosmiques ésotériques. Et comme ces civilisations compatissaient des croyances métaphasiques assez ressemblantes, il n’est pas étonnant de voir que leurs architectures partagent plusieurs similitudes (la forme pyramidale, la base carrée ou rectangulaire, la hauteur vertigineuse, l’échelle monumentale, la matérialité). En fait, non seulement ces peuples faisaient de l’architecture un même usage (dispositif véhiculant ou servant une pensée), mais aussi, ils l’utilisaient pour les mêmes fins (l’idolâtrie). Aussi, même l’approche selon laquelle ils composaient l’architecture et maniaient ses compositions sémiotiques se fondait sur les mêmes principes.

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Ziggourat d’Ur Mésopotamie, Irak, Moyen Orient

Pyramide du Soleil Teotihuacan, Méxique, Amérique du Nord

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La pyramide de de Djéser Saqqarah -Gizeh-, Égypte, Afrique

Pyramide de Kukulcán Chichen Itza, Méxique, Amérique du Nord

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Prasat Thom Koh Ker, Cambodge, Asie du Sud-Est


Fig.79, 80 et 81: Figures illustrant des architectures appartenant à des civilisations éloignées utilisant où l’architecture a été utilisé pour les mêmes fins (idolâtrie) et selon une même approche (gravure des figures divines sur les murs).

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Fig.82, 83 et 84: Figures illustrant des édifices antiques de contextes spatio-temporels distincts construits sur la base d’un même savoir-faire constructif.

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Fig.85, 86 et 87: Figures illustrant des temples partageant des propriétés spatiales et esthétiques relatives à une manière de penserée l’espace similaire.

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Comme nous pouvons le remarquer, quoique ces civilisations existaient dans des zones géographiques différentes et dans des périodes historiques séparées, les similitudes entre leurs architectures sont aberrantes. Il est difficile de déterminer les causes exactes expliquant un tel fait. Clairement, il y’a eu une interférence entre ces peuples suscitant une transmission hérédité du savoir architectural. Ce qui nous met devant l’évidence que derrière tout architecture des origines communes. Bien sûr, en parlant de transmission de savoir architectural, nous parlons et des connaissances gnostiques polymathiques formulant le credo de la pensée architecturale, et du savoir-faire technique que nécessite de telles édifications. Pour être plus précis, nous parlons d’une transmission de conceptions idéelles (religieuse ou philosophiques), de connaissances empiriques (connaissances mathématiques, géométriques, géologiques, astronomique, acoustiques…) et d’un savoir-faire constructif. Ces connaissances transmises ont, bien évidemment, influencé les peuples qui les ont adoptés, mais ont eux-mêmes subi l’influence des pensées de ces peuples. Cette absorption et ce mélange de pensées architecturales est ce qui a suscité l’émergence de la notion « style ». Au-delà de ce sens commun que renvoie cette notion (celle d’une écriture formelle propre à un espace-temps, une période, une culture, un mouvement…), elle est d’abord l’image de l’échelon culturel d’une nation et le reflet des spécificités faisant sa singularité. Et puisqu’elle est le fruit de la fusion et l’absorption d’une sédimentation des pensées architecturales succédés, nous pouvons dire que «le style» est un évolutionnisme légitime et prémédité de la pensée architecturale relatif à un temps dans un espace. Prenons l’exemple de la Grèce antique, l’architecture de cette dernière a été profondément influencé par celle de la civilisation égyptienne. C’est deux civilisations édifiaient pour glorifier les dieux. Pour inculquer mysticisme à leurs architectures, ils concevaient ces dernières sur la base d’une géométrie sacrée (usage du nombre d’or, du nombre Pi et de la suite de Fibonacci). Les procédés constructifs qu’ils adoptaient pour construire étaient pratiquement identiques. Aussi, ils composaient leurs espaces en utilisant les mêmes composantes et les mêmes compositions architecturales (usage de colonnes circulaires ayant la même échelle et les mêmes proportions, usage des sculptures pour ornementation…). En fait, en comparant leurs temples et leurs sculptures, nous allons remarquer que, à l’exception des figures idolâtrées, des matériaux utilisés et de certains aspects relatifs à leurs besoins, leurs productions architecturales sont quasiment identiques. Ce qui prouve que le savoir architecturale est une connaissance hérédité qui se transmute à cause de facteurs d’ordre géoculturelle (différence de culte, différences de modes de pensée, différence de pratiques sociales, différence des matériaux de construction qu’offre le contexte…).

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Proportions de la grande pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte

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Proportion du parthénon d’Athènes Athènes, Grèce

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L’architecture romaine est un autre exemple patent prouvant que la notion style n’est que le fruit de la métamorphose de pensées antérieures. Celle-ci est l’enfant de l’architecture grecque. Elle suit ses mêmes codes formels et se base sur les mêmes lois esthétiques et constructives qui l’érigeaient. Comme nous l’avons évoqué, les grecques fondaient leur architecture sur la base d’une géométrie sacrée. Derrière cela, une quête d’un idéal architectural. Puisque l’idéal est divin, ils voulaient que leur création soit à l’image de celle du créateur : la nature. Alors, en l’observant, ils ont pu décrypter les codes de la matrice qui la structuraient et les ont appliqués sur leur architecture. Cela a donné naissance à une architecture solennelle, harmonieuse et (divine). Si les romains ont repris les codes de l’architecture grecque, c’est par ce qu’ils voyaient de la force en elle. Pour eux, cette force réside, non pas dans ce caractère mystique qu’elle incarne, mais plutôt dans ses différentes propriétés instaurant ce mysticisme : l’harmonie, l’équilibre, la pérennité, la sobriété… Ainsi, l’essence derrière la pensée architecturale se transmuta d’un mimétisme de la création divine en une production mécanique de trois piliers : firmitas (pérennité), utilitas (utilisté), et venustas (esthétisme). C’est à ce moment-là que l’architecture se détacha de son caractère hermétique en faveur d’un caractère plus profane. C’est à ce moment là où l’architecture devint une science.

12 - Marcus Vitruvius Pollio, De Architectura.

C’était Vitruve qui était derrière l’instauration de cette nouvelle manière d’appréhender l’architecture. Dans son traité « De architectura », il explique que l’architecture est une imitation de la nature, c’est pourquoi elle se doit d’être belle, utile et pérenne. Il a aussi expliqué qu’elle est un prestige culturel et social naissant de connaissances ancestrale et reflétant l’apogée d’une civilisation. Selon lui, elle est une science car sa création implique une connaissance polymathique embrassant plusieurs champs disciplinaires : géométrie, mathématique, anatomie, théologie, astronomie, acoustique… Il avait écrit : «L’architecture est une science qui embrasse une grande variété d’études et de connaissances ; elle connaît et juge de toutes les productions des autres arts. Elle est le fruit de la pratique et de la théorie. La pratique est la conception même, continuée et travaillée par l’exercice, qui se réalise par l’acte donnant à la matière destinée à un ouvrage quelconque, la forme que présente un dessin. La théorie, au contraire, consiste à démontrer, à expliquer la justesse, la convenance 12 des proportions des objets travaillés». De ces lignes, nous pouvons dire que les théories de Vitruve consolident nos dires sur le fait que l’architecture est en fait un évolutionnisme de pensée ancestrale, un miroir reflétant une certaine identité culturelle et sociale, et que sa conformation est lié à des connaissances idéelles, empiriques et constructives. Dans les temps modernes, les architectes de la renaissance étaient eux aussi à la quête d’un idéal architectural. L’image de ce dernier était celle de l’architecture gréco-romaine. Alors, pour édifier des monuments qui seront à l’égale de cette

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dernière et qui peuvent même la surpasser, ils ont fondé leur architecture sur l’approche vitruviennes en ajoutant à elle un nouveau champ disciplinaire : l’art. Ainsi, ils commencèrent à appréhendaient l’architecture non seulement comme une science mais aussi comme étant un art. Cette manière nouvelle d’appréhender l’architecture a fait que l’aspect pittoresque devint l’élément majeur autour duquel s’articulait la réflexion architecturale. C’est pourquoi, ce style nouveau, se caractérisaient par le raffinement des éléments architectoniques qui le composaient qui sont conformes aux canons antiques (Colonnes, pilastres, éléments de décors…), par les règles géométriques et formelles régissant la composition des façades (compositions structurées par des notions d’ordre, de rythme, de symétrie et d’équilibre) et par le travail géométrique structurant la forme du plan et la disposition de ses composantes spatiales.

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Chapelle des Pazzi Filippo Brunelleschi (1429)

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L’homme de vitruve Léonard de Vinci (1490)

La cité idéale Piero Della Francesca (1480)

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Autre exemple de l’évolutionnisme consécutif de la notion style est le classicisme. Ce style tirait son inspiration de l’architecture antique et se vouait aussi à la concrétisation d’un idéal architectural. Or, contrairement à ses antécédents, la quête du classicisme se résumait uniquement dans une recherche d’un idéal esthétique ; et puisque l’esthétique des édifices gréco-romaine manifestait la conception des architectes classique sur l’idéal, ces derniers ont fondé le classicisme sur les mêmes notions d’esthétique et de géométries des antiques. Aussi, puisque le classicisme était un travail d’esthétisme pur, le soin apporté aux notions géométriques de symétrie, d’équilibre, et de rationalisme était plus prononcé dans ce style. Ces notions qui étaient, dans l’Antiquité et dans la renaissance, des outils permettant d’aboutir à la finalité, devinrent elles-mêmes la finalité recherchée. Ce simple exemple illustre comment, à travers le temps, le dessein d’une architecture s’est transmuté d’une recherche de mysticisme et de pureté assouvissant le besoin de l’intellect à une recherche de plasticité comblant le plaisir de l’œil.

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La Villa Rotonda Andrea Palladio (1571)

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Palais de Blenheim John Vanbrugh (1987)

Suite à la révolution industrielle et ce qui a succédé d’elle (apparition de nouveaux modes constructifs, le passage d’une population agricole à une population urbaine, la forte urbanisation, l’après-guerre et le besoin de construire en masse…), l’architecture devait faire face aux besoins et aux problématiques d’une société nouvelle, fragile et en mutation ; et puisque l’architecture classique et les autres mouvements architecturaux n’offraient pas des réponses adéquates à ces problématiques posées, la pensée architecturale de l’époque a été remise en question. A cette période, il était question que l’architecture soit utile avant d’être belle. Elle fallait qu’elle soit adaptée aux besoins humains avant d’être adapté au canons grecs et romains. Elle devait être à l’image de son temps adhérente aux nouveaux matériaux et technicité de construction. Elle devait être fonctionnelle et moderne.

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A cette époque, une vague d’architectes avant-gardistes (Louis Sullivan, Adolf Loos, August Perret, Franck Lloyd Wright…) avec des pensées nouvelles préparaient le terrain à l’avènement d’un nouveau style architecturale. La naissance de ce dernier fut lorsque Walter Gropius fonda le Bauhaus en 1919. Cette école d’architecture enseignait des théories empiriques mettant l’art et l’architecture au service des besoins de la société. Ce mouvement moderne se propagea par la suite grâce à d’autres pères fondateurs comme Mies Van der Rohe avec ses réalisations révolutionnaires, Le Corbusier avec sa machine à habiter, ses cinq points d’architectures modernes et sa charte d’Athènes, et le Team X et leur approche sociale dans la conception.

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L’école du Bauhaus Walter Gropius, Dessau, Allemagne (1919)

La cité radieuse [98] Le Corbusier, Marseille, France(1952)

Le Seagram Building Mies Van der Rohe, New York, USA (1958)

Nid d’abeille Georges Candilis, Casablanca, Maroc(1952)

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La croissance du modernisme et la rupture avec le classicisme ont non seulement permis aux architectes de se libérer des chaines qui conditionnaient leurs conceptions, mais leur a permis aussi de rêver et de produire des architectures osées qui ont donné plus d’essor à l’évolutionnisme de la société. Cet essor a causé un évolutionnisme célère. La mutation urbaine que connaissaient les villes a causé l’émergence de notions nouvelles : métropolisation et mondialisation. Par ce fait, on commençait à penser les villes sur la base de la notion « vitesse » et de sorte à ce qu’elles soient adaptées à la machine. L’architecture, quant à elle, devint au service de la société de consommation. Et puisque l’évolutionnisme de cette société était continuel, et puisque l’architecture évoluait au rythme de cette dernière, l’émergence de la bigness était rétrospectivement inévitable.

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Couverture du livre «story of post modernism» Charles Jencks(2011)

Bien évidemment, cette rétrospective retraçant l’évolution qu’a connue l’architecture à travers le temps, avait comme but de prouver que l’entité architecturale, a toujours été la transcription d’une pensée, que son évolution a toujours été assujettie à l’évolutionnisme de cette dernière et que sa forme ainsi que celle de ses composantes ne sont qu’un véhicule permettant la personnification de cette pensée. Pour résumer, nous concluons que l’objet architecturale est un langage véhiculant plusieurs pensées, qu’il est la résultante d’une sédimentation des pensées ancestrales qui se succèdent. Nous comprenons aussi que son évolution est liée à l’évolution de trois formes de connaissance : l’érudition, connaissances empiriques et savoir-faire constructif ; aussi nous comprenons que cette évolution est soumise à trois facteurs (les mêmes que Lethaby avait cité dans son livre «architecture : mythe et mysticisme ») qui sont : l’évolution des besoins humain, les matériaux et le savoir disponibles, et l’évolution du style architecturale qui est une mémoire vive incorporant un ensemble de données latentes. Bien évidemment, le facteur temps est inhérent à ces trois facteurs.

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2 - L’architecture comme outil linguistique et image : 13

13 - Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre V, Chapitre II, 1831.

« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice ». C’est par ces propos énigmatiques que Victor Hugo, dans le cinquième livre de Notre Dame de Paris, avait prédit le déclin de l’architecture à cause de cette invention nouvelle : l’imprimerie. Si ces propos paraissent ambigus, c’est parce que le lien entre l’imprimerie et l’architecture l’est encore plus. L’imprimerie a révolutionné le monde dans le sens où elle a rendu le livre accessible à tous, et a permis la transmission du savoir sur une échelle très vaste. Pourtant, c’était l’architecture qui jouait ce rôle. En examinant les vestiges architecturaux des civilisations anciennes, nous pouvons bien remarquer que les édifices antiques les plus spectaculaires étaient édifiés pour adorer les Dieux et entrer en contact avec eux (à travers l’observation des étoiles et des constellations : El Caracol de Chichen Itzá comme exemple). Ils servaient aussi à raconter des mythes et des prophéties ou à témoigner de faits passés (à travers les hiéroglyphes, les gravures et sculptures qui font toujours partie de la composition architecturale des temples antiques). Ces peuples ont su comment faire de l’architecture un outil linguistique communiquant leurs pensées et immortalisant leur passage dans l’histoire. Et même, dans les cathédrales et les églises, on sait servi de l’architecture comme outil linguistique : les fresques présentes dans les églises racontent toutes des histoires bibliques transmis d’une manière simplifiée par la force de «l’imagerie» et de «l’architecture». Nous comprenons donc que l’architecture était, dans une époque, un outil linguistique fiable et puissant, et si Victor Hugo avait prédit son déclin devant la force des lettres de Gutenberg, c’est parce que ces dernières allaient jouer ce rôle d’une façon plus puissante et plus universelle.

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Pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte

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Caracol de Chichen Itza Yucatan, Méxique

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Basilique Sacré-Coeur Montmartre, Paris, France

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Victor Hugo avait expliqué que l’imprimerie faciliterait la diffusion du savoir qui, à l’époque, était détenue exclusivement par l’église et les nobles. Il expliqua aussi que cette diffusion changera la manière de penser des gens ainsi que leur manière de s’exprimer, chose qui se repercutera légitimement sur la production architecturale. Et ainsi fut. Ce changement impacta formellement l’architecture qui perdit manifestement sa « stature » d’outil linguistique à l’aube de cette nouvelle ère (Cela ne signifie nullement qu’on cessa d’appréhender l’architecture comme outil expressive, ni moins qu’elle cessa d’être discursive). Juhani Pallasmaa lui aussi lie la mutation de la figure de la scène architecturale à la diffusion du livre. Dans son œuvre « l’image corporelle », il explique que cette diffusion impacta la production architecturale dans la mesure où elle a permis aux architectes de découvrir de nouveaux courants de pensée et de visualiser différentes facettes de l’architecture dans le monde, chose qui imprégna directement leur manière de concevoir l’espace. Pallasmaa souligne que c’est surtout les images et les dessins que comportaient ces livres (livres d’architecture, de voyages…) qui sont derrière ce changement. Il ajoute que l’apparition du cinéma a accentué encore plus cette mutation puisqu’elle a permis de s’ouvrir, d’une manière plus puissante, sur les différents styles architecturaux existant dans différents pays. Selon Pallasmaa, cela a fait que les architectes ont commencé à reproduire des architectures similaires à ce qu’ils voyaient dans les livres ou les films. Et ceci était les premiers rails d’une standardisation universelle de l’architecture. Cette mutation corporelle dont nous parle Pallasmaa est ce que Ludwig Lethaby avait défini comme étant une évolution préméditée et légitime relative à l’évolution de la pensée humaine, de leurs besoins, et de leur savoir-faire constructif (voir la 3e page de la partie hypothèse et problématique). C’est pourquoi, conjointement à sa faculté d’être outil linguistique, l’objet architectural peut être appréhendé aussi comme étant une progéniture de l’évolutionnisme que connaît l’architecture à travers le temps, soit « l’image » de son temps. Ce fait de questionner l’immanence d’une architecture resurgissait récurremment tout au long de ce travail, et depuis le début, nous avons clamé que l’architecture n’est pas ce qu’elle est comme objet formel, mais plutôt ce qu’elle personnifie comme idéelle et ce qu’elle incorpore en elle comme phénomènes vivants. Toutefois, on ne peut renier que c’est uniquement à travers cet objet bâti que l’architecture existe : sans lui, les pensées n’allaient pas être personnifiées et les phénomènes vivants n’allaient pas trouver refuge dans ses travers. Ce dilemme notionnel apparaît même dans nos pratiques linguistiques. Dans nos discours, nous avons tendance à qualifier tout objet bâti d’architecture. Parado-

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xalement, nous savons pertinemment que pour attribuer à une construction la connotation « architecture », il faut qu’elle dispose de certains nombres de qualités. D’ailleurs, souvent, l’usage que nous faisons de ce terme inspire une certaine volonté de vouloir distinguer ce qui est «architecture» de ce qu’il ne l’est pas. Généralement, ce jugement de valeur se fait sur la base de l’aspect formel et des qualités plastique de cet objet bâti. Pour le dire autrement, l’architecture est souvent réduite à son image corporelle. Cela ne signifie pas que le grand public n’est pas sensible aux qualités spatiales ou sémantiques de l’espace, mais reflète la prééminence de l’image dans la perception architecturale. D’ailleurs, c’est pour cette raison que la dimension esthétique est une dimension fondamentale dans l’acte conceptuel. C’est pourquoi, on ne peut séparer l’architecture de la notion « image ». Dans la société d’aujourd’hui, le flux abandant et la production illimitée d’images que nous consommons a induit à la vulgarisation de cette notion. Pourtant, c’est à travers elle que toute chose prend forme, c’est à travers elle que se définit le concret de l’abstrait. Toujours dans son livre « l’image corporelle », Pallasmaa la définie ainsi : « L’image est le véhicule essentiel de notre perception, de notre pensée, de notre langage et de notre mémoire ; le conjoint de l’imaginaire configurant notre intellect, et la racine à travers laquelle s’érigent les 14 images poétique et corporelle de toute expression artistique ». Nous pouvons ainsi dire que c’est à travers elle que l’entité architecturale acquiert son sens.

14 - Juhani Pallasmaa, La imagen corporea : imagincion e imaginario en la arquitectura, Gustavo Gili, 2014.

L’architecture acquiert son sens de son image corporelle parce que cette dernière est un amoncellement de plusieurs corpus formels incarnant chacun un sens ou une symbolique, et formulant ensemble l’identité architecturale. C’est ce que nous avons expliqué à travers des exemples dans la partie traitant de la réception visuelle (voir Ch. I, p35). À travers ces derniers, nous avons élucidé comment les différentes composantes physiques de l’entité architecturale nous révèlent différentes connaissances latentes concernant cette dernière. C’est pourquoi nous considérons que l’image corporelle est une matrice de données visuelles que notre cognition décrypte à travers un traitement par imagerie. Autrement dit, c’est essentiellement à travers l’image qu’une architecture peut être lue et interprétée. De ces réflexions, nous comprenons que l’étude du langage architectural signifie l’étude de l’image corporelle. Étudier cette dernière ne peut se faire qu’en abordant les différentes facettes qu’elle incarne (objet, outil linguistique, matrice de données…). De ce fait, dans cette étude, nous aborderons les différents degrés de lecture que nous effectuons de cette image corporelle et qui induisent à la formulation de la perception architecturale.

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En réanalysant les différentes notions abordées jusqu’à présent, nous allons déduire que nous appréhendons l’image corporelle à travers différentes formes qui sont : •L’image corporelle comme étant objet sculptural : une lecture superficielle réduisant l’architecture en une image simpliste souvent jugée subjectivement : belle/moche, plaisante/insipide… •L’image corporelle comme produit culturel : une lecture à travers laquelle nous arrivons à identifier des caractéristiques culturelles et identitaires propres à une nation, une civilisation, une culture… •L’image corporelle comme recueil d’indices identitaires : une lecture par laquelle en arrive à faire resurgir de l‘entité architecturale plusieurs donnes déchiffrant son identité telle l’identification de ses concepteurs, du courant de pensée dans lequel elle s’inscrit, des besoins et problématiques derrière sa genèse… •L’image corporelle comme outil linguistique : une lecture permettant de déchiffrer le sens et la symbolique de cette entité et de révéler ce que les bâtisseurs voulaient transmettre à travers elle : dessein idéel, politique, religieux, narcissique, symbolique… Afin d’étudier congrument le langage architectural dans ses différentes facettes, notre réflexion portera donc sur l’étude de la notion « style » et l’étude de la «sémiotique des formes».

3 - Le style architectural comme image d’une pensée : Si la question « qu’est-ce qu’une architecture ? » faisait souvent surface, ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de réponse précise, mais c’est parce que l’architecture est beaucoup de choses à la fois (identité discursive, outil linguistique, objet architectural…). Toutefois, toute architecture est structurée par trois variantes élémentaires dictant ce qu’elle sera. C’est variantes sont : les besoins et les désirs humains, les propriétés des matériaux et ce qu’elles imposent comme réalité constructive, et la notion «style architectural». Comme mentionné précédemment (voir p.10), Lethaby définit le «style» comme étant une évolution préméditée et légitime relative à l’évolution de la culture, du culte et de la pensée humaine, et le fruit du stream des civilisations qui se sont succédé et qui se sont influencées héréditairement. Lethaby se réfère à la notion «style» dans le sens où elle est la manifestation des propriétés identitaire propre à une civilisation ou une nation dans un espace et dans un temps. Comme exemple : l’architecture antique égyptienne, l’architecture grecque, l’architecture andalouse…

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Ici, la notion «style» nous renvoie vers les lois et les codes formels et esthétiques dictant ce à quoi devrait ressembler la composition architecturale. Au tout début, son émergence était liée à une manière de faire constructive propre à une population précise, puis son sens se lia aux propriétés culturelles de cette dernière. Avec l’évolution de la pensée architecturale, cette notion a pris un sens plus large renvoyant des champs autres que le champ culturel. Elle peut renvoyer le mouvement architectural dans lequel s’inscrit cette entité architecturale (classicisme, modernisme (voir fig 63 p.68), déconstructivisme…). Elle peut renvoyer une manière de faire relative à ce mouvement (minimalisme, brutalisme, paramétrique…). Comme elle peut renvoyer un style propre à un architecte particulier (Zévaco (voir fig 21-23 p.35), Mies Ven der Rohe, Frank Gehry…).

Fig 106, 107 et 108 : Figures illustrant des édifices construits dans des contextes historiques et géographiques différents et qui s’inscrivent au même style architectural.

[103]

Palais du Méchouar Casablanca (1942)

[104] Cour des Lions Al Hambra

Granada (1354-1391)

[105] Pavillon Marocain Malaisie

Putrajaya (2018)

Chaque « style » se caractérise par un vocabulaire et une lexicographie propre à lui. Ces dernières définissent la typographie des formes qui composeront l’entité architecturale. Elles sont cette écriture formelle formulant l’ADN propre à chaque style. Prenons l’exemple de l’école Ben Youssef (fig 96), de la cour des lions du palais Al Hambra (fig 97) et le pavillon marocain de Putrajayades (fig 98). En les comparant, il nous est facile de deviner que, quoiqu’ils existent dans des continents différents, et construits dans des périodes historiques éloignées, ils s’inscrivent dans le même style architectural puisqu’ils partagent cette même écriture formelle. Dans l’exemple du Pavillon marocain de Putrajaya, s’inscrire dans un style mauresque était une volonté purement architecturale. C’est pourquoi, les concepteurs ont dû composer leur espace sur la base des codes architectoniques régissant le style mauresque pour aboutir à cette finalité esthétique,

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S’inscrire dans un style architectural particulier n’est pas une obligation. Par conséquent, suivre les codes d’un style précis fera que l’entité architecturale sera de ce style (exemple : respecter les cinq principes de l’architecture moderne). Ceci dit, le fait qu’un style architectural soit soumis à une écriture formelle particulière n’empêche en rien de retrouver cette même écriture dans des architectures qui ne sont pas forcément du même style. Prenons l’exemple des figures ci-dessous, comme nous pouvons le constater, les trois édifices la casa Barragan, la muralla Roja, et la maison Yves Saint Laurent partagent des similitudes très prononcées : la sobriété des volumes, l’usage de la couleur dans la composition, l’usage de volumes simples… Si ces édifices partagent ces similitudes, c’est parce que leurs concepteurs souhaitaient leur inculquer un même caractère sémantique, celui de pureté.

Fig 106, 107 et 108 : Figures illustrant des édifices construits dans des contextes historiques et géographiques différents et qui s’inscrivent au même style architectural.

Casa Barragan Luis Barragan,Cuerámaro (1948)

[106]

Muralla roja Ricardo Boffil, Alicante (1968)

[107]

Jardin Majorelle J.Majorelle, Marrakech (1929)

[108]

Dire que le désir de concrétiser un dessein sémantique particulier a induit à des architectures partageant des écritures architecturales assez ressemblante stipule que l’architecture incarne dans ces travers les codes d’un langage universel. Ce constat répond à un questionnement soulevé précédemment dans la partie «problématiques et hypothèses» (voir p.10) et ouvre la parenthèse sur un autre questionnement : « quelles sont ces codes faisant de l’architecture un langage universel ? ».

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4 - L’image corporelle : Forme, signe et symbole : Si l’architecture est un langage, le style on sera la langue. C’est pourquoi, la compréhensibilité de l’entité architecturale est relative à la compréhension du langage qui la formule. Comme tout langage, l’architecture est structurée aussi par des lois de syntaxe et de grammaire. Pour décrypter tout ce qu’une entité architecturale (comme outil linguistique) annonce, nous devons l’étudier à travers une analyse sémiologique et une autre sémantique. Par «étude sémantique», nous sous-entendons l’étude de ce que l’espace génère chez ses usagers comme ressenti et sensation (cette étude fera l’objet de la troisième partie de ce chapitre). Par «étude sémiologique» nous sous-entendons l’étude de la signification de l’objet architectural et de ses composantes comme étant des «signe linguistiques» (cette étude est sur quoi s’articule cette seconde partie de ce chapitre). Comme expliqué dans le chapitre premier, trois typologies de composantes formulent l’entité architecturale : des composantes physiques, des composantes éphémères et des composantes sensibles. Ces composantes formulent conjointement ce que Pallasmaa définie comme «image corporelle». Aussi, nous avons expliqué que cette image joue un rôle prééminent dans la formulation de

Echelle & proportions [109]

Epiderme

(Textures, couleurs et tons) Les constantes variables de l’image corporelle architectural

la perception architecturale puisque c’est à travers elle que l’architecture acquiert sens et symbolique. Dans le langage verbal, ces dernières prennent forme à travers l’assemblage d’un corpus d’énoncés constitué de phrases et de mots. Mais c’est uniquement à travers les lettres qu’on pourra composer ces dernières. Pour les architectes, ces lettres sont «la forme», «l’épiderme» et «l’échelle et la proportion». À travers ces trois paramètres, l’architecte arrive à formuler des composantes architectoniques ayant chacun un sens précis. Ensemble, ces composantes formulent une certaine composition renvoyant un sens plus complet. Et à travers l’association de ces compositions se formule le corps architectural qui, lui, traduit un sens integral. Ce cheminement s’accorde exactement avec les théories de Ferdinand de Saussure et celles d’Odgen et Richard sur le signe linguistique (voir p.63-64). Cela

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consolide nos propos disants que l’architecture et ses composantes doivent être appréhendées comme des signes linguistiques et fait que leur étude doit porter sur ce qu’ils sont comme «signe» et sur ce qu’ils sont comme «signifiant» et «signifié». Rappelons aussi que l’architecture est une sédimentation de pensées archaïques hérédités qui ont évolué à travers le temps. C’est pour cette raison que nous avons signalée précédemment que toutes les architectures partagent des origines communes. C’est pour cette même raison que de nombreuses composantes architectoniques de différents styles partagent de nombreuses similitudes dans la forme et dans le sens. D’ailleurs, c’est ce qui est derrière la notion «archétype» en architecture. De ces lignes, nous comprenons que plusieurs notions structurent l’image corporelle comme étant « signe linguistique ». Tout d’abord, nous retrouvons la notion «imagerie» : le fait que l’objet architectural soit une «représentation» de quelque chose (une pensée, une idée, une figure…) fait que la première question à laquelle doit s’intéresser l’étude sémiologique est cette question du «quoi» (que représente cette image ? qu’est-ce qu’elle dit ? qu’est-ce qu’elle ne dit pas). Par la suite, questionner le «comment» s’impose. Ici, il est surtout question de questionner comment le sens de cette représentation se manifeste. Répondre à ce questionnement nous ouvrira par conséquent sur deux volets d’étude. Le premier concernant l’étude de ce que représente cet objet bâti et ses composantes comme étant «signe». Le second volet portera sur ce qu’ils représentent comme étant « archétype », soit comme modèle universel ayant le même sens dans l’imaginaire collectif. De ce fait, comprendre comment l’image corporelle fonctionne implique une compréhension congrue du rôle que joue chacune de ces notions dans ce mécanisme. Commençons par l’analyse de la notion « imagerie » :

La notion « image et imagerie » : Comme expliqué, hormis le fait de répondre à des besoins fonctionnels, l’architecture vient combler un besoin de s’exprimer. Son sens réside donc dans ce qu’elle personnifie et représente. C’est pourquoi nous avons mentionné que la première thématique à laquelle nous devons s’intéresser lors de l’étude sémiologique est la question du « quoi » (qu’est-ce cette architecture signifie ? qu’est-ce qu’elle symbolise ? qu’est-ce qu’elle renvoie ? qu’est-ce qu’elle simule ? qu’est-ce qu’elle représente ? qu’est-ce qu’elle illustre ? ...). Si ces questions paraissent identiques. C’est parce que le caractère équivoque et lacunaire de notre langage verbal les rend ainsi. Pourtant, chacune de ces ques-

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tions renvoie un sens différent. Je m’explique. Le fait que l’image corporelle soit un signe linguistique signifie qu’elle est une « représentation ». Questionner le «quoi» incarne deux questions différentes : qu’est-ce que représente cette image et qu’est-ce qu’elle est comme représentation ? Ici, nous questionnant ce qu’elle est comme signifié et signifiant. Par rapport au premier questionnement, nous avons expliqué que tout peut être objet de représentation à travers l’image corporelle architecturale. Cette dernière peut représenter une idée, une sensation, un lieu, une entité… Par rapport au second questionnement, l’intérêt est de questionner la nature de l’image : est-elle une simulation du signifié, sa personnification ou bien un signe ou un symbole qui nous réfère à lui ? Afin de bien assimiler tous ces concepts, il était nécessaire d’étudier les théories abordées par Jean Baudrillard dans son livre «Simulacres et simulations ». L’image corporelle architecturale est une « simulation » lorsqu’elle est une reproduction fidèle ou partiel du signifié. Comme exemple : le fait de retranscrire ou reconstruire un espace-lieu dans un autre espace ou un autre territoire. Dans ce cas, la simulation reste toujours soumise à un modèle référentiel qu’il soit réel ou fictionnel. Comme exemple concret, nous pouvons citer les constructions qui se font dans les studios de cinéma dans la ville d’Ouarzazate (des constructions simulant des temples antiques de différentes civilisations), les projets qui viennent donner vie un des lieux fictifs qui trouvent leur origine dans la littérature, le cinéma ou la culture orale (ex : le rick’s café à Casablanca, le château de Disney Land…). L’image corporelle est simulation même lorsqu’elle simule une fausse réalité, soit lorsqu’elle est simulacre. En architecture nous pouvons contempler cela dans des projets reflétant une fausse identité (ex : les gratte-ciel où les projets d’envergure dans les pays sous-développés par lesquels on souhaite mettre sous les projecteurs un certain développement).

Fig.110 et 111 : Figures illustrant une simulation transcrivant une un imaginaire dans le monde réel.

[110] Palais Walt Disney [111] Palais Walt Disney [112]

L’univers de Disney

Disney land, Paris

Shanghai [113] Shanghai, Chine

ville de Dubaï Dubaï,UAE

Fig.112 et 113 : Figures illustrant l’image d’une ville reflétant un simulacre.

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15 - Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée,1981, pp. 12.

Comme nous pouvons le comprendre, la simulation vient substituer le référent pour devenir elle-même ce qu’elle est sensée signifier. Elle n’est pas juste le reflet du signifié, mais son incarnation. Pour rendre plus assimilable cette idée, Jean Baudrillard écrit : « Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas. L’un renvoie à une présence, l’autre à une absence. Mais la chose la plus compliqué car simulé n’est pas feindre : Celui qui feint une maladie peut simplement se mettre au lit et faire croire qu’il est malade. Celui qui simule une maladie en détermine en soi quelques symptômes. Donc feindre ou dissimuler laissent intact le principe de réalité, la différence est toujours claire, elle n’est que masquée. Tandis que la simulation 15 remet en cause la différence du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire ». L’image corporelle est « personnification » lorsqu’elle est une mise en forme et une retranscription d’un espace référentiel tenant son origine d’un imaginaire (fantaisie, imagination, mythe, chimère…). À différence de la simulation qui, elle, est une retranscription d’un référentiel dont l’image est déjà construite, la «personnification» est d’abord une construction d’une image mentale du référent puis la transcription de cette dernière dans la réalité. L’image est « signe » ou « symbole » lorsqu’elle est une abstraction du signifié : contrairement à « la simulation » ou « la personnification » qui tentent d’incarner le « signifié » en absorbant sa forme et son sens, le « signe » ou « le symbole » tentent uniquement de renvoyer la profondeur du sens du signifié ou simplement de nous référer à lui. Cette propriété abstractive permet de représenter tout type de référent (idéologie, sensation, objet, figure…). Ce champ de possibilités illimité qu’offre le signe est ce qui permet à l’architecture d’être un outil expressif accompli. C’est pour cette raison que nous considérons qu’il est nécessaire d’étudier « le signe et le symbole » comme une thématique appart entière.

Le « signe et le symbole» comme signe linguistique : Comme vous l’avez surement constaté, le référentiel qu’une entité architecturale «personnifie» ou «simule» est uniquement un lieu, un espace ou une architecture. « Le signe et le symbole », par contre, permettent d’exprimer tout types de référent. D’ailleurs, c’est d’eux d’où l’architecture a acquis sa stature expressive. Le signe et le symbole sont expressifs car ils sont une abstraction. L’abstraction, par définition, est le fait d’isoler, par la pensée, une ou plusieurs qualité d’un objet concret pour en former la représentation intellectuelle. Dans la production artistique comme en architecture, elle est une figure absorbant un sens ou une particularité relative au référent qu’elle symbolise. Plus simple, elle est une forme ou une icône exprimant ou insinuant la profondeur du sens du signifié sans le besoin de s’attacher fidèlement à sa forme substantielle.

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En retraçant l’histoire, nous découvrirons que l’architecture naquit lorsque les humains commencèrent à construire des édifices symbolisant leurs croyances religieuses. La forme pyramidale des monuments antiques, leur hauteur vertigineuse ainsi que leur rapport avec les constellations symbolisaient ce désir d’ascension et cette quête de contacter ceux qui descendirent du ciel.

Fig.113, 114 et 115: Figures d’architectures sacrés dont la symbolique réside dans le lien entre leur forme et des conceptions cosmogonique stellaire (mouvement des astres, positionnement des étoiles…).

[114]

Stonehenge [115] Salisbury, Royaume-Uni

Pyramide de Gizeh [116] Gizeh, Egypte

Pyramide de Kukulcán Chichén Itzá, Méxique

Le besoin de symboliser ces croyances s’explicitait encore plus à travers les ornementations : les figures des divinités représentées dans les édifices antiques étaient des signes symbolisant ce que les anciens considéraient comme sacré (la lumière, la fertilité, les constellations du zodiaque, les cinq éléments…). Avec l’évolution des conceptions religieuses et de l’ésotérisme, le symbolisme pris une autre ampleur, les signes devinrent plus subtils et devinrent le véhicule par lequel on associait l’édifice à ce qu’il symbolise ou à sa fonction (exemple : la présence de la figure de la déesse Thémis ou de la balance dans les palais de justice, la coupe d’Hygie ou la croix verte dans les pharmacies…). Par la suite, «symboliser» ne fut plus l’unique fonction du signe. On commençaient à l’utiliser aussi pour «communiquer». Dans les édifices maçonniques par exemple, les éléments architectoniques sont des signes subliminaux codés communiquant un idéel dissimulé dans les travers de l’architecture. Dans l’ancienne médina de Tétouan, les pavés de sol comportent des signes communiquant si la ruelle mène vers un autre espace ou si elle est une impasse. L’ornementation des minarets dans les anciennes mosquées marocaines indiquaient si dans cette dernière se tenait la prière du vendredi ainsi que le nombre de prière qu’elle abritait ….

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Fig 117 : Symbole architectonique associant l’édifice à une nature identitaire (ex : édifice maçonnique). Fig 118 : Usage d’un style architectural particulier pour symboliser une appartenance idéologique ( ex : constitution fondée sur la démocratie ). Fig 119 : L’objet architectural est symbole d’un idéel (ex : la sacralité de la liberté).

[117] Freemasons Hall Molsworth [118]

Dublin, Irland

Le capitole [119] Washington, États-Unis

Statue de la Liberté New York, États-Unis

Cette ligature entre l’architecture et le symbolisme a fait que ces derniers devinrent indissociables : symboliser devint ancré en l’architecture. Je m’explique, sans désirer symboliser quoi que ce soit, toute entité architecturale exprime implicitement et légitimement un certain caractère identitaire (un statut social, une stature culturelle ou cultuelle, la manière de voir les choses de ses concepteurs…). Cette nature discursive inhérente à l’entité architecturale a soumis les concepteurs à assujettir l’aspect formel de l’édifice à la symbolique qu’il doit inspirer. C’est pourquoi, généralement, les édifices partageant les mêmes attributs identitaires partageant les mêmes attributs sémiologiques (écriture formelle) et sémantiques. Prenons l’exemple des édifices étatiques à vocation juridique, politique ou administratifs, tous inspirent le pouvoir et l’autorité propre à l’état. Ce caractère résulte de leur aspect formel inspirant monumentalité et fermeté. Des propriétés qui eux sont le fruit d’une écriture architecturale bien précise générant ces sens. Dire qu’à travers une composition ou une écriture architecturale particulière il serait possible de générer un sens bien précis, affirme le théorème relevé précédemment stipulant que l’architecture incarne dans ses travers les codes d’un langage universel. Ici, nous nous référons à deux propriétés linguistiques corrélatives : le fait de pouvoir exprimer des notions abstraites à travers des compositions architecturales, le second est le fait que les usagers de l’espace arrivent à interpréter le sens que pourrait renvoyer ces compositions. En analysant ces propriétés linguistiques sur la base de la linguistique générative de Norman Chomsky, nous comprendrons que trois paramètres structurent le fonctionnement du signe linguistique architecturale. Ces paramètres sont :

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• La capacité du concepteur à formuler une composition architecturale renvoyant un sens manifestant sa pensée. Cela est assimilable à ce que Chomsky définit comme « comportement linguistique ». • Le degré de compréhensibilité et d’acceptabilité du signe architectural ainsi que la capacité du concepteur à formuler une image incorporant la profondeur du sens qu’il souhaite exprimer. Nous pouvons comparer cela à ce que Chomsky définit comme « compétence linguistique ». • Les compétences linguistiques de l’allocutaire à saisir la profondeur du sens que le signe linguistique incarne en lui. Comme nous pouvons le comprendre, la compréhensibilité de l’architecture comme signe linguistique ne dépend pas uniquement du locuteur (le concepteur) mais dépend aussi de l’allocutaire (l‘usager de l’espace). Or, contrairement aux autres types de langages de communication, le langage architectural n’obéit à aucune loi grammaticale ou lexicographique figée: ni le concepteur n’est soumis à une écriture formelle prédéfinie générant le sens qu’il souhaite exprimer, ni l’usager de l’espace n’est tenu d’avoir l’habileté de décoder ce que le signe architectural renvoie comme sens. Devant cette aporie, un autre questionnement s’impose : au-delà du fait que l’architecture soit une forme linguistique universelle, sa compréhensibilité n’est-elle pas relative à des mécanismes innés en nous ? Par rapport aux architectes, leur compréhension du fonctionnement du signe linguistique architecturale est principalement liée à l’érudition. À travers leur formation académique et professionnelle, ils arrivent à développer une sensibilité particulière vis-à-vis de l’espace. Cette dernière leur permet de maitriser comment exprimer une notion à travers une composition architecturale et de manier ce que cette dernière pourrait renvoyer comme sens. Cette compréhension est liée aussi à des mécanismes instinctifs innés en nous (la compréhension de l’impact de la symétrie et de la dysmétrie, de l’ordre et du désordre…). Aussi, à travers cette sensibilité, les architectes arrivent à déchifrer comment un sens a pu être généré à travers une composition spatiale et de reproduire cela dans leurs architectures. Par rapport aux usagers de l’espace, leur interprétation de la signification du signe architectural se fait intuitivement. Elle est comparable à notre capacité à comprendre l’état d’esprit d’autrui à travers ses expressions de visages et ses regards, ou à notre capacité à formuler une certaine idée sur lui à travers son style vestimentaire, sa gestuelle et sa manière d’agir et de penser. Cette perception fonctionne essentiellement sur la base du processus de cognition. Ce dernier est le mécanisme par lequel notre psyché arrive à traiter l’information réceptionné et la décodifier. Il se base sur deux modes de traitement :

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• Traitement par imagerie : un processus par lequel notre cerveau assimile les donnes réceptionnées en les comparant à des images mentales qui leur ressemblent et dont il connaît le sens. • Traitement discursif : un processus basé sur le décodage des sens que renvoie une forme particulière (signe, symbole, inscription…) pour déduire le sens général de l’image réceptionnée.

16 - Robert Venturi, Dese Scott et Seven Azenour, Learnig from Las Vegas, MIT Press,1972.

Cette dialectique de l’image et du signe et sa corrélation avec le fonctionnement de l’entité architecturale était l’objet d’une étude réalisé par Robert Venturi, Denise Scott et Seven Izenour parue dans leur livre « Learning frome Las Vegas ». Dans ce dernier, les auteurs mettent l’accent sur le rôle prégnant de l’imagerie, des signes et des symboles dans la structuration du fonctionnement du paysage urbain. Ils expliquent comment, dans Las Vegas, l’architecture est d’abord « un symbole 16 dans l’espace » avant d’être « une forme dans l’espace ». Dans cette ville, l’écriture architecturale est vouée à servir des fins publicitaires : à travers leurs formes attrayantes et leurs symboliques, ces édifices arrivent à affrioler les usagers tout en communiquant ce qu’ils sont. Ainsi, ils arrivent à accrocher leur attention et les persuader à venir visiter les lieux. Ici, la forme ne suit pas la fonction, elle l’explicite. La symbolique du signe prend le dessus sur cette dernière. L’objet architectural devient essentiellement un outil dialoguant avec « l’imaginaire collectif » et non un espace répondant à un besoin spatial. Comme exemple, Venturi cite les édifices disposant de panneaux publicitaires surdimensionnés, les architectures dites canards, les édifices qui sont des répliques de monuments connus…

Fig 120: Objet sculptural utilisé comme signe indiquant l’accès au parc de jeu Sindibad. Fig 121: Architecture canard où la forme reflète la fonction (kiosque de jus d’orange). Fig 122: Edifice surmonté par une immense enseigne indiquant son nom et servant de signalétique urbaine. [120]

Statue Sindibad [121] Aïn Diab, Casablanca

Kiosque jus d’orange [122] Aïn Sbaa, Casablanca

Enseigne Megarama Aïn Diab, Casablanca

Par ailleurs, comme expliqué dans le chapitre premier, l’entité architecturale acquiert certaines de ses dimensions au cours de son cycle de vie. Ces dimensions peuvent émerger à l’issue d’un événement marquant, comme elles peuvent être le

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fruit d’un imaginaire collectif. Toutefois, elles peuvent devenir prééminents dans la définition de l’identité architecturale. Par ces lignes, nous sous-entendons que contrairement aux exemples précèdent où la symbolique des compositions sémiotiques étaient-elles qui nous référaient à l’identité architecturale, ici c’est dans l’identité de l’édifice où réside la symbolique. Comme exemple nous pouvons citer ce qu’est le temple de Salomon pour les juives, le Vatican pour les catholiques ou la Kaaba pour les musulmans. De tels édifices deviennent piliers sur lesquels s’érige l’idéel qu’ils symbolisent. Ici, l’architecture, le symbole et ce qui est symbolisé deviennent une seule unité. D’ailleurs c’est la raison pour laquelle détruire un symbole symbolise aussi une idée particulière. Fig.123 : La chute du mur de Berlin qui signifia la chute du communisme et la fin de la guerre froide. Fig.124 : En percutant le Word Trade center (icone de la force économique américaine), Al Caïdat souhaitait symboliquement exhiber sa force et dénuder la vulnérabilité sécuritaire des Etats-Unis.

[123]

La chute du mur de Berlin Berlin, Allemagne

[124]

Attentat 11 septembre [125] Manhattan, Etas-Unis

La chute de la statue de Saddam Hussein Bagdad, Irak

Fig.125 : La destruction de cette statue était le symbole de la chute du régime de Saddam Hussein.

L’archétype comme signe linguistique : Autre type d’imagerie structurant notre lecture de l’entité architecturale est « l’archétype ». Du grec « arche-typos », cette notion a comme sens premier : modèle original d’une chose. Comme sens absolu, elle désigne une structure morphologique dynamique transcendant des propriétés analogues des figures sur lesquelles elle souhaite communiquer ou représenter. D’une manière simplifiée, elle désigne une icône ou un symbole ayant une signification universelle. En architecture, la notion archétype est d’abord adossée aux formes et aux compositions architecturales récurrentes et significatives (portes, fenêtres, escalier…). Elle est essentiellement une indication communiquant une fonction ou une information. Son sens est relatif à sa forme iconique, mais aussi à la typologie et la morphologie de l’icône. Par exemple, à travers la forme d’une porte il est possible de deviner sa fonction ou sa stature (porte principale, porte de service,

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entrée garage…), à travers la morphologie d’une pièce, il est possible de deviner sa fonction (salon, cuisine, chambre à coucher…). Il est nécessaire de comprendre que la fonction de l’archétype est essentiellement liée à sa symbolique et à ce qu’il transmet comme indication. C’est pourquoi, il peut se manifester sous différentes formes : il peut se manifester sous forme d’un élément architectonique (croix latine en haut des églises, carrelage en damier dans une loge maçonnique…), sous une forme corporelle ou spatiale distinctive (un kiosque, un phare, le minaret d’une mosquée, un terrain de sport…) et même sous des formes abstraites (la manifestation de l’ombre et la lumière dans les lieux sacrés, le silence dominant dans les bibliothèques…).

Fig 124 : Images illustrant des lieux à vocation religieuse où la lumière est un archétype symbolisant mysticisme et sacralité.

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17 - Rupert Sheldrack, Una nueva ciencia de la vida: La hipótesis de la causación formativa, Kairos,1981, pp .15.

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L’archétype est un outil dialectique puissant dû à l’analogie entre son image et l’image psychique que nous construisons ce qu’il symbolise. Pour le psychiatre Carl Gustav Jung (élaborateur de cette notion), cette analogie s’explique par le fait qu’il est une représentation renfermant les propriétés universelles d’un thème structurant notre « psyché inconsciente » ainsi qu’une structure dynamique que l’expérience vient remplir. Pour Rupert Sheldrack, cette propriété universelle est plutôt dû à des « causalités formatives » signifiant ici des structures qui nous ont 17 été transmises héréditairement et non à travers l’apprentissage ou l’expérience. Toutefois, quelques soit le facteur derrière la profondeur universelle de l’archétype, cette caractéristique révèle aussi que l’architecture incarne dans ses travers des codes faisant d’elle un langage universel.


3 - L’architecture comme langage : Vers la fin du XIXe siècle et jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, une maladie contagieuse s’est propagée dans le monde entier causant la mort et la paralysie de plusieurs millions de personnes. L’incidence de cette maladie avait, par la suite, considérablement diminué. La prise de conscience hygiénique contribua à la prévention contre ce virus. Pourtant, il continuait toujours à faire des ravages. De nos jours la poliomyélite, est peu commune. Elle a quasiment disparu. Le mérite a cela revient à Jonas Salk, l’inventeur du premier vaccin efficace contre cette maladie. C’était dans son laboratoire situé dans le sous-sol de l’université de Pittsburgh où il a pu l’élaborer. Les années de recherches qu’il avait consacrées à ce travail étaient longues, et n’étaient pas toutes fructueuses. Selon ses dires, ce n’est que lorsqu’il a voyagé en Italie que l’idée qui lui a permis d’élaborer son vaccin a surgi. Il raconte que lorsqu’il se promenait entre les murs de la basilique saint François d’assise, le génie du lieu l’avait profondément marqué. Et grâce à cet impact sensoriel, il a pu construire des idées nouvelles qui lui ont permis d’élaborer le polio vaccin. Grace à ce vaccin, de nombreuses vies ont été sauvées, et un grand service a été rendu à l’humanité entière. Salk était persuadé que sans l’empreinte sensitive de la basilique sur lui, son vaccin n’allait jamais voir le jour. C’est pourquoi il pensait que si l’architecture l’a aidé dans ce travail, elle pourrait l’aider à l’avenir et aider aussi ses confrères dans leurs recherches. Elle pourrait contribuer à sauver d’autres vies. Cette conviction a fait naitre une idée en lui : « fonder un établissement de recherche scientifique pouvant, par la force [129] Jonas Salk au centre «Salk institute» de l’architecture, offrir aux scientifiques un cadre de travail idoine et paisible. Un lieu où leur efficience sera boostée ». Il fait appel à Louis Kahn qui lui conçoit « The Salk institute ». Bien sûr, Jonas Salk a découvert le vaccin grâce à sa persévérance. Lors des cinq ans passés dans son laboratoire, il voyait souvent ses travaux tomber à l’eau. Ces échecs l’ont souvent poussé à désespérer. Pour ne pas laisser tomber ses recherches, le voyage était son ultime recours. Il ne savait point que le génie d’un lieu allait l’inspirer au point d’aboutir à sa quête. Il se peut que la découverte du vaccin pût se faire plus tôt si le laboratoire dans lequel Salk travaillait était plus plaisant. Il se peut que ce travail pût être moins accablant si ce même laboratoire était plus récréatif. Il se peut que cette découverte pût ne jamais se faire si Salk n’avait pas visité la basilique. Ce qui est certain c’est que l’impact de tout lieu sur son usager est légitime et irréfutable.

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Cet impact sémantique que produit l’espace sur nous est ce que Salk qualifia de «génie du lieu». Gaston Bache-lard le définit comme «poétique de l’espace», une terminologie reflétant uniquement l’aspect plaisant du phé-nomène. Dans le chapitre précèdent, nous l’avons défini comme «dimension latente». Métaphoriquement, nous l’avons qualifié d’âme architecturale. Selon nous, il représente ce qu’est l’architecture comme langage. Dans cette troisième partie de ce chapitre nous étudierons le lien corrélatif entre ce langage et l’identité architecturale, le rôle qu’il joue dans la structuration du cheminement que suit la construction de notre perception, ainsi qu’aux mécanismes permettant la lisibilité et la compréhensibilité de cette forme de langage (la sémantique spatiale).

1 - La sémantique de l’espace et l’identité architecturale : Tout architecture, quelle que soit sa fonction, sa vocation, son statut ou sa stature dispose d’une sémantique propre à elle. A travers cette dernière, elle acquière vie. A travers elle, elle arrive à rentrer en dialogue avec son usager. Pour rappel, la terminologie « sémantiques de l’espace » désigne ce caractère sensitif que dégage l’architecture. Elle est ce que cette dernière incorpore comme phénomènes vivants et actions discursives provoquant en nous un certain ressenti vis-à-vis l’espace et son identité. Elle se manifeste sous deux formes distinctes : • La première forme est cette aura qu’inspire l’architecture mettant en avant ses particularités identitaires. Nous pouvons citer comme exemple ce caractère vénérable que renvoient certaines églises gothiques, ce caractère austère que manifeste les bâtiments de l’état, cet aspect hostile caractérisant les centres de détention… • La seconde forme se manifeste à travers ces différant phénomènes mouvants qu’incorpore l’espace en lui, des phénomènes impalpables mais perceptibles provoquant en nous différents sensations et sentiments, et donnant allusion que l’espace est vivant (ambiances internes, les contrastes de couleurs et les jeux d’ombre et de lumière, sons…). Nous reprécisons que la sémantique se formule entre les parois de l’architecture. C’est pourquoi elle est assujettie à cette dernière. Cette particularité explique le rôle probant qu’elle joue dans la définition de l’identité architecturale. Ce rôle devient prééminent dans cette définition lorsqu’elle arrive à captiver les esprits des usagers et provoquer en eux un sentiment particulier vis-à-vis de l’espace. Nous devons préciser aussi que ce ressenti est fruit de l’instant, qu’il est fluctuant et inconstant. Il est une réaction pulsionnelle relatif à une insertion momentanée

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dans un espace et dans un temps, et c’est ce contact avec les différentes actions vivantes qui se produisent dans l’enceinnte de l’espace qui le provoque. Il est ce frisson qui nous traverse lorsque nous pénétrons dans un lieu sinistre et feutré, cette sensation d’émerveillement qui nous frappe en visitant un lieu excquis, ce ressenti de bien être en étant dans un lieu plaisant… Lorsque cet impact sémantique est captivant, l’espace acquiert poétique. Cette dernière est derrière la force faisant la notoriété de plusieurs édifices architecturaux : le mysticisme qu’instaurent les rayons lumineux pénétrant à la citerne portugaise d’El Jadida, la quiétude qu’instaurent les espaces colorés de Barragan, la pluie de lumières séraphiques animant les parois du Louvre d’Abu Dabi, le mysticisme qu’instaure l’intérieur de la chapelle de Ronchamp…

Fig.130, 131 et 132 : Images illustrant des architectures dont la force réside dans le caractère prononcé de leur sémantique, un caractère rendant ces architectures plus discursives.

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L’aéroport Jewel Changi [131] Changi, Singapour

Louvre Abou Dabi Musée de l’archéologie [132] Jean Nouvel, Abou Dabi, UAE sous-marine Jean Nouvel, Monaco

En parralèle, nous devons rappeler aussi que cette sémantique résulte de l’interférence des différentes dimensions composant l’architecture, d’où la causalité directe entre elle et l’identité de cette dernière. D’une manière plus directe, la fonction et la vocation de l’espace architecturale ont une incidence directe sur les propriétés sémantiques de ce dernier. D’ailleurs, c’est pour cette raison que les édifices ayant la même fonction ou vocation partageant, généralement, des attributs sémantiques assez ressemblentes (les effets d’ombres et lumières caractérisant les souks des anciennes médinas, l’atmosphère embuée à l’intérieur des hammams turcs, l’ambiance géhennée et sombre dans les forges…). C’est pour cette même raison que la vocation de certains lieux est assujettie à des propriétés bien précises (la sacralité que doivent instaurer les lieux de culte, l’aspect infantile caractérisant les espaces pour enfants, le caractère austère qu’inspirent les lieux à vocation politique…).

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Fig 124: Images illustrant des lieux dont disposant de propriétés sémantiques singulières inhérentes à leurs fonctions ou à leur identité.

[133] La médina de Marrakech

Marrakech, Maroc

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Hammam de Cagaloglu [135] Istanbul, Turquie

La citerne portugaise El Jadida, Maroc

Cette concordance entre la fonction du lieu et sa sémantique, et entre cette sémantique et notre interprétation du sens du lieu fait que, d’une part, les concepteurs conçoivent leurs architectures en accordant une attention particulière à l’atmosphère générale qui doit régner dans leurs espaces et sur le ressenti que ces deniers doivent inspirer; et d’une autre, les usagers fondent essentiellement leur perception sur cette première impression qui les traverse dès lors dialogue avec ces espaces. Ce qui est comparable à notre perception d’autrui : il nous arrive de connaitre des gens uniquement de vue ou bien à travers ce qu’on nous raconte d’eux, mais ce n’est qu’en dialoguant avec eux qu’on construira une réelle perception sur eux. De ces lignes, nous déduisons que la sémantique de l’espace structure la formulation de l’identité architecturale : en structurant la pensée de l’architecte dans la phase conceptuelle et en en influençant la perception que formule l’usager sur cette architecture en stimulant ses sensations et son imaginaire. Cependant, nous déduisons aussi que cette sémantique structure aussi le fonctionnement de l’architecture comme outil linguistique : en provoquant un impact sensitif sur l’usager, l’espace architectural devient discursif. Lorsque cet impact s’accorde avec la fonction du lieu, ce dernier devient expressif et symbolique. Ce constat nous ouvre alors sur un nouveau questionnement : «comment la sémantique de l’espace arrive-t-elle à acheminer notre perception dans un sens particulier ?». Ce qui nous ouvre sur la seconde thématique d’étude de cette partie.

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2 – le rôle de la sémantique dans la structuration de notre perception architecturale : Comme nous avons pu le voir, il existe une corrélation entre ce que l’espace dégage comme sémantique et son « fonctionnement ». Aussi, il existe un lien étroit entre le bon fonctionnement de cet espace et la concordance de sa sémantique avec sa «fonction». Je m’explique, prenons l’exemple des mosquées : nonobstant le fait que pas toutes inspirent de la sacralité, elles répondent toutes à la fonction recherchée (accueillir la prière). Néanmoins, prier dans une mosquée inspirant sacralité reste plus idoine puisque cela instaure plus de spiritualité à cet acte. Comme nous pouvons le comprendre, chaque fonction et chaque vocation est lié à une sémantique qui lui correspond. C’est pourquoi, l’espace qui les contient doit dégager une sémantique analogue à cette dernière. Ce lien d’analogie existant n’est pas le fruit du néant. Il est la conséquence de trois facteurs conjoints : LA PRATIQUE SPATIALE : comme expliqué, l’architecture est une coque accueillant un imaginaire et des pratiques. Le fait qu’elle soit conçue pour répondre à une fonction précise implique qu’elle doit procurer le cadre idoine pour cette dernière, non seulement en termes spatials et fonctionnel mais aussi en termes sensitifs. Par exemple, pour que quelqu’un puisse étudier efficacement, rien ne doit perturber sa concentration. C’est pourquoi, hormis le fait que les bibliothèques procurent un cadre fonctionnel adéquat pour étudier, elles sont pensées aussi de sorte à procurer calme et sérénité… En parallèle, plusieurs pratiques spatiales s’effectuent d’une manière précise et itérative, d’ailleurs certaines d’entre elles prennent même l’allure d’un rituel. Cela implique que les espaces qui doivent les contenir doivent être compatible à comment ces pratiques s’effectuent. C’est pourquoi, concevoir ces espaces implique un travail scénographique où plusieurs scénarios s’étudient pour aboutir à celui qui s’adapte le mieux aux exigences de la pratique et à la réalité qu’impose l’espace. Par exemple, en concevant une chocolaterie, il est nécessaire de penser comment l’espace acheminera et théâtralisera le circuit que fera le client au sein du magasin tout en pensant aux besoins des fonctionnaires (comment accueillir le client, comment lui présenter les produits, comment emballer sa commande et la lui offrir …). Nous comprenons donc que le fait de construire l’espace sur la base d’une mise en scène précise signifie l’assujettir à un imaginaire construit. Cela lui inculque inévitablement une sémantique particulière qui structurera notre lecture et notre interprétation de l’espace.

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LES DIMENSIONS DE L’ARCHITECTURE : de grandes similitudes caractérisent les architectures ayant la même fonction. Leurs dimensions partagées leurs procurent des attributs sémantiques assez ressemblantes provoquant en nous le même impact sensitif. La récurrence de cet impact en étant dans ces lieux ainsi que la prédominance de ces propriétés fait que notre perception architecturale leur soit soumise : ce sont les odeurs du bois et de la colle, les sons des scies et des marteaux et l’atmosphère caractérisant le travail dans cette ambiance qui caractérisent l’identité d’un atelier de menuiserie. C’est ces particulariités qui provoquent en nous un certain sentiment ou ressenti une fois dans cet espace. De même, dans un hammam, ce sont les vapeurs d’eau chaude, les émanations des différents savons, ainsi que la réverbération des différents sons qui font l’identité de ce dernier et qui provoquent en nous presque le même ressenti lorsque nous rentrons à n’importe quel hammam… Pour être concis, nous soulignons que les dimensions relatives à une fonction engendrent une sémantique particulière. Cette dernière provoque en nous un ressenti particulier qu’on associe à l’espace et à sa fonction. Ainsi, ce ressenti généré devient pour nous un facteur définissant l’identité architecturale. L’IMAGINAIRE COLLECTIF : en s’accoutumant à avoir un même ressenti vis-à-vis les architectures d’une certaine fonction, notre imaginaire conçoit une image particulière sur ce que doit être ces dernières. Ce ressenti ainsi qu’aux propriétés précédemment évoquées (sémantique, formes de pratique et dimensions) deviennent des composantes élémentaires de cette image standardisée, et deviennent les repères qui structurent notre perception de ces architectures. Par exemple, que seraient un atelier d’ébéniste ou un hammam sans cet impact que produit sur nous leurs propriétés sémantiques précédemment cités ? que serait une forgerie sans son atmosphère géhennée ? que serait une parfumerie sans les émanations de ses parfums ?... Ce lien que nous faisons entre la nature de l’espace et la nature de la sémantique qu’il doit dégager devient le facteur d’équilibre qui structure notre interaction avec l’espace. D’ailleurs, lorsque nous nous heurtons avec un espace dégageant une sémantique incohérente avec sa nature, cet équilibre se perd et un sentiment d’incommodité se génère. Ce ressenti est lié à un facteur déjà évoqué qui est notre penchant vers le rationalisme. Dans ce cas, ce penchant s’illustre dans cette recherche de normalité perdue dont l’absence perturbe notre dialogue avec l’entité architecturale : on ne peut imaginer un édifice à vocation militaire ren-

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voyé de la gaieté, on ne peut tolérer une atmosphère impure dans un lieux sacré, on ne peut digérer une ambiance festive dans une morgue par exemple… Comme nous pouvons le comprendre, l’imaginaire collectif que nous construisons sur une architecture s’érige essentiellement sur la cohérence entre la nature de cette dernière et la nature de la sémantique qu’elle doit dégager. Uniquement cette cohérence donne sens à l’entité architecturale et à notre dialogue avec elle. D’où le rôle patent de l’imaginaire collectif dans la structuration de notre interférence avec l’entité architecturale. Comme nous venons de le voir, le ressenti que provoque l’espace en nous joue un rôle probant et dans la définition de l’identité architecturale et dans la formulation de notre perception. Cela nous amène à la conclusion que lui aussi est un des mécanismes structurant le fonctionnement de l’architecture comme outil linguistique. Devant ce fait, une question s’impose : qu’est ce qui explique le fait que l’entité architecturale arrive à provoquer en nous un certain ressenti ?

3 – Les composantes sémiotiques de l’objet architectural et leur impact sur sa sémantique : Des exemples exposés tout au long de ce travail, nous avons pu contempler le rôle patent que joue la sémantique de l’espace que ce soit dans la formulation de notre perception ou bien dans la structuration du fonctionnement de l’architecture comme outil linguistique. De l’étude élaborés lors du chapitre premier, nous avons expliqué congrûment comment cette sémantique stimule nos mécanismes de réception et manie la construction de notre perception architecturale. Hormis cela, une question plus intrigante resta sans réponse : « qu’est ce qui permet à l’entité architecturale de provoquer en nous quelconque impact sémantique ?». Pour répondre à ce questionnement, nous devons rebondir sur les observations soulevées par William Lethaby concernant la nature discursive de l’architecture (p.10) : Lethaby constate que quelle que soit la religion à laquelle nous adhérons, nous éprouverons pratiquement tous une même révérence en visitant un lieu inspirant sacralité. Quels que soient notre culture ou notre lieu d’appartenance, une sensation de bien-être nous traverse lorsqu’on séjourne dans un lieu apaisant. Quels que soient nos gouts, notre opinion sera le même lorsqu’il s’agira de distinguer entre une architecture poétique et une autre insipide… Certes, voir nos perceptions se ressembler n’est pas un phénomène hors du commun puisque leurs constructions peuvent suivre des cheminements similaires. Or ici, ce n’est pas cette forme de similitude qui nous intrigue, mais c’est plutôt cette réaction « naturelle » et « unanime » qui se provoque en nous dès lors notre dialogue avec l’entité archi-

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tecturale, un phénomène comparable à notre réaction à la lumière, à la chaleur, au froid ou au bruit… Ces observations ont amené Lethaby au constat suivant : «si l’espace architectural arrive à provoquer le même impact sémantique sur différentes personnes, c’est que forcément il incarne dans ses travers des codes sémiologiques faisant de l’architecture un langage universel» (p.10). La réelle question à laquelle nous devons alors répondre est « quels sont donc ses codes maniant notre perception et provoquant en nous impact sensitif ? ». Il est évident que c’est notre dialogue avec l’architecture qui engendre cet impact. Il est donc la progéniture de notre perception. Comme expliqué, cette dernière est à la fois « acte » et « image ». Ici, le ressenti généré est l’image, les phénomènes qui ont suscité sa genèse sont « l’acte ». C’est pourquoi, afin de répondre à notre questionnement, nous devons accentuer notre réflexion principalement sur la perception comme acte, soit comme phénoménologie. Nous avons expliqué que la phénoménologie représente cet ensemble d’opérations analytiques que notre système cognitif effectue à l’instant de notre contact avec l’architecture et tout au long de cette interférence. À travers elle, une connaissance immédiate sur cette entité se formule et une réaction envers elle se provoque. Cette phénoménologie est une construction qui se fond sur du factuel, de l’idéel et du sensitif. Le caractère instantanée et itérative de cette construction rend difficile de définir le cheminement exact qu’elle suit. Ce qui nous met devant un grand dilemme : on ne peut investiguer comment ce sensitif se provoque sans connaitre le cheminement exact que suit sa construction. Néanmoins, nous savons que cette dernière est aussi un maillage d’une myriade de données réceptionnées et formulées. Certaines d’entre elles sont communes à nous tous (universelles) et d’autres sont d’une nature subjective et fluctuante. Le fait que la construction de notre perception soit relative à des constantes communes et à des variantes propres à chacun de nous nous ouvre une nouvelle piste de réflexion. Nous estimons qu’étudier « objectivement » ce phénomène discursif de nature subjectif est possible, mais seulement en distinguant ce qui est de l’ordre du commun de ce qui est de l’ordre du spécifique. Cela sous-entend que lors de cette réflexion, tous les mécanismes de perception liées à la cognition, la psyché ou au vécu doivent être exclus pour ne laisser places qu’aux mécanismes instinctives communs structurant toutes les perceptions. Nous sommes conscients que, dans la forme, notre approche présente beaucoup de lacunes surtout que tous les mécanismes de perception travaillent d’une manière instantanée, conjointe et corrélative. Toutefois, nous considérons que la capacité de l’architecture à provoquer un impact sémantique commun chez un grand nombre de ses usagers hormis les cheminements divergents caractérisant la for-

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mulation de leur perception prouve que, « théoriquement », cet impact peut être étudié indépendamment des variantes subjectives et uniquement en relativité avec les mécanismes instinctives. En se basant sur le fait que notre perception architecturale manifeste, à la fois, notre insertion dans l’architecture comme étant un espace qui nous contient, ainsi que notre interférence avec cette dernière comme étant un non-soi (p18), l’étudier indépendamment des variantes subjectives s’avère possible si on base notre réflexion uniquement sur ce premier aspect de perception, soit en appréhendant l’architecture uniquement comme une sphère qui nous accueille et non comme étant une entité identitaire recueillant tout un imaginaire. Ceci dit, nous devons préciser qu’en cernant notre champ d’études, nous réduisant même les aspects sémantiques qui peuvent être analysés : les ressentis relatifs à nos croyances, à notre héritage culturel, à notre conscience ou à quelconque facteur subjectif ne peuvent être objet d’étude. Seule ces réactions naturelles et unanimes qui se produisent en nous dès lors notre « contact » avec l’entité architecturale peuvent l’être. Nous nous référons ici à ce ressenti de bien-être qui nous traverse en se baladant dans un lieu merveilleux, ce ressenti d’émerveillement que nous éprouvons envers un espace captivant, ce ressenti de sérénité qui nous englobe en étant dans un lieu apaisant, ce fait d’avoir un avis partagé concernant ce qui est beau et ce qui ne l’est pas, sur ce qui est affriolant et ce qui est fade… Si un impact sensitif se génère en nous d’une manière impulsive et spontanée dès lors notre contact avec l’objet architectural en dépit des facteurs subjectifs maniant notre perception, c’est que cet impact est relié à des mécanismes instinctifs innées en nous. En parallèle, la capacité de l’architecture à provoquer cet impact en nous indépendamment de ce qu’elle peut renvoyer comme identité perceptible ou de ce qu’elle peut recueillir comme imaginaire signifie que les codes linguistiques dont nous parle Lethaby sont inscrites dans des constantes tangibles présentes dans toute architecture. Cela signifie qu’un lien conjoncturel existe entre ces constantes tangibles, les mécanismes instinctifs et la génération de cet impact sensitif. Concernant ces facteurs instinctifs, il est difficile de les dénommer ou de les dénombrer. Sont-ils natifs en nous ? Certainement. Sont-ils acquis ? probablement. Sont-ils génétiquement hérédités ? possible. Ce qui est certain c’est que seule la neuroscience peut nous offrir une réponse tranchante sur ce sujet et nous élucider « scientifiquement » ce qui est derrière le déclenchement de quelconque ressenti d’une manière générale ou d’un ressenti précis d’une manière particulière. Par crainte de me perdre dans une discipline que je ne maîtrise pas, j’ai préféré ne pas m’aventurer dans ce champ épineux. Pourtant je suis conscient que beaucoup des questionnements posés trouvent leurs réponses dans la neuroscience. Néanmoins,

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le fait que ce phénomène étudié se produit d’une manière pulsionnelle et instantanée nous amène à la conclusion que ces facteurs instinctifs sont étroitement liés à notre subconscient. De ce fait, la psychanalyse pourra être notre fenêtre pour comprendre ce qui explique l’émergence de cet impact sensitif. Parlant maintenant des constantes tangibles : comme indiqué dans la partie traitant de l’image corporelle (p.91), trois paramètres définissent la corporalité de l’objet architectural : «la forme », « l’épiderme » et « l’échelle et la proportion ». Ces dernières sont les composantes brutes formulant toute architecture. C’est donc en elles où résident ces codes linguistiques qui font de l’architecture un langage universel. De ce fait, étudier ce qui permet à un objet architectural virginal (dépouiller de sa symbolique, sémantique et sa stature identitaire) de provoquer en nous quelconque ressenti implique l’étude de l’influence qu’a ses trois paramètres sur notre insertion spatiale. A l’instant de notre contact avec l’objet architectural ou en étant dans son enceinte, les trois paramètres formulant sa corporalité stimulent communément et instantanément nos mécanismes de réception. Notre réaction à ce stimulus se fait d’une manière prompte et machinale, et se traduit sous forme d’un ressenti, d’une sensation ou d’une émotion. Comme il semble l’être, nos sens et notre subconscient réagissent à l’objet architectural dans son intégralité. C’est pourquoi, nous pensons que c’est ce que génère la conjoncture de comment les paramètres élémentaires formulant l’objet architectural sont configurés qui provoque ce ressenti spatial. Prenons la pyramide de Gizeh comme exemple : allait-elle provoquer en nous le même ressenti si son échelle n’était pas aussi pharaonique ? si le temps n’avait pas effacé sa couleur blanche ? si sa corporalité était faite d’un matériau autre que la pierre ? si sa forme n’était pas pyramidale ? Néanmoins, ne paraît-il pas évident que l’incidence de certaines propriétés spatiales est plus déterminante que d’autres lors de ce phénomène ? Est-ce correct alors le fait de dire que cet impact sensitif est le fruit de notre réaction à l’objet architectural dans son intergralité ? Revenons à l’exemple du langage verbal. Nous savons que la force d’une parole réside surtout dans ce ressenti qu’elle peut produire sur nous : ce sentiment d’apaisement qui nous traverse en apprenant une bonne nouvelle, cette douleur qui nous accable en apprenant une mauvaise… Bien sûr, cet impact naît de ce que les composantes linguistiques (les mots) génèrent comme sens, tandis que sa profondeur et son degré sont liés au poids des mots. En d’autres termes, ces ressentos sont liés et aux propriétés de ces composantes linguistiques et au sens qu’elles génèrent conjointement. L’impact sensitif qui nait de notre insertion dans l’espace architectural est lui aussi relatif aux propriétés des composantes de ce dernier et au sens qu’elles formulent ensemble.

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Fig.136, 137 et 138: Figures manifestant l’influence de l’échelle et de l’épiderme sur ce que l’espace va inspirer comme ressenti chez l’usager.

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Pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte

[137]

Pyramide du Louvre [138] Paris, France

Hôtel Luxor Las Vegas, Etas-unis

Fig.139, 140 et 141: Figures illustrant l’incidence de l’échelle et des proportions de l’espace sur notre insertion et sur l’impact sémantique que provoquera ce dernier sur l’usager.

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Temple d’Hathor [140] KV2 Tombeau Ramses IV [141] Luxor, Egypte Valée des rois, Luxor, Egypte

Karnak Luxor, Egypte

Fig.142, 143 et 144: Figures illustrant comment les ambiantes internes (couleurs et tons) influencent l’impact sémantique de l’espace sur son usager.

[142]

Temple d’Horus [143] Edfouw, Egypte

Temple Séthi I [144] Luxor, Egypte

Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte

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Il est clair, à travers ces exemples, que notre insertion dans l’espace est imprégnée par l’intégralité des propriétés physiques de ce dernier. Toutefois, ces exemples affirment aussi que le rôle de certaines d’entres elles est plus décisif que d’autres dans la détermination de ce que l’espace provoquera en nous comme impact sensitif. Voyons donc comment chacune de ces propriétés influence ce que l’espace aura comme impact sur nous :

La forme : Indépendamment de ce qu’elle est comme espace, de la symbolique qu’elle peut renvoyer, de l’imaginaire qu’elle recueille ou de l’identité qu’elle manifeste, l’impact sensitif d’une architecture est dû aussi à ses propriétés esthétiques. Comme cité précédemment (p18), notre perception sur autrui nous la fondons sur plusieurs facteurs. Toutefois, c’est sur la base de son apparence que se formule cette première impression que nous portons sur lui. De même avec l’architecture, c’est son apparence qui est derrière cette première impression qui nous traverse lorsque nous la visualisons. Bien évidemment, nous parlons de cet émerveillement qui nous traverse lorsque nous visualisons une belle architecture, cette fascination que nous éprouvons envers une architecture spectaculaire, cette admiration que nous ressentons envers une architecture solennelle… Clairement, ces sensations sont le reflet de ce que nous pensons de l’apparence de l’objet architectural : est-il beau ? est-il laid ? est-il majestueux ? est-il insipide ?... Elles sont étroitement liées à la notion du « beau ». Quoique ces appréciations que nous faisons des propriétés esthétiques de la forme architecturale semblent être un phénomène d’ordre subjectif, leur formulation est structurée par des facteurs intuitifs : la recherche équilibre, d’harmonie, de rythme, d’ordre…

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[145]

«Was ist Metaphysik?» Michele Durazzi, (2018)


Si par nature notre œil identifie de la beauté dans toute forme incarnant certaines de ces propriétés, c’est parce que leur lecture se veut être plus plaisante et plus aisée pour elle. Par contre, la lecture des formes manifestant incohérence et désordre se veut être incommode. Et c’est parce que la lecture de ces formes est pénible que notre cerveau les désigne comme des formes déplaisantes. En parallèle, il faut souligner que notre œil est sensible aussi aux formes inédites. Le fait qu’on soit inhabitué à les voir capte notre attention et stimule notre curiosité. Ce qui nous rend perplexe devant elles et provoque en nous différentes sensations.

Fig.146, 147 et 148 : Figures illustrant comment les ambiantes internes (couleurs et tons) influencent l’impact sémantique de l’espace sur son usager.

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The Wave [147] Jørn Utzon, (2015)

Grand théâtre de Harbin [148] Ma Yansong, (2015)

The Wave Roman Vlasov, (2016)

Par ailleurs, l’incidence de la forme architecturale sur nous ne se manifeste pas que dans ce sentiment qu’elle provoque en nous lorsque nous la contemplons pour la première fois. Son incidence se lit aussi sur notre insertion dans l’espace, ou d’une manière plus précise, sur comment nous allons nous sentir dans so enceinte. Cette relativité entre l’espace physique et l’espace psychologique était le sujet sur lequel à porter le livre « l’espace vivant » de Jean Cousin. Dans ce livre, Cousin part du constat qu’il existe légitimement un rapport de causalité direct entre notre environnement spatial et notre comportement. Lui aussi reconnaît que les propriétés physiques de l’espace impactent notre perception et estime qu’il est possible de comprendre ces rapports de causes et d’effets si on les étudie selon une approche phénoménologique prenant en considération les fonds communs particuliers à l’humain comme facteurs premiers structurant notre réaction à l’espace. Jean Cousin construit sa réflexion sur la base d’une idée élémentaire introduite par Merleau-Ponty : «la clef de la compréhension de l’expérience spatiale réside dans la perception». Merleau-Ponty explique que c’est à travers la vision que cette exploration peut être initialisée. Toutefois, il souligne qu’il ne faut pas considérer de la vision que les caractéristiques propres à l’espace euclidien (les dimensions de l’objet visualisé) mais aussi les caractéristiques qui la structurent (la perspec-

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18 - Jean Cousin, L’espace vivant : introduction à l’espace architectural premier, Moniteur,1986.

tive, les rapports de profondeur, les éléments qui se fondent visuellement en tre elles-mêmes …). Il écrit : « Nous avons été amenés à faire apparaitre comme condition de la spatialité, la fixation du sujet dans un milieu et finalement son inhérence au monde ; en d’autres termes, nous avons du reconnaitre que la perception spatiale est un phénomène de structure et ne se comprend qu’à l’intérieur d’un champ perceptif qui contribue tout en entier à le moti18 ver en proposant au sujet concret un ancrage possible». Jean Cousin compris alors que pour étudier méthodiquement l’expérience spatiale, il fallait prendre en considération plusieurs fondements : le point d’ancrage (les relations organiques entre le sujet et l’espace), notre œil et son interprétation de ce qu’elle visualise, l’identification, notre mouvement au sein de l’espace … Les observations de Jean Cousin l’ont amené à comprendre aussi qu’il est difficile de décrypter ces lois régissant le rapport entre les propriétés formelles de l’espace et l’impact sensitif qu’il aura sur ses usagers. Toutefois, afin de rendre ces observations sur ce phénomène appréhensibles, il les illustre sous forme de patterns explicitant chacun comment la variation des paramètres spatiale élémentaire imprègne ce que l’espace aura comme impact sur son usager.

[149]

19 - Jean Cousin, L’espace vivant : introduction à l’espace architectural premier, Moniteur,1986, pp. 62.

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Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte

Ces observations qu’il a pu effectuer l’ont amené au constat suivant : « notre sentiment global concernant un certain environnement varie en fonction de l’interaction, au premier chef, de ces trois paramètres fondamentaux : 1-notre vision, 2-notre orientation dynamique, 3-notre manière de nous projeter dans 19 l’espace, c’est-à-dire notre bulle ». Commençons par la bulle, cette dernière est un schème que nous construisons mentalement définissant à la fois notre structure physique et psychique. Elle est cette structure où se définit notre champ existentiel propre (le cadre spatial et perceptif recueillant notre conscience de soi). Cette structure abstraite prend généri-


quement la forme d’une boîte rectangulaire, mais elle est mutante. Les limites de sa forme se définissent par les limites physiques et sensibles de l’espace premier qui nous recueille (tapis, lit, chambre…). Lorsque la forme de l’espace perturbe l’aspect naturel de cette boîte, notre insertion dans cet espace se perturbe ce qui stimule notre instinct et provoque en nous impact sensitif. Le stimulus de la visualisation provoque en nous impact sensitif car c’est à travers cette dernière que se dessine notre champ perceptuel existentiel définissant notre bulle individuelle. Comme nous le savons, la visualisation est une action continuelle par laquelle l’œil et le cerveau nous projettent l’image de ce qui nous entoure. Elle est essentiellement un processus mental structuré par plusieurs mécanismes intuitifs. Lorsque les propriétés formelles de ce qui est visualisé sont inusuels, leur lecture et interprétation requièrent que notre cerveau effectue un effort mental plus concentré. Cette lecture avisée nous rend plus sensibles à l’espace et imprègne la forme de notre bulle individuelle. Cette métamorphose stimule notre insertion spatiale et génère impact sensitif. Concernant l’orientation dynamique, inutile de préciser que ce qui nous affecte n’est que cette portion d’espace que notre champ visuel englobe. Pourtant, notre expérience spatiale traduit l’incidence qu’a l’intégralité de l’espace sur nous. Ici, Cousin met le doigt sur un phénomène essentiel. L’impact de l’espace sur nous est peut-être instantané, mais il n’est pas figé. Il est relatif à notre emplacement et notre déplacement dans l’espace : l’incidence de la partie basse de l’espace n’est pas la même que celle de sa partie élevée, l’incidence d’une partie d’espace ayant les murs circulaires n’est pas la même que celle où ses murs sont droits… Toutefois, l’impact de cet espace se définit par ce ressenti général que provoque en nous l’ensemble de ces ressentis. En d’autres termes, c’est l’expérience spatiale dans son intégralité qui définit l’impact sensitif de l’espace sur nous.

echelle et proportions : « L’échelle et les proportions » sont le second paramètre définissant l’image corporelle d’une architecture. Leur lien est conjoncturel et impactent conjointement notre insertion spatiale. S’ils ont une incidence sur ce que l’espace provoque en nous, c’est par ce qu’ils affectent notre bulle individuelle. Comme l’énonce Merleau-Ponty, cette bulle naît de notre désir de constituer un milieu général pour la coexistence de notre corps et du monde. Il insinue même que ce sont les liens organiques entre notre corps et notre milieu existentiel qui sont l’essence de la spatialité. Cette inhérence entre ces deux nous pousse à considérer cette bulle comme étant notre second corps.

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Comme nous le savons, comment est notre corps imprègne comment nous nous sentons dans notre peau. De même avec l’espace, comment est ce dernier impacte comment sera notre insertion dedans. Cousin nous explique que cette causalité est dû à la relativité entre notre ellipse visuelle, les proportions de notre corps et les dimensions de l’espace, d’où l’incidence de l’échelle et les proportions de ce dernier sur notre ressenti spatial. Cette incidence est clairement constatable à travers ces figures.

[150]

Dans les figures ci-dessus, Cousin nous expose cette relativité à travers l’exemple du corridor. Selon lui, lorsque la largeur de ce dernier est équivalente au double de celle de nos épaules et que sa hauteur est inférieure à la nôtre bras levé, un sentiment d’étroitesse se générer en nous. Si cette hauteur était vertigineuse, c’est plutôt un sentiment d’étranglement qui nous traversera. Ce sentiment sera moins traumatisant avec une largeur plus importante puisque, selon Cousin, notre corps ne se sentira pas en danger.

[151]

Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte

Dans ce second exemple, Cousin met l’accent sur notre sensibilité au rapport proportionnel qui nous allie avec l’espace. Comme il l’explique, notre bulle individuelle épouse la forme de l’espace physique et incarne ses dimensions. Et puisqu’elle délimite notre champ existentiel, la dualité entre son échelle et la nôtre devient un facteur structurant de notre dialogue avec elle. Dans cette structure, notre corps est la référence. C’est pourquoi, l’incidence qu’a l’échelle de l’espace sur nous est lié à son rapport proportionnel avec notre corps. Lorsque ce rapport devient démesuré, l’impact sensitif qu’aura l’espace sur nous sera plus prononcé. Ses proportions deviendront alors le facteur déterminant de la nature de cet impact. Cette idée est ce que Cousin exprime à travers les dessins ci-dessus : quoique l’échelle des trois espaces illustrés est assez imposante, il est

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clairement constatable que le ressenti au sein de chacun d’eux diffère. Dans la première figure, Cousin stipule que nous serons profondément marqués par l’ampleur monumentale de l’espace sans pour autant être dominé par ce dernier. Il relate cela à l’harmonie de ses proportions avec celles de notre ellipse de vision. Dans la seconde figure, la largeur soulignée de l’espace brise cette harmonie, accentue l’ampleur de ce dernier, mais surtout, rend son échelle plus humaine. Ici, c’est l’usager qui domine l’espace. L’horizontalité de l’ouverture lui procure une liberté visuelle. La grande largeur séparant les deux parois latérales procure à l’usager une liberté de mouvement. Tout cela lui fait sentir que l’espace lui est soumis. Dans la troisième figure, c’est l’usager qui est soumis à l’espace. Bien que ce dernier soit assez large, sa grande hauteur prédomine. Cela conditionne la liberté de dynamisme physique de l’usager et astreint sa liberté visuelle. L’espace lui impose, par conséquent, un dialogue vertical instaurant un certain rapport ésotérique entre lui et l’espace.

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Montagne de Tindaya [153] Le musée de Neandertal [154] Barozzi Veiga, (2010) Eduardo Chillida,(1966)

Parc Saya Alvaro Siza, (2018)

Le stimulas que provoque l’échelle de l’objet architectural et ses rapports proportionnels sur notre insertion spatiale sont constants et continuels. Leur incidence sur nous peut se ressentir à l’instinct de notre dialogue avec l’entité architecturale (ex : ce sentiment qui nous frappe en accédant à un espace grandiose), comme il peut se ressentir graduellement tout au long de notre insertion dedans (ex : ce sentiment d’étranglement que nous pourrons ressentir en passant beaucoup de temps dans un espace étroit et profond). Précisons aussi que la forme, l’échelle et les proportions de l’espace ont une incidence directe sur comment seront l’aération et la température à son enceinte. Chose qui se répercute légitimement sur comment sera notre insertion dedans. Aussi, ils ont une incidence sur comment cet espace sera éclairé. Et puisque le contact de la lumière avec les parois de l’espace et son épiderme affecte comment nous l’interprétons, cela affecte aussi comment sera notre ressenti dedans.

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l’épiderme : Le troisième constituant élémentaire de l’objet architectural maniant la lecture et l’interprétation que nous faisons de lui est son épiderme. Ce dernier imprègne profondément notre perception car son influence se lit sous plusieurs facettes. En effet, parler de l’épiderme de l’objet architectural signifie à la fois parler de sa matérialité, de sa texture, de sa couleur et de ses propriétés (opaque, brillant, chaud…).

[155] Musée Yves Saint Laurent [156]

Studio KO, Marrakech, (2017)

La villa D Aéroport de Guelmim [157] Studio KO, Marrakech, (2004) GR3 Architectes ,(2018)

La première facette où se manifeste l’incidence de l’épiderme sur notre perception est ce sentiment qu’inspire l’entité architecturale en nous et qui est relatif à son apparat. Couleur, matière, texture, l’éclat de la surface, son opacité ou sa transparence sont toutes des propriétés visuelles attribuant à l’objet architectural un aspect sémantique identitaire particulier : les pyramides de Gizeh n’allaient inspirer monumentalité si elles n’étaient faites de pierre. La pyramide du Louvre n’allait inspirait légèreté si elle n’était faite en verre. L’architecture de Campo Baeza n’allait inspirer purisme si son blanc n’était pas aussi pur… D’ailleurs, le fait que le changement de l’épiderme ou de ses propriétés manifeste le rôle décisif de ce dernier dans la définition de ce que l’objet architectural inspirera comme sémantique.

[158]

118

How ‘Vandalizing’ a Classic Exposes the Hypocrisy of Today’s Modernists Xavier Delory,(2016)


La deuxième facette manifestant l’incidence de l’épiderme sur notre perception est liée cette fois-ci à la couleur. Comme nous avons pu le voir, la lecture que nous faisons de l’objet architectural peut-être illusoire. C’est pourquoi, même si ce sont les mesures de l’espace qui définissent la valeur dimensionnelle réelle de ce dernier, notre ressenti sur cette valeur reste tout de même assujettie à comment nous percevons cet espace. Dans ce processus de perception, plusieurs facteurs intuitifs structurent comment notre cerveau interprète ce qu’il visualise. Nous pouvons citer comme exemple les lois de la bonne forme (gestalt -voire p.46 et 47). Dans ce processus, la couleur imprègne la forme de l’espace et impacte la lecture qu’on fait de lui : un espace d’une couleur clair semble être plus grand qu’un même espace d’une couleur sombre, un espace avec des rayures verticales semble être plus haut qu’un même espace avec des rayures horizontales qui, lui, semble être plus profond… Dans la figure ci-dessous, nous pouvons contempler comment le changement des couleurs des parois de l’espace transmute notre perception de ce dernier.

[159]

L’impact visuel des couleurs sur un espace

L’impact qu’ont les couleurs de l’espace sur nous n’est pas que visuel, il est surtout sensitif. Ces dernières imprègnent notre appréciation de l’esthétisme de l’espace architectural, comme elles imprègnent notre ressenti et notre attitude comportementale à son enceinte. Cet effet psychologique qu’a la couleur sur notre état d’âme, notre insertion spatiale et notre appréciation de l’espace est lié, d’une part, à des facteurs subjectifs, et d’une autre, à des facteurs instinctifs communs à nous tous. Nous pouvons classifier ces facteurs en six catégories : • La symbolique de la couleur. • Des facteurs subconscients. • L’influence culturelle • La notion de la « mode ». • Les relations subjectives avec les différentes couleurs. • La réaction chimique de notre cerveau aux stimulus d’une couleur. Le fait que chaque couleur a impact particulier et commun sur nous est un autre constat affirme la véracité de notre théorie stipulant que l’architecture incarne dans ces travers des codes faisant d’elle un langage universel. *Voyons donc l’incidence qu’a la couleur et ses propriétés sur notre psychologie et comment cette influence se reflète sur notre insertion spatiale et sur notre ressenti vis-à-vis l’espace.

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Fig160, 161 et 162 : Le noir est une couleur instaurant, généralement, une sémantique funeste ou effrayante. Pourtant, cette sémantique est assujettie et aux propriétés de ce noir, et à celles des autres matériaux composant l’espace. Elle est surtout liée à comment la lumière donne vie à ce noir. Une bonne composition génère autres aspects sémantiques : sémantique luxueuse, caractère révérencieux, solennité… [160]

Juun.J Flagship Store WGNB, Seoul, (2005)

[163]

Centre Heydar Aliyev Zaha Hadid, Baku, (2013)

[161]

Musée Allmannajuvet Peter Zumthor, Norvège, (2016)

[162]

[164] Esplanada Studio Tatiana Bilbao, Méxique, (2006)

[165]

Qiora Store & Spa ARO, New York, (2001)

[168]

The VIPP Shelter VIPP, Danemark, (2014)

Fig 163, 164 et 165 : Le blanc est une couleur neutre. Elle permet une lecture virginale de l’espace mettant en avant ses propriétés plastiques. Lorsque ces propriétés interfèrent avec la lumière et manifestent sobriété et harmonie, le blanc instaure quiétude et apaisement. Toutefois, son caractère neutre peut engendrer des effets néfastes : il peut vite devenir fastidieux et accablant.

Fig166, 167 et 168 : La couleur bleu ciel est une couleur apaisante et reposante. Notre subconscient l’associe à un ciel clair et à la mer calme. C’est pourquoi, elle instaure en nous un sentiment de sérénité, de sécurité et de quiétude. Toutefois, l’incidence de cette couleur sur nous reste associée aux rapports proportionnels de l’espace et à son éclairage.

5th Annual CSE C.Cormier, Montréal, (2012)

[166]

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[167]

V House CotaParedes , Méxique, (2015)

Muralla roja Ricardo Boffil, Alicante (1968)


Fig 169, 170 et 171 : Contrairement au bleu claire, le bleu foncé est une couleur qui sollicite nos sens. Elle dynamise notre activité cérébrale et nous permet d’être plus rationnels et plus créatifs. Ces propriétés font d’elle une couleur adéquate pour les espaces de travail. Toutefois, c’est une couleur qui inspire de la froideur et de la mélancolie, et qui diminue l’appétit. [169]

Pipeline Matthew Schreiber

Centro de Visitantes Zhaoyang, Río Niyang, (2009)

[170]

Green chapel [174] Royal Ontario Museum Cyril Lancelin, France, (2017) D.Libeskind, Toronto, (2007)

Casa Confetti Marles Rohmer, Utrecht, (2008)

[173]

[175] Mausolée de Moulay Ismaïl

[176]

[172]

Meknès, (1703)

Muralla roja Ricardo Boffil, Alicante (1968)

[171]

Casa Gilardi Luis Barragan,México, (1976)

Fig 172, 173 et 174 : Le vert est situé au juste-milieu de l’axe séparant les ondes infrarouges et ultraviolettes. Il est, ainsi, la couleur de l’équilibre. Le fait que notre subconscient l’associe à la nature, fait qu’il instaure en nous tranquillité et zénitude. Il est la couleur adéquate à adopter dans les plateaux de travail puisqu’il permet de se relaxer tout en boostant notre concentration. Fig 175, 173 et 174: Le jaune est une couleur étincelante qui imprègne notre état d’âme positivement : elle nous éveille, elle stimule notre dynamisme et provoque notre gaieté. Ainsi, travailler dans un espace de couleur jaune augmente notre productivité. Toutefois, sa nature ostentatoire fait qu’elle sollicite constamment nos sens ce qui peut devenir accablant.

Likeshop Showroom Eduard Eremchuk, Russia, (2017)

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Fig 178, 179 et 180 : L’orange est une couleur vive générant enthousiasme et appétit. D’une part, elle déstresse ; et d’une autre elle instaure gaîté et bonne humeur. Ces propriétés font d’elle, la couleur adéquate aux espaces recueillant des activités chaleureuses.

Casa Blanca Martín Dulanto, Pérou,(2014)

[180]

Exhibition Hall Marte Architects, Dorbirn,(2017)

[183]

Muralla roja Ricardo Boffil, Alicante (1968)

[186]

Casa Barragan Luis Barragan,Cuerámaro, (1948)

[179]

Theatre Agora UNStudio, Lelystad-Haven,(2007)

[182]

Casa Gilardi Luis Barragan,México, (1976)

[185]

[178]

Maison Bernard Odile Decq,France,(2015)

Fig 181, 182 et 183 : Le rouge est une couleur provocatrice. Elle stimule nos désirs et nos appétences. Sa nature sanglante impacte manifestement notre état d’âme et notre comportement : elle nous pousse à faire les choses avec ferveur, enthousiasme et agressivité. Toutefois, son aspect lascif fait d’elle une couleur idoine pour les lieux voluptueux. [181]

MagicCasa Said Berrada, Casablanca,(2017)

Fig 184, 185 et 186 : Le rose est une couleur qui dulcifie notre état d’âme. En étant dans un espace de cette couleur favorise les pensées positives et nous plonge dans une ambiance pacifique et relaxante. Son impact positif fait d’elle la couleur idoine pour les salles de crèche ou pour les espaces à vocation récréative.

[184]

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Hôtel Rosas & Xocolate Carol Kolozs, Mérida, (2015)


Par ailleurs, les couleurs de l’espace et ses propriétés ont une incidence sur un autre phénomène affectant notre ressenti : « l’ambiance architecturale ». Par cette dernière, nous désignons cet ensemble d’actions sensibles et visibles mouvantes qu’incorpore l’espace architectural. Nous citons par exemple le scintillement que provoque le contact des rayons lumineux sur une surface brillante, ce frisson que génère le contraste entre le sombre et l’obscur, cette pluie de lumières chatoyantes qui apparaissent lorsqu’elle traverse une surface criblée, la coloration qu’engendre le contact d’un rayon lumineux avec une paroi colorée... Ombres et lumières ont toujours été des phénomènes inhérents à l’espace architecturale. Leur interférence avec les couleurs de ce dernier et leurs propriétés instaurant une atmosphère sémantique particulière au lieu : atmosphère chaleureuse, atmosphère protocolaire, atmosphère jouissante… Cette atmosphère sémantique affecte notre état d’âme et notre ressenti au sein de l’espace. Cela manifeste le rôle profond qu’a l’épiderme de l’architecture sur ce que cette dernière provoquera en nous comme impact sensitif. Ce lien corrélatif entre la couleur, la sémantique de l’espace et notre ressenti spatial est ce qui pousse les cinéastes à se servir des couleurs de l’espace et de l’éclairage pour faire plonger le spectateur dans la peau du personnage et dans son état d’âme. Ceci dit, nous devons souligner aussi que cette sémantique stimule aussi l’imaginaire de l’usager et le plonge dans une dimension autre rendant l’expérience spatiale une expérience poétique et attrribuant à l’architecture sa stature discursive. Fig 187 : Tons chauds manifestant l’ambiance sérieuse de la scène. Fig 187 : Tons froids manifestant la tristesse et la mélancolie personnage. [187]

The Godfather [188] Francis Ford Coppola, (1972)

Harry potter et les reliques de la mort II David Yates, (2011) Fig 189 : Tons sombres manifestant la rage profonde consommant le personnage. Fig 190 : Tons vifs manifestant la gaité du personnage.

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Joker [190] Todd Phillips, (2019)

Joker Todd Phillips, (2019)

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Chapitre iii :

l’imaginaire et son inhérence à l’architecture : facteur génératif de la pensée architecturale/ mécanisme de lecture et d’interprétation


introduction : Depuis la nuit des temps, concevoir une architecture idéale était l’obsession de beaucoup de civilisations. Chez les babyloniens, l’idéal était synonyme de paradis. Quand le roi Nimrod avait édifié la tour de Babel, sa quête était d’atteindre les cieux. Quand son épouse Sémiramis avait édifié ses jardins suspendus, sa quête était de reconstruire l’Eden sur terre. Les égyptiens, les mayas, et les aztèques, construisaient pour glorifier les dieux. Leurs architectures se devaient être idéales. Cet idéal se manifestait à travers le caractère mystique et cosmique de leurs édifices. Leurs larges savoirs mathématiques et astrologiques leur ont permis d’attribuer un tel caractère à leurs architectures. Pour les grecques, l’idéal était une création propre au divin. On pouvait la contempler à travers sa création : la nature. Et comme cette création divine se caractérise par sa pureté, son équilibre parfait et sa configuration harmonieuse, les grecques ont compris qu’ils pouvaient eux aussi aboutir à l’idéal s’ils attribuent à leur architecture de telles caractéristiques. Leur compréhension du rapport entre le nombre d’or, la suite de Fibonacci et la création divine leurs a permis de concrétiser cette architecture Lors de la renaissance et jusqu’au classicisme, les notions d’équilibre, d’harmonie et de pureté demeurèrent les fondements sur lesquel s’érigeait l’architecture idéale de l’époque. Après la révolution industrielle, les questions d’esthétique devinrent obsolètes. L’architecture idéale devint celle capable de répondre aux différentes problématiques de l’époque : la masse, le cout de construction, la durée des travaux… Quand le mo-

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Tour de Babel Babylone, Irak

[192]

Statue Ramsis II Memphis, Egypte

[193]

Parthénon d’Athènes Athènes, Grèce

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dernisme a fait son apparition, l’architecture se transmuta. Des architectes comme Le Corbusier, Mies Van der Rohe, Frank Lloyd Wright ou Niemeyer ont pu, à travers leurs écrits et leurs œuvres, révolutionner la manière de penser l’architecture. Ils ont pu fonder les bases nouvelles d’architectures avant-gardistes mieux adaptées aux modes de vie de la société nouvelle. Mais ce mouvement moderne n’était que le début. Le progrès constant que connaissaient l’ingénierie et la technologie a permis à une autre vague d’architectes contemporains de révolutionner l’architecture. L’évolution technique et technologique dans les procédés de construction et de conception ont permis à des architectes telles que Tadao Ando, Alvaro Siza,Rem Koolhass, Franck Gehry, Zaha Hadid ou Calatrava de concevoir des architectures osées, au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Ces architectes ont pu concrétiser des architectures plus proches de l’utopie que du réel.

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La villa Savoye (Le Corbusier) Poissy, France

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Musée d’art Milwaukee Santiago Calatrava, Milwaukee, Etats-unis

À travers les temps et les âges, la conception de l’idéal a constamment changé de visage. L’évolutionnisme de la pensée humaine et des croyances ainsi que l’évolutivité de nos besoins spatiaux a fait de cette mutation une fatalité. C’est pourquoi penser l’image d’une architecture adaptée à un temps présent et futur a toujours été une quête impérissable. Mythes et légendes, fictions et utopies ont tous nourri et enrichi la formulation de cette image. Ils ont même structuré notre lecture et notre interprétation d’elle. Leur inhérence à la genèse de l’œuvre architecturale et à la formulation de son identité fait de l’architecture à la fois une réalité imaginée mais surtout un imaginaire construit. Dans ce chapitre nous allons voir comment cette imaginaire structure le fonctionnement de l’architecture dans la réalité ainsi que la construction de notre réel. Nous allons voir son rôle prépondérant dans le fonctionnement de l’architecture comme outil linguistique, son incidence sur la formulation de l’identité architecturale et son influence sur notre lecture et notre interprétation de l’architecture en relativité avec le facteur temps.

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1 - Le mythe et l’utopie dans la construction du réel : Nous ne pouvons entamer notre étude sur le rôle de l’imaginaire dans la construction de notre perception sans aborder d’abord le rôle qu’il joue dans la construction de l’architecture et de notre réalité. Comme mentionné en tout début (p.16), notre réalité n’est pas fondée essentiellement que sur du réel. Elle est relative aussi à des croyances, des convictions et des conceptions pouvant être illusoires, factices ou seulement non avérés. C’est pourquoi une grande part de notre réalité est construite sur de l’imaginaire. Nous devons préciser qu’ici, le terme « imaginaire » n’est pas employé uniquement que dans son sens chimérique, mais plutôt pour désigner tout cet idéel construit à travers notre imagination traduisant notre capacité à conceptualiser, à concevoir, à imaginer ou à prévoir… Comme expliqué, c’est à travers notre imaginaire que notre perception se construit, et c’est à travers cette dernière que notre réalité se conçoit. Cette conjoncture entre notre réalité, notre perception et l’imaginaire a fait que ce dernier soit un des facteurs majeurs structurant plusieurs aspects de nos pratiques humaines, et notamment de nos pratiques spatiales. C’est pourquoi l’imaginaire et la pensée architecturale ont toujours été indissociables. Pour comprendre ce lien revenant au tout début :

1 - La religion, le mythe et la genèse de l’architecture (comme outil linguistique) : Comme mentionné précédemment (p.76), c’est l’agriculture qui a engendré la civilisation et c’est la religion qui a enfanté la ville et l’architecture. La Mésopotamie était le berceau des civilisations, et c’est à Summer où tout à commencer. C’est là où les villes d’Eridu, d’Uruk ou d’Ur (les toutes premières villes de l’histoire) ont vu le jour. Ces cités-États s’articulaient toutes autour du temple. Cet édifice religieux édifié à la gloire des rois-dieux régissait les lois au sein de ces villes. Bien évidemment, sa conformation était relative aux conceptions cosmogoniques de ces peuples, soit au culte des Anunakis (Anu, Inana, Inlil…). Le plus connu de ces édifices était la Tour de [196] Lamassu Sheru (Chérubin) Temple Sergon II, Dur-Sharrukin, Irak Babel. Elle fut édifiée par le roi-dieu Mardouk. Selon les mythologies, il souhaitait à travers cette tour rejoindre les Dieux anunakis vivant dans les cieux. Selon les textes bibliques, il souhaitait défier la prépotence d’Elohim, Dieu du peuple hébreu. D’ailleurs l’appellation « Babel » est une composition de deux mots : « Bab » qui signifie porte en langues sémitique et « El »

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qui est une abréviation du nom Elohim et qui nous réfère à Dieu (Isma EL, Isra El, Gabri El…). Or pour beaucoup de linguistiques, le nom « Elohim » ne signifie pas vraiment Dieu, mais plutôt une référence à ses serviteurs, les anges. Selon eux, il signifie littéralement « ceux qui descendirent du ciel » qui est aussi la signification littérale du terme « Anunaki ». Cette croyance que le divin habite les cieux est ce qui était derrière cette forme ascendante caractérisant cette tour. S’ajoute à cela, cette conception sur l’image de Dieu disant qu’il est grand est derrière l’échelle et les proportions homérique de cette tour. C’est ces mêmes croyances qui sont derrière l’échelle et les proportions majestueuses caractérisant l’ensemble des édifices sacrés du monde antique. C’est ce qui explique le lien architectural étroit présent jusqu’à nos jours entre monumentalité et sacralité. Ceci dit, il est nécessaire de mentionner que l’usage du langage chez ces peuples anciens était très différent du nôtre. Leur vocabulaire n’était pas aussi large. C’est pourquoi, beaucoup d’histoires mythologiques n’était en fait que des allégories personnifiant des phénomènes naturels en des figures divines afin de les expliquer. Or, à travers le temps, ces apologues se sont vite transmutés en mythes et croyances interprétés dans leur sens littéral comme s’ils étaient des réalités avérés et incontestables (à l’image du Geui Hinnom -p.60). Cette interférence entre le réel et l’imaginaire s’est manifestement répercuté sur le mode de vie de ces peuples et sur leurs pratiques spatiales. L’architecture était, cependant, leur portail assurant cette connexion entre le monde terrestre et céleste, entre le réel et l’imaginaire. Comme nous pouvons le constater, c’était ce besoin de contacter le divin qui a engendré la notion « architecture ». Plusieurs désirs étaient derrière cette genèse : d’abord nous retrouvons cette volonté de prier les dieux dans un lieu digne de leurs noms. Une architecture remarquable était donc une forme d’offrande par laquelle on sollicitait leur présence. Aussi, nous retrouvons ce désir de théâtraliser l’acte de prière. Le lieu architectural était alors non seulement le théâtre accueillant le rituel mais surtout ce qui structurait la scénographie régissant ce rite. D’autre part, l’architecture et la sculpture ont permis de rendre ces conceptions cosmogoniques appréhensibles puisque la personnification de notions abstraites en figures ayant des caractéristiques humaines était plus accostables pour une grande tranche de la société. C’est ainsi que l’adoration des figures a commencé, et c’est ainsi que le symbolisme est né. Clairement, depuis le commencement, l’architecture a toujours été un outil linguistique servant à véhiculer un certain idéel. Le fait que la pensée architecturale était soumise à un certain imaginaire faisait que ce qui en découlait était une architecture obéissant à certains codes formels (sémiotiques) et ayant des propriétés sémantiques bien précises. Et puisque le savoir architectural se trans-

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mettait et se transmutait à travers les âges et les terres. Il était normal de voir que les peuples anciens appréhendaient, pensaient et produisaient l’architecture de la même manière (voir p.76-77). Lorsqu’on a commencé à penser les édifices non religieux (palais, villas, pavillon…) comme « architectures », on commença à leur inculquer des propriétés picturales similaires à celles des temples. Ornementations et mosaïques devinrent des composantes élémentaires présentes dans la majorité des productions architecturales. Or la récurrence de ces composantes architectoniques n’était pas relative uniquement à une question d’esthétisme, mais aussi à des besoins religieux. Si nous prenons l’exemple des villes de la Grèce antique, la richesse des scènes illustrés dans les mosaïques ainsi que la variété des stèles et des symboles ornementant les habitations dans ces villes était relatif au fait que la société était polythéiste. Chaque ville et chaque individu composaient donc l’image de son architecture en liant sa forme à des symboles relatifs aux divinités adorées. Ce n’est qu’après que l’usage des symboles et des ornementations est devenu assujettie aux codes formels régissant un style architectural prédéfini. Comme nous pouvons le constater, l’architecture est n’est lorsqu’il eut le besoin de procurer un lieu vouer à recueillir un imaginaire. Les anciens comprirent qu’ils pouvaient, à travers l’architecture, transcrire leur imaginaire de sa forme notionnelle en une forme physique et spatiale. Ainsi naquit le symbolisme et engendra avec, l’ornementation et le décor. Il est évident que, depuis sa genèse, l’architecture était appréhendée comme outil expressif. Or, en érigeant des architectures à l’image de la majesté divine, les anciens ont vite remarqué que ces dernières acquéraient systématiquement des propriétés relatives à l’image du divin. Ce mysticisme se manifestaient à travers ce qu’elles inspiraient comme sémantique. Cette dernière nourrissait l’imaginaire des individues et accentuait ce lien corrélatif existant entre ces architectures et l’idéel qu’elles traduisaient. Les anciens ont compris alors le lien existant entre l’imaginaire, l’architecture et la perception. Aussi, ils ont remarqué que l’image de ces architectures sacrées affectait la perception qu’avaient les autres peuples sur leurs villes et sur leurs civilisations. Ils ont compris alors qu’ils pouvaient se servir de l’architecture pour des fins autres que la dévotion. Ils ont compris qu’ils pouvaient se servir d’elle non seulement pour « exprimer », mais aussi pour « communiquer ». C’est ainsi qu’on commença à l’utiliser et pour ses propriétés expressives et pour son caractère discursif. C’est là où on commença à appréhender l’architecture comme étant un langage universel.

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L’évolution de l’imaginaire architectural : des ambitions chimériques au utopies réalistes : Les anciens ont compris qu’ils pouvaient se servir de l’architecture comme outil linguistique lorsqu’ils prirent conscience de son caractère discursif. Cette prise de conscience n’était pas essentiellement liée à ce caractère mystique et sacré qu’elle inspirait, mais plutôt à ce que cette sémantique générait chez les autres comme ressenti : le caractère inédit et succulent caractérisant cette architecture sacrée provoquait un sentiment d’émerveillement chez les gens, chose qui se répercutait élogieusement sur la perception qu’ils portaient sur la ville et sa nation. Souverains, politiciens et prêtres comprirent alors que l’image de leur ville et de son architecture était le reflet de l’image de leur identité (le reflet de leur échelon culturel, économique, politique, religieux…). Le dessein architectural s’est transmuté alors d’une quête d’une architecture mystique à la quête d’une architecture invraisemblable captivant l’œil et interpelant l’imaginaire, une architecture défiant l’ordinaire et puisant ses origines du rêve.

Fig 197, 198 et 199: Figure illustrant des exemples de villes dont l’image architecturale servait d’outil linguistique exhibant la grandiose de leurs civilisations.

[197]

Temple d’Athéna [198] Lindos, Grèce

Temple de Philae [199] Assouan, Egypte

Porte d’Ishtar Babylone, Irak

Ce rêve dont nous parlons était en tout début une conception liée à l’image de ce à quoi ressemblerait la demeure du seigneur (de Dieu). Bien évidemment, cette image variait selon les peuples et leurs croyances, et se nourrissait de leurs mythes et légendes. Elle était cette ambition de transcrire une fantaisie en réalité (un dessein d’architecture à l’exemple de la ville d’Atlantis, des jardins suspendus de Sémiramis ou du temple féérique de Salomon). Les désirs despotiques et narcissiques des rois et souverains ont permis d’émanciper la pensée architecturale de ces chaines religieuses et mythologiques : le dessein architectural s’est transmuté alors d’une recherche d’une fantaisie à la recherche d’une architecture exquise et sans pareil souhaitant se démarquer de l’existant et non se comparer au féérique.

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En Grèce antique, la naissance de la philosophie et de la démocratie a permis aux philosophes et aux architectes de porter des réflexions sur l’architecture et la ville par rapport à leurs bénéfices sur la vie de l’individu et du groupe (sans pour autant abolir le lien de leur architecture avec les dieux olympiens). C’est à ce moment qu’on commença à penser des modèles de villes platoniques adaptées à cette société grecque civilisée. D’ailleurs, beaucoup d’historiens considèrent que les récits de Platon sur l’Atlantis n’étaient pas une description d’un royaume qui existait dans un temps jadis, mais plutôt une allégorie par laquelle il souhaitait discuter une vision utopiste d’une société idéale pouvant servir de modèle dans la réalité. Il est certain que, depuis l’antiquité, l’imaginaire architectural des anciens s’est construit sur la base d’idées utopistes. Paradoxalement, ce n’est qu’en 1516 que ce concept fut inventé. Il parut pour la première fois dans le livre « Utopia » de Thomas Mor. Ce dernier construisit ce terme des deux préfixes latins « ou » et « topos » pour signifier « ce qui n’est en aucun lieu » ou tout simplement « un non-lieu ». Par ce terme, il souhaitait désigner un lieu appartenant à une fiction mais inhérent à la réalité, un lieu pouvant servir d’exemple de ce à quoi pourrait ressemble une ville idéale pour une société idéaliste. La ville idéale selon Thomas Mor est un lieu assurant équité et égalité à l’ensemble de ses citoyens. Une ville où la propriété privée n’existe pas et dans laquelle les espaces sont pensés de façon à servir un mode de vie prédéfini que tous les citoyens doivent suivre. Nicolas Ledoux pense que la ville idéale n’est pas celle qui impose à ses habitants un mode de vie standardisé, mais plutôt celle qui arrive à procurer un cadre de vie propice où tous ses citoyens vivront dans la concorde et la convivialité, et cela malgré leurs différences. Selon lui, cet idéal est accostable seulement en procurant un cadre spatial adapté aux besoins spatiaux de ces citoyens. Dans son utopie, cette ville idéale se situe dans la campagne, loin de l’anarchie des villes. La cohérence et la complémentarité entre l’ensemble de ses composantes architecturales procurent un cadre de vie idoine et commode adapté aux besoins spatiaux des citoyens et à leurs modes de vie. Dans cette configuration, l’architecture est d’un rôle majeur : Hormis son rôle génératif, elle est aussi une interface dialectique facilitant l’interprétation et la pratique de l’espace puisque Ledoux dessina des bâtiments dont l’architecture (la forme) reflétait leur fonction. Selon lui, cette « architecture parlante » assurerait commodité et confort assurant une vie plaisante au sein de cette ville. Son homologue et ami Etienne-Louis Boullée partageait aussi des conceptions similaires sur ce que devrait être une ville idéale. Selon lui, en plus du fait qu’elle doit être une structure compacte assurant harmonie et convivialité, elle doit être un lieu

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inspirant et instaurant respect. C’est pourquoi, dans l’utopie de Boullée, l’architecture parlante n’est pas uniquement celle manifestant sa fonction, mais aussi une architecture pittoresque d’un esthétisme sublime inspirant majesté et solennité,, une architecture caractérisé par son échelle et ses proportions homériques.

Jean-Jacques Lequeu était un autre architecte néoclassique qui s’inscrivait dans cette lignée d’architectes philosophes utopistes. Comme ses homologues Ledoux et Boullée, il partageait une vision poétique sur ce que devrait être l’architecture. Or, contrairement à eux, ses conceptions étaient émancipées des chaines du rationalisme ou des pensées philosophiques humanistes. Il faisait libre usage de son imaginaire pour produire des dessins d’architectures sensationnelles dont l’originalité et l’utopie résident dans leurs formes.

[200]

Maison du garde Agricoles [201] Claude-Nicolas Ledoux, 1790

Cénotaphe à Newton Étienne-Louis Boullée, 1784

Dans les temps modernes, le rôle de l’utopie pris plus d’ampleur. D’une fiction simulant l’image d’un monde alternatif parallèle, elle devint un modèle servant à construire le réel et une interface anticipant ce qu’il sera. L’image de l’utopie devint alors associée à l’image d’un futur prospectif. Une fonction qu’a rendu atteignable les fins impossibles d’hier. Depuis que l’utopie trouva lieu dans la réalité, elle devint ce pont permettant d’atteindre l’idéal. Elle était la base sur laquelle se sont construit plusieurs théories et concepts qui ont forgé la structure de notre réalité actuelle : les cités jardins d’Ebenezer Howard étaient une vision utopique adaptée aux besoins de la société industrielle de l’époque. Nous pouvons même dire qu’ils étaient une version modernisée de la ville idéale de Ledoux. L’utopie de Boullée était plutôt lisible sur l’architecture soviétique : gigantisme, monumentalité et majestuosité étaient les propriétés caractérisant l’image de la ville idéale que les soviets souhaitaient concrétiser. Avec la propagation de la fiction et du cinéma, les folies de Lequeux ont pris des dimensions plus surréalistes à travers les travaux de nombreux ar-

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chitectes, philosophes et cinéastes dont notamment le groupe Archigram et leur « walking cities ». L’utopie devint par la suite une obsession, et avec l’évolution de la technologie, le dessein n’était plus de construire une réalité basée sur des idées utopistes, mais plutôt de concrétiser ces utopies en réalité.

[202]

La cité-jardin [203] Ebenezer Howar, 1902

La théorie des 3 magnets Ebenezer Howar, 1898

[204]

Palais des Soviets [205] Boris Iofane, 1933

The Walking City Archigram, 1965

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3 - De l’utopie au réel : du dessein utopique à la transcription de l’utopie dans la réalité : L’inhabituel et le surréel ont toujours fasciné l’imaginaire et l’imagination de l’humain. Les mythes et les légendes, les utopies et les fictions ont contribué considérablement à construire une image particulière fascinante sur ce monde chimérique. Et comme l’image de ce dernier a toujours été soumise à nos capacités à concevoir et à imaginer, sa conformation était donc dépendante des images fruit de notre culture, de notre vécu, de notre entendement et de notre imagination. C’est pourquoi « l’imaginaire » a souvent été une notion abstraite informe. Avec l’apparition des films de sciences fictions, des bandes dessinées et de la «pop culture», le besoin de construire mentalement l’image d’une fiction ne fut plus une nécessité. Le flux abandons d’images illustrant cette dernière l’ont non seulement libéré des chaines astreignantes de notre imagination, mais aussi ont permis à l’imaginaire humain de s’émanciper des limites qui le conditionnaient. L’imagerie a permis par conséquent au fictionnel de trouver place dans notre réalité. En commençant par « le voyage dans la lune » et en passant par « Alice dans les pays des merveilles », « Metropolis », « Star Wars », « le cinquième élément » ou « Matrix », nous constaterons que ce sont les productions cinématographiques et visuelles qui ont forgé notre conception sur l’imaginaire. L’art digital a permis de simuler, sous une forme réalistique et vivante, l’image d’une fiction. Il a permis à cette dernière de transcender d’une abstraction à une [206] The Matrix réalité parallèle. Lana et Lilly Wachowski, (1999) Si la révolution numérique a permis de simuler l’utopie et de lui donner forme et vie, la révolution technologique a permis d’oser la transcrire en une réalité. Il faut noter que plusieurs facteurs inhibaient cela : d’une part le caractère futuriste ou complexe des formes architecturales utopiques impliquant le recours à des procédés de construction avancés et avant-gardistes, et d’une autre les propriétés irrationnelles de ces formes qui défient les lois physiques.

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Cette recherche d’utopie se lit manifestement sur les nombreuses productions architecturales réalisées dans ces dernières décennies : les gratteciel et cette volonté de surpasser les cieux, l’architecture déconstructiviste et ce désir de s’émanciper de tout ce qui peut la conditionner (rupture avec l’esthétisme rompant avec les formes rationnelles, le site, le contexte…), les productions futuristes et leur désir de défier les lois de la physique et du possible (exemple : le Bund finance centre et sa façade mouvante -fig.209-, le restaurant sous l’eau de Snøhetta et sa localisation inusuelle -fig.208-, le musée du col du rhombo et ce désir de décoller du sol…). Comme expliqué, ces réalisations doivent beaucoup aux révolutions en termes de technologie, d’industrie et d’ingénierie. Toutefois, elles doivent aussi leur existence aux logiciels de simulation 3D qui ont permit ce passage du fictif à l’effectif. Ces derniers ont rendu possible de transformer ce dessein utopique de sa forme notionnelle en un dessin figuratif pouvant incarner la réalité. En parallèle, le caractère « utopique » ou « fictionnel » d’une architecture n’est pas adossé uniquement à ses propriétés esthétiques ou corporelles surréelles, mais aussi à un référentiel idéel définissant cette limite séparant le vrai du faux, l’effectif du fictif, le réel du fictionnel. Par ces lignes, nous souhaitons préciser que

Fig.207 : Le caractère utopique de ces architectures se manifeste dans le fait que leurs sommets dépassent les nuages, un caractère qui a une résonnance qui relève de l’utopie.

[207]

Les gratte-ciels de Dubaï Dubaï, U.A.E

Fig.209 : La nature insolite du site dans lequel est construit ce restaurant l’inscrit dans le registre fictionnel. Passages, Espagne Dani Karavan (1994) [208]

Under (2019) Snøhetta, Lindesnes, Norvège

Fig.209 : La nature cinétique de la façade inculque à cette dernière un caractère utopique.

Bund Finance Center (2017) Heatherwick & Foster, Shanghai, Chine

[209]

ce n’est pas l’antagonisme de l’objet architecturale avec les lois de la physique qui définissent sa stature utopique, mais plutôt la discordance de son image avec ce que notre intellect juge comme réel. D’une manière plus directe, le caractère utopique d’une architecture est relatif à une question de perception puisque c’est sur sa base que se conçoit notre réalité.

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Cette relativité entre notre perception et la transcription de l’utopie signifie que la concrétisation de cette dernière n’implique pas nécessairement des réalisations spectaculaires et hors normes. Beaucoup d’architectes ont compris qu’ils pouvaient donner forme à l’utopie en concevant des architectures stimulant notre imaginaire et influençant la lecture et l’interprétation que nous ferons d’elles : vu la relativité étroite entre « la perception », « l’imaginaire » et « l’imagerie », ils ont su comment se servir de cette dernière selon différente manière pour attribuer à leur architecture ce caractère utopique.Prenons l’exemple de la « Casa do Penedo » (image ci-dessous), peu de gens arrivent à absorber l’idée que les images circulant sur cette dernière sont en vérité des images d’une habitation réelle. À première vue, elles semblent être tirées d’un film ou bien le fruit d’un traitement photoshop. Pourtant, la maison est bel et bien réelle. Elle a été construite en 1974 et se situe dans une zone rurale à proximité des montagnes de Fafe au Portugal. Le fait qu’elle intègre quatre rochers associés entre eux par un mélange béton/ pierre lui inculque un caractère paradoxal. Elle semble être un objet purement naturel mais qui a des propriétés fruit d’une intervention préméditée.

Fig 210 : Photographie prise d’un bâtiment réel qui semble appartenir à un monde féerique.

[210]

Casa do Penedo (1974) Fafe, Portugal

Beaucoup d’autres architectes se sont servis de l’illusion pour tromper notre perception et inculquer cet aspect irréel à leur architecture. Dans sa «Krzywy domek», Frank Gehry s’est servi de formes tordues pour donner l’impression que son bâtiment a été déformer suite à une torsion qui la subit, une transformation qui ne peut être possible que dans une fiction. À travers des escaliers et un miroir, le studio X-living ont pu transcrire un espace à l’image de l’univers impossible d’Escher et de son œuvre relativité (1953). En composant l’intégralité de l’espace et de ses composantes (fournitures, mobiliers, revêtement…) en blanc tout en dessinant chacun de leurs conteurs en noir, les propriétaires du « 2D café Yeonnam-dong » ont pu générer un espace dont lequel le visiteur se sent dans un lieu appartenant à une bande dessinée.

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Fig.139, 140 et 141: Figures illustrant des architectures ayant des propriétés ne pouvant être réelles que dans un univers fictionnel.

[211]

Krzywy Domek (2004) [212] Sopot, Pologne

Librairie Zhongshuge [213] 2D café Yeonnam-dong Shangaï, Chine Seoul, Corée du Sud

Comme nous pouvons le contempler à travers ces différents exemples, ce dessein de transcrire l’utopie en une réalité reflétait plusieurs volontés : le désir d’expérimenter, d’émerveiller, de se surpasser, d’anticiper… L’absorption du fait que la perception était cette interface définissant les limites de la réalité et du rêve a permis de se servir de l’architecture et du simulacre pour effacer ces dernières. Ainsi, l’utopie a commencé à empiéter sur le réel qu’il est devenu difficile de distinguer le vrai du faux. Aujourd’hui, vu l’emprise qu’a la cyberculture sur notre quotidien et vu notre mutation en une société numérique, le dessein passa du désir de transformer l’utopie en une réalité au dessein de transmuter la réalité en une utopie. Sur ce, Jean Baudrillard avait écrit : « L’imaginaire était l’alibi du réel, dans un monde dominé par le principe de réalité. Aujourd’hui, c’est le réel qui est devenu l’alibi du modèle, dans un univers régi par le principe de simulation. Et c’est paradoxalement le réel qui est devenu notre véritable utopie ». 20

20 - Jean Beaudrillard, Simulacres et simulation, Galilée,1981, pp. 179.

En parallèle, nonobstant la prééminence de l’image corporelle dans la personnification de l’image de l’imaginaire, l’architecture reste d’abord un lieu qui se voit, qui se vit et qui se ressent. C’est pourquoi l’image architecturale d’un imaginaire n’est pas uniquement cet objet qui se perçoit mais c’est surtout c’est idéel qui se conçoit lors de notre insertion dans cet objet et à travers notre dialogue avec lui. D’une manière plus directe, nous souhaitons repréciser que ce n’est pas seulement l’imaginaire d’où a éclot la pensée architecturale qui définit l’architecture, mais c’est aussi l’imaginaire que cette dernière recueille et que son usager conçoit sur elle qui définit son identité. Dans cette seconde partie de ce chapitre, nous allons analyser comment l’imaginaire structure et achemine notre lecture et notre interprétation de l’entité architecturale.

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2 - Le rôle de l’imaginaire dans la construction de notre perception : de la lecture à l’interprétation : Comme nous l’avons attesté, l’architecture est un langage. Son sens n’est pas relative uniquement à l’imaginaire qui l’a construit, mais aussi à l’imaginaire qu’elle incarne et qu’on conçoit sur elle. Elle est cet imaginaire qu’elle personnifie, qu’elle incorpore et qu’elle renvoie. Dans la forme, elle est ce corps recueillant cet imaginaire, dans le fond, elle est cet imaginaire que ce corps incorpore. Ces deux éléments sont inhérents l’un à l’autre : l’objet architectural est pour cet imaginaire ce qu’est la parole pour la pensée, et sans cet imaginaire, cet objet architectural n’a pas lieu d’être. Pour être plus concis, je dirais que l’objet architectural est, à la fois, une sphère retenant entre ses parois un imaginaire impalpable, et un portail permettant à l’usager de s’insérer au sein de ce dernier. 21 - Michel Foucault, Des espaces autres, article écrit en 1967et publié en1984, In Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, pp. 46-49.

Michel Foucault définie ces lieux physiques recueillant cet imaginaire ou ces utopies comme des « hétérotopies ». Il écrit : « Il y a d’abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-même perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels... Il y a également des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies ; et je crois qu’entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y’aurait sans doute une sorte d’expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, après tout, c’est une utopie, puisque c’est un lieu sans lieu. Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement 21 derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas… ». À travers ces lignes, Foucault nous explique que l’hétérotopie est une dimension parallèle utopique qui trouve place dans la réalité. Pour être précis, elle est une production d’une série d’images imaginatives qui s’effectue mentalement et que nous projetons sur un espace architectural. Cette production et cette projection se font à l’instant et tout au long de notre interférence avec l’objet architectural. Ainsi, si l’hétérotopie est un miroir, elle sera un miroir divulguant la dimension latente du lieu et l’imaginaire qui lui est associé, un miroir reflétant ce que l’œil voit et ce que notre imaginaire perçoit.

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La relativité entre l’hétérotopie et notre perception lui donne un caractère mutant. Elle incarne principalement trois formes : • L’imaginaire que l’entité architectural est sensée recueillir et qui est relatif à sa fonction ou sa vocation. • L’imaginaire relatif à l’identité de cette architecture et qui est associé à un imaginaire collectif. • L’imaginaire qui se génère à travers les propriétés discursives de l’architecture et suite à notre interférence avec elle. Chacune de ces formes influence la lecture et l’interprétation que nous faisons de l’entité architecturale chose qui se répercute tangiblement sur la construction de notre perception. Voyons donc comment ces différentes formes d’imaginaire impactent la formulation de notre perception.

1 - L’hétérotopie comme instrument constructive et discursive : Dans les quelques pages précédentes, nous avons cité l’exemple des temples antiques et nous avons expliqué que, à leur genèse, la volonté de donner lieu à un imaginaire. Ce dernier était bien évidemment une conception cosmogonique particulière traduite à travers un travail scénographique visant à théâtraliser le rituel sacré et inculquer à l’espace des propriétés sémantiques et sémiotiques stimulant les sens et les sensations de l’usager du lieu. Tout cela pour que ce dernier conçoit dans son imaginaire une perception architecturale similaire à l’image de l’imaginaire que les concepteurs souhaitaient transcrire à travers leur architecture. Telle une parole, le concepteur doit formuler son architecture de sorte à ce qu’elle exprime pleinement l’idéel (imaginaire) recherché, mais aussi de sorte à ce qu’elle soit assez explicite et expressive pour que son usager l’interprète correctement (voir p.666). De même que le langage verbal, la compréhensibilité de cet outil linguistique architectural ne dépendent pas uniquement des performances dialectiques du concepteur à formuler sa pensée (architecture), mais aussi aux compétences linguistiques de l’usager à saisir le sens de cette dernière. D’ailleurs c’est pour cette interdépendance que nous avons précédemment insinué, qu’en appréhendant l’architecture comme langage, il sera nécessaire de prendre en considération comment l’usager lit et interprète cette dernière. Tout au long de ce travail, nous avons contempler les différents facteurs et mécanismes régissant la formulation de notre perception. Nous avons compris alors qu’une grande part de notre perception et de notre réalité est construite sur de l’imaginaire. Ce qui nous a mené à la conclusion que l’architecture, comme objet physique, n’est qu’un théâtre dessiné et destiné à recueillir une certaine hétérotopie.

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Afin d’assimiler congrument cette corrélation entre l’architecture comme langage, l’hétérotopie et la perception architecturale, analysons comment Nicolas Campodonico, en appréhendant l’architecture comme langage, a pu faire de sa chapelle San Bernardo un lieu permettant à l’hétérotopie de se manifester.

la chapelle san bernardo : La chapelle San Bernardo est un projet conçu par l’architecte Nicolas Campodonicoen 2015. Il se situe dans la province de Cordoba en Argentine. il est l’exemple parfait de ce que doit être un édifice voué au seigneur vu ce qu’il incarne comme imaginaire et ce qu’il est comme hétérotopie.

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Chapelle San Bernardo (2015) Nicolas Campodonico, Cordoba, Argentine

A l’encontre des lieux de cultes qui se présentent comme des cadres spatiaux moniaux, la chapelle San Bernardo se manifeste comme une expérience spatiale spirituelle. Elle est pensée pour être un voyage à la rencontre de Dieu, un pèlerinage éthéré dans le lequel le monde terrestre effleure le monde céleste. Cette conception sur ce que doit être un lieu sacré est manifesté par l’hétérotopie que transcrit cette chapelle. Cette dernière se caractérise principalement par son caractère mystique qui se manifeste sous plusieurs formes et à travers plusieurs dimensions. Le premier aspect par lequel ce mysticisme s’instaure réside dans l’implantation et le choix du site : s’implanter dans un site isolé est un choix visant à se déconnecter du monde externe. Ainsi, l’architecte rend l’accès à l’édifice assez ardu faisant de la rencontre de Dieu un voyage laborieux exalté. Ce travail scénographique est une allégorie du pèlerinage qui est d’une grande symbolique dans le culte sacré. Le deuxième élément qui compose la dimension sacrée est sa dimension plastique (l’aspect formel et corporel de l’édifice) : sa forme parallélépipédique est un volume simple, tangible et minimaliste. Il inspire pureté et finesse. L’absence d’angles généré par la forme cylindrique à l’intérieur accentue cette pureté… Parallèlement, le fait que sa corporalité est faite exclusivement d’un seul et unique matériau est un autre détail instaurant pureté. Ce choix n’était pas une simple question de purisme : les pierres avec lesquelles la chapelle été construite sont les vestiges d’une ancienne bâtisse qui se dressait sur le site. Le choix de les réutiliser est métaphorique. Il exprime le caractère immortel et éternel du seigneur, mais aussi, il exprime son omnipotence et son pouvoir à donner vie après la mort. Par ailleurs, il faut noter que la dimension plastique de l’édifice instaure une sensa tion autre que la pureté : l’échelle de l’édifice ainsi que ses canons proportionnels instaurent une certaine ambiguïté. Le visiteur se retrouve dans un espace conçu pour lui mais dont l’échelles correspond aussi à une forme plus majestueuse.

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Cette dualité génère alors un dialogue entre deux échelles différentes, celle du créateur et celle du pèlerin. Cela permet à ce dernier de ressentir la présence du divin et de contempler son ubiquité. Pressentir la présence du divin est un élément majeur dans l’acte de prière. Ce ressenti était l’élément majeur autour duquel Nicolas Campodonico a fondé son hétérotopie. Pour le générer, il crée une ouverture semi-sphérique majestueuse permettant d’éclairer l’intérieur naturellement et y incruste deux linteaux métalliques la couronnant. Quand le soleil fait sa course, et quand les ombres de ces deux linteaux se convergent, une croix latine se dessine. Cette croix projetée sur les surfaces pures de l’espace est très éloquente. Sa symbolique, sa relativité avec le temps ainsi que son apparition imprévisible fait d’elle une épiphanie conceptuelle.

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Chapelle San Bernardo (2015) Nicolas Campodonico, Cordoba, Argentine

Cette chapelle est la manifestation parfaite de ce qu’un lieu divin doit être. Elle inspire sacralité et révérence. Ces sensations permettent aux visiteurs de pressentir la présence divine et de se sentir dans les mains du seigneur. Et c’est pourquoi, prier Dieu dans un tel lieu plonge le pèlerin dans une spiritualité absolue. Rentrer dans cet état d’âme est la quête de tout croyant souhaitant se livrer au seigneur. Et c’est le dessein ontologique que les lieux de culte doivent assurer. Un dessein qui n’allait être concrétisé si Campodonico n’avait pas conçu son espace pour être le lieu idoine et seyant pour recueillir un imaginaire bien précis. C’est pourquoi, nous pouvons tous s’accorder à dire que l’hétérotopie est le réel dessein architectural.

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Comme nous pouvant le constater, Campodonico a pensé sa chapelle de sorte à ce qu’elle plonge progressivement l’usager dans un univers parallèle : sans pour autant le détacher du monde réel, l’hétérotopie le propulse dans une sphère fictionnelle exclusivement vouée à la fonction que l’architecture doit assurer. Bien évidemment, la force d’une architecture réside dans sa capacité à procurer le cadre idoine à cette fonction. Elle doit donc répondre à des besoins d’ordre spatial, fonctionnel et sensitif : elle doit prendre en considération comment cette fonction va être pratiquée et comment sera l’insertion de l’usager dans l’espace. En d’autres termes, elle doit être une hétérotopie construite sur la base d’un imaginaire concordant avec la nature de sa fonction ou vocation. Cette corrélation entre la fonction et ce que recueillera l’architecture comme imaginaire est sur quoi Campodonico a construit son hétérotopie. En appréhendant l’architecture comme un langage et en se servant des trois formes linguistiques qui la composent (la symbolique des formes, des ressentis et sensations que l’espace provoque, de l’histoire orale qu’on a associée à l’identité du lieu…), il a pu générer un lieu qui, d’une part, incorpore tout l’imaginaire que lui a construit sur comment cette architecture doit fonctionner et dialoguer, et d’une autre, qui stimule la perception de l’usager pour que ce dernier projette sur cet espace un imaginaire analogue à celui que le concepteur souhaite transcrire. Par conséquent, il est nécessaire de souligner que cette analogie est fondée sur un imaginaire collectif permettant d’avoir des conceptions partagées sur les propriétés dont devrait disposer un lieu voué à une fonction ou une vocation particulière. Ce qui nous amène au deuxième sujet d’étude qui est le rôle de l’imaginaire collectif et de l’hétérotopie dans la construction de notre perception architecturale.

2 -L’imaginaire collectif et la construction de la perception : entre une réalité avérée et une illusion plausible : De ce qui précède, nous comprenons que l’objet architectural est à la fois une coque recueillant une hétérotopie et un portail permettant d’y pénétrer. Il est cette conjoncture liant l’irréel au réel. Aussi, nous avons compris que l’hétérotopie n’a pas de forme figée. Elle oscille entre l’image imaginée par le concepteur et celle construite par l’usager. Et comme l’architecture est un langage, il existera toujours une différence entre ce que le concepteur souhaite énoncer, ce qu’il énonce et ce qui est compris de son énoncé. Cette variabilité caractérisant l’image de l’imaginaire est relative à plusieurs facteurs d’ordre subjectifs (l’imagination, le vécu, la culture, la psyché…). Toutefois, sa conformation reste dépendante d’une constante figée qui est : « l’imaginaire collectif ».

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L’imaginaire collectif est, par définition, cette image mentale commune qu’un ensemble d’individus construisent et partagent sur une même chose. Cette image peut être propre à un groupement réduit comme elle peut être partagée universellement. Cette notion est assimilable à celle du « doxa » chez les Grecs. Cette dernière renvoie à l’ensemble des opinions couramment admises, des croyances largement partagées, des savoirs informels diffusés au sein d’une communauté socio-historique et culturelle donnée. Selon le philosCornélius Castoriadis, l’imaginaire collectif est cette puissance anonyme, commune et immotivée de faire être des significations d’où vont découler aussi bien les structures symboliques, les articulations spécifiques de la société (économie, droit, politique, religieux...) que le sous-bassement de ce qu’elle considère comme rationnel ou fonctionnel. Pour lui, elle est le fondement même du social historique et de la psyché. Sur la base de tout cela, nous pouvons dire que l’imaginaire collectif est cette perception commune que nous portons sur une réalité partagée. En relativité avec la perception architecturale, l’imaginaire collectif se manifeste sous deux formes : • L’image que nous construisons sur ce que doit être une architecture (selon une vision générique). • L’image que nous portant sur l’identité de cette architecture. La première forme désigne cette image subconsciente que nous portons sur ce que devrait être, a priori, une certaine architecture. Elle est un archétype manifesté sous forme d’une image conceptuelle fragmentée. Elle désigne l’ensemble des propriétés que doit incarner cette architecture relatives à sa fonction, sa vocation ou sa stature (cette révérence qu’inspire un lieu sacré, cette odeur de menuiserie présente dans les ateliers d’ébénistes, cette configuration spatiale que nous retrouvons dans les grandes surfaces…). Aussi, elle est une forme d’image anticipée que nous construisons sur une entité architecturale que nous n’avons pas physiquement visitée. Dans ce cas de figure, cette construction se fond soit sur des images visualisées du lieu ou bien de ce qu’on a entendu dire sur lui. Cet archétype, qui se manifeste comme une perception architecturale anticipée, sera la référence sur laquelle se construira notre réelle perception : dès notre interférence avec l’architecture, nous commençons instinctivement à identifier les propriétés spatiales, formelles ou sémantiques que notre subconscient considère comme élémentaire à cette dernière. Ainsi, nous commençons à voir si elle est conforme à l’image de nos expectations, si elle incarne les propriétés qu’elle est censée recueillir, si certaine de ses propriétés se manifestent d’une manière prononcée… À travers ces comparaisons, nous arrivons à définir les qualités et les défauts de cette architecture et construire notre propre perception sur elle.

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La deuxième forme manifestant l’incidence de l’imaginaire collectif sur notre perception est, comme cité, cette image commune et même universelle que nous portons sur des architectures ou des lieux particuliers. Généralement, cette conception commune naît d’un ressenti partagée vis-à-vis de ces lieux et leur symbolique : ce ressenti d’émerveillement que nous éprouvant envers des édifices connus comme les pyramides, la tour Eiffel ou la statue de la liberté, ce regard nostalgique porté sur des lieux qui ont accueilli des évènements (la place Tahrir pour les égyptiens, le World Trade Center pour les américains…), cet enthousiasme qu’éprouve un croyon en visitant un lieu qu’il considère sacré… À l’encontre du premier cas de figure où l’imaginaire collectif sert d’archétype permettant de structurer la construction de notre perception, dans ce second cas, l’imaginaire collectif construit cette dernière : sans pour autant interférer avec l’entité architecturale, notre perception sur cette dernière se construit initialement sur la base des conceptions émanant de ces présomptions et de ces conceptions largement diffusées. Lorsque nous rentrons en dialogue avec cette entité, on ne substitue pas cette perception d’elle mais plutôt on la réajuste. Seulement lorsque cette perception déjà construite est en opposition radicale avec la réalité, que nous l’effaçons pour construire une nouvelle basée sur des facteurs plus consistants, des facteurs subjectifs propres à nous. Voyons maintenant l’empreinte de ces facteurs subjectifs dans la construction de notre perception.

3 -L’architecture comme production hétérotopique fruit d’une projection d’images poétiques : Comme cité en début de ce travail (p.17), notre réalité commune nous la percevons tous différemment. Nous avons expliqué que cela est dû au fait que la construction de notre perception se base sur des données communes et d’autres propres à chacun de nous. Aussi, le traitement de ces données se fait sur la base de notre cognition qui, elle, s’érige sur des facteurs variant d’une personne à une autre, des facteurs tel le vécu, la culture, le raisonnement, l’imaginaire... Nous avons bien fait savoir que ce dernier joue un rôle prééminent dans la construction de notre perception architecturale. Si l’imaginaire joue un rôle probant dans cette construction c’est parce que, d’une part, c’est de lui d’où l’architecture éclot, et d’une autre, parce qu’il est ce que cette architecture manifeste. Comme expliqué, cette dernière est une coque recueillant entre ses parois un certain imaginaire. Ce dernier ne se déploie qu’à travers notre dialogue avec cette entité architecturale. La forme qu’il incarne se veut être soumise à la lecture et l’interprétation que l’usager fait des différentes dimensions de cette entité. C’est pourquoi, nous pouvons considérer l’architecture comme une interface dans laquelle il est possible de projeter un imaginaire et de s’y insérer.

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Cet imaginaire projeté, comme nous venons de le mentionné, est relatif à comment nous lisons et nous interprétons l’entité architecturale. Il peut donc être à l’image de l’imaginaire que l’entité architecturale est censée recueillir, comme il peut incarner une forme qui est en opposition avec cette image. Cette forme d’hétérotopie la définit Foucault comme des contres-espaces. Il dit : « Ces contre-espaces, ces utopies localisées, les enfants les connaissent parfaitement. Bien sûr, c’est le fond du jardin. Bien sûr, c’est le grenier ou mieux encore la tente d’indiens dressée au milieu du grenier, ou encore c’est - le jeudi après-midi - le grand lit des parents. C’est sur ce grand lit qu’on découvre l’océan, puisqu’on peut y nager entre les couvertures ; et puis ce grand lit, c’est aussi le ciel, puisqu’on peut bondir sur les ressorts ; c’est la forêt, puisqu’on s’y couche ; c’est la nuit, puisqu’on y devient fantôme entre les draps ; c’est le 22 plaisir enfin, puisque à la rentrée des parents, on va être puni ».

22 - Michel Foucault, Des espaces autres, article écrit en 1967et publié en1984, In Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, pp. 46-49.

Bien évidemment, notre discours ne porte pas ici sur ces conceptions chimériques ou fantastiques qui naissent subitement de ce que l’architecture provoque en nous. Nous parlons plutôt de ces images que nous construisons consciemment sur l’espace, ces rêveries fruit de notre imagination qui font la singularité de notre lien relationnel avec le lieu et l’architecture. Nous parlons de ce que Bachelard qualifie « d’images poétiques ». Selon Gaston Bachelard, nous parlons d’image poétique quand l’image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l’âme, de l’être de l’homme saisi dans son actualité. De cet aphorisme, nous comprenons que quoique la conformation de cette image soit un acte délibéré régi par notre imagination, elle reste tout de même soumise à des facteurs subjectifs et à des occurrences circonstancielles. D’une manière plus directe, la construction de l’image poétique est soumise à notre imagination, à notre personnalité, à nos sensations, à nos gouts, à nos prédilections, à notre passé et à notre état d’âme à l’instant de cette construction. Bachelard nous explique que cette conformation ne suit pas une dynamique bien précise et n’obéit pas à des rapports de causalité. Elle est plutôt une construction erratique et anarchique irrationnel. Il écrit : « L’image poétique n’est pas soumise à une poussée. Elle n’est pas l’écho d’un passé. C’est plutôt l’inverse : par l’éclat d’une image, le passé lointain résonne d’échos et l’on ne voit guère à quelle profondeur ces échos vont, se répercuter et s’éteindre. Dans sa nouveauté, dans son activité, l’image poétique a 23 un être propre, un dynamisme propre. Elle relève d’une ontologie directe ».

23 - Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Les Presses universitaires de France, 1957, pp. 08.

Comme nous pouvant le constater, ce sont principalement des facteurs subjectifs qui donnent naissance à cette forme d’hétérotopie. Beaucoup d’entre eux sont essentiellement lié à la notion temps (dans toutes ses formes). Nous citons : la nostal-

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gie, notre mémoire, la mémoire du lieu, notre état d’âme à l’instant de notre dialogue avec le lieu, notre imagination et notre manière de réfléchir relatives à notre âge… L’incidence directe et indirecte qu’a la notion temps sur ces facteurs reflète le rôle considérable qu’elle a dans la formulation de l’hétérotopie et de l’image poétique. Voyons donc à quel point le rôle du temps est structurel dans cette formulation.

4 - le facteur temps et l’aspect mutant de L’hétérotopie : Tout au long de ce travail, nous avons pu contempler l’incidence profonde qu’a le facteur temps sur l’architecture et sur la lecture et l’interprétation que nous faisons d’elle. Il imprègne l’apparence formelle de cette dernière, la pensée derrière sa genèse, ce qu’elle préserve comme mémoire, notre dialogue avec elle... Et comme nous venons de voir, il imprègne même l’imaginaire engendrant l’hétérotopie que nous construisons sur l’espace.

22 - Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 2000, pp. 122.

A contempler comment l’image de l’hétérotopie se transmute perpétuellement depuis l’enfance, en passant par l’adolescence, puis la jeunesse et jusqu’en arrivant à la vieillesse, nous constaterons à quel point l’incidence du temps sur cette formulation est profonde. Étant petit, notre petit corps se retrouve soumis à l’échelle grandiose de la chambre. Dans notre imaginaire, le jour, cette dernière est un univers recueillant nos rêveries d’enfant. Le soir, elle devient théâtre de nos cauchemars et le refuge où se cache le monstre habitant sous le lit. Plus on grandit, plus l’échelle de cette chambre rétrécit, et nos amis imaginaires disparaissent. À l’âge de l’adolescence, notre chambre devient notre petit monde intime et le recueil de nos petits secrets. En quittant la maison des parents jeunes, cette chambre devient ce cordon empêchant la scission avec la notion du « chezmoi ». En quittant le nid familial, elle devient alors le recueille de souvenirs nostalgiques, des souvenirs qui s’effaceront petit à petit à travers le temps. Sur ce, Perec écrit : « Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n’y aura plus écrit en lettres de porcelaine blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière : « Ici, on consulte le Bottin » et « Casse-croûte à toute heure ». L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes ». À travers ces lignes, Georges Perec nous conte ce que représente l’espace pour lui et ce qui érode leur lien. Pour lui, l’essence de ce dernier réside dans ce qu’il préserve comme souvenirs nostalgiques. Ces dernières sont des images gravées

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dans notre mémoire et resurgissent lorsque notre imagination les projette sur l’espace. Mais, le temps affecte la mémoire et efface certains de nos souvenirs. Ainsi, l’hétérotopie que nous projetons sur l’espace devient un simulacre de ce qu’était sa réalité autre fois. Pour Perec, le temps non seulement frelate l’espace, mais il l’abolit. Il écrit : « J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources : mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts… De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête ». 24 En se référant à certaines notions discutées tout au long de ce travail, nous allons trouver que cette idée énoncée par Perec semble être plausible. Or, comme nous l’avons fortement manifesté, l’identité architecturale ne se résume pas seulement en ce qu’elle incorpore comme réverbérations du passé. Elle est une composition hétéroclite comprenant plusieurs dimensions : elle est à la fois un objet personnifiant un idéel et l’idéel que cet objet personnifie. Elle est un lieu physique recueillant des pratiques spatiales et des actions un sensibles et symboliques. Elle le théâtre recueillant la mémoire d’un passé, d’un présent et d’un futur. En relativité avec cela, Gaston Bachelard écrit : « Dans ce théâtre du passé qu’est notre mémoire, le décor maintient les personnages dans leur rôle dominant. On croit parfois se connaître dans le temps, alors qu’on ne connaît qu’une suite de fixations dans des espaces de la stabilité de l’être, d’un être qui ne veut pas s’écouler, qui, dans le passé même quand il s’en va à la recherche du temps perdu, veut « suspendre » le vol du temps. Dans ses mille alvéoles, l’espace tient du temps comprimé. L’espace sert à ça ». 25

24 - Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 2000, pp. 122.

25 - Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Les Presses universitaires de France, 1957, pp. 36.

À travers ces lignes, Bachelard nous explique d’une manière poétique que l’espace transforme le temps en souvenirs. Le lieu devient une mémoire vivante d’images nostalgiques conservées entre les parois de l’espace et gravé dans les profondeurs de notre mémoire. Cette mémoire que renferme le lieu n’est autre que celle de ceux qu’ils l’ont pratiqué. Le temps qu’il transmute n’est autre que ces expériences spatiales que ces derniers ont vécues au cinq ce lieu. De ce fait, nous pourrons dire que l’architecture est une mémoire vive sauvegardant entre ses parois des chroniques d’un temps passé. Serait-il possible alors de se servir d’elle comme vecteur de postériorité révélant ce qu’elle a témoigné dans un temps jadis ?

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Chapitre iv :

L’architecture comme vecteur de postériorité


introduction : À la lumière des textes précédents, nous comprenons que l’architecture est l’image d’un imaginaire, que derrière ce qu’elle est comme forme et ce qu’elle personnifie comme idéel, se cache une pensée architecturale précise relative à un cadre spatio-temporel particulier. Sa nature discursive a fait qu’on sait toujours servi d’elle comme outil linguistique véhiculant cette pensée architecturale. Si elle est discursive, c’est parce qu’elle incarne dans ses traves les codes d’un langage universel maniant notre perception, un langage basé sur des lois sémiologiques, sémiotiques et sémantiques communes. Pour Lethaby, elle est un langage universel émanant des mêmes origines, une conséquence d’une sédimentation de pensées ancestrales hérédités, et le résultat légitime et prémédité de l’évolutionnisme consécutif que subit la pensée humaine à travers le temps (les croyances, la raison et le raisonnement, les connaissances empiriques, le savoir-faire…), un évolutionnisme relatif à l’évolution des désirs et des besoins humains, à la réalité qu’imposent les propriétés des matériaux de construction et à l’évolution du « style ». Comme notion, elle est la personnification d’un imaginaire relatif à un espace-temps. Comme objet, elle est l’interface sur laquelle le temps grave son passage. Comme lieu, elle est le théâtre où se succède une série d’événements dans le temps, un recueil de souvenirs nostalgique et un champ d’événement à venir, une mémoire vive qui témoigne du passé, du présent et du futur. Comme outil linguistique, elle est un vecteur révélant et communiquant ces phénomènes vivants latents en elle retraçant l’histoire derrière ce qu’elle est comme identité. Clairement, nous clamons que l’entité architecturale incorpore en elle toute cette série de faits et d’événements relatifs au facteur temps et qui ont amené à la formulation progressive et consécutive de l’imaginaire faisant son identité. Cette corrélation entre le temps, ce qu’il incorpore comme histoire (mémoire du lieu), ce qu’il inspire comme imaginaire et l’entité architecturale, fait de cette dernière non pas une simple image statique qui nous réfère à une période dans le temps, mais plutôt une projection qui défile constamment et subliminalement l’ensemble des phénomènes discursifs qu’elle incorpore en elle et qui se sont succédées tout au long de son cycle de vie. D’une manière plus simple, nous clamons que l’architecture est un vecteur de postériorité pouvant redonner vie à un passé antérieur.

Fig.216 : Film dans lequel le héros emmène avec lui sa maison dans une aventure parce que les souvenirs nostalgiques que recueil cette maison sont tout ce qui lui reste.

[216]

Affiche du film « Up » Pete Docter, 2009

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L’usage de l’architecture comme vecteur de postériorité n’est pas un fait nouveau. Les archéologues et les historiens l’ont toujours appréhendé ainsi. En fait, le vaste savoir que nous avons sur les anciens, nous l’avons culminé essentiellement à partir de l’héritage architecturale qu’ils nous ont laissé : nous savons que les aztèques étaient de grands astrologues car leurs Caracols (observatoires astrologiques) dévoilent que ces peuples avaient des connaissances avancées concernant le fonctionnement du système solaire et du positionnement des étoiles. Nous savons que les égyptiens avaient des connaissances poussées en mathématiques et en géométrie puisque les dimensions et proportions de la grande pyramide de Gizeh ont été définit sur la base d’une conaissance du nombre d’or, de Pi et de la valeur du mètre. Nous savons que le royaume des nabatéens s’étendaient jusqu’à la péninsule d’Arabie car le type d’architecture présent à « Madain Saleh » (constructions taillées sur la roche) en Arabie saoudite est authentique à celui de « Petra » en Jordanie… Toutefois, malgré tout ce que l’architecture incarne en elle, elle ne nous dévoile que des fractionsde savoir. Ces fractions ne nous permettent de construire qu’une réalité fragmentée ou spéculative relative à cette architecture et à son histoire. Par conte, aboutir à une connaissance véridique ne peut se faire que si on dispose de tous les éléments de puzzle constituant cette dernière. Bien sur, ici nous ne remettons pas en question notre postulat disant qu’il est possible de déceler tout ce qui est latent en une architecture. Nous disons seulement que cette dernière ne révèle pas amplement tout ce qu’elle incarne, et certainement pas d’une manière ostensible. Pour déceler ce qui est latent en une architecture, il faut qu’elle dévoile ses dimensions cachées. Seule la lecture et l’interprétation que nous faisons d’elle permettra cela. Cela signifie que ce que l’architecture nous révélera sera soumis à notre perception. Ici, ce n’est pas le caractère subjectif de la perception que j’essaie de souligner (le libre arbitre), mais plutôt le fait que même si on essaie de voir les choses objectivement et avec un œil averti, chacun de nous verra les choses selon une perspective particulière et selon sa propre optique. Reprenons l’exemple de la pyramide de Gizeh : les architectes et les ingénieurs liront en cette dernière des indices relatifs aux modes constructives employés par ses bâtisseurs. Les mathématiciens verront les bases géométriques que ces constructeurs avaient adoptées pour conceptualiser cette pyramide. Les égyptologues et archéologues relèveront des indices relatifs à la période dans laquelle cette pyramide avait probablement été construites… Étudier ces indices d’une manière séparée ne va pas révéler grand-chose, par contre, les aborder comme un ensemble corrélatif constituant un même puzzle, nous permettra de formuler une image plus lucide sur cette pyramide. Et pourtant, sans effectuer une lecture accomplie et perspicace d’elle, ses mystères resteront abscons. Effectuer une telle lecture nécessite l’élaboration d’une une méthodologie d’analyse pragmatique permettant, d’une part, de faire resurgir ce qui est latent d’une architecture, et d’une autre, qui permet le décryptage de ces données voilées.

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II - Les vestiges du passé scellés dans les formes linguistiques architecturales : Comme expliqué, l’architecture est un recueil d’actions vivantes retraçant l’histoire derrière l’imaginaire qui a forgé son identité. Pour reconstruire cet historique et le revisiter, il faut pouvoir le disloquer de cette entité qui l’incorpore. Pour le faire, Il faut que cette dernière révèle ses différentes dimensions, puis, il nous faudra décrypter ce qui est scellé en elles. D’où la nécessité du recours à une méthodologie permettant une lecture et une analyse objectives, perspicaces et judicieuses de l’architecture. Nous estimons qu’à travers une compréhension lucide de l’anatomie du corps architectural et de son mécanisme de fonctionnement, qu’en appréhendant l’architecture comme outil linguistique acquérant sens de ses trois formes linguistiques, et qu’en prenant en compte le rôle patent de l’imaginaire dans la formulation de l’identité architecturale et de notre perception, il nous sera possible de desceller ce que l’architecture nous cache. Nous estimons qu’en employant les notions abordées dans les chapitres précédents, il nous sera possible d’élaborer la méthodologie recherchée. Alors sur quoi consiste cette dernière? Comme on ne cesse de le répéter, l’architecture est une forme exprimant une pensée. Sa corporalité résulte de l’agencement d’un ensemble de composantes formelles. Ces dernières sont le fruit d’une réflexion dans laquelle le concepteur agence un ensemble de scénarios permettant d’aboutir à la réponse qui répond le mieux aux enjeux qu’il doit concrétiser et aux problématiques qu’il doit surpasser. Ces composantes sont donc des réponses à des questionnements posés. Leur sens réside soit dans leur symbolique, soit dans leurs qualités en matière de fonction et d’usage, ou bien elles sont une conséquence de ce que les différentes contraintes imposent comme réalité. Dans le chapitre I, nous avons comparé ce processus à celui de l’élaboration d’un puzzle : nous avons expliqué que l’architecture n’est pas uniquement la forme finale qu’elle manifeste, mais plutôt tout ce processus qui a amené au choix derrière ses dimensions, aux formes qui les personnifient et à la manière avec laquelle on les a agencés. Nous estimons qu’en décomposant l’architecture en dimensions et en défragmentant ses composantes, il nous sera possible de comprendre les raisons justifiant chaque choix de composition, chose qui révélera plusieurs faits relatifs à cette entité architecturale et à son histoire. Par conséquent, avant d’entamer ce processus, il faut d’abord s’attaquer à l’analyse de cette entité architecturale comme étant une unité faisant partie d’un ensemble relatif à un cadre spatio-temporel particulier. Cela rendra son étude plus accostable et révèlera, d’une manière lucide et raisonée, ce qu’elle dissimule comme connaissances, des connaissances qui seront la clef pour aboutir à des évidences permettant de reconstruire le passé. Par exemple, en visualisation l’évolution chronologique et consécutive des productions architecturales d’une société, on pourra deviner comment cette dernière a évolué à travers le temps. Les illustrations suivantes sont l’exemple patent de ces dires :

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Fig 217, 218 et 219 : Bâtiments coloniaux à l’image des édifices espagnols visant à imposer la suprématie du collant dans le nord du Maroc.

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[218]

Bab Agnou Marrakech, VIIe siècle, Maroc

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Bab Lamrissa Rabat, XIII Siècle, Maroc

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Mosquée Tinmel Tinmel, 1153, Maroc

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Tour Hassan Rabat, 1196, Maroc

[225]

[219]

Fig 220, 221 et 222 : Images illustrant l’importance accordée à l’architecture des entrées de villes principales au Maroc à l’ère médiévale .

[220]

Bab Mansour ElAlj Meknès, VXIIIe siècle, Maroc

Fig 223, 224 et 225 : Architectures révélant à quoi ressemblait la production architecturale marocaine à l’ere médiévale.

[223]

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Medersa Ben Youssef Marrakech, 1350, Maroc


Fig 226, 227 et 228: Architectures illustrant l’aspect brutaliste qui caractérisait de nombreuses productions architecturales lors du 20e siècle.

[226]

[227]

[228]

Fig 229, 230 et 231: Images illustrant des productions architecturales d’une nouvelle vague d’architectes contemporains révolutionnant la scène architecturale marocaine.

[229]

[230]

[231]

Fig 232, 233 et 234: Architectures illustrants l’image du dessein politique que l’état souhaite promulguer du Maroc de demain.

[232]

[233]

[234]

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Lire et analyser l’architecture selon un œil avisé implique la prise en considération aussi des indices peu évidents, mais qui peuvent présenter des pistes potentielles disloquant un certain savoir. Prenons le Cromlech de M’zora comme exemple, ce complexe mégalithique situé dans les provinces d’Asilah regorge de mystères. Sa forme circulaire, son échelle, la matérialité de ses monolithes et leur disposition sont intrigantes. L’absence d’indices historiques sur ce monument fait que son histoire soit incognoscible. Or, en prenant en considération ses similitudes aberrantes avec d’autres cromlechs du monde, on pourra initier nos investigations en suivant une première piste disant qu’il existe forcéemment un lien entre ces différents sites. Cette piste nous ouvrira sur plusieurs hypothèses : est ce que les bâtisseurs de ces complexes étaient les mêmes ? Est-ce qu’ils sont propre à une civilisation particulière ? Est-ce que leur fonction est relative à un culte ? Est-ce que les peuples qui ont vu naitre ces cromlechs vénéraient tous les mêmes divinités malgré les milliers de kilomètres qui les séparaient ? Est-ce que derrière chacun de ces cromlechs une légende fantastique ? (On raconte que le cromlech de M ‘zora, par exemple, est la tombe du géant Anthée, fils de Gaïa et de Poséidon qu’Hercules avait tué dans une confrontation).

Fig 235, 236, 237 et 238 : Sites partageant la même forme architecturale mais qui se situent dans des zones géographiques différentes.

[235]

Cromlech de M zora [236] Village Chouahed, Asilah, Maroc

Cromlech des Almendres Nossa Senhora, Évora, Portugal

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Cromlech Stonehenge [238] Nossa Senhora, Wiltshire, Royaume-Uni

Cromlech Drombeg Drombeg, West Cork, Irland

Ce combat avait eu lieu à Lixus. C’est dans cette dernière où se trouvaient le jardin des hespéridés d’où Hercules cueillit ses pommes d’or. C’est dans ce même lieu où il rencontra Atlas, le titan qui portait les cieux sur ses épaules (de qui les montagnes de l’Atlas tirent leur nom). Un œil avisé portera à notre attention que les fameuses scènes de la mythologie grecque ont eu lieu dans des sites effectifs situés au Maroc (Lixus, Tingis, Tamuda, grotte d’Hercules…) et que les vestiges de ces derniers rapportent eux aussi ces légendes à travers les gravures, les représentations de mosaïques et la tradition orale liée à ces lieux. Cela nous poussera, d’une part, à requestionner la part du mythe et celle de la réalité dans ces histoires, et d’une autre, à investiguer, l’influence de la culturelle libyque (Berbère) sur la mythologie grecque (à savoir que Poséidon est un dieu amazigh vénéré largement dans la Libye antique).

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Fig.239, 240, 241 et 242 : Images illustrant des lieux antiques effectifs qui sont le théâtre de plusieurs histoires appartenant à la mythologie grecque. [239]

[240]

[241]

[242]

La Maroc, à cette époque, vu sa situation géographique, et vu les mythes qui lui ont été associé, était une terre que les civilisations avoisinantes n’osaient pas explorer, ou plutôt n’osaient pas envahir. Et pourtant, il était une terre où les cultures s’interferaient et se fusionnaient. Ces interactions se lisent principalement à travers les diverses religions auxquels les amazighs ont adhéré. Dans la période antique, ils étaient un peuple païen. Sous le règne romain, certains d’entre eux se sont converti au christianisme. Aussi, dans la même période, l’interaction avec les commerçants juifs venant de l’Ibérie a donné naissance à une communauté juive amazighe. Après la conquête musulmane du Maghreb, la société s’est islamisée. Les différents édifices historiques religieux présent attestent de ces faits, mais ils révèlent aussi d’autres vérités : la date d’édification de la première mosquée (mosquée Sidi Chiker dont la construction remonte au premier siècle de l’hégire) révèle que l’islam avait pénétré au Maroc bien avant la conquête arabe. L’architecture soulignée de la mosquée de Tinmel indique que ce village était un centre religieux et militaire important à l’époque. Les innombrables synagogues que nous retrouvons dans les différentes médinas du pays attestent que les Juifs marocains étaient une communauté intégrante de la société marocaine. Par contre, les églises qui ont été construites dans la période du protectorat reflètent non pas le cadre socio-culturel de la société, mais plutôt le cadre socio-politique de l’époque. Fig.243, 244, 245 et 246 : Images illustrant des lieux antiques effectifs qui sont le théâtre de plusieurs histoires appartenant à la mythologie grecque. [243]

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Ce cadre socio-politique se lisait manifestement sur les façades des nouveaux édifices de l’époque. Dans le nord du pays, les colons espagnols bâtissaient des édifices à l’image du tissu urbain espagnol. Les Français faisaient de même. Ces productions architecturales ont induit à une métamorphose radicale de l’image urbaine des villes marocaines. Ces productions manifestaient, d’une manière éloquente, la volonté politique des colons d’affirmer leur gouvernance et leur suprématie sur ces terres et cela en assujettissant l’identité visuelle des villes à la leur.

Fig 247, 248 et 249 : Bâtiments coloniaux à l’image des édifices espagnols visant à imposer la suprématie du collant dans le nord du Maroc.

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Fig 250, 251 et 252 : Figures illustrant certains bâtiments coloniaux casablancais qui ont participé à la genèse d’un nouveau tissu urbain à l’image de la ville européenne.

Toutefois, pour rendre à César ce qui est à César, nous devons préciser que pas toutes ces productions coloniales relevaient du despotisme politique. L’administration coloniale veillaient à ce que les édifices à caractère étatique renvoient une image identitaire marocaine. Ce qui a donné naissance à un style nouveau joignant les propriétés esthétiques de l’architecture marocaine et les principes architecturaux et constructifs de l’architecture moderne.

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Fig 253, 254 et 255 : Bâtiments coloniaux d’une architecture de style « moderne » incorporant des propriétés esthétiques propres à l’architecture marocaine traditionnelle.

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Bureau de la Poste Rabat,1910 , Maroc

En paralléle, cette lecture contextuelle des productions architecturales ne révèle pas uniquement des données relatives à ses concepteurs ou commanditaires, elle reflète aussi des propriétés propres à la société de l’époque. Par exemple, si on énumère le nombre de salles de cinéma qui ont été construites à l’époque, et si on analyse la qualité architecturale qui les caractérisaient, on déduira que ces structures étaient d’une grande importance dans la vie des jeunes de l’époque.

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Fig 256, 257 et 258 : Centres cinématographiques construits dans la période coloniale dont l’architecture reflète l’intérêt que portaient les jeunes de l’époque au cinéma.

Bien évidemment, l’intérêt derrière cette étude menée tout au long de ces quatre pages était d’exposer en quoi l’analyse exhaustive du contexte spatio-temporel est légitime. Comme nous pouvons le constater, analyser exhaustivement la production architecturale dans son contexte historique, à travers différentes perspectives et d’une manière méticuleuse nous permet de récolter assez de donnes pour avoir une image lucide sur ce contexte spatio-temporel. Uniquement après avoir reconstituer cette image qu’il nous sera possible d’analyser, d’une manière objective et perspicace, l’entité architecturale, car comme nous l’avons bien fait comprendre, c’est de ce cadre spatio-temporel d’où éclot cette entité et c’est de lui d’où elle acquiert son sens. C’est après avoir établi cette étude qu’il nous sera possible d’initier notre méthodologie d’analyse où l’outil architectural est vecteur de postériorité.

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Iii- Les fondements de la méthodologie de lecture et d’analyse : Bien évidemment, la première phase à suivre pour révéler le passé d’une architecture est d’abord l’analyse exhaustive et méticuleuse du contexte spatio-temporel relative à son cycle de vie. Nous insinuons par là qu’il est nécessaire, dans un premier temps, d’étudier le contexte historique dans lequel cette entité a été construite, et dans un second,comment cette entité a perduré dans son temps et comment s’est construit l’imaginaire derrière ce qu’elle est comme identité. Cette «première phase» implique : • Une lecture historique et une compréhension du cadre contextuel (cadre social, politique, culturel …) dans lequel s’est construit cette entité architecturale. • Une comparaison entre cette architecture et les autres édifices qui s’inscrivent dans le même contexte géographique et historique. • La comparaison de cette architecture avec des architectures qui s’inscrivent dans un contexte différent mais qui partagent avec elle plusieurs similitudes. (L’exemple du Cromlech de M’zora p. X). • Une relecture historique portant uniquement sur l’entité architecturale étudiée et qui s’intéresse au : statut qu’elle a dû avoir, les rôles qu’elle a dû jouer, la nature de son lien relationnel avec ses usagers et l’image identitaire que ces derniers portaient sur elle. À travers cette analyse, on pourra constituer l’image lucide du cadre contextuel existentiel dans lequel s’inscrivait l’entité architecturale étudiée. Ce cadre sera les limites qui cadreront notre réflexion et qui la structureront objectivement. Il rendra les donnes intelligibles ostensives et fera resurgir les donnes latentes. Cela rendra le cheminement de l’analyse plus fluide et plus limpide. La seconde phase de ce processus est une phase de désossement. Dans cette dernière, on sera amené à défragmenter l’entité architecturale et la détacher des dimensions qui la composent. Par la suite, on devra éclater chacune d’elles pour désassembler leurs composantes. Revenons à l’exemple du puzzle, comme nous l’avons dit l’architecture représente le puzzle dans son intégralité. Il est à la fois la forme agencée et l’image qui se constitue de cet agencement. Les dimensions sont les pièces de ce puzzle. Tandis que les composantes des dimensions sont ses rouages constituant ces pièces (les fragments d’images, les engrenages permettant les liaisons, la forme…). En ce qui concerne la première partie de cette phase, il est question de révéler l’intégralité des dimensions composants cette entité architecturale. Certaines de ces dimensions sont éloquentes et ostensibles. D’autres feront surface tout au long de l’élaboration de la première phase. Tandis que celles restantes, on sera amené long de l’élaboration de la première phase. Tandis que celles restantes,

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on sera amené à les révéler lors de cette seconde phase. Chose qui n’est pas très évident vu leur nature fluctuante et leur relativité avec à la perception. D’où l’importance d’aborder cette analyse à travers un œil sagace et clairvoyant. Afin de révéler ces dimensions latentes d’une manière objective et efficiente, il sera nécessaire d’analyser l’entité architecturale sur la base des trois formes linguistiques qui la constituent (le langage verbal, le langage des formes et l’architecture comme langage). Or, avant d’initier cela, il est nécessaire d’établir d’abord une étude méticuleuse et absolue de tous les aspects de cette entité. Il faudra donc s’appuyer sur les récits et les contes décrivant cette architecture, les formes sémiotiques composant sa corporalité et sur l’imaginaire commun produit à travers sa sémantique. Il est donc légitime d’effectuer cette analyse selon plusieurs perspectives pour s’assurer qu’on relèvera le maximum de dimensions possible. Par conséquent, nous devons bien préciser que relever l’intégralité des dimensions qui ont constitué l’identité d’une architecture est quasi-impossible vue leur nature fluctuante et indécise. C’est pourquoi, par souci d’objectivité, on doit s’attaquer essentiellement aux dimensions relatives à la mémoire collective. Une fois cet inventaire de dimensions effectué, un second processus s’initie : celui de la décomposition de ces dimensions en composantes. Comme expliqué dans le chapitre I, il existe trois typologies de composantes : des composantes palpables, des composantes sensibles et des composantes éphémères. Ces composantes travaillent en cohésion et formulent la structure d’un mécanisme corrélatif formulant la dimension architecturale ( c’est de ce mécanisme que la dimension acquiert sens et symbolique). Chacune de ses composantes peut avoir un rôle prédominant dans la formulation de la dimension et même de l’identité architecturale. C’est pourquoi, il est nécessaire de décortiquer méticuleusement la dimension architecturale pour relever avec exactitude chacune de ses composantes. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’une même dimension peut se manifester à travers une variété de combinaisons. Il ne faut pas perdre de vue aussi, qu’une même combinaison peut manifester une multitude de dimension. C’est pourquoi, lors de cette seconde phase d’analyse, il est nécessaire de prendre en considération ces paramètres. Si une même dimension est manifestée sous différents aspects, il est nécessaire de relever ces derniers et de décortiquer ses composantes. Aussi, en relevant une composition manifestant une multitude de dimensions, il est nécessaire de le mentionner et de décortiquer, séparément, les facteurs qui ont induit à la formulation de chacune des dimensions manifestées. En conclusion, nous pouvons résumer le processus que nous devons suivre dans cette seconde phase en trois étapes fondamentales qui sont :

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• Une lecture méticuleuse et circonspect de l’entité architecturale. • Une défragmentation de cette entité et le dévoilement des dimensions qui la composent. • La décortication des compositions formulant ces dimensions et de leurs composantes. Une fois cette phase de décomposition établie, on pourra examiner l’architecture dans sa forme microcosmique et macrocosmique. C’est comme si on avait l’accès illimité permettant d’étudier palpablement et intégralement, à la fois, l’anatomie du corps d’un individu, sa psyché et son vécu. C’est comme si on avait la possibilité de voir cette entité architecturale à travers un œil omnivoyant exposant ce qui intérieur en elle. En fait, c’est comme si on avait sous nos yeux le puzzle explicitant où les composantes architecturales seront placées et comment elles seront appariées. Comme vous pouvez le comprendre, cette défragmentation offre un champ inconditionné d’opportunité d’étude et d’analyse. Tout d’abord, elle permet d’étudier objectivement les liaisons existant entre les différentes composantes architecturales et leurs conjonctures. Ce qui permet par la suite d’investiguer sur les péripéties qui ont orienté, influencé ou conditionné les différents choix fait par le concepteur menant à cet aboutissement architecturale. Cette compréhension approfondie du sujet d’études amènera par conséquent à faire resurgir de ce dernier d’autres révélations : des révélations relatives aux circonstances qui ont accompagné la formulation de cette architecture, à la pensée et l’imaginaire induisant cette formulation et au cadre spatio-temporel et son incidence sur elle. Comme il est constatable, les démarches adoptées lors de cette troisième phase sont semblables à celles adoptées par un historien ou un archéologue : pour reconstituer l’image du passé, il est nécessaire de dévoiler les vestiges que l’architecture cache en elle. Par la suite, il faudra les épouser de la poussière qui les recouvre pour pouvoir les analyser lucidement et d’une manière exhaustive. Ce n’est qu’après avoir effectué ces études qu’on aura collecté suffisamment d’indices permettant de reconstituer les faits passés scellés en cette architecture. Les historiens basent leurs recherches et leurs investigations sur des donnes relevées à travers des études qui s’inscrivent dans différents champs disciplinaires : l’archéologie, l’historiologie, la sémiologie, la codicologie, l’herméneutique, la sigillographie… De même, cette troisième phase de ce processus implique le recours à une telle étude pluridisciplinaire. Par exemple, lorsqu’on aura à étudier la symbolique des formes et des archétypes, on sera amené à établir des études sémiologiques et sigillographiques (études des signes et des emblèmes propres

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à une civilisation, une monarchie, une secte…). En étudiant les textes historiques traitants de cette entité architecturale, on sera amené à établir des études linguistiques et herméneutiques (théorie de lecture et d’interprétations de textes anciens). Par conséquent, étant donné que cette analyse porte uniquement sur l’entité architecturale, il est évident qu’elle doit reposer légitimement sur une approche purement architecturale : on ne peut prétendre étudier une entité architecturale sans pour autant étudier les codes formels, spatiaux, sémiotiques et morphologiques qui la constituent, et on ne peut étudier ses codes sans étudier ses tracés régulateurs, le style dans lequel elle s’inscrit, sa morphologie… C’est pourquoi l’outil dessin sera un outil légitime et indispensable dans cette phase. Comme ses prédécesseurs, cette phase doit suivre aussi un cheminement progressif, précis et constructive. Or, vu le taux considérable d’informations à traiter, les multiples investigations à mener (études et analyses) et la nécessité d’effectuer incessamment des analyses échelonnées partant du général au spécifique, de la macro au micro et vis vers ça, énumérer toutes les étapes à effectuer lors de cette phase ne peut être possible. Par conséquent, on se contentera d’expliciter le cheminement graduel qui doit être suivi lors de cette phase pour aboutir à nos fins : 1 - Une relecture ciblée du cadre circonstanciel dans lequel s’est construit l’entité analysée. Cette relecture vise essentiellement à étudier les circonstances derrière l’émergence de cette entité architecturale. D’une manière plus directe, elle vise à soulever les enjeux et problématiques réels qui ont suscité le besoin derrière cette architecture. 2 - Analyse de l’entité architecturale comme étant une « réponse » aux enjeux et aux problématiques soulevées. Dans cette analyse on étudiera la nature des réponses données par rapport aux questionnements posés. Cette étude sera le portique par lequel on pourra analyser la forme de pensée relative à son contexte historique. 3 - Une étude approfondie portant sur chaque composante de l’entité architecturale. Elle vise à investiguer l’origine derrière leur émergence (besoins fonctionnels, besoins esthétiques, besoins symboliques, besoins sensitifs, contraintes particulières, conséquence forcée, résultat chaotique…). 4 - Après avoir élucidé l’origine derrière chaque geste architectural, il nous sera possible, dans un premier temps, de les lister selon la catégorie de connaissance dans laquelle ils s’inscrivent : savoir idéel, savoir empirique et savoir-faire constructif. Cela nous permettra alors de formuler une image transcendante sur la pensée humaine propre au cadre spatio-temporel étudié.

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Dans un second temps, à travers cette compréhension du rôle, du sens et du fonctionnement de chaque composante architecturale, il nous sera possible de constituer une image achevée et lucide explicitant les circonstances et les péripéties qui ont conditionné la réflexion architecturale et qui ont contribué à la formulation de ce qu’elle est comme identité perceptible et discursive. Il nous sera donc possible de retracer l’évolutionnisme qu’a connu cette entité architecturale depuis sa création. 5. Après avoir dévoilé ces innombrables données, on aura à nos mains suffisamment d’indices permettant de construire des théories fondées sur un passé antérieur. Ces indices peuvent nous renseigner sur les multiples faits : l’échelon culturel de la société de l’époque, l’imaginaire culturel qui régnait, les visions politiques adoptées… Aussi, en analysant l’historique qu’a connu cette entité, et en superposant ces indices déjà récoltés, il nous sera possible de reconstituer une chronologie de faits passés dont l’entité architecturale en a été témoin. Comme nous pouvons le constater, cette méthodologie de lecture et d’analyse est d’abord un travail de feuille archéologique et d’investigation à travers lequel on fait resurgir de l’entité architecturale plusieurs indices et témoignages. En assemblant ces derniers, on arrivera à construire une image lucide sur différents faits passés, on pourra approuver ou remettre en cause la véridicité de certaines fait historiques, comme on pourra divulguer certaines vérités qui peuvent changer notre vision sur l’histoire, car comme le dit le poète Octavio Paz, « l’architecture est le témoin incorruptible de l’histoire ». Bien évidemment, nous estimons qu’en adoptant cette méthodologie et en appliquant cette grille de lecture, il nous sera possible d’utiliser l’architecture comme vecteur de postériorité. Or pour valider son efficience, nous devons d’abord la vérifier. C’est pourquoi, nous allons effectuer une étude historique sur l’architecture des mérinides en adoptant cette méthodologie et voir ce que cette dernière peut nous divulguer comme connaissance nouvelle sur cette dynastie et sur cette période historique du Maroc

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Chapitre v :

L’architecture mÊrinide : analyse et relecture


introduction :

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La médersa Al Attarine Cheikh Abou Mohamed ben Kacem el-Mezouar, Fès,1347

On raconte que lorsque le sultan Abou Al Hassan Al Mansour Al Marini vint à Meknès pour consulter une medersa nouvellement édifiée et vit les bulletins des dépenses exorbitantes qu’a nécessitées son édification, il noya ces bulletins dans le Sihrij, regarda son vizir et lui récita ces vers de poésie improvisés à l’instant même : « importe peu si le précieux est dispendieux ***N’a pas de prix ce qui est exquis, et qui, le plaisir de l’œil, assouvit ». Ce cours poème est d’une subtilité incomparable. Il manifeste avec précision le crédo sur lequel s’érige toute la pensée architecturale mérinide : une quéte d’une architecture poétique d’une esthétique soulignée pour laquelle on n’épargne aucun effort. Cette poétique réside au-delà de la splendeur des détails architecturaux soigneusement fait qui se lisent sur l’intégralité de l’édifice. Elle réside particulièrement dans ce sentiment transperçant les esprits faisant du dialogue espace/ usager une expérience sémantique unique.

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Ce ressenti m’avait notablement traversé lorsque j’ai visité pour la première fois Medersat Al Attarine à Fès, et j’avoue, se fit une expérience spatiale unique. Si je dois la décrire, je la comparerais à un voyage ascendant englobant et le dialogue avec le lieu et le parcours que j’ai dû effectuer pour y arriver. Naturellement, lorsqu’on souhaite visiter un édifice particulier, l’envie de le voir dans l’horizon devient pressante. D’une part, pour se rassurer qu’on est dans le bon chemin et, d’une autre, pour se sentir presque arrivé. En allant vers Méderssat Al Attarine, l’expérience était différente. D’abord, se faufiler entre les ruelles analogues de la médina instaurait un sentiment de confu[260] sion. Au sein de ce tissu compact et uniforme, je me sentais perdu dans un labyrinthe sans fin. Rien n’indiquait que j’étais dans le bon chemin. S’ajoute à cela, les marchandises exposées tout au long des ruelles rendaient la lecture des unités de ce tissu encore plus délicate. Elles dissimulaient même le panneau indiquant l’entrée de la medersa. D’ailleurs je pense que sans l’indication d’un individu, je n’allais surement pas la percevoir. Ainsi, au lieu d’avoir une interaction progressive et graduelle avec l’édifice, je me suis trouvé en confrontation brusque et brutale avec lui. Une fois à l’intérieure, j’étais encore plus confus : rien n’indiquait que derrière cet hall d’accueil étroit, se cachait tout un univers. En traversant la porte d’entée intèrieur, j’ai senti que je pénétrait un autre monde. Lorsque cette porte s’est refermé, ce ressenti de scission avec le monde externe s’est accentué. Hormis la scénographie qui était un élément-clef derrière l’instauration de ce ressenti de transition, d’autres facteurs ont stimulé mes mécanismes de perception et ont fait que le ressenti d’être dans un autre univers était plus prononcé. D’abord, c’est cette sémantique qu’instaure l’espace en toi une fois à l’intérieur. En contemplant ses décors géométriques arithmétiques, l’éclat que provoque le contact des rayons solaires avec les surfaces scintillantes du zellige, ce contraste de coloration et d’ambiances qui se lit en comparant les espaces ombrés et celles éclairées… je me suis senti dans un lieu divin d’une sacralité prononcée ( un peu à l’image de la maison de Zeus à l’Olympe tel présenté dans les films). Ce ressenti était relatif aussi aux proportions harmonieuses de l’espace et de leur dialogue parfait avec le corps humain : malgré sa double hauteur assez importante, je ne ressentais pas que l’espace me dominait (ex de la chapelle San Bernard, fig 215 – p.141). Par ailleurs, le silence qui régnait, instaurait lui aussi ce ressenti d’apaisement et de sacralité. Néanmoins, je dois avouer que ce ressenti s’effaça progressivement aux moments où les visiteurs commençaient à venir en masse.

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Lorsque les touristes et leurs guides ont envahi l’espace, ce dernier cessa subitement de déployer sa magie. Lorsque les guides ont commencé à parler, l’espace cessa d’être discursive. Dans ce chapitre et à travers la méthodologie de lecture élaborée, nous allons essayer de disloquer les codes instaurant cette poétique architecturale stimulant notre imaginaire et subjuguant nos sens. Nous allons essayer de dévoiler la pensée architecturale derrière elle, et nous essaierons par la suite de reconstituer une histoire à travers les révélations que va nous apporter cette étude. Par conséquent, avant d’entamer cette dernière, je dois d’abord faire appel à votre indulgence. Comme j’ai insisté à le dire, pour aboutir à des résultats indubitables, il faut que cette étude analytique soit exhaustive et accomplie. Vu la richesse et la délicatesse caractérisant cette architecture, vu ce que cette recherche implique comme travail colossal et vu les délais de dépôts de mémoire qui m’astreignent, je ne peux assurer un travail fini. Toutefois, cela n’appauvrit nullement le travail de recherche considérable que j’ai dû mener lors de cette analyse. Aussi, si je fais appel à votre indulgence, c’est surtout par rapport au caractère abscons caractérisant les données historiques disponibles : devant l’étroite liaison qui existait entre l’Andalousie et la dynastie mérinide, l’échevèlement des différents faits historiques produits dans cette période spatio-temporelle et leur causalité sur la pensée et l’architecture de l’époque, devant la redondance caractérisant les récits arabes témoignant de l’époque, les vides lacunaires des récits historiographiques occidentaux, et l’omission caractérisant les deux, il m’était très délicat de décortiquer le factuel du fictionnel. C’est pourquoi j’estime qu’une grande part de vérité sur la pensée de l’époque ne peut être révélée car elle a été brulé à tout jamais lors de la « Reconquista ».

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Par ces lignes, j’énonce ouvertement que cette analyse impliquera une étude ciblée du contexte géopolitique de l’époque. Elle ne s’attachera pas uniquement à l’étude de la vie religieuse, politique et culturelle de la société sous le règne mérinide, mais elle empiétera aussi sur l’étude de l’incidence directe de ce qui se passait en Andalousie sur les politiques mérinides, et notamment sur leur architecture. Conjointement à cela, nous porterons un intérêt particulier à l’étude de l’art islamique. Nous étudierons l’influence profonde de l’art byzantin et hindou sur ce dernier, ainsi que le rôle qu’ont joué les savons et érudits musulmans dans le perfectionnement de cet art. Dans certains passages, on s’attardera sur des thématiques qui n’ont pas de liens directs avec notre sujet d’études : « l’architecture mérinide ». Dans certains moments, il pourrait vous sembler que nos discours prennent involontairement une tournure disgressive, mais nous vous assurons que seulement en ayant une connaissance inclusive et chronologique des différents faits impactant la pensée qu’on pourra comprendre les rouages suscitant cette dernière. Seule cette compréhension nous permettra de disloquer les codes de l’architecture mérinide et de révéler son immanence. Seulement lorsqu’on déchiffrera les codes de cette architecture qu’elle pourra être notre fenêtre sur le passé.

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Ii - Lecture historique du cadre contextuel relatif à la période mérinide : 1 - Aux origines de la dynastie mérinide : Les mérinides ou les « Banou Marine » sont un peuple d’origine amazighs appartenant, plus précisément, à la tribu Beni Wassin de Zenâta. Plusieurs historiens rapportent que cette famille prétendait qu’ils étaient d’origine arabe. Dans son livre « Kitab Al Ibar -livre des moralités», Ibn Khaldoun relate ces prétentions au fait que les familles Zénète méprisaient [263] l’attitude docile des Berbères vis-à-vis de 26 leurs conquérants. D’autres historiens relatent ce reniement au fléau « d’arabisation » qu’a connu le Maghreb depuis la conquête musulmane. Pour Maya Shatzmiller, le motif derrière le mythe de l’origine arabe des mérinides trouve son sens dans une affaire purement politique. Leur descendance « arabe » donnait 27 légitimité à leur accession au trône. Comme Machiavel, ils avaient compris que le biais de la religion pouvait leur garantir la loyauté des « Amma » (la populace). La première occurrence historique des mérinides remonte à l’an 1196 lorsqu’ils ont combattu, aux côtés des Almohades, l’armée d’Alphonse VIII de Castille dans la fameuse bataille d’Alarcos remporté par les musulmans. Une bataille dans laquelle s’est illustré le nom d’Abdelhak Al Marini à qui l’on doit la fondation de la dynastie. Suite à l’affaiblissement du pouvoir politique, économique, sécuritaire et militaires des Almohades qui s’est manifestement ressenti après avoir perdu tragiquement la bataille « las Navas de tolosa », Abdelhak Al Marini ne voyait plus dans les Almohades les leaders appropriés pour la nation. Profitant de cet affaiblissement, il fonda la dynastie mérinide qui s’empara de Meknès (1244), Fès (1248) et de Sijilmasa (1255) et enfin de Marrakech (1268) où ils mirent une fin définitive à la dynastie Almohades.

26 - Ibn Khaldoun, , - Livre des exemples-, 1379, pp. 147.

‫العرب وديوان املبتدأ واخلرب‬

27 - Maya Shatzmiller, L’historiographie mérinide: Ibn Khaldun et ses contemporains, E.J.Brill, 1982.

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2-le contexte socio-culturel et politique à l’époque mérinide : Les chroniqueurs nous rapportent peu d’informations sur les pratiques sociales et culturelles des Maghrébins dans cette époque médiévale. Toutefois, une relecture des motivations derrière les différentes révoltes éclatées peut nous révéler beaucoup de choses, notamment sur la structure sociétale précédant la période mérinide. Pour bien appréhender cette structure sociétale, nous devons remonter à quelques siècles antérieurs, plus précisément, au VII émé siècle, lorsque l’empire musulman a pu conquérir ce bout du monde appelé « Al Maghrib Al aqsa ». Contrairement à ce qu’on nous raconte, ces conquérants n’étaient pas venus uniquement dans l’intérêt de faire répandre l’islam. La terre des amazighs était, pour les khalifes, une terre pour s’enrichir. C’est pourquoi, leurs politiques étaient ségrégationnistes : non seulement, ils avaient imposé des taxes élevées aux amazighs, mais ils avaient fait d’eux des citoyens de second rang. Ces derniers n’avaient pas le droit d’accéder au pouvoir, on se servait d’eux comme sujets soumis à qui on attribuait les taches les plus ardues et les plus ingrates. On se servait d’eux comme boucliers humains dans les guerres. S’ajoute à cela, les arabes faisaient preuve de cynisme et envoyaient les jeunes femmes berbères en orient comme esclaves sexuelles. Devant ces faits, il était tout à fait normal de s’attendre à une rébellion de la part des amazigh contre les arabes. Dans cette même période, le monde musulman connaissait une grande division. De grandes batailles ont opposé les Omeyyades partisans d’un islam sunnite, et les « Khawarijs » qui adhéraient à un islam shiite. Lorsque ces derniers arrivèrent au Maghreb du nord, leurs idéologies appelant à un islam d’égalité furent largement répondues. Nombreuses tribus amazighes ont adhéré au dogme shiite surtout qu’il contestait toute forme d’apartheid. Cela à déclencher une révolte qui a amené à l’expulsion des représentants des khalifs, et a suscité l’émergence de plusieurs Emirates dont celle de « Bourghwata ». En 789, Idriss premier unifie ces Emirates sous l’ombre d’une législation shiite zaïdite. Son successeur Idriss II unifie le pays autour d’une administration centrale : « le Makhzen ». Deux siècles plus tard, les Almoravides rétablirent l’islam sunnite malikite. Dans l’intérêt de diffuser leur propagande religieuse, ils suivirent une politique d’arabisation. Cette dernière à engendrer un grand décalage social : d’une part, elle a renforcé le statut de la ville en détriment de la bourgade (vu que l’Arabe ne se pratiquait que dans les villes), et d’une autre, elle a favorisé le statut des Arabes citadins en détriment de leurs homologues amazighs. Lorsque les Almohades accédèrent au pouvoir, ils renforcèrent cette politique d’islamisation. Or, à l’encontre de leurs prédécesseurs qui ont favorisé l’arabe, les Almohades nommèrent des khatibs parlant amazigh. Dans son article « l’enseignement sous

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les premiers mérinides », Khanboubi nous explique que cette politique à diviser la société entre deux classes : « al khawas » une élite détenant le savoir culturel et religieux, et «al Amma» les populaces qui se voient dépendant de l’élite pour 28 apprendre et perfectionner leur religion. À cette époque précise, la structure sociale était une structure désagrégée. Le décalage social entre les arabes et les amazighs, les « khassa » et « les amma », les citadins et les ruraux a fait plonger cette société dans une grande crise d’inégalité. Une situation qui favorisait en particulier le clergé. Ce dernier était d’une grande prépotence. En se proclamant défenseurs de la foi de Dieu, les fqihs et les « Oulamas » exerçaient une certaine suprématie sur la société et sur le « makhzen ». En se positionnât de leur côté, l’État était contraint à appliquer les « fatwas » et les sentences de ces oulémas. En s’opposant à eux, ces imames tournaient le peuple contre l’État. Vu ces conditions d’oppression, il était normal que la science, l’art et la culture stagnent, il était normal de voir une société en régression. Et c’est dans l’optique de changer cette réalité sociale que les mérinides ont pris le pouvoir.

28 - Ahmed Khanboubi, L’enseignement sous les premiers Mérinides, Horizons Maghrébins, Le droit à la mémoire, N°7-8, 1986, pp. 62-66.

La montée des mérinides au pouvoir n’était pas saluée au départ, ni par le peuple ni par le clergé. Les gens voyaient en eux des opportunistes qui cherchaient le règne. Le clergé les considérait comme des dissidents qui ont combattu leurs frères musulmans (les almohades). L’opinion publique a vite changé lorsque les mérinides réinstaurèrent la sécurité et la stabilité perdue depuis la défaite des Almohades dans la bataille « las Navas de tolosa ». Celui du clergé resta immuable surtout que les mérinides n’étaient pas des religieux extrémistes comme leurs prédécesseurs. Une lecture consciencieuse des prises de position et des politiques des mérinides va nous faire comprendre que ces derniers étaient plus des patriotes que des religieux. Leur attachement à la religion était, certes, sincère et irrécusable. Ils ont toujours répondu présent à chaque fois que les musulmans d’Andalousie nécessitaient leur aide. Seulement, leur but premier n’était pas de faire répandre l’islam. Leur but était de faire régner l’égalité sociale et de donner un élan culturel au Maghreb pour faire de lui une civilisation aussi puissante et avancée tel l’était l’Andalousie à l’époque. Nous pouvons dire que les mérinides avaient une vision précise du Maghreb qu’ils voulaient à tout prix concrétiser. Dans cette optique, les mérinides avaient instauré plusieurs lois et initié plusieurs chantiers. Les plus marquants de ces derniers étaient la mise en place des mâristâns (centres de santés) et la politique de construction en masse des medersas. À l’encontre de ce qu’on pourrait penser, la dimension religieuse de ces écoles coraniques n’était pas de première instance. Derrière ces médersas, un dessein politique, social et culturel. Les sultans mérinides voulaient faire de ces lieux la source de l’élan culturel de la nation, ils voulaient remédier aux faiblesses culturelles de cette dernière à travers l’enseignement que ces médersas pouvaient procurer.

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Aussi, ils voulaient atténuer les disparités sociales en démocratisant l’accès au savoir. En procurant des logements et des bourses pour étudiants, l’enseignement ne devint plus un luxe puisqu’il devint accessible même pour les plus défavorisés. Par conséquent, cette démocratisation du savoir, a affaibli politiquement le clergé puisqu’il n’était plus l’unique détenteur du savoir religieux.

3 - L’art et l’architecture dans ce contexte spatio-temporel :

[265]

De même qu’il fallait puiser dans le passé pour comprendre la conformation de la structure sociétale maghrébine, on ne peut appréhender congrument l’immanence de l’architecture mérinide (style, mouvement, doctrine…) sans reassembler les brandons de son passé. C’est pourquoi, pour retracer les origines de cette architecture, nous devons revenir quelques siècles en arrière, précisément, à l’an 785, lorsque le sultan Abdrahman Al Dakhil ordonna l’édification de la mosquée de Cordoue. Lorsque ce dernier devint Sultan des Mauresques, son ambition était de faire de sa capitale «Córdoba» un centre aussi rayonnant que Byzance ou Bagdad. Pour cela, il devait la transformer en une cosmopolite connaissant un foisonnement scientifique, culturelle et artistique. Or, pour qu’elle ait un tel renom, elle devait nécessairement, jouir d’un joyau architectural marquant. C’est pourquoi le sultan ordonna l’édification de la mosquée qui devint la référence sur laquelle se sont basé toutes les architectures islamiques. Au-delà du dessein d’offrir à Cordoue un monument iconique qui participera à son rayonnement, plusieurs autres volontés et enjeux ont formulé la pensée architecturale derrière cette mosquée : le besoin d’imposer le statut politico-religieux de la wilaya, le besoin de refléter son échelon culturel… Toutefois, deux de ces nombreux desseins étaient les plus décisifs : le premier est le dessein de transcrire une conception cosmogonique res-

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pectant le dogme islamique. Le second était le désir nostalgique propre au sultan qui voulait que cette mosquée rappelle le palais dans lequel il a grandi à Damas. Ce qui explique l’influence profonde de l’architecture byzantines et hindou qui se lit sur cette mosquée. Parallèlement à cela, nous devons mentionner que le savoir-faire constructif que possédaient les amazighs était d’une grande utilité pour les artisans byzantins venu réalisé cette œuvre exquise. Cette mosquée, par sa beauté inédite, avait révolutionné la pensée architecturale des musulmans de l’époque. Elle a entrainé une politique compétitive d’édification en masse donnant naissance à de nombreux édifices importants que ce soit en Andalousie ou au Maghreb (Alcazar de Séville, Palais El Méchouar de Tlemcen, Mosquée Al Koutoubia de Marrakech…). Aussi, l’apparition des « taifa » (sectes musulmanes d’un courant de pensée différent) a fait qu’il existait différents modes de « penser l’espace » chose qui a enrichi cette architecture mauresque. Cette dernière avait effleuri avec les Almohades. Le foisonnement culturel et scientifique que connaissait l’Andalousie à cette époque se reflétait directement sur l’architecture. Les récits philosophiques d’Ibn Rochd (Averroès) portant sur le rationalisme avaient affiné encore plus cette pensée architecturale. D’ailleurs, il est important de mentionner que sans les traductions faites par les érudits de l’Espagne chrétienne des livres scientifiques arabes, et en particulier celles d’Averroès discutant des pensées d’Aristote et de Platon, les Italiens n’auraient jamais pu accéder aux savoirs qui lui ont permis l’éclot de la renaissance. Aussi, il est nécessaire de citer que c’est grâce à cet éclat culturel et scientifique qu’un édifice tel « le palais Al Hamra » a pu voir le jour. Ce dernier représente le comble de l’architecture mauresque.

Fig 266 et 267: Bâtiments coloniaux d’une architecture de style « moderne » incorporant des propriétés esthétiques propres à l’architecture marocaine traditionnelle.

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À l’ère mérinide, l’Andalousie et sa société jouissaient d’une image et d’un renom hors normes. Dans l’optique de transformer leur nation en une civilisation aussi prospère et avancée, les Banou marines ont privilégié la promotion de l’enseignement, de la science et de la culture. Pour concrétiser cette volonté politique, ils devaientt bâtir. D’une part, pour répondre aux problématiques auxquelles ils se confrontaient, et d’une autre pour que leurs villes soient à l’image de cette volonté. C’est pourquoi, ils ont calqué l’architecture de l’Andalousie et l’ont perfectionné. Les traits de similitudes entre l’architecture andalouse et mérinide sont nombreux. D’abord, ils sont d’ordre esthétique : • Usages des mêmes formes architecturales : la même forme de mihrab que nous retrouvons dans la mosquée de Cordoue sont reprise dans les medersas mérinides.

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Mihrab salle de prière [269] Mosquée Cordoue, Cordoue, 786

Mihrab salle de prière [270] Mdersa Bou Inania de Fès, Fès, 1355

Mihrab salle de prière Mausolée Sidi Abid el Ghariani, Kairouan, 1384

• Usages de chapiteaux similaires : les mêmes chapiteaux ornementant les colonnes de la cour des lions à Alhambra ou dans Alcazar de Séville sont reprises dans les différents édifices mérinides comme Bab Mansour El Eulj, medersa Al Attarine, la medersa de Salé... À noter que nombreux de ces colonnes sont des vestiges d’architectures grecs réutilisés.

[271] Détail chapiteau [272] Détail chapiteau [273] Détail chapiteau [274]

palais Alhambra

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Medersa Al Attarine mosquée de Cordoue

Détail chapiteau medersa de Salé


• Usage des panneaux décoratifs en gypses ou en stuc : dans Alhambra comme dans quasi toutes les medersas mérinides, nous retrouvons un usage abondant des panneaux en gypses ou en stuc incorporant des motifs floraux ou géométriques sculptés ou moulés. Les similitudes sont aussi d’ordre spatial. Un principe récurrent dans ces deux architectures est le fait d’articuler tous l’édifice autour d’une cour centrale. Ce principe est associé à l’architecture islamique en générale. Dans les édifices à vocation résidentielle, il est une réponse à un mode de vie introverti. Il vise à créer, pour la femme, un espace intime (végétal ou minéral) mettant l’extérieur à l’intérieur. Aussi, il permettait de gérer les rapports thermiques au sain de la maison en préservant l’air frais à l’intérieur. Dans les édifices à vocation religieuse, la cour centrale servait pour accueillir une source d’eau (sehrjih, fontaine, bassin d’eau) utilisée, d’une part, pour sa grande symbolique religieuse et d’une autre comme lieu d’ablution. Aussi, il faut signaler que l’architecture mérinide partage avec son homologue ibérique un autre point commun : cristalliser un mysticisme spatial fondé sur une conception religieuse. Les jardins andalous par exemple sont faits à l’image de l’Éden tel décrit dans le Coran et dans les hadiths. D’ailleurs, ces jardins étaient pensé de sorte à ce que le visiteur admire des palettes riche en couleur qu’offrait la flore, et ressente l’agréable parfum émanant d’elle. Et même la faune était introduite pour participer au décor : les paons pour la beauté de leurs plumages et les rossignole pour leurs chants. Chez les mérinides, ce mysticisme était plutôt relatif à un ressenti de révérence, c’est pourquoi, dans leur architecture, la recherche était plutôt axée de sorte à ce qu’on ressente que l’âme céleste du Dieu occupe les lieux. Ce travail de recherche est fortement lisible dans plusieurs medersas où l’usage de la lumière contribue majestueusement à cela. Toutefois, avant de clore cette première phase d’analyse, il est nécessaire de mentionner que, à cette époque, l’art gothique et l’architecture des églises étaient dans leur apogée. Il n’est pas surprenant donc de ressentir une certaine empreinte gotique sur l’architecture andalous, et par conséquent sur l’architecture mérinide. Une influence qui se manifeste par la présence de vitraux colorés dans certaines medersas telle Al Attarine ou Bnou Inania.

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Iii - Les medersas à l’ère mérinide : Lecture, analyse et décortication : 1 - Ce que le langage verbal nous révèle sur l’architecture mérinide : De ce qui précède, nous constaterons que l’architecture mérinide est une progéniture de l’architecture andalouse. Pourtant, elle diffère d’elle dans plusieurs aspects, ce qui est totalement logique puisqu’elle est une réponse à un contexte socio-culturel et politique particulier. Aussi, comme vous l’avez sans doute remarqué, c’est dans les medersas où la beauté de l’art mérinide se révèle le plus. C’est à travers elles que l’art mérinide a atteint son comble. De ce fait, dans l’optique d’étudier cette architecture et l’imaginaire qui l’a construit, et dans l’optique de faire d’elle un vecteur révélateur d’un passé antérieur, cette seconde phase d’analyse se portera exclusivement sur l’étude des medersas mérinides, et portera un intérêt particulier pour medersa Al Attarine et medersa Bou Inania de Fès. Ceci dit, avant d’entamer notre étude sur l’architecture mérinide, comme pensée et comme style, nous estimons qu’il est nécessaire d’exposer d’abord un bref historique sur les medersas mérinides, et cela dans le but d’assurer une appréhension congrue du sujet.

Qu’est-ce que « la medersa » ?

29 - Hamid Triki, Les madrasas et leur rôle à l’époque mérinide, article, 2000, pp. 01.

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La « médersa » est un établissement d’enseignement à vocation religieuse. Elle a comme fonction d’assurer un enseignement de base (apprendre à lire et à écrire à travers l’apprentissage du Coran), un enseignement doctrinal (l’algébre, la géométrie, l’astronomie, la médecie, la jurisprudence...) et d’héberger les étudiants non résidents à proximité du lieu de l’édifice. La première apparition de ce type de structure (tel adopté au Maroc) remonte à l’an 1067, date où le vizir du sultan Seljukide inaugura la « Nidamiya » de Bagdad. Le but derrière cette école était de contrer la propagande de la science shiite enseignée dans des structures similaires appelées « Dar al Ilm » apparues un siècle plutôt en Égypte. Dans son article « les madrasas et leurs rôles à l’époque mérinide », Hamid Triki nous explique : « derrière la genèse de ces medersas, un but bien précis : assurer les fondements du sunnisme par une institution durable, destinée à diffuser l’enseignement des quatre rites orthodoxes : malikites, shaféites, 29 hanbalites et hanafites ». Si nous citons cela, c’est parce que ce désir s’est traduit même spatialement : les medersas de l’orient étaient dotées de quatre « iwans » (salles de cour). Toutes s’articulaient autour d’une cour centrale. Chacune d’elles était destiné à accueillir des cours propres à l’un de ces quatre rites.Cette configuration spatiale a imprégné même la morphologie de la medersa marocaine qui, pourtant, assurait uniquement un enseignement malikite. D’ailleurs c’est cette influence qui explique la présence des couloirs oisifs dans les bords de medersat Al Attarine ou la medersa de Salé, ainsi que la présence des deux salles asymétriques que nous retrouvons dans la medersa Bou Inania.


Aux origines de la « medersa » mérinide: L’apparition de la medersa au Maroc remonte à bien avant l’ère mérinide. Les sources historiques dont nous disposant nous rapportent des faits divergents sur ce sujet : certains chercheurs estiment que son apparition remonte à l’ère des Almoravides et 30 31 des Almohades. Selon Ibn Abi Zar et Al Nasiri, c’est Yacub Al Mansour qui érigea, à Salé, la toute première medersa et qui s’adossait à une structure plus conformiste 32 33 appelée « al ribat ». Selon les dires d’Ibn Batouta et Brunshvig, la toute première medersa fut érigée dans la Qassaba de Marrakech par les Almohades. Selon Abu al Hassan et Abu Marzuk, la medersa était une structure inconnue au Maroc jusqu’à ce que Abu Yusuf Al Yaqub construisît medersat Al Halfaiyin à Fès. Toutefois, tous les historiens s’accordent à dire que la toute première medersa mérinide au Maroc fut construite sous l’ordre du sultan Abu Yussuf qui ordonna la fondation de medersa Seffarin en 1270 à Fès. Vers la fin de ce siècle, cette medersa ainsi que medersa Al Abbadin (construite par le fils d’Abou Yacoub) furent les seules medersas existantes à la fin du XIII siècle. Lors du siècle suivant, et vu l’efficacité de ces structures à servir la science, la religion et le pouvoir, les sultans mérinides adoptèrent alors une politique d’édification de masse de medersa. Lors de leur règne, douze villes marocaines disposaient chacune de leur propre medersa. Fès à elle seule, comptait sept.

30 - Ibn Abi Zar, Rawd al-Qirtās, , XIV siécle, pp. 147.

‫روض القرطاس‬

31 - Ahmad ibn Khalid al Nasiri, ‫االستقصا ألخبار دول المغرب‬ ‫ األقصى‬-Al Istiqsa -, Tome III,1894, p .162. 32 - Ibn Battûta, ‫الرحلة‬, Voyages, Tome III,p .374. 33 - Robert Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, Adrien Maisonneuve, 1940, T.I, p .350.

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Ces medersas du XIV siècle ont toutes été datées. Nous pouvons les répartir en trois groupes correspondants chacun au règne des sultans Abou Said, Abou Hassan et Abou Inan : Medersas construites sous le règne d’Abou Saïd (1320-1325) : 1.La médersa de Fès-Djedid 1320 (Abou Saïd) 2.La médersa Sahrij et annexe 1321-1323 (Abou Hassan) prince héritier 3.La médersa Sbaiyin et annexe 1321-1323(Abou Hassan) prince héritier 4.La médersa de Taza (un peu antérieure) 5.La médersa Attarine 1323-1325 (Abou Saïd) Les medersas construites sous le règne d’Abou Hassan devenu sultan : 1.La médersa de Salé 1341 2.La médersa Mesbahiya Fès 1346 3.La médersa El Eubbad à Tlemcen 1346 Les medersas construites sous le règne d’Abou Inane (1350-1355) : 1.La médersa Bou Inania de Meknès 1350 2.La médersa Bou Inania de Fès 1355

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Parlons maintenons de l’architecture de ces medersas. Comme nous l’avons précédemment évoqué, ces établissements assurent deux fonctions principales : l’enseignement et l’hébergement. Spatialement, le fonctionnement au sein de cet établissement est hiérarchisé selon une configuration spatiale précise comportant ces trois parties : 1. Une cour centrale formant un patio agrémenté d’une vasque ou d’un bassin. 2. Une salle de prières donnant sur cette cour et disposant d’un mihrab. 3. Tout autour sont réparties les chambres pour les étudiants. L’importance de ces trois éléments varie d’une medersa à une autre : • Dans certaines medersas, la partie logement se limite à un rez-dechaussée (comme à Fès-Djedid), dans d’autres, elle s’augmente à un étage (ex. Medersa Sahrij) ou deux (Ex-mesbahiya). D’autres disposent d’annexes destinées à être des maisons d’hôtes pour les parents d’élèves. (Ex. Medersa Sbaiyin). • La fonction principale des salles de prière des medersas est d’abord d’accueillir les cours magistraux encadrés par les enseignants et les oulamas. Pourtant, leur nom est associé plutôt à leur fonction secondaire : « salle de prière ». Cela s’explique par le fait que depuis les temps du prophète, la salle de prière avait une fonction polyvalente (elle accueillait la prière, des auditoires, des cénacles…), c’est pourquoi, dans l’imaginaire commun, la connotation « salle de prière » incorporait en elle toutes les fonctions qui lui sont assujetties. • Certes, les medersas mérinides imitent, en matière de configuration spatiale, les medersas orientales. Toutefois, elle ne dispose pas d’iwans puisque, comme expliqué, la salle de prière suffit à l’enseignement de la seule jurisprudence malékite. Néanmoins, il faut mentionner que médersa Bou Inania est la seule exception puisqu’elle dispose de deux iwans et d’une salle de prière. Cette configuration inusuelle est la conséquence de la volonté politique du sultan Abou Inane désirant construire une medersa majestueuse. Ceci dit, il est nécessaire de mentionner que malgré la grande consécration que les sultans mérinides ont portée pour les medersas, ces dernières étaient tout de même des annexes à des établissements offrant enseignement, en l’occurrence aux mosquées et à l’université al Qaraouiyine. D’ailleurs, l’implantation de ces medersas au sein du tissu urbain témoigne de cela. À l’exception, de la medersa Bou Inania, toutes les medersas se situent à proximité d’une mosquée ou aux alentours d’al Qaraouiyine. Cela ne signifie pas que ces médersas avaient un rôle de second plan, mais indique que leur rôle était de porter aide à ces établissements en les accompagnant et les consolidant dans leur mission. Ceci prouve que les politiques des mérinides émanaient d’une volonté probe et patriotique. Cela l’atteste aussi le fait que ces sultans n’ont pas attribué leurs noms à ces medersas.

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En parlant d’appellation, lorsque ces medersas furent édifiées, leurs commanditaires ne lui ont pas attribués de noms particuliers. Toutefois, les locaux commencèrent à les désigner par la caractéristique faisant leur singularité : medersa Sehrij était nommée ainsi pour le bassin d’eau qu’elle abritait, Al Attarrine pour être situé à côté des marchands d’épices, Esbayiine parce que ses pensionnaires apprenaient sept des modes de lecture du coran… Les medersa Bou Inania de Fès et de Meknès, par contre, sont les seules a porté le nom du Sultan qui les a construits. Les sources nous disent peu si c’est le Sultan Abou Inan lui-même qui a alloué son nom à ces medersas ou ce sont les habitants qu’ils ont faits. Ce qui est certain, c’est que sa dimension politique prégnante est derrière cette appellation. Vous avez certainement remarqué qu’à chaque fois que nous creusons dans les origines des medersas mérinides, la dimension politique resurgis. Comme nous l’avons expliqué dans la partie traitant du contexte socio-culturel et politique, la création des medersas fut une réponse à des enjeux et des problématiques pressant et échevelée. Pour déchiffrer les problématiques et les enjeux réels derrière le désir de construire ces médersas, il nous a fallu creuser dans les récits historiques de l’époque.

Ce que les textes anciens nous rapportent sur les medersas mérinides : Précédemment, nous avons expliqué que le pouvoir autoritaire et oppressif que pratiquait le clergé à l’ère des Almohades avait engendré la stagnation du développement de la société dans les domaines de l’art, de la culture et de la science, chose qui a causé sa régression. Devant, cette situation, les mérinides ont dû arracher le pouvoir aux Almohades. Une fois au pouvoir, les mérinides devaient faire face à plusieurs problématiques : • Décalages socio-culturels entre les différentes composantes de la société (Amma/Khassa, Amazigh/arabe, Citadins/bédouins). • La stagnation du savoir scientifique, artistique et culturel freinant l’essor civilisationnel que pouvait connaitre la société. • Accès au savoir privilégiant les étudiants de familles nobles puisqu’ils avaient les moyens financiers pour pouvoir subsister à leurs besoins loin de leurs familles et se consacrer uniquement à l’érudition. Cela était problématique dans le sens où les fils des « khassa » étaient destinés à rester dans ce statut social, tandis que les fils des « amas » ne pouvaient pas changer leur statut social aisément. Comme nous l’avons expliqué aussi, la volonté des mérinides était de faire des leurs une civilisation aussi fleurissante que celle de l’Andalousie. Cette vision ne s’accordait pas avec celle du clergé qui rêvait plutôt d’une société islamique dévouée uniquement au cultuel.

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Dans l’espoir de résoudre toutes ces problématiques inhibant l’élan culturel de la société, les mérinides optèrent pour la politique de construction de medersa. Ils voyaient que la démocratisation de l’apprentissage et la formation d’élites instruites étaient les seules issues pour bâtir une nation avancée. Parallèlement, ils savaient que cela allait affaiblir leurs opposants (le clergé), puisque, bien évidemment, ce qui allait être enseigné dans ces medersas allait être contrôlé par l’État. Chose qui permettra aux mérinides de dompter l’opinion publique et de conditionner l’indépendance du clergé en censurant son franc-parler. C’est pourquoi, plusieurs Imam et Fqih ont contesté avec ferveur cette politique mérinide. Al Abili, ancien maitre d’Ibn Khaldoun, était l’un des opposants de la medersa. Il avait écrit : « Les medersas nuisent à la science parce qu’elles attirent les étudiants par la pension et les avantages matériels qu’ils y reçoivent. C’est pour ces raisons qu’ils se tournent vers des maitres que le gouvernement désigne pour diriger ces écoles et y enseigner, ou bien vers les maitres représentants la véritable science, de ceux qu’on n’appelle pas dans les medersas ; car si le gouvernement les appelait, ils y refuseraient, ou bien s’ils y accepteraient, ils ne rempliraient pas avec docilité 34 la mission que l’on attend d’autres moins indépendants d’eux ». Par ces lignes, Al Abili critique sévèrement l’enseignement dispensé aux medersas et remet en question sa valeur. Or la stature prestigieuse des professeurs travaillant dans ces établissements (exemple : Ibn Al Bana, Bnu Abd Arrahman Al-Tasuli…), ainsi que la qualité remarquable de l’enseignement qu’ils offraient (selon les dires 35 d’Ibn Al Khatib) prouve que les accusations des religieux émanent uniquement d’un conflit d’ordre idéologique et politique. Aussi, comme nous l’avons précédemment mentionné, mêmes après l’instauration des médersas, les mosquées gardèrent leur statut de premier rang comme lieu d’apprentissage et continuèrent à accueillir les séminaires d’enseignement organisés. En fait, l’approche adoptée consistait à faire des medersas des annexes des mosquées. La visée était à ce que l’une complémente l’autre. D’ailleurs, ce qui confirme ses dires est le fait que les medersas sont toutes construites autour d’un centre religieux de savoir (université al Qaraouiyine ou mosquées dispensant de séminaires et de cours théologiques). S’ajoute à cela, les étudiants de ces medersas assistaient régulièrement au cours tenu dans ces mosquées parallèlement aux cours tenus au sein de leur medersa. Cela prouve que le rôle des medersas n’était pas subversif et que la dimension éducative derrière leur genèse était aussi prégnante que la dimension politique.

34 - Hamid Triki et Alain Dovifat , Medersa de Marrakech, Edisud, 1999, pp. 28. ( Les propos d’Al Abili sont extraits de cet ouvrage ).

35 - Lissane Eddine Ibn al Khatib, ‫اإلحاطة في أخبار غرناطة‬ -Al Ihatafi akhbar Gharnata-, 1351, p .372.

Il est clair que ce grand intérêt porté pour l’éducation ne provenait pas seulement d’une ambition politique, mais il reflète clairement une réelle crise culturelle au sein de la société. Cette crise est relative à la stagnation du développement de la pensée et de la culture dû, d’une part à leur oppression par le clergé, et d’une autre, à la faiblesse intellectuelle dû aux lacunes linguistiques qu’avait les Amazighs en langue arabe.

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36 - Hamid Triki, Les madrasas et leur rôle à l’époque mérinide, article, 2000, pp. 64. (Les propos d’Ibn Khaldoun sont extraits de cet article).

Sur ce sujet Ibn Alkhatib témoigne que les lettrés maghrébins, à l’instar des Orientaux ou des Andalous, écrivaient avec un style très pauvre, rempli de fautes de grammaire, et fortement imprégné par le droit musulman, et que beaucoup transcrivaient une pensée amazighe en arabe, ce qui la rendait difficilement compréhensible. Chose qui freiner le progrès culturel de cette société. De son coté, Ibn Khaldoun soulève une autre problématique freinant ce progrès. Pour lui, l’écriture des Maghrébins était illisible. Cela les mettait à l’écart des acteurs participant aux progrès de la science et de la culture, mais aussi bloquer la propagation du savoir dans son territoire. Ibn Khaldoun écrit : « Les caractères en usage en Tunisie, en Algérie et au Maroc est donc fort laids et très éloignés de l’élégance. Et les manuscrits, une fois copiés dans ces pays, sont presque illisibles : ils fourmillent d’erreurs et leurs lettres sont informes. Cette altération de l’écriture, comme la 36 décadence des autres arts suit le déclin des cultures et des dynasties ». Conscients de ces faiblesses intellectuelles, les sultans mérinides invitèrent à leur cours plusieurs savons et lettrés andalous afin que ces dernières influences les lettrés et les étudiants marocains. Ces Andalous ont forcé certains fiqhs marocains à sortir de leur carcan juridique (interprétations littérales des textes coraniques) suscitant ainsi une certaine ouverture intellectuelle. Aussi, ils ont enseigné l’art de la calligraphie dans les mosquées et dans les medersas. Et comme il était impossible d’assurer des cours de calligraphie pour toutes les mosquées et les medersas de Fès et du pays, les mérinides se sont servis de l’architecture pour propager cet art et pour offrir aux étudiants une référence à imiter. C’est pour cette raison précise que la calligraphie était une composante essentielle de l’architecture mérinide. De ce que ces témoignages écrits (le langage verbal) nous rapportent, nous comprenons que les désirs, les problématiques et les enjeux d’où à éclot le besoin d’édifier ces médersas sont : Désir : • La volonté de faire de la nation une civilisation avancée à l’image de l’Andalousie dans son apogée. Problématiques : • Décalage et inégalité sociétale entre les différentes composantes de la société. • Stagnation culturelle et faiblesse doctrinale. • Oppositions politiques à caractère religieux. Enjeux : • Propager le savoir et la connaissance. • Créer une élite lettrée pouvant participer à l’essor civilisationnel de la société. • Instaurer égalité entre les différentes structures de la société. • Légitimé leur règne en mettant en avant leur prestige religieux. • Affaiblir l’opposition.

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Nous comprenons donc que, pour les sultans mérinides, ces médersas étaient : • Un vecteur d’essor culturel et intellectuel. • Un vecteur de démocratisation et de propagation du savoir. • Un atténuateur des inégalités sociétales. • Une arme politique. Comme nous pouvons le constater, plusieurs dimensions composent ces médersas. Nous citons : • Dimension patriotique • Dimension politique • Dimension culturelle • Dimension sociale • Dimension religieuse • Dimension formelle Maintenons que nous avons pu relever, du langage verbal, différents indices révélant plusieurs connaissances sur l’histoire des médersas et les circonstances amenant aux besoins de les construire, analysons ce que le langage architectural de ces medersas peut nous révéler comme savoir sur la pensée et l’imaginaire derrière l’architecture de ces medersas.

2- Ce que le langage des formes nous révèle sur l’architecture mérinide : L’héritage architectural sans égal que les mérinides nous ont laissé a fait d’eux l’une des dynasties les plus notoires de l’histoire du Maroc. Avec eux, l’art architectural marocain a atteint son comble. Ils ont pu développer un style architectural unique qui se distingue par le raffinement de ses décors, la sobriété de ses détails et la subtilité de son esthétisme. Tous les édifices mérinides partagent des propriétés communes puisqu’ils obéissent aux mêmes lois formelles, esthétiques et spatiales. Ces lois se traduisent sous forme de codes formels et sémiotiques définissant le langage architectural propre à ce style.

[277]

Médersa El-Sahrij Fès,1323

Dans les habitations, comme dans les mâristâns ou les fondouks, ce langage formel se lit d’une manière ostensible. Toutefois, c’est dans les medersas qu’il se déploie de la manière la plus éloquente, c’est dans ces structures où nous pouvons contempler méticuleusement l’écriture formelle propre à ce langage. À travers les images suivantes, nous pouvant facilement lire et identifier les différentes caractéristiques faisant la singularité de ce style :

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Fig 247, 248 et 249 : Images illustrant le caractère rythmique et ordonnancé caractérisant la composition géométrique .

Médersa Chérratine (ruine Al Labbadine)Fès,1670

[280]

Medersa Bou Inania Meknès,1331- 1351

[282]

Minbar médersa Chérratine

[283]

Fragment d’une paroi de médersa Al Attarine

[285]

Médersa Ben Youssef Marrakech,1350

[286]

Médersa Ben Youssef Marrakech,1350

[278] Médersa mérinide de Salé

[279]

[281]

Fragment Médersa El-Sahrij

[284]

Médersa Bou Inania Fès,1355

Salé,1323

Fig 247, 248 et 249 : Images illustrant la simplicité et la finesse des décors raffinés en stuc.

Fig 247, 248 et 249 : Images illustrant le travail sculptural en stuc visant à mettre en avant les fenêtres comme autres éléments décoratifs.

184


Fig 266 et 267: Images mettant en avant les codes formels auxquels obéit l’écriture formelle propre à l’architecture des medersas mérinides.

[287]

Médersa El-Sahrij Fès,1323

[288]

Médersa Al Attarine Fès,1347

[289]

Médersa Bou Inania Fès,1355 Fig 266 et 267: Images illustrant l’aspect géométrique caractérisant la composition formelle des fenêtres des medersas.

[290] Médersa mérinide de Salé

Salé,1335

[291]

Medersa Bou Inania Meknès,1331- 1351

[292]

La Médersa Bou Inania Fès,1355 Fig 266 et 267: Images illustrant le raffinement des décors de la composition architectural.

[293] Médersa mérinide de Salé

Salé,1335

[294]

Médersa Al Attarine Fès,1347

[295] Médersa mérinide d‘Oujda

Oujda,1335

185


Comme ces images l’indiquent, l’écriture architecturale mérinide se caractérise par des compositions et composantes particulières, et obéit à diverses codes et lois. Ces derniers sont d’ordre doctrinal, spatial, géométrique, esthétique, graphique… Malgré la pluralité des champs structurant cette écriture, ce sont surtout celles stimulant l’œil qui sont les plus décisifs. De ce fait, la compréhension de l’architecture mérinide passe par la compréhension des codes et des lois formulant son image corporelle. Mais avant d’étudier cette image, analysons d’abord les lois spatiales et fonctionnelles qui la structurent.

La configuration spatiale de la medersa mérinide : Comme expliqué précédemment (p.178-179), la medersa est un établissement d’enseignement à vocation religieuse assurant deux fonctions essentielles : enseigner et héberger. Initialement, cette structure a été fondée pour assurer l’enseignement des quatre rites orthodoxes de l’Islam sunnite. C’est pourquoi, les structures classiques des toutes premières medersas disposaient de quatre iwans prédestine chacun à l’un de ces rites. Spatialement, on articulait ces quatre iwans autour d’une cour centrale tout en plaçant les pièces de service dans les coins. À l’origine de cette configuration symétrique à quatre branches, la maison traditionnelle du Khorasan à cour central. La configuration spatiale de cette maison traditionnelle était largement répondu à l’époque pour ce qu’elle assure comme confort thermique et spatial (forme adaptée au mode de vie introverti des musulmans).

[296]

Plan type d’une maison de Khorassan

[297] Plan palais d’Amman

selon Dieulafoy

[298]

Plan Médersa Chammaiya Tunis,1236

Vu l’ergonomie de cette configuration spatiale avec la fonction quadruple que cette structure devait assurer, elle a été adopté d’une manière standardisée dans toutes les medersas du moyen orient et de l’Afrique du nord. Au Maroc, seul le rite malikite était adopté. Doter la medersa de quatre iwans était donc inutile et anticonstitutionnel. C’est pourquoi la forme de la medersa classique était inadaptée aux besoins fonctionnels recherchés par les sultans mérinides.

186

La Méders


sa Bou Inania Fès,1355

Pour ne pas rompre avec la medersa classique, la medersa mérinide a repris la même forme morphologique de son homologue tout en adaptant sa configuration spatiale aux contraintes qui la conditionnent. Spatialement, cela s’est traduit en une structure hiérarchisée selon une configuration précise comportant ces trois parties : 1. Une cour centrale rectangulaire formant un patio agrémenté d’une vasque ou d’un bassin. 2. Une salle de prières donnant sur cette cour faisant office d’iwan. 3. Tout autour sont réparties les chambres pour les étudiants. Toutefois, nous remarquerons que deux typologies de configuration structurent la morphologie des medersas mérinides : 1. Configuration où la cour centrale est adossée uniquement à la salle de prière (ex : medersa Al Attarine, medersa Bou Inania de Fès, medersa mérinide de Salé...). 2. Configuration où les dortoirs s’articulent autour de la cour centrale mais séparés d’elle à travers les moucharabiehs (ex : medersa Sahrij, medersa Cherratine…).

[299]

Configuration spatiale de médersa Al Attarine Fès,1347

[300]

Configuration spatiale de médersa El-Sahrij Fès,1323

Par ailleurs, nous devons mentionner que seule medersa de Bou Inania de Fès n’obéit pas à cette hiérarchie. Elle est la seule medersa mérinide disposant de deux iwans symétriques et d’une grande salle de prière. La présence de ces iwans ne révèle pas un intérêt religieux, mais plutôt traduit le dessein politique du sultan Abou Inan Faris qui souhaitait que sa medersa soit un édifice majestueux esthétiquement et spatialement. Le choix de mettre ces iwans était donc une réponse à un besoin formel et proportionnel et non une réponse à un intérêt fonctionnel.

187


Le fait que toutes les medersas mérinides obéissent à une configuration spatiale bien définie leur attribue une signature sémiologique qui les distingue des autres structures. En étant à leurs enceintes, nous ressentirons que nous sommes dans des structures qui appartiennent à une même lignée (un peu comme si on était dans une franchise). Toutefois, ce sont surtout les propriétés visuelles formulant l’image corporelle de ces medersas qui soulignent ce caractère standard faisant leur singularité de l’architecture mérinide. Analysons donc ces autres propriétés faisant la singularité de ce style.

l’épiderme des medersas mérinides : Comme nous venons de le citer, l’architecture des médersas mérinides obéit à une écriture formelle composée d’une panoplie de codes et d’éléments architectoniques bien définis. L’usage de ces derniers varie selon la stature de l’espace. Toutefois, nous pouvons lire l’intégralité des propriétés propres à l’architecture mérinide dans la cour centrale des médersas . Au sein de ces cours, nous remarquerons que la composition esthétique et visuelle est structurée par trois constituants épidermiques élémentaires : • La partie soubassement faite de carrelage de zelliges. • La partie axiale composée de panneaux en stuc sculptés • La partie haute ornementée par des panneaux en bois de cèdre sculpté. FRONTON en bois sculpté

Partie axial en struc sculpté

Soubassement en zellige [301]

La Médersa Bou Inania Fès,1355

Aussi, il faut noter que d’autres composantes et codes participent à la formulation de la corporalité de la médersa mérinide. Nous citons : • Le marbre : employé dans les colonnes, les chapiteaux et les pilastres présents. • Le carrelage au sol : composition respectant les palettes de couleurs du zellige décorant le soubassement (à l’exception du sol de la médersa Bou Inania dont le sol est fait entièrement en marbre). • Les vitraux colorés présents dans la salle de prière (l’oratoire).

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Fig 302 : La couleur sombre du bois de cèdre, sa texture opaque ainsi que et la trame horizontale qu’il suit, influence notre lecture des limites de l’espace et atténuent visuellement sa verticalité. Soulignions aussi que ce type de bois est utilisé aussi pour l’effluve qu’il dégage et qui parfume l’espace. [302]

Fronton en bois de cèdre ornementant la partie haute de la Médersa Bou Inania Fès,1355 Fig 303 : Les surfaces blanches et lisses du stuc jouent un rôle majeur dans la bonne synergie de l’espace : la symbolique religieuse du blanc attribue à ce dernier pureté et sacralité. L’éclat de ses surfaces en contact avec les rayons lumineux et le fait qu’il amplifie la lumière et le volume du lieu instaurent une ambiance céleste à ce dernier.

[303]

L’intérieur de la salle d’oratoire (salle de prière) située dans Medersa Bou Inania Fès,1355 Fig 304 : Par sa palette de couleur blanches, azurs et turquoises, les décors en zellige instaurent un ton vert à l’espace. Cela lui attribue un caractère serein et apaisant. Le scintillement de ces surfaces anime l’espace et instaure quiétude et ataraxie. Soulignons aussi que l’emploi de la couleur verte est dû aussi à sa symbolique dans l’islam.

[304]

Soubassement en zellige décorant les murs de la cour intérieur de médersa Al Attarine Fès,1347

189


L’usage récurrent des tons azurs et turquois est lié essentiellement à une conception cosmogonique particulière de ce qui est divin : la symbolique du bleu est relative au caractère sacré qu’a l’eau dans l’islam. D’une part, parce qu’il est un outil de purification, et d’une autre par ce que c’est à travers lui que Dieu donne vie à toute choses. Par contre, la symbolique du vert a comme origine la conception islamique du paradis (une vaste prairie verte et arboré), et un hadith rapportant que le prophète avait vu Dieu dans le rêve dans l’image d’un jeune homme beau portant une tunique verte.

30 ‫» وجعلناوجعلنا من املاء لك يشء يح « سورة األنبياء آية‬

‫» رأيت ريب يف صورة شاب أمرد جعد عليه حةل خرضاء « حديث قتادة عن عكرمة عن ابن عباس‬

[305]

Différentes compositions de mosaïques en zellige employé dans les différentes medersas mérinides

Par rapport aux vitraux colorés présents dans les salles de prière et oratoires, bien évidemment, leur impact visuel est notoire puisqu’ils colorient les surfaces blanches de ces salles. Ce choix d’employer ces vitraux colorés reflète l’influence de l’architecture des églises gothiqus sur la pensée architecturale mérinide. Nous ne pouvons pas trancher si le choix de les employer était pour un interet purement esthétique ou bien si les maîtres mérinides les ont repris pour le même usage symbolique qu’ils avaient dans les églises. Ce qui est certain, c’est que ce choix n’était pas que du manièrisme puisque la construction picturale de ces vitraux s’est basé sur des palettes de couleurs similaires à celles utilisés pour constituer les modéles graphiques des décors en zellige. En parallèle, le fait que ces maîtres travaillaient leur architecture avec des palettes de couleurs eurythmiques et harmonieuses prouve qu’ils étaient initiés aux sciences de l’optique et aux arts. Ce qui souligne le caractère polymathique de leur formation, un caractère que même Ibn Khaldoun avait relaté dans ses prolégomènes.

[306]

190

L’intérieur de la salle de prière située dans Medersa Al Attarine Fès,1347


Fig 300 : Par sa palette de couleur blanches, azurs et turquoises, les décors en zellige instaurent un ton vert à l’espace. Cela lui attribue un caractère serein et apaisant. Le scintillement de ces surfaces anime l’espace et instaure quiétude et ataraxie. Soulignons aussi que l’emploi de la couleur verte est dû aussi à sa symbolique dans l’islam.

[307]

La médersa Al Attarine Fès,1347

De ce que nous savons, les maitres architectes de l’époque n’étaient pas que des maitres maçons. Ils étaient des érudits ayant des connaissances approfondies en arithmétique, en astronomie, en géométrie, en optique… quant à leur architecture, elle était la transcription d’un idéel particulier (pensée cosmogonique, culturelle, cultuelle…). De cela, une relecture avisée de la composition picturale des cours centrales des medersas va nous révéler que derrière le choix de tramer l’espace en trois strates, non seulement esthétique, mais aussi une volonté purement géométrique et sémantique. Remarquons que le sol et le soubassement formulent ensemble une plateforme indépendante définissent la partie basse. Le fait qu’elle soit une ceinture continue de couleur foncée et d’une hauteur correspondant à la notre fait qu’elle nous accole à elle. Visuellement, elle semble équipollente à la partie haute. Cela est dû au fait que cette dernière est aussi une ceinture continue foncée, et au fait que son emplacement par rapport à notre élipse visuelle fausse la lecture que nous faisons de sa hauteur. Pour notre œil, ces deux parties sont des limites : l’une marque le début, l’autre la fin. Toutes les deux cadrent la partie centrale et encadrent notre lecture d’elle. Cet encadrement met en avant la dualité existence entre la hauteur de la partie centrale et celle de les partise basse et haute. Cette dualité inculque à l’espace sacralité puisqu’elle symbolise l’interaction entre deux échelles, une humaine et une autre céleste. Ce qui instaure sacralité au lieu.

191


L’échelle et les propitions des medersas mérinides : Stipuler que cette dualité d’échelle est un choix architectural émanant d’un désir de cristalliser un ressenti sémantique peut sembler un constat inconsistant. Beaucoup diront que ce n’est qu’une conséquence de ce que l’écriture architecturale mérinide engendre comme sémantique. Pour trancher laquelle des deux suppositions est la plus plausible, étudions ce que l’échelle et les proportions de l’espace peuvent nous révéler. Comme nous l’avons bien expliqué, la conformation de la medersa mérinide obéit à une hiérarchisation bien précise. Sa pièce centrale est sa cour. Autour d’elle vient se greffer tous les autres éléments du programme sans pour autant perturber son intimité. Cela révèle que dessiner une medersa mérinide passait d’abord par le dessin de sa cour rectangulaire : on définissait d’abord l’échelle et les proportions de cette dernière, puis on disposait les autres éléments du programme selon ce que l’ilot offrait comme possibilité et selon un tracé régulateur bien précis. Cette composition spatiale gênerait systématiquement une distinction entre deux entités : la cour centrale comme entité principale et les autres éléments du programme dont le statut était moins important. Cette distinction se lisait surtout morphologiquement : la hauteur des cours centrales et de leurs oratoires est relativement imposante, tandis que la hauteur et les proportions des autres pièces du programme concordent d’une manière seyante avec la nature de leur fonction et avec comment on les pratiquait. Ce qui prouve que les maitres mérinides avaient une maitrise parfaite des proportions humaines et de leur rapport avec l’espace. De ce constat nous pouvons supposer que derrière les hauteurs soulignées des cours centrales un choix architectural qui les justifient.

192

[308]

La médersa Al Attarine Fès,1347

[309]

La médersa Ben Youssef Marrakech,1347


En observant les compositions graphiques des parois de ces cours, nous remarquerons qu’elles obéissent toutes à une trame régulière favorisant une lecture verticale de l’espace. L’intérêt d’acheminer vers cette lecture est de souligner la verticalité du lieu, une verticalité qui fera en sorte que l’usager ressente que l’espace transcende l’échelle humaine et se soumet à l’échelle du divin.

[310]

La trame verticale adoptée soulignant la verticalité des cous centrales des medersas mérinides

[311]

Coupe sur la cour de medersa Al [312] Schéma illustrant la Attarine explicitant la trame derrière verticalité souligné dans la la verticalité soulignée du lieu cour de medersa Al Attarine

193


Bien évidemment, cette cour n’était pas pensée tel un temple grec avec des dimensions homériques. L’intérêt premier était de souligner la vocation religieuse du lieu sans pour autant le défaire de sa dimension humaine. C’est pourquoi, il était surtout question d’instaurer un caractère sacré au lieu reflétant sa vocation et sa stature. Autres indices que nous révèle le langage des formes attestant que cette dualité d’échelle émane d’une volonté architecturale sont : • Les proportions de l’espace (la cour central) • Les proportions des composantes architectoniques rythmant sa composition graphique. Pour que cette dualité soit ressentie, il fallait que la lisibilité des deux échelles soit manifeste sans pour autant que l’une prédomine. Il fallait donc instaurer un équilibre parfait entre les deux. Des observations de Jean Cousin (p.114-116), nous comprenons qu’un lien causal existe entre les paramètres élémentaires de l’espace et notre ressenti spatial. Lorsque ces paramètres sont en harmonie avec les proportions humaines, l’usager sentira qu’il est au sein d’un espace qui lui correspond. Pour aboutir à cette harmonie, les maitres mérinides dessinaient les cours centrales sur la base du nombre d’or. Et c’est ce que nous pouvons clairement lire à travers les plans des medersas ( medersa Sahrij, Al Attarine, Cherratine, Bnou Inania...).

[313]

194

Plan médersa Al Attarine Fès,1347


[314]

[315]

Plan médersa El-Sahrij Fès,1323

Plan médersa Bou Inania Fès,1355

195


Aussi, même les hauteurs de ces cours ainsi que la composition géométrique de leurs parois ont été définies sur la base des proportions sacrées du nombre d’or. Ce qui est clairement constatable dans les figures ci-dessous.

[316]

Le tracé régulateur a Médersa Bou Inania

[317]

La Médersa Bou Inania

Ce savoir et cette maitrise parfaite qu’avaient les maitres mérinides sur le nombre d’or et son usage dans la géométrie et l’architecture dévoilent que l’érudition de ces maitres a été fortement marquer par les pensées des philosophes de l’époque tel Al Farabi, Averroès, Avicenne, AlKindi… Des philosophes qui ont fondé leur idée sur

196


les enseignements des maitres grecs tel Aristote, Platon ou Socrates. D’ailleurs, la forte influence de l’enseignement grec sur la pensée de l’époque est une autre preuve confirmant que ces maitres architectes ont eu un enseignement polymathique touchants divers champs : ils ont certainement étudié les idées d’Aristote sur l’optique, « le Timée » de Platon et ses travaux sur la géométrique et l’arythmique… Il ne serait pas étonnant alors de stipuler que la pensée architecturale grecque a enfanté l’architecture mérinide, ou au moins, qu’elle a profondément influencée.

la forme des medersas mérinides : Si la pensée architecturale mérinide a été fortement influencé par la pensée grecque, cela suppose que cette influence se manifestera architecturalement. En effet, les similitudes entre les deux architectures sont nombreuses. Toutes les deux reposent sur les mêmes principes d’harmonie, d’équilibre, d’ordre, de rythme et de symétrie. Toutes les deux sont d’une géométrie conçue sur la base des proportions harmonieuse du nombre d’or. Concrètement, cette influence se lit spatialement : précédemment, nous avons mentionné que certaines medersas telle Al Attarine ou celle de Salé disposent de galeries oisives. Nous avons supposé que cela s’explique par le désir de respecter la forme de la medersa classique à quatre iwans. Or, une relecture plus avisée nous révélera que cette configuration a comme origine la configuration spatiale des temples grecs (Plan temple de Zeus/ plan cour medersa Al Attarine, Plan temple d’Athénes/plan medersa d’Oujda...).

[318]

Plan médersa Al Attarine

[319]

Plan temple de Zeus

[320]

Plan medersa de Salé

197


Cette influence grecque se lit aussi dans les similitudes géométriques existant entre la composition des façades des temples grecs et celles des medersas. Comme il est constatable à travers la figure ci-dessous, les deux sont structurés par le rythme que génère la trame des colonnes. Aussi, la composition de la partie ornementant les des deux façades respecte le même ordonnancement.

Fig 321 : Ces similitudes de composition que nous lisons entre ces deux styles architecturaux atteste que l’architecture est un savoir-faire hérédité subissant l’influence du temps et de la culture qui l’accueille.

[321]

Les similitudes entre la composition et les éléments de composition des medersas mérinides et des temps grecques.

Bien évidemment, proclamer que la pensée mérinide est fondée sur la base de l’enseignement architectural grec ne renie nullement ses racines andalouses. Comme nous l’avons mentionné, ce style mérinide est la progéniture de l’architecture mauresque (andalouse) qui, elle, est le fruit d’un savoir-faire hérédité de chez les almohades et les almoravides agrémenté par une influence éclectique (influence byzantine, indienne, wisigoth, gothique…).

198


Visuellement, ces deux styles paraissent identiques. Tous les deux appartiennent au même contexte géoculturel et historique. Tous les deux sont des compositions faites à partir des mêmes formes et des mêmes décors. Ils obéissent aux mêmes lois et à la même écriture formelle. Pourtant, un œil éclairé arrive à distinguer les dissemblances distinguant l’un de l’autre. Cette vérité que le style mérinide à une ascendance hétéroclite ne signifie nullement qu’il est une imitation des autres styles. Mais confirme les propos de William Lethaby stipulant que tous les styles ont des origines communes, qu’ils sont un savoir-faire hérédité qui a subi l’influence d’un contexte spatio-temporel et qu’ils ne sont qu’un évolutionnisme légitime reflétant l’évolution de la pensée humaine.

[322]

Palais El Mechouar Tlemcen,1248

[323]

Palais Al Hambra Granada,1333

[324]

La Médersa Bou Inania Fès,1355

Comme son prédécesseur, c’est l’attachement à la religion qui a animé la pensée mérinide. Ce style se vouait à personnifier une architecture reflétant cet attachement et inspirant un caractère religieux respectant le dogme sunnite malikite. Le fait que les maitres mérinides étaient des gens de savoir et de culture, a fait que leur pensée n’était pas imprégnée uniquement par les récits anagogiques islamiques, mais aussi par les pensées philosophiques novatrices de l’époque. Aussi, elle était imprégnée par leur fascination par les mathématiques, la géométrie et la gnose. Ce désir de symboliser le sacré s’heurtait avec le fait que le dogme islamique prohibe toute personnification du divin. Et puisque, dans l’islam, Dieu se manifeste dans la beauté de sa création, la quête des mérinides était que leur architecture soit une image de cet idéal divin. Pour aboutir à cet idéal, ils ont fondé la forme de leur architecture sur des principes formels d’harmonie, d’ordre et d’équilibre. Ces propriétés se lisent nettement à travers la composition géométrique de l’espace et de ses composantes.

199


Fig 325 : Composition basée sur la duplication ordonnancée et arithmétique d’un module régulier. Cette duplication se fait sur la base des nombres impair 3 et 5.

[325]

Usage d’un ensemble répétitif tramant la composition picturale en trois parties uniforme.

[326]

L’usage de trame régulière dans la composition graphique des medersas mérinides.

Fig 326 : Les éléments architectoniques ont été disposés et agencés de manière à générer rythme, répétition, ordre et équilibre. Leur disposition s’inscrit dans une trame régulière composé faite sur la base d’un module de base rectangulaire répété itérativement.

200


Fig 266 et 267: La composition géométrique de cet ensemble s’inscrit dans un rectangle d’or instaurant des rapports harmonieux entre les différents éléments de cette composition.

[327]

L’usage constant du nombre d’or dans la composition.

Fig 266 et 267: Bâtiments Les propriétés géométriques et proportionnelles des différentes formes de la composition ont été toutes définies sur la base d’un tracé régulateur respectant la trame régulière.

[328]

L’usage du tracé régulateur dans le dessin des composantes formelles des medersas.

201


Ces principes formels se lisent aussi dans l’aspect graphique des medersas. Ils se lisent dans ce que cette architecture est comme ensemble, et dans les éléments composant cet ensemble : quoique la composition des medersas soit faite à partir d’éléments hétérogènes, notre œil lit un ensemble cohérent et harmonieux. Quoique les éléments architectoniques utilisés sont composés de plusieurs formes, ils se lisent comme étant une seule unité. Prenons l’exemple des surfaces blanches en stuc sculpté, à premier regard, notre œil lira un ensemble blanc homogène caractérisé par un amoncellement de motifs répétitif et continu. Mais vite, on se rendra compte que ces motifs ne sont pas identiques, et qu’ils sont de différentes formes et typologies. Fig 329 : Image illustrant une composition de décor en entrelaces. Fig 330 : Image illustrant un fragment de décor dont la composition est faite à partir de motifs géométriques Fig 331 : Image illustrant les décors composant une console.

[329]

La Médersa Bou Inania Fès,1355

[330]

La Médersa Bou Inania Fès,1355

[331]

La Médersa Bou Inania Fès,1355

Les formes décoratives employées sont nombreuses, mais il se répartissent en sept typologies qui sont : •Les motifs floraux : décors en rinceau de palmes lisses ou digitées qui se caractérisent par la finesse de leurs courbes. •Les motifs géométriques : pattern formulé sur la base d’une composition géométrique utilisant une même forme selon une suite itérative. •Les épigraphies : inscriptions coraniques en calligraphie cursives où le sens du texte cède sa place à la beauté de sa forme et de ses courbes. •Les consoles : éléments de décor ornementant les colonnes et les pilastres. •Les entrelaces : composition fondée sur la répétition d’un même motif de base dans lequel on a incrusté des motifs floraux répétitifs. •Les arcades : panneaux en arcade servant comme cadre incorporant des décors floraux. •Les encadrements : éléments rectangulaires cadrant chaque typologie de décor et unifiant l’ensemble vu son obéissance à un tracé régulateur.

202


Fig 332 et 333 : Images manifestant comment les parois blanches en stuc s’illustrent comme un ensemble homogène et cohérent et cela hormis la richesse des décors formulant leurs compositions graphiques.

[332]

Fragment de la paroi principale de la cour de médersa Al Attarine

[333]

Fragment de paroi du iwan de la médersa Bou Inania Fig 334 : Image illustrant un fragment de parois composé de différentes typologies de décor.

[334]

Fragment d’une partie en stuc composant la paroi de médersa Al Attarine

203


Cette même approche d’instaurer harmonie, ordre et équilibre à travers des motifs répétitifs et sans fin a été repris même dans la composition des décors de la partie haute ornementant la cour centrale. Dans cette partie, nous retrouvons uniquement deux typologies de décors : les motifs floraux et les épigraphies en calligraphie kufiques.

Fragment de la partie ornementant la partie haute de médersa Al Attarine

[335]

[336]

204

Détail d’un fragment décoratif en bois composé de motifs floraux

[337] Fragment d’une inscription épigraphique

en écriture kufique sur bois


En parallèle, les portes, les fenêtres, les claustras et les balustrades en moucharabiehs sont des partis intégrants composant la forme générale de l’espace. Comme unité, elles sont eux aussi pensées sur la base des mêmes principes formels. Toutefois, leur composition graphique se compose soit a été faite uniquement sur la base de trois modèles géométriques :

[338]

[341]

Porte d’entrée de médersa Al Attarine

[339]

Fragment d’un balustrade à Médersa Bou Inania

[340]

Fragement moucharabieh de la Médersa Bou Inania

Détail des dessins géométriques engendrant les formes décoratives des composantes architecturales en bois

205


Cette justesse et cette rigueur dont faisaient preuve les maitres mérinides dans l’usage de la géométrie dans la composition graphique de leur architecture ne relève pas uniquement du désir d’instaurer harmonie, rythme et homogénéité, mais émane aussi de leur fascination par la magie des mathématiques. Cette fascination se lit surtout dans le travail graphique qu’ils ont effectué pour composer les formes de décors de la partie en zellige. La composition géométrique des décors en zellige des médersas nous révèle que, pour les maîtres mérinides, l’architecture était aussi une opportunité à travers laquelle ils pouvaient expérimenter des notions nouvelles : ici, il était surtout question d’étudier les notions d’infinité, de continuité et de rythme. De l’image que j’ai pu construire sur la pensée des maitres mérinides, je suppose que ces questionnements émanaient d’abord d’une réflexion philosophique, puis, ils se sont dénoués vers des réflexions géométriques. Ce qui argumente nos suppositions est le fait que l’érudition des savants de l’époque était basée sur le « scholstism » (enseignement universitaire du moyen Âge ayant comme fondement les pensées de la philosophie grecque et la théologie). C’est pourquoi, je suppose que les pensées de Platon sur le rapport entre les formes géométriques et l’élément de la nature, ainsi que ce dessein de symboliser le sacré à travers la compréhension des secrets de la création divine. En matière de composition, ces expérimentations se manifestaient à travers des compositions constituées uniquement de polygones réguliers :

[342]

206

Figure illustrant la conformation géométrique des motifs générant les patterns de zellige employé dans les medersas mérinides.


[343]

Patterns formulés à partir d’une composition basée sur la jonction itérative d’une même forme géométrique

Les maitres mérinides comprenaient qu’en employant ces formes géométriques, ils allaient obtenir des formes symétriques plus complexes sous forme d’un pattern caractérisé par son rythme répétitif constant et infini.

[344]

Composition géométrique des différents patterns de zellige utilisés dans medersa Al Attarine

207


Comme nous pouvons le constater, c’est sur la base de la spiral d’or que les mérinides élaboraient la composition géométrique des décors en zellige. Cela nous fait comprendre que les maitres mérinides connaissaient parfaitement les principes algorithmiques de Fibonacci et leurs applications géométriques. Cela nous met devant deux suppositions : soit les récits scientifiques de l’époque étaient largement diffusés et cela malgré les distances et les conflits politico-culturels, soit les savants musulmans étaient les précurseurs à avoir fondé ce principe mathématique approprié par Fibonacci par la suite. La deuxième supposition est la plus plausible. D’une part, parce que la composition du zellige dans l’université Al Qaraouyine de Fès (859) respectait la même logique de composition, et d’une autre, parce que les enseignements d’Al Khawarizmi (780 – 850) sur les algorithmes étaient largement répondus en Andalousie et cela bien avant la naissance de Fibonacci (1175 – 1250). Ce qui est certain, c’est que sans l’apport des savants marocains et mauresques de l’époque, la renaissance n’allait jamais naître. Par ailleurs, autres éléments de composition ont été utilisés par les maîtres mérinides pour rendre ces notions de sacré et d’infinité ostentatoires, ces éléments sont : « les inscriptions épigraphiques ». Ces décors épigraphiques se lisent dans la partie en bois, dans les surfaces en stuc et dans la partie en zellige. Uniquement deux typologies d’écritures étaient employé par les maîtres et les artisans mérinides dans la composition : l’écriture kufique (fig.345) caractérisée par la régularité et la quadrature des lettres, et l’écriture cursive (fig.346) caractérisée par la finesse de ses courbures.

[345]

Fragment d’inscription épigraphique [346] kufique sur zellige

Fragment d’inscription épigraphique cursive sur stuc

Cette dernière était celle qu’on employait le plus. Cela peut être relaté à plusieurs causes : le fait que les formes courbées de ses lettres se fondaient visuellement avec les courbes des décors floraux ce qui engendrait un ensemble homogène, le fait que cette écriture n’obéit pas à des codes géométriques précis ce qui permettait d’écrire librement un verset coranique sans pour autant être conditionné par la dimension de la surface d’écriture disponible…

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Or, nous pensons qu’une considération particulière à animer ce choix : précédemment (p.182), nous avons rapporté qu’Ibn Khaldoun avait férocement critiqué la manuscription dans les pays du Maghreb en la qualifiant d’écriture illisible pleine de faute. Il avait même souligné que l’altération de l’écriture engendre la décadence des cultures et des dynasties. Les sultans mérinides étaient conscients ce handicap. C’est pourquoi, nous pensons que le recours abondant des épigraphies en écriture cursive avait comme but d’offrir aux étudiants un exemple d’une écriture émancipée de tous codes formels, facile à reproduire et plaisante esthétiquement. Cependant, cela ne renie pas les fins esthétiques derrière cet usage : ce que ces inscriptions renvoyaient comme sens n’a jamais été de première instance, ce qui primait été plutôt l’esthétisme souligné de ces inscriptions. La beauté et la finesse de la courbe des caractères cursifs embellissaient l’espace. Toutefois, le fait que ce qui était inscrit étaient des versets coraniques était aussi majeur puisqu’il a renforcé le caractère sacré du lieu. Pour le dire autrement, la beauté et le caractère sacré de ce qui est inscrit primait plus que le sens que ces versets renvoyaient.

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30 ‫الل عَلَيْ ِ ْم « سورة الفتح آية‬ ُ َّ ‫الس ْو ِء ۖ َوغَ ِض َب‬ َّ ‫الس ْو ِء ۚ عَلَيْ ِ ْم دَائِ َر ُة‬ َّ ‫» َّالظان َِّني ِب َّ ِلل َظ َّن‬

Inscription épigraphique en écriture cursive calligraphiant un verset coranique

Medersa Bnou Inania était la seule médersa où le sens des gravures primait. Cette dernière était plus une déclaration politique qu’un établissement d’enseignement. Beaucoup d’inscriptions étaient des prières glorifiant le nom de son édificateur : le sultan Abu Inan Faris qui, comme l’indique la figure ci-dessous, s’est proclamé le commandant suprême des croyants. La medersa n’était donc qu’un instrument par lequel il souhaitait exhiber et proférer sa suprématie politico-religieuse. Fig 348 : Cette épigraphie est une déclaration politique à travers laquelle le Sultan Abu Inan se proclame comme étant le chef suprême de tout les croyons.

« ‫ أمري املؤمنني املتولك عىل هللا‬،‫» السلطان أيب عنان‬ [348]

Inscription épigraphique attestant le statut politique du Sultan Abu Inan Faris

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Autres éléments formels propres au style mérinide sont ses colonnes et ses poteaux. Ces derniers sont d’une fonction plastique plus que structurel. Ils sont les piliers sur lesquels repose la configuration picturale de l’architecture mérinide.

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Détails des colonnes et des poteaux composant la cour centrale de medersa Al Attarine.

C’est autour de la trame que générait les poteaux que les maîtres mérinides composaient géométriquement l’espace. Cette trame, ainsi que les dimensions de ces poteaux mettent en premier plan les propriétés géométriques harmonieuses de l’espace. Les rapports de plein et vide qu’engendre leur disposition rend plus manifeste cette harmonie et pousse l’œil à les lire. D’ailleurs, si dans plusieurs medersas, on a séparé la cour centrale des autres fonctions par des claustras et non pas par des murs pleins, c’est pour ne pas perdre perturber cet effet visuel que procure ces rapports de plein et de vide. Par ailleurs, le rythme et l’ordonnancement constants que suivent ces poteaux instaurent continuité, répétition et infinité, des propriétés que les maîtres recherchaient à avoir dans toutes les composantes et les compositions de l’espace. Cette dévotion et cette recherche acharnée visant à attribuer ces principes d’ordre, d’équilibre, de continuité, de rythme à leur architecture révèlent que ces maîtres mérinides avaient des connaissances assez avancées sur les lois de la bonne forme, ou ce que nous appelons aujourd’hui « le gestaltisme » (voir p.46 et 47). Ceci atteste encore une fois de la place fondamentale qu’avait les enseignements de l’optique dans la formation des architectes de l’époque.

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Parallèlement, la forme esthétique de ces poteaux et ces colonnes obéissent à une écriture formelle propre au style architectural mérinide, une écriture qui la distingue, en particulier, de l’architecture andalouse. Les piliers sont d’une forme rectangulaire. Leur composition épidermique est analogue à celle des parois. Elle aussi est tramée par une partie en zellige, puis en stuc sculpté, puis un habillage en bois. Le passage d’une matière à une autre est atténué par des consoles décoratives. Concernant les colonnes, leur usage l’implique les lois esthétiques auxquelles obéit le style architectural mérinide. Leur composition épidermique est soit analogue à la composition des parois ou bien elles sont faites entièrement en marbre. Toutefois, ce sont leurs chapiteaux qui font leur singularité. Ces éléments architectoniques sont récurrents dans toutes les architectures dites mauresques ou islamiques. Leur forme varie d’un style à un autre. D’ailleurs, ce sont ces détails qui permettent de distinguer entre l’écriture formelle mérinide et son homologue andalouse (p.174).

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Figure illustrant l’évolutivité plastique qu’on connu les chapiteaux à travers les âges et les civilisations.

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Détail architectural du chapiteau ornementant les colonnes de medersa Al Attarine

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Comme ensemble, la medersa mérinide se présente comme un objet corporel homogène, cohérent et pittoresque. Le raffinement de ses décors, la sobriété de ses formes et la finesse de ses détails font d’elle une œuvre exquise. Cet aspect enchanteur se doit surtout à la cohésion entre ses trois composantes épidermiques : lorsque les rayons solaires touchent la texture lisse des surfaces blanches et la texture brillante et colorée des surfaces en zellige, l’espace brille d’éclat. Les surfaces sombres de la partie ornementale cadrent ce scintillement et l’accentuent. Les rapports de contraste du sombre/obscur générant mysticisme. L’aspect uniforme et unifié résultant du caractère répétitif et infini caractérisant l’absoluité de ce qui compose l’espace, attribué à ce dernier un caractère ambigu et abscons...

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L›ambiguïté poétique que génère le jeu d’ombre et lumière dans la cour de medersa Al Attarine

Comme symbole, cet objet sculptural est l’incarnation de tout ce qui caractérise la perfection de la création divine : cohérence, équilibre, et harmonie. Ses détails méticuleusement soignés, ses formes eurythmiques, et son visuel oscillant attribuent à l’espace un caractère prodigieux limite ésotérique. Le fait que, visuellement, ces medersas correspondent à l’imaginaire liturgique qu’avaient les gens de l’édénique souligne la dimension sacré du lieu... Comme composition formelle, nous allons remarquer que l’architecture des medersas incarne toutes les propriétés suivantes : l’usage du nombre d’or, l’usage

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d’une trame régulière, la décomposition sur la base d’un nombre impaire, la recherche d’ordre, de symétrie, de continuité de proximité, une hiérarchisation des formes utilisées ainsi que de leur liens proportionnels.... Ces propriétés et d’autres sont les mêmes lois sur lesquelles les designers et les infographistes fondent leur création artistique. Le fait que l’architecture des medersas incarne toutes ces propriétés rend indubitable le fait que cela était prémédité, ce qui prouve que les maîtres mérinides avaient des connaissances très approfondies concernant la science de l’optique, et en particulier sur les rapports entre nos processus de perception, laforme et notre interprétation de cette dernière (la théorie du gestalt). Par contre, l’acuité et l’aisance de ces maîtres à concrétiser une création incorporant toutes ces propriétés prouvent qu’ils avaient aussi des connaissances très avancés en géométrie et en mathématique. Le fait qu’ils nourrissaient leurs pensées des anagogies malikites et des réflexions philosophiques prouve que leur formation architecturale était basée sur une érudition polymathique comprenant différents champs : la théologie, la science et la philosophie, soit un enseignement très similaire au «scolarsim» qui été trés plutot répondu en Europe. Par ailleurs, en contemplant tous ces principes formels et notionnels propre à l’architecture mérinide nous constaterons qu’elles sont très similaires avec les principes de l’architecture de la renaissance. Dans la forme, les deux styles différents esthétiquement. Dans la forme, ils partagent les mêmes les notions de symétrie, de proportion, de régularité et d’équilibre. Leur conformation est basée sur les mêmes principes de composition géométrique, des principes structurant le dessin et des façades et des plans. Cela nous pousse à se demander si vraiment la notion « plan » à émerger avec Palladio, et si vraiment les Italiens étaient les précurseurs à appréhender l’architecture comme une discipline et comme une science. La chronologie des faits conteste tout cela. La renaissance n’est apparue qu’en XVe siècle, soit à la fin du règne mérinide. Comme son nom l’indique, elle n’est qu’un maniérisme de l’architecture des anciens. Les mérinides, par contre, ont repris les principes des Grecques pour formuler un style propre à eux une manière originale de penser architecturale. En prenant compte de tout cela, n’est-il pas évident que la pensée andalouse et mérinide ont influencé les pensées qui ont induit à l’émergence de la renaissance ? Nous devrons-nous pas revoir l’histoire de l’évolution de l’architecture en prenant en compte que les styles mérinides et andalous n’ont jamais été des arts décoratifs, mais plutôt une manière accomplie de penser l’architecture ? Ce qui est certain, c’est que, encore une fois, cela prouve que l’architecture est un savoir faire hérédité subissant un évolutionnisme constant dû à l’évolution de la pensée humaine et de ses besoins, ainsi qu’a l’influence de l’espace-temps.

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3 - Ce que l’architecture mérinide, comme langage, nous révèle sur elle-même : Parler de ce qu’est l’architecture comme langage signifie, à la fois, parler de comment elle imprègne son visiteur sensitivement, et de ce qu’elle était comme identité perceptible dans son temps. En d’autres termes, c’est parler de ce qu’elle est et de ce qu’elle était comme hétérotopie. Concernant, le premier aspect, il était nécessaire que je fasse moi-même l’expérience architecturale et que j’explore ce qu’une medersa provoquera en moi comme ressentis. Pour que ma perception du lieu ne soit pas empoisonnée par ce que j’ai pu entendre ou lire sur ces medersas ou par les images circulantes d’elles sur le net, mon étude devait portait uniquement sur les medersas que je ne connaissais pas et je ne devais nourrir ces connaissances qu’après avoir visité les lieux. Avant d’entamer cette étude, je n’avais qu’une connaissance superficielle de la medersa Bou Inania de Fès et de la medersa Ben Youssef de Marrakech. Medersa Al Attarine était, à l’époque, une medersa inconnaissable pour moi. Et comme elle était l’une des rares medersas qui ont préservé leurs images et leurs états d’antan, elle était un choix approprié à travers lequel je pourrais explorer la nature discursive des medersas.

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Image ancienne de medersa Al Attarine

Pour explorer pleinement cette nature discursive, il fallait que j’effectue cette expérience spatiale à différentes périodes de la journée, tantôt seul, tantôt accompagné. Cela ne m’a permis ni de voir toutes les facettes discursives de cette architecture ni de se projeter amplement dans la peau de ceux qui l’avaient constamment pratiqué. Néanmoins, ça m’a permis de formuler une image assez lucide sur de nombreuses particularités sémantiques de cet espace. «Quiétude et révérence», c’est par ces deux termes que je qualifierais cette première impression que j’ai eue lorsque j’ai mis les pieds pour la première fois à medersa al Attarine.Mon œil était incessamment sollicité par les innombrables détails

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architecturaux composant l’espace et par les différents phénomènes vivants qui se produisaient à son enceinte. Mon âme était plutôt stimulée par ce sentiment de bien-être que gênerait le lieu en moi. Mon intellect souhaitait plutôt comprendre les causes expliquant tous ces phénomènes. Le facteur temps a joué aussi son rôle : si je n’étais pas le premier à arriver, je n’allais pas pouvoir jouir des quelques vingtaines de minutes de silence et de dialogue intime avec le lieu ; si le temps n’était pas favorable, je n’allais pas pouvoir contempler commet à chaque fois le soleil tournait, l’espace se transmutait avec. Ce dialogue sensitif avec le lieu s’est vite interrompu lorsque les premiers visiteurs arrivèrent. Dans l’espoir de ressaisir ce moment d’intimité avec le lieu, j’ai dû attendre leur départ. Or, les flux des nouveaux arrivés étaient incessants. Ne pouvant pas dialoguer avec l’espace comme identité discursive, je me suis penché à la lecture de cette architecture comme étant un objet corporel. Lorsque je n’avais plus rien à découvrir et dans l’attente toujours de rester seul dans la cour, je me suis mis subitement à lire les expressions de visages des différents touristes explorant, pour la première fois, ce lieu. En contemplant leurs expressions de visages, j’arrivais à visionner l’impact sensitif que produisait l’espace sur le eux à l’instant de leur interférence. Généralement, c’était surtout l’émerveillement et la stupéfaction qui se lisait sur les visages. Et même si le degré d’émerveillement variait d’une personne à une autre, la beauté du lieu ne laissait personne indifférentes. Le fait que cette medersa arrive à générer en nous une impression commune liée à sa beauté ostentatoire, n’a rien de fortuite. Il est plutôt la conséquence d’une volonté préméditée reflétant la grande maîtrise qu’avaient les maîtres mérinides du rapport entre nos processus de perception, la forme et notre interprétation de cette dernière : comme expliqué (p.180-181), notre perception est structurée par des mécanismes intuitifs (la recherche de symétrie, d’ordre, d’équilibre...). Et comme la lecture des formes incarnant ces propriétés est plaisante, notre cerveau assujettie la notion du « beau » à ces dernières. Le fait que cette medersa incorpore toutes ces propriétés explique pourquoi notre cerveau lit de la beauté en elle. Par ailleurs, cet émerveillement que nous avons de cette medersa est marquée, tout de même, par la nature séculaire du lieu qui nous réfère aux contes des mille et une nuits. Or, pour ceux qui ont habité et pratiqué cette medersa, elle n’avait rien d’anthologique. La majorité d’entre eux, étaient des jeunes écoliers pour qui l’architecture de cette medersas était du jamais-vu.

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37 - Ibn Abi Zar, Rawd al-Qirtās, , XIV siécle, pp. 147.

‫روض القرطاس‬

À l’époque de sa construction, les échos vantaient que cette medersa était d’une beauté que nul œil n’a vue, que nulle oreille n’a entendu, et qu’aucune pensée ne pourrait transcender. D’ailleurs, aucun auteur ou historien de l’époque ne l’avait évoquée sans faire mention de sa beauté exquise : j’en cite Léon l’Africain (Hassa Al Wazzan) qui fait mention de la beauté de ses détails dans son livre « Description de l’Afrique » et Ibn Abi Zar dans son « Rawd Al Qirtas » qui la décrit ainsi : « un chef-d’œuvre inouï que jamais une 37 architecture l’eut, auparavant, égalé». Et c’est cette splendeur qui lui a valu le titre de : la grande medersa (the great medersa) , un titre qu’elle a subitement perdu soit parce que les gens étaient accoutumé à utiliser des noms moins conventionnels, soit parce que la stature pesante de medersa Bnou Inania l’a défait de ce titre.

« ‫» آية ادلهر ومل ينب مثلها مكل من قبل‬

« ‫» املدرسة العظمى‬

Par ailleurs, reconstituer l’image hétérotopique qu’avait ceux qui ont étudié ou enseigné à medersa Al Attarine, à l’ère mérinide, allaient être la condition la plus idoine pour explorer ce que cette medersa recueillait comme imaginaire et ce qu’elle sauvegarde comme mémoire. Hélas, cette option n’était pas envisageable due à l’absence des récits traitant de cela. Toutefois, les récits d’antan nous rapportent suffisamment de choses pour reconstituer l’image qu’avaient autres personnes sur l’institution de la medersa en général, et sur medersat al Attarine en particulier. Commençant par le thème le plus contesté et qui a fait couler beaucoup d’encre : «des dépenses des medersas».

la medersa et sa facette onéreuse : Une nécessité pour un symbolisme discursive ou une dilapidation inique ? Que ça concerne les sommes exorbitantes dépensées lors de l’édification de cette medersa, les charges astronomiques que nécessitait son entretien, ou encore les bourses rétribuées aux étudiants et à leurs enseignants… Les charges onéreuses que consumait medersa Al Attarine, ainsi que les autres medersas, était un sujet qui faisait beaucoup de bruit. En début de ce chapitre, nous avons fait mention de comment le sultan Abou Hassan Al Mansour noya les bulletins de dépenses dans le bassin de la medersa de Meknès en découvrant ce qu’a nécessité l’édification de cette dernière. Ce geste n’était pas passé inaperçu car il signifiait que, même pour un sultan puissant, ces coûts de construction étaient indigestes. Ibn Abi Zaar, dans le même texte d’où nous avons tiré sa citation précédemment mentionnée, cite sous forme d’éloge que le sultan avait dépensé une somme dépassant les cent mille dinars pour construire medersas Al Attarine et que pour assurer les fonds budgétaires qu’elle allait nécessiter, il avait mis à sa disposition plusieurs « Waqfs » (bien générant des revenus). En comptant le nombre des me-

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dersas construites, le nombre des boursiers de l’époque, et le nombre de waqfs qu’on avait consacré uniquement à ces medersas, nous ne pouvons que nous demander si le Maroc à l’ère mérinide était si prospère qu’il pouvait se permettre de telles dépenses. En tout cas, les voix récriminants cette politique voyaient que l’architecture exubérante de ces medersas était un luxe frivole, et que l’argent du peuple (al ama) ne devait être dilapidés dans de telles futilités.

La medersa : structure d’enseignement ou instrument politique barateux ? Autre objet de controverses qu’a suscitées la medersa était la medersa elle-même (comme institution). Comme nous l’avons mentionné précédemment (p.180 et 181), avant l’appartion de cette structure, l’enseignement était dans les mains des oulémas et des fiqhs. Ces derniers jouissaient d’une certaine forme d’indépendance leur permettant de choisir ce qu’ils allaient enseigner à leurs fidèles. Aussi, le fait qu’ils étaient la source unique du savoir, surtout en matière de jurisprudence (Fiqh), leur assurait l’obédience des « amas ». Ainsi, ce pouvoir était un instrument de propagande rendant ces fiqhs et oulémas plus influents que le sultan lui-même. En parallèle, seuls les étudiants de familles aisées pouvaient se procurer un enseignement puisqu’ils avaient les moyens de subvenir à leurs besoins. Nous avons aussi vu comment les sultans mérinides ont fait de la médersa un instrument concrétisant plusieurs enjeux dont : • Démocratisation de l’enseignement en procurant des bourses et des logements aux étudiants moins favorisés pour leur assurer des conditions décentes d’enseignements. • Effacer les interprétations divergentes des textes religieux et renforcer le dogme malikite. • Affaiblir la prépotence du clergé et leur subtilisant le privilège d’être les détenteurs exclusifs du savoir religieux. • Former les cadres et les fonctionnaires que l’état nécessite. • Multiplier les nombres des élites instruites pour qu’ils donnent élan à la dynastie et participent à son essor culturel et civilisationnel. • Légitimiser le statut politico-religieux des mérinides à travers la vocation religieuse des medersas. Le fait que «enseigner » n’était pas l’unique tâche que la medersa devait satisfaire a poussé les détracteurs à questionner les intentions réelles derrières ces madrasas : le dessein d’instruire et d’enseigner le peuple était-il vraiment de première instance ou bien ses revers cachaient d’autres ambitions ? Ce débat a fait couler beaucoup d’encre. Rappelons que Mohammed Al Abili, maitre d’Ibn Khaldoun, était un des opposants féroces de la medersa (voir p.181 -n.32). Il

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l’a critiqué en particulier pour ce qu’elle posait comme problème d’ordre déontologique. Al Abili pensait que : • Un enseignement dispensé dans des structures sous la tutelle de l’État sera toujours tributaire de cette dernière. Il sera donc plus de la propagande qu’une transmission de savoir. • Ces structures nuisent à la science parce qu’elles attraient les étudiants par les pensions et les avantages matériels qu’elle leur procure. Un « Talib al Ilm » doit être animé par un désir propre et une volonté profonde d’apprendre et non par des attractions séduisantes. • L’enseignement au sein de ces medersas ne sera jamais de qualité car les enseignants illustres n’accepteront jamais d’enseigner dans de telles structures et que ceux qui le feront ne rempliront pas leur tâche avec docilité. Or, la qualité d’enseignement assurée dans ces medersas ainsi que le grand renom des maitres et savants qui y enseignaient démentissent les propos d’al Abili. À medersa Al Attarine par exemple, des cours de mathématiques, de médecine, de linguistiques et d’autres étaient assuré par le grand savant et mathématicien Ibn Al Banna’e Al Murrakuchi qui, selon Ibn Al Khatib, était l’un des premiers à avoir enseigné à cette medersa. Aussi, les plus grands savants et penseurs de l’époque (Ibn Khaldoun, Ibn Al Khatib, Ibn Batouta, Ibn Marzouk, Al Banna’e, Abderrahman Al Lajaï…) ont soit étudié ou enseigné à Fès soit ils y résidaient. Ce qui indique que, grâce au Medersa et à Al Qaraouiyine, Fès devint un pôle d’attraction et un centre de foisonnement culturel et scientifique. Ce qui prouve que « enseigner » était la fonction prééminente des médersas.

la qualité d’enseignement : Autre thème de controverse était ce qu’en enseignait dans ces medersas. Comme expliqué, pour les sultans mérinides, la visée derrière l’instauration des medersas était booster l’élan culturel du pays. C’est pourquoi, elle n’a jamais été un établissement rivalisant avec l’enseignement dispensé dans les mosquées, mais plutôt pour la consolider. D’ailleurs, c’est pourquoi de nombreuses medersas ont été construite à proximité d’une mosquée. Or, pour des raisons cultuelles, les mosquées dispensaient uniquement des cours qui ne s’opposaient pas avec l’enseignement malikite. On enseignait la théologie, les mathématiques, la géométrie… À l’ère mérinide, les choses avaient considérablement changé. Al Qaraouiyine a ouvert ses portes mêmes pour les non musulmans et a introduit des matières nouvelles comme la philosophie et la logique. Aux medersas, notamment à Al Attarine, les disciplines et les théories enseignées là-bas étaient indénombrables. J’en cite :

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• La théologie : le fiqh malikite, ilm al hadith, Ilm al rijal … • La philosophiques grecques et islamiques : la pensée d’Aristote, de Platon, d’Ibn Rochd… • La logique. • La jurisprudence. • Les mathématiques : algèbres, l’arithmétiques, les algorithmes… • La géométrie •La science et l’art de bâtir • Les sciences de la médecine : la médecine, la pharmacologie, la psychologie… • La science de l’optique : la perception, la vision humain, chambre noir... • L’astronomie : observation des astres et les mouvements des planètes. • La gnose. Il peut sembler que ces stipulations sont des aberrations. La pluralité des doctrines enseignées et surtout leur nature abstruse rend inimaginable qu’un étudiant absorbe tout cela. Or, le fait que le cursus d’enseignement, dans une madrasa, était de seize ans donne du sens aux choses. Se rajoute à cela que, pour être admis dans une medersa, il fallait avoir minimum vingt ans et ayant bénéficié d’une scolarisation de base. Parallèlement, la nature de certains de ces champs disciplinaires laisse croire qu’il était impossible qu’un établissement théocratique accepte d’enseigner ce qui est considéré aujourd’hui comme de la pure hérésie. Pourtant, en listant les noms des savants et des penseurs influents de l’époque ; en analysons leurs champs d’expertises et leurs travaux ; et en retraçant les liens existants entre eux (liens maitres/ enseignant ou l’influence consécutive de leurs travaux ou de leurs pensées sur leurs contemporains) nous comprendrons que ces idées étaient largement diffusées, et cela, avant même l’ère mérinide, et qu’à l’époque, la pensée et la science étaient aussi sacré que le dogme religieux. Nombreux étaient les savants qui ont impacté la pensée de l’époque. Nous citons comme acteurs principaux : Aristote, Platon, Al Khawarizmi, Jaber Ibn Hayan, Al Fârâbî, Ibn Sina (Avicenne), Ibn Ishaq Al Kindi, Ibn Rochd (Averroès), Ibn Al Haytam, Ibn Mumin Al-Abdari, Ibn Al Banl. Al Murakuchi, Abderrahman Al Lajaï… Tous ces savants ont développé des théories nouvelles qui ont révolutionné leur champ d’expertise. Ils se sont influencés mutuellement, et leurs enseignements ont été transmis héréditairement soit à travers leurs écrits ou bien à travers l’érudition. Prenons l’exemple des trois derniers savants cités : Al Lajaï, à qui nous devons l’invention de l’astrolabe mural (ancêtre de l’horloge murale), enseignait les mathématiques et l’astronomie à Medersa Al Attarine. Parmi ses disciples, nous retrouvons

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Ibn Qunfudh et Ibn Haydour dont les écrits ont contribué manifestement dans le développement des théories de l’algèbre. Al Lajai avait lui aussi reçu son érudition à Medersa Al Attarine. Il était venu spécialement de Marrakech pour recevoir son apprentissage d’Ibn Al Bana’e. Ce dernier était l’élève d’Al Qadi AlMurrakuchi qui lui était formé par Ibn Mumin Al abdari. Ce grand mathématicien est l’auteur du livre « Fiqh al-hissab » (la Science du calcul) dans lequel on trouve, pour la première fois dans l’histoire des sciences, le fameux triangle arithmétique attribué à Pascal trois siècles et demi plus tard.

38 - Ibn Khaldoun, Les madrasas et leur rôle à l’époque mérinide, article, 2000, pp. 64. (Les propos d’Ibn Khaldoun sont extraits de cet article).

39 - M.El Maqqarri, Les madrasas et leur rôle à l’époque mérinide, article, 2000, pp. 64. (Les propos d’Ibn Khaldoun sont extraits de cet article).

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À l’encontre de ce que nous pouvons penser, cet enseignement polymathique assuré par de grands savants dans une période où les découvertes scientifiques étaient prolifiques n’était pas un enseignement de qualité. Ibn Khaldun était très critique vis-à-vis de l’enseignement dispensé dans les medersas. D’une part visà-vis de la manière d’enseigner, et d’une autre vis-à-vis les seize ans d’études. Il avait écrit : « La scolarité dans les medersas est de seize ans, alors qu’elle n’est que de cinq ans à Tunis : ce qui correspond au minimum de temps pour la pratique scientifique ou les succès scolaires. Tandis que les seize années marocaines sont requises par la médiocrité de l’enseignement qui rend difficile 38 aux étudiants de réussir plus tôt ». Mohammed El Maqqari était un autre esprit savant qui avait animé le débat concernant l’enseignement dans les medersas. Il était très critique envers la pédagogie d’enseignement adopté par les medersas. Selon lui, cette médiocrité, dont parle Ibn Khaldun, est essentiellement dû au fait que cet enseignement était basé sur l’apprentissage par la mémoire. Selon lui, cette méthode était peu efficiente, elle saturait l’élève sans pour autant lui permettre d’assimiler les choses et de bien les comprendre. En revanche, il atteste qu’adopter un enseignement basé plutôt sur une méthodologie plus concise facilitera aux étudiants l’assimilation et la compréhension des cours. Baser l’enseignement sur la compréhension est, selon lui, une solution efficiente et rapide. Il avait écrit : « Il se bornent maintenant à retenir de mémoire ceux de ces précis qui sont les plus concis et les plus courts, et usent leur vie à en déchiffrer les énigmes et en pénétrer les mystères sans pouvoir jamais arriver, par rectifications, à établir le texte primitif, et à plus forte raison, 39 à y distinguer ce qui est exact de ce qui ne l’est pas ». Huit siècles après, l’état marocain continue toujours d’adopter cet enseignement défaillant et obsolète basé sur l’apprentissage par la mémoire. Moi-même qui est issu de l’école marocaine, j’en ai subi les conséquences : lorsque j’ai entamé mes études d’architecture, le fait que j’étais initié à apprendre puis comprendre était un frein contrariant ma capacité à développer une pensée imaginative et créatrice.


Ce que l’heterotopie des medersas merinides nous revelent sur le passé : À travers ces différentes formes d’hétérotopies, une image lucide se dessine de comment était la pensée à l’ère mérinide. L’attachement à l’islam sunnite malikite était le credo de cette pensée. Cela ne se manifestait pas qu’à travers l’architecture, mais aussi à travers les productions philosophiques et scientifique de l’époque. À l’époque, l’une des idées largement acceptées et qui a été introduite par Ibn Roch (Averroès) consistait à dire que : « Al Ilm » (le savoir) était une des particularités divines d’Allah, seul lui est omniscient. Et puisque son savoir se manifeste à travers sa création, il était possible de mieux le connaître à travers la contemplation et la compréhension de l’acte de création. Ibn Rochd expliquait que pour s’illuminer, il était du devoir du savant et du croyant de comprendre Dieu à travers les sciences profane (la logique, la physique, la médecine…). C’est pourquoi, à cette période ces sciences profanes étaient aussi sacrés que les sciences du « fiqh ». Et seuls les religieux bornés par les idées rétrogrades réfutaient cette idée. Cette manière de penser est ce qui explique cette dualité caractérisant l’architecture des medersas : ces dernières manifestent, à la fois, un soin profond de personnifier un imaginaire hétérotopique, ainsi qu’un désir de leur inculquer des caractéristiques visuelles reflétant une grande maîtrise de notions mathématiques et géométriques. Cette dualité est l’abstraction des deux facettes de la connaissance du divin : l’aspect ésotérique insaisissable, et l’aspect palpable intelligible. Nous comprenons aussi qu’à cette époque, Fès était un lieu de débats et de discussions : politique, société, science ou religion, toutes les thématiques faisaient objet de débats. Certes, lorsqu’il s’agissait de certaine thématique religieuse ou politiques, pas toutes les idées étaient les bienvenues. Mais cela n’empêchait pas qu’à cette période, la pensée était libre. Fès était la source d’où la science provenait. Si le mode de vie des gens à l’époque n’était pas introverti, peut-être que leur architecture allait être aussi éloquente de l’extérieur que de l’intérieur. Peut-être, que cela allait attirer les historiens à s’intéresser à l’histoire de Fès mérinide et de découvrir comment elle son empreinte civilisationnelle et culturelle ont imprégné notre histoire. Ils découvriront, qu’à cette époque, Fès était Athènes de l’antiquité.

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Iv - Les medersas à l’ère mérinide : Lecture, analyse et décortication : L’architecture mérinide comme pensée architecturale : L’architecture des medersas mérinides est une consécration cérémoniale glorifiant le nom du Dieu. Elle est une image métaphorique du divin personnifiée à travers une syntaxique joignant subliminalité des formes et symbolique des couleurs. L’esthétisme poétique de cette syntaxique génère ainsi une sémantique manifestant, allégoriquement, la royauté divine et la beauté édénique. Visuellement, cette syntaxique est une pure délectation esthétique. Elle est le mariage parfait entre le clair et l’obscur, le statique et le continuel, le monochrome et le multicolore, la courbe et la ligne droite, l’unique est l’infini, le minimaliste et le raffiné, l’ascétique et l’épicurien… Cette ambiguïté poétique est l’abstraction du caractère transcendant du divin. Elle est à l’image hiératique tel formulé dans l’imaginaire du « fiqh malikite ». Ce symbolisme subliminal est le fruit d’une écriture architecturale bien définis qui a permis de transcrire le fictionnel en factuel.

L’architecture mérinide, comme style architectural : L’architecture mérinide est un style architectural accompli et non un art décoratif. Il fond sa conformation, d’une part, sur des principes notionnels tirant leur origine du rite sunnite malikite et de la pensée architecturale grecque ; et d’une autre, des lois esthétiques hérédités de l’architecture andalouse, almohade et almoravide. Comme objet corporel, ce style est une quête d’élégance, de rationalisme et de simplicité. Cette quête se concrétise à travers un agencement de plusieurs compositions formelles obéissant à des principes géométriques basées sur l’usage constant de la valeur du nombre d’or. Et c’est à travers cette composition géométrique que se formule un objet corporel incarnant l’intégralité des propriétés de la bonne forme (symétrie, ordre, rythme, continuité…). Comme composition épidermique, l’architecture mérinide est l’expression de l’idéel précédemment évoqué. Elle le calligraphie à travers une lexicographie ainsi qu’une graphie bien définies. Cette écriture repose sur : • Décomposition picturale de l’espace en trois strates : partie ornementale en bois de cèdre, partie centrale en stuc et partie inférieure en zellige. • Décors eurythmiques, itératifs et harmonieux : décors floraux ou géométriques sculptés sur le bois et sur le stuc, patterns géométrique continuel et infini en mosaïque. • Épigraphies coraniques : épigraphie en écriture cursive pour ses formes incurvées et en écritures kufiques pour son orthogonalité. • Chapiteaux et arcade : éléments architectoniques utilisés pour des besoins d’esthétisme conventionnel.

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Les maitres bâtisseurs des medersas mérinides : Aboutir à une architecture incarnant de telles propriétés formelles, graphiques et esthétiques requiert une connaissance et une maîtrise approfondie concernant plusieurs champs : • Des connaissances doctrinales relatives à l’art de bâtir. • Des connaissances en mathématique et en arithmétique. • Des connaissances en géométrie et en astronomie. • Des connaissances en philosophie islamique et grecque. • Des connaissances en sciences de l’optique (la perception humaine). Cette maîtrise met en lumière le caractère polymathique de ces maîtres bâtisseurs qui ne peut être le fruit que d’une érudition pluridisciplinaire. Par ailleurs, la précision des réalisations et des détails révèle la grande rigueur dont faisait preuve ces maîtres dans les chantiers, mais surtout l’expertise caractérisant les différents maitres artisans de l’époque.

L’architecture mérinide comme pensée architecturale : La medersa est un établissement éducationnel à caractère religieux procurant bourses et pension pour ses étudiants. Elle assure principalement un enseignement doctrinal comptant plusieurs champs disciplinaires, toutefois, l’enseignement dans chaque medersa variait selon son statut et selon son cadre professoral (certaines medersas étaient dédiées à l’apprentissage des sept lectures du coran, tandis que les medersas rurales assuraient aussi un enseignement de base.). (certaines medersas étaient dédiées à l’apprentissage des sept lectures du coran, tandis que les medersas rurales assuraient aussi un enseignement de base.) Le cursus durait 16 ans réparti en deux cycles : un premier de 10 ans initiant les étudiants à une pluralité de champs disciplinaires, et un second de 6 ans où chaque étudiant se spécialisait dans des champs bien précis. Parmi ces disciplines, nous trouvons : • La théologie • La jurisprudence • La philosophie et la logique • la pensée islamique • Les mathématiques • La science de l’optique • L’astronomie • La géométrie • La médecine • La gnose Ces sciences n’étaient pas toutes enseignées au sein de la medersa. Les étudiants devaient aussi suivre leur formation en assistant aux cours dispensées à l’université Al Qaraouiyine et aux « halaqat » ayant lieu au sein des mosquées animées par des faqihs. La medersa n’était donc pas une structure indépendante, mais plutôt une partie intégrante d’un système éducatifs coordonnée où l’enseignement était assuré par de grand savants et faqihs.

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L’architecture mérinide comme pensée architecturale : L’instauration des medersas par les sultans mérinides émanait d’une volonté politique sincère d’instruire le peuple et de le cultiver. Néanmoins, cela n’a pas empêché que les revers de cette politique aient caché d’autres ambitions. Cette politique, d’instaurer les medersas, n’était pas un couvercle pour aboutir à des fins inavouées, mais elle était une occasion opportune pour y parvenir. Parmi ces ambitions, nous citons : • Légitimer le statut politico-religieux des mérinides en édifiant des établissements à vocation religieuse remarquable architecturalement. • Affaiblir le clergé en l’ôtant du privilège d’être l’unique source de savoir religieux. • Réduire les inégalités sociales en offrant l’opportunité aux moins privilégiés de se former académiquement et percer dans des métiers respectés ; et tout cela à travers la démocratisation de l’enseignement. • Accroitre le nombre des lettrés et agrandir l’élite des intellectuels pour donner un élan culturel à la dynastie • Réparer les faiblesses freinant le développement culturel de la société : des lacunes relatives à la non-maîtrise de la langue, à la laideur et l’illisibilité de l’écriture…. • Former des fonctionnaires d’état instruits qui participerons à concrétiser la vision qu’ils avaient (les sultans mérinides) de la société comme civilisation • Faire de la société marocaine une civilisation aussi prospère que son homologue andalouse en faisant d’elle un lieu de foisonnement scientifique, culturelle et religieux • Procurer un cadre de vie sociale décent pour peuple en lui assurant le droit à l’enseignement et à la santé (à travers les mâristâns et les medersas) • Accomplir leur devoir religieux en promouvant « al Ilm » (le savoir), une notion ancrée dans et sacré dans la pensée islamique.

L’idéologie politique des sultans mérinides : Les mérinides avaient une vision. Ils souhaitaient que le Maghreb soit un royaume aussi prospère que l’Andalousie. S’ils ont écarté les Almohades du trône, c’est parce qu’ils ne voyaient plus en eux es leaders légitimes et parce qu’ils considéraient qu’une prise de pouvoir était nécessaire pour faire rétablir l’ordre perdu à l’époque. Les ambitions des mérinides n’étaient guère tyranniques, mais plutôt patriotiques. Leur dessein était de donner élan culturel et social à un Maroc prospère. Leur loyauté à Dieu était sincère, mais le fait que leurs politiques étaient dévoués au service de la patrie et non au service du culte renforcé l’opposition. C’est pourquoi, les mérinides se sont, eux aussi, servis de la religion pour lé-

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gitimer leur règne : le grand intérêt qu’ils portaient pour les medersas était une manière de manifester leur attachement à la religion. Toutefois, dans le fond, cet intérêt reflétait plutôt une certaine conviction : le progrès civilisationnel et culturel d’une nation repose sur l’enseignement. Par ailleurs, le fait qu’ils veillaient à ce que l’architecture de ces medersas soit éloquente reflète le goût raffiné de ces sultans ainsi que leur sensibilité à la notion du « beau ». Nous pouvons dire que les medersas nous révèlent que les sultans mérinides étaient de grands patriotes. Ils étaient des hommes de cultures et des visionnaires. L’aspect machiavélique et impérieux qu’ils ont du manifeste émanait d’une nécessité politique, ils ne dénient nullement ni leur probité ni leur bonne fois.

Fès avant et durant le règne mérinide : Lors du règne des Al Moahades, les politiques obéissaient aux recommandations dogmatiques du clergé. La répression de la science, de la culture et de l’art ont conduit vers un pays en décadence. Dans l’autre coté de la rive, le foisonnement culturel, scientifique et artistique dans lequel plongeait l’Andalousie a conduit à son rayonnement. Les disparités sociales entre les « amas » et « les khassa », « les Arabes (mauresque) » et « les amazigh » ont générées à un tissu hétérogène et un pays fissuré. La défaite dans la bataille de « las navas de tolosa » a plongé le pays vers l’anarchisme. Et c’est dans l’optique de changer cette réalité que les mérinides ont pris le pouvoir. Lors du règne mérinide, et suite à l’instauration des medersas, les sciences et la culture se sont émancipés des chaînes imposées par certains religieux conservateurs. Fès en particulier a effleuri. Grace à l’éclosion des medersas, de nombreuses découvertes scientifiques révolutionnaire ont vu le jour, et de grands savants et penseurs ont fait de cette ville leur lieu de résidence. Fès devint un centre culturelle mondiale développant et promulguant la science. Par ailleurs, l’architecture spectaculaire des medersas ainsi que celle des palais ont fait que le style mérinide devint une référence pour l’architecture andalouse, et cela, malgré le fait que c’est de cette dernière qu’est née la première. Et c’est grâce à cette influence qu’une œuvre tel le palais al Hambra de Grenade a pu émerger. À l’ère mérinide, Fès était la capitale mondiale de la science et de la culture, et c’est grâce à son apport que la renaissance a pu naître.

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Medersa Bou Inana de Fès entre le passé et le présent


Medersa Bou Inana entre le passé et le présent

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Medersa Sahrij entre le passé et le présent

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Medersa Al Attarine entre le passé et le présent

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Medersa Sahrij entre le passé et le présent

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Medersa Bou Inana de Meknes entre le passé et le présent


Synthèse : Par ce travail d’analyse et d’investigation, nous avons pu démontrer qu’il est possible de faire de l’architecture un vecteur de postériorité, qu’il est possible de retracer l’idéel derrière sa genèse et de reconstituer ce qu’elle a recueilli comme hétérotopie. Nous avons démontré que notre méthodologie de lecture permet de faire de l’architecture un miroir reflétant l’image d’un passé lointain. Construire une image lucide d’un passé antérieur n’est pas l’unique fin que peut servir cette méthodologie : comme nous l’avons expliqué, l’architecture est à la fois le corps et l’imaginaire que ce corps incorpore. Dans plusieurs projets de restauration, seul cet aspect corporel est pris en compte, et cela en détriment de ce que l’entité architecturale est comme hétérotopie : l’intervention de restauration de medersa Sahrij par exemple a permis de réparer l’état délabré dans laquelle était cette médersa, mais elle l’a défait de sa poétique et de son âme. C’est pourquoi, nous estimons qu’appréhender l’architecture sur la base de notre méthodologie permettra de restaurer et ses vestiges, et ce qu’elle était comme identité perceptible. En parallèle, l’histoire que nous révèlent les medersas sur la période de règne mérinide met l’accent sur les débats et les problématiques socio-politique de l’époque. À les revoir, nous allons remarquer que les raisons politiques derrière l’émergence des medersas et les controverses qu’elles ont suscitées sont les mêmes sujets qui font l’actualité de la scène marocaine d’aujourd’hui : le système éducatif et sa stature, la démocratisation de l’enseignement, la langue qui doit être adoptée pour enseigner et la pédagogie d’apprentissage (apprendre par cœur/comprendre)…Aussi, nous remarquerons que les débats relatifs à ces thématiques opposaient et opposent encore les mêmes courants de pensée : les modernistes guidés par la raison et par des idéologies profanes, et les conservateurs aveuglés par les pensées rétrogrades ou qui se dissimulent derrière ces idées pour défendre des intérêts inavoués. Mais encore, les révélations des medersas nous font comprendre que, depuis toujours, on s’est servi de la religion pour manipuler l’opinion publique et légitimiser certains actes. Une nation qui se laisse guider par des guides spirituels ou politiques sans pour autant avoir un esprit critique sera toujours une nation en régression. Son essor implique une pensée libre. Pour le faire, il faudra que ses citoyens soient éclairés et cultivés, d’où la légitimité de leur procurer un bon enseignement. En d’autres termes, l’essor d’une nation ne peut se faire sans un enseignement de qualité. D’ailleurs, c’est pour cela que les mérinides ont fait de la medersa un établissement élémentaire dans la société. L’état marocain doit suivre leur exemple. Pour conclure, certes cette méthodologie permet de construire une image lucide et plus complète sur notre passé. Toutefois, le plus important est de se servir d’elle pour apprendre du passé et construire l’image que nous souhaitons de notre futur.

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Bibliographie : bibliographie partie théorique : ouvrages en français : • Algirdas Julien Greimas, « Sémantique structurale », Presses Universitaires de France, 2015. • Aurimond Caroline, « Architecture et Psychanalyse », ENSA Toulouse,2008. • Bruno Zevi, « Apprendre à voir l’architecture », paris, minuit, 1959. • Bruno Zevi, « Le langage moderne de l’architecture pour une approche anticlassique », Éditions Parenthèses, 1970. • Christopher Alexander, Sara Ishikawa, Murray Silverstein, « A Pattern Language »: Towns, Buildings, Construction, Oxford University Press,1977. • Edward T. Hall, « La Dimension cachée », Seuil, 1971. • Georges Perec, « Espèces d’espaces », éditions Galilée, 1974. • Gaston Bachelard, « La poétique de l’espace », Paris : Les Presses universitaires de France, 3e édition, 1961. • Gilbert Hottois, « La philosophie du langage de Ludwig Wittgenstein », éditions de l’université de Bruxelles, 1976. • Herman Parret, « Sutures sémiotiques », Éditions Lambert-Lucas, 2006. • Jean Baudrillard, « Simulacres et Simulation », éditions Galilée, 1981. • Jean-Pierre Cléro, Théorie de la perception, « De l’espace à l’émotion », Paris, PUF, collection, 2000. • Jean Cousin, « L’espace vivant », Montréal : Presses de l’Université de Montréal ; Paris : Editions du Moniteur, 1980. • Ludwig Wittgenstein, « Investigations philosophiques », 1953. • Maurice Merleau-Ponty, « Le visible et l’invisible », Éditions Gallimard, 1964. • Maurice Merleau-Ponty, « Phénoménologie de la perception », Éditions Gallimard, 1945. • Manuel Jimenez, « La Psychologie de la perception », Flammarion, 1997. • Tim Ingold, « Faire anthropologie archéologie art et architecture », Éditions Dehors, 2017 • Terryl Nancy Kinder, « L’architecture du silence », de la Martinière, 2000.

ouvrages en anglais : • Christopher Alexander, Sara Ishikawa, Murray Silverstein, « A Pattern Language »: Towns, Buildings, Construction, Oxford University Press,1977. • Christoper Alaxander, « Notes on the synthesis of forme », Harvard university press, 1964. • Christoper Alaxander « The timeless way of building », Oxford university press, 1979. • Edward T. Hall, « La Dimension cachée », Seuil, 1971. • Gorden Cullen, « Concise townscape », Architectural press, 1961. • Jordan B. Peterson, « Maps of Meaning », ROUTLEDGE, 1999. • Juhani Pallasmaa, « the eyes of the skin », Wiley-academy, 2005. Linda Holtzschue, « Understanding Color: An Introduction for Designers », Broché, 2011. • Raymond Williams, « Marxism and literature : structure of feeling », Oxford University, 1977. • Richard P. Gabriel, « The Nature of Order the Post-Pattern World », STANFORD UNIVERSITY, 1996. • William Richard Lethaby, « Architecture, mysticism and myth », London: Percival & Collection, 1892.

ouvrages en espagnol : • Bernardo Ynzenga, « Espacio Zero : casa-vivienda, ciudadn territorio y tiempo », Dizeno editorial, 2014 •Josep Maria Montaner, Del diagtama a las experiencias,hacia una arquitectura de la accion, Gustavo Gili, 2014. •Juhani Pallasmaa, « La imagen corpórea Imaginación e imaginario en la arquitectura », Gustavo Gili, 2013. •Juhani Pallasmaa, «La mano que piensa: Sabiduría existencial y corporal en la arquitectura », Gustavo Gili, 2012. • Grigoriadou, Magdalini, « El imaginario en la génesis del proyecto arquitectónico: La construcción de la realidad a través del mito, la utopía y la cibercultura», Dizeno editorial, 2014. • Rupert Sheldrake, « La Hipótesis de la causación formativa », édition Kairos, 1981.

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bibliographie partie théorique : ouvrages en français : • Brignon, Amine, Boutaleb, Martinet, Rosenberger, Terrasse, « Histoire du Maroc », Hatier, 1967. • Catherine Cambazard-Amahan, « Le décor sur bois dans l’architecture de Fès », CNRS Editions, 2007 • Hammad Berrada, « La médersa dans la ville: sous les Mérinides, les Nasrides, les Abdelwadides et les Hafsides », éditions Marsam, 2017. • Hamid Triki et Alain Dovifat, « Medersa de Marrakech », édition la croisée des chemins, 1990. • Ibn Khaldoun, « les prolégomènes (Al Moqadima d’Ibn Khaldoun) », 1377. • Jacques Revault, « Palais et demeures de Fès : Époques mérinide et saadienne », Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, 1985.• Oleg Grabar, « La formation de l’art islamique », Flammarion, 2008 •Jean-François Clément, « La conception musulmane de Dieu au risque de la psychanalyse », Horizons Maghrébins, 1986. • Jean Leon African (Hassan al-Wazzan), « Description de l’Afrique : tierce partie du monde », 1550. • M. Khaneboubi, « L’enseignement sous les premiers Mérinides : Interférences entre le politique et le religieux », Horizons Maghrébins, 1986. • Maya Shatzmiller, « Le mythe d’origine berbère (aspects historiques et sociaux) », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983. • Maya Shatzmiller, « L‘historiographie mérinide : Ibn Khaldūn et ses contemporains », édition Arabica, 1987.

ouvrages en arabe :

‫ احل�سين الكتاين‬/‫ محمد عبد احلي بن عبد الكبري‬, ‫مايض القرويني وم�ستقبهل‬ ‫ روجيه لوتورنو‬,‫فاس يف عرص بين مرين‬ ‫ هاةل عبد الرازق محمد‬,‫أسواق فاس يف العرص املريين‬ ‫ادلرعي السالوي‬/‫ أيب العباس شهاب ادلين أمحد‬,‫الا�ستقصاء ألخبار دول املغرب األقىص‬ ‫ عبد هللا حامدي اإلدرييس‬,‫قاعدة املغرب األقىص قبل فاس‬ ‫ محمد املنوين‬,‫ورقات عن حضارة املرينيني‬ ‫ لسان ادلين ابن اخلطيب‬,‫اإلحاطة يف أخبار غرانطة‬ ‫ لسان ادلين ابن اخلطيب‬,‫نفاضة اجلراب يف عالةل الاغرتاب‬

• • • • • • • •

‫ فتحي حسن ملاكوي‬,‫• مرشوعات حبثية يف الرتاث الرتبوي اإلساليم‬ ‫ ابن أيب زرع‬,‫• األنيس املطرب بروض القرطاس يف أخبار ملوك املغرب واترخي مدينة فاس‬ ‫احل�سين الكتاين‬/‫ محمد عبد احلي بن عبد الكبري‬,‫• مايض القرويني وم�ستقبلها‬

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LISTE DES FIGURES : PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE : [1] - Tour de Babel, © Elena Schweitzer, [2] - Le mausolée d’Halicarnasse, © Evgeny Kazantsev, [3] - La pyramide de Gizeh, © Scott Richard

introduction : [4] - Galilée devant le Saint Office au Vatican (1847), Joseph-Nicolas Robert-Fleury

Chapitre i : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec le corps humain : [5] - Mosquée Hassan II, Casablanca, Maroc Michel Pinseau (1993) [6] - Opéra de Sydney, Australie John Utzon (1973) [7] - Casa Gilardi, Mexique Luis Barragán (1976) [8] - Casa Gilardi, Mexique Luis Barragán (1976) [9] - Maison sur cascade Frank Lloyd Wright [10] - Réplique Maison sur cascade Mohamed Sahraoui (Tipaza, Algérie) [11] - Pavillon allemand de Barcelone Mies Van Der Rohe [12] - Installation Mies missing materiality Anna & Eugeni Bach [13] - Farnsworth house, Mies Van Der Rohe, [14] - Réplique FARNSWORTH HOUSE Scéne film Batman vs Superman (Zack Snyder [15] - Tour eiffel Paris, France. [16] - Réplique Tour eiffel Fés, Maroc [17] - L’église de la lumiere, Osaka, Japon Tadao Ando, (1999) [18] - L’église sur l’eau, Hokkaido, Japon Tadao Ando, (1988) [19] - Scéne du film «300», Zak Snyder (2006) [20] - Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970) [21] - Aérogare,Tit Mellil, Jean-François Zevaco (1960) [22] - Villa suiza,Casablanca, Jean-François Zevaco (1947) [23] - Mosquee suna,Casablanca, Jean-François Zevaco (1970) [24] - Immeuble gallinari (1924) Les frères Suraqui, Casablanca [25] - Immeuble La Princière (1920) Pappalardo Charles, Casablanca [26] - Immeuble Maret (1932) Frères Delaporte, Casablanca [27] - Kasbah Ait haddou, Maroc [28] - Kasbah Ait haddou, Maroc [29] - Chefchaouen, Maroc [30] - Désert abU DHABI Abu Dhabi, Émirats arabes [31] - Lonely Metropolitan Herbert Bayer (1932) [32] - La tannerie Chouwara Souk Eddabaghin, Fés [33] - Image de la série Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970) [34] - Image de la série Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970) [35] - Image de la série Sci-fi Illustrations Nikolai Lutohin (1970) [36] - Mirror House, (1996) Ekkehard Altenburger [37] - Mirror House, (1996) Ekkehard Altenburger [38] - L’église transparente, (2011) Van Vaerenbergh, Belgique [39] - Sculpture « Horizons », (1994) Neil Dawson, Nouvelle Zélande [40] - Figure de kanizsa [41] - Figure de kanizsa [42] - Figure de kanizsa [43] - Microcosme du mécanisme de perception Robert Fludd(1619) [44] - The Matrix Lana et Lilly Wachowski, (1999) [45] - Pan’s labyrinth Guillermo del Toro,(2006) [46] - L’Imaginarium du docteur Parnassus Terry Gilliam, (2009) [47] - Impact Kairos (Passé/Présent) [48] - Impact Chronos (Passé/Présent) [49] - Pélerinage saison Hajj/Pélerinage période Omra) [50] - Édifice Metrópolis, Madrid,(1911) [51] - Nid d’abeille, Casablanca, (1931) [52] - Glass House, New canaan, (1931) [53] - Place Cibeles, Madrid, Hala Madrid y nada mas (1895) [54] - Les facteurs engendrant la dimension latente, © Med Yahya El Alj [55] - Les vecteurs tengeants élémentaires à la formulation de l’identité perceptible © Med Yahya El Alj [56] - Les mécanismes acheminemant que suivra la formulatio de la perception, © Med Yahya El Alj [57] - Le processus de conformation de l’identité architecturale perceptible et discursive, © Med Yahya El Alj

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Chapitre II : La linguistique architectural etla lecture de l’architecture : [58] - Cheval de Troie Louis Glanzman [59] - Le Jugement dernier, Hans Memling, 1471 [60] - Le Jugement dernier, Hans Memling, 1471 [61] - Le culte de Moloch, Charles Foster, 1897 [62] - Les deux faces du signe linguistique Ferdiand de Saussure [63] - Le triangle sémiotique Ogden & Richards [64] - Le triangle sémiotique d’un cheval [65] - I am a Monument, Robert Venturi & Denise Scott Brown, Learning from Las Vegas (1972) [66] - La trahison des images, René Magritte (1929) [67] - Devise minimalisme, Mies Van der Rohe (1947) [68] - S, M, L, XL, Rem Koolhaas (1994) [69] - L’animal le plus dangereux du monde Zoo de Bronx, (1960) [70] - Les 5 points de l‘architecture moderne Le Corbusier [71] - Le phare d’Alexandrie Alexandrie, Egypte (280 av.J-C/1480) [72] - Maristan Sidi Frej Fés, Maroc (1286) [73] - Tente en peaux Période néolithique [74] - Ziggourat d’Ur Mésopotamie, Irak, Moyen Orient [75] - Pyramide du Soleil Teotihuacan, Méxique, Amérique du Nord [76] - La pyramide de de Djéser Saqqarah -Gizeh-, Égypte, Afrique [77] - Pyramide de Kukulcán Chichen Itza, Méxique, Amérique du Nord [78] - Prasat Thom Koh Ker, Cambodge, Asie du Sud-Est [79] - Stèle d’Itzamnaj Balam III Temple Yaxchilan,Mexique Civilisation Maya [80] - Stèle de la déesse Ishtar Temple de Dur- Sharrukin, Iraq Civilisation assyrienne [81] - Stèle des déesses Al-Lat Temple de Hart, Iraq Civilisation de Harta [82] - Temple d’Abou Simbel Aswan, Egypte Civilisation égyptienne [83] - La Khazneh Petra, Jordanie Civilisation nabatéenne [84] - Tombeau d’amyntas Telmessus, Turquie Civilisation macédonienne [85] - La porte des nations Persepolis, Iran Civilisation archémédienne [86] - Temple de Banteay Srei Isvarapura, Cambodge, Civilisation de l’Indus [87] - Erechthéion, Athènes, Grèce, Civilisation Grecque [88] - Proportions de la grande pyramide de Gizeh Gizeh, Egypt [89] - Proportion du parthénon d’Athènes Athènes, Grèce [90] - Chapelle des Pazzi Filippo Brunelleschi (1429) [91] - L’homme de vitruve Léonard de Vinci (1490) [92] - La cité idéale Piero Della Francesca (1480) [93] - La Villa Rotonda Andrea Palladio (1571) [94] - Palais de Blenheim John Vanbrugh (1987) [95] - Nid d’abeille Georges Candilis, Casablanca, Maroc (1952) [96] - L’école du Bauhaus Walter Gropius, Dessau, Allemagne (1919) [97] - La cité radieuse Le Corbusier, Marseille, France (1952) [98] - Le Seagram Building Mies Van der Rohe, New York, USA (1958) [99] - Couverture du livre « story of post modernism» Charles Jencks(2011) [100] - Pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte [101] - Caracol de Chichen Itza Yucatan, Méxique [102] - Basilique Sacré-Cœur Montmartre, Paris, France [103] - Palais Al Méchouar (1570) [104] - Cour des Lions Al Hambra Granada (1354-1391) [105] - Pavillon Marocain Malaisie Putrajaya (2018) [106] - Casa Barragan Luis Barragan,Cuerámaro (1948) [107] - Muralla roja Ricardo Boffil, Alicante (1968) [108] - Jardin Majorelle J.Majorelle, Marrakech (1929) [109] - Les constantes variables de l’image corporelle architectural [110] - Palais Walt Disney L’univers de Disney [111] - Palais Walt Disney Disney land, Paris [112] - Shanghai Shanghai, Chine [113] - Ville de Dubaï Dubaï,UAE [114] - Stonehenge Salisbury, Royaume-Uni [115] - Pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte [116] - Pyramide de Kukulcán Chichén Itzá, Méxique [117] - Freemasons Hall Molsworth Dublin, Irland [118] - Le capitole Washington, États-Unis [119] - Statue de la Liberté New York, États-Unis [120] - Statue Sindibad Aïn Diab, Casablanca

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[121] - Kiosque jus d’orange Aïn Sbaa, Casablanca [122] - Enseigne Megarama Aïn Diab, Casablanca [123] - La chute du mur de Berlin Berlin, Allemagne [124] - Attentat 11 septembre Manhattan, Etas-Unis [125] - La chute de la statue de Saddam Hussein Bagdad, Irak [126] - Figure 126 : [127] - Figure 127 : [128] - Figure 128 : [129] - Jonas Salk au centre «Salk institute» Louis Kahn [130] - L’aéroport Jewel Changi Changi, Singapour [131] - Musée de l’archéologie sous-marine Jean Nouvel, Monaco [132] - Louvre Abou Dabi Jean Nouvel, Abou Dabi, UAE [133] - La médina de Marrakech, Marrakech, Maroc [134] - Hammam de cagaloglu Istanbul, Turquie [135] - La Citerne portugaise El Jadida, Maroc [136] - Pyramide de Gizeh Gizeh, Egypte [137] - Pyramide du Louvre Paris, France [138] - Hôtel Luxor Las Vegas, Etas-unis [139] - Temple d’HathorLuxor, Egypte [140] - KV2, Tombeau Ramses IV, Valée des rois, Luxor, Egypte [141] - Karnak Luxor, Egypte [142] - Temple d’Horus Edfouw, Egypte [143] - Temple Séthi I Luxor, Egypte [144] - Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte [145] - Was ist Metaphysik?, Michele Durazzi, (2018) [146] - The Wave Jørn Utzon, (2015) [147] - Grand théâtre de Harbin Ma Yansong, (2015) [148] - The Wave Roman Vlasov, (2016) [149] - Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte [150] - Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte [151] - Complexe de Dendérah Dendérah, Egypte [152] - Montagne de Tindaya, Eduardo Chillida,(1966) [153] - Le musée de Neandertal, Barozzi Veiga, (2010) [154] - Parc Saya, Alvaro Siza, (2018) [155] - Musée Yves Saint Laurent, Studio KO, (2017) [156] - Aéroport de Guelmim, groupe 3 architectes, (2018). [157] - La villa D, Studio KO, 2004 [158] - La villa Savoye, Le Corbusier, Poissy, France [159] -Série d’image illustrant le lien entre les couleurs de l’espace et notre interprétation de lui. [160] - Juun.J Flagship Store, WGNB, Seoul, (2005) [161] - Musée Allmannajuvet, Peter Zumthor, Norvège, (2016) [162] - The VIPP Shelter, VIPP, Danemark, (2014) [163] - Centre Heydar Aliyev, Zaha Hadid, Baku, (2013) [164] - Esplanada Studio, Tatiana Bilbao, Méxique, (2006) [165] - V House, CotaParedes , Méxique, (2015) [166] - 5th Annual CSE, C.Cormier, Montréal, (2012) [167] - Qiora Store & Spa, ARO, New York, (2001) [168] - Muralla roja, Ricardo Boffil, Alicante (1968) [169] - Pipeline, Matthew Schreiber [170] - Centro de Visitantes, Zhaoyang, Río Niyang, (2009) [171] - Muralla roja, Ricardo Boffil, Alicante (1968) [172] - Musée Yves Saint Laurent, [173] - Green chapel, Cyril Lancelin, France, (2017) [174] - Royal Ontario Museum, D.Libeskind, Toronto, (2007) [175] - Mausolée de Moulay Ismaïl, Meknès, (1703) [176] - Casa Gilardi, Luis Barragan,México, (1976) [177] - Likeshop Showroom, Eduard Eremchuk, Russia, (2017) [178] - Casa Barragan, Luis Barragan,Cuerámaro, (1948) [179] - Casa Blanca, Martín Dulanto, Pérou,(2014) [180] - Maison Bernard, Odile Decq,France,(2015) [181] - Theatre Agora, UNStudio, Lelystad-Haven,(2007) [182] - Exhibition Hall, Marte Architects, Dorbirn,(2017) [183] - MagicCasa, Said Berrada, Casablanca,(2017) [184] - Casa Gilardi, Luis Barragan,México, (1976) [185] - Muralla roja, Ricardo Boffil, Alicante (1968)

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[186] - Hôtel Rosas & Xocolate, Carol Kolozs, Mérida, (2015) [187] - Scéne du film « The Godfather», Francis Ford Coppola, (1972) [188] - Scéne du film « Harry potter et les reliques de la mort II », David Yates, (2011) [189] - Scéne du film « Joker », Todd Phillips, (2019) [190] - Scéne du film « Joker », Todd Phillips, (2019)

Chapitre iII : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec le corps humain : [191] - Tour de Babel, Babylone, Irak [192] - Statue Ramsis II, Memphis, Egypte [193] - Parthénon d’Athènes, Athènes, Grèce [194] - La villa Savoye (Le Corbusier) Poissy, France [195] - Musée d’art Milwaukee Milwaukee, Etats-unis [196] - Lamassu Sheru (Chérubin) Temple Sergon II, Dur-Sharrukin, Irak [197] - Temple d’Athéna, Lindos, Grèce [198] - Temple de Philae Assouan, Egypte [199] - Porte d’Ishtar, Babylone, Irak [200] - Maison du garde Agricoles, Claude-Nicolas Ledoux, 1790 [201] - Cénotaphe à Newton Étienne-Louis Boullée, 1784 [202] - La cité-jardin Ebenezer Howar, 1902 [203] - La théorie des 3 magnets Ebenezer Howar, 1898 [204] - Palais des Soviets Boris Iofane, 1933 [205] - The Walking City Archigram, 1965 [206] - The Matrix Lana et Lilly Wachowski, (1999) [207] - Les gratte-ciels de Dubaï, U.A.E [208] - Restaurant Under, Snøhetta, Lindesnes, Norvège [209] - Bund Finance Center (2017), Shanghai, Chine, Heatherwick & Foster, [210] - Casa do Penedo (1974),Fafe, Portugal [211] - Krzywy Domek (2004) Sopot, Pologne [212] - Librairie Zhongshuge Shangaï, Chine [213] - 2D café Yeonnam-dong Seoul, Corée du Sud [214] - Chapelle San Bernardo (2015) Nicolas Campodonico, Cordoba, Argentine [215] - Chapelle San Bernardo (2015)Nicolas Campodonico, Cordoba, Argentine

Chapitre iv : L’architecture comme vecteur de postériorité : [216] - Affiche du film « Up », Pete Docter, 2009 [217] - Arc de Caracalla Volubilis, Meknès, Maroc [218] - Ruines sala colonia Chellah, Rabat, Maroc [219] - Ruines Tamuda, Tamuda, Maroc [220] - Bab Agnaou, VIIème siècle Marrakech, Maroc [221] - Bab Lamrissa, XIIIème siècle Marrakech, Maroc [222] - Bab Mansour El Alj Meknès, XVIIIe siècle, Maroc [223] - Mosquée Tinmel, Tinmel 1153, Maroc [224] - Tour Hassan Rabat, 1196, Maroc [225] - Mosquée Tinmel, Tinmel 1153, Maroc [226] - Medersa Ben Youssef, Marrakech, 1350, Maroc [227] - Immeuble Crédit agricole Rabat, 1962, Maroc [228] - Cathédrale Saint Pierre Rabat, 1912, Maroc [229] - LM House, Mehdi Berrada Casablanca, 2017, Maroc [230] - Villa C, Mygroup Rabat, 2016, Maroc [231] - Villa Z, Amine Siana Casablanca, 2015, Maroc [232] - Grand théâtre de Rabat, Zaha Hadid Rabat, 2020, Maroc [233] - Grand théâtre de Casablanca,Christian de portzamparc Casablanca, 2020, Maroc [234] - Tour Mohamed VI Rafael de la Hoz Rabat 2022, Maroc [235] - Cromlech de M’zora, Village Chouahed, Asilah, Maroc [236] - Cromlech des Almendres, Nossa Senhora, Évora, Portugal [237] - Stonehenge, Nossa Senhora, Wiltshire, Royaume-Uni [238] - Cromlech Drombeg, Drombeg, West Cork, Irland [239] - Temple de Poséidon Lixus, Maroc [240] - La maison des 12 travaux d’Hercules, Volubilis, Maroc [241] - Grotte d’Hercules Tanger Maroc [242] - Le jardin des Hespérides Edward Burne-Jones [243] - Mausolée Sidi Charmharouch Imlil, Maroc [244] - Mosquée Sidi Chiker Yousouphia,Maroc

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[245] - La synagogue algérienne, Oujda, Maroc [246] - Eglise Saint Jacques Mohammedia Maroc [247] - Immeuble Dar Tayr Tétouan, 1920, Maroc [248] - Ciartel R’kaina Tétouan, 1918, Maroc [249] - Grand Théâtre Cervantès Tanger, 1913, Maroc [250] - Figure 226 : [251] - La banque commerciale Casablanca, 1911, Maroc [252] - Le siège de la Wilaya Casablanca, 1937, Maroc [253] - Cinéma liberté Casablanca, 1910, Maroc [254] - Cinéma liberté Casablanca, 1954, Maroc [255] - Cinéma Roxy Tanger, 1938, Maroc [256] - Cinéma Camera, Meknès 1938, Maroc [257] - Figure 233 : [258] - Figure 234 :

Chapitre v : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec le corps humain : [259] - [260] - [261] - [262] - [263] - [264] - [265] - [266] - [267] - [268] - [269] - [270] - [271] - [272] - [273] - [274] - [275] [276] [277] [278] [279] [280] [281] [282] [283] [284] [285] [286] [287] [288] [289] [290] [291] [292] [293] [294] [295] [296] [297] [298] [299] [300] [301] [302] [303] [304] [305] [306]

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Figure 235 : Figure 236 : Figure 237 : Figure 238 : Figure 239 : Figure 240 : Figure 241 : Figure 242 : Figure 243 : Figure 244 : Figure 245 : Figure 246 : Figure 247 : Figure 248 : Figure 249 : Figure 250 :


[307] [308] [309] [310] [311] [312] [313] [314] [315] [316] [317] [318] [319] [320] [321] [322] [323] [324] [325] [326] [327] [328] [329] [330] [331] [332] [333] [334] [335] [336] [337] [338] [339] [340] [341] [342] [343] [344] [345] [346] [347] [348] [349] [350] [351] [352] [353] [354] [355] [356] [357] [358] [359] [360]

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table de matière : Problématiques et hypothèse .................................................................................. 8 Plan de Travail ........................................................................................................... 12 Introduction : Le réel et la réalité entre perception et imaginaire ....................... 15 Chapitre I : L’anatomie du corps architectural et son dialogue avec l’humain 1 - L’anatomie d’une architecture :

................................................................................ 21 Le corps architectural et son mécanisme de fonctionnement : ............................................. 24 1. L’architecture et ses dimensions :

2 - Le dialogue espace/usager :

1. Le système réceptif et ses mécanismes de fonctionnement : .............................................

32 48 3 - Le facteur temps dans la formulation dialogue espace/usager : ............................ 51 2. La perception comme lecture sensible de l’espace architectural : ....................................

Chapitre II : la linguistique architecturale et l’interprétation de l’architecture : 1 - Introduction : ..................................................................................................................... 59 2 - Le langage verbal : ........................................................................................................... 60 1.Le rôle du langage verbal dans la conception de l’entité architecturale : .............................. 62 2.Le langage comme représentation verbal de l’entité architecturale : .................................... 71 3 - Le langage architectural : ............................................................................................... 75 1. Aux origines de l’architecture comme forme et comme langage : ....................................... 75 2. L’architecture comme outil linguistique et comme image : .................................................... 85 3. Le style comme image d’une pensée : ................................................................................... 88 4. L’image corporelle : forme, signe et symbole : ........................................................................ 91 4 - L’architecture comme langage : ....................................................................................101 1. La sémantique de l’espace et l’identité architecturale : ........................................................102 2. Le rôle de la sémantique dans la structuration de notre perception architecturale : .............105 3. Les composantes sémiotiques de l’objet architectural et le lexique des formes : ...................107

Chapitre III : L’imaginaire et son inhérence à l’architecture : 1 - Introduction : ...................................................................................................................... 59 2 - Le mythe et l’utopie dans la construction du réel : ....................................................... 60 1. La religion, le mythe et la genèse de l’architecture : .............................................................127 2. L’évolution de l’imaginaire : des ambitions chimériques au utopies réalistes ..........................130 3. De l’utopie au réel : du dessein utopique à la transcription de l’utopie dans la réalité ............134

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3 - Le role de l’imaginaire dans la construction de noitre perception : ...........................138 1. L’hétérotopie comme instrument constructive et discursive : ................................................139 2. L’imaginaire collectif et la construction de la perception : ....................................................142 3. L’architecture comme production hétérotopique fruit d’images poétiques : ........................144 4. Le facteur temps et l’aspect mutant de L’hétérotopie ...........................................................146

Chapitre IV : L’architecture comme vecteur de postériorité 1 - Introduction : .....................................................................................................................149 2 - Les vestiges du passé scellés dans les formes linguistiques architecturales ..................... 151 3 - Les fondements de la méthodologie de lecture et d’analyse .......................................158

Chapitre V : L’architecture mérinide : analyse et relecture 1 - Introduction : .....................................................................................................................165 2 - Lecture historique du cadre contextuelrelatif à la période mérinide : ..........................169 1. Aux origines de la dynastie mérinide : ...................................................................................169 2. Le contexte socio-culturel et politique à l’époque mérinide ..................................................170 3. L’art et l’architecture dans ce contexte spatio-temporel .......................................................172 3 - Les medersas à l’ère mérinide : lecture, analyse et décortication .............................176 1. Ce que le langage verbal nous révèle sur l’architecture mérinide : ........................................176 2. Ce que le langage des formes nousrévèle sur l’architecture mérinide : ..................................183 3. Ce que l’architecture mérinide,comme langage, nous révèle sur elle meme : .................... 214 4 - Ce que les medersas nous révèlent comme vérité sur la période mérinide ...............222

Synthèse ............................................................................................................................ 229 Bibliographie ........................................................................................................... 230 Liste des figures ....................................................................................................... 232

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