Aventure des Noms

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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L’AVENTURE DES NOMS

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Du même auteur Aux éditions Polymnie’ Script Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Disciple des Orphelins Erotisme d’un Bandit Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Œil de la Nuit Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Tristesse d’un Volcan Ventre du Loup Vices du Ciel Villes des Revenants

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MEL ESPELLE

L’AVENTURE DES NOMS

Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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A tous ceux qui croient en leur destinĂŠe.

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Chapitre 1

Les chevaux couraient en ce samedi 12 juin 1953 ; on pariait évidemment sur nos chevaux Day of May et Prince Louis. Les champs de course du Kentucky attiraient du beau monde et derrière mes lunettes je lorgnais du côté des tribunes à la recherche de vedettes du petit écran, de la télévision et de la radio auprès de qui me faire connaitre. Mon frère John souriait à toutva, distribuant des sourires ici et là. Le chapeau sur la tête, il tirait sur son cigare de la Havane, l’œil brillant et vif. Un homme se précipita vers nous, le sourire aux lèvres. « McGowan ! John McGowan et comment vas-tu vieille branche ? » Et mon frère de me présenter à sa relation. Derrière mes jumelles je tendis une brève poignée de mains sans même le regarder. « Ma sœur Aubrey, elle étudie à Berkeley pour un jour se distinguer en tant que journaliste. En ce moment son attention se porte vers le gratin mondain logé dans les loges du dessus. Et que deviens-tu Nick ? Toujours dans l’élevage des canassons ? —Plus que jamais ! Pourquoi étudier aussi loin Miss Aubrey, quand la côte est regorge de prestigieuses universités ?Il

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faut admettre que Berkeley n’est pas à côté ! » Le pédant m’étudiait de la tête aux pieds. J’eus la nette impression qu’il ne me prenait pas au sérieux. « Les universités de Californie sont réputées pour avoir un taux de réussite équivalente à Harvard ou le MIT ! Vois-tu toujours Dean et Richard ? J’ai cru comprendre qu’ils étaient de retour dans le coin. —Oui en Caroline du Nord, précisément. Et la Californie vous plait ? Insista ce grand gaillard à la mine altière portant une cravate à rayures détonnant sur son costume gris. —Assurément oui. » Fut ma réponse. Au micro on annonçait l’arrivée des prochains sprinters dont aucun n’attiraient suffisamment mon attention. Leur propriétaire venait de quitter le paddock et suivit par les représentants de la presse, gonflaient du torse heureux que l’on puisse s’intéresser à leur canassons. John écrivait quelques notes sur son turf. « Il faudra que tu passes nous voir à l’occasion, toi et ta charmante sœur John ! Tu connais toujours le chemin de la maison n’est-ce pas ? Alors Aubrey, au plaisir de se revoir ! » Une fois partis, j’interrogeai John du regard. il haussa les épaules. Les chevaux se mirent en place. John pariait à chaque couse et il disait que je lui portais chance. Les grilles s’ouvrirent avec fracas et les chevaux s’élancèrent en une seule masse. L’angoisse se lisait sur le visage de mon frère qui s’impatientait de voir les tours terminés pour empocher ses gains.

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En tournant la tête je crus reconnaitre Randa. « John ! je crois rêver mais je crois que Randal est ici, juste derrière nous ! —Allez Colvert ! Allez mon vieux ! Randal Byron-Doyle ? Peu probable il est à Washington à emmerder de vieux sénateurs sur le déclin. Allez Colvert ! Ce cheval devrait remonter, je ne comprends pas ce qu’il fiche ! —Alors si ce n’est pas lui, je veux bien être pendue. » Mon regard de nouveau se glissa vers le noyau constituait d’une poignée d’hommes endimanchés portant des boutons de manchette en argent et des cravates de soie. Randal d’où je me trouvais être ne pouvait pas me voir. Il dominait ce groupe de sa haute taille et affichait son charmant sourire comme d’autres arborent fièrement leur carte de visite. Mon cœur battait fort. Devais-je aller le saluer ? « Bon, admettons que se soit lui, que feras-tu sœurette, Il n’a certainement pas l’intention d’être vu en ta compagnie. —Et pourquoi ? Questionnai-je vexée, laissant choir mes lunettes sur ma poitrine. —Et bien parce qu’il est un ByronDoyle et toi qu’une McGowan. Ces gens là ne fréquentent pas notre monde, alors arrêtes de rêver les yeux grands ouverts. Oh, par tos les Saints ! Ce cheval va me faire perdre mes gains ! » Alors sournoisement je lâchais la rambarde pour me diriger vers le noyau de gentlemen. « Randal ? » Il cessa de parler pour se tourner vers moi. Le temps se suspendit le temps qu’il recouvre ses esprits.

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« Aubrey McGowan, ça alors ! Pour une surprise, ça c’est une surprise ! Veuillez m’excuser messieurs ! Je vous présente une amie de longue date, Miss Aubrey McGowan dont l’illustre grand-père a travaillé depuis plus de trente ans à la Maison-Blanche! Miss McGowan, je tiens à vous présenter les sénateurs Lee, Jackson, Rogers, Reed et les juges bailey, Jones et Barnes. Veuillez m’excuser Messieurs, mais circonstances obligent, je vous abandonne quelques minutes ! » Randal me saisit par le bras pour me conduire plus loin de cet attroupement. « Es-tu e passage dans le Kentucky ? —Oui nos chevaux courent aujourd’hui. Et toi ? Quand regagnes-tu Washington ? —Je m’accorde quelques jours de récréation. Et quand est-il de l’université ? —Je termine mon trimestre. » Son regard plongea dans le mien. Il resta un moment à m’étudier, perdu dans ses pensées. On ne s’était pas vu depuis des mois et nous ne trouvions rien à nous dire. Il fronça les sourcils. « Tu veux boire quelque chose ? Viens, suis-moi ! » On se fraya un chemin à travers les spectateurs. Des cris de joie s’élevèrent dans les cieux au moment où les chevaux franchirent la ligne d’arrivée. On se retrouva à la porte d’une loge et j’essayais de prendre un air détache comme si notre rencontre tenait de quelque chose d’ordinaire. Il me précéda dans la grande pièce devant la baie vitrée des groupes de hommes et de femmes buvaient du champagne tout en échangeant les derniers potins à la mode, les résultats de telle élection, l’économie et tant de sujets divers

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et variés. Randal revint avec deux flûtes de champagne. « Trinquons à nos retrouvailles, Dee… » Le cristal s’entrechoqua. Je bus la première gorgée, intimidée par ce beau monde. « Tu te destines toujours à écrire journaliste ? Il y a ici des personnalités du milieu à qui je peux te présenter car une fois ton obtenu, j’espère que tu reviendras dans le coin. —J’étudie toutes les propositions. Comment va Gale ? —il se porte comme un charme. Il finit son cursus universitaire à Harvard comme tu le sais et comme tous les ans, lui et ses relations de confrérie se rendront au Cap North pour deux mois. Un moment à ne pas manquer pour qui n’a jamais eu l’occasion de voir des jeunes ambitieux hors de leurs manuels d’économie, de droit et de littérature. J’espère qu’on aura l’occasion de t’y croiser. —Oui j’irai y saluer mes grandsparents.» Il se perdit de nouveau dans ses pensées. « Et tu écris en ce moment ? —Non, mais je profiterai des vacances à venir pour pondre quelque chose. —Pas d’emploi en vue ? —Pour l’instant non. John me proposait de venir dans son cabinet mais je convoite quelque chose de plus exaltant. —Je t’imagine mal être journaliste sportif. —Je pensais plutôt à la politique. —Oh, vaste sujet que la politique ! Quand repars-tu ? Tu comptes rester encore un peu ici avant de mettre les voiles pour la Californie ?

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—Je reste la semaine chez mes parents et ensuite je fais route pour New York. De là j’aurais un vol pour Los Angeles. —Je crois que cela peut se faire, New York. Il y a un petit moment que je n’y ai pas mis les pieds. On pourrait se faire l’Empire State Building avant ton départ, qu’est-ce que tu en penses ? Je te réserve un bon hôtel à mes frais et tu n’auras pas à te soucier de rien. Mon père est ici Il serait heureux de te revoir. Viens s’il te plait ! » Devinant la présence de son ainé, Marcus se recula et afficha un large sourire en me voyant arriver. Marcus me considérait comme sa fille, celle qu’il n’avait eu et mes frères étaient ses fils. Tous les ans, nous passions Thanksgiving ensemble ainsi que les vacances estivales. John exagérait en disant que son monde ne côtoyait pas le notre. Il me serra dans ses bras, si fort que je vins à manquer de souffle. « Incroyable… nous pensions justement à vous pas plus tard que ce matin et voilà qu’une McGowan se matérialise, affirma ce dernier en échangeant un bref regard avec son fils, vous dinerez avec nous ce soir quelque soit la victoire de vos chevaux ? J’insiste Aubrey et où es donc votre frère ? —Il surveille de près les courses. Vous le connaissez il ne fait jamais les choses à moitié quand il s’agit de la renommée de ces petits protégés. » Il lissa sa fine moustache. Il avait tant fait pour mes grands-parents et mes frères. Il appuya ma demande pour Berkeley comme celle de mes ainées Princeton et autre. Ce sénateur avait un grand cœur et il était connu qu’il donnait plus qu’il ne recevait.

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« J’insiste alors pour vous compter parmi nous ce soir. Il n’ya pas repas plus enflammés que ceux animés par la passion. Mon chauffeur viendra vous chercher à demeure. A ce soir, Aubrey ! »

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CHAPITRE L’histoire de ma famille commence avec les chevaux et se finira avec les chevaux. D’aussi loin que l’on se souvienne, la fortune de mes aïeux fut bâtie sur les purssangs du Kentucky. De grands noms prestigieux ont été élevés ici, dans ce ranch. Les murs illustrent la grandeur des McGowan. John passa dans le couloir et posa un bref baisé sur mes joues. « Es-tu prête ? —C’est toi que j’attends. Quand tu es là tu ne peux pas t’empêcher d’aller tous les chevaux qui ont le malheur de croiser ta route. Je te rappelle que nous sommes attendus. —Ne t’inquiète pas pour eux. Ils seront tellement ivres de leur succès qu’ils ne remarqueront même pas notre retard. Ne me dis pas que tu comptes y aller comme ça ! —Et bien quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? —C’est un diner avec le gouverneur Byron-Doyle et toi tu comptes porter cette robe ? Tu risques seulement de faire pitié dans cette frusque. Mets quelque chose de plus habillée Dee, je ne peux pas te laisser partir comme ça ! » La nuit nous enveloppait quand les phares balayèrent l’entrée du grand domaine des Byron-Doyle. Après avoir franchi les grilles, mon cœur se mit à battre lentement et plus encore en voyant les nombreuses voitures garées à quelques mètres du grand portail. John coupa le moteur de sa Ford. «Essayes un peu de sourire petite sœur, on dirait que tu n’es pas heureuse de te

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retrouver là. Bee, ce n’est qu’un diner alors, détends-toi ! » On sonna à la porte. La majordome ouvrit. Et apparut Gale, encore plus beau que dans mes souvenirs. « Mais qu’est-ce que tu fais là Dee ? Je te croyais en Californie ! Tu es magnifique mais cette robe est superflue, c’est un diner entre nous, quelque chose en somme de très modeste ! Tu connais Hershey n’est-ce pas ? Un vieux pote d’Harvard. John, merci d’avoir amené ta sœur. N’estce pas qu’elle est belle Hershey ? —Bonsoir Aubrey, ravi de te revoir ! » Après quoi, Gale me serra fermement dans ses bras. L’intérieur de l’immense demeure était à l’image de ses gens, majestueuse et lumineuses. On me présenta à tous plus d’inconnus, venus là pour passer un moment de détente avec les Byron-Doyle. Randal passa de longues minutes en discussion avec un bel homme nommé Damon Elias. Gale me parlait beaucoup. Il voulait tout savoir sur mon cursus universitaire comme s’il l’ignorait. Quand a paraitre à l’aise, je ne l’étais pas en raison de cette robe bien trop sophistiquée en vue des costumes sombres et sans fioritures. Hershey dans son coin ne devait pas supporter que je lui vole la vedette. Par moment il prêta oreille à ce que nous disions mais ne prenait jamais part à la discussion. « Comme ça vous briquer les moteurs des vieilles voitures ? » Damon Elias venait de s’assoir près de moi, l’œil visa dans son verre ; « Oui je le fais quand j’ai eu peu de temps. » Il ne semblait pas m’entendre, faisant rouler ses glaçons au fond de son verre. « Vous ne devez pas souvent être à

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demeure d’après ce que je sais. Une fois diplômes, peut-être reviendrez-vous à votre passe-temps favori ? je collectionne les pièces anciennes. » Son regard plongea dans le mien. Un bel homme et timide il avait du prendre sur lui pour venir me parler inhiber par les effets de l’alcool dans son organisme. « Mais pas seulement je m’intéresse aussi bateaux. Votre frère dit que vous êtes un bon skipper. —John a du également vous dire que je suis una cavalière émérite et que je me noie dans la littérature pour y trouver un plaisir sans équivoque. Mon frère n’a pas la langue dans sa poche. » Il s’en alla sans rien ajouter d’autres. Quelle imbécile étais-je ? Je n’avais pas cherché à le faire fuir. J’avais raison au sujet de Hershey. Il cherchait à me mettre mal à l’aise par tous les moyens. Son sourire m’insupportait. Toute cette suffisante dont les hommes de sa condition en était capable me rendait folle. Lui et ses idées rétrogrades pouvaient bien aller se faire fiche. « D’accord petite maline est que pensestu de la loi interdisant aux personnes mixtes de contracter le mariage ? Vous autres hommes de couleur devaient bien avoir un avis là-dessus ? —Hershey, il se passe quoi avec toi ? Questionna Gale. Navré de devoir vous imposer la présence de ce vieux réactionnaire ! Et qu’est-ce que tu dirais qi j’allais sonner chez tes parents pour les interroger sur le droit de te ficher une belle correction. —mais c’est un pays libre ici, Ah, Ah ! Nous avons voté nos lois et vous autres

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sénateurs et députés avaient l’obligation de travailler dans ce sens là ! » Mon regard glissa en direction de John. Lui souriait toujours pas offensé par le discours racoleur de Hershey. Mon frère comme les autres ne comprenaient pas que je prenne cela avec sérieux. « Hershey a raison nous votons pour des meilleures lois et si on chercherait à envoyer un singe dans l’espace, il y aurait toujours un homme comme toi Hershey pour trouver qu’on devrait s’en tenir au silex et au feu de camp. Il y aurait là aucun avantage à se dire humain puisque nous refusons par avance le progrès. » Randal gloussa imité par Marcus. Gale mal en point, tout sourire éblouissant au visage ne se démontait pas pour autant. « Sauf ton respect Aubrey. On quoi cette loi constitue-t-elle un danger pour l’avenir e l’humanité ? la ségrégation est partout autour de nous et vise à défendre nos valeurs et notre culture. Si tu laissais entrer des Africains à Washington et que tu les inviterais à bafouer notre Constitution sous prétexte que ce pays est celui de la liberté alors c’est toi qui serait incriminer. Cela repose même sur les fondements de ce pays. Sans ordre il n’y aurait que corruption et chaos. N’êtes-vous pas d’accord Marcus ? Et toi Randal ? n’est-ce pas ce que vous défendez tous les jours ? —Il va falloir apprendre à la fermer, murmura gale à l’intention de son voisin de table. Cette loi est l’affaire de tous et la Cour Suprême a parfois besoin qu’on lui fasse balayer devant sa porte avant d’aller taper sur les doigts des états qui tentent d’abolir ses décrets visant à avilir tout un peuple qui ne serait pas là si un jour nous n’avions pas eu besoin de lui.

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—Je partage ta vision sur la ségrégation Gale, je ne suis pas là pour me faire l’avocat du diable, je dis seulement qu’on pourrait voir le point de vue de Aubrey avant de taper du poing et s’insurger contre nos représentants ! » J’eu des envies de meurtre facilement identifiables. « Oui je t’entend très bien. Les ânes aiment à s’entendre braire. —Randal, j’ai entendu dire que tu partais à New York, enchaina mon frère qui tentait de sauver les apparences. —Oui j’y accompagne notre représentant du Rhode Islan. Nous y restons quelques jours pour ne point avoir à regertter notre Virginie. —les Atats de la Caroline du nord, du Kentucky et du District de Columbia pourront ainsi respirer, railla Gale plus en forme que jamais. Vos électeurs s’adonneront à leur oglf ou sur leur voilier tout en sirotant un bon gin en relisant les inepties que vous faites publier, toi et ton cabinet, mon frère. » Randal souriait sans se démonter. « A bon, j’ignorai que tu saches lire gale ! —Oui c’est bien connu, il ne sait ni lire ni écrire, attaqua Hershey, il utilise bien trop souvent le talent d’un tiers auteur pour rédiger ses compositions, Ah, ah ! Les seules raisons qu’il aurait d’écrire serait des sujets de cœur. Et quand je pense que la bien sage Miss Lee Crowley aurait jeté son dévolu sur notre prince de la rhétorique. » Grand silence autour de la table. Ce crétin venait de faire mouche et Gale ne souriait pas.

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« Vraiment, Alors mon frère aurait donc viré sa cutille ? Lee Crowley comme le banquier de New York, questionna Gale tournoyant son verre de vin entre ses doigts. Cela devait arriver d’un jour ou l’autre, non ? —la belle déesse lui envoie des lettres d’amour plus e deux fois par semaine et elle l’appelle tous les jours ! poursuivit Hershey sans vouloir s’arrêter de vouloir jaser. --Alors il faudra l’inviter autour de cette table. —Oui, je pourrais Randal mais pour l’instant elle et moi ne faisons que flirter. Il n’y a rien de vraiment sérieux. Du moins, pas comme il vaudrait que se soit. » Randal fronça les sourcils puis glissa un discret regard vers Marcus. « L’amour n’est pas une vaine chose, déclama John. Il fallait toujours qu’il ajouter son grain de sel. A ce sujet ma sœur pourrait vous apprendre bien plus sur les états amoureux proches de la transe que Shakespeare dans toute son œuvre théâtrale. —Euh….je ne vois pas en quoi ! —N’est-ce pas le prochain thème de ton livre ? Ma sœur passe toutes ses nuits à écrire et il ne s’agit pas seulement d’essais sur la littérature américaine depuis Allan Poe à Faulkner. —John na n’a jamais eu le sens de la mesure. —alors c’est de famille, rétorqua Hershey. Randal lança des éclairs dans la direction de ce fouteur de troubles. Doucement je posai mon couteau près de mon assiette quand mon regard croisa celui d’Elias. Il

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détourna son regard pour se concentrer sur sa viande. « Difficile e croire en l’amour quand eux êtres que tout oppose se retrouve en terrain ennemi. C’est peut-être de ce Shakespearelà dont vous parlez ! —Tu en connais un autre, Hershey ? Coupai-je froidement et je finissais par me demander ce que Gale lui trouvait bien. —Et vous M. Damon,, quand reviendrez-vous En Caroline ? Il n’y a pas que des chevaux à étudier, on y aborde toute sorte de sujets ? —Et bien M. Hershey je crois pouvoir dire que ma présence est hautement appréciée dans le nord de ce pays. Et je ne suis ici que dans le but de prendre conseils auprès de Randal. Nous étions tous deux bons camarades à Harvard et encore aujourd’hui j’ai besoin de ses talents d’analystes. » John et moi échangeâmes un bref regard. l’un et l’autre étions prêts à faire le même commentaire qur le duo Gale-Daniel ; pourvu que leur amitié n’aille pas aussi loin ! Randal surprit mon sourire et John enchaina. « Libre à vous ‘apprendre sur le monde équestre. Randal a d’excellents avis sur ce qui sera un champion ou pas. Vous devriez venir plus souvent aux courses. Nous aurions plaisir à vous y croiser. » La soirée touchait à sa fin. On se retrouva dans le salon à partager un dernier verre tout en écoutant un swing. Gale avait une fiancée. Cette information ne remontait à la surface que maintenant. Randal s’assit sur mon accoudoir, un peu grisé par l’alcool. « La soirée est-elle à ton goût ?

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—C’est marrant que tu me poses la question. J’ai la nette impression d’avoir été dupée. Où sont les autres femmes ? Il n’y a pas cette sorcière de Denton à tordre le cou sur mes idées libérales. Qu’est-ce que Marcus a-t-il bien pu faire de cette rabat-joie de Denton ? —Elle ne supporte pas la Caroline, du moins les champs hippiques qui s’étendent d’ici au Kentucky. —Alors ce n’est pas une mauvaise chose. Quant à cet Hershey je me demande encore ce que gale lui trouve de bien. Il est arrogant et suffisant et…. » Les yeux de Gale fixaient mon décolleté. «… il signe continuellement le même discours. Une sorte de vieille rengaine. Comment était Elis à harvard ? —Comme tous mes autres membres de notre fratrie : cultivé et bosseur. On dirait qu’il te plait. Peut-être devrais-tu aller le voir avant que Gale ne lui glisse à l’oreille un doux murmure : Plus maline que notre que la petite souris qui se glisse sous l’oreiller pour y glisser une pièce, nous avons Aubrey McGowan ! —Tu exagères, protestai-je en le pinçant, je n’ai rien d’une légende conçue pour enjoliver l’imagination des gosses. Je me demande de quoi ils parlent là-bas. On dirait une conspiration. Hoover devrait s’inquiéter de l’activité politique de Dan Hershey —je crois que tu ne voudrais pas savoir. Ils parlent des petites chéries qu’ils ont laissées dans le Massachussetts. Je n’entends pas ce qu’il se dit mais je sais lire sur les lèvres. Gale dit : je ne suis pas follement épris de Lee Crowley mais j’envisage tout de même de séduire ses parents. Et Hershey répond ; Attend, une

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seconde ! Je croyais que tu hésitais trop pour te lancer dans pareil projet. Les femmes sont effrayantes, n’as-tu pas un exemple flagrant sous tes yeux. Et Gale ajoute : Si tu parles de Dee, alors oui, elle est terriblement compliquée. D’abord Berkeley puis une carrière en eaux troubles. Hershey semble s’amuser, tu vois. Oui elle est imprévisible ! Elle aurait tout à y gagner si elle écoutait mieux les conseils de ton frère Randal. Sans vouloir te bousculer, tu en es encore avec ton premier cognac. —Non, je n’ai besoin de rien d’autre », répliquai-je lorgnant du côté de mon frère en grande discussion avec Marcus et Elias. Demain il me faudrait reprendre la route. « Randal, je te trouve un peu dur envers mes choix. Tu sais bien que ton père veuille au grain. Pourquoi ce regard ? Tu as l’impression que je m’égare c’est ça ? —Je veux seulement que tu fasses le bon choix Dee. Tu mérite vraiment de t’en sortir alors garde ton sang-froid en toutes circonstances..»

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CHAPITRE En décembre 1955, Rosa Parks refusa de céder sa place dans un bus à une femme blanche en Alabama. Son exploit fut salué par tous les Noirs de ce foutu pays car depuis l’on se battait pour se faire entendre. En Caroline du Nord, tout n’était pas si glorieux. La ségrégation sévissait toujours autant. Les bus circulaient à leur bord des ouvriers, des domestiques et autres employés de couleur continuaient à emprunter le bus afin de ne pas perdre leur emploi. Cela me contrariait de les imaginer au fond de leur bus à leur emplacement alloué, perdus dans leurs pensées. Or leurs pensées ne différaient guère des miennes. Ma mère arriva un grand chapeau noir enfoncé sur sa vaporeuse chevelure noire. Tirée à quatre épingles, elle s’apprêtait à se rendre dans son club de bridge. « A quelle heure est ton train ma chérie ? —Dans deux heures, répondis-je en relisant mes manuels de littérature sans lever le nez de ma page. —Ton frère ne pourra pas te déposer à la gare alors tu verras avec le chauffeur de ton père. Tu as son numéro n’est-ce pas ? —Je prendrais le bus. —Le bus ? Mais tu n’y pense pas ! Il est dangereux de prendre le bus avec tout ce qu’on lit sur les journaux. Non tu prendras la voiture de Scott, il ne peut en être autrement ! » Ma mère ne souriait jamais quand il s’agissait d’évoquer le sort des « Gens de couleur ». Elle me dévisagea froidement. « Et comment c’état ce diner chez Marcus ? On dit que la vieille Denton a refusé d’y aller parce que vous y étiez ! Quelle horrible femme que cette Denton.

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—nous connaissons tous ses convictions maman mais nous passons outre. Pour les gens comme elle, ces anciens esclavagistes le monde tourne uniquement autour d’elles. Denton est incapable de mesurer ses propos et je n’arrive pas à comprendre ce que marcus lui trouve de bien. —C’est une bien longue histoire ma chérie. Cela de toute façon ne nous regarde pas. ces gens sont bien trop préoccupés par leurs agissements sociaux qu’ils n’ont cure de ce que l’on pense de leur alliance matrimoniale. Tu veux que je te dise, termine tes études et ensuite trouve-toi un emploi comme journaliste à Washington pour faire évoluer certaines mentalités. Astu assez d’argent pour ton voyage ? —Oui. Papa m’a rédigé un chèque avant de partir. Penses-tu pouvoir venir pour ma remise de diplômes ? —Nous y veillerons ton père et moi mais nous ne pouvons rien avancer tant que notre maison ne sera pas vendue, déclara-telle en déposant un long baiser sur mon front. Pas de vente, pas e voyage ! ton père tient tellement à se débarrasser de cette vieille mansarde en Virginie. Cette propriété lui rappelle tellement de mauvais souvenirs. Tu pourrais toujours compter sur ton frère John. Appelles-moi quand tu seras à New York d’accord ? Je me fais tellement de soucis quand tu voyages seule. » Et elle sortit pour monter dans sa berline. Les bras croisés sur la poitrine je la regardais partir. Ma mère conservait un goût certain pour la provocation. Je devais tenir cela d’elle. Une voiture noire remplaça la sienne devant l’allée et en sortit Randal. Prise de panique, je me hâtais de mettre un peu

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d’ordre dans mes cheveux, je planquai mes livres sous le coussin du canapé et souffla mon haleine contre la paume de ma main pour ne pas effrayer Randal. Il sonna et je partis lui ouvrir. « Es-tu prête à partir ? —Oh ! je ne crois pas…. mon père m’a mis à disposition de chauffeur pour me conduire à la gare. —Voyons l’avion te fera économiser le pris de ton train. Amon a un léger imprévu mais il nous retrouvera à new York ans deux jours. —Et bien c’est gentil à toi. Je finis de bouler ma valise et j’arrive. Tu peux attendre ici, je n’en ai pas pour longtemps. » L’avion décolla sous une pluie diluvienne. Que cela ne tienne j’avais Randal à mes côtés et en trois heures seulement on arriva à New York. De là on prit un taxi pour nous conduire à l’hôtel. il nous avait réservé deux chambres séparées dans un lieu d’hébergement à Manhattan. Fatiguée je l’étais, donc je décidais de garder la chambre mais Randal vint m’y trouver. « Es-tu bien installée ? je voulais savoir si tu voulais diner en ma compagnie ce soir. —C’est que…. Randal, j’en serai flattée mais est-ce vraiment convenable ? Je veux dire toi et moi attablés comme un couple d’amants. Ce n’est pas que je ne veuille pas mais que penserait Denton en te sachant avec moi ans cette grande ville ? —Tu me surprendras toujours Dee. Depuis quand te soucies-tu de Mrs Denton ? Cette harpie n’est pas assez téméraire pour commander à tes espions de veiller à la vertu de ton beau-fils. Et

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même si elle venait à le faire, je doute que mon père la soutienne sur ce projet. Nous mangerons de façon légale sans avoir à nous soucier de la morale. Alors, acceptestu ma proposition ? » On trouva un restaurant à Soho et le maitre d’hôtel nous plaça sous un grand tableau représentant une scène rupestre du sud du pays. En observant ce tableau j’imaginais voir des esclaves meurtris par une journée dans un champ de coton. Le patron aurait-il connaitre l’effet exercé de cette peinture sur mon esprit ? Randal me dévorait des yeux sans cesser de sourire. « Tu es ravissante. J’aurais du te le dire hier quand je t’ai vu au champ de course. Ton petit chapeau était des plus seyants, tout comme ta robe rouge. —C’est très gentil à toi. » Tous les regards lorgnaient dans notre direction. Avais-je un bouton sur le nez ? Mon rouge à lèvres avait-il coulé ? Discrètement je me touchais le visage avant de me redresser su ma chaise. « Ce n’est pas le genre de restaurant que l’on trouve par chez nous. Ici les clients sont libres de s’assoir où ils veulent et New York est pleine de visages souriants. Cela nous change de la Caroline non ? En Californie c’est différent encore. Là-bas c’est au bout du monde. Les Californiens sont très accueillants et plein de fantaisie, c’est du en partie à l’industrie cinématographique. Le cinéma c’est la vitrine du glamour, toutes ces starlettes déambulent dans la rue ou à bord de leur Cadillac. Tu devrais y aller un jour, je suis persuadé que tu t’y plaisais. Il n’y pleut jamais et la musique tourne continuellement de jour comme de nuit.

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—Tu m’as presque convaincu de m’y rendre. Mais dans trois mois tu reviens alors je compte ne pas quitter le District de Columbia pour aller trainer mes savates sur le sable chaud de la Californie, excepté si une jolie naïade s’y trouve. On va commander du vin français, à moins que tu lui préfère le vin californien ? —allons-y pour la France ! Le pays des Droits de l’Homme ! » Je découvrais le menu et plongé dans les lignes je surpris le regard de Randal posé sur mon visage. Il inspira profondément avant de poser son menu sur la table. Il héla le serveur pour commander le vin et quand on nous servit je vins à regretter le vin californien. Celui-ci dit français ressemblait à du vinaigre. J’y trempais seulement mes lèvres avant de m’allumer une cigarette. «On pourra aller danser après. —C’est un de tes nouveaux passetemps ? Tu n’es donc plus à rafistoler de vieilles bagnoles ? —Demain matin je serai dans l’avion pour terminer mon cursus universitaire et j’ai envie de m’amuser un peu avant de me plonger dans des matières peu captivantes. Mais si tu ne veux pas, je n’en serais pas vexée, rassures-toi. —Dee, tu sais bien que je t’accompagnerais où tu voudras, à condition que tu ne me demande pas de swinger toute la nuit au risque de ne pas me réveiller à l’heure pour ton avion. » On dansa l’un contre l’autre, si près que nous n’en faisions qu’un. Il me caressait l’omoplate et la tête contre son torse je me laissais dériver. Oui, Denton me crèverait les yeux si elle apprenait que je tenais

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Randal par la taille. Après avoir ce fut un moment intense car chargé d’émotion. De retour à l’hôtel, il me raccompagna à la porte de ma chambre. « Ce fut une bonne soirée Randal, merci pour le restaurant et le bar-dansant. Il me fallait bien ça pour ne pas manquer de courage. De tels moments sont nécessaires pour pouvoir fonctionner correctement. —Tu n’as aucune raison de t’en faire, tu as une belle âme. Tu es une belle personne et j’envie Gale de t’avoir pour lui. —Qu’est-ce que tu racontes ? Où est-ce que tu vas chercher ça ? Ton frère a de grandes opportunités devant lui, c’est un séducteur-né et déjà quand nous étions gosses il savait exactement que faire pour attirer la sympathie de tous. Quand je vois gale, ne peux l’imaginer sans sa cour. Il est affable et tellement sûr de lui. Comment ne pas lui faire confiance ? Il a une aventure avec cette Miss Lee Crowley témoigne du pouvoir qu’il exerce sur la gente féminine. On la dit très brillante alors Gale se passera d’une conscience appelée Aubrey. —Mon frère se passer d’une conscience ? Gale aura toujours besoin de toi. Il t’a parlé de son séjour au Cap North ? Il y rassemblera sa cour sur le temps de la saison estivale, certains membres de sa confrérie parmi les plus fidèles et il voudra sûrement que tu y sois pour la simple bonne raison qu’il ne pourrait rien faire sans toi. » Et je me perdis dans mes réflexions. Gale n’avait rien tenu à me dire en présence de Dan Hershey. « Une dernière cigarette ? Me proposa Randal en me tendant son étui. —Marcus a du être en souffrance hier soir ? Ce crétin de Dan à table, Denton

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boudant dans son coin et toi qui n’a pas ouvert la bouche de toute la soirée. Ce fut un tableau des plus pathétiques. Une chance pour lui que nous ayons été en petit comité. —Mon père est au-dessus de tout cela, répondit-il les sourcils froncés, je pense seulement qu’il aurait pu montrer meurtri par les discours de Dan. Dans le cas où il aurait pu intervenir, cela n’aurait fait qu’empirer entre Gale et lui. Gale n’a pas l’intention de se lancer en politique et mon père n’approuve pas qu’il cherche à rallier un cabinet juridique à New York quand il pourrait aussi bien le faire ici. C’est donc le sujet de leur discorde. —Mais si les Lee Crowley sont à New York, son choix semble tout réfléchi. Il cherche à se rapprocher de sa nouvelle famille, ce qui parait on ne peut plus normal. Il faudra vous habituer à cette séparation. —Et tu t’y habituerais toi ? Accepteraistu de te trouver séparer de John ? De tous tes frères, c’est celui avec qui tu te conjugues si bien. Il est très attachant et lui n’hésites pas une seconde à prendre l’avion pour passer quelques heures avec toi en Californie. —Ah, ah ! John est très attentif à mon intégration en restant très lucide quant à mes réelles possibilités ‘évolution. Ma mère a fait un très beau mariage, ce qui lui a permis de se distinguer parmi la société guindée de la Caroline du Nord. Mon grand-père a travaillé à Washington, c’est un fait mais seulement comme employé à la Maison Blanche. Cette fortune qui est la notre aujourd’hui a été acquise par le formidable duo composé par mes grandsparents puis parents. Mais John ne pense

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pas que l’on puisse faire mieux. Aucun de mes frères ne gagnera plus d’argent que mon père et je me contenterais, pour ma part, d’un emploi bien rémunéré dans un journal de la capitale. —Et je t’y aiderai. Tout ce qu’il te faudra c’est un point de chute. Tu auras besoin d’un garant et de références. Les propositions, tu n’en manqueras pas, faismoi confiance. —Je vais me mettre au lit. On se voit demain. » Sur la pointe des pieds je parvins à déposer un baiser sur sa joue. Quand un couple passa à notre hauteur et la femme gloussa couverte des bonnes intentions de son amant. L’amour se tenait à peu de choses finalement. Un regard. Un sourire. Alors je serrai Randal dans mes bras. Nous ne serions que des amants à défaut d’être des époux. « Merci pour tout Randal. —C’est tout naturel et je le fais avec plaisir. » Mon avion décolla et sur le tarmac je ne songeai qu’à Randal et à sa capacité de donner sans attendre le moindre retour. A Berkeley, deux jours plus tard je reçus un appel et quand je saisis le combiné je m’attendais au pire. Jamais personne ne m’appelait en Californie. « Allô ? J’attendis une réponse qui tarda à venir. Allô ? —Oui, Aubrey McGowan ? C’est David Calvaert. —David qui ? —Un ami de gale tu me remets ? Son frère Randal m’a remis le numéro de ta logeuse. Je ne te dérange pas, je peux te rappeler plus tard si tu veux ? »

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Harriet la fille de Mr Freeman m’observa depuis le chambranle de la porte du salon avant de disparaitre. Elle étudiait ans lune école mixte depuis peu et passait pour une contestataire marchant pour les droits civiques des noirs depuis l’appel du pasteur Martin Luther King. On peut dire d’Harriet qu’elle savait se faire entendre étant constamment à l’affut des événements dans le sud du pays. « Aubrey, tu es toujours là ? —Oui, je suis là. —Tu ne me remets pas c’est ça ? On a passé un été ensemble au Cap North, c’était il y a deux ans. Tu répares toujours tes vieilles bagnoles ? —je te remets parfaitement Davis et que me vaut le motif de ton appel ? » Le père de David, Angus Calvaert avait fait fortune dans la sidérurgie quand son aïeul s’était distingué dans les chemins de fer de l’est en finançant une compagnie fournissant l’Union Pacific. David passait bien en public parce qu’il était à la fois discret et amical ; il n’exprimait jamais sans raison. Le fait qu’il m’appela me surprit. Tout comme moi il finissait son semestre à Harvard. « Gale a du t’en parler quand tu te trouvais être en Caroline du Nord mais il organise nos villégiatures et nous serions tous honorés si tu te joignais à nous. Serastu des nôtres Aubrey ? —Je ne peux pas vraiment me prononcer pour le moment. Tu sais avec les examens de fin d’année, je ne peux rien prévoir à l’avance. —Oui je comprends. Randal dit que tu écris en ce moment. Il traite de quoi ton livre ?

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—Randal ferait un incroyable imprésario, ah, ah ! je m’étonne encore qu’il soit à son poste actuel quand il pourrait percer dans l’édition comme agent, tu ne crois pas ? —Oui Randal n’investirait ni son temps ni son énergie s’il ne croyait pas en toi. Il est très stimulant d’écrire, il s’avère que j’écris moi-même, quelques essais économiques surtout. Des plaidoiries pour des affaires en cours de jugement ou déjà jugées. Enfin je ne tiens pas encore de journal intime mais après mon diplôme de fin de cycle je pense me remettre à écrire, pour le plaisir. —David je ne vais pas tarder à retourner en cours alors renouvelles ton appel, un peu plus tard. Disons en fin de semaine quand j’aurais mis un peu d’ordre dans mon mémoire. —D’accord. En fin de semaine alors ! » Mais il n’attendit pas la fin de semaine pour me rappeler mais le jeudi suivant. Mrs Freeman me brandit le combiné depuis le bas de l’escalier avant de disparaitre dans sa cuisine, près de ses amies noires échangeant conseil de cuisine, ménager et de beauté. Mais pas seulement il suffisait qu’Harriet apparaît pour que les tempéraments s’emportent. Et alors là, les discussions s’enflammèrent pour parler politique. « Oui qui est-ce ? —C’est encore Davi, je sais que je t’appelle plus tôt que prévu. Cela ne te dérange pas j’espère ? Si, en fait je sais que je te dérange. Il est plus de dix sept heures et tu dois être entrain de bûcher sur tes compositions en élève assidue et exemplaire que tu es.

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—Comment peux-tu dire que je sois exemplaire ? —Parce que tu es à Berkeley, voyons. Beaucoup n’ont pas la chance d’intégrer cette prestigieuse université ! » Il me séduisait. Il profitait de m’avoir au téléphone pour me mettre dans sa poche. L’orage grondait au-dessus de San Francisco et bientôt la baie serait noircit par le passage de ces gros cumulus chargés d’électricité. Dans le salon on s’empressait de refermer les fenêtres et les discussions reprirent avec le même entrain. « Quelle vue disposes-tu depuis chez ta logeuse ? —Et bien j’appelle du couloir donc je ne vois rien de particulier que les vitraux sur les carreaux de la porte. Mais la maison donne sur la rue. Toutes ces maisons sont à l’identiques et seule la couleur diffère. —Je connais San Francisco. J’y ai passé deux mois quand j’étais en prépa pour Harvard. L’un e mes cousins dispose d’une fabrication de yachts de luxe. Alors certains endroits de la ville n’ont plus de secrets pour moi. —Si tu m’appelles seulement pour me parler de San Francisco alors je raccroche. N’as-tu donc rien à faire de ton temps livre à Harvard ? —Il faut croire que non et je préfère de loin de tenir compagnie, si tu n’y fais aucune objection. Je t’appelle plus tard, on me réclame la ligne. » Harriet déboula dans l’escalier Elle trouvait le temps de sortir quand je restais enfermée ans ma chambre à travailler mon mémoire. Elle fréquentait un joueur de baseball nommé Di Donatello, une pointure en son domaine quand son petit copain officiel, Patchi, un Noir construisait

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des bâtiments dans la partie est de la métropole. Et dans mon lit je m’endormis, mes manuels de littérature posés sur mon abdomen. Une voiture klaxonna. On claqua la porte. Harriet monta quatre à quatre l’escalier sermonnée au passage par sa mère. La seconde d’après elle fut assise sur le rebord de mon lit, touchant le bout de mon nez pour me réveiller. « Dee, tu dors ? Il est à peine onze heures et tu pionce. J’ai un sujet d’étude pour ton livre. Tu m’as bien dit vouloir écrire un livre non ? Réveilles-toi Dee ! Ok, maintenant j’ai toute ton attention alors écoutes un peu. En Virginie les couples mixtes ne peuvent se marier d’accord ? Alors imagines un peu qu’on décide d’enfreindre la loi. Cela ferait-il de nous des hors-la-loi ou des combattants ? —Et bien les deux, répondis-je les yeux encore collés. —Et bien voilà, c’est exactement là où je veux en venir ! Imagines qu’un homme noir te plaise. Il n’a pas d’argent puisque venant d’une famille pauvre de Géorgie. Tes parents naturellement s’opposeraient à ce mariage et ton père qui sait, te déshériterait. Mais si tu étais une femme noire folle amoureuse d’un homme blanc alors ton père dirait : Tente ta chance ma fille, dans ce combat qui est le tien tu ne seras pas seule face à Goliath. Autant de David se joindront à toi pour renverser les lois ! Est-ce que j’ai raison ? —De toute évidence oui. —Ars fais-en une expérience sociale à visée politique. Tu me disais que les Byron Doyle te conviaient à leur Garden party alors potasse un peu sur ce sujet.

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Finalement ton Randal pourrait apporter des réponses à toutes les questions que nous nous posons. —Pourquoi Randal ? —Parce qu’il est fou de toi, pardi ! Il n’y a rien qui le motiverait plus que de travailler à ce projet avec toi. Bien évidemment tu ne lui parle pas de tout cela, tu te contente seulement de lui mettre quelques pistes sous le nez pour qu’il se croit être utile à ta quête. —Admettons et de quoi parlera exactement le livre ? Questionnais-je en prenant mon carnet de notes. Donnes-moi envie de t’intéresser à ce sujet. —D’accord. ta mère est l’arrière-arrièrearrière petite fille d’une esclave. Elle est rusée et déterminée à se faire admettre dans la haute société de Caroline. Et comment s’y prend-elle ? Elle épouse un riche industriel travaillant à la General Motors dans la section recherche et investissement. Pour ses fils, elle voit les choses en grand. Ils seront avocats, hommes d’affaires et médecin. Mais pour sa fille, elle n’a aucun plan. Et pourquoi selon toi ? —Elle doit penser que le mariage suffit à hisser la femme dans des sphères privilégiées. —Exactement ! Donc elle te laisse agir à ta guise en sachant qu’un jour ou l’autre il faudra que tu choisisses un époux parmi tes relations d’université passer. Et là, tu te rends compte que des études n’ont servi qu’à servir de dote à un époux conventionnel. J’ai réfléchi à tout cela pendant que je ansais avec mon champion. Il n’a pas l’intention de m’épouser. Il veut une blanche, bien blanche pur se hisser socialement.

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—Tu es incroyable Harriet même dans un moment de détente tu réfléchis à ce genre de problématique. —Oui évidemment ! Je veux être sociologue et toi journaliste d’investigation non ? Jamais tu ne trouveras meilleure alliée que moi pour ton fichu mémoire. Donc, je revins à ce dont on parlait à l’instant, soit l’incapacité des tiens à accepter leur héritage familiale. —En vérité c’est plus subtil que cela. —Ton livre parlera des rapports ambivalents entre les femmes et les hommes de la Caroline du Nord. Ils se disent libéraux mais ce ne sont rien d’autres que des conservateurs modérés. Ton livre serait une sort de mise au pilori de leurs pratiques. —Et comment dois-je l’intituler ? Etude ou roman ? Harriet tout cela est exaltant mais je ne crois pas vouloir passer ne serait-ce qu’une semaine en compagnie des amis de confrérie de Gale. Ils sont si prétentieux. --Voilà où je veux en venir Dee ! Ces fils à papa ont la belle vie et ce, depuis le jour de leur naissance ils ont été élevés par des nounous noires avant d’atteindre les meilleures écoles du pays sans passer par des sélections drastiques visant à ne prendre que les meilleurs des meilleurs. Ensuite ces mêmes fils de épouse les plus jolies héritières du pays sans que cela perturbent leur équilibre Tu pourrais être le loup ans la bergerie, le temps d’un été. —Ah, ah ! Le loup dans la bergerie ! Mais qu’est-ce que j’aurais à gagner de tout cela ? Et même si je venais à tomber amoureuse d’un de ces fils de, qui me dira que je parviendrais à me marier à l’un d’eux.

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—Tu te destines à être journalistes bon sang ! En tant que journalistes il te faudra prendre des risques et non pas rester assise derrière un bureau à rédiger des pseudos éditoriaux pour un journal conservateur cherchant à appuyer la Cour Suprême à majorité démocratique. —Je comprends ta pensée, répliquai-je avec calme tout en pensant à Randal. —Dis-toi que tu ne feras jamais une carrière dans le métier que tu auras décidé de faire si tu t’obstines à n’être qu’une figurante. Ton atout est Randal et il serait stupide de l’ignorer. »

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CHAPITRE Remise des diplômes. John arriva la veille par l’avion e Washington D.C. A dix heures je fis un discours de vingt minutes puisque majeure de ma promotion. Pendant plus de quatre ans je m’étais consacrée à ces études et ce mémoire. Quatre ans de dévotion et de sacrifice pour finir récompenser à ma juste valeur. A midi on fut convié à un déjeuner avec les autres majors des promotions précédentes. John fut si fier de moi qu’il racontait à qui voulait l’entendre que tous les grands journaux de notre pays m’avaient approchée pour un emploi tant envié par mes prédécesseurs. Acta jacta Est ! « Miss McGowan, on vous demande au téléphone, murmura le maitre d’hôtel. Si vous voulez bien me suivre ! » J’abandonnais John pour prendre l’appel à la réception de l’hôtel. « Allô ? —Mes félicitations Dee ! te voilà être promue et qui plus est major de ta promotion ! —Randal, c’est toi ? Comment as-tu su que j’étais ici ? Randal, je ne t’entends pas très bien. Comment as-tu su que je me trouvais être là ? —regarde derrière toi. Dans la rue, tu verras une voiture rouge garée devant le bazaar a côté il a une cabine téléphonique. Tu la vois n’est-ce pas ? —Oui, bien-^sur ! Répondis-je des plus fébriles. —Alors j’arrive. » Mon cœur battait à rompre et plus encore quand je vis Randal quitter la cabine pour traverser la rue. Oui, c’était bien lui ! On s’embrassa chaleureusement et il déposa

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un long baiser sur mon front. Je tremblais de tous mes membres, plus que pendant la remise du diplôme. Une larme ruissela sur ma joue, suivit d’une autre après quoi ce fut le torrent. « Je n’ai pas eu le bon col pour m’y être pris au dernier moment. Tout le monde ne pense qu’à toi sur la côte est. Ton frère m’a fait savoir que tu déjeunais ici alors je ne voulais pas te manquer avant mon vol pour Loa Angeles. J’ai pris quelques jours de vacation pour la cité des Anges et je ne trouverai pas meilleur guide que toi. —Cela ne pourra être possible. Je repars demain matin pour….la Caroline du Nord. John y fait courir ses chevaux et il m’en voudra toute ma vie si je venais à manquer ses courses. Qui plus est quand mon cheval Horse of Glory se porte favorite. Alors, je ne pourrais être ton guide, Randal, j’en suis navrée. » Il me fixait le sourire aux lèvres. « Alors si ton cheval court, Los Angeles pourra attendre. Horse of Glory a tout intérêt à gagner.” En Caroline, mon cheval trainait la patte. Elle n’arrivait pas à remonter et l’œil collé derrière mes jumelles je rageai. Comment pouvait-elle être aussi lente ? « Fais chier ! Elle est trop dans les cordes ! Allez, ma belle ! C’est un cauchemar ! Pestai-je la gorge nouée, la voyant perdre du terrain. —ah, damnée jument ! Elle ne pourra jamais remonter ! Ajouta John lui aussi derrière ses jumelles, le cure-dent coincé entre ses dents. Elliot me disait qu’elle trainait un peu de la patte mais là, cela se passe de commentaires ! Quelle poisse ! » Si Horse of Glory perdait alors la saison risquerait d’être déplaisante. Si je m’étais

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trouvée sur sa selle, je l’aurai cravachée plus que cet enfoiré de joker. Un couple posté là ricanait en voyant leur mascotte prendre l’avantage sur les autres. « On se casse le cul à les dresser, à les entrainer et voilà le résultat ! Ta jument nous a habitués à mieux, la garce ! On perd combien là ? Cent mille ? —Je préfère ne pas y penser. Regarde, elle remonte ! » Tout espoir n’était pas perdu. Horse of Glory semblait vouloir gagner du terra, tant et si bien qu’au tour suivant, elle dépassa trois chevaux. le temps cependant jouait contre nous. Le type derrière son micro soulignait les efforts de ma jument pour se situer en tête de course. « Allez ! Allez ! Horse ! ne nous déçoit pas ! John, elle remonte ! Regarde ! —Oh, putain ! Elle va y arriver ! Elle va le faire ! » Le suspense fut à son paroxysme et quand elle franchit la ligne en deuxième position alors je bondis dans les bras de mon frère, submergée par l’émotion. L’honneur était sauf. Ce genre de victoire me faisait oublier mes dures années d’étude dont la séparation avec ma famille, les chevaux ; l’odeur de ce foin et du crottin, la sueur des jokers hissés sur la selle rutilante et le cuir de leur harnachement. Une masse de journaliste s’empressèrent d’immortaliser l’instant et sans me faire attendre je quitter les tribunes pour courir vers Horse of Glory, le poil luisant et le souffle imprécis. En me reconnaissant ma jument tendit le cou pour enfouir sa tête sous mon aisselle. Je l’avais vue naître. Un jour mémorable dont on reste friand. Ensuite notre élever la prit sous son aile ;

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elle avait de l’allure avec sa robe alezane et son allure aérienne. Et prise dans l’euphorie du moment je la conduisis au paddock en trottinant fièrement près de notre beauté des champs de course. De retour dans les gradins, Gale se leva de son siège pour m’accueillir. « Ah, notre victorieuse amazone ! Cela se fête, non ? On a déniché du champagne pour célébrer l’événement. Oh et tu connais déjà David Calvaert ? Il vient de nous rejoindre avec Clay McGuire, notre Dyonisos à nous pour son côté déroutant, sa complexité. Jamais là où on ne t’attend, pas vrai Clay « Je serrai leur main, un peu froidement je l’avoue, ce type de surprise. John quant à lui discutait avec Randal deux mètres plus haut. Tous deux en compagnie de personnes inconnues riaient sans moi. « mes félicitations pour ton classement, déclara David après que je fusse assise m’éventant à l’aide du programme, un œil rivé sur le champ de course où filait les sprinters de la catégorie suivante. —Ce que David essaye de te dire, c’est qu’il ne fera pas mieux ! Il a passé la majeure patrie de ce semestre à fricoter avec Athena, persuadée que cette idylle passagère lui portera chance » David envoya un regard noir en direction de Gale, indifférent à sa vexation. McGuire, ce ténébreux homme m’étudiait sans pudeur. Une classe naturelle et un côté indéfinissable comme venait de le souligner Gale qui me tendit une flûte de champagne que j’avalais cul-sec. « Merci à toi David, ton soutien est des plus appréciés, répondis-je le nez dans mon programme. —ne t’a-t-il pas trop harcelée lors e tes précieuses récréations chez Freeman ? »

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Mrs Freeman et sa fille allaient me manquer. Je leur avais promis de les retrouver sitôt que je le pourrais. Harriet en me voyant partir fut inconsolable et elle me dispensa quantité e conseils pour mon avenir ont celui : de me tenir à distance des esclavagistes dissimulés sous le portrait lisse des démocrates. En Caroline du Nord, tout était si différent. Certaines compagnies ferroviaires et routières pratiquaient encore la ségrégation comme certains lieux publics. Cela faisait partie de notre quotidien et si Rosa Parks n’avait pas brandi son étendard à la face du monde alors nous en serions encore à courber la tête face à nos tortionnaires. « Non, David fut discret. Mrs Freeman n’a pas eu à son plaindre. J’ai pu supporter cette intrusion sans que cela n’interfère sur la réaction de mon mémoire. » Les chevaux sortirent du champ de course, John qui jamais ne se laissait distraire par même en compagnie de Randal et ses fifres, descendit ‘un pas allègre les quelques marches nous séparant pour évaluer les paris des prochains participants. « Remets-moi ta liste, je vais aller rendre visite à notre bookmaker ! —Combien e vos chevaux courent aujourd’hui ? Questionna David. —Presque tous leurs chevaux, répondit Gale en remplissant ma flûte, c’est une institution chez les McGowan, n’est-ce pas John ? —C’est exactement ça, Gale. Plus nos chevaux courent et plus notre écurie en produit ! Il est réjouissant de noir nos bébés prendre leur envol sur les champs du Kentucky et de la Caroline. Si tu es ici, David c’est bien pour admirer nos futurs

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champions, non ? Et bien je vous laisse. Dois-je également prendre tes paris Gale ? —Non, logiquement Randal s’en occupe. —Et bien dans ce cas…. Petite sœur, croisons les doigts et espérons que le vent tourne en notre faveur ! » Il me tendit la feuille pour que je puisse y apposer un baiser, un rituel entre nous, une façon de nous porter chance. Il partit, remplacé par Randal. « Je m’en vais parier Gale. As-tu des suggestions ? —Non aucune, parie pour moi et nous partagerons les gains une fois ton intuition exacte. —Cela ne m’étonne pas de toi. Que distu de Sun sunrice ? Hyacinthe Collosuim ou de Sultan silk ? Peut-être un avis sur la question ? —Si tu veux mon avis, Sultan Silk est la seule qui vaille la peine d’être suivi, répondis-je le nez ans ma flûte de champagne, les deux autres sont handicapés par la vanité de leur entraineur et propriétaire. Toutefois Hyacinthe pourrait nous surprendre. Elle est jeune et pleine d’assurance si son joker ne vise pas la ligne d’arrivée au premier tour. —Je prends note Dee. —Je t’accompagne si tu veux. Peut-être qu’en chemin nous trouverons à être inspirés par les avis des propriétaires des écuries concurrentes ! » Et nous jouâmes des coudes devant le parterre des book-markers. Randal me dévorait des yeux et sitôt que je regardais en retour, il souriait plein de béatitude. On nous poussait l’un contre l’autre et nous aurions eu tort de nous en plaindre. J’eux envie de lui, sentir son souffle chaud sur

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mes seins, son sexe gonflé dans le mien. Il fixait mes lèvres avec concupiscence. « Quelque soit notre sélection, nous partagerons les gains, n’est-ce pas ? Murmura-t-il à mon oreille. —Mais si tu perds, je m’en voudrais de t’avoir éloigné de tes vacances en Californie. —Sois sans crainte, nous trouverons une autre occasion pour nous y rendre. —Oui, je te fais confiance. » Et je brûlai d’envie de lui prendre le bras, juste pour me rapprocher davantage de Randal. Et j’allais le faire quand un bras ou devrai-je dire, une main, se posa sur ma hanche. Gale se trouvait-être là. « Merveallous Path ! Peux-tu parier pour cette jument, frère ? Et je pensais également à Carolina County, je t’emprunte Dee quelques temps. » Gale venait de contrarier nos plans. Il m’entrainait à son bras pour me conduire en dehors de cette presse. «Je ne resterais pas là ce soir avec vous. Calvaert, McGuire et moi repartons pour la Virginie. Ces odeurs de crottin et le foin ne semblent pas convenir à Calvaert, Pour quelqu’un qui vit à Boston c’est plus qu’on pourrait lui imposer. Dis-moi as-tu réfléchi pour ma proposition pour le Cap North ? C’est pour bientôt et une fois nos diplômes en poche nous n’aurons plus vraiment l’occasion de nous retrouver tous ensemble. On va dire que c’est notre dernier été tu comprends ? Or David n’a pas l’intention de venir accompagné de la belle Athena. Je pensais que tu pourrais lui tenir compagnie, le temps d’un été ! —Pourquoi cet acharnement Gale ? Qu’est-ce qu’’un type tel que Calvaert, qui plus est, étudiant à Harvard et membre de

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ta confrérie trouverait de remarquable de fréquenter une femme comme moi ? —Cesse de te fustiger de la sorte ! Pour séduire tu n’as nul besoin de sortir de Princeton, Harvard ou de Yale, il te suffit de rester toi-même ma chérie. Et tu as fini majeure de ta promotion, ce n’est pas rien ! Dee, vraiment, tu…. C’est à cause de Randal c’est ça ? —Quoi Randal ? —Il ne trouve pas utile que tu viennes au Cp North mais tu le connais, Randal ne sait pas où trouver le plaisir. Il est enfermé dans ses codes pénaux et tous ces décrets rendus par le Congrès. Oui, il désapprouve ta participation mais tout à fait entre nous, tu n’as rien à perdre à passer quelques semaines en notre compagnie. —Gale, je ne crois pas que… » Sa main se posa sur ma joue. Il allait m’avoir de la sorte. A chaque fois qu’il voulait obtenir quelque chose de ma personne, il s’y prenait de la même manière. Ses arguments ne suffisaient jamais alors il prenait soin de me flatter. Gale fut mon petit copain depuis de longues années et chaque été depuis mes quinze ans, il prenait soin de m’aimer comme aucun autre n’aurait pu le faire. Me rendre au Cap North sonnerait le glas de nos ébats sexuels. Il en avait conscience et cela ne lui convenait pas. Mon amoureux avait une petite copine officielle et aucune femme censée n’aurait souhaité partager une telle intimité avec une rivale bien plus crédible. « Voyons, Bee, qu’est-ce qui te contrarie autant ? Il y a des chevaux là-bas aussi et la vieille Ford dans la remise prête à être retapée par tes soins. Ah, je vois une ébauche de sourire sur son visage ! J’arrive encore à te faire sourire et c’est rassurant.

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Maintenant il te suffit d’accepter mon invitation. Oui, cela commençait par être embarrassant. Viens maintenant que je te serre dans mes bras. » Et ce fut précisément ce qu’il fit. Je savais que je le regretterai ; au fond certaines décisions ne pouvaient pas être prises de manière si désinvolte.

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CHAPITRE Le Cap North se traduisait par une imposante bâtisse de style néo-classique et de toutes les propriétés des Byron-Doyle celle-ci répondait au mieux à toutes les exigences de leur fortunée propriétaire. Bâtie au siècle dernier, cette demeure choqua par le côté démesuré d’un tel projet. Enfant, je voyais le Cap North comme un château de conte de fées où toutes sortes de créatures s’y côtoyaient. Combien de jours heureux avons-nous passés Gale et moi à nous poursuivre dans le labyrinthe, dans le grand par cet dans toutes ces pièces, vestiges d’un temps passé où l’on aimait à se rencontrer en beaux costumes si chers et si plaisants que nous avions plaisir à l’évoquer ? On y accédait par un portail de fer forgé pour déboucher ensuite dans un parc boisé et plein de cachettes pour qui aime le mystère propre aux vieilles demeures du continent ou du vieux monde. Il y avait es chevaux, cinq pour être exact, de beaux chevaux de selle mais pas aussi performant que les nôtres. Leur écurie se trouvait face au garage, une sorte de hangar jalousement gardé par Rodgers qui prenait un soin extrême à les bichonner. Marcus collectionnait de vieux modèles mais pas seulement, Gale le poussait à investir dans de belles Cadillac, des Ford et des Lincoln. Revenir en ces lieux me rappelait toujours mes frères et grand-mère Nora, la gouvernante du Cap North. Nous venions ici quand les propriétaires ne s’y trouvaient pas, soit deux fois par an et puis John et moi y descendions chaque été avec les fils de Marcus afin de leur tenir

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compagnie. Marcus a toujours eu pour nous, une profonde affection. Nora en me voyant arriver marcha droit sur moi. Elle était la copie-conforme de ma mère en plus petite, mais ce regard vert et doux restait la marque de fabrique de la famille. Si les mieux tiraient sur le vert d’eau, ceux de Nora passait du vert très clair au vert bleu en fonction du temps. Le temps semblait n’avoir aucune emprise sur ma grand-mère crantant ses cheveux bruns comme ces stars de cinéma des années 2à et elle volait bien la vedette à ma mère quand elle arborait ses vêtements de soirée, les mêmes qu’elle portait du temps où grand-^ère Clive travaillait à la Maison Blanche. « C’est ma petite chérie ! Maintenant que tu es diplômée de Berkeley tu viendras nous voir plus souvent, n’est-ce pas ? Ton grand-père va être enchanté de te revoir, descends dès ce soir si tu peux. Il dine seul quand les fils de Marcus se trouvent être à demeure. Viens dans l’office avec moi. les filles sont dans les étages alors nous aurons le temps de discuter toi et moi ! » Dans l’office, elle m’invita à m’assoir devant une tasse de thé. La main dans la sienne, Nora serra fort avant de porter ma main à ses lèvres. « Tu prendras la chambre verte au troisième étage. toutes les autres chambres sont attribuées aux amis et petites amies de ces derniers. Ne te vexe pas mais ton linge devra être lavé à part pour des questions de gestion des biens. Tu chargeras ta femme de chambre attitrée de ne pas mélanger tes vêtements au linge plat. La discrétion sera de mise comme tu peux t’en douter. Ce qui est au Cap North restera au Cap North et ton attitude se devra d’être exemplaire.

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Toutes les filles avec qui tu séjourneras ici sont toutes issues des meilleures familles de la côte est et…. —Nora, je suis au courant de tout cela ! Tu ne devrais pas t’en faire et à la moindre contrariété je partirais. » Nora se perdit dans ses pensées, le sourcil arc-bouté. « Oui après tout je n’ai plus de conseils à te donner, toi qui a fini major de ta promotion ! —Nora, il ne s’agit pas de cela, voyons ! —gale arrivera demain avec quatre de ses amis. Le reste arrivera au cours de ses prochaines soixante-douze heures. —As-tu des nouvelles de Randal ? —Il est passé il y a deux jours puis il est reparti pour Washington D.C. —T’aurait-il paru étrange ? —pas que je sache non. Randal est plus réservé que Gale, tu le sais. Il ne laisse rien transparaitre, ni la colère, ni la frustration, ni le dégoût. Il est imperméable à bien des sentiments. Pourquoi cette question ? Qu’as-tu encore fait ou dit ? J’ai peut-être raison de te mettre en garde contre toimême, après tout. Tu veux te confier à moi ? —Depuis quinze jours il…. Enfin je pense l’avoir vexée d’une manière ou d’une autre. Mais comment le savoir ? Cela n’est pas évident. Rien n’est évident avec lui. Il est complaisant et généreux mais comment savoir ce qu’il ressent ? —Tu n’as pas à t’en soucier. Je refuse de penser que ma fille Lynn t’ai élevé pour que tu tombes un jour amoureux des frères Byron-Doyle de manière consécutive. Laisse-moi finir mon travail et dans une heure, on pourra se retrouver ici ! » Il y a quelques années de cela, Randal allait rentrer à Harvard après son collège et

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assise sur la balançoire à l’endroit même où je me tenais, je le vis me regarder caché derrière cet arbre. Il pensait que je ne le verrai pas. Notre regard se croisa. Il m’ouvrit une chaine ayant jais appartenue à sa mère. Les larmes bordèrent mes yeux. Je l’avais trahie pour Gale alors qu’il m’avait offert son cœur, un baiser longuement déposé sur mes lèvres. Je ne faisais que le décevoir. Je me souvins ce jour-là avoir couru vers gale pour lui sauter au cou. Il me vit tournoyer dans ses bras. Je fus si heureuse. Les jambes repliées sous mes fesses, je relisais les premières pages de mon manuscrit. La bibliothèque donnait sur le parc et une légère brise pénétra dans la pièce, soulevant les voilages, comme sur la mer, les voiles des yachts. De l’extérieur me parvenaient les rires des invitées de Gale ; ces dernières gloussaient, tournaient autour de la piscine et effectuaient de grands plongeons. Apparut alors le visage de Gale dans l’encorbellement de la porte. « Je peux te déranger ? » Sans attendre ma réponse il s’installa devant moi, sur le repose-pied. « C’est au sujet de cette lettre… (Il la sortit de sa poche pour la déplier) Si lui écris ceci : Tes yeux divins m’ont conquis ! Je doute que cela produise son petit effet. Ecris plutôt cela : Tu es la réponse à toutes les questions que je me pose ! c’est plus pertinent, tu ne crois pas ? » Je haussai les épaules et face à cette réponse détachée, il s’assit sur l’accoudoir du fauteuil pour me faire rédiger son énième courrier destiné à la belle Crowley. « Tu ne crois pas qu’on ai déjà fait le tour de la question ?

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—Non, je ne crois pas non ! Qu’est-ce que cela te coute de modifier ce passage ? » Il fut interrompu par la présence de Clay McGuire à la porte. « Il se trame quelque chose ici ? Les autres me font savoir qu’ils t’attendent en bas ! —J’en ai pour une petite seconde… (La porte se referma sur McGuire) Alors tu saisis un peu l’idée ? Je veux lui faire comprendre la nature de mes sentiments sans trop en dévoiler. Je ne voudrais pas avoir à l’effrayer tu comprends ? La belle pourrait se tirer en me prenant pour un fou en quête du grand amour. » Il fit courir ses yeux le long de mon visage, se perdit dans ses pensées. « Tu penses y arriver ? Ecoutes, rédiges quelque chose à ta manière et à mon retour je la recopierai. Tu es certaine de ne pas vouloir venir avec nous ? D’accord, alors je n’insiste pas.» Il s’en alla. Et plus tard quand le calme fut revenu, je descendis l’escalier quatre-àquatre pour tomber sur Calvaert marchant dans le corridor, un livre à la main et une pomme dans l’autre. Pourquoi n’était-il pas avec les autres ? Ce dernier en me voyant ferma son livre. « Comment va ta grand-mère ? —Elle va mieux. Merci de t’en inquiéter ! » Nora tomba dans l’escalier il y a trois jours de cela. Une mauvaise chute et le médecin dut la plâtrer de la cheville à la rotule. Les femmes de chambre connaissaient leur métier tout comme le reste du personnel travaillant au Cap North ; pourtant je décidais de superviser l’intendance ce cette maison pour ne pas voir les critiques tomber sur la gérance de

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ce domaine. Une chance pour tous que ma grand-mère fut organisée ; dans l’office tout était consigné à l’avance dans son échéancier : la date des tournées des livreurs, de la blanchisserie, les menus furent fixés à l’avance ainsi que le travail des femmes des chambre, etc. La première femme de chambre aurait pu la remplacer mais le majordome refusa compte-tenu le son désir de briller devant ces jeunes gens. Sanfor demeurait discret, voire effacé, il ne répondait que par monosyllabe et vous fixait sans pudeur ses gosses lunettes à écaille posée sur son petit nez ; des lunettes cachant un regard vicieux puisqu’il œuvrait avec perfidie pour détrôner Nora aux yeux de Marcus, son employeur. On ne le voyait jamais, on ne l’entendait jamais mais il laissait derrière lui son odeur, celle d’une eau de Cologne, trace de son passage dans tel ou tel autre endroit de cette imposante demeure. Ces messieurs avaient fichu une sacrée pagaille dans le salon : des coussins jonchaient le parquet, des restes de gâteaux traînaient sur la table basse sans parler des bières décapsulées posées à même le sol ; ils y avaient écouté de la musique sans prendre le soin de ranger les vinyles et puis les partitions de musique traînaient sur la console de la fenêtre, les divans et les repose-pieds ; il me faudrait aérer avant leur retour pour évacuer l’odeur de cigarettes et cigares. Mais arriva David et ce fut pour moi la fin de la sérénité. « Gale m’a montré ce que tu écrivais. Tu as un style plutôt bien singulier pour une… —Une femme de couleur ? C’est ce que tu voulais dire ? » Il parut gêné et fronça

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ses yeux déjà bridés pour contester mes dires. « Non ! Bien-sûr que non ! Je ne m’abaisserai pas à penser cela ! Seulement cela m’étonne un peu. Tu as quoi vingt ans ? Et tu écris comme quelqu’un qui aurait déjà l’expérience de l’édition. » Après avoir rangé cette pièce j’irai aider en cuisine. Ces hommes mangeaient comme quatre. Les repas étaient des plus gargantuesques : huîtres, coquilles saint jacques et toutes autres sortes de fruits de mer sans parles des viandes soit des pièces de choix qu’il fallait sans cesse renouveler. Les consignes de Marcus restaient celles de ne pas regarder à la dépense. Je tapais sur les coussins pour leur redonner leur gonflant quand je vis Calvaert ranger les partitions pour les remettre sur le piano. « Et que feras-tu cette année ? —Je suppose que je retournerai à mon champ de coton. Laisses tout ça ! Je ne t’ai pas demandé de m’aider ! —Disons que quand je peux me rendre utile et bien je le fais. Tu rédiges les lettres pour sa petite amie et cela ne m’étonne qu’à moitié. Gale n’a jamais su écrire, encore moins des lettres d’amour et quand il m’a fait lire une et bien… je me suis dit que je devais venir te parler. —A quel sujet ? Questionnai-je en poussant la bergère pour ôter une revue coincée entre les pieds du fauteuil et le tapis. Tu sais, j’ai besoin d’argent contrairement à vous autres et Gale est plutôt généreux de ce côté-là puisqu’il me paie trente dollars la page. —Tu ne t’ais pas dit qu’il t’achetait ainsi ton silence ? —De cela je m’en moque. »

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Ils revinrent vers huit heures avec les filles à leur bras, belles comme des cœurs, ces jeunes héritières en quête du grand Amour, de leur grand frisson. Alors que je reprisais dans ma chambre, Gale vint m’y trouver. « J’ai lu ton texte ! Ma foi c’est très bon mais tu aurais du insister davantage sur mes élans, mes transports. J’avais pensé à quelque chose de plus… —Non ! Ce texte est très bien et je n’y changerai pas une virgule. —D’accord, d’accord ! C’est toi la romancière après tout ! Ricana ce dernier en s’allongeant sur mon lit. Je suis allée voir Nora toute à l’heure et j’ai insisté pour que tu restes ici un peu plus longtemps, elle a acquiescée. Es-tu contente ? —Non. J’avais dans l’idée de rentrer voir mes parents à Raleigh. —Tu seras indemnisée bien entendu. Où est le problème Aubrey ? —Tu aurais pu me concerter avant ! Me demander si j’acceptais de rester une semaine de plus au Cap North ! Je déteste qu’on vienne à décider pour moi et tu le sais très bien ! » Mon regard plongea dans le sien. Oui il me connaissait suffisamment pour savoir que je détestais être mise devant le fait accompli. Comme il vit que je commençais à voir rouge, il miaula et souleva mon coude de sa tête pour me faire céder. « S’il te plait…s’il te plait, reste… » Il ronronna tout contre moi parce qu’il savait que cela finirait par me faire rire. « Arrêtes Gale. Tu contraries tous mes projets, déjà que je ne devrais pas être là… Arrêtes, je te dis ! » Il posa sa tête rousse

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sur mon genou et sortit un paquet de cigarettes de sa poche. A combien s’élèvera l’indemnisation dont tu parles ? —Là, tu deviens causante. Le salaire habituel de Nora plus une prime que je te verserai comme compensation. J’apprécierai que tu reste et Calvaert aussi. —Arrêtes, un peu ! —Il te dévore des yeux et tu pourrais vraiment lui remonter le moral. Il a eu une année difficile avec la mort de son paternel et quand je lui ai proposé de venir ici, il ne s’est pas fait prier. —Cela ne m’intéresse vraiment pas et je suis vexée que tu puisses penser que cela m’accommoderai ! Ton ami Calvaert est arrivé avec Athena Hoffman pour le cas où tu l’aurais oublié. Enfin ce n’est pas pour rien ! Je ne veux plus jamais que tu me parle de cela ou bine je m’en vais manu militari ! » Le lendemain matin je marchais sur la place, les pieds nus et les cheveux gonflant sous le vent quand au loin je le vis arriver, les mains enfoncées dans les poches. Il fit semblant de s’intéresser à la nature alentour, à savoir les dunes, les monticules de pierre en bas de l’édifice et à la faune locale. « As-tu fait une belle ballade ? Il fait un temps superbe n’est-ce pas ? Lança-t-il avant de poursuivre : On ne s’attendait pas à une si belle matinée. Les autres font sur la mer pour une virée nautique aux alentours de midi. Cela ne me dit trop rien. Je pensais m’enfermer dans un bon livre de recueil de poésie. Et toi ? Tu as quelque chose de prévu ? —David, on va mettre les choses au clair maintenant afin qu’il n’y ait pas de confusion entre nous. Tu as essayé de te

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montrer aimable avec moi quand j’étais à Berkeley, puis aux courses hippiques en Caroline du Nord mais là, je vais devoir me montrer ferme. Je n’ai pas l’intention de fricoter, ni avec toi ni avec aucun de votre confrérie ! . Alors, est-il possible que tu me fiche la paix ? » En tournant la tête pour esquiver une mèche dans le visage, j’aperçus McGuire accoudé contre la balustrade qui regardait de notre côté. « Oui je cherche à me montrer aimable, est-ce un crime ? la moindre des politesses serait de faire semblant. Personne ici ne te manque de respect et tout le monde semble même prêt à t’accueillir, toi Aubrey Mcgowan. Alors pourquoi cette pudeur mal placée ? Dis-moi un peu. —D’accord, répondis-je en soupirant, je vais faire un effort si cela peut soulager tout le monde. Mais sache que je ne compte pas m’éterniser ici car une fois que Nora ira mieux, je partirai. » Je m’assis sur le sable, il allait me rejoindre quand descendirent les potes de Gale et les filles gloussant à qui mieuxmieux, parmi elles, la belle Crowley. Il se trouva être happé par la foule de joyeux tapageurs. Plongée dans Dickens je n’entendis rien de leur conversation ; sur le sable chaud je traçais des arabesques en songeant à McGuire, Timsen, Wyatt, Finn, Mueller allongés non loin de moi dans un mépris parfait de ma personne. Aucun de ces hommes ne m’avaient parlée, ni même saluée ; dans leur milieu, chacun gardait sa place. Les autres comme O’Meara, Swift, Connor, Calvaert et Hershey acceptaient de se montrer complaisants envers moi, mais les autres ne me voyaient pas.

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Je disposais les fleurs dans les vases posés devant les fenêtres quand je vis les voiliers quitter la digue en file indienne. Plus d’une fois Gale m’emmena sur l’Atlantique à bord d’un de ces voiliers. Il m’apprit quelques notions de navigation en disant que son paternel appréciait ce genre d’initiatives. Plus d’un été j’avais aimé Gale, secrètement bien entendu mais suffisamment pour pleurer nos séparations. Dans le salon consacré à l’art marin —la pièce favorite de Marcus pour sa collection personnelles d’objets dédiés à cet art, passant du sextant, boussole, compas ; globe, lunette astronomique, rame, etc. (d’époque ancestrale bien évidemment)—, je trouvais les journaux économiques jetés pêle-mêle sur les fauteuil club en cuir, les cendriers remplis de cigarettes dont les filtres portaient les marques de rouge à lèvres et des tasses de thé avec un fond de cognac. Ils savaient s’amuser. « Salut ! » Dans l’encorbellement de la porte se tenait Calvaert. « Tu dois te dire qu’ils ne respectent rien. —Je ne suis pas là pour me poser des questions. La consigne étant de laisser cet endroit aussi propre qu’à leur arrivée. Que veux-tu ? —David. Mon prénom c’est David. Que veux-tu David ? Je n’attends rien de toi Aubrey. Je sais seulement que Gale t’a parlé de moi et j’aurai pu m’en montrer flatté, cepenant, si j’avais voulu sortir avec toi, j’aurais eu le courage d’aller te solliciter… en personne. —C’est bien. Alors restons-en là ! » Plus tard l’une des filles pleura pour un verre de jus d’orange, une autre pour un verre de lait, des toasts, des biscuits et j’en

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passe. Mrs Henning la cuisinière s’énerva, disant qu’on ne pouvait continuellement jouer les valets de pied pour ces dernières. « Ne peuvent-ils pas se servir euxmêmes ? Est-ce trop leur demander ? » Or pendant la virée de ces Messieurs et dames, Mrs Henning et ses deux garçons avaient pris soin de dresser le brunch sous le dais afin que chacun et tous à la fois puissent jouir du panorama de la baie. Mais ces dernières préféraient manger à l’intérieur… Katy vint me trouver à deux heures quatorze pour prendre congé après avoir fait les chambres et gérer le linge. Pour certaines chambres il lui fallait une heure pour les remettre en l’état ; elle ne supportait pas travailler l’été quand Mr Byron-Doyle laissait le manoir à son fils chéri. Trop de désordre ! Je partageais son point de vue. De véritables écuries d’Augias ! J’aimais repasser derrière elle pour inspecter les chambres quand Gale me saisit par le bras pour me conduire dans sa chambre. « Alors comment la trouves-tu ? Elle est ravissante n’est-ce pas ? Je ne lui ai pas encore donné ma lettre mais je le ferais au moment de son départ. Je veux qu’elle se sente bien ici. Je vais te montrer ce que je lui ai trouvé… (Il gagna son secrétaire, ouvrit un tiroir et en sortit une boite contenant une montre) Cela lui plaira, tu crois ? —Oui c’est très beau. —Tu n’as pas l’air convaincue. Tu trouves peut-être que ce cadeau n’est pas réfléchi ? Tu penses qu’un collier aurait pu convenir à de telles circonstances ? Dismoi ce que tu aurais fait à ma place.

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—La montre c’est très bien ! Ceci dit je… —Mais que je te rassure, je lui ai trouvé ceci ! (Il ôta d’un écrin un collier avec un diamant en pendentif) J’aimerai que tu l’essayes afin que je puisse avoir une idée de son tombée. Viens par là…C’est parfait ! Sur toi il tombe correctement. » Il me poussa vers sa salle de bain et me plaqua devant la grande glace baroque. En y voyant mon reflet et le sien j’en fus troublée ; il était si beau et le bonheur irradiait son visage si parfait. « Ecoutes, j’aimerai que tu m’écrives un petit texte sur la montre et le collier. Quelques mots qui puissent se rapporter à sa beauté. Du genre : les Diamants sont éternels tout comme l’amour que je te porte et accepte ce modeste présent… toi tu sais écrire. Fais-moi un truc digne des Byron-Doyle. Et as-tu parlé à Calvaert ? Il veut vraiment apprendre à te connaître. —Si tu continues avec ça, je te jure que… —Il dédaigne toutes les femmes sauf toi. Tu es son petit rayon de soleil. » Il posa son front contre le mien. « Rends le heureux, c’est tout ce que je te demande même si cela ne doit durer que le temps d’un été. » Certaines des filles sortaient de Yale, d’autres de Princeton. En aucune façon elles avaient à envier quoique se soit à la gente masculine et derrière la porte je les entendis dévisser sur des sujets d’actualités comme si chacune d’elles briguait un poste au sénat. Je fumais ma cigarette derrière le soubassement du perron nord. McGuire sortit par la porte accompagné de Connor.

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« Il est complètement accroc à cette fille ! Tu as vu comment il se comporte avec elle ? Un vrai gentleman ! Certains devraient prendre des leçons de séduction avec lui. Sans parler des lettres enflammées qu’il lui écrit. —Oui il faut avouer cette qualité. Byron a toujours su bien s’entourer mais celle la surpasse toutes les autres ! —Et toi ? Il n’y en a pas une qui te plaise dans tout ce lot ? —Non. Pas une. —Oh arrête ! Ne me dis pas que tu vas rester sur la béquille. Je te vois bien avec Erin par exemple, ou tiens l’autre de Philadelphie ! Charlotte ! Victoria n’est pas mal non plus. Pour ma part la petite May. Elle est pulpeuse, bien comme je les aime. —Et bien fonce mon ami ! Tu as le champ libre. » Cachée là où je me tenais ni l’un ni l’autre ne pouvait me voir ; je n’y étais pas pour autant à mon aise. « Qu’est-ce que tu as en ce moment ? C’est Calvaert le problème ? Saches qu’il n’a rien contre toi, seulement tu pousses le bouchon un peu loin parfois et tu n’étais pas obligé de le tacler comme tu l’as fait. Toujours est-il qu’il a trouvé à se consoler dans les bras de la belle Athena. —Non il en convoite une autre. —Et tu penses à qui ? —Soit tu es complètement aveugle, soit tu es complètement con ! —Alors on va dire que je suis aveugle. Raconte. —Monsieur j’ai des grandes oreilles, tu n’as donc rien remarqué ? Il veut Aubrey. —Aubrey ? La petite McGowan ?

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—Oui c’est bien ce que je pensais : tu es vraiment aveugle ! Il est complètement obnubilé par cette fille. —Et après il en fera quoi ? Non, je crois franchement que tu déraisonne. Il faut reconnaitre que McGowan est bandante mais sortir major de sa promotion ne lui permettra jamais d’épouser un type comme Calvaert. Imagine un peu ce que pensera sa famille en la voyant arriver à son bras, elle la petite-fille d’une domestique ? —Lui ne s’arrête pas à de tels considérations. Son père, Earl McGowan a fait fortune dans l’automobile et ses frères occupent d’important postes ici et là. Et puis en plus d’être bandante comme tu dis, elle est futée, intelligente et brillante. On ne peut pas en cire autant de toutes ici ! Calvaert pourrait bien nous surprendre. —En admettant que tu es raison. Athena ne se laissera pas humiliée de la sorte. Pour cette dernière c’est Calvaert sinon rien ! Hoffman et Calvaert sont faits pour vivre ensemble, point final. » J’eus envie de me faire toute petite, invisible. Leur discussion des plus ordinaires confirmait bien ce que je pensais : dans ce milieu là, on ne me voyait que comme la petite-fille d’une domestique et non comme la fille d’un riche homme d’affaires. Ils chahutèrent toute la nuit. Dans mon lit je les entendis rire, gratter la guitare, courir dans les couloirs, rirent aux éclats ; ils firent un bain de minuit et nous laissèrent un tel chantier au petit matin qu’il fallut les laisser dormir jusqu’à midi pour nettoyer le gros du désordre. Ils firent une razzia dans la cuisine pour manger dans le salon.

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Vers quinze heures un match de baseball fut improvisé dans le parc. « C’est toi Aubrey ? Questionna la belle Erin que je comparai à une déité scandinave en raison de sa chevelure dorée virant en blanc. Elle est immense et svelte ; une beauté provocante. Il va nous manquer un joueur et tu pourrais te joindre à nous, qu’est-ce que tu en penses ? —Oui Dee-Dee, viens jouer ! Ajouta Gale envoyant quelques balles à O’Meara dans le corridor du manoir. Viens défendre les couleurs de Berkeley ! On a besoin de sang neuf pour jouer comme des pros ! » Je rejoignis donc l’équipe des filles. Si je devais représenter l’université de Berkeley je devais tout donner pour prouver à ces fils-à-papa qu’on pouvait comptabiliser autant de points que les vedettes d’Harvard. Donc en maillot, la batte à la main je parai tous les coups du receveur et détalai comme une panthère, encouragée par Hershey, Connor et Swift. « Putain, elle court vite la diablesse ! —Finn ! Attrape vite la balle ! Qu’est-ce que tu fiches ? Hurla Wyatt en vociférant en tous sens. —Bougez votre cul, les gras putain ! » Brailla Timsen voyant que je réduisais les distances entre le terrain et la base. Avec quelle facilité revins-je au pont de départ ? Erin me serra dans les bras : « Tu as grave assurée ! Grace à toi on va marquer des points ! » Les autres filles me saluèrent avec entrain. Hershey me tendit un verre d’eau. « Vas-y bois, tu l’as bien mérité ! —Ont-ils une bonne équipe de base-ball à Berkeley ? Demanda O’Meara en nettoyant ses lunettes. Tu leur as vraiment mis la branlée, bravo ! »

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Tous ses compliments me donnèrent des ailes. Puis Connor glissa sournoisement vers moi. « Alors tu te plais toujours autant ici ? Tu viens au Cap North tous les ans non ? —Oui je fais partie des meubles. Attention ! Oh non, il a manqué l’essai, notai-je voyant O’Meara se démener avec la batte. Il ne lui reste plus qu’un dernier et on perdra des points s’il ne l’envoie pas à Raleigh ! —T’inquiète, Calvaert passe après et lui ne manque jamais rien. C’était notre meilleur quater-back à Harvard ! C’était notre Dieu là-bas. Ne le trouves-tu pas divin ? —Ah, ah ! Gale a du te dire à quel point j’étais sage. Oh ouf ! Il y est arrivé parce que j’ai vraiment craint pour nous ! —Oh arrêtes Aubrey ! Belle comme tu es, tu as forcément un tableau de chasse digne de la Diane de la mythologie ? —Pas que je sache. —Tu as un petit copain en Californie ? » Calvaert frappa la balle et à son retour fut accueilli comme un héro par le reste de l’équipe. Athena lui sauta au cou, le sourire aux lèvres. Il ne la repoussa pas, au contraire ; tous deux s’enlacèrent et Swift les sépara pour leur demander de se concentrer sur le match, des plus serrés. Le regard de David croisa le mien ; je sursautai au moment où Swift posa les mains sur mes épaules et se pencha à mon oreille. « On va barboter un peu, nous rafraichir en somme. Ne nous dis pas que tu vas te tenir à distance de ton équipe de choc ? » Notre équipe gagna à trois points près. Comme on s’embrassait pour réciproquement se congratuler, Swift baisa

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ma joue, si chaleureusement que j’en fus surprise. « Allez ! Tous au bain ! » Intima Gale en frappant des mains. Katy avait déposé des draps de bain propres dans la buanderie. J’allais les monter quand Swift me barra la route. Ce géant aux allures de Dieu grec, affable gaillard, toujours prêt à rendre service s’empara des draps de plage avec une dévotion presque peu naturelle pour un homme de sa condition. « Attends, laisse ! Je vais t’aider… Alors comme ça tu as été à Berkeley ? L’un de mes cousins y a été également. Il ne semble pas s’être plaint de la pauvreté de l’enseignement qu’on pourrait y trouver. Tu as suivi quel pôle ? —Littérature moderne et… —Cela m’intéresse de savoir que quelqu’un ici à bénéficier d’études universitaires sur la côte ouest. Cela change des discours élitistes de Tale, Princeton et d’Harvard pour ne citer que ces trois là. Et tu as trouvé du boulot pour après ? —Oui au Washington Post. J’embauche dans deux mois comme pigiste pour commencer. Le directeur éditorial dit n’avoir que cela à me proposer pour le moment. » Il posa les serviettes sur la table pour m’étudier plus attentivement. « Et bien c’est un peu navrant de sortir de Berkeley et de se voir offrir un simple poste de pigiste au Washington Post. Qu’est-ce qui t’empêche de viser plus haut ? Mon père est sénateur et je sais qu’il aura besoin de talentueuse rédactrice pour sa campagne à venir. Tu n’auras qu’à me donner tes références et tes prétentions salariales et je lui en toucherais un mot. —Merci, j’apprécie.

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—Les amis de Byron-Doyle sont mes amis ! Mais j’aimerais que cela reste entre nous. Tu vois je ne voudrais pas que les autres pensent que tu me dois quelque chose. Or je le fais pour mon égo, j’ai en moi un côté altruiste et si je dois aider quelqu’un à des lieues à la ronde, cela serait bien toi. » Les serviettes serrées contre ma poitrine j’avais dans l’idée de remonter pour les apporter au reste de la bande quand il posa ses mains sur mes épaules. « Tu as de très beaux yeux, assez uniques je dois dire. Vert d’eau, c’est ça ? Ce n’est pas commun. A dire vrai, tu es très jolie… » Il allait me faire du rentre-dedans. « Et tu écris quoi en ce moment ? » S’il s’en était tenu à la couleur de mes yeux cela aurait pu passer mais là attaquer sur ma passion pour l’écriture alors cela frisait l’indécence. « J’essaye d’écrire un bouquin, répondis-je sans sourire comme insensible à la flatterie. —Et il raconterait quoi ? —Je préfère pour le moment le garder pour moi. Bon je dois remonter. Fermes derrière toi si tu veux bien ! » Les filles gloussaient à l’extérieur, accrochées au cou de leur soupirant ; ces belles naïades glissaient dans l’eau, telles des sirènes au corps parfait. J’enviai leur bonheur. Erin au loin me fit signe. « A l’eau ! Elle est délicieuse ! Allez, Aubrey ! » A peine eussé-je posé les serviettes qu’une force m’empoigna par la taille, me souleva hors du sol pour me jeter à l’eau. J’y bus la tasse et une fois immergée, Gale me saisit à la taille.

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« Tu es ma prisonnière maintenant ! Cela ne te servira à rien de te débattre, tu es déjà dans l’eau ! » Résignée je me dégageai de Gale pour aller nager au loin, piquer dans la surface aqueuse comme le font les cormorans pour apparaître au loin ; j’accédais par les rochers pour rejoindre les abords du manoir par le flanc latéral, là où l’on descendait les voiliers par la rampe. J’ôtai mes vêtements trempés pour m’allonger sur un rocher et m’y sécher profitant des rayons bienfaisants. « Comment survis-tu à cette baignade forcée? » En ouvrant les yeux je vis David debout près de moi, le pied en équilibre contre la paroi rocheuse. « Tu ne t’es pas dit que je voulais peutêtre tranquille ? Je n’ai pas choisi cet endroit par hasard. —Alors tu vas te mettre à grogner et à montrer des dents si je venais à m’assoir près de toi ? Peut-être même me sauterastu à la gorge si je me trouverais être trop bavard? » Et je partis dans un fou rire. La main sur la bouche je ne parvenais à taire ses spasmes dus à l’hilarité. « Franchement David, où vas-tu chercher tout ça ? —Parce qu’il n’est pas évident de t’aborder.» La main en visière je le dévisageai, redressée sur mon séant. Avec quelle intensité me fixait-il ? Comme je m’allongeai à nouveau il lui vint s’assoir près de moi, les avant-bras posés sur ses genoux. « Maintenant que la glace est brisée, dismoi un peu ce que tu fais de tes journées. D’après ce que je sais tu fais du cheval

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pendant deux bonnes heures et ensuite ? tu écris des lettres enflammées à ton petit copain laissé en Californie, est-ce que je me trompe ? Tu lui parle de nous et de la difficulté que tu éprouves à nous faire confiance. Est-il seulement gentil avec toi, Est-il aussi passionné que toi ? —Ma mère est une femme passionnée, répondis-je en le défigurant, toute son existence se résume à la passion. La dévorante passion qui anime les individus sans retenue le sont. —Donc tu ne ressens rien quand tu es sur le dos de ton cheval ou dans les tribunes d’un champ de course, ou bien à écrire ton futur chef d’œuvre littéraire ? J’ai quelques difficultés à le concevoir. —Alors comment s’appelle-t-il celui qui fait battre ton cœur ? —Ah, ah ! Et pourquoi devrais-je tout te raconter ? Laisses-moi deviner, tu as récemment discuté avec ton ami McGuire sur les bien-fondés d’une telle relation avec moi. Lui s’interroge sur les nécessité s’une union consommée hors-mariage quant ton bon sens te dicte la prudence puisque l’entière conviction que tu as est celui de faire un bon mariage envers et contre tout ! C’est un peu banal du reste mais les hommes comme toi ne m’apprennent rien sur les relations entre individus du sexe opposé. —Donc, tu n’as pas de petit copain à l’autre bout e ce pays ? Je m’étais figuré que tu avais une liste de soupirants à Berkeley pour te conter fleurette. —Mes études étaient ma priorité ! —Mais maintenant ? ne me fais croire que tu n’envisages pas toi-même le mariage comme une solution pour t’immiscer dans ce monde.

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—Quand serait-il du reste si je n’ai rien à faire-valoir ? Mon père a de l’argent mais il doit être en Amérique à ne pas me chercher un prétendant. Il m’a toujours répété que je m’épanouirais dans le travail. Tu ne partage pas son avis éclairé en la matière ? —Si j’aimerai que ma petite amie soit dépendante et qu’elle s’affirme par ses opinions. Il me serait déplaisant qu’elle ne pense pas par elle-même alors que son éducation l’a conduite à obtenir un précieux diplôme dans une université à plus de dix mille dollars le mois. N’es-tu pas d’accord avec moi ?» —Je te souhaite tout le bonheur du monde David, vraiment ! » Je partis voir ma grand-mère ; elle se portait comme un charme. Ce plâtre était une malédiction pour une femme de sa trempe. Au bout de dix minutes montre en main, on se prit la tête pour des problèmes d’’ordre domestique. On ne pouvait la contrarier. « Quand je ne suis pas là, tout fout le camp ! On ne peut vraiment pas te laisser Sanford gérer seul le patrimoine des Byron-Doyle ! Vivement que j’y revienne pour y mettre un peu d’ordre ! » Mon grand-père Clive me fit signe d’où il se trouvait être. Mon grand-père, notre vedette locale aussi fascinante que débonnaire, aimait ses petits-enfants et fils, ses livres et ses plantes mais jamais je ne le vis plus heureux que maintenant. « Et comment cela se passe au Cap North ? Et Nora qui se faisait du souci pour toi. Tu vois Nora, tu n’avais aucune raison de t’en faire, ta petite-fille a survécu à cette bande de joyeux fanfarons!

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—Clive est impitoyable avec moi ! Moi je n’ai fait que dire que cet endroit ne pouvait convenir à une jeune femme mais il n’a pas cru bon interférer sur la décision de son fils ! A savoir rejoindre les amis de Gale quand tu aurais été bien mieux en Caroline ! » Grand-père leva les yeux au ciel, caressant au passage la vielle chienne Nelly, un golden retriever se trainant lamentablement d’un endroit à l’autre ; il s’installa face à moi et releva le menton. « Je suis heureux pour toi tout comme peut l’être ton père et ta mère ? Comment va ta mère d’ailleurs ? Compte-t-elle prochainement nous rendre visite ? —Aucune idée. Gale veut que je reste plus longtemps au Cap ! » Grand silence surpris. Je les interrogeai du regard et tous deux se murèrent dans leurs interrogations. « Tiens, donc ! Comme c’est curieux ! Et pourquoi diable le fils Byron voudrait te voir rester près de lui quand le père rassemble ses troupes dans la capitale ? Le fils prodige est de retour et avec lui tout le fleuron de notre société : les Wyatt, McGuire, Calvaert, Hershey, Connor, Finn et j’en passe ! C’est l’occasion pour toi de te distinguer jeune fille ! Toute la fine fleur des Etats Unis d’Amérique se trouve être au Cap et pareille offre ne se refuse pas. Nora et moi prendrons quelques jours de vacances. N’est- pas Nora ? Nora ! —Des vacances ? Je doute que… » D’un bond Clive se leva et Nelly le suivit en sautillant sur ses trois pattes valides. « Viens voir mes camélias, Aubrey ! Viens par là j’ai besoin de ton avis car ceux de Nora poussent incontestablement à

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tout revisiter ! » Mon grand-père adorait son jardin ; pour l’heure celui-ci lui servit d’excuses pour me tenir éloigner de Nora. « Ton père ne parle que du Washington Post mais il manque cruellement d’ambition pour toi, déclara-t-il en prenant mon bras, tu pourrais tenter de viser plus haut. Il y a bien parmi ces gentlemen l’un d’eux capables de promouvoir ta candidature à un poste plus prestigieux et bien mieux rémunéré. Et toi tu en dis quoi ? —C’est le début de l’été et je suis vraiment fauchée. J’ai besoin de ce travail pour pouvoir honorer les premiers loyers d’un appartement à Washington. —Ta grand-mère tout comme moi avons œuvré pour nous distinguer. Quand j’ai rencontré ta grand-mère elle avait dix-sept ans et ne connaissait rien au monde qui l’entourait. Fille d’un pasteur luthérien et cadette d’une grande famille d’afroaméricains, elle a du batailler ferme pour que l’on ne la juge plus uniquement sur la couleur de sa peau mais pour sa faculté à prendre de bonnes décisions. Contrairement à toi et à ses fils elle n’avait pas fait d’études, mais elle avait ce que beaucoup n’avait pas : un amour inconditionnel pour ce qu’elle accomplissait. Je l’ai remarqué au premier regard. Et la suite tu la connais. J’ai attendu qu’elle est atteint ses vingt ans pour l’épouser. Trouve-toi un homme qui puisse te guider. C’est là ta première épreuve et pas des moindres ! Seule tu n’arriveras à rien. Trouves-toi un bon époux et mets ton orgueil de côté si tu comptes t’en sortir ! » J’ai toujours cet endroit ; ses étendues boisées et son littoral ; avec Gale nous

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avons exploré tous les coins et recoin de la région et je peux aujourd’hui me vanter d’en connaître le relief dans son moindre détail. Les gens sont si charmants ici. Ils descendent de voiture pour discuter, échanger sur le temps et autres sujets. On se sent si bien sur la côte qu’il devient presque impossible de partir pour les grandes métropoles. Après une longue promenade sur la plage je me décidai à rentrer. Le soleil dardait et la mer scintillait au loin. Un panorama des plus somptueux. Les filles gloussaient sur la plage, tandis que les gars s’envoyaient la balle tout en se plaquant dans le sable. Alors je pris ma serviette sous le bras pour l’étaler non loin d’eux ; je partis me mettre à l’eau pour y rester un petit moment et à mon retour tous se doraient la pilule au soleil. « Hey Aubrey ! » Je levais la tête de dessus ma serviette pour voir tous les regards masculins diverger de mon côté. « La plage est assez grande c’est un fait, mais tu pourrais te rapprocher de nous ! On ne mord pas tu sais ! Déclara Hershey caché derrière ses Ray-bans. Sauf peut-être Calvaert… —Fermes-la un peu veux-tu ? —Oh, laissez-la donc la malheureuse ! Soupira Charlotte. Elle a assez à faire que de vous écouter débattre sur le sexe des anges ! Il ne s’agit pas de savoir si elle viendra mais plutôt ce qui la pousserait à se joindre à nous autres au vu des commentaires que vous faites ! —Lotte chérie, veux-tu bien te taire et bronzer, murmura May étendue près de Connor qui l’enveloppait de son bras. Laisse-la donc souffler un peu ! Notre présence doit lui être insupportable. »

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J’étalai ma serviette près de McGuire allongé sur le ventre. Notre regard se croisa. Je tournais la tête sur le côté et sur le dos fixait la plage déserte ; cette longue et large crypte au sable fin où j’y passais de bons moments en présence de Gale. « Et McGuire, c’est quoi l’endroit dont tu parlais l’autre soir ? Le Coconut c’est ça, questionna Finn, penses-tu qu’on pourra y faire un saut l’un de ces quatre ? —Hmm. Pas avec ton tronche de cake ! Désolé pour toi mais ils ne laissent entrer que les vedettes du petit écran et on n’y entre pas comme dans un moulin. Il faut montrer patte blanche. —Ma patte est blanche ! Et puis je suis une vedette, moi ! —Arrêtes, tu as toujours trouvé à t’afficher par tes tenues indécentes et dans les endroits comme le Coconut il faut venir accompagner, ce que tu n’es pas ! Railla Mueller en tendant un pétard à Twinsen. Et ce que tu ne seras jamais à en juger par ton incapacité à séduire ! —Hey ! Moi je peux lever une femme quand je veux et où je veux ! Aucune ne résiste à mes charmes ! » Il y eut quelques gloussements des filles. « Arrêtes ton char, même les petites négresses et les latinas ne voudraient pas de toi ! » J’ouvris les yeux et tendis l’oreille. « On ne t’a pas appris à la fermer toi ! Cracha Calvaert à l’intention de Finn. Tu as une putain de grande gueule et quand tu l’ouvres ce n’est que pour déblatérer des conneries ! —Et Calvaert, je t’’emmerde ! Ce sont là des plaisanteries entre nous et si tu ne les apprécies plus, et bien tu te casses ! On n’a jamais eu besoin d’un objecteur de

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conscience comme toi pour savoir de quel côté de l’Amérique pisser ! » Il y eut un OHH de réprobation le long des serviettes. « Oh, oh ! Vraiment grandiose Finn ! Le rabroua Gale. Pour savoir pisser droit il faudrait d’abord que ta petite queue puisse tenir seule ; or la tienne a toujours besoin d’une main pour la trouver.» Eclats de rire. Je souris de mon côté trouvant plaisant qu’il se fasse remettre à sa place de la sorte. « Byron je n’ai rien contre toi mais parfois tu ne sais vraiment pas faire la part des choses. Je ne veux pas t’embarrasser en retour mais je n’ai pas de leçons à avoir de toi. —Qu’est-ce que tu veux dire par là ? —Ma queue est aussi longue et large que peut-être la tienne et sauf ton respect je n’ai pas à la tenir quand je cherche à balayer toute la merde qui tapisse nos beaux parterres de pensées ! Nous deux on marche dans la même direction et si tu n’avais pas une raison favorable pour t’exécuter, tu serais déjà entrain de me la tenir ! » Les filles ricanèrent. « Et est-ce que cette raison serait-elle pas Casey ? Questionna Rachel. Je reste persuadée que la politique et les femmes font bon ménage ! —Tiens ta main éloignée de ma queue Finn et on restera pote aussi longtemps que je le jugerai. Quand on s’appelle seulement Finn, on ne doit pas s’attendre à branler toutes les queues de ce foutu pays. —Ouais cela en fait des queues à branler ! —Oh, non ! Qu’est-ce que vous pouvez être crus ! Invectiva Athena en se redressant des plus écœurées. Ne pourraiton pas parler d’autres choses ? Il y a

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certainement des sujets plus pragmatiques que celui de votre virilité, non ? » Comme je tournais la tête, je vis McGuire m’étudier, posé sur ses avantbras. « Hey Finn, c’était quoi ta résolution pour cette année ? Etre moins con ? Demanda Swift. Moi j’en connais une qui va cramer si elle ne se tartine pas d’écran ? McGuire qu’est-ce que tu fiches bordel ? Il a à côté de lui la plus jolie plante à entretenir de la Caroline du Nord et il n’est pas fichu de l’entretenir ! Envoie-moi ta crème Erin ! » Brinnie devait s’agiter près de lui. Ce dernier enjamba les serviettes, le tube à la main et s’agenouilla près de moi. « Tu ne vois pas d’inconvénients à ce que je te badigeonne ? —Pardon ? » Je me redressai pour constater qu’il s’adressait bien à moi. « C’est que…je n’ai pas besoin de crème. —Ce n’est pas parce que ton voisin de droite n’est pas très prévenant qu’il faille montrer des dents quand je me soucie de ta santé. Remets-toi sur le dos…allez ! » Je m’exécutai et au contact de ses doigts frais sur mon dos je tressaillis. Il remonta le long de mon dos pour atteindre mes omoplates, cela faisait un bien fou. Il dégagea ma nuque pour passer sur mon cou. Etait-ce nécessaire de remonter si haut ? « C’est ainsi qu’il faille traiter les jolies plantes McGuire. Avec beaucoup de prévenance. Regardes et apprends mon ami. » Encore un commentaire de ce genre et je lui collais mon poing dans sa tronche. Mais il savait y faire, c’était bon…Il

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descendit sur mes reins et jusqu’à la naissance de mes fesses. « Swift, ne prends pas tes rêves pour des réalités ! Plaisanta Hershey. C’est plus fort que lui, il ne peut pas s’empêcher d’y aller à fond ! Toujours dans la finesse, des plus élémentaires. Et Finn, tu devrais en tirer des leçons ! —Vas te faire foutre H. ! Pas besoin de vos conseils pour briller en société ! Ma lanterne est bien mieux éclairée sans Swift ! —C’est bien pour ça tu es complètement à côté de la plaque mon grand car en plus de pisser à côté, tu ignores aussi comment faire ton pieu ! » Les gars éclatèrent de rire. Sans doute une allusion au sexe, une fois encore ; du côté des filles aucune ne rit. « Cela devrait aller, merci ! » Swift n’était déjà plus là ; son regard le trahit. « Bon et bien…S’il t’importe peu d’avoir des coups de soleil, moi je renonce mais comme tu m’as collé une crampe à la main droite, je vais rester un petit instant ici. » Hershey gloussa imité par Connor qui murmura un : «Oh le sale pervers ! Et moi qui le prenais pour un enfant de chœur ! » En plus de Brianni, Victoria tira la tronche et tous deux partirent se mettre à l’eau, imitées par McGuire, Finn, Mueller…enfin presque tout le monde exceptés Calvaert, Athena, O’Meara et Swift. Athena commença à parler de la plus et du beau temps quand Swift la coupa : « On va aller danser ce soir. Probablement au Charleston. Tu connais ? Tu pourrais venir avec nous si tu reconnais que nous ne sommes pas si désespérants !

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—Et tu crois qu’on va continuer à me respecter si je sors avec vous ? Plaisantaije en me délassant tout complètement. C’est que je suis connue dans le coin et ma réputation est encore à faire. » Il répondit par un sourire. « Pourtant cela te changera des ploucs que tu as fréquenté dans le Kentucky ! Oui c’est un fait, tout le monde sais qu’il n’y a que des culsterreaux dans le Kentucky ? » Il matait mes seins après avoir dévoré mes lèvres des yeux. Donc il faudrait que tu acceptes de venir ce soir au Charleston. Tu pourrais ne pas être déçue du voyage. Nous autres de Harvard savons nous amuser !» Je remettais le moteur d’une vieille bagnole en l’état ; Clive m’avait remis cette vieille voiture pour que je puisse en tirer quelque chose, une fois le travail terminé. Marcus me laissait utiliser son matériel et souvent Gale me filait un coup de main. « Ainsi tu n’es pas sortie ? » Calvaert une fois de plus me surprenait et la tête dans le moteur je ne répondis rien, poursuivant sans lui prêter la moindre attention. Il tourna autour de la vieille Chrysler quand je me dirigeai vers l’établi. « Je peux t’aider si tu veux, les moteurs ça me connait. J’ai bidouille moi-même un petit à Boston. J’ai monté moi même le moteur d’une vieille Ford récupérée à la casse. Cela m’a pris beaucoup de temps mais j’y suis parvenu. Ces dernières années j’ai un peu manqué de temps. Mais je n’ai rien perdu à mes notions de mécanique. —Si j’avais voulu un mécano, la voiture serait déjà réparée, tu ne crois pas ?

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—Ton mécano en question aurait facturé ses services. Laisses-moi seulement jeter un œil sur ce moteur ainsi je pourrais voir sur quoi tu passes autant de temps. » Mon grand-père Clive dirait que cette amitié pourrait révéler de bien agréables surprises, mais à cet instant je refusai qu’on me perturbe dans mon travail. « C’est manifestement une belle voiture. Elle a tout ce qu’il faut pour forcer l’admiration. Tu t’en sors plutôt bien. —J’ai travaillé sur une Dodge avec mes frères Earl et Keith. On a fait un remarquable travail. Keith est passionné de mécanique, il tient cela de mon grand-ppère Clive. Earl était là seulement pour nous donner des directives. Ce fut un travail d’équipe avant que je puisse seule parvenir à réparer quoique se soit. Mon frère John, lui préfère les chevaux. Il en fait son fer de lance. Il vit, dort et respire pour ses chevaux. Sans lui notre écurie aurait déjà périclitée. —As-tu eu une enfance heureuse en Caroline ? —Je suppose que oui, j’ai vécu au milieu des chevaux. Les meilleurs des Etats Unis. Le père de Gale a depuis toujours remis ses chevaux au père McGowan et son père avant lui, ainsi de suite jusqu’à remonter aux Pères fondateurs. Et puis j’ai découvert la Californie. —Tu l’aimes ? —Qui donc ? —Cet endroit. Le Cap North.» Il s’adossa contre le véhicule et me fixait, les sourcils froncés. Que devais-je répondre à cela : Oui j’aimais me retrouver ici pour saluer Clive et Nora, mais pas seulement ; Gale représentait une partie de mon plaisir. On avait grandi ensemble, partagé les

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mêmes blagues et délires d’enfants. Oui j’aimais cet endroit pour ce qu’il représentait de plus sacré pour moi : l’amour entre deux êtres. Gale avait été mon premier petit copain, mon amant et mon alter-égo. « J’ai grandi au Cap North, difficile de ne pas l’apprécier à sa juste valeur ! Tout ici est fait pour qu’on s’y sente bien. Marcus a dépensé énormément pour le rénover. Il a dans l’idée de marquer son temps de son empreinte, à la façon des monarques apposant leur signature à un monument. » Il ne m’écoutait déjà plus. Inutile de continuer à tergiverser sur le Cap North. «Et toi, cherches-tu à marquer ton temps de ton empreinte ? —D’une certaine manière oui. J’ai une bonne amie à San Francisco, Harriet Freeman qui m’a beaucoup lu puisqu’elle a corrigé une partie de mon mémoire. Selon Harriet, nous ne faisons pas que passer, nous contribuons surtout à réformer notre politique. Ce qu’entreprend le pasteur martin Luther King est simplement magistral. Les Noirs de ce pays ne sont plus seulement des représentants des races inférieurs mais des êtres unis prêts à renverser les mentalités. As-tu déjà été dans le sud David ? —Oui, en Géorgie. Mais je connais également bien la Virginie et récemment la Caroline du Nord. —Là-bas la ségrégation sévit dans les lieux publics et il désolant de constater combien il est difficile de vivre dans une telle ambiance quand dans le Nord tout est fait pour assimiler les personnes de couleur. Alors oui quelque part je veux écrire pour un journal visant à réduire

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l’impact des hommes blancs sur cette minorité. C’est encore dans le District de Columbia et en en Caroline que les choses peuvent prendre leur essor. John et moi avons boycotté les bus de la Caroline en incitant certains les amateurs de courses hippiques à ne pas prendre les bus de telle compagnie. —Impressionnant. —C’est tout ce que tu trouve à dire ? Pendant mon entretien pour le Washington Post on m’a fait savoir que mon soutien serait décisif car hautement apprécié. Je ne prétends pas y parvenir seule mais avec l’inspiration de personne comme Jeff Mulligan. —Et qu’est-ce que Gale pense de tout ça ? —Je me fiche de son avis. Quand il parle de Mulligan, il emploie les mots : radical, libéral, salaud de procommuniste et tête de con. Il n’a pas l’intention de me soutenir, voyant là une conspiration contre la Maison Blanche. —Et n’en est-ce pas une ? Je m’étonne seulement qu’une jeune femme comme toi puisse en savoir autant sur le sujet sans jamais avoir grandi dans les états du Sud qui proclament haut et fort refuser les droits civiques aux Noirs. Quand on te voit tu sembles être plus habituée aux salons, aux réceptions et aux loisirs des nantis de cette société. —Et bien c’est là où tu te trompe ! On apprend également beaucoup par l’observation. —Si tu veux mon avis, Gale te mettra des bâtons dans les roues. Beaucoup de ses relations sont loin d’être progressistes, certains sont même radicalement opposés à tout changement et gale verrait cela

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comme une insulte, une provocation qui t’obligera à repenser ton plan de carrière. Et que penses-tu de l’avis de Randal ? Cela reviendrait à se faire mordre par le chien que l’on a nourri durant toutes ces années. Peut-être n’est-il pas trop tard pour toi, je veux dire, en postulant ailleurs ? « Je tombai des nues. « Ton amie Harriet n’a pas idée du monde dans lequel tu vis. C’est un monde cruel et impitoyable, fait de faux-semblant, de coup-bas dont seuls les plus forts s’en sortent sans dommages. Si tu t’obstines à suivre cette voie alors toutes les portes se refermeront devant toi l’une après l’autre. Qui plus est, j’ai cru comprendre que Hershey ne te porte pas dans son cor cœur. Un différend, est pas de moindre à régler. Gale compte sur le soutien de son père pour se lancer et la moindre hombre au tableau risque de lui porter préjudice. Et tu es cette ombre Dee, désolé de me montrer aussi franc, mais Gale ne te fera aucun cadeau. » Le chiffon à la main, je restais plantée à le fixer pétrifiée par cette vérité impossible d’admettre. « Hershey est un imbécile, crus-je bon d’ajouter pour me convaincre du bien fondé de mon projet. —Oui je t l’accorde mais un imbécile qui a les bras longs, du moins son paternel, déclara Calvaert en tournant le bouton de la station radio. On écoute quoi en Caroline ? —Exactement comme partout dans le reste des Etats-Unis ! Si tu tenais tant à danser et écouter de la bonne musique pourquoi n’es-tu pas allé au Charleston avec les autres ?

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—Et te laisser seule ici ? Cela aurait manqué de décence et pour pallier à cet inconvénient j’ai tout prévu, murmura Calvaert une flasque d’alcool à la main après avoir arrêté son choix musical sur une valse. Je suppose que tu as appris à boire en Californie. » Plus tard, dehors au clair de lune, nous fumions sans rien échanger. J’étais partagée par des sentiments ambivalents : excitation, indifférence. « Donc. si je résume bien tu es attachée à cette maison et à ses gens. C’est tout à ton honneur, cette loyauté envers cette famille est on ne peut plus respectueuse. » Il me sonda de ses grands yeux bleus comme s’il cherchait à percer le blindage d’un char d’assaut. Il descendit sur mes lèvres avant de s’adosser contre les marches de la serre. « Je serai flatté si l’on venait à se revoir après. Je trouverai toujours du temps pour toi, Aubrey. » Après Swift, Calvaert se proposait de m’être courtois, je n’avais plus qu’à bénir le Seigneur et grand-père Clive s’en féliciterait, lui qui ne voyait la survie de toute espèce animale comme végétale définit par un grand nombre de principes essentiels à leur survie, et parmi eux : la collaboration telle que la poldérisation. « J’en serais moi-même ravi. » Ma réponse lui fit l’effet d’une bombe. « C’est vrai ? Tu accepterais de me revoir ? Ça alors ! Je ne m’attendais vraiment pas à cela ! Ah, ah ! Alors nous allons faire des envieux ! —Comment cela ? —Cela pourrait être une combinaison gagnante et Dieu sait que tu auras besoin de conseils instruits pour parfaire ton style.

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Tu écris bien c’est un fait mais ta plume aurait besoin d’être taillée pour être révélée au grand public. Nous pourrions travailler cela dès demain, tu en pense quoi ? » Je piquai un plongeon dans la piscine le lendemain soir, peu après cinq heures ; les autres étaient sur la plage à se dorer la pilule après une journée passée à pioncer à l’ombre des parasols disposés à la pointe du parc, là où l’on jouissait d’une vue imprenable sur l’océan. Après être sortie de l’eau, j’étudiais les pages de mon tapuscrit corrigées par David quand des mains m’obstruèrent la vue. « David ? C’est toi ?» Recouvrant ma vue j’aperçus Gale derrière moi ; je me sentis stupide d’avoir pu les confondre. « Ce n’est que moi, tu n’es pas trop déçue ? —Non ! Bien-sûr que non ! Seulement je m’attendais à quelqu’un d’autre que toi ! —Allons, je te taquine, » sourit-il en s’asseyant en face de moi sur la longue chaise. Il était si beau que j’en frémis. «Puisqu’on en est à en parler, comme cela se passe-t-il avec Calvaert ? Tu sais tu as le droit de le droit de le remettre à sa place s’il se montre trop obtus, c’est son principal défaut ! Vous allez passer à la vitesse supérieure ? Lui, en aurait envie tu sais. Il se met à avoir des papillons dans le ventre. —Et toi avec Casey, songez-vous au mariage ? —Ah, ah ! J’apprécie ton humour ma petite Dee. Et tu ne m’as toujours pas dit comment s’est passée ta visite chez Nora et Clive.

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—Tous deux allaient très bien et Clive m’encourage à me rapprocher de Mulligan, mentis-je en m’allongeant sur la chaise longue, tout le monde connait l’importance des relations dans ce milieu et l’ignorer me reviendrait à tourner le dos à des préceptes vieux comme le monde. L’élève, un jour, dépassera le Maître. » Il serra les poings qu’il frappa à l’intérieur de sa paume. « Et bien j’avais pensé que tu aurais changé d’avis. En même temps tu es encore jeune et inexpérimentée, ce qui fait de toi la plus influente des intrigantes du Sud. Qu’est-ce que ce journal a-t-il à t’offrir ? je ne te donne pas deux mois pour changer ton fusil d’épaule. Contrariée je fermai les yeux avant de détourner la tête. Plus loin se tenait McGuire, les mains enfoncées dans les poches. Et la cigarette entre les lèvres, Hershey tirai nerveusement sur sa cigarette. « Je ne compte pas changer d’avis, Gale. —Ecoute, penses ce que tu veux Dee, cela ne fait aucune importance pour moi si ce n’est qu’à Berkeley on t’a monté la tête en te faisant croire que tu toucherais à la notoriété en rédigeant d’indigestes éditoriaux justes bon à torcher le cul des nègres. » La main en visière je ne pouvais tolérer ce que j’entendais de la part de Gale. « De ta part, cela me déçoit. —Quoi donc ? Que je me mette à pérorer sur l’absurdité de ton projet ? Ou bien que je me tienne là à nuire à ta frugalité. Tu boudes mes amis et je devrais te modérer ? En somme tu dispose d’assez de temps pour réfléchir. »

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Peu de temps après j’appelai Jeff dans le bureau de Marcus. Sa secrétaire décrocha et me demanda d’une voix bien aimable à qui elle avait à faire. Puis elle tendit le combiné à son époux : « C’est la petite Aubrey McGowan pour vous ! —Oui Aubrey que veux-tu ? » Dans le fauteuil en cuir, la tête dans la main je ne sus trop quoi répondre. « Aubrey ? Est-ce que ça va ? —Oui, je suis chez le sénateur ByronDoyle en ce moment et je ne pourrais pas venir avant la fin de la saison. Ce léger contretemps n’affecte en rien ma motivation et… —Mais nous avons besoin de quelqu’un maintenant ! Nous avions convenu d’une date pendant votre embauche et vous l’aviez acquiescez n’est-ce pas ? Miss McGowan je comprends que vous préfériez rester quelques semaines de plus chez le sénateur mais c n’est vraiment pas à mon goût. Soyez aimable de me prévenir si d’aventures vous ne souhaitiez plus le poste de rédactrice. Bonne journée ! » A peine avais-je fermé la porte du bureau que Gale me sauta dessus. «Je vais en ville. M’accompagnes-tu ? J’aurais besoin de tes conseils avisés pour acheter quelque chose de spécial pour Randal en vue de son anniversaire. »

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CHAPITRE Et le matin de bonne heure arriva Randal escorté par son ami Lee Brunswick, un attorney fort ennuyeux, tous deux diplômé de Yale et membres de l’organisation secrète Skull and Bones. Ils furent tous deux le point d’attraction de tous les regards, le cercle se forma autour d’eux telles des abeilles autour du nectar. Randal où qu’il aille faisait toujours son petit effet ; si Gale avait la beauté, Randal lui avait l’intelligence. Le lendemain il me fallut gérer trois femmes de chambre soucieuses de perdre leur place. Il me fallut les rassurer en disant que les Byron-Doyle ne se débarrasseraient pas d’elles facilement. J’allais descendre en cuisine quand soudain : « Mais n’est-ce pas Miss McGowan ? Si c’est bien elle ! Et que fais-tu de si bonne heure en bas quand la maison dort encore ? Et que faisais-tu hier soir ? J’avais espéré te voir. —Oh ! Comme tu le sais Nora s’est cassé le pied. Une ridicule petite entorse et tu la connais pour savoir que même absence, elle régente cette maison d’un gant de fer. Et oui, j’étais un peu trop lasse pour venir dans le salon hier au soir. Qui plus est les femmes de chambre refusent de travailler sous les ordres de Sanford qu’elles voient comme un tourmenteur. Veux-tu que Bridget te monde ton petitdéjeuner ? —On te mène la vie dure n’est-ce pas ? Ces domestiques qui se plaignent sans cesse, mon frère qui t’ennuie avec ses considérations. Tu aurais besoin de vacances, tu as mauvaise mine, crois-moi.

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Tu dois te demander encore comment Nora fait pour supporter tout cela. Les limites de l’insupportable ont été franchies. Et toi, brave petite Dee McGowan tente de t’insurger contre ce système autocratique où les seigneurs règnent en tyrans. —Pourquoi ? Tu penses que je devrais me laisser faire ? en arrivant au Cap North je ne pensais pas avoir à supporter, et les amis de gale et ces harpies des étages, c’est assez qu’il en faudrait pour s’arracher les cheveux. Bonne journée Randal ! —Attends, s’il te plait, murmura-t-il en attrapant mon bras, j’aimerai m’entretenir avec toi. » D’un signe de tête il me fit signe de le suivre vers la bibliothèque, temple de la connaissance. Il me présenta une chaise que je refusais et lui s’assis sur l’accoudoir d’un fauteuil club. « Alors, que penses-tu de Crowley ? —Elle est superbe et…Gale en est charmée, il en est sous le charme et il faut dire qu’elle sait se faire apprécier de tous. Elle est dans la retenue et pleine de délicatesse. Jamais une phrase plus haute que l’autre. Cassandre est le genre de femme qu’ l’on aime à idolâtrer, parce qu’elle transpire l’humilité, la noblesse d’âme et elle semble comprendre que l’existence de gale se résume à certaines valeurs immuables. » Il me fixait sans rien répondre, perdu dans ses pensées. Son regard sembla éteint et il glissa le long de mon corps pour s’échouer sur le parquet. Ce silence était détestable. « S’il te plait, assieds-toi… » Je m’exécutai à contrecœur, sans le lâcher des yeux.

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« Je n’aime pas te voir comme ça. Je te sens un peu tourmentée. Si tu rencontrais un souci m’en parlerais-tu ? dee, je suis sérieux. Es-tu ennuyée par quelqu’un ? —Non, par personne, mentis-je en triturant mes doigts, les mollets croisés l’un sur l’autre sous l’assise du fauteuil. En fait, au début je….les amis de Gale sont pour le moins choqués par la présence ici, même si ne l’expriment pas ouvertement. Leur regard parle pour eux. Il me suffit de passer à quelques mètres d’eux pour me sentir observer. C’est déroutant je dois dire. —Ils te regardent parce qu’ils n’ont rien d’autre de mieux à regarder. —Je ne crois pas, non ! Presque tous ces hommes sont venus avec leur moitié et ceux qui ne sont pas accompagnés se désintéressent complètement à la gente féminine. Non, je parle d’un tout autre sentiment Randal, proche du mépris. —J’ai cru comprendre que tu t’entends bien avec Calvaert et Mc Guire. Swift est également un bon élément. Ne pourrais-tu te contenter de plaire à une minorité avant de chercher à plaire à l’ensemble de cette communauté ? je pense que Calvaert comme Swift pourraient te surprendre. —As-tu des nouvelles de John ? —Non, pas depuis l’hippodrome de Raleigh. Veux-tu qu’on aille faire une ballade toi et moi ? —Non, j’apprécie me retrouver seule, le matin. Enfin, si la compagnie des chevaux ne te déplait pas, tu pourrais peut-être m’accompagner. On ira à ton rythme, Blue Jean est moi. —Non, je partirai en milieu de matinée. J’ai rencontré une femme à Boston. Emily de Grant. Elle est vraiment charmante,

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distinguée, de bonne famille avec un Doctorat en sciences ! Une vraie perle. » Ma gorge se noua. Comment pouvait-il me trahir de la sorte, Les larmes me montèrent aux yeux ; il me fallait dire quelque chose au risque de fondre en larmes. « Je suis très heureuse pour toi, vraiment ! Gale trouve la femme de sa vie et il en est de même pour toi, c’est magistral, mentis-je le sourire aux lèvres, ton père doit s’en féliciter. Je me mets à sa place… » Les mots me manquèrent. Randal ne souriait plus, en appui sur ses coudes et ses poings serrés contre ses lèvres. « Oui, il s’en félicite. Parles-moi de ton emploi au Washington Post, c’est pour bientôt non ?» Il se leva pour gagner une étagère sur laquelle figuraient des statuettes grecques et des bustes de philosophes antiques. Il caressa la tête de Sénèque. « J’ai cru comprendre que ton désir le plus cher était de travailler comme pigiste. Alors attends-toi à la douche froide. Ce métier est loin d’être grisant, argua Randal de retour sur son accoudoir, de nouveau, je te sens contrariée. On lit en toi comme dans un livre ouvert. Es-tu vexée que je puisse te donner un avis sur ta future profession ? —Oui cela me contrarie. Tu sembles plus craindre sur la réputation de ta famille plutôt qu’à mon bienêtre. Toi comme Gale devrais peut-être me laisser gérer ma barque comme je l’entends. Et Gale ne peut s’empêcher de m’abreuver de conseils quand il a l’occasion de le faire. Or, nous autres McGowan sommes assez fiers pour

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faire nos propres choix sans être influencer par vous autres ! —Donc si je comprends bien tu n’apprécie pas l’intervention de Gale à ce sujet ? —Evidemment que non ! Il envoie son Calvaert me faire la leçon et j’ai bien pensé quitter le Cap North pour ne plus avoir sans cesse à ms justifier ! Maintenant il est l’heure pour moi de regagner les écuries, soulignai-je en me levant prestement, le cœur battant à rompre, il n’y a rien qui n’est pas été abordé avec Gale pour me laisser exsangue et navrée. —J’en toucherai un mot à Gale. —Non, par pitié ! Je suis assez grande pour gérer mes affaires sans que personne ne soit là pour me guider par la main. —Mon frère est parfois maladroit quand il s’exprime et je suis persuadé qu’il ne cherchait pas à te blesser en affirmant de telles vérités. Je te prie de ne pas te montrer trop dur envers lui. Il ne pensait pas à mal et je reste persuadé qu’il est le premier à t’encenser. —Bon retour à toi Randal ! » Et assise sur le rebord de mon lit je digérais mal le fait que Randal puisse avoir une petite amie. Tout s’expliquait : ses silences après les courses en Caroline, le fait que Gale veuille à tout prix me coller Calvaert dans les pattes et enfin la présence de Randal en ces murs. J’allais m’endormir après ma longue ballade à cheval quand on toqua à ma porte. J’ouvris pour me trouver face à Calvaert. « Swift, McGuire et moi allons faire un peu de voile. Veux-tu te joindre à nous ?

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—Euh…non, David et je te remercie d’avoir pensé à moi ! Une prochaine fois si tu veux bien. —Et c’est quand une prochaine fois pour toi ? Enfile un short et rejoints-nous en bas. Cette virée te changera les idées. Allez, Dee, cesse de te faire désirer ! » Ainsi je me retrouvais à barrer sur le beau voilier de Byron-Doyle ; un magnifique skipper flambant neuf avec tout le luxe que l’on pouvait trouver à bord : tableau en noyer à la timonerie et en cabines, vernis et laqué sur toutes les boiseries, les mats étincelaient sous ce soleil de plomb et le skipper envoyait des gerbes d’eau sur les sabords sitôt qu’il gitait. L’Artémis II filait toutes voiles dehors et aux manœuvres, les gars s’en donnaient à cœur joyeux. A la barre je les voyais s’activaient en blaguant comme des écoliers en pleine sortie pédagogique. Après une demi-heure de louvoiement, David me rejoignit à l’arrière pour me tendre son paquet de cigarette. « La pause syndicale mon capitaine ! —Crois-tu vraiment que le tabac et l’air de l’océan soit compatible l’un à l’autre ? N’est-ce pas toi qui parlais de s’oxygéner les poumons ? —Oui je l’ai dit mais tu as bien le droit à un petit réconfort ! Cela restera entre nous et tu n’auras qu’à la jeter par-dessus bord si l’on te surprend avec !» Puis sur l’océan, on se mit en panne. Swift remonta avec une bouteille de spiritueux et des glaçons. McGuire posa les coussins de sol sur le pont arrière et on s’y jeta avec délectation. « Tu bois avec nous Di, n’est-ce pas ? Il serait amoral de te laisser mourir de soif. Clay donne lui un verre de ce délicieux

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Bourbon ! Pas plus haut que le bord ceci dit, nous ne voudrions pas la voir rouler sur le pont telle une barrique en perdition ! —C’est comme si c’était fait! » Et McGuire me tendit le verre de whisky sans pour autant desserrer les lèvres. « La même chose pour toi David ? —Non je prendrais dans le verre de Aubrey. Vu comme tu l’as servi je crains qu’elle ne sache plus tenir la barre pour le retour. Et puis j’ai un petit quelque chose remis par Connor, déclara ce dernier en brandissant quatre cigares. Une petite dose de bonne humeur pour voir la vie en couleurs ! » On porta un toast : « A ces mémorables vacances ! Qu’elles soient inscrites à jamais dans la mémoire collective des citoyens de notre patrie tant aimée, Amen ! » A ses vacances ! Reprenions-nous dans un seul élan. Et Calvaert enfonça son cigare de la Havane entre ses lèvres. A choisir entre l’alcool et le tabac, je résolus de m’en tenir à la production. « Alors McGowan dis-nous ce qui t’a motivé à te joindre à notre fratrie ? Ne me dis pas que tu es là uniquement pour mes beaux yeux parce que c’est ce que je veux entendre murmurer de ta belle bouche… » Et Calvaert stoppa net Swift en lui jetant un coussin en plein vidage. « Arrêtes ton char, tu es désolant dans ta bêtise et ton ignorance ! —Quoi ? Tu n’es pas le seul beau mâle célibataire du coin et il te faudra l’accepter : tu as des rivaux pas plus loin qu’ici ! Laissons faire son choix et tu verras que Aubrey a beaucoup de goût en me choisissant, tu verras !

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—Qu’il est présomptueux, lança McGuire, il a sorti le même baratin à Victoria. Quand est-ce que tu comprendras et admettras que ta séduction a ses limites ? —Peut-être jamais et c’est là le problème. Pas plus tard que ce matin il était sur le dos de Casey. Bien-sûr la belle l’a envoyé sur les roses. C’était si réjouissant. Ah, ah ! —Va chier Calvaert ! Je ne sais pas pourquoi mais je trouve leur relation bidon et je ne suis pas le seul à le penser. Pourquoi tu me fixes Cal ? Tu sais autant que moi qu’il y a quelque chose qui cloche. C’est une sainte-nitouche et il ne faut vraiment pas être un petit génie pour savoir que la Crowley tout comme son père court après l’argent ! —Oui et après ? Elles sont toutes à vouloir la même chose non ? Crowley n’est pas pire qu’une autre, crois-moi, précisa McGuire, tant que Gale est heureux, c’est ce qui nous importe non ? —Et puis, est-ce que tu t’entends parler Switty ? Tu lui tournes autour, elle t’envoie balader et tu la juges impropre au bonheur de Byron ? C’est ça ta version des choses ? —La ferme Cal ! —Il a raison Switty, c’est un beau raccourci que tu nous présentes là. —D’accord étudions les faits. Il ne la connait ni d’Eve ni d’Adam. On ne sait même pas d’où il la sort. —Elle sort de Yale, répondit McGuire, les jambes rassemblées contre sa poitrine. —Je le sais, coupa-t-il froidement. Byron se met à lui écrire de beaux textes ; lui qui n’écrit jamais. Bon, il faut dire que ce petit courrier du cœur fait son effet. La

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voilà qui minaude et se donne des airs de marquise. Elle pense que c’est dans la poche et…moi je pense que Byron n’est pas amoureux, moi je reste convaincu qu’il bluffe. —Qu’est-ce qui te fait penser cela ? T’aurait-il fait des confidences ? —Pas à moi mais à Hershey et si tu veux tout savoir McGuire, tu n’as qu’à l’interroger lui ! —Ce ne sont pas nos oignons et ni les tiens d’ailleurs ! Tout le monde sait ici qu’il ne faut pas se confier à Hershey alors pourquoi un type aussi secret que Byron irait faire ce genre de confidence à la plus commères des concierges de la côte est ? Tu t’égares un peu Swiftty. —Je dis seulement ce que je pense savoir et mon intuition ne m’a jamais trompé. » Il y eut un court silence pendant lequel Calvaert se crispa. Le bras par-dessus mes jambes il fixait Swift perdu dans ses pensées. « Allez c’est l’heure du bain ! » D’un bond il se leva, m’attrapa par le bras et alors que je criais et me débattais des plus hilares, il me passa par-dessus le parapet. En panique je remontais à la surface pour être récupéré par Calvaert. « Swift est un idiot, tu aurais pu te noyer ! Accroches-toi à moi… » Après avoir recouvré mes esprits, je plongeai pour passer sous la coque du bateau et rejoindre l’autre bord, vite rejointe par Calvaert. Il me plaqua contre la coque pour m’embrasser. Si je m’étais attendue à cela. Ce baiser salé me consola de la peine affligée par Randal. Pendant un bref instant je fus libérée de ma peine.

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Puis je remontais par l’échelle, ôta mes vêtements trempés pour les sécher, vite rejointe par David. « J’espère que je ne t’ai pas effrayée. Alors veux-tu bien m’excuser, j’ai agi comme le pire des idiots ? —Rassures-toi, je peux survivre à un baiser. » Randal ne m’aimait pas quand David était prêt à me donner tout son amour. Cette pensée me réconforta et son sourire aurait pu illuminer le port d’Alexandrie à lui seul. Au moment où je déposai un furtif baiser sur sa joue. On revint vers la côte vers cinq heures du soir. Gale nous attendait sur la digue et il paraissait contrarié. « Tu ne réponds pas à la radio Swift et tu ne donnes aucune indication sur ton plan de route ! C’est de la pure inconscience ! On se faisait un sang d’encre ici et la prochaine fois ne vous croyez pas à l’abri de mes… —Détends-toi, on te l’a ramené en bon état ton rafiot, coupa Swift. Il voulut lui caresser la joue mais il interrompit son geste pour pointer son index sous le nez de Swift. « Toi ne t’avise pas de recommencer ! Et c’est la dernière fois que tu me fais ce coup-là ou bien tu dégages ! —bon sang Byron… —Toi la ferme Calvaert ! Les consignes sont valables pour tout le monde y compris et surtout pour ceux qui se croient audessus de tout ! —C’est quoi ton putain de problème ? » Calvaert chargea droit sur Gale et se dévièrent du regard ; Swift retint Calvaert par l’épaule. « Je crois que tu le sais alors ne fais pas l’idiot.

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—Non je ne vois vraiment pas de quoi tu parles. Renseignes-moi un peu que je ne meure pas sans le savoir. » Jamais je n’eus pensé que David puisse se montrer si hargneux. Gale sortit de ses gongs, se sentant menacé. « Et bien vas-y parles comme un grand garçon et épargnes-moi tes énigmes. Je t’écoute. —Tu me fais chier, voilà la vérité. —Hey, ça suffit les gars ! Tout va bien, Cal. Si on avait su que tu étais à cheval sur la procédure, on aurait branché la radio, renchérit Swift pour faire bonne figure. Temps mort maintenant, on meurt tous de faim et… —Non ! Moi je veux savoir ce que ce fils de pute a à me dire. » Le coup de poing partit. Une bonne droite mais Calvaert était plutôt costaud et encaissa le coup sans broncher ; il allait riposter quand McGuire et Swift le retint in-extremis. « Ok ! C’est bon ! Lâchez-moi tout va bien…lâchez-moi ! » Ils s’exécutèrent mais le sournois décocha un coup de poing à Gale et les deux s’empoignèrent. « Putain les gars ! On a dit que c’était fini ! Brailla Swift en tentant de les séparer. McGuire se prit un coup et son nez saigna. Voyant que la bagarre ne s’arrêterait pas de sitôt, je m’interposai à mon tour en glissant entre deux pour y mettre de la distance. « Oui c’est bien ce que je pensais. Tu es vraiment lâche. Pas les couilles de l’ouvrir. —Avec toi c’est où tu veux et quand tu veux. —Alors je propose maintenant.

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—David ! Merde ! Explosai-je en me remettant entre eux. Fermes-la David, je crois que ce n’est pas le moment de… ». Swift m’attrapa par la taille. « Ne te mêles pas de cela. Laisses-les sans mettre plein la tronche, ils finiront par trouver un terrain d’entente. Bon les gars…nous on vous laisse gérer vos querelles parce que nous on va grailler ! Viens par là ma chérie. » Vraiment navrant et dans l’escalier de pierre je les vis se tourner autour tels des félins prêts à s’entretuer. Après ma douche, je soignais mes ongles d’orteil par du vernis en pensant à la rixe de Calvaert et de Gale ; vraiment navrant. On frappa à la porte de ma chambre et apparut Gale. « Alors vous avez fini par vous réconcilier ? —Je vais lui demander de partir. —Quoi ? Mais… » L’incompréhension me laissa sans voix il ne pouvait pas l’éloigner ainsi après une petite bagarre ? « Il parle dans mon dos et je n’aime pas les langues de vipère. —C’est ton ami Gale et il serait stupide d’en arriver là. Laisses retomber ta colère et passe à autre chose. Pourquoi ne pas proposer une ballade au clair de lune ? —Tu l’aimes ? » Cette question me déstabilisa. Je posai le vernis sur ma table de chevet puis me pencha vers l’écuelle dans laquelle je laissais mes cigarettes et m’en allumer une. « Je l’apprécie beaucoup, oui. Je ne devrais pas selon toi ? —Tu l’apprécies ? Et pourquoi ? —Comment ça Et pourquoi ? Il est charmant, attentionné et franc. Tu me baratines depuis le début pour que naisse entre nous une réelle complicité et maintenant que la chose semble avoir

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gagné du terrain, tu ne cautionne plus mon attachement certain pour ton ami. Vraiment je ne sais plus que penser de tout cela. —Qu’est-ce qui t’arrive ? En quoi t’aisje baratiné ? —Tu sais très bien de quoi il est question. On s’apprécie vraiment David et moi. par conséquent tu devras te faire à cette idée. Maintenant laisses-moi, s’il te plait ! —Ecoutes…j’avoue m’être emporté toute à l’heure. David et mon pote et je ne te dis pas tous les bons moments qu’on a passé ensemble et j’ai toujours eu confiance en lui. Donc tu as ma bénédiction. —Ta bénédiction ? Non mais est-ce que tu t’entends parler Gale ? Depuis quand dois-je obtenir ta bénédiction pour sortir avec quelqu’un ? Je ne t’ai pas entendu pour le faire, crois moi ! » Il partit dans un éclat de rire ; son électrisant sourire me calma sur le coup mais je n’en étais pas moins remonté contre lui. « D’accord. Alors on enterre la hache de guerre ? —Tu es incroyable. Evidemment, je n’ai rien contre toi, seulement parfois je trouve que tu exagères. Tu manques singulièrement de retenue. —Ok, je vais apprendre à m’améliorer de ce côté-là. » Il enserra mon visage entre ses mains pour déposer un long baiser sur mon front. « Alors comme ça tu as eu des petits copains à Berkeley ? —Je dirais plutôt de provisoires amants mais rien de bien sérieux, répondis-je en gagnant le fauteuil disposé devant la

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fenêtre et replia ma jambe sous ma fesse. Un peu comme toi et toutes tes conquêtes féminines. Je n’ai jamais pensé un seul instant que je pouvais être digne d’un homme aussi vertueux soit-il. Ce n’est pas évident à expliquer.» Il s’assit en face de moi, des plus attentifs. « Et tu songe à mon frère en disant cela ? Tu l’as vexé tu sais. Il est parti des plus contrariés, car tu lui aurais balancé des énormités sur ton avenir. Tu ne peux pas te montrer offensante après le mal qu’il se donne pour te plaire. —Je ne suis pas méprisante, j’ai seulement voulu remettre les choses à plat notamment envers toi et désolé si ton frère l’a pris pour lui, ce n’a jamais été mon idée de le contrarier. » Il pencha sa tête entre ses jambes pour se caresser la nuque. Alors j’écrasai mon mégot dans le pot de chambre en faïence. En le voyant là, je pensais à Casey et à ses pulpeuses lèvres prêtes à l’amour. Souvent la nuit je les imaginais tous deux enlacés après un passionnant coït. Comme devinant mes lubriques pensées, Gale s’allongea sur mon lit, les jambes croisées et les bras croisés derrière la nuque ; tant de fois il le faisait et je venais alors à lui pour baiser ses lèvres et m’abandonner dans ses bras. Or ce jour-là j’hésitais à le faire. « Viens près de moi. Tu es un peu loin, tu ne crois pas ? » J’expirai profondément avant de m’exécuter. Je fus à peine assise qu’il glissa sa main sur ma cuisse pour remonter vers mon entrejambe. « Il t’a touchée ? —Qui ? Questionnai-je en panique. —Et bien David ! De qui crois-tu que je parle ? Déclara Gale amusé, affichant un

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franc sourire sur ses lèvres. Il te fait une cour assidue et qui pourrait se plaindre d’être courtisé par un partenaire aussi charmant que Calvaert ? Lui aussi raffole de vieilles cylindrées. Dans son manoir de Boston il a un de ce bazar qu’il ne parait pas être possible de s’y retrouver. Tu vois, vous étiez faits pour vous rencontrer. » La main de Gale enserra ma nuque. Il voulait de moi et nous nous abandonnerions l’un à l’autre. Sa main chaude gagna mes omoplates. « Et pour toi, comment cela se passe-t-il avec Cassandre ? —Pour le moment nous tissons des liens. On apprend à se connaitre, argua Gale en passant ses jambes de chaque côté de mes hanches et mes mains serrées dans les siennes, il baisa mon cou avec tendresse. Les yeux fermés je fus dévorée par le plaisir physique. Je ne fis rien pour l’éloigner tant je ressentais le besoin de me faire aimer. « Gale….cela ne va pas être possible. » Ses doigts glissèrent sous mon épaulette et là où ils passèrent ses lèvres laissèrent l’empreinte de leur passage. Il défit la glissière de ma robe et poursuivit ses baisers. « Je ne pense pas vouloir la même chose que toi. Arrêtes, s’ilte plait. Ce que nous faisons est mal. —Alors, laisses-moi juste me frotter à toi. Tu n’auras qu’à te laisser faire…. » Il me serra contre lui et saisit mon sein dans sa main. Ces va-et-vient contre mon bassin me firent me tordre de plaisir et plus encore quand il fouilla mon entrejambe. Que faisions-nous ? Il prit mes lèvres et la panique me gagna.

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« Détends-toi d’accord. On ne fait rien de mal, murmura-t-il , soulevant ma robe. « arrête, arrête ! D’un bond je me levai, je veux que tu t’en aille maintenant ! —Tu n’es pas sérieuse là ? Dee, tu ne peux pas me laisser comme ça. Je ne veux pas m’introduire en toi, je veux seulement te caresser, répondit ce denier en me plaquant contre le mur pour reprendre là où il était resté. Dee, s’il te plait…. —Ne te comporte pas comme un mauvais garçon. Sors de cette chambre avant que…. » Son index se posa sur mes lèvres. « Tu ne trouveras pas un amant comme moi à des miles à la ronde. Aucun n’arrivera à te donner autant de plaisir que moi. Nous deux c’est l’osmose parfaite et rien ne s’immiscera jamais entre nous. Alors quant tu te feras David, tu penseras aux bons moments que l’on a ensemble. Ne l’oublie pas, ne l’oublie jamais. » Une fois Gale partit, je m’écroulais contre la porte, les mains croisées sur le ventre. Gale voulait de moi comme une maitresse bien fidèle qui l’attendait ic et ailleurs. Durant toutes ces années, il n’avait fait que m’attacher à lui pour mieux me faire accepter cette réalité. Or j’étais une McGowan et non pas une de ces petites arrivistes ou croqueuses de diamants. Je devais mettre un terme à tout cela avant que Gale ne se sente à jamais trahi. Alors que je rangeais le salon, Connor fit irruption, les mains dans les poches. Il me dévisagea de la tête aux pieds sans manifester le moindre sourire. « As-tu vu les gars ? » Ils allaient sortir ce soir et alors que les filles se préparaient dans leur chambre, les gars fumaient en

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jouant au billard et aux fléchettes dans l’aile gauche de l’imposante demeure. « Je cherche Calvaert, j’ai pensé qu’il serait avec toi, parce qu’il est introuvable. —Je n’ai pas les réponses à toutes les questions que tu te poses, Ronald. Cependant si tu daignes jeter un œil du côté du hangar, il est possible que tu l’y trouves. —Je n’aurais jamais pensé regarder par là. Et Byron, tu l’as vu ? —Il était avec son frère il y a dix minutes sur la terrasse du premier, répondis-je en découvrant des restes de repas sous les coussins. Mais c’était il y a dix minutes et la maison est tellement grande qu’on pourrait passer la journée à se chercher. Si je viens à le recroiser je l’informerai de ton inquiétude. » Il resta là à me fixer, la bouche entrouverte, tirant nerveusement sur sa cravate. Ben quoi, mes informations ne sont-elles pas claires, ai-je eu envie de dire, en le voyant me fixer avec intensité. « Alors c’est quoi l’embrouille entre Cal et Byron ? Personne ne sait vraiment, as-tu une idée toi ? C’est rare de les voir en grande divergence d’opinion, ils sont plutôt comme cul et chemise. Swiftty dit que tu serais à l’origine de tout cela. —Vraiment ? » Je replaçais le vase sur le guéridon ; ils avaient même touché les fleurs, Dieu sait comment, mais elles avaient perdu leurs pétales et j’en trouvais même à des endroits improbables. Pas moyen de garder les pièces de cette maison propres. « Swift est peut-être dans l’erreur. —Je ne pense pas non, Swift ne se trompe jamais. Il flaire les choses avant tout le monde, on peut parler d’un sixième

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sens. Il est convaincu qu’il y a un truc entre vous trois. Tu sais je ne te veux pas te chercher desennuis, je veux seulement que ça s’améliore entre eux. —Connor ? Connor, tu es là ? » Casey passait dans le coin et elle ouvrit la porte, le sourire aux lèvres. Elle était diablement jolie dans sa robe verte ; il fallait lui reconnaitre un goût bien affirmé en matière de mode. « Tu fais quoi ici Connor ? On a retrouvé Calvaert, tu viens ? —Euh… oui, j’arrive. Laisses-moi une seconde d’accord ! —Ok mais fais vite, on a de ce bon whisky à savourer. Oh et avant que je n’oublie : pas un mot de ce que tu sais à Athena. C’est officiel ils sortent ensemble, May et moi avons réussi à arranger le coup et on voudrait vraiment que tout se déroule pour le mieux. Hershey est formel làdessus : pas de fuite et tout se passera pour le mieux entre eux. » De là où je me trouvais, Casey ne pouvait pas me voir. Calvaert sortait avec Athéna après m’avoir volé un baiser…. Grande fut ma déception. On ne pouvait ainsi jouer avec les sentiments d’autrui. Gale avait du jouer le numéro de l’amant jaloux, lui ou bien Randal. Connor prit un air gêné, il se caressa le menton et attendit que Casey sorte pour poursuivre : « Enfin, je dois te laisser et… euh… bonne soirée ! » La demeure vide de tous ses occupants je décidais d’aller faire quelques longueurs dans la piscine. Bien qu’ayant la tête sous l’eau je discernais une silhouette sur l’accotement et j’y discernais Lee Brunswick accroupit devant moi, un cigare

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à la main et un verre de cognac dans l’autre. « Quelle merveilleuse créature aquatique faites-vous ? Combien de temps pouvezvous donc tenir sous l’eau ? Je suis émerveillé. —C’est tout l’avantage d’avoir grandi ici. Mais vous devez avoir l’équivalent dans le Maine si je ne m’abuse. —Non, pas d’aussi jolies nageuses. —Si vous restez continuellement en costume trois-pièces il se puisse que vous les loupiez. » Je sortis de l’eau et me passa une serviette autour de la poitrine. Il faisait assez chaud pour rester dans la piscine mais pas avec un spectateur tel que Brunswick. « C’est pas faux. Je suis très pris par mon emploi à la Cour Suprême. Par conséquent j’ai un peu délaissé le Maine pour la Virginie et jusqu’à maintenant je n’ai pas à me plaire de ce qu’on y trouve. Alors comme ça vous êtes licenciée de Berkeley ? Etait-ce une expérience à la hauteur ? —Je dois le dire, ce fut fort appréciable ». Si je ne partais pas il allait se croire en devoir de me faire la conversation. « On a du vous faire des tas de propositions ? —Je vous demande pardon ? —Byron-Doyle a les bras longs et un tas de bonnes relations à faire valoir dans tout le pays. Randal dit que vous êtes bosseuse et très. De plus, j’ai cru comprendre que Swift vous avait offert son soutien et vous ne pourrez vous attendre à mieux. Ce garçon ira loin, c’est un bon analyste. Le profit parfait pour travailler à la Maison

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Blanche et le gouvernement lui fait des yeux doux. Alors si vous êtes un tant soit peu ambitieuse comme le prétend Randal, vous ne devriez pas rester longtemps dans l’ombre. —Randal me place en très haute estime quand il s’avère que je sois plutôt du genre modeste. —En fait Randal se fait du souci pour son frère, il est persuadé que Gale ne joue pas franc-jeu. Ils se reprochent mutuellement de ne pas faire ce qu’il faut pour améliorer votre ordinaire. » Je pris une cigarette dans mon paquet qu’il alluma ensuite avant de s’assoir en face de moi sur une autre chaise longue. Je me perdis dans mes pensées, caressant mes cheveux mouillés. « Et vous, quel est votre opinion sur le sujet ? —Vous êtes un attorney et ancien membre du Congrès, donc en mesure de savoir qu’il n’y a rien de plus exécrable de ne pas disposer de son libre-arbitre. —Alors, vous conviendrez qu’il vous faille opérer une autre forme de stratégie. A Berkeley avez-vous été victime de préjugés raciaux ? —Non ! Pourquoi cette question ? Me pensez-vous faible et influençable de part mes origines raciales ? Si tel est le cas, Lee je crains vous décevoir. —Et qui des deux auriez-vous peur de décevoir ? —Randal, sans la moindre hésitation. —Et pourquoi lui ? —Vous aurait-il chargé de me questionner en profondeur sur mon état psychique ? Un bon thérapeute aurait pu suffire, vous ne croyez pas ?

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—Au Washington Post, vous risquerez de vous retrouvez face à des détracteurs qui n’hésiteront nullement à diminuer la portée de vos écrits, à les minimiser en termes de pensées nègres. Certains ne partageront pas vos idées politiques au sein même de votre entourage. Les détracteurs sont parfois là où on les attend le moins et si vous craignez de décevoir Randal ce n’est pas anodin, je dirai même que ces craintes sont justifiées. Randal est l’ainé des fils Byron-Doyle et le plus accompli jusqu’à maintenant. Il a prouvé au monde entier qu’il état capable de mener sa carrière sans heurts. Nul thérapeute aussi brillant soit-il ne pourrait soulager votre angoisse, celle d’être appréciée à votre juste valeur, croyez-moi. —Je n’ai commis aucun crime fédéral qui vaille la peine qu’on se penche sur mon dossier. —Je peux vous proposer un verre ? Que pensez-vous d’un bon Bailey accompagné d’un bon jazz. Vous aimez le jazz n’est-ce pas ? » Il me servit du Bailey et assise dans la confortable bergère je laissais Billy Holiday faire le reste. Brunswick était l’un de ces hommes amicaux et protecteur, foncièrement humain, pragmatique et méticuleux jusqu’à dans sa façon de se vêtir. Mâchoire carrée avec des traits épais, il passait pour un gentleman des abords de Cuba avec ses précieuses manières, à l’image même de Randal. Sous la lumière de la lampe sur pied, il me fixait les jambes croisées l’une sur l’autre. « Pourquoi ne sortez-vous pas ? Vous êtes jeune vous pourriez en profiter.

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—Je tiens à éviter la gueule de bois. Et puis je suis bien ici. Il m’en faut peu pour être heureuse. —Si vous le dites. Randal ne devrait pas tarder. —Oui, en admettant qu’il finisse par retrouver le chemin du Cap North. Il est difficile de ne résister aux assauts de cette petite troupe. Je dois vous paraitre bien étrange, enfermée dans ce rôle de troublefête. En fait, j’avoue ne pas trouver plaisir à fréquenter ces gens. —Pourrais-je vous en demander la raison ? —Oui, tous ces personnes seront un jour au l’autre sous les feux de la rampe et quand on me demandera quel genre d’individus ils étaient au sortir de leur université, je ne pourrais les décrire tels qu’ils sont. » Lee Brunswick souriait, puis s’accouda sur ses cuisses. « Et vous auriez peur d’être traduite en diffamation ? Donc vous vous prévalez le droit d’être tout à fait impartial ans votre jugement. Vous vous dites alors que moins vous en saurez et plus l’on vous confiera une enquête. —C’est à peu près cela, enchainais-je la tête en appui dans ma main, enfin ma nature discrète me pousse à davantage de pragmatisme quand l’intimité de ces personnalités m’est dévoilée en plein jour. » Une porte claqua et peu de temps après Randal fit son apparition dans un magnifique complet noir au gilet de soie. Il passa de l’un à l’autre, des plus surpris. « Et bien de quoi parliez-vous ? —De toutes sortes de sujets. Lesquels devons-nous te résumer ? Tu n’as pas trop

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trainé dis-moi, comment était ce début de soirée ? —Nous sommes allez prendre un verre dans une de ces gargotes donnant sur la plage. Je devrais t’y emmener dee. Les femmes swinguent dans leur robe évasée quand les hommes glissent sur la piste d’une mine conquérante, avança Randal en se servit un verre de Malt, la conversation de McGuire fut des plus plaisantes et Connor a fait des efforts pour se montrer intéressant. Tu aurais pu venir et constater par toi-même que ces ennuyeux gosses de riches ne savent rien d’autres que dilapider la fortune familiale en pourboires et astronomiques dépenses. —Ah, ah ! La compagnie de Miss McGowan me fut plus qu’accommodante, mais merci de t’en inquiéter ! —Je te ressers un verre Aubrey ? Et pour toi Lee ? J’ai laissé toute cette horde de jeunes mâles au Pacha’s Club et tant qu’ils ne seront pas ivres, ils ne réapparaîtront pas de sitôt. Comme vous avez commencé à boire sans moi j’en déduis que vous êtes devenus de bons amis. —Cette extraordinaire complicité vient du fait que l’on a toujours besoin d’un bon avocat, non ? —Tu as toujours eu le sens des affaires, Lee. S’amusa Randal. Notre regard se croisa et prestement je détournai la tête. Et je suis persuadé que Dee s’est empressée de te faire un brin de causette sur ces canassons de la Caroline. —Pas vraiment non, je n’aurais pas su trop quoi dire sur les courses et je n’ai pas ton talent pour trouver de bonnes combinaisons capables de doubler, voire tripler tes gains. Comment cela fonctionna au juste ? Tu consultes une voyante ou une

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tireuse de carte? Randal est incroyable, poursuivit Lee en se tournant dans ma direction, ses mascottes lui font remportées d’importants gains, n’est-ce pas ? Si je venais à miser un dollar, je serai presque certain de le perdre. —Tu devrais te tenir à ton intuition, parfois elle se montre plus exacte que certaines de tes probabilités. —Mon intuition, en ce moment, me commande de sortir appeler ma femme ou bien, je risque de devoir me défendre devant un juge des affaires familiales. Je vous laisse et n’en soyez pas trop vexé. » Il s’en alla et seule face à Randal, je ne sus quoi lui dire, la main en appui sous le menton et les jambes toujours pliées sous mon postérieur. « Hum, ton ami est charmant. —C’est qu’il a trouvé à t’émouvoir. J’étais loin de penser que tu accepterais de rester en sa compagnie. Lee comme toi, est du genre discret. Il a connu quelques déboires sentimentaux et son épouse, la troisième, est je l’espère ; Toujours est-il qu’il est croit plus que pour les précédentes. —Sul l’avenir vous le dira ! » Pourquoi avais-je répondu ceci alors que j’aurais pu répondre : Après trois essais c’est probablement la bonne ! Randal, la main ans la poche et l’air décontracté, s’assit sur mon accoudoir, assez large pour accueillir un homme de sa stature. « Il arrive parfois que l’on ne trouve pas toute de suite sa promise. Il faut parfois du temps, de la maturité ou de la chance. Un jour, ton prince charmant arrivera, murmura Randal penché à mon oreille. Tu ne comptes pas rester toute ta vie célibataire, rassures-moi, tu as bien dans

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l’idée d’être une épouse pleine de dévotion pour son mar. —Euh….c’est la raison de ma venue sur terre. —Tu es gênée qu’on en parle ? Il est vrai que nous ne connaissons rien de tes motivations. Jolie comme tu es, tu suscite le désir et malgré toi, tu es un objet de convoitise pour les hommes, une sorte de déesse de la discorde. Connais-tu Eris ? —Oui, elle offrit une pomme d’or, la pomme de la discorde en pleines noces de Thétis et Pélée. Cela eut pour but de semer le désordre entre Héra, Aphrodite et Athéna. Mais ne me compare pas à cette odieuse créature. —Non, bien-sûr que non, mais tout à fait entre nous ce qui s’est passé sur le yacht avec les garçons aurait pu être évité. » Contrariée j’écrasai ma cigarette dans mon cendrier posé sur le guéridon, puis je me redressais sur mon séant. Une fois debout, je relevai le menton pour filer. « ne m’en veut pas, mais je vais aller me coucher. —Attends, attends Dee ! Je ne te juge pas, déclara Randal les mains posées sur mes épaules. Il me couvrait de toute sa haute taille avant de chercher à accrocher mon regard. « Pourtant, c’est que tu fais toi, déclaraije les larmes aux yeux. Tu n’es guère différent des autres. —Dee, je ne peux pas t’entendre dire ça. On est de bons amis toi et moi, par conséquent je pensais qu’on pouvait tout se dire y compris ce qui n’est pas agréable à entendre. Seulement tu as contrarié Gale en allant en ballade avec ses amis. —Oh ! Et c’est moi qui suis montrée du doigt ? Je sais que c’était une erreur de ma

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part. J’ai eu mon lot de déception depuis mon retour au pays et je crois que j’ai tout à fait intérêt de regagner la Californie avant que le blâme de mon inconduite retombe sur mes parents. » Les mains de Randal lâchèrent leur étreinte. Il se perdit dans ses pensées et son regard devint fuyant, plus lointain encor e qu’un far que l’on perçoit à peine dans la pénombre d’un orage. « Gale ne a beaucoup d’estime pour moimême s’il lui arrive d’être un peu contrariant dans son attitude mais, tu sais que tu seras toujours la bienvenue ici quelques soient des convictions politiques. —Ecoute Randal, je…. » M’écoutait-il toujours devant la commode, le dos tourné ? « Il est préférable que je m’en aille. Je pensais travailler pour le Washington’s post mais il me semble plus judicieux de porter mon attention ailleurs. A Berkeley j’avais pensé voir mon avenir autrement mais ton ami m’a fait prendre conscience de l’importance de mes choix. Alors je vais partir pour la Californie, un an ou deux pour tenter autre chose à Berkeley. Bonne nuit Randal ! » A neuf heures du matin, on frappa à la porte de ma chambre. David se tenait là, les mains enfoncées dans les poches, la tête baisée. « Bonjour Dee, je venais pour m’excuser pour mon comportement de la veille et j’en suis terriblement désolé. Vraiment, cela ne me ressemble pas. —De quoi parles-tu ? —Et bien de ce baiser volé pour commencer et le fait que je ne sois pas venu te voir hier pour te dire que mon idylle avec Athéna était sur le point de….

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—Ecoute, tout cela ne m’intéresse pas, le coupai-je prestement, tu voulais passer du bon temps avec moi pour te convaincre de ton potentiel de séduction et n’importe qui aurait fait de même ! Les hommes comme toi sont légions crois-moi et honnêtement j’ai jamais pensé une seule seconde que toi et moi cela pouvait marcher ! Si tu ne m’en veux pas je fais à mon rendez-vous quotidien ! Les chevaux restent de bien meilleure compagnie. Bonne journée David ! » Et sur le dos de Blue Jean je me sentis revivre. Ce cheval n’était pas les chevaux du haras de de McGowan. La ballade fut des plus vivifiantes et les chevaux au vent Blue Jean et moi faisions corps contre le vent soufflant sur le littoral. La robe de Blue Jean luisait au soleil et la tête couchée sur son encolure je frissonnais de plaisir. J’étais heureuse ici mais ce bonheur avait un prix. De retour au Cap North, je saluai le jardinier pour aller panser ma monture après son exercice matinal ; après quoi j’ira grignoter ans la spacieuse cuisine sous le regard complice des employés. Avec le temps cette demeure devint la mienne, chaque coin et recoin ne m’était point inconnu, du hall ‘entrée au donjon, des écuries au garage, de la terrasse de la piscine donnant sur le parc au fond de ce même parc. En rentrant, malgré les nombreuses pièces et salles Calvaert m’attendait dans le couloir à losanges noirs et blancs, celui conduisant à la grande salle à manger. « Peut-on discuter toi et moi ? —A quel sujet ? Je ne vois pas de quoi nous aurions à parler vous et moi M. Calvaert !

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—S’il te plait, on pourrait aller dans le salon….à l’étage, poursuivit-il des plus affectés, mais pour rien au monde je ne voulais rentrer dans ce jeu du pauvre filsà-papa jouant les pauvres amants quand rien ne leur oblige. —C’est aimable de votre part mais restons-en là ! Votre petite amie pourrait nous surprendre. Bonne journée M. Calvaert. » Une fois dans ma chambre j’éclatais en sanglots. J’avais du mal à respirer. Et pourquoi Diable pleurais-je ? Les frères Byron-Doyle prenaient un chemin différent du mieux, tout ce beau monde auquel je croyais n’était plus ; les hommes aiment à construire des barrières entre eux quand tout serait plus simples. Aussitôt la source lacrymale se tarit en pensant à ma mère. Dans pareille contexte elle aurait su que faire. Elle m’aurait dit de ne rien montrer de ma douleur au risque d’être davantage piétinée. On frappa à la porte. Ne pouvait-on me laisser tranquille ? « Oh, Randal ! J’allais justement te laisser un courrier pensant que tu serais affairé ailleurs. Je ne suis pas très douée avec les Adieux alors j’ai utilisée la manière ls plus lâche qu’il soit. —Je peux rentrer ? —Tu es chez toi, soulignais-je en gagnant mon bureau pour lui tendre l’enveloppe scellée. Debout au milieu de la suite, il resta immobile l’œil visé sur mon écriture. « Euh… tu as monté Blue Jean ce matin ? Sam pense qu’il lui serait profitable qu’il se mette un peu au vert, en Caroline par exemple ? La compagnie de

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cheval de course le rendrait peut-être un peu moins dépressif. Tu en penses quoi ? —Oui il est fougueux et le jeune lad que vous avez embauché n’a pas assez de temps pour se consacrer uniquement à un cheval aussi nerveux que Blue Jean. John pourrait venir l’examiner avant de le convoyer dans nos écuries. —C’est également mon avis et il m’a dit pouvoir passer dans la semaine. Mais il y a autre chose dont je voudrais te parler et qui concerne mon frère. Il a eu la décence d’esprit de me dire à quel point il a trouvé à te mettre mal à l’aise. Ce qui explique alors que tu ne sois pas enclin à poursuivre la saison en sa compagnie. Mais il se trouve être dans une situation bien fâcheuse à l’égard de Crowley. Il craint que tu finisses par tout lui révéler. Il s’inquiète quant à la suite possible qu’il puisse donner à sa petite amie. —Alors c’est mal me connaitre. —Oui je le conçois, appuya Randal assis sur le rebord de la commande de style regency, mais certains de ses compagnons ne sont pas dupes quant aux relations qu’il entretient avec toi. Le fait que tu te tiennes à distance de cette troupe ne fait qu’accroitre leurs suspicions et…. —Je t’ai pourtant dit que je m’en allais ! —Il ne s’agit pas de cela. Ton départ précipité risquerait de compliquer les choses quant tout aurait pu se passer autrement. Tu savais pourtant qu’il ne viendrait pas seul mais accompagné par ses amis de longues dates et qu’il envisageait de te présenter à sa petite amie. C’est une grande marque de confiance de sa part ; il n’aurait pas trouvé mieux pour lancer ta carrière en te faisant connaitre auprès de ces gens dont le pedigree à lui

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seul ferait pâlir d’envie les Lords d’Angleterre. —Je ne suis pas certaine qu’après cet été ces jeunes gens aient envie de me voir comme une personne fiable si d’aventures je venais à m’épancher sur mes ambitions professionnelles. Tous sans exception me verront comme une intrigante et je ne peux leur donner raison. —Donc tu cherches à t’affranchir ? —C’est exactement ça ! je veux m’affranchir de certaines dispositions ont je ne pense pas en apprécier la nature. —Et pourquoi ça Dee ? —Parce que je refuse d’être la maitresse de ton frère, c’est aussi simple que cela ! Rétorquai-je avec fermeté en me jetant dans un fauteuil moelleux. —Il n’est pas question que tu le sois. —Alors fais-le comprendre à Gale, lui ne mesure pas l’ampleur de ses sollicitations. Nous avons passés du bon temps ensemble. depuis des années je fus la seule petite amie qu’il ait connue et de loin la plus affable, la plus débonnaire et inoffensive pour ce qui est de son insertion dans sa vie universitaire. Et Marcus nous a laissé faire avec une certaine pointe d’affection puisque son fils chéri ne pouvait être éconduit par une McGowan aussi modeste soit-elle ! mais ce temps là est révolu. Plus que jamais j’aimerai tourner la page pour enfin voler de mes propres ailes et goûter à autre chose qu’à cette existence aseptisée. —Alors je vais le formuler autrement Aubrey. Si je t’offrais mieux qu’un emploi de pigiste, accepterais-tu de rester au cap North le temps d’un été ? —je verrai cela comme de la manipulation.

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—Ce ne serait qu’un compromis de plus à ajouter à la longe liste des services rendus à ta famille. —Des compromis dis-tu ? Crois-tu vraiment qu’on puisse parler de compromis ? Cela ne pourrait peut-être pas me convenir. —Gale t’a déjà proposé de te rémunérer à hauteur de ta participation ; il s’agirait de lettres rédigées en en son nom et visant à séduire miss Crowley. Tu vois ce dont je veux parler bien-sûr ? Tu as toujours u écrire et il tire profit de tes talents pour se mettre en avant. Je parle ainsi de loyauté envers deux personnes qui s’apprécie depuis toujours. —Alors je vais y réfléchir. » Un timide sourire apparut sur ses lèvres et il déchira ma mettre dont les morceaux furent jetés à la poubelle. « L’incident est clos n’est-ce pas ? Puissé-je m’assurer que tu resteras ? Je veux que tu restes Dee et si tu ne le fais pas pour lui, alors fais-le pour moi, au nom de l’amitié qui nous unit. Tout ce que tu auras à faire c’est de te contenter de sourire et te vider la tête de toutes ces idées sombres qui noircissent ton esprit. Tout se passera bien si tu vois la suite comme une série d’événements tout à fait paradoxaux. Je te lasse. Médites bien sur tout ça. » Par la fenêtre ouverte j’entendis les sauts des corps dans la piscine puis le chuintement des fontaines ; ils avaient trouvé le système d’alimentation des bassins et l’eau se déversait en trombe dans le bassin. Les hurlements faussement effrayés des filles me firent dresser l’oreille. Ils s’amusaient plus que d’ordinaire ; une partie de moi aurait

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souhaité les rejoindre quand une autre, plus pragmatique m’encourageait à rester de marbre. Depuis six heures du matin, les filles nettoyaient les fresques de la nuit ; on s’affaira à tout remettre en ordre, du parc aux divers salons, de la salle de billard, à la bibliothèque, de la cuisine à la salle de réception. Les jardiniers à neuf heures taillaient les ifs et les rosiers. Les livreurs de produits frais passaient à dix heures pour les menus de trois prochains jours ; le blanchisseur arrivait à onze heures trente pour livrer le nouveau linge propre ; sans cesse on s’affairait dans l’ombre sans que jamais personne ne remarque le passage des domestiques. Alors que je lisais sur la terrasse du premier étage, apparut McGuire, un verre de jus d’orange à la main, vêtu de sa robe de chambre au blason d’un club de yacht de Boston. Notre regard se croisa et il vint s’assoir non loin après m’avoir salué. « Salut… n’avons-nous pas fait trop de bruit ce matin ? —Pas plus que les autres fois ! Merci de t’en inquiéter. » Lascivement je tournai la page de mon journal quand McGuire se rapprocha. « Au sujet de Calvaert, il n’y est pour rien. Ne va pas penser qu’il m’a imploré de venir te trouver pour que je vienne pleurer sur son cas. Seulement je ne peux laisser faire ça sans essayer de te faire comprendre les intentions de David. Il n’est pas le petit garçon capricieux et buté que tu penses qu’il soit. David est un être remarquable. Le meilleur compagnon de chambre que n’’importe quel aspirant au panthéon d’Harvard puisse rêver. Il a toujours été là quand l’un de nous tombait

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et si le vois comme quelqu’un dénué d’intérêt parce qu’il t’aura brisé le cœur au cours d’un été, tu auras faux sur ce chapitre. —Je te crois volontiers mais je ne suis pas intéressée. David est pour moi un inconnu dont le bonheur m’est égal. —Quand tu étais à finir ton cursus en Californie je l’ai encouragé à prendre le téléphone pour t’appeler. Alors s’il y a une personne à blâmer dans l’histoire, c’est moi. Il voulait vraiment te connaitre et en l’espace de quelques jours il se trouve être face à une impasse. —Cela me navre pour ton ami mais comme je te l’ai dit, je ne suis pas intéressée. Nous sommes dans un pays libre et quand une femme ne trouve rien à à ajouter sur le sujet d’un éventuel prétendant alors le débat se trouve être clos. Merci Clay, on en restera là. » McGuire se leva pour poursuivre : « Il ne mérite nullement ton mépris. Mais tu as raison, nous sommes dans un pays libre et personne ne devrait jamais te faire renoncer à tes rêves sous prétexte que tu es différente. Si j’étais toi je rappellerai Mulligan pour lui dire que tu tiens toujours à ce poste quelque soit le prix à en payer. Bon courage Aubrey, tu vas en avoir besoin. Mais à l’Homme, rien d’impossible !» Et j’allais monter dans ma chambre pour enfiler mon maillot de bain quand Calvaert m’attrapa par le poignet et m’attrapa pour me pousser à l’intérieur d’une pièce dont il il prit soin de fermer la porte, le doigt sur ma bouche. « Je tenais à m’excuser pour hier. Je ne suis pas un salaud et cela me défrise que tu puisses penser cela de ma personne sans

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même me connaitre et si je pouvais revenir dans le temps, j’aimerai avoir suffisamment de courage pour te demander de sortir avec moi. On serait allé au cinéma et ensuite on aurait été voir tes chevaux courir. On aurait fait ce que tu aurais voulu faire. Aujourd’hui je suis là, à te demander pardon parce que tu te montres déçue par mon attitude. Saches qu’Athéna n’est pas ma petite amie et non, ne dis rien, insista David en posant son index sur mes lèvres, ne dis rien, s’il te plait, laisses-moi aller jusqu’au bout ou je m’en voudrais toute ma vie de ne pas avoir essayé. —Et je ne veux pas que tu essayes David. Sur ce yacht nous avons eu notre moment d’égarement mais Athéna t’aime, de tout son cœur et pour s’en convaincre il suffit de la voir te dévorer des yeux. Vous ferez un bon mariage, c’est ce qu’aurait souhaité ton père non ? » Il enserra mon visage entre ses mains et posa son front contre le mien. « Mon père t’aurai beaucoup apprécié, admirant ton courage et ta dévotion et voyant en toi mon compagnon d’armes pour les années à venir. Rien en comparaison à cette Athéna. Il t’aurait aimé comme sa fille, j’en suis convaincu. —Comment peux-tu affirmer une telle chose ? Tu n’es par lui, tu n’es pas sans sa tête pour ressentir la douleur de voir son fils s’unir avec une McGowan. —Alors tu ignores ce que ma famille a enduré pour ériger leur fortune ? Combien de sacrifice, de privation a-t-elle supportée pour accéder à ce monde de privilégiés ? Et tu crains de ne pas être comprise quand nous avons été avilis, humiliés et ostracisés ; les tiens ne se seraient jamais

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abaissés à fréquentés les miens alors mon père n’aurait pas vu notre entente comme une mésalliance. —David, tu es plus naïf que moi de penser que les choses changeront d’ellesmêmes ! —Pourtant nous ne sommes pas si différents l’un de l’autre. Nous aspirons aux mêmes envies et tu te sentiras libre quand tu te seras à jamais affranchie de certaines contraintes sociales. » Les yeux gonflés de larmes, je dus me concentrer pour ne pas fondre en larmes ; cependant mes efforts furent vains et une larme ruissela sur ma joue, une larme que David s’empressa d’effacer. Sa bouche s’approchait dangereusement de la mienne. « Laisses-moi une chance, celle de te prouver ma valeur, murmura cet interlocuteur oppressant ont la bouche se posa sur ma joue. Seulement une chance Bee, tu m’es si importante. » D’un bond je me dégageai de son étreinte pour disparaitre avant de fondre en larmes dans ses bras.

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CHAPITRE La porte s’ouvrit sur Swift. Le livre à la main je faisais les cent pas dans la bibliothèque et cette soudaine apparition me contraria plus que d’ordinaire. Après McGuire, Calvaert, il fallait ajouter à ce défilé d’objecteur de conscience la figure de ce ténébreux gentleman à la gueule d’ange. Il balaya des yeux l’intérieur de la pièce et comprenant que je me trouvais être seule il ouvrit la bouche. « Il fait un temps superbe, Dee ! Tu ne devrais pas être ici mais sur la terrasse à profiter du panorama unique proposé par ce manoir, déclara ce dernier en marchant vers moi. De plus une régate se dessine au large et il est question d’aller jeter l’ancre dans le Pacifique. Seras-tu des nôtres ? —Je crains que non. » Ma froide réponse le secoua. « Comment ça non ? Tu es la meilleure barreuse de la côte-ouest et tu pourrais te joindre à notre expédition. Cela vaut mieux que toutes ces pintades qui ne connaissent rien à l’art de la navigation. Elles sont toutes incapables de distinguer le nord du sud puisqu’elles n’entendent rien à la voile. —Merci d’avoir pensé à moi, mais je préfère vous laisser entre vous. —Tu pourrais pour une fois lâcher tes livres, tu ne crois pas ? Tu es jeune et athlétique, pleine d’ardeur et toutes envient ton aisance naturelle. Joins-toi à nous et pour toi il s’agit d’un devoir envers nous tous, comme celui de réussir à l’université de Berkeley » Pendant un bref instant il se perdit dans ses pensées. « Tu as fini majeure de ta promotion, ce n’est pas rien. C’est la

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raison pour laquelle nous te voulons sur ce yacht comme skipper et tu ne pourras déroger à cette règle qui veut qu’une femme qui sait piloter un voilier peut mener sa barque à bon port ! précisa Swift en partant à reculons, l’index pointé dans ma direction. Une fois parti, je posai le livre sur le guéridon pour gagner la terrasse. L’océan scintillait au loin et me parvint une délectable saveur, celle d’autrefois. Il me suffisait pour cela de fermer les yeux pour revenir plusieurs années en arrière, à l’époque où je n’étais qu’une gamine de quatorze années. Randal du haut de ses vingt-deux ans et étudiant à Harvard fréquentait tout le gratin de la Caroline et fuyait mes frères et moi comme la peste ; il avait du nous trouver insignifiants et voir gale se rouler dans le sable avec une gosse comme moi devait le rendre neurasthénique. Un jour que je jouais avec leur dogue allemand nommé Platon, Randal me tomba dessus. Il n’alla pas par quatre chemins pour me dire que je n’étais plus une gamine et que par conséquent il n’admettait pas que je puisse me comporter comme telle. Cela me vexa et les poings serrés je l’avais défié u regard ; J’aurais du le laisser repartir mais je ne l’ai pas fait. Mon réflexe dut celui de l’attaquer afin de préserver ma dignité et comment le faire sans risquer les représailles de toute part ? « Tu n’es pas obligé de me supporter, de toute façon, je ne suis pas ici pour toi ! Rétorquai-je avec affront. Tu n’as jamais su t’amuser. Ta vie est si pathétique que tu cherches sans cesse à nous rabaisser et à nous humilier ! Tu es si arrogant que je

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souhaite de tout cœur que tu finisses seul, sans personne pour t’aimer ! Désolé de te le dire mais tu n’es qu’une enveloppe vide ! » Le lendemain la hache de guerre fut à jamais enterrée. Randal ce jour-là me prouva qu’il m’aimait suffisamment pour ne pas tenir rigueur de mon caractère et de mes sauts d’humeurs dus en partie à ce chamboulement hormonal. Il est vrai que j’avais regretté de lui avoir dit cela. Aujourd’hui il avait une petite amie, alors je devais m’en féliciter. Cela prouvait au moins qu’une personne, autre que moi, avait répondu à la bonté de son âme. Et je quittais la terrasse pour aller rejoindre les autres sur le ponton. En longeant le couloir, une voix retint mon attention. « Je crois que tu devrais laisser le temps au temps… » C’était la voix de notre Hershey, monocorde et chaude, enjouée et amicale. « Vraiment ? Je n’aime pas cette idée : laisser le temps au temps. Je ne suis pas du genre à attendre que les choses se passent, répondit Casey. T’aurait-il fait des confidences ces derniers temps ? —C’est mon pote, tu sembles l’oublier. » Je tendis l’oreille. Je les voyais, les entendais mais eux l’ignoraient. Ils se tenaient là quand les autres se prélassaient en bas ; près de la porte ouverte donnant dans ce boudoir, il paraissait difficile de ne pas les entendre et piquée par la curiosité je m’immobilisais à la porte, guettant ainsi de possibles passages. En un éclair je pouvais être dans l’escalier ou dans la porte dérobée servant aux domestiques. « Tu es le plus malin de tous Hershey et je ne me fais pas de souci pour toi. Tu es honnête et loyal. Tous sont à graviter

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autour de Randal comme autant de courtisanes prêtes à s’offrir au sultan mais moi je reste persuadé qu’il se ménage le droit de vous faire tourner en bourrique avec sa langue de bois. —Tu vas un peu loin avec tes suppositions, tu ne crois pas ? Je connais Randal et je le vois comme un frère soucieux de satisfaire aux exigences de la tradition. Sa famille est aussi ancienne que la mienne et une fois que Gale t’aura passé la bague au doigt alors notre dynastie sera à son apogée. Vous faites déjà un beau couple, alors en tant que cousin, Randal a tout intérêt à me dorloter. —Ah, ah ! Voyons ménage tes ardeurs ! Sans le soutien de Randal tu ne seras rien et sans le soutien de Gale, tu ne serais pas à fanfaronner ici ! —Oui mais comparé à Calvaert je m’en sors plutôt bien, non ? —Tu ne lui arrive pas à la cheville. Il est si pragmatique et quand il ouvre la bouche, Gale boit ses paroles et dit amen à tout ce qu’il dit, pourvu que le sujet ne soit pas axé sur les turpitudes de la petites McGowan ! » Mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Les turpitudes de la petite McGowan, cette sentence me laissa sans voix. Elle qui jusqu’à maintenant s’était montrée charitable envers moi, soulignait d’un trait rouge toutes les critiques nonfondés établies sur ma personne. Hershey partit dans un franc éclat de rire. « Oui, tant que Gale la considère comme sa sœur de lait, nul ne peut oser la critiquer. Et bien que cela te déplaise, je n’ai pas non plus l’intention de me montrer aimable avec cette pécore et monteuse de chevaux ! Je n’ai jamais cessé de la voir

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comme une personne superflue qui n’aime que la compagnie de sa propre personne. Elle prétend nous donner des leçons de morale à tous et le plus scandaleux reste cette façon qu’elle a de se montrer insolente quand nous faisons tous l’effort de la tolérer ! —Dieu, que tu es épouvantable Dan ! T’entends-tu seulement parler ? Athéna semble beaucoup l’apprécier maintenant qu’elle sait de source sûre qu’elle aurait œuvré pour que Calvaert lui revienne. D’après Swift, elle a le sens de la formule. —Non, non, non ! Je ne suis pas dupe et je refuse de penser qu’elle puisse agir par empathie. Ces deux-là se connaissent depuis plus d’un an et on peut dire qu’Athéna a su remonter le moral de Calvaert quand il se trouvait être acculé dans une impasse. Il aime Athéna plus qu’il ne nous laisse le supposer et cette McGowan a tenté de le détourner de cette relation par simple cupidité. —Penses ce que tu veux, elle est jolie et très intelligente. Cela suffit à te rendre exécrable. —mais enfon ! Suis-je onc le seul à remarquer qu’elle veut se taper Randal ? Lui semble complètement l’ignorer. » Je retins ma respiration, les poings serrés. Hershey poursuivit : «Je te jure Casey que l’autre fois aux course hippiques, elle le dévorait des yeux ! Elle a passé sa journée à le chercher du regard et lui, ne l’a à peine regardée. Ah, ah ! Un moment ils se sont tous les deux descendus parier et peu de temps après, elle est remonté avec Gale. Randal l’a abandonnée en cours de route et ce n’est pas pour rien. Ces cul-terreux ne valent rien et Randal n’est pas assez

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stupide pour risquer sa carrière en fricotant avec cette… avec cette mijaurée ! —Une mijaurée qui nous ridiculise toutes avec l’obtention de son diplôme ! —c’est qu’ils ont un quota pour les minorités à Berkeley. Ce que j’essaye de te dire c’est que McGowan a du sang nègre dans les veines. A la voir, tien ne le laisse le supposer mais vraiment quand tu la regardes bien, elle n’est rien comparable à May, à Athéna ou à toi. —Tu es sérieux là ? » Hershey restait le salaud qu’il avait toujours été et je devinais non sans mal, son sourire en coin, un brin démoniaque et son regard brillant de malveillance. « Je ne peux pas être plus sérieux. Sa grand-mère travaille ici comme gouvernante. N’est-ce pas déjà une piste à prendre au sérieux ? Et comme par hasard cette dernière disparait la veille de notre arrivée, soi-disant une mauvaise chute dans l’escalier. Gale ne voulait pas que cela se sache, il a cherché à taire la vérité concernant sa petite pouliche. La trouvestu toujours jolie à présent ? —Mais depuis quand le sais-tu ? Et pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? » A l’heure du déjeuner, je pris ma voiture pour me rendre chez mes grands-parents. Clive dans le jardin, un gant à la main pour faciliter la coupe de ses rosiers marcha vers moi en tendant les bras vers le ciel comme si j’eusse été le Messie. « Mais n’est-ce pas notre petite Aubrey ? Entre vite et constate par toi-même l’épanouissement de mes roses ! Ta grandmère est partie disputer un bridge avec sa communauté de philanthropes. Tu viens tout juste de la manquer. Et avant de filer ventre à terre, escortée par tout un

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attroupement de bigotes et remarquables moralisatrices, elle m’a concocté un délicieux poulet comme elle sait si bien le faire. Poulet que je ne saurais apprécier seul. Tu te joins à moi n’est-ce pas ? » On se serra dans les bras. La vieille Nelly manifesta des signes de joie avant de se recoucher bien vite, la tête entre les pattes. L’intérieur de la maison sentait la rose, odeur de cette famille ; chaque famille avait la sienne et chez les Schaeffer, c’était la rose. Les photos aux murs représentaient chaque membre de notre famille et de les voir en cet instant me consola ; je voyais en ces portraits une revanche sur notre passé. Mes oncles : Wayne, Stanley, Keith et Garreth avaient fait de belles études, de beaux mariages et jouissaient d’un statut privilégié de part et d’autre de la côte ouest, du middle west et en Californie. De leur respective mariage mes frères et moi avions eu de nombreux cousins et cousines avec qui apprécier nos vacances ; tous avaient réussis : on comptait parmi eux des médecins, des avocats, des juristes, des professeurs d’université, des diplomates, des fonctionnaires ; de ses cousins, des petits cousins empruntant la voie tracée par leurs parents. Clive et Nora pouvaient être fiers de leur progéniture. Les murs, du hall d’entrée à ceux de l’étage et des chambres illustraient ce succès. « Alors qu’est-ce qui t’amène à moi ma petite ? Tu as l’expression de tes mauvais jours. Si ta grand-mère te voyait dans cet état, elle ne te laisserait pas repartir sans avoir percé le mystère de cette mélancolie, Alors ? Veux-tu bien m’en parler ? »

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Il me tendit mon traditionnel verre de Porto et pris place en face de ma chaise. Je restais muette incapable de me prononcer sur ce que je pouvais ressentir en ce moment. Il y avait tant à ire. « Tu sais que les Brunner sont en ville. Ils sont arrivés pour la saison comme chaque année d’ailleurs. Le fils a bien changé, on pourrait presque le trouver intéressant, parla Clive en se frottant le menton perdu dans sa contemplation du néant. Quand à la fille, Barbara, elle semble lymphatique comme sortie d’une tombe. On peut dire que cette famille n’a pas eu de chance. Nora devait passer les vois hier mais au dernier moment ils sont décommandés pensant que Nora aurait mieux à faire que de rendre visite à un vieux couple flanqué de deux adultes que rien n’a épargné. Vraiment, la vie n’a pas été simple pour eux. Il faut se dire qu’il y a toujours pire que soi n’est-ce pas ? Quand repars-tu pour Raleigh ? —Oh, je n’ai pas encore de date de retour. —Randall est venu nous saluer hier. Il a ramené un petit quelque chose pour Nora et tous deux sont restés longtemps à discuter dans le salon quand je me tenais dans le jardin. Ensuite, il est venu s’entretenir avec moi. Il passe très souvent nous voir, tu sais même quand le Cap North est vidé de ces occupants. On parle presque toujours de tout avec lui, sauf que cette fois il n’a fait que parler de toi. Il a parlé de cet empli que tu avais finalement refusé pour retourner en Californie. Il va s’en dire que Nora a cru bon appeler Lynn pour en savoir un peu plus et cette dernière nous a répondu être au courant. Randal se

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dit prêt à payer tes études mais pas en Californie. —C’est pourtant là-bas que je me sens être le plus concentrée. —Je pense que tu ne comprends pas où il veut en venir. Disons qu’il veut que tu t’installe dans le coin, avec lui. Il ne l’a pas exprimé en ces termes mais je sis voir quand un homme a mauvaise conscience. Quoiqu’il se soit passé au Cap North, Randal a peur de te perdre. Il est convaincu qu’il t’a déçu d’une manière ou d’une autre. Est-ce le cas ? » Alors je lui racontais tout depuis le début. Il m’écouta d’une oreille attentive tant et si bien que je vins également à lui parler de Calvaert, de sa trahison et de sa plaidoirie si insoutenable. Clive me relança sur Gale. Il voulait connaitre la véritable nature des sentiments à mon égard. Et quand Nora fut de retour, elle sut immédiatement ce dont il fut question et elle s’empressa de venir me saluer tout contre elle. « Ma pauvre petite ! Jamais personne n’est préparé à cela. Mais tu dois savoir que si tu décidais de ne plus les revoir, je prendrais ma retraite. Je sais combien il doit être difficile pour toi de serrer les dents, prendre sur toi quand tu es d’un naturel si enthousiaste. Rentre quelques jours à Raleigh pour faire le point. Je serais presque tentée de te dire de partir maintenant. Ainsi tu n’auras pas à sentir le poids de leur jugement. Ton départ restera entre nous. » Les conseils de Nora restèrent au stade de conseils car déjà je rentrais au Cap North, je me garai devant le hangar, le foulard rouge noué autour de la tête ; je

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décidais de rester sereine en toute circonstance, ce que ferait ma mère, la brillante Lynn. Les lunettes de soleil sur le nez je gravis l’escalier accueilli par Stanfo m’annonçant un appel de Washington. « M. Mulligan a demandé à ce que vous le rappeliez le plus rapidement possible, Miss McGowan ! —Ce qui sera fait, merci beaucoup ! M. Byron-Doyle est-il parti pour la capitale ? —Non, il a de nouveau ajourné son départ. Vous le trouverez dans le patio en compagnie de M. Brunswick ! » Ensuite je troquais mes vêtements de ville, à savoir ma robe droite et cintrée, assez moulante pour que l’on me croit nue pour enfiler mon maillot de bain sous mon peignoir et direction, la plage. Après une heure restée à barboter, je m’installai sur mon rocher afin de m’y sécher. Aucun rire, aucune bride de conversation ne vint perturber ma quiétude ; or peu de temps après je remontais l’escalier à double révolution conduisant au parc quand McGuire me tomba dessus. « Salut Aubrey, je peux te parler ? On serait peut-être mieux sur la plage. Viens s’il te plait… Nous devions aller faire de la voile mais au dernier moment nos plans sont tombés à l’eau. Tu ne le sais peut-être pas mais Gale est à cran en ce moment, impossible pour nous de le raisonner. Swift a fait mention de la correspondance de Gale dont il s’avère que tu en sois l’auteure. Peu importe de savoir comme Swift le sait mais cette révélation a eu son effet domino. —Swift a toujours eu quelques suspicions n’est-ce pas ? Et ensuite cela change quoi ? Si je n’en fus pas l’auteur,

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un autre l’aurait probablement été, non ? Gale n’est pas assez inspirée pour écrire. —Certainement, tu fais preuve de bienveillance à l’égard de Gale et tu sembles lui accorder beaucoup d’estime. Dans la réalité des faits, Gale ne peut aimer deux femmes avec la même intensité. —Qu’es-tu entrain d’insinuer ? Questionnai-je en ôtant mes lunettes de soleil pour mieux le défigurer. —Gale est raide dingue de toi. Tu sais très bien ce dont je veux parler. Il n’y a pas seulement de la franche camaraderie entre vous, il t’a dans la peau et il lui est devenu insupportable de devoir te partager avec un autre homme. Il est vulnérable en ce moment et il serait bien que tu aille le rassurer. » Avec quelle intensité me fixait-il ? « Tu veux une cigarette ? » Il me tendit son paquet de Marlboro dans lequel je me servis sans rien prononcer. « Calvaert a dit être l’auteur de ces lettres mais Swift ne l’a pas cru. Il est difficile à convaincre quand il s’est forgé une opinion sur quelque chose ou quelqu’un. Il est ainsi et on ne le changera pas. » Les bateaux passaient au loin, toutes voiles dehors ; la brise leur était favorable. Une journée comme celle-ci plaisait aux passionnés de voile. « Tu dois en avoir assez de toute cette histoire. Ti ne t’était certainement pas douter qu’en venant ici tu allais attiser les passions sans même à avoir à ouvrir la bouche. Cela ne doit pas être évident pour toi de voir ton ami de toujours batifoler avec une autre ?

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—On s’habitue à tout. Et puis Casez est le genre de femme qu’il vaille à Gale. Elle est ambitieuse, intelligence et elle sait attirer l’attention sur elle comme personne. Elle irradie selon les termes de Connor. —Ah, ah ! Casey est une sacrée femme ! Renchérit-il le sourire aux lèvres. Elle est passionnée et sait précisément où elle veut aller. » Un silence s’installa entre nous. McGuire tirait lentement sur sa cigarette. « Tu devrais prendre cet emploi au Washington Post. Cela te rendrait plus forte encore que tu ne l’es. J’ai des contacts dans le monde de la presse. Randal ne fera aucune objection au fait que je me rapproche de toi. —Et pourquoi viendrait-il à émettre une quelconque objection ? Il n’est pas mon agent et encore moins mon maitre à penser. —Oui bien-sûr mais il tire les ficelles du jeu. A Harvard il avait la réputation d’être un parfait fédérateur. Il y a quelque chose en lui qui inspire le respect et l’ordre. Je le connais depuis huit ans depuis le jour où il s’est présenté à nous autres membres de la confrérie comme quelqu’un de foncièrement débonnaire bien que corrompu par les vicissitudes de cette noble institution qu’est Harvard ; Je ne l’ai pas tout de suite compris mais maintenant, avec le temps, je prends conscience que nous formons un tout, une sorte d’entité à part où rien ne peut s’immiscer. —Les confréries ne sont-elles pas censées rester secrètes ? Alors pourquoi viendrais-tu à me parler de leur mode de fonctionnement ? —Parce que ce n’est pas un hasard si tu es là.

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—Oui, naturellement ! Gale m’a demandé de passer ce que j’ai accepté de faire au nom de l’amitié qui nous unit. Ma présence ici ne tient pas du mystère. —Oui je ne devrais pas t’en parler. Je trahirais mes frères en t’évoquant certaines de nos pratiques. Néanmoins tu ois être au courant de ce que l’on appelle le Droit d’abattage. Au Moyen-âge, on le connaissait sous le terme de Droit de cuissage. Un seigneur avait le droit de prendre la jeune épousé d’un de ses serfs pendant leur nuit de noce. —Et donc ? qui est le seigneur et qui est le jeune couple ? —C’est au sens figuré, Aubrey. Quand un membre fait la connaissance d’une jeune femme dont les critères de sélection ont été validés par la communauté, il se doit de la présenter officiellement à un moment donné à ce que l’on appelle une Sélection. Elle dispose alors de quelques temps pour séduire et si elle échoue au test alors elle se trouve être bannie de notre groupuscule. —Comment peut-on bannir un nonmembre ? —En la laissant tout simplement regagner ses pénates, sans joindre à cela un quelconque motif de e rejet. On parle alors de la phase d’abattage. —C’est très archaïque comme façon de faire. Vous vous réunissez en petite comité pour valider le choix d’un de vos frères sans tenir compte du degré d’imprégnation de la dite-personne. Vos petites amies ignorent-elles être sur la sellette ? Et d’aucun ne peut prétendre les sauver ? —Non. Nos critères sont drastiques. En plus de la fortune, de l’arbre généalogique, de la religion, les prétendantes sont

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sélectionnées sur leurs aspirations, leur manière de s’exprimer, leur niveau d’étude et leur charisme. Beaucoup échouent à cette sélection. —Ce que tu me raconte là me glace d’effroi. Et pourquoi disais-tu à l’instant que ma présence ne tenait pas du hasard ? En quoi interfère-je dans votre sélection ? —Et bien parce que David t’a choisie. —Non ! » Au comble du désespoir je hochai la tête de gauche à droite, les mains jointes sur ma bouche. « Enfin David ne peut pas ! Il ignore que….je suis une femme de couleurs. Mes ancêtres étaient des Africains. L’ignoraistu toi aussi ? Hershey en a parlé à Casey et tous ceux qui l’ignoraient jusqu’à maintenant jetteront l’opprobre sur mon nom. — Aucun de nous ne l’ignore. Nous savons très bien qui tu es mais Calvaert se moque de tout cela, prenant le risque de se voir banni de notre confrérie. —Tu n’es pas sérieux ? —J’ignore seulement ce qu’il se passe dans sa tête mais il est formel à ce sujet. Il veut pouvoir t’introniser près de nous. Or Randal et Lee l’exhortent à revenir sur ses lubies. Calvaert banni et Randal s’en voudra toute sa vie. Cela aurait été différent si tu l’avais aimé. —Comment cela différent ? Il aurait obtenu un non-lieu ? Une remise de peine ? —Lee Brunswick aurait tranché en ta faveur en disant que cela en valait peutêtre le coup et qu’un bannissement ne serait proposé que sur une génération de Cowan-Calvaert. —Rien d’étonnant à ce que Calvaert déraisonne à tout-va ! Vous lui brisez les

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ailes. Comment espérez-vous qu’il trouve plaisir à vous supporter quand vous lui dictez sa conduite ? —Ce sont là nos règles du jeu. Athéna est une parfaite candidate mais il la refuse catégoriquement. —Tout cela est tellement absurde, déclarai-je la tête dans les mains, vraiment, je ne comprends pas que vous puissiez agir de cette manière ! —Je comprends ta réaction, elle est somme toute naturelle mais tu ne dois pas oublier que le sort de nos familles reposent sur nos choix. Nos fils et les fils de nos fils se féliciteront d’avoir été le fruit d’une vigoureuse sélection. —Vous parlez comme des nazis avec cette vision malsaine des individus qu’il faille trier pour ne pas permettre des dégénérescences, des tares. En fait vous êtes pire que les Aryens du troisième Reich ! —Nous parlons de constituer une élite, un peu comme tu le fais avec tes chevaux. Si vous voulez obtenir des gains, un retour sur l’investissement alors vous croisez les meilleurs des meilleurs que vous revendez ensuite à un prix d’or ! Notre économie repose sur cela, Dee. —Ecoute, je ne veux plus jamais en attendre parler ! » Je tenais mon sujet d’étude pour mon roman. Après des jours de réflexion l’inspiration me frappa de plein fouet. Harriet serait la première à me sauter au cou en m’encourageant à prendre la plume. Ecrire Supposait maitriser mon sujet à la perfection ; or j’avais les personnages, l’intrigue et assez de matière pour pondre quelque essai authentique puisque basée sur ma propre expérience. Derrière le

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bureau de ma chambre je m’y attelai avec entrain. Le lendemain matin je partis en ville pour profiter du marché aux fruits et légumes de saisons, des produits artisanaux vendus à bas-prix. Le panier à la main je fis quelques emplettes, le fichu sur la tête, quand au loin j’aperçus Gale marchant au bras de Casey. Brusquement je tournai les talons pour remonter la rue entre les échoppes quand j’entendis qu’on m’appelait. « Aubrey ! » Gale m’appelait, se frayant un passage parmi les autres piétons. « Tu aurais du nous dire que tu partais, on t’aurait faite une place dans la voiture Casey vient par ici ma belle ! Elle tenait en autre à voir ce que l’on vendait de mieux dans la région et on peut dire qu’elle n’est pas déçue. N’est-ce pas chérie ? Questionna Gale en déposant un baiser sur sa joue. N’est-elle pas ravissante avec ce large sombrero ? —J’avoue me délecter ici, il y a tellement à voir ici ! Nous allons perdre les autres de vue, Gale. Aubrey joins-toi à nous, ne reste pas seule ! Nous allons te trouver un chevalier servant pour te porter ton panier ! —Non ça ira ! » Mais déjà elle m’attrapa par le bras pour me conduire au reste de la troupe. « Regardez un peu qui nous avons trouvé Gale et moi ! » Tous me dévisagèrent avant de poursuivre leur progression. Calvaert en me voyant détourna la tête pour se concentrer sur ce qu’il avait à la main. «Tu sais que Mrs Grey a demandé de tes nouvelles ?

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—Qui ? Olivia ? Je pensais qu’elle était partie pour le Delaware. Et que devientelle ? —A toi de trouver du temps pour lui rendre visite. Elle a reçu tes lettres envoyées de la Californie et elle rêve que tu lui parle de tes exploits à Berkeley. Profites-en également pour aller saluer les Williamson et les Bormann. Tous ici rêvent de revoir la petite McGowan ! Tu es déjà une célébrité Dee ! » Cela me mit du baume au cœur. Et alors que nous échangions sur des relations communes, Athéna murmura quelques mots à l’oreille de Casey qui alors attrapa le bras de son cousin pour glisser vers Calvaert en retrait des autres. « As-tu emmené Casey chez notre brocanteur ? C’est une étape obligée si tu comptes un jour emménager avec elle ! Et puis il y a le libraire et cet glacier que tu aimes tant. —Oui tu as peut-être raison. McGuire ! On revient dans une petite seconde. On se retrouve tu sais où. Viens Aubrey, suismoi ! Allez ! » On entra chez notre antiquaire à vive allure, manquant au passage de percuter dans un vase rattrapé de justesse par Gale. On ricana quand on vit survenir un homme au teint cuivré et peau marquée par des rides d’expression. « Tout va bien m’sieur ! On va juste ne pas faire trop de bruit. On est de passage ! Regardes ça Aubrey, cela te plairait ? Déclara ce dernier en brandissant un coupe-cigare. Et vise un peu ce coupepapier ayant appartenu à l’Empereur Caligula. Tu pourrais alors t’en servir comme une arme sur la personne de David.

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—Et qu’est-ce qui te fait croire que je veuille le tuer ? » Il jouait dans la provocation, sachant parfaitement que je réagirais au quart de tour. Mes mains se posèrent sur un éventail aux motifs chinois sur fond de soie noire. Il revint vers moi, cachant un objet derrière son dos. « Devine ce que je cache ? Allez devine ! Tu veux un indice Sherlock ? N’essayes pas de tricher je pourrais te punir. C’est quelque chose que tu rêverais de posséder sur toi. Ok ! Alors fermes les yeux, je vais te faire deviner autrement ; Allez, fermes les yeux ! Non, ne triche pas ! » Quelque chose de lourd entoura mon cou. C’était une fourrure de zibeline ; je l’ôtai quand ses mains enserrèrent mon visage. « Je ne laisserai personne te manquer de respect, tu comprends ? Personne ne te fera jamais de mal tant que tu resteras près de moi. Maintenant fais ton choix ! Parmi tous ces objets il y en a bien un que tu aimerais posséder. Cette carapace de tortue là-bas ? Oh, Dee ! Que tu es si jolie quand tu souris ! —Non, vraiment je ne t’ai pas suivi dans le but d’acheter ces antiquités. Pourquoi penses-tu que j’en veuille à David ? —Quoi ? —Tu sembles esquiver cette question Gale. Pourtant il est tout à fait normal que je veuille savoir pour quelle raison tu pense que David m’a trahi. Tu devrais seulement être heureuse que David et moi ayons trouvés à nous entendre. —Ce n’est pas ce que j’ai entendu. Il t’a torturé avec Athéna, poursuivit Gale en observant un vieux téléphone. Je connais bien David. Athéna un peu moins. Tout ce

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que je sais c’est que David est heureux avec elle. Athena le fait rire, l’amuse beaucoup. Elle a de forts potentiels et une maturité tout à fait hors-norme, si appréciable pour David. Lui vient d’une famille où tout individu qui se respecte vise le prix Nobel. Il a coupé les ponts avec sa mère depuis qu’il a refusé d’intégrer un club privé de Boston. Ne me demande pas plus, à ce sujet David est peu loquace. —Donc tu penses qu’il va se fiancer à Athena ? —Oui sans l’ombre d’un doute. Viens donc jeter un œil à ce gloe Dee. On croirait voir un kaléidoscope ou ces petits points jaunes qui tapissent le ciel et qu’on appelle communément des étoiles. Regarde bien, n’est-ce pas fascinant « Ses mains se posèrent sur mes hanches et couché sur mon dos, il regardait par-dessus mon épaule. « Tu vois je verrai bien cet objet sans nom posé sur ton bureau chez Mrs Freeman. C’est bien là que tu veux te rendre n’est-ce pas ? —Ah ! Alors ainsi Randal t’en a parlé. —J’ignorai que tu veuille poursuivre tes études. Et à quoi cela ter servira-t-il ? —Et bien à me distinguer par exemple. Et peut-être qui sait, un jour aurais-je un prix Nobel. —Mais pourquoi Berkeley ? C’est à l’autre bout de ce foutu pays ! Il y a des tas d’autres sur la côte ouest tout aussi prestigieuses et toi tu envisages de partir encore pour trois années supplémentaires. Si tu visais Harvard, Randal pourrait appuyer ta candidature et ce n’est qu’à quelques heures de train d’ici.

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—Gale, détends-toi je ne suis pas encore partie. J’ai encore tant à faire ici, à commencer par mon roman qui j’espère sera un best-seller. —Tu es incroyable Dee ! Tu arrives à te détacher de tout cela avec une incroyable aisance comme si le moindre souci n’avait pas le moindre impact sur toi, comme si nous ne comptions pas. C’est pour cette raison que tu es si extraordinaire ! Et ce sourire…Allez, prends cette breloque, je t’en fais cadeau et à cela on ajoutera ceci. C’est un peu au goût de Randal, tu ne trouve pas ? Il a toujours été un passionné pour les choses qui brillent.» Où voulait-il en venir ? Je posais l’objet en question sur la table. Des breloques de ce genre, Randal n’en avait cure. « Viens voir… que dirais-tu de cela ? » je tombai des nues quand il ouvrit un petit écrin rouge contenant une bague serti d’un diamant. « Je sais que tu n’accordes peu d’importance à ces bijoux d’un autre temps mais j’aimerai te l’offrir afin de te remercier pour ta discrétion et je pense ne jamais trouver d’amie aussi sincère que toi. Essaye-la. Donne-moi ta main. . Alors tu en penses quoi ? Tu n’es pas trop déçue par son manque d’éclat, dis-moi, ni par sa taille ? —Non, elle est originale ! Je vais me prendre pour une Vanderbilt maintenant ou une Rockefeller, ironisai-je en souriant. Tu sais tu n’es pas obligé. Un merci aurait suffit mais on ne peut te reprocher d’être le fils de ton père, soit un homme très généreux. » On retrouva les autres dans un bar dont la déco ressemblait à l’intérieur d’un yacht avec ce lambris, ces objets de navigation

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maritime. On y accédait par un escalier pour ensuite pousser une porte à hublot. On pouvait tenir à plusieurs sur une seule table et force de constater qu’aucune autre femme ne se trouvait être là. Quelque peu déroutée j’interrogeai Gale du regard. Hershey prit un air embarrassé et se pinça le nez avant de fixer McGuire. L’autre binoclar, O’Meara nettoya ses verres de lunettes pour échanger un bref regard à Wyatt. « J’espère que nous n’avons rien interrompu ? Mais poursuivez, ne vous gênez pas pour nous. De quoi étiez-vous entrain de parler ? McGuire ? Calvaert ? Toi Swift ? Qu’est-ce qu’il y a ? —On s’était mis d’accord pour se retrouver, seuls, sans les filles Gale, déclara O’Meara dont le regard lui donnait un air de grosse taupe à l’air benêt. Alors sois aimable de la raccompagner à la porte. —Elle va prendre un verre avec nous, répondit Gale de façon très sèche. —Non, ce n’est pas nécessaire, rétorquai-je en reculant déjà de trois pas. —vraiment Gale, on doit tous s’en tenir à ce que l’on a dit,, souligna Hershey, les coudes sur la table. Tu ne peux pas faire comme si tu n’étais pas au courant. On en a parlé hier et McGuire la consigné hier soir. —Aubrey va prendre ce putain de verre avec nous et si tu n’es pas d’accord, cela n’y changera rien ! —Gale, je…. » Il m’invita à me taire pour poursuivre sur le même ton hargneux : « On va tous se détendre et accepter Aubrey à notre table. Aubrey, viens t’assoir s’il te plait. —Gale, navré de te décevoir mais hershey a raison. On s’était mis d’accord

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pour cet endroit et cette heure. Par sonséquent tu ne peux pas faire comme si nous ne l’avions pas évoqué. Et je suis persuadé que Aubrey comprendra. N’estce pas Aubrey ? —Oui et j’allais justement partir. —Non ! Tu restes. Voyons les gars, où est le problème ? Faut-il passer par un vote à main levée pour savoir s’il faille autoriser Aubrey à prendre un fichu verre dans ce pub ? L’idée même de notre démocratie réside dans cette prise de décision. alors votons ! —Merde, Gale ! Enfin, tu ne peux pas prétendre changer nos règles pour une de tes lubies passagères, persifla Hershey, ce précepte de démocratie t’échappe complètement si tu n’es pas capable de définir qui régie ce concept. Si la politique est affaire de tous et bien il nous faudra nous entendre avec les autres représentantes de la gente féminine laissée injustement dehors ! —Hershey a raison, nota Finn. —Oui, moi je suis d’accord avec Hershey, insista O’Meara, faisons rentrer les autres pour voter en faveur de Miss McGowan. S’il y a assez de voix pour l’emporter alors elle restera. Que quelqu’un se dévoue pour aller les chercher et qu’on en finisse ! —Je suis d’accord avec toi O’meara mais quand une décision importante doitêtre prise car menaçant l’équilibre d’une nation le gouvernement doit pourvoir trancher seul, parla Swift. Je vote pour. —Moi aussi ! » Lança Connor. Et Calvart leva la main. « Je pote également pour ! » Et McGuire l’imita, suivit de Mueller et pour finir Gale. En signe de protestation Hershey sortit suivit

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par les autres ayant refusé ma présence en ce lieu. « Maintenant prends une chaise Aubrey et savoure ta boisson. Nous allons tous faire de même d’ailleurs. Commande des bières pour nous tous Connor ! » Toutefois je ne parvenais à me détendre et la tête baissée je n’osai prendre part aux conversations. La main de Gale se posa sur la mienne et sous la table, je répondis à son étreinte. Mon regard plongea dans celui de McGuire, j’avais des questions à lui poser concernant leur oratoire. Mais accepterait-il seulement d’y répondre après ma réaction sur la plage ? En cet instant Gale jouissait d’une certaine forme de pouvoir et le voir sourire aurait pu me réconforter mais l’orgueil froissé d’Hershey pouvait bien lui valoir quelques ennuis. Plus tard, je prenais un thé dans la bibliothèque quand Hershey se présenta à ma porte. « Sanfor dit que tu veux me parler et je suppose que c’est en rapport avec le coup de théâtre de Gale toute à l’heure ? Si c’est le cas alors tu m’en vois être désolé. Mon départ n’avait rien contre toi mais contre l’arbitraire de certains qui pensent pouvoir tout réformer. —Et cela t’ennuie que je puisse être à l’origine de votre conciliabule ? Tu dois te dire que je fais tout pour attirer la lumière vers moi. C’est pourtant encore un coup u destin. —Si tu le dis. En même temps je me contrefiche de tout cela, ce n’est que du vent, une stupide mise en scène visant à nous diviser. Je ne suis pas convaincu que tu aies quoique se soit à y gagner. Si c’est

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tout, je vais car aucun de nous ne souhaite perdre son temps en futiles bavardages ! —Il est vrai que tu t’emploierais bien mieux avec ta cousine pour discuter de ce qui est juste de révéler aux autres concernant les fortuites informations que tu aurais obtenues sur autrui. —Ah, ah ! C’est le cas, précisa Hershey le rictus au coin des lèvres, pourtant tu dois bien t’imaginer que l’on ne sera pas appelé à se revoir après. Alors tout ce que je peux révéler à l’un ou à l’autre de mes amis ne devraient pas te froisser. Toi et moi savons quelle place chacun de nous occupe et…. —Attends ! Attends ! Si j’ai bien compris tu es entrain de me dire que tout cela est normal ? Cela mérite que l’on en discute sérieusement Dan, tous les deux, sans chercher à ménager l’autre. Et puis je t’écoute puisque tu semble avoir tellement à ire ! ! —Tu es un imposteur. Tu profite de la notoriété des Byron-Doyle pour te faire une place au soleil et Marcus est bien trop complaisant pour vous laisser à la porte de sa demeure. —Je l’admets, répliquai-je calmement. —Tu admets quoi au juste ? Etre là tel un parasite vivant depuis toujours sur le dos de son hôte ? Oui mais ça, je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. C’est la vérité telle que tu voulais l’entendre non ? —Et c’est pour cette même raison que tu as empêché David de suivre la route qu’on lui avait tracée d’avance et validée par les membres de votre illustre confrérie. —Notre société n’a rien du despotisme. Elle a fait ses preuves depuis plus de deux cent ans alors qu’est-ce qu’une femme

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comme toi pourrait connaitre de nos usages ! —Une femme comme moi ? —Oui, une femme comme toi ! Répéta ce denier sans jamais cesser de sourire. David se serait seulement amusé avec toi, tout comme Gale le fait en ce moment avec un certain aplomb. —Aimes-tu Sarah ? —Quelle question absurde ? bien-sûr que je l’aime ! —Et penses-tu que Swift aime Victoria autant que McGuire, Brianni ? Quand je vous observe j’ai la nette impression que vous n’accordez aucune attention particulière à vos fiancées, celles-ci ne sont là que pour une sorte de sélection n’est-ce pas ? —Je ne vois pas de quoi tu parles. —Elles ignorent tout. Toutes vous croient sincères et passionnés mais au fond vous n’êtes que des enveloppes vies. » Il tourna la tête pour regarder du côté de la porte craignant qu’on nous surprenne dans notre discussion. Assise sur le rebord de la table je poursuivis en appui sur mes bras. « Alors admettons que l’une d’elle l’apprennent que se passera-t-il ensuite ? Les autres penseront qu’il y a une fuite du côté de la confrérie et ne manqueront pas de te poser certaines questions dont tu n’auras pas la réponse. Alors moi je m’empresserai d’aller trouver Lee Brunswick pour lui faire part de certaines de mes connaissances. Le premier argument en ta faveur sera celui-ci : il n’a jamais pensé que je puisse vivre aux crochets des Byron-Doyle comme parasite quand depuis toujours il s’est efforcé de penser que Berkeley produisait des gens

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capables de réfléchir par eux-mêmes et non ces élémentaires fils-à-papa, étouffés par leur orgueil. Tu vois certainement où je veux en venir dan ? —Je ne t’ai jamais manqué de respect Aubrey. —Vraiment ? Pourtant j’ai cru avoir pensé le contraire il y a à peine cinq minutes. Le second argument serait : Il a été le seul à croire que Calvaert et moi puissions être de bons amis. Tu sais Dan, tu n’es pas conscient du monde dan lequel tu vis et dans la jungle le pire des prédateurs n’est parfois pas celui qu’on imagine être. Une simple fourmi peut affliger plus de dégâts qu’une panthère. Médite-la dessus. —Ecoute Aubrey, tu m’as demandé d’être sincère avec toi et cette vérité ne semble pas te convenir. —Parce que ce n’est pas le vérité, ce n’est que l’idée que tu te fais de ma relation avec les Byron-Doyle. Parle encore de moi en ces termes et j’irai derechef pleurer dans les bras de Randal. —Alors tu cherches à m’entourlouper par tes puériles menaces. C’est du grand art ! —Je veux seulement m’assurer que tu comprennes bien Dan car chacune de tes petites contrariétés a un impact immédiat sur Gale. Et tu ne voudrais pas qu’il se mette à douter de toi, vrai ? » Sur ma longue chaise, je me prélassais un livre posé sur les genoux. Par moment je brûlais d’envie de descendre sur la plage pour profiter de l’eau salée différente de celle chlorée e la piscine. Arriva Randal, deux verres de Bourbon à la main.

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« Tu vois Dee, je ne te laisserais pas mourir de soif. Montrons-leur que les gens civilisés savent aussi boire sans s’enivrer. Comment allait notre bon vieux Clive ? —Merci pour le verre Randy ! Clive était en pleine forme, il semble survivre à la convalescence de ma grand-mère. Et pour toi, comme se déroule tes vacations ? Comment vont tes charmants voisins, amateurs de polo et de golf ? » Il fronça les sourcils des plus amusés. « Ils sont fidèles à eux même, murmura Randal penché vers moi, il est difficile de les voir comme des êtres oisifs quand ils s’activent avec la discrétion qui est la leur pour faire de ce monde, un monde meilleur. —Nous voilà tous deux rassurés alors. —C’est le moins qu’on puisse dire et j’ai cru comprendre que M. Mulligan t’aurait faite une honorable proposition mais rien de comparable à celle que j’ai à te faire. Tu sais maintenant que nous avons de grands projets pour toi. On pourrait commencer par t’installer dans mon nouveau chez moi pour y échafauder des plans d’avenir. » Déjà je ne l’écoutais plus. Calvaert venait d’arriver, la serviette posée sur l’épaule et sans nous regarder, il plongea dans la piscine dans un remous de vagues étincelantes. Il fit quelques brasses, observé par Randal qui devait se dire avoir mal choisi son moment pour me parler. Tel un poisson il nagea longtemps sous l’eau. Randal se contenta de poser la main sur mon épaule et partit. Quelques brasses plus tard, Calvaert vint se présenter à mes pieds. « Tu ne te baignes pas ? La piscine est pour nous seuls alors à nous d’en profiter !»

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Et Dieu seul sait pourquoi, je le rejoignis dans le bassin. On fit quelques longueurs, chacun à son rythme ; par mon attitude il savait que je ne lui en voulais pas de fréquenter une femme plus fortunée que ma personne. Comme je nageais sous l’eau, à quelques pouces à peine du sol, il vint m’y rejoindre et déposer un baiser sur mes lèvres. La panique me saisit. Je remontai à la surface et en toute innocence il me rejoignait au bord de la piscine. « Tout va bien Aubrey et ne va pas croire que je veuille te mettre dans l’embarras. Seulement j’en avais envie. S’il te plait, ne t’en vas pas. J’ai merdé d’accord, mais cela ne se reproduira plus. » Au moment où il voulut poser sa main sur mon épaule, je fis une rapide pirouette pour m’élancer vers l’autre bord du bassin. Et Gale choisit ce moment pour apparaître avec Swift ; tous deux se dirigèrent vers Calvaert. Cela ne sentait pas bon. « Cal, il faut qu’on cause mon grand ! —A quel sujet ? Je pensais que tout était réglé entre nous. Je vous écoute. —On ne pensait ne pas revenir sur ce sujet mais là, tu merdes vraiment Cal. Maintenant sors de cette piscine que nous puissions causer tous trois avant que les autres ne te tombent également dessus. » Il fit quelques brasses sous l’eau au nez et la barbe de deux compères. Dans mon cas, il valait mieux filer. Prestement je me séchai quand Gale s’approcha. « Ça va toi ? As-tu vu Randal ? Il demandait après toi. Hey, attends un peu ! Où est-ce que tu vas ? Tu ne portes pas la bague que je t’ai offerte ?»

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Cette remarque me laissa dubitative. Sans répondre je chaussais mes pieds dans mes mules avant de fuir cette scène. Deux heures plus tard, peu de temps avant le souper les filles gloussèrent sur la terrasse. La cause en était la bague arborée fièrement par Casey. Elle la mettait en valeur en posant sa main sur son visage afin que tous puissent l’admirer. Soudain les discussions cessèrent. Pendant un bref instant je fus la ligne de mire de tous les regards. Athena me lançait un regard noir chargé de reproches et accrochée à son bras Brianni murmurait quelques mots à son oreille. Les autres filles s’empressèrent de me tourner le dos, roucoulant auprès de leur hypothétique fiancé et Connor lâcha Hershey pour venir vers moi, un verre à la main. « Nous t’attendions Aubrey, merci d’être passée ! » Il venait de me sauver d’une mortification. Les discussions reprirent de plus bel et les genoux rassemblés sous le menton je fixais l’horizon et toutes ces voiles glissant sur la surface comme autant de mouettes sur le rivage. Telle une petite chatte en quête de caresses, Casey vint se nicher contre les jambes de Gale et lui de la laisser se frotter à lui. Il y a des mois de cela, j’avais occupé cette place… Ma gorge se noua et plus encore quand il baisa son crâne et glissa un mot à l’oreille. Celui-ci pouvait être : je t’aime, ou bien : tu es très belle ma chérie ! L’arrivée de Calvaert souleva une vague de commentaires tous plsu amicaux les uns des autres ; ce dernier très décontracté vint s’installer près de Connor allongé non loin

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de ma chaise longue et l’œil visé errière sa longue vue. « Tu en as mis du temps mais je suis soulagé que vous ayez fini par trouver un terrain d’entente, toi et Gale, cela ne pouvait plus dure. Quoi qu’il en soit vos diverses querelles sont enterrées puisque tu as accepté de mettre plus d’eau ans ton vin. Je suis fir de toi, frère, déclara Connor en lui administrant une bourrade amicale, maintenant nous allons tous pouvoir profiter de nos vacances comme il se doit. —Merci connor, répondit-il lascivement les coudes posés sur ses cuisses. Sans pudeur il me contemplait et son regard semblait vouloir dire : maintenant que Gale est fiancé, je vais pouvoir me consacrer à toi ! —Veux-tu jeter un œil là-dedans et suivre la régate ? —Non merci, j’ai mieux à regarder. » De là où il se tenait il pouvait tout aussi bien regarder Brianni, assise au milieu des autres flagorneuses, pourtant ce fut bien moi qu’il observait. « Mieux que la régate je ne crois pas, répondit Connor en lâchant sa lunette, tout ce ballet de voile c’est à vous couper le souffle. —Connor, tu peux nous laisser s’il te plait ! Juste une petite minute, au retour tu pourras nous rapporter de quoi grignoter. Merci Connor…. Il se passe quoi avec Hershey ? Il a été dire à Randal que tu le menaçais, lui, directement. J’aurai voulu être là pour t’entendre dire ce que tu pensais de lui. Qu’une femme lui dise qu’il est un salaud c’est impressionnant. Tu es notre héroïne Dee, vraiment ! —Je n’ai pas pu faire autrement. J’ai tout essayé avec lui crois-moi mais il faille

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croire que seule l’intimidation fonctionna avec lui. —Oui, il n’est pas prêt de s’en remettre. Cela a du être très jubilatoire pour toi. Tu veux qu’on aille marcher un peu sur la plage ? —Non ! Non, cela ne serait pas sérieux ! Gale a rassemblé toutes ses troupes et il est possible qu’il fasse un discours. —J’aimerai pourtant que l’on s’isole toi et moi. je pourrais alors baiser tes lèvres. —Euh….cela ne m’intéresse guère. » Nous en avions tous très envie et on se rendit donc sur la plage, en catimini. « Tu es la reine de l’intrigue. —Pourquoi dis-tu cela ? Je me contente seulement d’être moi-même. Mais il est vrai que j’aime déjouer les complots. La CIA pourrait m’embaucher tu ne crois pas ? —Oui tu ferais un bon agent de terrain. Le gouvernement aurait tout intérêt à te recruter, ainsi il n’aurait pas à avoir recours à la torture pour faire parler les plus récalcitrants. Un de tes sourire suffirait à triompher de nos ennemis d’état. —Ah, ah ! Toutefois je m’en voudrais de briser des carrières, des vies et des cœurs ! » Sa main se rapprocha de la mienne et nos doigts s’emmêlèrent. « Cela dépendra du salaire que l’on te versera. L’argent arrive à chasser toute inhibition. —Alors le gouvernement devra se montrer généreux. » On s’arrêta ;’il m’avait dans la peau. On sent ces choses-là : l’attirance physique le dévorait et le baiser volé dans la piscine était donc le prémisse de bien plus passionnant encore. Ses mains se posèrent

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sur mes épaules et remontèrent lentement sur mon cou. « Ton salaire n’aura pas de prix. Mais il te faudra une couverture. Un bon mari pour te donner une certaine crédibilité, un belle baraque avec l’air conditionné, une grosse et rutilante berline et peut-être un chien. Tu veux un chien ? —Un danois. —Voyons cela ! Un danois ! Tu sais qu’il existe des gabarits plus petits. Souffrirais-tu d’un complexe d’infériorité ? —Les voitures sont aux hommes ce que les chiens pourraient être aux femmes. Un prolongement de notre personnalité. Je préfère les dogues allemands aux caniches vois-tu ! Mais si tu préfères un teckel, je te laisserai prendre un teckel. —Tu insinues que je pourrais ton époux ? —Oui, il n’est pas interdit de rêver. —Alors nous aurons des gosses. Combien en veux-tu ? Trois ? Cinq ? —Peu importe le nombre et je ne veux que des garçons. —Que des garçons ? Et pourquoi pas une fille qui te ressemble ? Elle pourrait avoir tes yeux et ton petit nez, déclara david en appuyant son index sur mon nez. Elle sera aussi ambitieuse que sa mère est passionnée et brillante. Il faudra lui trouver un nom digne d’une princesse. Et peut-être la marierons-nous à l’un de fils de Gale ou celui de Randal. Non, oublions Randal. —Pourquoi dis-tu cela ? —Enfin, ce n’est pas à moi de te l’apprendre. Il ne veut pas se marier. Aucune femme ne trouve grâce à ses yeux. Il a eu de nombreuses propositions qui auraient pu lui permettre d’accéder à la

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Maison Blanche mais Randal ne se lasse pas facilement convaincre. » On s’assit face à l’océan. Le Cap North n’était plus qu’un point scintillant à l’horizon. Avions-nous à ce point marché pour laisser une telle distance entre nous et les autres ? « Comment sais-tu tout cela ? Ce n’est pas le genre de choses que l’on soit fier de raconter. —Oui, tu as entièrement raison. Leur belle-mère est des plus confuses et voit cela comme un échec dans l’éducation que Marcus a essayé d’enseigner à ses fils. Elle parle d’une éducation trop libérale et elle compte véritablement lui faire changer d’avis en lui proposant de riches héritières. —Peut-être est-il à chercher le grand amour ? —Il va être onze heures. Que dis-tu si l’on rentrait maintenant ? » Swift nous attendit en bas de l’escalier. « Où étiez-vous nom d’un chien ? Ton Athena est dans tous ses états. Tu devrais aller la consoler ! C’était censé ne pas se passer comme ça Cal, je ne sais pas ce que tu glandes mais à ta place, j’irai présenter mes excuses aux Byron-Doyle. Franchement David, tu as déconné ! Dee, à ta place je monterai me mettre au lit, ce n’est pas le moment d’envenimer les choses ! Viens, on va passer par derrière ! » Le lendemain matin alors que toute la maison dormait, Gale vint me rejoindre dans la salle à manger et dans son peignoir vert à écusson doré. Il tenait une tasse de café à la main et de l’autre son édition du matin : Le Washington post, plié en deux sous le bras. «As-tu passé une bonne soirée, Aubrey ?

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—Bien, merci. —Je vais te dire ce que je pense de tout ça, une bonne fois pour toute ! Calvaert ne t’épousera jamais alors ne te figures pas qu’après cette saison au Cap North il te passera la bague au doigt ! Cette idylle que tu partage avec lui n’est pas sincère, alors descends un peu de ton petit nuage ! » Il se tut au moment où Randal arriva. Il nous salua tous deux, attrapa une tasse vie pour la remplir de café et ensuite s’assoir tout près de son benjamin. « Gale, je déjeune avec les Marshall et dine chez les Laurenson. Tu devrais faire en sorte que tout se passe pour le mieux ici. la scène que nous avons eu hier soir avec Miss Athena Hoffman aurait pu être évitée. Il n’y aura pas de seconde fois Gale, pas tant que je me trouve être également sous le même toit que le sien et à fréquente certains des fils et filles de nos députés. Arranges-toi pour faire bonne figure et apprends à modérer tes propos, notamment envers Calvaert. —Non ! Non, ce n’est pas possible ! Tu sais mieux que moi qu’il est vain de lui faire entendre raison alors s’il te plait, cesse de me prendre pour une dilettante et bagarreur qua je m’efforce depuis le début de ne pas tenir compte de ses provocations ! —Il a agi ainsi parce que tu l’as humilié. N’importe qui de censé se serait défendu de la sorte. Il est ton meilleur ami Gale et ne gâche pas tout pour une vulgaire divergence d’opinion. —An, ah ! Arrêtes Randal ! j’aime David car il est juste, honnête et fiable mais là, la coupe est pleine ! D’abord Swift, puis McGuire, maintenant Connor et finn se rallie à sa cause et me font moi,

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passer pour un dégénéré, versatile et puant a suffisance. Je ne pense pas leur manquer de respect, c’est e bonne guerre c’est tout ! —Modère seulement tes propos et laissele un peu en paix. Tu n’as jamais pensé qu’il aimerait profiter un peu de sa vie ? a bon entendeur, je vous laisse profiter de votre petit déjeuner. Bonne journée à toi Dee 3 Il s’en alla comme il était venu. On se retrouva seul, Gale et moi, lui privé de frère et moi d’une âme secourable. La porte à peine refermé sur son aîné, Gale se précipita vers moi pour m’obliger à le regarder dans les yeux. il ne paraissait pas être en colère, seulement il voulait éclaircir certains points qui le laissait amer, voir caractériel. « On va mettre les choses u point Dee. Je ne veux plus que tu parle à Hershey en privé, ni à Hershey ni à aucun e mes amis : Soit tu reste avec nous, soit tu t’isoles comme tu le fais si bien mais évite de te montrer vindicative quand tu n’as aucune raison de l’être. Mes invités sont à traiter avec la plus grande des attentions et… —Tu n’as pas à me blâmer pour quoique se soit Gale, Tu oublies que c’est à te demande que je me trouve être ici et à ce titre je dois être considérée comme une invitée à part entière. Quel est le plus choquant pour toi ? Que je puisse discuter avec David ou que je refuse de me conforter à tes règles de vie jugées puériles et au-deçà de ce que l’on attend ‘une personne censée. —Qu’est-ce que tu essaye de me dire ? C’est à cause de la bague que j’ai remise à casey ? —Non, je me fiche de tout cela ! Tu es libre de lui remettre tous les bijoux e

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famille puisqu’il s’avère que tu soir le seul ici à trouver chaussure à ton pied, mais honnêtement je m’étonne que tu n’ai pas fait preuve de plus de retenue. —Tu es jalouse ? Questionna ce dernier le sourire aux lèvres. J’offre une vulgaire bague à Casey et toi tu décide de me punir en disparaissant pendant trois heures avec Calvaert ! C’est pathétique de ma part et peu honorable, tu dois en convenir. —David m’a seulement invité à marcher sur la plage où es le problème ? Mais s’il faut en parler pour que tu te sentes mieux alors nous n’avons pas copulé lui et moi. Nous avons seulement échangé quelques baisers chastes et échanger sur des broutilles alimentés par l’ambiance de cette soirée dont son cadre romantique. Alors il n’y a pas de quoi en faire tout un scandale ? » Il se pinça l’arête de son nez avant de joindre ses mains et prendre une profonde inspiration. « Calvaert sort avec Athéna Hoffman. Tu lui voles son fiancé sous son nez alors imagine un peu ce que fut sa réaction ! Elle ut incontrôlable et les autres témoigneront du fait qu’il a fallu la maitriser pendant ta lubrique absence et avec quelle effronterie reviens-tu la bouche en cœur pour t’afficher avec Calvaert ? ce n’est pas vertueux ce que tu viens de faire. Alors il n’y a rien d’étonnant à ce que je me montre contrarié et que je veuille une mise au point avec toi ! —C’est tout ? Si tu as fini de déverser ta bile sur moi alors laisse-moi finir mon repas tranquille ! » Il resta planté à mes côtés sans sourciller, perdu dans ses réflexions. Affairée à

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beurrer mon toast, je ne le regardais plus, au fond de moi j’étais pétrifiée par cette mise en garde. « Comme convenu on va pique-niquer toute à l’heure, sur la pointe Long Creek et tu es naturellement la bienvenue. On partira pour onze heures. J’espère cette fois que tu joueras la carte de la sobriété et il est préférable que tu t’éloignes de Calvaert, le temps pour lui qu’il recouvre la raison. » Dans la buanderie, les filles parlèrent des événements de la veille. Katy, Lynn, Doris et Gerta toutes avaient leur mot à dire sur les invitées. Cependant elles se turent en me voyant arriver puis elles se dispersèrent sans prononcer un mot. Petit à petit, la distance se créait entre elles et moi, je n’étais plus la petite fille de la gouvernante mais en l’espace de quelques jours, j’étais devenue une entité à part, une sorte ‘entre deux. Pas possible d’y voir clair et en remontant vers ma chambre, accrochée à la rampe je cherchais à comprendre le rôle que j’avais à jouer ici et par extension, dans ce monde parmi les membres de cette Société secrète avec ses codes et ses fauxsemblants. Alors qu’on servait les premiers petitsdéjeuners, fort tard il faut le souligner, je lisais Edith Wharton et son : Tous les Heureux du Monde mettant en scène cette pauvre femme prisonnière des carcans de son époque. Quand la porte s’ouvrit sur Randal. « Tu ne monte pas ce matin ? Cela tombe bien, poursuivit-il en tirant une chaise vers la mienne, il faut que je te parle de l’embarras dans lequel tu places les femmes de chambre. Il est honorable pour toi de voir nos employés comme des

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auxiliaires de choix mais il n’est pas ta prérogative de te tenir à l’office quand les filles y sont. Il est navrant de voir Beth se plaindre de toi et Lynn, et Doris, et Gerta. Je doute que mon père accepte cette situation. il est formel sur ce point. Tu es l’invitée de Gale et non pas une de ces soubrettes vêtues de noir s’évertuant à tenir cette maison en ordre. —Je te le concède, répondis-je sans lâcher mon livre des yeux, je présume une fois de plus que ma place doit-être entre le pot de fleurs et ces messieurs ? Quand je peux le faire j’aide au ménage sans que cela affecte véritablement leur organisation. Et cela me plait de le faire, tout comme j’ai plaisir à panser les cheveux et vider les stalles. Je ne vois pas ce que Marcus trouverait à blâmer dans mon comportement. —Pourquoi es-tu sur la défensive, Dee ? Tu ne trouves pas à t’amuser ici ? Il ne s’agit pas de faire ton procès mais de souligner certaines de tes actions jugées comme acceptables ou pas. —C’est un tribunal ! Avec ses jurés, ses accusateurs et le juge des peines. Je ne suis pas taillée pour ce genre d’expériences puisque je dois me défendre seule contre l’adversité. Pourquoi souris-tu ? Je me demandais quel était ton rôle dans cette assemblée, Randal mais aujourd’hui je suis en mesure de dire que toi et Brunswick êtes las garants de l’ordre, vous êtes les exécuteurs législatifs et un peu de clarté me serait profitable. —Que lis-tu de si passionnant ? » Il jeta un œil sur la couverture de mon livre. « Pourquoi ce livre, Dee ? —Et pourquoi pas ? Cette héroïne pourrait m’enseigner bien plus que vos

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sempiternels conseils en matière de réflexion. —Espérons seulement que tu aies plus de chance qu’elle. Gale m’a dit que tu te rendrais au pique-nique. —Et toi, probablement chez Clive et Nora ? —C’est exact, je ne peux rien te cacher. J’aime descendre les saluer. Nora fait de délicieuse tartes et clive passionné de botanique a beaucoup à offrir. Je n’ai jamais caché mon affection pour tes grands-parents. Qu’as-tu fait hier soir avec David ? » Pourquoi me posait-il la question ? en appui sur ses coudes, il me fixait avec une réelle intensité. Force de constater que cette position n’avait rien de naturelle puisqu’il s’en servait pour paraitre décontracté. « Nous avons parlé de toi. —vraiment ? A quel sujet. —Il semblerait que tu ne veuille pas te marier et que cette Emily de brant t’est aussi utile que cette Athéna pour David ou bien cette Casey pour ton frère ! Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ? —Non, je n’ai rien contre le mariage. Et Emily est une candidate sérieuse. —Une candidate ? Cela sous-entend qu’elle est remplie tous vos critères de sélection. Comment est le terme que vous employez déjà ? Abattage ? Randal nous avons grandi ensemble et partagé bien plus que des souvenirs d’été alors il aurait été correct de me parler de tout ça ! Ton frère et maintenant toi,, c’est un peu trop à assimiler. —Est-ce David qui t’a parlé de l’Abattage ?

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—crois-tu vraiment que je veuille précipiter son bannissement quand il ne restera plus rien de notre iylle dans quelques semaines ? Je ne trahirais pas mes sources. Seulement je m’étonne, c’est tout. —Cette source t’aurait-elle parlé de tous nos critères ? —De certains oui et je les trouve très archaïques. En fait tout ce qui a rapport avec votre Confrérie est désuet ! Comment peut-on penser ainsi au vingtième siècle ? Qui aujourd’hui accepterait voir d’autres imposer le choix de leur fiancée ? » Randal devin rouge au sens premier du terme ; il fut l’enfant pris en faute, la main dans le sac qui ne trouve aucun argument pour se défendre. Lancée comme j’étais j’aurais pu poursuivre mais à l’instant j’éprouvais de l’écœurement. Depuis l’annonce de l’existence de sa petite amie j’avais enterré toute possibilité d’être un jour la sienne. Pourtant en sa présence mon cœur battait fort. « Ce n’est pas vraiment ce auquel tu crois. Les rites que tu juges si archaïques le sont véritablement et on parle plutôt d’un Conseil pour valoriser les futurs prétendants. —Oui, enfin tout cela conduit à la même conclusion : vos fiancées sont issue de la voie la plus élitisme de ce pays. Vos mariages sont des mariages de raison dans lesquels on accorde peu de place à l’amour. —Si tu le dis. Je vais devoir m’en aller mais ne réfléchis pas trop à ce que tu penses être notre credo. Nous faisons parfois ce qu’il nous parait être juste de faire et le mariage a toujours été une noble

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institution, pas juste une foire d’empoigne pour justifier notre affect. —Je le crois bien mais…. » Il se contenta de baiser mon front en guise de réponse puis avec la grâce d’un félin fit une soudaine pirouette vers la sortie. Mon regard se posa sur la couverture de mon livre avant de glisser vers Randal. Il m’observait, le regard absent malgré son timide sourire de façade. « Bonne journée Randal ! » Lui ne répondit rien et s’en alla, dubitatif. Le loup se trouvait être dans la bergerie ; quelle ignoble trahison, qui plus est quand ce fut à l’initiative d’un fils de Marcus !

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CHAPITRE Pourquoi Randal faisait donc tout cela ? A quoi rimait cette sordide mise en scène ? A peine sortie de l’université, il voulait me proposer un emploi aux antipodes de mes ambitions ; il me voyait comme une sœur ni plus ni moins, une sœur à couvrir de bonnes attentions pour l’aider entre autre, à se faire un nom et une réputation. Randal se montrer aimable et disponible quand Gale me couvrait de bons sentiments. Avec Edith Wharton sur les genoux je ne parvenais à trouver la véritable raison de leur engagement. Marcus donnait le ton depuis toujours pris d’affection pour Clive croisé par hasard à la Maison Blanche et puis, Gale trouva tout naturel de cultiver nos rapports en m’acceptant dans son cercle privé. Quant à Gale, rien n’était certain. Il cherchait, sans nul doute, à contrarier les plans de son benjamin. Entre les deux frères régnaient une certaine compétition, à qui vouloir contenter le père et attirer les honneurs d’une prestigieuse réussite parmi l’élite de cette nation. Sans le moindre effort Gale obtenait ce qu’il voulait ; l’avantage d’être né le second. Son père lui a toujours donné ce qu’il voulait et le monde entier cédait à ses lubies. Ah, Aubrey ! Tout serait plus simple si tu ne te mettais pas systématiquement des bâtons dans les roues ; si tu acceptais de voir la vérité sans te cacher derrière tes principes ! La victoire pour Randal consisterait à me voir travailler pour lui. ll se trahissait à chacune de nos entrevues, incapable de taire ce magnétique sourire, expression d’un homme conquis car ravi de partager

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avec une McGowan bien plus que des verres de gin. Combien de longues soirées avons-nous partagées ensemble pour les événements familiaux tels que la Thanksgiving et les retrouvailles au Cap North pendant la belle saison ? Il n’existe aucune certitude en ce monde sur le fait que Randal puisse m’aimer. Son attachement pour moi n’était que le fruit d’une réflexion personnelle, d’une stratégie familiale visant à me placer dans une fructueuse carrière. Il ne m’aimait pas d’un amour sincère : à tout moment il pouvait se marier et ainsi me reléguer au rang de bonnes amies, de relation d’enfance. Alors son épouse par politesse et par devoir envers Randal accepterait de me recevoir, tout en ravalant sa fierté de femme mariée face à une célibataire au cœur endurci. Dieu que je souffrais cette ambiguïté ! Pourquoi donc vouloir me voir travailler avec lui ? Il n’avait pas fait mention de la nature de l’emploi, il conservait un certain mystère à ce sujet dans le seul but d’éveiller ma curiosité. Quand nous étions plus jeune, il m’en fit voir de toutes les couleurs : j’étais trop maigre, trop garçon manqué, insolente et aventureuse ; le genre de filles sans complexe, amourachée d’un bel héritier comme Gale. Au cours de nos vacances communes, Randal trouvait le moyen de l’exprimer, lui ce Seigneur qui avait visité tous les pays d’Europe, parlait plusieurs langues et ne fréquentait que le gratin mondain. Si Gale aimait à se distraire en ma compagnie, Randal contrairement à son frère me conspuait ouvertement. Plus encore quand je perdis ma virginité dans

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les bras de Gale. Du haut de mes seize ans j’avais assez d’affront pour laisser faire un adulte de vingt-et-un an. Le beau Gale sortait avec toutes les jolies filles du comté à ses pieds. Pourtant le déclic se fit quand il me révéla n’aimer que moi. Le lendemain Gale vint me trouver, effaré par mon comportement. Il me fit pleurer ce jour-là ; son jugement me tourmenta, l’amour selon Gale ne pouvait s’offrir en pâture. Les respectueuses restaient intègres jusqu’au mariage. Ce profond dégout pour ma personne se lit sur son visage et à cet instant-là, je découvris les affres du désir physique. Randal aurait du s’abstenir de jouer les prédicateurs de l’ordre moral. Et comme pour atténuer ses récriminations, il m’offrit un collier de perles dont bien vite je me débarrassais en l’offrant à une camarade de classe. Comme je quittais la bibliothèque, je vins à croiser Calvaert dans le grand escalier. Il descendait suivit par McGuire ; je les saluais brièvement quand arrivée en haut de l’escalier, Calvaert se trouvait être derrière moi. Mon cœur battait à cent à l’heure. « J’ai cru comprendre que tu venais avec nous au pique nique ? Il te voulait quoi Randal ? —Je ne m’en souviens plus vraiment. —Et j’espère que Gale ne t’a pas trop secoué ce matin. On pourrait aller faire du cheval toi et moi. Tu te prépare et on y va ! —David, si j’y vais ça ne sera pas avec toi. Je comprends que tu veuilles t’amuser en ma compagnie, dérogé à certaines de…. » Il arriva droit sur moi et me saisit le bras si fort que j’en eus le souffle coupé.

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« Ce n’est pas une récréation pour moi Dee ! Tu n’es pas une courtisane dont on peut disposer quand l’envie se fait ressentir ! Tu es la femme que j’aime et j’en ai assez de t’entendre aller dans leur sens ! —David, réveille-toi un peu ! Toi et moi ça ne collera jamais. Plus vite tu l’accepteras et plus il te sera facile de revenir à la réalité ! » Sans me lâcher le bras, il me tira à sa suite pour me coller contre le mur du premier étage entre une niche et la colonne de stuc. « Je vais te dire ce que je pense de tout cela. Tu auras beau faire ce qu’ils veulent que tu fasses, tu n’en seras pas moins heureuse. Un beau matin tu vas te réveiller avec des cheveux blancs et des tas de regrets Dee parce que tu auras laissé filer ta chance et pis que cela, tu seras une personne aigrie tout juste tolérée dans les diners de famille des Byron-Doyle en mémoire du bon vieux temps ! —Comme tu t’égares David ! Ecoutestoi déraisonner, tu devrais cesser de te comporter comme un trouble-fête et faire amande honorable à Gale qui jusqu’à maintenant s’est montré plein de condescendante pour toi ! —Non, mais je rêve ! Est-ce Gale qui t’aurait chargé de me délivrer ce baratin ? —Je m’efforce d’être aimable avec toi pour éviter toute nouvelle offensive, rien de plus ! Et toi tu te comporte comme un gens foutre ! —D’accord ! Tu marques un point. Je ne devrais pas être ici mais dehors à compter fleurette à Athéna mais vois-tu, je me suis lassé d’être celui qu’on attend que je sois.

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Toujours plein de commisération et… Non, tu ne peux pas comprendre ! —Comprendre quoi ? —Laisses tomber, ce n’est pas si tu arrivais à me comprendre, toi qui vit que pour plaire à cette famille. Gale claque des doigts et tu accours, c’est bien ça ? Alors je ne vois pas pourquoi je devrais continuer avec toi, tu n’entends rien à mes problèmes. Alors je n’insisterai pas, tu as certainement mieux à faire qu’o tolérer un imbécile comme moi ! » Il s’en alla et je ne vis rien pour le retenir. En colère il pouvait l’être et je ressentis du dégout pour ma personne. Comment pouvais-je être aussi affligeante ? On posa nos nappes à l’abri du vent, non loin de la plage. Un endroit idyllique baigné par la luminosité et la réverbération de l’océan ; dans cette crique dont on ne pouvait accéder que par une pente raide, on fut immédiatement dans le désir de se baigner, se prélasser mollement et chahuter ; déjà les garçons se poursuivaient en courant dans le sable, s’attrapaient par les cheville pour se faire tomber dans le sable. Assise près de McGuire, les lunettes solaires enfoncées sur le nez, je me perdis dans mes pensées. Craignant de m’ennuyer le bouquin de Wharton m’accompagnait et McGuire d’en étudier la couverture sans rien ajouter d’autre qu’un regard circonflexe. Force de constater que Calvaert et Gale avaient trouvé un terrain d’entente pour effacer leurs infantiles querelles. Ils riaient comme des petits fous à se poursuivre et se mettre au sol, vite rejoins par Connor et Hershey. Swift de son côté parlait avec les

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filles disposées en rang d’oignons à quelques mètres de nous, McGuire et moi. Puis les filles se mirent à crier comme des enragées quand il fut question de les mettre à l’eau. Elles se faufilaient entre leurs rivaux en gloussant. Athena et May se retrouvèrent projeter dans l’eau. Et Gale me fixa du doigt en souriant. Il approcha de moi avec cette unique intention quand Hershey le retint par la taille. « Viens la vieux frère ! Je n’en ai pas fini avec toi ! » En se lamentant les filles remontèrent à leur serviette, trempée comme des soupes. Ce spectacle me ravit. Elles avaient passé de si longues heures à se faire belles… Au fond de moi je jubilais. « Viens chercher tes cacahuètes ! », balança Mueller à Calvaert parti sécher Athena. Ils formaient un beau couple tous les deux. Il se montrait être si entiché que mon cœur se pinça à l’idée de ne jamais pouvoir connaitre cela. Je fouillais à l’intérieur de mon sac pour y dégoter mes clopes quand je me sentis quitter la terre. Swift m’avait soulevé telle une plume. J’aurais pu ne pas crier et paraître digne mais à l’idée de prendre ce bain forcé, qui plus est, toute habillée, je le maudissais déjà. « C’est l’heure de ton bain, Dee! Allez, on va à la flotte ! » Il me jeta dans l’eau froide. Je fus complètement immergée et but la tasse ; une fois la tête à l’extérieur, il appuya de nouveau pour me remettre dans l’eau. Je me suis débattue en riant, que pouvais-je faire d’autre ? Il a cherché à m’empoigner par le cou et moi, j’ai tenté de lui faire un croc aux jambes. A force de me marrer

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avec lui dans les vagues, je ne parvenais plus à respirer. « Non, mais je te promets que tu vas déguster ! » Il riait à son tour. « Et bien, viens me chercher ! Viens je t’attends ! » Il a réussi à me couler. J’ai bu la tasse pour la seconde fois. « Alors, tu es sûre ? Tu es certaine de ne pas vouloir sortir de ton bain ? Je savais que tu allais y prendre goût ! » Impassible et assise au fond de l’eau, je tentais de maîtriser ma colère. « D’accord….je me rends. —Ah non ! Ce n’est pas du jeu ! Tu savais bien que tu finirais à la flotte avec moi ! » Je restais un moment à regarder les mouettes danser au dessus des vagues, la tête soutenue par le bras. Comme il en fit de même j’en profitai pour me tirer le plus rapidement possible. « Oh la garce ! Sèches-toi bien Aubrey, parce que tu y retourneras bien vite ! » Ils avaient déjà commencé à faire tourner les bières et ouvert les paquets de chips. Calvaert venait de s’installer près d’Athena qui lui remettait une mèche de cheveux en place, Gale lançait le bocal de cornichons à Finn et quand Brianni vint retrouver son McGuire, je me sentis seule ; les célibataires comme O’Meara, Hershey, Tuisen, Finn, Mueller Et Wyatt ne m’inspiraient pas la moindre confiance. Dans les bras de sa Victoria, Swift ne me calculait même plus, trop à son aise pour remarquer mon désarroi. L’autre binoclard aux yeux de loupe me fixait sachant pertinemment que pour moi O’Meara rimait avec fasciste. A un moment mon regard croisa celui de Gale ayant pris le parti de trôner au milieu des nappes pour régner en parfait maitre de cérémonie.

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Hershey contre mauvaise fortune bon cœur s’installa près de McGuire. Athena et May firent gentiment le service. Il y en avait pour tout un régiment. Pas sûr que l’on finisse par tout manger. « Hey Connor ! Cela ne ressemblerait pas à ce que tu as entre les jambes ça ? Balança Hershey en brandissant une petite saucisse cocktail. —Vas chier Hershey, elle est sûrement plus grosse que la tienne ! » Ce commentaire fit voler une vague de protestation. « Ah, ah ! On pourrait presque oublier à t’entendre que tu n’es pas circoncis ! » Les filles protestèrent. « Vous ne pouvez pas parler d’autre chose pour une fois ? Déclara Athena. La question sur la taille de vos organes nous coupe l’appétit ! —Tu y as gouté au moins ? Goutes-y un peu Athena, tu pourrais y prendre goût ! Railla Hershey comme s’il se sentait personnellement visé. Monsieur avait un égo surdimensionné, plaisant qu’Athena vienne à le rabrouer publiquement. « Possible qu’elle ait déjà ce qu’il faille pour la contenter ! Coupa Calvaert. —Je l’espère pour toi Cal ! Tu sais ce qu’on dit des hommes qui n’assurent pas au lit ? —Non j’ignore complètement ce qu’on aurait pu te dire ! » Cette réplique me fit rire. Mon gloussement ne passa pas inaperçu et déjà Hershey matait de mon côté. « Et bien la réponse pourrait nous être apportée par une étudiante de Berkeley ! Aucune idée Aubrey ? —T’es sérieux là ? Questionnai-je sans le lâcher des yeux. Faut-il sortir exclusivement de Berkeley pour savoir que

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ceux qui en parlent à tort et à raison ne sont pas de bons amants ! Ne te sens pas visé Hershey, j’émets juste une hypothèse. Mais comme apparemment on ne t’a jamais appris à la fermer ! » Les rires fusèrent autour des nappes. « Elle vient de te tacler là ! souligna Swift, ravi que quelqu’un autre que lui vienne à lui fermer le clapet. —Bon, on peut arrêter ses insinuations, trancha McGuire. On pourrait presque se croire dans une cour de recrée ou dans les vestiaires d’un gymnase ! Grandis un peu Hershey et arrêtes de nous faire chier ! On pourrait espérer autre chose de toi, non ? » Son repas allait être gâté par l’intervention de McGuire ; on ne l’entendait pas souvent mais quand il s’exprimait c’était toujours pour ramener l’ordre auprès de cette petite tribu. Il y eut un silence pesant pendant quelques secondes avant que les filles ne se mirent à ricaner entre elles. Elles étaient toutes gaies comme des pinsons et même si les discussions ne venaient jamais de mon côté je me plaisais à croire le piquenique festif. Pour animer le repas Casey lança un jeu de mime. Ce dernier avait promis d’être gai mais là encore les gars trouvèrent à se prendre la tête. Cette fois-ci Swifty et Calvaert. Le problème demeurait la compétition. Il était difficile pour certains d’accepter les règles du jeu comme telles. Il existait toujours un rapport de force. Afin d’éviter tout autre conflit, on partit sur un autre jeu, certes plus calme mais moins passionnant que le précédent. Il fallait trouver des suites de mots sur un même thème. Plus les mots sortaient

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compliqués et plus les auteurs se gargarisaient d’avoir bluffé son public. Au plein milieu du repas, les filles ôtèrent leurs vêtements pour aller se baigner. Toutes sans exception. Devais-je aller les rejoindre ? « Qu’elles sont délicieuses nos sirènes ! Une belle brochette de naïades ! Bon ! Déclara Swift en se frottant les mains. Aubrey, ne t’ai-je pas promis que tu y retournes ? —Non ! Arrête tes niaiseries s’il te plait ! » En un temps record il fut sur moi et me souleva hors de terre pour me jeter sur son épaule. Je pestais comme une diablesse. « Alors, messieurs ! Qui veut un morceau ? Byron, qu’est-ce que je te mets avec ça ? C’est auprès de moi qu’il faut passer commande. Un tel morceau ne se refuse pas. —Reposes-moi ! —Putain, repose-la ! Tu vois bien qu’elle a la tête en bas ! Argua Calvaert, agacé par les agissements puérils de Swift. « Et bien comme Byron, n’en veux pas ! Désolée pour toi Aubrey. Je la livre à Cal, qui sera peut-être mieux tiré profit de cette superbe jouvencelle ! » Il me lâcha directement dans les bras de Calvaert. La chute fut vertigineuse et en recouvrant mes esprits, je vis que la blague n’avait pas amusé Gale qui serrait les lèvres, les sourcils froncés. « Arrêtes un peu avec ça, murmura McGuire. —Quoi ! On n’est pas là pour s’amuser ? Cal, viens avec moi à l’eau. On va aller taquiner nos belles ! —Vas-y tout seul, tu ne vois pas que je suis à finir mon repas ? » Swift partit après lui avoir administré une taloche à la tête.

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Quant à moi, je risquais d’avoir des ecchymoses partout, Swift m’avait vigoureusement empoignée. Pour ne pas faire germer le doute dans l’esprit des filles, je quittai à mon tour mes vêtements pour me jeter à l’eau. Je partis au large afin de pouvoir nager en toute quiétude. J’ignore pendant combien de temps je suis restée dans l’eau mais à mon retour tous disputaient une partie de baseball ; comme à son habitude McGuire se tenait en retrait des festivités et assis là, il me vit revenir. « Tu n’es pas avec les autres ? —Toi non plus ! remarqua-t-il froidement. Je ne suis pas bon joueur, crutil bon ajouter pour se justifier. Il me regardait me sécher les cheveux et répandre de l’huile sur ma crinière. « Tu dois trouver aberrant qu’on use de tant d’artifices pour paraitre toujours à notre avantage ! —J’ai grandi au milieu de femmes. Mes sœurs cadettes se bichonnent matin et soir. La maison des McGuire est en quelque sorte une institution à la gloire de la beauté féminine. Tu y serais acceptée telle une reine, sans artifice et dont le naturel prévaut au superficiel. » Ce n’est qu’une fois allongée sur ma serviette que je pris conscience de son intérêt grandissant pour mon cas. Randal avait raison : j’étais Eris, la reine de la discorde. D’autres se seraient glorifiées de ce succès mais pour moi c’était un poison qui me dévorait les entrailles. De retour au Cap North je me précipitais dans ma chambre pour me hâter d’enfiler une tenue propre à mon exercice équestre. Ne pas monter Blue Jean serait un terrible avilissement. Alors que les filles se

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refaisaient une beauté dans leur respective suite je pris le chemin des écries. Il faut croire que Blue Jean m’attendait puisqu’on me voyant il se cabra dans le paddock, la crinière au vent et partit dans un galop en exécutant toute sorte de pirouettes. Il serait à son aise dans les champs de notre haras et nos entraineurs seraient que faire de son entrain. Gale n’aimait pas ce cheval jugé trop capricieux. Il ne me montait jamais pour cette raison et après avoir posé le licol à Blue Jean je déposai un long baiser sur sa joue. Il tapa du pied et agita sa tête de haut en bas avant de chercher à fuir mon étreinte. Blue Jean comme Randal refusait mon amour ; il se montrait ému de me revoir et sitôt que je m’approchai un peu, il montrait des signes de nervosité en stoppant net des quatre fers, les naseaux dilatés et les oreilles dressées en arrière. Après ce bref rapport de force, Blue Jean accepta de se faire conduire au manège pour le choix d’une selle. Il savait qu’après l’exercice il aurait tout le loisir de profiter d’un jet d’eau sur ses pattes et d’un long pansage. « Tout va bien pour toi Dee ? » Gale me fit sursauter et Blue Jean renâcla, refusant le tapis de selle sur son dos. « Il est nerveux, hein ! Une sale bête ! Apparemment tu es la seule à pouvoir le monter. Tu devrais plutôt continuer à monter Pulsar, il est on ne pleut plus docile et lui ne manque pas de te désarçonner au premier obstacle. Vois comme il me regarde ! Il est insolent non ? Je l’ai payé une petite fortune mais ce fut un mauvais investissement. Nichols notre entraineur n’en a pas voulu. Pour te dire. Mais lui semble t’apprécier on dirait. »

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Le tapis posé je m’occupai de la selle et c’est le moment choisi par Gale pour me saisir par la hanche et me serrer contre lui. Ses mains se posèrent sur les miennes tandis que je serrai les sangles. J’avais à peine terminé qu’il posa ses lèvres sur mon cou. « Oh, Aubrey ! Donne-moi ta bouche…. » Il souleva mon menton pour passer à l’acte. « Juste un baiser. » Et je baissai mon front, assez pour qu’il y apposa ses lèvres. « Je t’aime. » Cette déclaration jeta le trouble dans mon esprit. Sans rien répondre je finissais d’harnacher Blue Jean et Gale, la tête dans mon cou, humait mon odeur au point d’en avoir une érection. « Pourquoi ne réponds-tu rien ? Ne m’aimes-tu pas comme je t’aime ? —Non, je ne t’aime plus suffisamment pour m’abandonner à tes bras. —Mais qu’est-ce que tu racontes ? Aubrey, regarde-moi ! Regarde-moi ! Oses seulement dire que tu ne m’aimes plus après tout l’amour que j’ai pour toi ! —Et bien, je ne t’aime plus Gale, disons de manière physique. Je n’ai plus t’attirance sexuelle pour toi et cela vaut mieux pour nous deux. —Pourquoi ? Est-ce à cause de David ? Je ne peux pas croire que cela soit terminé. Tu te barre en Californie et je te suis resté fidèle pendant tout ce temps. Si tu ne me crois pas alors renseignes-toi auprès de McGuire ou de Swift. Les tentations fut grandes mais je n’ai jamais franchi le pas pour toi ! Tu ne peux pas me dire sur un coup de tête que ce que nous avons construit pendant des années n’est plus, c’est cruel.

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—Pourtant c’est la vérité, répondis-je de façon détachée, le cœur sec comme la pierre. On ne s’est rien promis et tu es tout à fait libre de t’amouracher de la première venue pourvue qu’elle ne te fasse pas souffrir. —Qu’est-ce que tu raconte là ? Je n’ai pas l’intention de passer à autre chose parce que moi je t’aime ! Tout ce temps tu fus ma femme, l’unique en qui j’ai une grande confiance ! » Et je montai sur le dos de ma monture avant de me pencher vers Gale. « Il est temps pour toi ‘aller trouver Casey pour lui dire à quel point tu tiens à elle. Et rends-la ’heureuse comme tu m’as autrefois rendue heureuse ! » Tard dans la nuit, la porte du salon se trouvait être entrebâillée et la lumière en sortait. Randal y prenait un café à la lueur tamisée de la lampe à l’abat-jour doré. Il étudiait là et sans relever le nez de sa feuille me parla par-dessus le papier, un bon jazz tournait en fond sonore : « Je te croyais être à dormir, comme tous ici d’ailleurs. Viens s’il te plait et ferme la porte derrière toi... Comment s’est passé ta journée ? Tu veux me la raconter ? —Non. J’étais sur le point d’aller me coucher. —Tu étais dans le parc à l’instant ? —Oui. —En robe de chambre et nu-pieds ? » On ne pouvait rien lui cacher. J’aimais à sortir quand plus personne ne se trouvait être dehors. Randal me désigna le salon dans lequel je pus m’assoir, les jambes sous les fesses et les bras croisés sur ma poitrine. Il s’assit face à moi, les lèvres closes et les mains jointes devant son nez

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m’étudiait avec intérêt, dissimulant avec peine son sourire. « Ma journée fut catastrophique. —Quoi ? Vous n’aviez plus assez de cigares pour accompagner votre brandy ? » Il partit dans un franc éclat de rire. « Non, j’ai manqué de clairvoyance pour des sujets relatifs à la chambre des représentants. Je m’étais figuré que e travailler loin de Washington me permettrait d’avoir une inspiration moins matérielle. .mais j’avoue ne pas être en accord avec mes subalternes et l’outil téléphonique parfois ne suffit pas. Et toi, ta journée ? —Le pique-nique fut plutôt réussi. Ensuite j’ai fait courir les chevaux pour ne terminer qu’à vingt et une heure. J’ai pris un bain après quelques longueurs ans la piscine et je suis redescendue dans le parc pour marcher à travers les bosquets. Voilà ce qu’il faille savoir de ma journée. —Tu n’es pas heureuse ici et j’en suis navré. Mais sache que ce que tu as dit à Gale était nécessaire. Il se devait de l’entendre de ta bouche. —Et maintenant ? Je suppose que vous allez enfin vous féliciter de vous être débarrassé de moi, toi et cette Denton ? Elle pourra maintenant se rassurer de penser que son beau-fils épousera la belle Crowley ! » Gale ne répondit rien, le regard lointain comme imperceptible. Il se mit à pleuvoir. Une abondante averse qui obligea Randal à fermer les fenêtres donnant sur la terrasse. Il revint s’assoir dans son moelleux fauteuil, je n’avais pas bougé d’un poil, perdue dans mon étude d’un vase posé devant l’âtre vide. Il profita de

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cette occasion pour se pencher plus avant, en appui sur ses avant-bras. « Tranquillise-toi, tu auras toujours ta place parmi nous. Pourquoi cela devrait changer, hein ? Trouve-moi un argument valable que je puisse considérer. Donc tu n’en as aucun. Ton embarras ne peut-être justifié. As-tu contacté ton frère concernant notre cheval ? —Oui mais il ne peut se dégager maintenant. Il doit penser qu’une McGowan est bien suffisante pour représenter la famille au Cap North. Il m’a demandé de juger de la suite à prendre. Blue Jean est un bon cheval mais je doute qu’il puisse être un champion compte tenu de son caractère. Il fera toutefois un bon cheval de course mais investir autant d’argent ne sera rentable. Il aurait valu réagir quatre ans auparavant. —Alors fais-en ce que tu veux, Gale ne veut plus de lui. il envisage de le vendre pour se procurer un cheval de selle qu’il remettra à Casey le moment voulu. Et il me charge de lui trouver une jeune pouliche qui répondra aux mieux à toutes ces exigences. —Il a de la chance de t’avoir pour frère. » L’ébauche d’un sourire apparut sur ses lèvres et dans cette semi-pénombre son visage prit un teint lumineux comme recouvert de nacre. « Pourquoi dis-tu cela ? Est-ce en rapport avec les chevaux ? —Ah, ah ! Oui, mais pas seulement, rétorquai-je le regard fuyant. Tu es toujours là quand il a besoin de toi et cela lui est nécessaire. —Tes frères agiraient de même pour toi. John se couperait les veines pour toi. Il est

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de loin celui qui me ressemble le plus et vos rapports fraternels sont des plus enviables. Il sera difficile pour toi de te trouver un époux à la hauteur, quelqu’un qui puisse donner au change car après une telle fratrie en plus du duo que nous formons Gale et moi, la barre va être placée haute. Je préfère penser qu’il n’est pas né celui que tu épouseras. » De nouveau j’éclatai de rire avant de tournicoter une de mes mèches entre mes doigts. Après lui avoir demandé une cigarette, il m’alluma et nous restâmes un instant à nous fixer ; lui me dévorait des yeux et moi je m’arrêtais sur ses lèvres entrouvertes prêtes à accepter mes passionnés baisers. Puis il se cala au fond de son fauteuil, perdu dans sa contemplation et derrière les volutes de fumée de cigarettes, mon orgueil gonflait. Il me regardait comme il m’avait toujours regardé ; ce regard familier me stimulait et plus encore quand Randal l’accompagnait d’un de ses sourires dont il avait lui-même le secret de fabrique. « On me demande de rentrer le plus rapidement possible pour partager mon expérience auprès d’un jeune Représentant de la Chambre tout prédisposé à recruter une nouvelle secrétaire pour son cabinet. Ton nom pourrait être évoqué. Qu’est-ce que tu en penses ? —Je suis très flattée Randal mais…. —Mais il y a Jeffrey Mulligan n’est-ce pas? Il faut admettre qu’il est très convaincant et j’ignore ce qu’il t’a promis à Berkeley mais sache que tu ne perdras rien à travailler dans ce domaine où les places sont rares donc très convoitées par les armées de petits soldats aspirant au titre de généraux depuis leur nomination à

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Harvard, Yale et Princeton. Tu pourrais y faire carrière et cela serait tout à ton honneur. Cela n’exclura pas le fait que tu puisses écrire en parallèle. A ce sujet, Gale me dit que tu es sur le point de pondre un essai passionnant. —Je vais y réfléchir, murmurai-je pleine d’entrain. Il n’y a que toi Randal à te montrer si imprévoyant. Contrairement à toi je ne suis pas issue de ce milieu de politicien dont la lignée d’hommes blancs et protestants fait écran à toute invasion de gens issus de la middle-class dont je suis la digne représentante. —C’est le genre de discours que j’aurais voulu ne pas entendre de tes lèvres. Tu as été élevée ici, nourri ici et tu as lu les mêmes livres que nous ; tu as joui de la même éducation que la nôtre et maintenant, tu mets un frein à ton élévation. Pourquoi donc? —Je suis tout à fait lucide des chances et de toutes les opportunités que j’ai eu à fréquenter votre famille mais jamais je ne serai comme une autre de vos fréquentations. J’aurai beau faire tous les efforts du monde pour ressembler à l’une ou l’autre de vos charmants amis logeant à l’étage du dessous, je ne serais jamais assez bien pour ton ami, représentant de la chambre ! » Il se tenait si près de moi que je pus distinguer les paillettes d’or tapissant son iris. Ses yeux se posèrent sur mes lèvres. « Où veux-tu en venir ? Sois plus précise. —Tu sas très bien ou je veux en venir ! Ce mépris que j’affiche si ouvertement est la seule façon que j’ai de me préserver d’éventuelles retombées visant à jeter l’opprobre sur ma famille. »

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Il soupira avant de répondre. « Jamais cela ne se produira tant que tu seras près de nous. Nous ferons rempart contre les médisants et les détracteurs, ensemble nous lutterons contre tous ces réactionnaires et tu continueras à dormir sur tes deux oreilles, Dee. Alors je ne vois toujours pas où est le problème. —Oui, tu as raison. Je réfléchis parfois un peu trop. —Cela n’est pas un mal, au contraire. Cela prouve que tu es réfléchie et que tu ne prends aucune décision à la légère. J’aimerai vraiment que tu considère mon offre comme juste et ensuite que… » D’un bond je me retrouvais être sur ses genoux, la bouche sur sa joue. Dérouté car prit de court il me laissa faire. Ce baiser n’avait rien d’un baiser anodin, c’était là la démonstration tangible de mon amour pour Randal. Crispé il l’était et peut-être ne m’entendit-il pas lui dire « merci ! » puisqu’il ne répondit rien, faisant en sorte de ne pas me toucher. Ainsi lovée dans ses bras,,, la tête posée sur sa poitrine, je fermais les yeux pour mieux savourer cet instant. « Merci Randal pour ce que tu fais pour moi. Jamais je ne trouverais à te remercier ! » Le pan de ma robe de chambre glissa et dévoila ma cuisse. Randal eut ce geste de recouvrir ce bout de peau quand je m’emparai de sa main pour la laisser seule et la caresser. Elle était chaude et douce. J’eus envie de lui. Comment ne pas en éprouver une quelconque attirance ? Randal était si beau et si touchant. Cette situation fut irréaliste. Les larmes inondèrent mes yeux. on resta un long moment l’un sur l’autre. Randal me

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caressait les cheveux et j’adorais cela. Des milliers d’images assaillirent mon esprit. Dans tel contexte on reste éveillé dévoré par le désir mais moi je vins à m’endormir, ayant complètement lâchée prise dans les bras de mon aimé. « Combien de temps ai-je dormi ? Tu aurais du me réveiller…. —Tu dormais si bien que je n’ai pas osé. Cela ruait été cruel de ma part. —J’ai l’impression d’avoir dormi un siècle. —Dix minutes à peine. Il faut croire que tu en avais besoin. Mais je t’en prie, reste un peu, tu ne me dérange pas. » Je ne me fis pas prier. « M’en veux-tu encore ? —A quel sujet ? —Et bien d’être sortie avec Gale ? —Il est mon frère je ne peux lui en vouloir. Tu as fait son bonheur et un jour, celui d’un autre, argua Randal en me maintenant fermement contre sa poitrine. Au départ, il fait l’admettre, j’étais un peu réticent à cette idylle compte-tenu de ton jeune âge et de tes facultés d’analyse un peu limitées. Mais au fil des années tu as réussi à me convaincre par ta constance et ton attachement pour mon frère. —Alors tu ne m’en veux pas ? J’ai toujours pensé que tu m’en avais voulu. » Il ne répondit rien, froissant du bout des doigts le pan de mon kimono de soie bleuroy. Il me serra plus fort encore jusqu’à ce que je me retrouve blotti contre son torse et là, il me baisa les cheveux. Cette scène me transporta vers d’autres cieux ; sentir sa vulnérabilité m’émut, il ne faisait pas que m’embrasser, il exprimait un cet instant tout ce qu’il n’avait pu faire au cours de ces précédentes années où j’étais

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officieusement celle de son benjamin. Nos mains s’entrelacèrent. J’en eus le souffle coupé. J’attirai sa main vers mon visage et ce contact me tira des larmes de plénitude. « Je ne peux pas continuer à te caresser. Je vais avoir envie de toi, tu comprends ? —Et c’est mal ? M’informai-je en le sentant se raidir sous la caresse guidée par ma main. —Oui, c’est mal. Je t’apprécie beaucoup mais je ne peux abuser de ton chagrin. Tu viens à peine d’accepter le fait que Gale ne t’appartient plus et je suis son frère. On pourrait me le reprocher par la suite et je ne cherche pas à lui causer le moindre tourment en me montrant grossier envers toi. Il vaut mieux qu’on en reste là pour ce soir, tu ne crois pas ? —Oui, séparons-nous. » Son regard le trahissait. Le moindre baiser ou nouvelle caresse risquerait de le faire explose de plaisir. Comme l resta sans bouger je sus que son entrejambe demeurait la cause de son embarras. Son pénis d’ordinaire long occupait cette fois le tiers de sa cuisse et lui n’aurait pu dissimuler cette érection à la face du monde. « Permets-moi de rester un peu avec toi. » Il ne répondit rien, las mains jointes devant et coudes posés sur l’accoudoir, Randal cherchait à paraitre décontracté. Quand à moi mon œil restait irrémédiablement attiré vers son pénis aussi long et épais que celui d’un étalon promit à une magnifique saillie. « A moins que tu veux que je m’en aille, comte tenu du fait que je ne devais pas me trouver être ? —fais ce qu’il te plait de faire, Dee mais sache que tu ne me dérange pas.

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—Il se fait tard. Je vais aller me coucher. A demain Randal ! » En gagnant l’escalier une silhouette noire se détacha du fond du couloir et apparut David. Là où je me trouvais être l’on ne pouvait se louper et lui avec désinvolture marcha vers moi. « Toi, non plus apparemment ! L’insomnie occupe chacun de nous autres auteurs. Tu étais avec Randal ? —On ne peut rien te cacher. Et toi, tu trainais ici dans l’espoir de croiser mon chemin ? —Oui, c’est exactement ça. Je trainais dans les couloirs de ce manoir dans l’espoir d’un soir croiser ta route. Alors on peut dire que ma patience a payé. » Cette remarque ne me fit plus sourire. Il disait cela dans le but de me rendre folle, sans plus en douter. « Et maintenant ? —Et maintenant quoi ? —Tu es la petite amie de Randal ? Maintenant que Gale court après une autre, tu vise plus haut, comme son ainé dont on ne lui connait aucune relation sentimentale à ce jour. Je ne peux pas t’en laisser t’en tirer comme ça. —Et pourquoi onc ? C’est pour moi la seule chance de me distinguer. Maintenant je monte me coucher, la fatigue commence à se faire ressentir. »

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CHAPITRE Le train partit pour neuf heures. Deux heures plus tard je fus à Washington D.C pour être introduite dans le cabinet de Mulligan, pendu à son téléphone, un long appel vers new York d’après sa secrétaire. Comme vous pouvez vous en douter, j’étais enthousiaste à l’idée de commencer avec Jeff. Il me tendit une chaleureuse poignée de main, sans me lâcher des yeux. « Miss McGowan ? Ce chapeau est des plus exquis. Je vous imaginais plus… enfin moins coquette. Tous ceux qui postulent ici sont stéréotypés, tous correspondent à un certain moule qui renvoie à ce qu’on attend d’un bon pigiste : discrétion et confiance. Et quand je vous observe, vous ne semblez pas vous prêter à ce poste de chroniqueur. Entrez s’il vous plait ! Sylvia, pas d’appels avant une petite heure s’il vous plait ! Déclara de dernier à sa secrétaire. Je peux vous proposer quelque chose à boire ? Un verre d’eau par exemple ?» Il fila à son bar et servit deux verres. La décoration n’avait pas changé ; un style assez hétéroclite et très conventionnel toutefois. Il me tendit un verre d’eau plate et se s’assit devant moi, dans son petit salon face à des persiennes ; murs lambrissé et aux lourds rideaux de velours complétaient cette décoration coloniale. « Miss McGowan, je vais être franc avec vous. Le poste que je convoitais pour vous au Washington Post a été pourvu. » Je tombais de haut. Ce fut pour moi la douche froide. Comment cela pouvait-il être possible ? J’avais appelé la veille afin de confirmer le rendez-vous et aucun

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moment on eut la politesse de m’avertir de cette absence de poste. « Je suis discrète et confiance, M. Mulligan. —Je n’en doute pas. Mais ce n’est pas ainsi que je vous imaginais. Nous avons conversé de longues heures au téléphone et échangé bons nombres de courriers mais j’étais vraiment loin de me douter que.. ce poste ne peut convenir à une femme aussi distinguée sue vous. En toute franchise vous semblez plus taillée pour travailler dans un centre de beauté ou près d’un grand joaillier. Tenez Cartier recrute en ce moment ! Vous pourriez tout à fait envisager une carrière dans cette branche, celle du luxe et de la mode ! —Vous vous fichez de moi ! Je suis diplômée de Berkeley et majeure de ma promotion ! Si vous n’aviez pas cru en mon talent alors vous ne m’auriez pas répondu à un seul de mes courriers. Pour moi votre réponse n’est pas recevable. Accordez-moi plus de temps pour vous convaincre et mettez-moi au défi mais je ne peux quitter Washington bredouille alors que vous-même avez apporté tant d’attention à mes écrits. —Oui je dois l’avouer. J’ai été impressionné par votre talent, votre concision et votre capacité à décrire les caractères mais cela ne suffit malheureusement pas dans ce milieu machiste, perfectionniste et qui plus est au Washington Post où la compétition entre collaborateurs fait rage. Cependant si vous tenez tant à percer ans ce milieu libre à vous d’aller essayer dans un autre groupe ! —M. Mulligan, je…. —Oui je comprends que vous soyez vexée, terriblement contrarié par tout ça

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mais comme je vous l’ai dit dernièrement au téléphone j’avais eu besoin d’une réponse immédiate et vous avez malheureusement taré. —Je ne vous crois pas. C’est absurde ! —Vous remettriez ma parole en doute ? Miss McGowan je prends sur mon temps pour me montrer courtois envers vous alors ne dépassez pas les limites. Je n’ai pas de poste en ce moment, absolument rien à pourvoir. —Si c’est pour une question de salaire, je suis prête à accepter d’être payée moins que le taux horaire indiqué. Je peux m’en sortir autrement mais je tiens à travailler ici même si vous n’aviez qu’un poste de balayeur mais je refuse de partir bredouille M. Mulligan ! » Et à midi, mon frère John m’attendait pour le déjeuner dans un endroit à la mode de la capitale. On s’embrassa avec chaleur. « Comment va ma sœur adorée ! » Etranglée par l’émotion je le serrai fort dans mes bras. « Dis-moi que je peux être fier de ma sœur ! Tu as signé au Washington n’est-ce pas ? —Non, je n’ai pas eu le poste. —Es-tu sérieuse ? Questionna John le visage déconfit. Mais je croyais que tu l’avais dans la poche ? Que s’est-il passé Dee ? —Comment pourrais-je le savoir ! Mulligan m’a dit que le poste était pourvu et il m’a encouragé à trouver un emploi ailleurs. —Et comment est-ce possible ? —Je ne veux plus en parler Johnny, rétorquai-je au bord de la crise de larmes. —Comme tu voudras. Mais tu tiens toujours à rester quelques jours ici ! Tu sais que tu as ta chambre à la maison et ton

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neveu sera content de te voir. Même s’il ne parle pas encore, je l’entends tous les matins te réclamer à travers ses gazouillis. Il serait dommage de le priver de ta présence alors acceptes mon invitation. » On se quitta sur le quai de la gare. Un billet acheté par John pour arriver en fin de journée sur la côte atlantique. Entre temps Stanfor prévint Randal de mon arrivée et nous devions diner ensemble dans un bar à pilotis donnant sur la baie. On m’installa devant une cheminée vide dans un de ces confortables fauteuils à oreilles. Randal arriva avec dix minutes de retard et quand je le vis arriver, la nausée me monta aux lèvres. Pas un sourire de mon côté. « Comment vas-tu Aubrey ? Questionna ce dernier des plus décontractés. Tu as eu raison de ne pas m’attendre. » Agacée je soupirai en regardant sur le côté, pianotant sur l’accoudoir de mon fauteuil, sans décroiser les jambes. « J’ignorai que tu reviendrais de sitôt. —Moi aussi figures-toi ! Seulement c’est un cas de force majeure. Je viens pour boucler mes valises et me tirer au plus vite de votre mauvaise influence ! —Qu’est-ce que tu racontes, Dee ? —Ne fais pas semblant de ne pas savoir. Je n’ai pas obtenu le poste au Washington Post et cet empaffé de Mulligan a eu le culot de me que le poste avait été pourvu après m’avoir balancé des absurdités sur des généralités dans le sens propre m’a échappé. Seulement vois-tu j’ai déjeuné avec mon frère John et il a fallu un simple coup de fil pour savoir que les ByronDoyle avait trouvé à saper mes projets. Jamais je n’aurai pensé cela de vous et encore moins de toi Randal, c’est si vil !

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—J’ignore de quoi tu parles Dee, vraiment, je ne sais pas de quoi tu parles. —Peu importe, le mal est fait ! Je suis grillée dans ce milieu. Je suis sans emploi et ridiculisée à jamais ! Je prendrais le temps de vous haïr une prochaine fois, en attendant John accepte de récupérer votre cheval. Une voiture passera le prendre demain. Maintenant laisse-moi à mon café ! » Plongée dans mon livre je ne le voyais plus ; tout ce que je voulais c’était qu’on me fiche la paix. Randal fumait sur la terrasse surplombant la plage et son beau couché de soleil. Je l’y rejoignis. « Sais-tu pourquoi j’ai choisi cet endroit ? On n’y a fêté l’anniversaire de Keith il y a dix ans de cela maintenant. Mais je suppose que tu ne t’en souviens pas. Tu as toujours été très suffisant. Tu prenais les gens de haut avec ton parfait mépris. Tu ne parlais jamais à mes frères et le soir où l’on a fête l’anniversaire de Keith tu étais plongé dans ton livre. Il n’y a rien d’étonnant au fait que Keith ne veuille plus entendre parler de toi. —Oui, le fat est que c’’est mérité. Accepte mes excuses Dee. Demain j’appellerai Mulligan pour repérer ma bêtise. —Qu’est-ce qui t’a pris d’agir ainsi ? » Il tourna la tête pour me regarder. Randal ne savait pas mentir. Je venais de lui dire des choses affreuses et maintenant je m’en voulais. « Sois sans crainte, j’appellerais demain. Merci encore pour le cheval. Passes une bonne soirée d’accord et ca va s’arranger. » Il s’en alla et je restai à contempler le ressac des vagues sur le littoral. Une heure

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plus tard je quittai le bar pour rentrer à pied chez mes grands-parents. Je n’avais pas prévu la pluie. Des rafales et une pluie diluvienne s’abattit sur la côte ; trempée comme une soupe je marchais le long de la chaussée, mon pardessus relevé sur la tête. Une voiture klaxonna, les feux sous cette averse opaque semblaient inutiles. « Monte dans cette voiture, Dee ! » C’était Randal et en courant je fis le tour du véhicule pour monter à bord. « Où estce que je te dépose ? —Chez mes grands-parents ! —Ce n’est pas à côté, tu aurais bravé cette pluie pour regagner leur maison ? —Sauf que toute à l’heure, il faisait beau. » Il roula au pas concentré sur sa route. « Cela fera des histoires à raconter à nos petits-enfants, tu ne crois pas ? Ils auront matière à s’amuser en écoutant nos mésaventures. —Du genre ? Il serait plus prudent que tu te gare sur le bas-côté, on ne distingue vraiment plus rien. —A vos ordres, princesse ! » Une fois à l’arrêt, on resta silencieux ; lui les mains sur le volant et moi fixant la pluie dense s’battre sur la côte. J’ouvris mon sac pour en sortit une coupure de journal. « Je me suis procuré un journal provenant du sud, de l’état d’Alabama. Il y a là-bas un juge, un dénommé Kingsley. Il devrait obtenir le prix Noble de la paix pour toutes les actions qu’il instaure et… —Je t’arrête tout de suite Dee, je ne veux pas parler de cela avec toi, pas maintenant ! —Et pourquoi ? Tu sais que j’envisage d’être journaliste et vous autres vous vous

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fichez bien de ce que j’ai à raconter sous prétexte que j’ai grandi dans la banlieue blanche de Raleigh et que j’ai fréquenté les meilleures écoles de ce pays ! Pourquoi ma voix ne compterait-elle pas ? Mulligan m’a tenu ce même type de propos et cela m’a révolte. —Dee tu sais bien que je prends acte de tout ce que tu me raconte mais là, maintenant, je voudrais te parler d’autre chose. Dans un monde idéal tu vivrais à mes côtés sans plus te soucier de ton avenir. On aurait une multitude de projets toi et moi. —Oui, dans un monde idéal, répétai-je la gorge nouée. Je voulais te lire le texte de ce juge mais… Randal je t’apprécie beaucoup moi aussi. » Et je fixais mes genoux sans oser le regarder. Il gloussa avant d’expirer profondément. « Ce n’est pas simple, Dee. Cependant si nous y croyons assez fort alors nous pourrions renverser certaines barrières. —Et comment t’y prendrais-tu ? Tu ne fais strictement rien pour que cela change. Je te connais Randal, tu agis uniquement pour satisfaire aux exigences de ton père et tu es le parfait homme qu’il voulait que tu sois. Tu ne seras jamais un fardeau pour personne et… excuses-moi…je ne sais pas pourquoi je pleure, déclarai-je en essuyant mes yeux. On va supposer que je suis contrariée par cette journée. —Il y a de quoi l’être. Nora a repris le service ce matin, peu après ton départ. La maison est différente quand elle se trouve être là. —Alors tu insinues que je sème le chaos ! —Essayes de te détendre Dee.

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—Je ne peux pas y arriver, tout se précipite dans ma tête ! J’ai beau essayer de me calmer… je ne peux pas, c’est audessus de mes forces. » La tête entre les jambes je pleurai, le corps secoué de tremblements. La main de Randal caressa ma nuque, ce geste ne suffit pas pour m’apaiser. Cela devait m’arriver. Les bras croisés je me balançais d’avant en arrière ; Randal m’attira contre lui pour déposer un long baiser sur mon front. « Tu es ma petite Dee, J’aimerai que… que tu sois heureuse près de moi. —Quand ? Avant ou après ta nuit de noce avec cette De Grant ? J’ai aimé ton frère Randal et voilà comment il me récompense en ternissant ma réputation ! Je m’étais figurée à tort que nous pourrions rester de bons amis mais cela me parait être impossible aujourd’hui. Il est là à me parler d’amour, poursuivis-je en reniflant, et je suis naïve de penser qu’il m’aimera toujours, du moins autant qu’avant. Randal ne sois jamais amoureux ou bien tu connaitras les affres de l’amour. —C’est un risque que je prends, il en vaut la peine. Je suppose que c’est ce que Clive et Nora ont trouvé à se dire au jour de leur rencontre, ainsi que vos parents. Ils se sont dit que cela en valait la peine. Ils ont cru en leur amour et ont triomphé. Ils n’ont rencontré aucun obstacle sur leur route. —Comment le sais-tu ? Questionnai-je mon regard plongé dans le sien. Ils ont essuyé des injures raciales et si Clive ou bien Earl n’avait pas été blanc alors il n’y aurait pas eu de mariage. Interroge Nora pour savoir ce dont elle a vécu, elle et ses fils quand Clive ne rentrait que le soir !

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Elle a du supporter de longues heures d’angoisse à se demander si ses enfants connaitraient un jour un monde de paix ! —Si un jour tu as l’intention de te marier, alors tu comprendras que ces craintes soient fondées. —Je n’ai pas dit le contraire ! —Je venais de faire mon entrée à Harvard et toi tu finissais ta croissance dans une institution de bonne famille de la Caroline du Nord. Tu avais déjà à cet âgelà un sacré tempérament et tu faisais tourner Gale en bourrique et lui s’exécutait comme le plus loyal des valets. Cela me mettait dans une rage folle de le voir ainsi se plier en quatre pour une adolescente aussi tyrannique que toi. Tu ne cessais de le houspiller en lui disant qu’il n’était qu’un bon à rien. Enfin bref. Un jour qu’il devait suivre des cours particuliers, Nora m’a dit que tu apprécierais te promener en ma compagnie. Ce fut vraiment à contrecœur que j’ai accepté de te sortir. Pour moi tu n’étais qu’une gamine effrontée et comme Nora me l’était demandé si gentiment, je me suis donc exécuté. En chemin tu me regardais comme un pestiféré, comme un monstre de foire et tu marchais à dix mètres devant moi. Et puis arrivée sur la plage, tu as voulu te baigner. Tu m’as dit que si je ne t’accompagnai pas, j’étais un dégonflé. Alors je t’ai suivi dans les vagues. Il s’est alors mis à pleuvoir. Une belle averse comme aujourd’hui. Tu étais heureuse et je n’arrêtais pas de te regarder. Mon père ne cessait de me dire : Tu vas réussir à Harvard fils, là-as-tu te feras des contacts, tu seras une personne respectée. Ensuite il te suffira d’aller n’importe où pour que l’on te reçoive avec tous les honneurs dus

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à ton rang. A aucun moment il ne m’a parlé de bonheur et encore moins d’amour. J’ai nagé avec toi au large et alors j’ai compris que je pourrais être riche, fortuné mais que ma vie serait triste sans amour. Et puis on est rentré. Nora nous attendait dans la cuisine et m’a alors demandé comme s’était déroulée cette ballade. Que crois-tu que je lui ai répondu Aubrey ? —Je n’en sais rien. —Je lui ai dit que ce fut pour moi une incroyable découverte car je venais comprendre l’essence même de notre existence sur terre. Elle a pris un air surpris avant de me serrer dans ses bras Depuis cet instant je me félicite d’être un Byron-Doyle. » Je me perdis dans mes souvenirs. « Si on est au confidence, alors il faut que tu saches que j’ai tout fait pour attirer ton attention. Tu nous ennuyais sérieusement à lire comme tu le faisais. Tu ne sortais jamais de tes livres. Un jour n’en pouvant plus de ton indifférence pour nos jeux, j’ai pris deux de tes livres préférés et je les ai déchirés dans le seul espoir que tu te fâches contre moi. Il y avait des morceaux de tes livres partout dans le couloir et jusque dans ma chambre mais c’est contre ton frère que cette colère s’est portée. Gale s’est laissé accuser. J’avais lamentablement échoué. A partir de ce jour j’ai arrêté de te provoquer. —Je savais que c’était toi. —Alors pourquoi n’as-tu rien dit ? Je t’ai même écrit une lettre d’excuse mais tu n’as jamais daigné m’en parler. —J’ai toujours cette lettre dans l’un des tiroirs de mon secrétaire. C’est ma pièce à conviction. Je l’ai faite lire à Gale et il la trouvée remarquable. Il n’a jamais cessé de

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te trouver merveilleuse ! Il a toujours eu du vocabulaire pour te décrire. —Et tu ne lui en as jamais voulu du fait que je l’eusse préféré à toi ? —Non. Un jour tu m’as dite une phrase touchante : Mon cœur est assez grand pour aimer mes frères, par conséquent il y a aura toujours une place pour toi dans mon cœur. Du haut de tes quinze printemps tu arrivais à nous rendre ridicule. Je n’ai jamais pu en vouloir Gale de t’aimer, comme je ne peux lui en vouloir d’avoir ton amour. Il a été le premier à te voir tel que tu es. —Randal je dois te faire une autre confidence… c’est moi qui est traficoté le moteur de ta voiture pour que tu ne puisses pas démarrer et rester près de moi un jour de plus. C’était stupide de ma part. La voiture n’a jamais plus fonctionné correctement après ce sabotage. J’aimais beaucoup Gale mais tu me plaisais davantage parce que tu prenais parti de tout. Et puis un jour tu es revenu de Boston avec ton diplôme en poche et tu as posé ta main sur mon épaule pour me dire que tu ne serais pas y arriver sans moi. Et ce compliment m’a grisé pour les années à venir. » Il attrapa ma main qu’il serra ensuite dans la sienne. « On dirait qu’il a cessé de pleuvoir, déclarai-je comme pour mettre un terme à nos confidences. Peux-tu me déposer chez Clive ? » Clive recevait un de ses plus vieux amis. Un ancien employé de la Maison Blanche, un Afro-Américain grisonnant et amical à souhait. Ce dernier en nous voyant se précipita vers nous avant de gagner la porte disant avoir abusé de l’hospitalité de mon grand-père.

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« Asseyez-vous les enfants ! J’accompagne Owen à la porte et je reviens. Détendez-vous, je reviens! » Randal ne s’assit pas, il se contenta de rester debout derrière moi jusqu’au retour de mon grand-père. « Il me reste un peu de café Randal et je sais que tu aimes qu’il soit corsé. Et toi ma chérie, une bonne tasse de thé te ferait-il plaisir ? Nora ne part jamais sans en faire, je vais aller le réchauffer de ce pas. Assieds-toi fiston, tu ne paieras pas plus cher ! » Clive revint un plateau devant lui qu’il prit soin de poser sur la table basse. « Alors Dee, comment s’est passé ton entretien à la capitale ? Nora n’a cessé de me tire combien tu ferais une parfaite éditorialiste. —Je n’ai pas eu le poste. —Une prochaine dois peut-être, répondit Clive perdu dans ses pensées. Et comment va votre père Randal ? J’ai entendu dire qu’il descendrait prochainement, ce qui a précipité le retour de Nora au Cap North. Ce qui n’est pas une mauvaise chose compte tenu du fait qu’elle ne sait rester en place. —Mon gouverneur de père se porte bien. Oui, il avance son séjour de quelques jours de façon à être frais pour les élections sénatoriales. Il s’agit pour lui d’un devoir face aux citoyens de la Caroline.» Le silence s’installa entre nous. Randal paraissait être très gêné non pas de se retrouver chez Clive mais de part ma présence, elle seule le troublait. Clive le fixait, les doigts posés sur sa joue comme s’il souffrait d’une douleur dentaire. Il n’aurait pas été du genre à se plaindre, étant capable d’encaisser la douleur mieux

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que quiconque. Après le décès de son cadet Keith, il a su rester de marbre. Jamais je ne l’ai vu se lamenter ou se plaindre, pleurer ou invoquer Dieu. Randal avala son café et posa la tasse vide sur la table basse pour ensuite caresser sa cravate. « Euh….Nora a fait un gâteau hier soir. Je manque à tous mes devoirs en ne vous le proposant pas…. —Non, c’est parfait ! Randal ne va pas tarder à repartir. N’est-ce pas Randal ? Insistai-je fermement sans le lâcher du regard. —Oui, c’est exactement ça ! Je suis venu déposer Aubrey, ce qui est chose faite. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. Aubrey passe à la maison quand tu veux, il y aura toujours une chambre pour toi. Merci pour votre café, Clive ! —Je passerai demain ! Enfin,.. Pour le cheval. A demain Randal ! » Le lendemain matin je fis quelques brasses dans la piscine. J’étais heureuse à barboter ainsi, glissant sous l’eau et après plusieurs longueurs je remontai à la surface pour distinguer Gale accroupit sur le rebord de la piscine, souriant et le regard brillant. « Depuis quand es-tu rentré ? » Plus que jamais je le trouvais magnifique avec ses cheveux blonds vénitiens aux reflets roux et son regard bleu acier si pénétrant, sans parler de ses lèvres délicieusement ourlées prêtes à la passion. « Il y a un peu moins d’une heure, répondis-je en posant mes avant-bras sur le rebord. Tu devrais venir faire quelques brasses ? —J’aimerai beaucoup mais j’ai certaines obligations. »

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Sans attendre la suite de ses excuses, je retournai à mes brasses. Il n’avait pas plus d’obligations que l’enfant qui vient de naître. Ces nantis ne se souciaient guère de leurs obligations comptant sur le bon sens de leurs employés. En remontant à la surface, Gale ne s’y trouvait plus être. J’écrivais allongée sur mon lit, tout en écoutant Mildred Bailey. Puisée l’inspiration dans le décor aux murs tapissés d’un vert canard me stimulait. J’avais toujours aimé cette chambre, non pas qu’elle fut la plus haute perchée du manoir mais bien parce qu’elle représentait pour moi une sorte d’asile, de havre de paix propice à la réflexion. Plus jeune Gale et moi aimions nous y retrouver pour bouquiner, allongés sur ce grand lit à édredons de plumes. Plus tard on y montait pour nos siestes il y avait assez de place pour ne pas risquer de se marcher sur les pieds. Sur le piano, Gale jouait des morceaux de classique et j’aimais à l’écouter jouer, ou bien nous jouions à quatre mains des airs plus populaires. Il suffisait d’en parler pour le voir apparaitre derrière la porte, une veste de tweed sur le dos, l’air sérieux. A peine pris-il le tems de me saluer convenablement que d’jà il bafouilla de plates excuses pour Washington et Mulligan. Selon ce dernier il aurait seulement déclaré que ce poste de pigiste ne convenait pas à une McGowan. « Je reconnais avoir été mauvais sur ce coup-là mais je pense vraiment que tu n’es pas fait pour ce genre d’emploi. —Tu as agi en parfait idiot sans penser que tu pourrais me caser la plus vive des afflictions ! Non, je ne suis pas prête à te pardonner. Sache que je suis seulement ici

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pour récupérer ton cheval et récupérer ce qu’il m’appartient. Raleigh me conviendra bien mieux et si je me trouve être trop à l’étroit j’irai dans la propriété de mon père au milieu des chevaux ! —Fais ce que tu dois faire, tu es assez grande maintenant pour prendre tes prendre tes propres décisions. —Oui, cela va s’en dire ! Maintenant je dois descendre, John ne devrait pas tarder à arriver. —Avant de partir, je tiens à te remettre ceci ! » Il me tendit un livre à couverture de cuir protégé par une feuille de soie. « Qu’est-ce donc Gale ? —L’arbre généalogique de notre famille depuis les Pères fondateurs. Tu trouveras là-dedans une mine précieuse de renseignements. Ma mère s’est toujours passionnée par la passé et à sa mort, mon père a cru bon remettre un exemplaire à chacun de mes cousins, telle une sorte d’héritage. Comme je sais que tu écris une sorte de défense musclée de nos valeurs. —Cela tiendrait plutôt d’une satyre. Tous vos défauts y seront recensés, soulignés et poussés à la caricature. Pour certains faits je n’ai nul besoin de grossir le trait et mon expérience est riche à foison d’exemples dithyrambiques sur vos exactions. —J’ignore ce dont tu parles Dee, mais sois sûre que mes sentiments envers n’ont jamais été faussés. —Oh, oui ! De cela j’en suis sûre mais Randal et moi avons eu une longue discussion hier soir avant qu’il ne me ramène à mon grand-père et…. —Je me fiche de ce que vous ayez pu vous raconter Randal et toi. Il brigue le

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poste de sénateur et il y parviendra non sans mal, ce qui suppose une dévotion à toute épreuve aux affaires du Congrès et il ne pourra en aucun cas naviguer à vue. Quoi que je fasse je n’irais jamais aussi loin que lui, je ne brillerai jamais autant que lui et mon mariage ne sera jamais aussi impressionnant que le mien si toutefois il finissait par se trouver une riche héritière. Ce que j’essaye de te dire Aubrey, c’est que Randal est Randal ! Il ne pourra jamais te donner ce que tu attends de lui, parce qu’il est ainsi fait et ce n’est pas toi qui le changera. » Il avait raison sur ce point-là. Randal vivait dans le seul but d’accomplir ses desseins politiques. Le livre serré contre ma poitrine j’j’étudiais Gale plue en détail. Que deviendrait-il sans moi ? Que deviendrais-je sans lui ? Dans peu de temps John arriverait pour m’arracher à cette vie. « Gale, j’ai été heureuse d’être à tes côtés pendant tout ce temps mais cette époque est révolue. A jamais ! Tu vas faire le bonheur d’une autre et cela n’aurait pu arriver si tu ne m’avais aimée comme tu l’as fait. » Il me serra dans ses bras avec empressement et dans ces bras je me sentis sereine. Nous nous séparions en bons termes. « Oui, nous formons une Sainte Trinité, Randal, toi et moi. Une sorte de trio inséparable face à ce monde si complexe, déclarais-je en passant mes bras autour de son torse. Randal t’aime profondément faisant passer ton propre plaisir avant le sien. N’est-ce pas là une preuve d’amour ? La plus tacite soit-elle ! »

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Il posa ses mains sur mes épaules et caressa mes omoplates avec douceur. Tellement de douceur que, je tournai prestement la tête pour lui donner ma joue à baiser. « On se voit plus tard si tu veux bien ! » Et mon John arriva en compagnie de l’entraineur de ses chevaux et plus de deux autres personnes rencontrées sur les champs de course. L’un se nommait Dickinson reconnaissable avec sa barbe poivre grise et courte, le chapeau enfoncé sur ses yeux clairs et l’autre, un jeune joker surnommé Pippins aux innombrables tâches de rousseur lui enjoignait le pas. Sans perdre de temps le trop demanda à voir Blue Jean auprès de qui j’avais passé la matinée à le panser, nettoyer sa robe afin de rendre son poils brillant façon miroir. Accroupit dans le paddock, Dickinson ne perdait rien de ses mouvements « je ne peux pas vous le cacher M. Byron-Doyle mais ce cheval ne correspond pas tout à fait à ce que nous cherchons. Il pourrait être un bon sprinter mais pour m’en assurer Pippin va le monter et ensuite on parlera de prix. » Pippins monta donc sur Blue Jean et partit au trot, puis au galop sous le regard attentif de mon frère appuyé à la rambarde. Après trois tours, Pippin revint à nous pour tendre les rênes au lad chargé des écuries des Byron-Doyle. Dickinson glissa un mot à l’oreille de mon frère. « A combien fixez-vous l’offre pour ce cheval ? Questionna John en avançant vers Randal. —Nous l’avions fixé à dix mille dollars. —A dix mille ! Cela aurait pu convenir pour un yearling mais pas pour un cheval

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qui n’a jamais couru Randal. Nous vous en proposons six mille. —Alors disons huit? —Ah, ah ! Aucun joker n’acceptera de le monter. Six mille et pas un dollar de plus ! » Ils se serrèrent la main et John sortit son chéquier de l’intérieur de sa poche. Ils partirent comme ils étaient venus embarquant dans leur van leur nouvelle acquisition. « Randal me propose de passer chez un de ses amis qui selon lui vendrait des yearlings. Je ne peux m’empêcher d’aller y jeter un œil par curiosité. Est-ce que cela te dit ? Nous ne serons pas longs de toute façon, un court passage et nous repartons pour Washington ! » La propriété de M. Cecil Warren se trouvait être à une demi-heure du Cap North. Il s’agissait d’une ancienne plantation convertit en un immense golf et écurie de voitures de luxe et canassons. Une vingtaine de personne se trouvaient être sur place, principalement des hommes fumant le cigare par-dessus le verre de Bourbon. Cecil Warren nous salua brièvement avant de nous enlever Randal. Restée seule avec mon frère mes yeux parcoururent le théâtre des opérations, soit un vaste terrain découvert où défilaient des chevaux dans le sens des aiguilles d’une montre ; sur la terrasse, nous autres spectateurs jetions un regard circonspect sur les chevaux. Sur leurs lèvres, il n’y avait qu’un mot : politique. « Vous venez pour les chevaux n’est-ce pas ? » En tournant la tête je découvris Elias plus beau encore que dans mes souvenirs.

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« C’est une belle journée non ? » John en profita pur s’éclipser. Un serveur passa un plateau d’argent à la main soutenant une dizaine de flûtes de champagne. « Miss McGowan…. —C’est Aubrey, Elias. Comment vas-tu depuis la dernière fois ? Cela fait un petit moment non ? —Randal m’a parlé de ta recherche d’emploi, argua de dernier des plus nerveux. Il s’avère que je suis à la recherche d’une personne pour mon cabinet et après avoir épluché bon nombre de candidature je me fie à l’instinct de Randal. » Prise de panique, je manquais de m’évanouir sous ce soleil de plomb et m’éventant fébrilement je tentais un sourire sans arriver à regarder Elias dans les yeux. « J’apprécie ta proposition. Il est vrai que je n’ai pas d’emploi pour l’heure. Mais je suis tout à fait disposée à travailler pour toi. —Alors j’en suis flatté, Aubrey. Bonne journée !» Et c’était tout ? Je le suivis du regard des plus perplexes. Si ce matin en me le voyant on m’avait dit : Aubrey tu vas aujourd’hui tu vas faire une rencontre qui va changer le cours de ta vie ! Alors je me serais vêtue autrement et j’aurai répété inlassablement un discours digne de celui du Président lors de son investiture, à la place de cela comme prostrée devant ce terrain et m’enivrer. Assise sur ma chaise, le visage dissimulé sous mon chapeau je suivais des yeux les chevaux sans même savoir ce que j’étais venue y chercher. « Est-ce que tout va bien Aubrey ?

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—Oh, Randal ! Oui, je…. Je réfléchis à cette pouliche au poil alezan. Je me dis qu’elle serait d’excellente compagnie pour Blue Jean. —Il n’est pas encore champion qu’il disposera d’une jolie pouliche dans son enclos. Est-ce une façon de stimuler ses ardeurs ? —Blue Jean n’est pas entier, c’est la raison pour laquelle vous nous l’avez proposé à moitié prix. Un peu de compagnie est primordiale pour satisfaire son égo, un peu comme vous autres homologues à deux pattes. —J’aime ta vision des choses. Prends-la si elle te plait, je te l’offre. —Tu n’es pas sérieux là ? —Prends-la, elle est pour toi ! » Et je poussais u cri de joie tout en bondissant à son cou. L’alcool me donnait des ailes et il éclata de rire en me laissant le couvrir de baisers. La pouliche se nommait Harmony of Fields et après un rapide examen, John la jugeait apte à courir pour défendre nos couleurs. « De quelle écurie dépendez-vous. Questionna Cecil Warren en s’asseyant à notre table. —Notre père possède une écurie en Caroline du Nord. Ma famille élève des champions depuis une centaine d’années et des chevaux depuis toujours. —Vraiment ? Je n’ai pas compris votre nom. Est-ce McGowan, quelque chose comme ça ? » Mon frère ne cessait de sourire malgré le ton acerbe prit par ce dernier. « Votre charmante sœur et vous êtes du métier ? —Non, je travaille dans un cabinet juridique en tant qu’attorney et ma sœur

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est diplômée de Berkeley, majeure de sa promotion. —Tiens donc ! Une femme savante ! Rien d’étonnant alors à ce que vous soyez dans les bonnes grâces de Randal ByronDoyle. Il ne s’encombrerait pas d’une femme aussi jolie soit-elle si elle n’avait rien à proposer de valable. Faites attention à vous, Miss McGowan, les chemins jusqu’à la gloire sont parfois semés d’embûches, déclara ce dernier en me broyant l’épaule. Le plaisir fut pour moi, vraiment. On se retrouvera certainement sur les champs de course ! » Elias nous observait et tourna prestement la tête en me voyant le regarder en retour. John acheta Pegasus et Jupiter et après avoir échangés de rapides poignées de main, on s’en alla bras-dessus, brasdessous. Dans l’escalier, Randal nous rattrapa. « Vous nous quittez déjà ? John, permets-moi d’emprunter ta sœur. —Je vais attendre dans la voiture Aubrey, tu sauras où me trouver. » Mon frère s’éloigna et Randal enfonça les mains dans ses poches. « Alors, tu as accepté la proposition d’Elias ? C’est très bien et tu vas faire des étincelles. En attendant, on va diner chez Bonnie ce soir, tu n’auras qu’à te joindre à nous ! » Bonnie c’était une institution. On y allait souvent manger des glaces avec Nora ; puis plus tard nous y allions seuls. Randal tenait à nous offrir des gaufres quand il n’était pas à Harvard ou chez l’un de ses richissimes tantes du Maryland ou bien encore chez ses cousins du Boston. Bonnie, cela avait toujours été notre sortie à nous.

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« J’avais l’intention de rentrer avec John. On pourrait reporter cela à plus tard, tu ne crois pas ? —J’insiste pour que tu sois des nôtres. Disons pour huit heures. Cela te laissera un peu de temps pour une virée en mer. Alors à ce soir ! »

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CHAPITRE Le vent fut puissant et le bateau gitait sur tribord. Un vent rigoureux et frais. Il fallait une solide expérience pour rester sur le pont sans se retrouver dans l’eau froide de l’Atlantique. Il fallait border les écoutes, étarquer les drisses ; mollir les drisses, choquer les écoutes, tout ça en grande cadence. Derrière à la barre, se tenait Gale. Non loin, Swifty, McGuire et Connor. Ce que nous voulions c’était atteindre des vitesses de pointe, voire nous envoler au-dessus de l’eau ; et nous étions aux anges. Les embruns nous éclaboussaient et le salé de la mer conjuguait aux rayons du soleil cuisaient nos peaux à petits feux. On louvoya, passa sur bâbord pour finir par doubler les autres voiliers de la Caroline du Nord. Après deux heures trente nous avions vaincu les éléments et grisés par nos exploits nous nous permîmes un moment de détente sur le point de notre rapide embarcation. A la proue je réparais une écoute quand Gale s’accroupit près de moi, les muscles saillant sous son vêtement. « Tu comptes rester avec nous ce soir ? Je demande ça parce que j’ai entendu dire que tu dinais avec Randal et Elias ce soir. Il s’est passé quoi là-bas, chez le sénateur ? Elias est d’un tempérament très ennuyeux quand il n’est pas a parler de jurisprudence, de textes de loi et du Congrès. Tu risques de t’ennuyer fort à ce diner. Pourquoi ne restes-tu pas nous ? —Tu devrais te féliciter pour moi Gale. —Etais-tu à ce point désespérée qu’il t’a fallu pleurer sur ton sort auprès de Warren ? Il fait la pluie et le beau temps au

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Capitole et il apprécie Randal comme un fils. Il le voit comme un homme de confiance ce qui signifie dans ce milieu, un incorruptible. C’est étrange mais je ne te vois mal aller le solliciter pour obtenir les faveurs de Damon. —C’est là où tu fais fausse route. Cela ne s’est pas vraiment passé ainsi. Mon frère et moi n’avons fait qu’échanger au sujet des chevaux et quand Warren s’est présenté à nous, il fut tout à fait indifférent à mes charmes. —Peu importe la manière dont tu l’as abordé, il s’avère que ce soir tu dine avec l’un de ses petits protégés. J’aimerais être une petite souris pour entendre ce que vous aurez à vous dire.» Nora me fit entrer dans son bureau aux murs capitonnés gris à dorures dorées. « Tu ne peux pas accepter l’argent de Gale ! Je sais qu’il a dans l’idée de te payer mais tu ne peux accepter ! D’ailleurs et je te défends d’accepter le moindre sous de cette famille ! Argua cette dernière en posant son index sur mes lèvres pour me faire taire. Tu es une McGowan, pas une de ces petites employées du sud n’ayant aucun espoir et dis-toi que tu vaux mieux que cela. Alors refuse leur argent. Si c’est pour t’installer à Washington, tu n’as pas besoin d’un penny avec tes frères sur place. —Cela va de soi ! —Parfait, cela me rassure. Et comment était ce Warren ? On le dit mauvais comme une teigne, pince-sans-rire et difficile à aborder. Moi tout ce que je vois c’est cette lueur au fond de tes yeux. il s’est passé quoi là-bas qu’il vaut la peine d’être narré ?

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—Elias Damon ne propose un stage à Boston. Je lis la presse comme tout le monde. C’est un militant pour la cause noire, plutôt pacifiste. Il épouse les idées progressistes des républicains et il a de nombreux ennemis chez les démocrates en raison de ses idées quelques peu avantgardistes. —C’est ce qui peut t’arriver de mieux ma chérie. Les élections ne sont pas tardées à débuter. Tous vont briguer le poste de gouverneur et assister à sa campagne est une sacrée expérience. Son parti n’aurait pas à lever d’importants fonds si des personnalités comme King ou Malcom X le soutenaient dans son programme. Notre jeune représentant d’état a aujourd’hui besoin de toi.’Il s’agit de faire avancer les mentalités pour nos droits civiques! Tu te dois d’agir Aubrey et cesser d’être passive comme tu l’es en ce moment ! Tous ces jeunes et brillants hommes ici rassemblés seront l’avenir de notre pays et toi tu as les fils Byron-Doyle pour te filer un coup de main ! Maintenant il va te valoir faire preuve de lucidité pour maintenir leur attention sur ta personne. Demain je te déposerai à la gare, en attendant passe une bonne soirée ma chérie. » Après une heure de retard j’arrivais au Bonny’s pour ne pas y reconnaitre le lieu de mes souvenirs. le maitre d’hôtel me conduisit au bar om attenaient Randal et Elias, au regard de ce dernier je sus que je faisais mouche. Pour l’occasion je portais une robe moulante grise dont le décolleté carré offrait une vue plongeante sur ma poitrine pigeonnante. « Je suis très en retard, veuillez m’en excusez. Ce fut un concours de fâcheuses

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circonstances. Bonsoir Elias… Randal. J’ai fait aussi vite que j’ai pu, croyez-moi. Vous avez commencez j’espère ! —Allons bon. Faute avouée à moitié pardonnée. Nous allons passer à table si vous le voulez bien ! » Une chanteuse crooener chantait sur son estrade et on s’assit à la table réservée par les soins de Randal. Force de constater que tous les regards se posèrent sur nous et triomphale je m’assis entre eux. Allionsnous écouter du jazz toute la soirée ? Randall héla le serveur pour lui glisser nos commandes et alors j’observais Elias a la dérobée. Il était un ange descendu du ciel pour torturer les vierges ; tout en lui aspirait la sérénité. La musique était si envoutante que l’on se sentait enivrés. Nora aurait adoré se trouver ici, pour elle cet endroit était réservé aux blancs, uniquement aux blancs. Bien qu’octavonne, Nora ne se permettait pas pareille liberté. On nos apporta nos boissons et Randall se leva pour aller saluer une connaissance. Elias alors se pencha à mon oreille. « Tu te fais à l’idée de quitter cet état pour un autre ? Nous n’avons pas d’aussi bon jazz à Boston mais nous savons apprécier toute sorte de musique pourvue qu’elle s’exporte en masse. Et comment va Nora. —Ma grand-mère se porte bien, merci de t’en inquiéter. Elle m’a également demandé de tes nouvelles. Alors je lui ai dit que tu me proposais un stage à Boston et elle est ravie. Ma grand-mère a toujours été un modèle pour moi. —Alors il te faudra écrire sur elle. Ce n’est pas commun son histoire. Une femme de couleur qui épouse un blanc,

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cela défit les lois du sud. Elle fut également un modèle pour ton père. J’ai beaucoup d’admiration pour les femmes de votre famille. Randall dit juste en parlant de libre équité entre personnes physiques. La justice de ce monde réside dans nos échanges raciaux. —Oui elles sont toutes deux affranchies du carcan social. Nora est une femme de caractère. Ma mère est certes plus frivole mais ses actions sont toujours justifiées. Elles s’arrangent toujours pour ne pas donner l’impression d’être en première ligne mais c’est une générale qui s’ignore. Comme nous étions enfants, elle nous faisait apprendre des Negro spiritual pour que nous les chantions à tue-tête dans les rues. C’est du militantisme quand on y pense. « Lui me dévorait des yeux. Sur scène la chanteuse se déhancha et revint Randall plus souriants que jamais. « les membres du clan Sullivan te saluent Aubrey et tu as les amitiés de Richard. Alors, de quoi parliez-vous pendant que j’avais le dos tourné ? » Avouons que notre Elias n’était pas très causant. Le retour de Randal le plongea dans une sorte de mutisme dont il avait le secret On dévissa penant une heure de sujets et d’autres ; force de constater qu’Elias n’était pas des plus loquaces, seuls ses yeux d’un gris délavé parlaient pour lui. Ils semblaient vouloir dire : Ma vie peut s’arrêter maintenant que je suis en si galante compagnie ! Il souriait à toutva sitôt que mon regard se posait sur sa personne. Et ce sourire ? Que dire de ce sourire ? il électrisait les foules et vous laissait sur un petit nuage.

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Comme la soirée touchait à sa fin, il me salua à la porte du bâtiment. J’eus envie de le serrer dans mes bras et lui dire qu’il pouvait compter sur moi à n’importe quel moment de son existence. Au fond de moi je brûlais d’envie de le revoir. C’était un moment d’ivresse dont seule connaissent les amoureux. . Randall me raccompagna à la maison de mes grands-parents aux alentours de minuit. Depuis la portière de la Chrysler, je vis la silhouette de Nora se découper à la fenêtre. « Ce fut une excellente soirée Randall et je tiens à t’en remercier. Maintenant je dois rentrer avant que ce carrosse ne se transforme en citrouille. Comme tu le sais, je pars demain pour Raleigh. Mon train est à dix heures et merci pour la pouliche et Blue Jean. Ils seront bien avec nous. —Tout le plaisir fut pour moi Aubrey. Ils seront bien traités en Caroline. Si d’aventures tu voulais passer à Washington, on pourrait s’y retrouver. Bon retour Aubrey et prends soin de toi. —Et Elias ? Qu’a-t-il pensé de moi ? (—Il ne l’a pas évoqué mais il a eu l’air d’avoir apprécié le jaee et le repas servi au Bello. Pourquoi penses-tu qu’il ne puisse pas te trouver intéressante ? Si tu travailles pour lui à Boston tu ne devras jamais te demander si tu lui plais, cela risquerait de signer la fin de votre collaboration. Et ce n’est pas ce que tu veux Aubrey ? Alors ne pense jamais que tu puisses avoir la moindre chance avec lui. on se voit à Washington. » Les chevaux s’élancèrent à vive allure dans un roulement de sabots furieux. Les jumelles posées sur mon nez je trépignais en martelant la rambarde de mon poing.

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John se mordait les lèvres aussi nerveux que notre cheval disposé parmi les derniers du peloton. « Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Pourquoi ne se dépêche-t-il pas ? Est-ce si compliqué que cela de remonter ? —On va être très mal placé mais ce n’est pas une fin en soi ! Nous avons d’autres atouts dans notre besace. Ce n’est qu’une mauvaise passe, rien de plus ! » La course terminée nous avions tous deux, le moral dans les chaussettes. Dans le haut-parleur on braillait le nom des vainqueurs et l’horreur fut à son compte quand un journalise bouda crânement notre joker, Chris Fields. Nous avions de beaux chevaux, un excellent entraineur mais dans cette histoire l’on ne pouvait compter que sur le facteur chance. John se pencha à mon oreille, voyant à quel point cela m’affectait. « Je pars après demain pour la capitale. Ma femme se languit de moi tout comme mon fils, notre charmant Edward. Tu pourrais te joindre à si tu veux, tu en pense quoi ? —C’est gentil de ta part, Johnny. Je suis bien ici. L’air de la campagne y est pour quelque chose. Il est si apaisant d’être là. A s’enivrer d’un rien. » Il resta à me fixer avec intensité. « Tu devrais te changer les idées. Pourquoi ne pas partir quelques jours en Europe ? Tu as toujours voulu revoir Paris alors fais-toi plaisir, tu l’auras bien mérité. —Si je m’en vais. Je ne suis pas certaine de vouloir rentrer. —C’est également ce que je pense. J’ai lu ton texte et tu veux mon avis sur la question c’est trop journalistique. On dirait que tu écris pour des amateurs de sociologie. Tu parles de ton texte comme

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d’un roman mais ce n’est qu’un article de presse. —Alors c’est mon style qui ne va pas ? Questionnai-je. C’est mon style c’est ça ? —J’ai là quelques extraits… Dans ce passage tu écris : (…) les néophytes se consolaient de la sorte : Ils échangeaient des remarques d’usages sur leurs plaidoiries à venir quand peu avaient la certitude d’y parvenir (…) ce détail n’est pas essentiel à la compréhension de cette partie. Cette phrase pollue le texte comme celle-ci : les vierges s’installent dans une sorte de gynécée où les mâles en sont bannis en sens premier du terme et (…) elles sont offertes sur l’autel de la vertu. Pourquoi parler de tout cela en une seule et même page ? C’est vouloir noyer le pauvre lecteur dans une fioriture de descriptions pour le moins évidentes. —Pourtant à l’instant tu venais à critiquer mon style journalistique. Or ce que tu décris est tout sauf issue de la prose d’un pigiste. —Si tu veux, mais cela reste mauvais. Tu m’as habitué à bien mieux. Pourquoi n’essayerai-tu pas d’écrire comme toi tu voudrais écrire ? —Comment ça ? —Tu as fréquenté Berkeley, cela se voit derrière chacune de tes phrases, tes recherches de la sentence la plus exacte possible mais quand je lis ça je me demande où se cache la véritable Aubrey McGowan. —Ah, ah ! Derrière mon clavier ! Je ne serai jamais une grande journaliste et je n’ai jamais prétendu un jour décrocher le Pulitzer mais ce livre me tient à cœur, répondis-je le sourire aux lèvres. —Et pourquoi ?

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—Pour avoir quelque chose à raconter. —Alors peut-être n’es-tu pas faite pour écrire ? Ton talent est ailleurs. Tu pourrais te mettre à tondre la pelouse et te découvrir une passion pour les plantes, qui sait ou bien faire tomber de la peinture sur le sol et t’apercevoir avec émotion que celle-ci laisse de jolies arabesques. Entre nous Aubrey, pourquoi écris-tu ? Est-ce libérateur pour toi? Tu pourrais aussi bien monter à cheval ou bien discuter au téléphone avec moi comme on le fait tous les jours ? J’essaye seulement de comprendre. Tu cherches à te libérer de l’emprise de Gale sur toi, est-ce cela ? —C’était un attachement amoureux. Je suis passée à autre chose, mais merci de t’en inquiéter. —Il y a bien longtemps que tu aurais du réfléchir à la tournure que prendrait votre histoire. Et puis non contente d’avoir brisé le cœur de Gale, tu as également brisé celui de Randal. —Randal ? Je ne vois pas de quelle manière ? —Il a parlait à Granny d’un certain Elias Damon et le soir où vous avez diné ensemble, tu lui aurais confié avoir quelques attirances pour Damon, le très charismatique Damon, murmura-t-il le sourire aux lèvres. Et quand exactement comptais-tu m’en parler ? —C’est que… Elias est véritablement parfait. En plus d’être beau, il est attentionné et… le temps d’une soirée je me suis mise à fantasmer sur une possible amitié entre nous. Mais peut-être ai-je eu tort ? Elias ne s’intéresse pas à moi et cela vaut mieux ainsi. » Dans mon lit je ne parvenais à trouver le sommeil. Si Randal pouvait être là… Je

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sortis de mon lit pour décrocher mon combiné et appeler chez lui, à Washington, sachant qu’il était un couche-tard, je n’en fus pas honteuse. Il décrocha au bout du fil. « Allo Randal c’est moi ! —Aubrey ? Et comment se passe la vie à la campagne, dis-moi ? Ecoute, je dois te laisser. Je n’ai pas tout à fait terminé ma journée mais, on se revoit pour Thanksgiving comme prévu. » Les larmes me montèrent aux yeux. Je pris une moue boudeuse, la gorge nouée avant de poursuivre : « Mes journées sont bien remplies, je l’avoue et je m’apprêtais à aller au lit. —Oui, c’est ce qu’on finit tous par faire. Et comment va la petite pouliche achetée chez Warren ? —On est heureux avec elle, même si pour le moment on ne veut pas se l’avouer. Elle et Blue Jean sont inséparables. Je comptais m’octroyer quelques jours à Washington chez mon frère John et l’on pourrait s’y retrouver, qu’est-ce que tu en dis ? —Oui cela se peut. J’essayerai de me détacher une petite heure pour te saluer. Maintenant je te laisse Aubrey. Ma soirée n’est pas tout à fat terminée. » A Washington, DC je trouvais mon bonheur au milieu de ces riches femmes au sac à main en peau de crocodile aux marques françaises et italiennes —le nec plus ultra en matière d’élégance— et après une heure passée au salon de thé, je partis à notre lieu de rendez-vous. J’attendis au parc donnant devant le Congrès et en voyant arriver Randal mon cœur s’emballa à la perspective d’un bon

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moment passé en sa compagnie. Il fronça les sourcils sans oser y croire. «Tu es resplendissante ! —Cela te plait ? J’essaye d’être comme ces Françaises, à la pointe de la modernité ! » Il souriait d’une oreille à l’autre puis m’invita à le suivre dans les sentiers ombragés du parc. « Alors Aubrey, qu’as-tu de particulier à me raconter ? » Et il nous dirigea vers un banc donnant sur un étang où glissaient quelques canards et oies sauvages. Une journée à Washington m’apportait bien plus qu’une semaine passée en Caroline du Nord, à Raleigh. Ici je pouvais déambuler dans les rues en jouant la parfaite touriste. Et j’aimais cela, cette idée de partir à l’aventure sans me soucier du qu’en dira-ton. Randal attendait ma réponse, respectant mon mutisme passager. La pochette sous l’aisselle, je dégageai mon gant pour m’allumer une cigarette et lui suivit des yeux la ligne généreuse de ma silhouette. « Comment va John ? —Il se porte comme un charme. A ce sujet il m’a dit de te saluer. Il pense que je devrais cesser d’écrire pour me consacrer à autre chose. Selon lui je n’ai aucun talent. —Ah, ah ! Ton frère est cartésien. Peutêtre ne comprend-il pas que tu puisses passer autant de temps pour quelques travaux qu’il juge superflu. —Et toi tu en pense quoi ? —Fais ce que tu aimes faire. La vie est assez compliquée pour qu’on trouve à la rendre encore plus désolante. Il est nécessaire parfois de suivre ses inspirations.

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—Oui c’est vrai, répondis-je dans un murmure. L’’autre soir je t’ai appelé pour t’en parler.» Il ne m’écoutait plus, son attention fut détournée par un couple de colverts passant en rase motte sur l’étang. N’importe qui nous ayant surpris aurait pensé que nous étions amants, tant nous prenions un plaisir certain à nous retrouver dans un lieu public. « Tu devrais me faire lire ce que tu écris et non pas seulement la préface. Mon avis compte autant que celui de ton frère non ? —Evidemment. Mon frère n’a jamais ouvert un livre de littérature de sa vie. C’est dire si ton avis m’est important» Alors il soupira et s’accouda sur ses genoux, la tête entre ses cuisses. Puis il se redressa pour mieux me jauger. Il avait bonne mine et aspirait à une certaine décontraction. « Aubrey, j’ai réfléchi à tout ça et à ton avenir. Alors ti tu as un jour besoin d’argent, j t’ai ouvert un compte en ville. C’est un peu d’argent pour commencer étant donné que tu as refusé celui de mon frère, je m’en voudrais si tu venais à te retrouver sans rien pour commencer. Je sais que Nora te dissuade de prendre notre argent mais tu en auras besoin tant que tu n’es pas mariée. Si tu travaille à Boston tu ne toucheras pas grand-chose et les frais sont excessivement élevés dans une ville comme Boston compte tenu des nombreuses tentations qu’on y trouve làbas. Alors s’il te plait, n’en parle à personne, cela restera entre nous. Personne n’en sera rien. —Tu n’étais pas obligé de le faire. Je touche un peu d’argent avec mes chevaux.

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—Bien vite dépensé pour leur entretien. Je te parle d’une rentrée d’argent ponctuelle. Comme une sorte de rente à vie. » L’émotion me submergea. Il m’entretenait. Officieusement il s’unissait à moi pour le meilleur comme pour le pire. Il m’avait ouvert un compte comme un époux accepte de voir le nom de son épouse figurer près du sien, sauf que là j’avais un compte à mon nom propre. Des frissons parcoururent ma peau et les larmes me picotèrent les yeux. « Ai-je mérité tout ça Randal ? Cet argent c’est le tien et le jour où tu seras en couple, ton foyer aura besoin de ce capital pour honorer toutes tes dettes. —Ne te préoccupe pas de moi. L’argent n’a jamais manqué dans ma famille. —Dans la mienne non plus ! Mes frères ont fait de bonnes études et j’ai intégré Berkeley. Nous autres McGowan ne sommes pas des nécessiteux ! J’espère que tu ne fais pas cela pour m’avilir. —Où vas-tu chercher tout ça Aubrey ? —D’abord il y a eu ton frère et ensuite toi ! Je ne veux pas te devoir quoique se soit parce qu’un jour dans ta vie tu tes trouvé là à me parler d’avenir et de projets en commun ! Ce n’est pas ce que j’attends d’une relation avec toi Randall. » Son regard devint plus dur. « Aubrey, cela me contrarie que tu puisses penser que nous autres les ByronDoyle puissions vouloir capitaliser ton avenir. Il faut cependant que tu puisses voir loin, au-delà de ta simple conception de ton existence en tant que simple pigiste et consultante auprès du représentant d’état Damon. Tu dois assurer tes arrières et comment, si ce n’est en capitalisant tes

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revenus, en plaçant l’argent sur un compte à Washington sur lequel je puisse avoir la mainmise. —J’ai un compte à Raleigh. » Il me fixa avec intensité, sondant mon esprit plus qu’il ne l’aurait fait auparavant. « Alors tu refuses mon aide ? Je ne suis pas certain que ta décision soit réfléchie. Prends le temps de réfléchir à tout cela. » Calvaert se trouvait être à Washington. Calvaert était Calvaert, toujours aussi arrangeant, bon seigneur et généreux dans tout ce qu’il faisait ; il n’en faisait jamais assez, juste ce qu’il fallait pour ne pas atteindre l’overdose de bonnes attentions. Il m’apporta mon milk-shake dans la voiture et comme il me savait perdu dans mes pensées, il n’osait m’interrompre dans mes réflexions, ce que j’appréciais pleinement. Il était là sans se manifester ; il arrivait toujours à vous faire oublier sa présence. « La situation semble-t-elle désespérée pour toi ? Je vois bien que tu n’es pas dans ton assiette Aubrey et tout marcherait à merveille si tu pouvais d’un claquement de doigt rendre possible certaines choses. —Je me soucie seulement de mon avenir. Je suis à Washington pour me recentrer sur mes objectifs professionnels. —Ok, répondit ce dernier en portant sa paille à ses lèvres. Alors nous sommes tous deux dans la même situation, à savoir, face à une impasse. A nous de faire en sorte que tout paraisse possible. —Randal a du te dire qu’il voyait quelqu’un. —Ce n’est pas un secret de polichinelle. Il fréquente Eva DeWitt, un génie en son domaine. Une pointure et éminent cerveau. D’après ce que je sais elle ne manque pas

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d’ambition et de caractère. Je n’ai pas besoin de te dire qu’elle est diplômée de Yale et d’après Gale, elle aurait jeté son grappin sur son frère comme une araignée tisse volontairement sa toile pour y capturer son délicieux repas. Ah, ah ! Le mariage est une institution mais tend à devenir un commerce quand trop d’enjeux sont dégagés. —Et toi, tu crois être différent des autres ? Pourtant tu sors avec Athena dont la famille est bien investie à Boston. Papa est dans les finances et tous ses frères et sœurs sont diplômées de Princeton. La suite logique était ta rencontre. Cela doit être divertissant pour un homme comme toi de fréquenter une McGowan, bien que ta fiancée bien-aimée peste comme une damnée au milieu de ses semblables si fiers de leurs origines anglo-saxonnes. —Oui je trouve cela divertissant. » Un sourire apparut sur mes lèvres mais Calvaert, lui ne souriait pas, perdu dans ses pensées. « Finis ta glace, on va marcher un peu. » il voulait marcher. Alors c’est ce que l’on fit tel un couple marchant de conserve dans les rues de notre capitale. J’aimais venir à Washington ; cette métropole incarnait toutes les valeurs de cette nation. Mes frère Keith et John étudièrent leur droit à l’université de Georgetown. J’avais grandi à Raleigh en Caroline du Nord mais mes parents m’envoyaient chez l’oncle Stanley vivant ici avec mes cousins, tous fascinés par l’attraction suscitée par cette ville. Grand-père Clive avait travaillé à la Maison-Blanche et Randal travaillait au Capitole, siège du Congrès. Deux de mes cousins travaillaient pour la Réserve fédérale des Etats unis (Fed). Dans cette

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capitale, on sentait battre tous les cœurs des citoyens et le mien battait à l’unisson. « Comment vont tes frères ? Je ne connais que John mais ce dernier m’a dressé un portrait d’eux tel que si je venais à les croiser dans les rues, je pourrais les reconnaître. —Keith et Earl travaillent tous deux dans notre capitale. Ils sont tous deux très occupés et disposent de peu de temps pour la famille. Il devient difficile pour mes parents de rassembler leur petite troupe. —Depuis quand ne les as-tu pas vus ? —Depuis Noël dernier. John est très proche de moi, en âge comme en proximité physique. Il s’est marié il y a deux ans et est papa d’un bon petit garçon qui rampe partout dans leur maison. Il est adorable ce bébé, tu sais, j’en suis folle ! Oui, je suis une tata gâteuse. —Et que vas-tu faire après ? Après cet été. Tu comptes t’installer ici ? Je pose la question parce que…je sais que dernièrement tu as été approchée par Damon et qu’il t’aurait offert la possibilité de travailler pour lui, à Boston. —C’est exact et j’ai accepté ! —Alors il n’y aura pas de Congrès pour toi, pas de Randall à te tenir la main. Je pensais à tort que tu accepterais l’emploi de Randall. —Non, enfin, c’est toi qu’il veut ! Il m’a parlé de t’embaucher pour sa campagne et entre nous, cela ne m’a pas surpris. Tu es le candidat idéal pour mener à bien cette compagne. Randall a dans l’idée de gravir les échelons. Il vise le poste de gouverneur et qui sait, la Maison-Blanche ! Cette expérience te sera favorable, David, certainement plus qu’à moi. »

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Il resta silencieux, progressant les mains dans les poches, fixant le sol à ses pieds. « Et pourquoi Damon ? Il y a d’autres représentants ici qui ne partagent pas tous les idées des intégristes du sud. Certains se disent même être progressistes. Ils favorisent les droits civiques pour les minorités et veulent faire passer des lois auprès du Congrès. Randal le sait alors pourquoi avoir proposé ta candidature à Damon ? —Parce que Damon est son ami ! Il ne pourrait en être autrement David. —Mais enfin, qui refuserait un poste au Congrès ? C’est se tirer une balle dans le pied, non ? Cela va se savoir dans le milieu et je pense que tu devrais réfléchir à la proposition de Randal. Il te donne l’opportunité de te mettre en avant, dans la lumière. Tu rencontreras des gens importants, très haut placés et cette collaboration sera des plus bénéfiques pour chacun des membres de ta famille. —J’ai l’impression d’entendre mon grand-père Clive ! Tu tiens le même discours que ce dernier. Merci pour tes précieux conseils ! —Ne prends pas cela à la légère. Arrêtes-toi un peu…. Il ne s’agit pas de toi mais de tout un environnement. Il n’a pas été compliqué pour Gale de prendre le téléphone et prévenir Mulligan de ton arrivée. Dis-toi que les Byron-Doyle pourraient bien plus si tu acceptais de jouer le jeu. Alors ne gâche pas tout par dédain pour ces fils de gouverneur. » Le lendemain je partis rendre visite à mon frère John. Lui et sa femme vivait dans un coquet pavillon de banlieue et les vacances obligent, cette dernière et son fils

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étaient sur la côte à quelques heures d’ici. il me reçut avec chaleur, comme il était coutume qu’il le fasse et il tint à me présenter son ami, un certain Richard C. Whyte qui immédiatement me fit bonne impression. Mon frère avait toujours eu un sérieux penchant pour les hommes et ce Richard devait être son amant du moment. Déjà quand nous étions gosses, John surnommé le P’tit Johnny aimait traîner avec les filles qu’il comprenait mieux que personne. Et puis il adorait se déguiser en ma compagnie. Haut perché dans les escarpins de ma mère il singeait mieux que personne les femmes de Raleigh. Je l’avais toujours soutenu. Quand arrivés au lycée, il fréquentait secrètement un garçon de deux ans son ainé qui fut sa première grande histoire d’amour. Mère l’avait deviné mais n’avait jamais osé aborder le sujet avec son cadet. « Et alors, que décides-tu ? —A quel sujet ? —Ecoutes Aubrey, nous ne sommes plus des gamins et il y a longtemps que j’ai compris que tu en pince pour Randal. Je l’ai toujours préféré à Gale, peut-être parce qu’il est plus sincère et ne me fait pas l’impression d’être un parfait Casanova indécis et prétentieux. S’il y a une chose que tu dois savoir sur Randal c’est qu’il t’a toujours aimé, aussi loin que remonte notre relation. Il est un peu réac, je te l’accorde mais sans lui tu n’aurais jamais pu fricoter avec Gale. Son père n’aurait jamais accepté le fait que tu couches avec son benjamin, son fils chéri. Il suffit que le petit Gale trépigne et montre des poings pour que l’ainé sorte le hochet pour le distraire et ainsi lui permettre de faire

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intervenir le bon papa-adoré, toujours très occupé dans sa politique. Gale est égoïste, tu le sais mieux que moi. il ne prend pas le temps de venir saluer Clive et Nora ou bien décrocher son téléphone pour prendre de nos nouvelles et il file le parfait amour avec cette Casey. Quand à Randal, il est tout à toi. —Tu le crois vraiment ? Randal est comme son père, ambitieux et modéré dans tous ses choix. —Mais il t’a ouvert un compte dans une des banques de notre capitale et ça, c’est une marque d’amour ! Il est très enthousiaste et il te court après ma belle. Il te déroule le tapis rouge mais toi, tu préfères alors tenter ta chance dans un état où rien ne se passe pour quelques dollars difficilement gagnés. Enfin Aubrey, songes à ton avenir ! »

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CHAPITRE 5 Calvaert tenait à me fiche une raclée au tennis. « La raclée du siècle », selon ses termes. Et quand ce fut à nous de nous distinguer après seulement quelques échanges bien envoyés, nous partîmes dans un fou rire. Il se moquait ouvertement de moi, singeant mon service et je ne voulais pas le laisser dire. Aucune balle ne passait et je jubilai. Assise sur ma chaise longue en rotin, je fus vite dérangée par David, transpirant à grosses gouttes et passant la serviette sur son visage. Il s’assit près de moi. « Tu comptes organiser quoi pour ton anniversaire ? C’est dans deux jours et si tu avais prévu quelque chose de spéciale, je pourrais peut-être annuler mes prochaines sorties. —Non. Je n’ai rien prévu. Je compte seulement voir mes grands-parents, souffler sur mon gâteau et me mettre au lit de bonne heure ! Quoi ? Je suis sérieuse David, j’ai sérieusement passée l’âge de faire des grandes soirées avec alcool à volonté et mal de crâne épouvantable pour couronner le tout. Mais c’est gentil d’en parler. » John frappait la balle avec Richard. A cette distance ils ne pouvaient nous entendre. Alors je pris une profonde inspiration. « As-tu des nouvelles de Gale ? » Il prit une moue boudeuse. « Non, aucune. Entre lui et moi ce n’est pas vraiment l’entente parfaite. Il se puisse même qu’il n’ait plus rien à me dire. J’ai quitté le Cap North en froid avec ce dernier. Pour dire vrai, on s’est battu et

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pour ne pas arranger les choses, j’ai rompu avec Athena. » D’un bond je me redressai. « Tu t’es battu avec Gale ? Mais à quel sujet ? David, tu n’étais pas obligé de te montre de ton talent de lutteur pour imposer tes idées. Enfin en personnes civilisées, tu aurais du te montrer plus conciliant. —J’ai essayé crois-moi mais il m’a frappé le premier quand j’ai eu la franchise de lui dire ce que je pensais de sa façon de faire. Cela nous a conduits à nous affronter. Ce fut une pagaille sans précédent. En conséquence de quoi, Gale ne veut plus avoir à faire à moi. Il en valait mieux ainsi. » Après trois verres en compagnie de mon frère et de son amant Richard je décidais d’attendre le départ de David pour appeler Randal. Le téléphone sonna dans le vide et des plus nerveuses, je triturais le fil en tirant sur ma cigarette à m’en brûler les poumons. Il finit par décrocher. « Oh, Randal ! Je voulais vraiment te parler au sujet de ton frère et de David. —Je vais bien. Merci de t’en inquiéter, répondit-il sans me laisser le temps de poursuivre. S’il s’était trouvé être en face de moi j’aurais été déstabilisée par l’expression de son visage. Mes lèvres furent scellées entre elles. Il soupira au bout du fil. « Alors, dis-moi, il se passe quoi entre Gale et David qu’il vaille la peine de me déranger à pareille heure du jour ? —Ils se sont disputés et ton frère ne veut plus entendre parler de David. Il ne veut pas l’exprimer mais il est effondré. Cela ne lui ressemble pas d’être si radical. Il n’a pas du apprécier la critique de David. Je sais qu’il lui arrive d’être direct, d’avoir le

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verbe assassin mais avant mon départ ils étaient les meilleurs amis du monde. Alors je me sens responsable de tout ça. —Oui, ils ont tous les deux dépassés les bornes. Ils vont se réconcilier comme à chaque fois. David n’est pas rancunier. Nora m’a appelé ce matin pour me dire que le Cap North est vidé de tous résidents. Un grand ménage va être entrepris. —Mais pourquoi de si bonne heure ? Randal il s’est passé quelque chose que je dois savoir ? Gale, tu es toujours là ? —Non, il ne s’est rien passé qu’il puisse t’inquiéter. Concentres-toi sur ta carrière d’accord. Laisses-moi gérer le reste, d’accord ? Pour le moment tu pourrais retourner à Raleigh voir tes chevaux courir et ne te prends pas la tête avec tout ça. —Gale, s’il te plait ! Il s’est passé quoi là-bas ? —d’accord. je peux venir te voir dans une heure. » Une heure plus tard il sonna à la porte de chez John et je lui ouvris la porte des plus angoissées. Il se tenait là sans un sourire, le chapeau enfoncé sur la tête. « J’espère que tu as du café. —Je préfère qu’on sorte. John est déjà au lit. Enfin s’il venait à nous entendre il descendrait prendre part à la conversation ; Or demain il a une longue journée. On peut peut-être aller dans ta voiture ! » Derrière son volant il fixait la chaussée déserte et calme. A cette heure-là, les résidents dormaient à poings fermés. Les derniers noctambules rentraient chez eux en roulant au pas. Eclairés par ce réverbère, nous étions à laisser ce calme nous envahir.

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« J’ai eu une discussion avec John concernant Boston et ensuite avec David. » Il soupira avant de pincer l’arête de son nez. « Le monde regorge d’idiot et il y en aura toujours pour te dire que ce que tu n’es pas valable. Fi-toi seulement à ton instinct. » Cette sentence me laissa sans voix. Le monde regorge d’idiots ! Alors je détournai la tête ; Randal était un homme paradoxal. Ce qu’il vous donnait un jour il pouvait le reprendre le lendemain. Pourquoi ? Parce qu’il était cupide comme tous les politiciens. Il n’agissait jamais en son nom personnel, ce qu’il voulait s’était fédérer la masse, caresser les citoyens dans le sens du poils et s’excuser au nom du Congrès quand ces même gens descendaient dans la rue pour faire entendre leur colère et déception. Randal ne me donnerait jamais son amour. Il ne me donnerait que des substituts afin de ne pas se perdre. Comme je l’observais, il tourna la tête se sentant étudié et un timide sourire apparut sur ses lèvres. « Aubrey, il va te falloir mettre tes sentiments de côté si tu aspires à vouloir travailler pour Damon. Ne te l’ai-je pas déjà dit ? Tu ne peux pas m’appeler à chaque fois que le vent tourne en ta défaveur. Cette attitude n’est pas tout à fait mâture et… —Je te demande pardon ? Je me fais du souci pour ton frère et toi tu ne trouves que cela à me dire ? Ce n’est pas tout à fait la réaction que j’attendais de ta part. Je peux comprendre que tu puisses être fatigué de tes journées mais ce n’est certainement pas une raison pour m’envoyer sur les roses ! —Aubrey, je ne veux pas que tu te mettes dans tous tes états pour Gale. Il est

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seulement dans sa phase de relégation. Il est comme ça et on ne peut pas lui en vouloir. Tu prends ces événements trop à cœur. Entre nous j’aurais préféré que Calvaert ne vienne pas. il fiche la pagaille au Cap North et ensuite vienne la bouche en cœur te parler de Gale en mauvais terme. —J’ai pensé que Gale avait pu t’en parler. —Et bien non. Mon frère est dans sa phase d’expulsion comme je te l’ai dit. Quand il est ainsi il ne veut rien entendre et il alors nécessaire de l’ignorer. » On le croyait quand Randal affirmait ces dires. Gale pouvait se montrer tyrannique. Il régnait en maitre absolu, en empereur dans un monde qui le portait au pinacle. Contrarié il pouvait entrer dans des colères noirs et rien ne le calmait si ce n’étaient les paroles réconfortantes de son frère. « Depuis quand n’as-tu pas parlé à ton frère ? —On ne parle pas d’un petit garçon mais à un homme capable de se prendre en main et gérer ses émotions. Il a fait ses preuves à Harvard d’où il a obtenu des diplômes et il est question qu’il se marie dans les mois à venir. Tu vois, tu n’as aucune raison de te montrer agitée. » Gale marié. Depuis un moment déjà j’avais perdu le contrôle. Si on m’avait dit : fais gaffe ma grande, ton amour te file entre les doigts. Je n’aurais pas pris cela au sérieux car convaincue du poids de son amour. Nous avions toutes les raisons de penser que rien ne changerait entre nous ; nous passions nos vacances ensemble et nous fréquentions aussi souvent qu’il fut parmi de l’imaginer ; J’étais une princesse dans son palais de verre persuadée que son

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bonheur se multiplierait à l’infini comme son reflet à travers les paros reflétant une si flatteuse image. Ce temps était révolu. Pourtant Nora m’avait mise en garde des milliers de fois ; pourtant à chaque fois je revenais à la charge encouragée par le zèle de Gale à mon égard. Tout ce que je voyais à l’époque c’était son visage d’ange, ce sourire ravageur et ses fougueux baisers. «Je vais m’octroyer quelques jours en Alabama, chez mes cousins et c’est un vaste programme qui m’attend sur place. Les tantes sont e redoutables guerrières si l’on n croit leurs nombreuses actions contre les mesures de leur gouverneur véreux et arriéré. En mon sens c’est dépaysant. » Il soupira puis tourna les boutons de sa radio. Un bon fox-trot passa sur les ondes, puis ce fut du blues et du rock. Pas le genre de musique que l’on écoutait chez les Byron-Doyle et encore moins chez mon père, seulement parce que jugés trop racoleur. « si tu ne vois pas d’inconvénient je vais rentrer Randal. Je n’avais plus grand-chose à te raconter. » Il coupa la radio. Son visage exprimait la lassitude ou l’ennui, allez savoir. Toujours est-il qu’il n’avait pas envie de se montrer joyeux. « J’ai l’impression que tu te joues de moi. Les mots que tu emploie pour me désigner auprès de Calvaert pourraient être : Randal le naïf, trop confiant pour comprendre la perfidie des Hommes ou l’ennuyeux Byron-Doyle qui n’a aucune idée de la complexité des sentiments humains, attaqua-t-il en s’allumant une cigarette. Tu vois Aubrey j’aurai pu te croire sincère quand tu m’as dit vouloir

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passer à autre chose. C’est là que j’ai manqué de lucidité te concernant. —Mais de quoi parles-tu au juste ? —S’il te plait Aubrey, cesse de me prendre pour celui que je ne suis pas ! Là, je suis fatiguée de t’entendre déblatérer des conneries grosses comme la Statue de la Liberté puisque cette dernière soit basée sur des fondations solides. Avec toi on ne sait pas à quoi s’attendre quand tout pourrait être plus simple ! Par choix ou bien par nature, tu compliques tout et il s’avère que je ne peux pas continuer ainsi. —Et j’en suis la seule responsable d’après toi ? Tu crois peut-être que tu me facilite la vie avec tes faux-semblants et tes remarques blessantes concernant tout un tas de mesures sur….je préfère m’arrêter là avant d’aller trop loin. —Et bien sur quoi ? —Sur l’Affaire Brown par exemple, répliquai-je. —Oh, non pitié ! » Il leva les yeux en l’air et sa réaction me contraria. D’habitude il se serait contenter de glousser avec cynisme et les mains sur mes épaules il aurait tenté de me ramener sur le droit chemin, mais là, sa réaction fut inédite. « Tu me déçois. Tu agis comme le plus amoral et je devrais m’en trouver flattée ? —Ne me donne pas de leçon de vie d’accord ? » Randal était en colère. Pour la première fois de ma vie je le vis sortir de ses gongs, appuyer sur les mots pour souligner mes imperfections. Une simple fessée m’aurait fait moins mal que ce changement subit d’attitude. Ce Janus affichait la face caché de son visage et je craignais qu’il ne se mette à sortit dans la rue pour tout casser.

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« Je ne te fais pas de leçons. C’est plus fort que toi, tu vois le mal partout Randal quand il ne s’agit que de modérer tes propos concernant certains décrets, ordonnances et règlements. C’est toi le patron et je m’étonne seulement que tu sois là, assis dans ton fauteuil de cuir à écouter du bon jazz tout en sirotant ton whisky sans penser que dans un état comme l’Alabama, des hommes continuent à lyncher leurs semblables pour la simple bonne raison que des types comme toi ne sont pas foutus de trouver un compromis satisfaisant à…. —Tu n’es pas faite pour la politique. —quoi ? —Tu t’insurges depuis des années pour cette minorité dont tu ne fais partie ! Je veux bien croire pour Nora mais toi ! Regardes-toi Aubrey, tu parles, tu vis et tu respires comme toutes ces blanches du sud. En te voyant on ne ferait aucune différence avec l’une de mes cousines parce que tu es intégrée. Tu refuses cette évidence et Dieu seul sait pour quelles raisons ! Et c’est ça le problème de ce foutu pays. On marche sur des œufs sans cesse critiqués par des partisans d’un mouvement ou d’un autre. Et je ne parle pas des fanatiques de ce Luther King qui lui finira assassiné s’il continue à s’agiter comme il le fait. —Oh, c’est avec des hommes comme toi qu’on déclare des guerres dans ce foutu monde ! Tes idées sont archaïques comme vos damnés petits rassemblements établis par votre confrérie ! Tu crois vraiment que je suis aussi gentille que ta cousine, Randal ? Alors c’est mal me connaitre. —Je te connais bien Aubrey et c’est tout le problème. Il se puisse que tu n’aies plus

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rien à m’offrir. Tu n’évolues pas. tu es restée la même enragée qu’avant ton admission à Berkeley et c’est une mauvais surprise pour moi, je dois dire. » Les larmes me montèrent aux yeux. La gorge nouée je ne parvins à articuler quoique se soit même pas une insulte. La main posée à plat sur ma croix Saint Christophe je fixais la rue déserte faiblement éclairée. Le lumière à l’étage de la maison de John s’alluma et je pris conscience de la fragilité de l’amour. « Alors je te déçois ? Sanglotai-je à bout de souffle. —Aubrey, tout ce que je veux c’est…. —Je sais ce que tu veux Randal. Tu es si transparent, si vide. Il n’y a rien de surprenant alors à ce que tu te retrouves seul, sans personne à aimer. Tu n’es qu’une enveloppe vide et depuis toutes ces années tu me sors le même baratin sur ce que doit être la loyauté. Alors oui, il est préférable qu’on n’arrête de se mentir. Nous ne seront jamais toi et moi que des amis dont l’amitié ne tient qu’à un fil. » Il se frotta le front mais ne fit rien pour me retenir. Alors je rentrais chez John sans me retourner. Plus jamais je n’aurais à faire à un membre de sa famille et je le jurais devant Dieu. CHAPITRE Le téléphone sonna. Dans le jarin je désherbais et Nora partit décrocher. Elle recevait sa grande sœur aujourd’hui et à cet effet s’affairait en cuisine. Emeline restait une femme rigide, maniaque et

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bornée. Elle parlait des blancs comme d’une race à part et ne supportait pas la présence de Clive à un mètre d’elle ; cela faisait des années. Clive représentait une dangereuse menace. Emeline de cinq ans son ainée veillait sur sa petite sœur comme le lait sur un feu. Une voiture s’arrêta et en descendit Emeline qui pestait comme à son habitude. Nous ne l’attendions qu’à onze heures et son apparition nous surprit tous. Clive, les chaussons aux pieds quitta péniblement son fauteuil alors que tante Emeline ne cessait de déblatérer à tout-va. « Il faisait une chaleur épouvantable dans ce compartiment. La prochaine fois je prendrais l’avion. Au moins, on ne souffre pas du froid en hauteur. J’ai crains ne jamais pouvoir partir avec toutes ses manifestations pour les Droits Civiques. Et toi tu es encore à travailler pour ce sénateur corrompu quand ta sœur et tes neveux sont dans la rue ! Mon Aslhey a arrêté la semaine dernière et William….mon Will pense que nous devrions adopter une autre méthode. C’est déprimant ce qui se passe en ce moment à Washington. Les nègres qui peuvent voter ne le font pas en raison de la pression subit dans nos comtés. Ah, si tu savais ce que nous subissons en ce moment. » Clive me fit signe de venir et me tendit quelques billets verts. « Tante Emeline va rester plusieurs heures ici et refaire le monde. Tu devrais sortir t’amuser un peu, hein. Tu devrais sortir. » Je n’avais nulle intention de sortir. Clive devait comprendre que leur demeure restait mon asile. « Si ta grand-mère me cherche, dis-lui que je suis parti saluer Ronnie. Je

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reviendrais pour le diner. Il est préférable que je ne fasse pas écran à ces retrouvailles. Tu n’auras qu’à prendre la voiture. J’ai besoin de marcher un peu. —Aubrey ! Aubrey ! Appela ma grandtante depuis le salon. Ta petite-fille n’a-telle pas l’intention de me fuir, j’espère ? Ah, te Voil0 ! Plus tu vieillis et plus tu ressembles à ta mère. Ce côté arrogant, cette soif d’indépendance. Berkeley a-telle eu raison de tes convictions politiques ? Nora n’aime pas évoquer cela mais il est important que tu te joignes à notre mouvement. —Emeline, je n’aime pas que tu abordes ce sujet-là ici, murmura Nora sans un sourire. —Et pourquoi s’il te plait ? Ce n’est certainement chez McGOwan qu’on parle de politique. Ton gendre est tellement peigne-cul, si indifférent à notre sort. Je ne suis pas la première à penser que tu n’aurais jamais du laisser ta fille l’épouser. —Emeline s’il te plait ! Ma fille a toujours été heureuse avec Earl. Il la respecte et prend soin d’elle. C’est ce que l’on attend d’un époux n’est-ce pas ? Alors Emeline changeons de sujet je te prie. —Evidemment Nora chérie ! Earl a de l’argent et de bonnes paroles qui se veulent rassurantes, pesta cette dernière en sortant de son sac un poudrier. Tout ce que je vois moi c’est un mariage intéressé et tout cela pour fuir la réalité ! —Je vois ma sœur chérie que tu n’as pas changée. Tu nous tiens ce même discours depuis des années. Veux-tu que je te dise ? Il faut vraiment que je t’aime pour te supporter. Maintenant que dis-tu si on rendait visite à Shelby ? »

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Ces dernières enfilèrent leur manteau tout en jacassant. On sonna à la porte et je me précipitai à ouvrir. Les voisines venaient souvent rendre visite à Nora sur ses jours de congé. Je tombai nez-à-nez sur Randal ByronDoyle. Le sourire s’effaça de mes lèvres. « Salut Aubrey, je….j’ai appelé il y a une demi-heure environ et Nora m’a invité à passer prendre le thé. —Nora ? Je ne crois pas non. Elle reçoit sa sœur aujourd’hui. Possible que tu es mal compris. » Il ne répondit rien. Le pauvre homme était à la torture. A quoi cela rimait de me montrer cruelle envers lui ? « Je voulais te ramener ton cadeau d’anniversaire… —Aubrey, est-ce que tu… » Nora s’interrompit en voyant le fils de son employeur et elle poursuivit sur le même ton : « Bonjour Randal. Nous sortons chez les Ramsay. Veux-tu te joindre à nous ? D’accord. Nous ne seront pas longues. Si toutefois tu venais à changer d’avis, tu sais où nous trouver. » Elle partit sans un mot pour Randal. Je jubilais. Il n’avait ce qu’il méritait après tout. « J’ai des tas de choses à faire alors si tu n’as rien à me dire d’autre, je ne te retiens pas. —Comment va Nora ? —Pourquoi cette question ? » Il tenait le paquet dans sa man et semblait avoir oublié les raisons de sa présence chez mes grands-parents. « Peux-tu me laisser entrer s’il te plait ? Il faut que je te parle. —Non. Je ne tiens pas à ce que tu rentres. Nous n’avons plus rien à nous dire, tu le sais bien. Qui plus est cette maison n’est pas la mienne. La rue

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convient le plus à ce genre de conversation. —Alors je ne vais pas insisté. C’est pour toi Aubrey. Bonne journée. » Il regagna sa voiture des plus tendus. Qu’avait-il donc fait pour mériter pareille insensibilité ? La gorge nouée je restais pétrifiée, incapable de faire le moindre mouvement. Je pris conscience d’être allé trop loin. Je posais le paquet sur la table quand on sonna à la porte. C’était de nouveau Randal. « Euh… veux-tu qu’on aille marcher un peu ? Faisons quelques pas veux-tu ! —Laisses-moi deux petites minutes ! » Ce n’était pas un si mauvaise idée que cela. Le vent claquait, secouait les drapeaux dans les jardins ; les drisses des bateaux qu’on entendait tinter au loin signifiait la présence de ce vent venus du Nord. Des mouettes passèrent au-dessus de notre tête et il prit ma main pour m’aider à accéder à la plage. Là des gosses, ceux du quartier résidentiel jouaient avec leurs cerfsvolants, leur faisant exécuter toutes formes de figures de voltige aérienne. Les mains enfoncées dans ses poches, Randal fixait l’horizon. Depuis dix minutes nous n’avons rien dit et aucun sourire ne se dessina sur ses lèvres. Cette ambiance me terrorisait ; or depuis mon retour de Washington je n’avais pensé qu’à nos retrouvailles. « Quand comptes-tu partir ? —Où ça ? —En Alabama, répondit-il sans un sourire. Ou bien as-tu oublié que tu t’y rendais. Je ne suis pas certain que tu y gagnerais quoique se soit en t’y rendant. —Et qu’est-ce que tu en sais ?

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—Je suis inquiet pour toi c’est tout. Je ne suis pas vraiment rassuré quand tu prends ce genre de décisions. Pour tout te dire, je suis très inquiète. —Tu ne devrais pas. je suis une grande fille. —Mon père passe quelques jours au Cap North avec quelques uns de ses amis. Des politiciens, des sénateurs et j’aimerai que tu viennes les saluer. C’est très important pour moi, c’est…. Enfin, c’est une façon pour moi de me faire pardonner pour mon comportement passé. » Je m’éclaircis la voix avant de m’adosser contre les pierres protégeant le littoral. Randal fixait l’horizon, La gorge nouée, je fixai mes pieds plongés dans le sable frais. Le ciel restait couvert depuis le matin et il ne faisait pas assez chaud pour se baigner. « Il va pleuvoir dans la journée. Enfin on ne peut vraiment se fier au bulletin météo, les prévisions s’annoncent presque toujours inexactes. » Il me lorgna du coin de l’œil. Jamais il n’y eut pareille distance entre nous deux. Il fallait bien un début à tout. « J’aime autant ne pas passer, continuaije en plongeant le pied dans le sable, vous arrivez sans mal à vous passer de moi. Tu as certainement prévu de te pavaner au bras de ta riche héritière new yorkaise. Comment va-t-elle à ce sujet ? —Aux dernières nouvelles elle se portait bien. » On resta silencieux un petit moment. Aucun de nous deux n’osaient troubler le silence de l’autre. « Bon et bien, nous n’avons plus rien à nous dire. Il semblerait que nous ayons fait le tour de la question. » Son regard plongea dans le mien. Le vent se leva et fit gonfler mes cheveux et

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ma robe. « Viens…. » Alors il me serra dans ses bras. Ce fut intense comme le premier baiser échangé avec le premier petit copain ; il le fit de manière spontanée. Des jeunes passèrent devant nous et la fille lorgna e notre côté, amusée par notre échange. Nous étions devenus une sorte de couple d’amant pris dans les tourments d’une vie compliquée. La fille devait se dire : qu’ils sont mignons à se comporter comme de sensibles et timides amoureux ! Je me disais que tout cela faisait partie d’un plan. De son plan. Nos benjamins s’installèrent à quelques mètres de nous et échangèrent quelques mots a voix basse en nous observant. Comment ne pas rester concentrée sur l’étreinte de Randal ? Lui me baisa le front avec une certaine mesure. Il ne voulait pas qu’on dise partout qu’il fricotait la petite fille des Schaeffer. Son second baiser fut plus long, assez pour trahir ses sentiments. Il s’appliquait à m’apprivoiser et quand sa bouche se trouva être près de la mienne, j’eus un geste de recul. J’ignore pour quelles raisons je l’’ai fait mais cela valait mieux pour nous deux. Les larmes me montèrent aux yeux. « On pourrait continuer à marcher sur la plage, tu ne crois pas ? » les deux jeunes détournèrent la tête pour focaliser leur attention sur la mer glissant vers le sable bordé d’algues noires. Donc, on poursuivit notre marche jusqu’au ponton situé au bout de la crique. Quand nous étions gosses à la fin des repas, mes frères et moi prenions nos bicyclettes pour se rendre jusqu’à cet endroit et avec John nous interprétions des pirates hissés sur ses gros rochers aux formes multiples et étranges.

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« Je pars demain matin. J’espère seulement qu’on trouvera à se revoir avant ton départ pour Boston. —A ce sujet j’ai réfléchi. Tu as toujours ce poste au Congrès ? Je pourrai venir travailler avec toi, si tu veux toujours de moi, ceci dit ! » Il s’arrêta net, les sourcils froncés avant d’oser un sourire. « Tu es certaine ? Tu veux vraiment rester à Washington ? —Oui. Dans l’hypothèse ou toi tu veux toujours de moi. Il serait mal avisé que je parte quad tant de belles opportunités s’offrent à moi. —Tu es sérieuse ? » En guise de réponse, je haussai les épaules. Il ôta son chapeau pour caresser ses cheveux et prit un air solennel. « Il s’agit d’un engagement sur du long terme, tu comprends ? Ce n’est pas l’adhésion à un club de littérature ou d’une association pour personnes de couleurs. C’est bien plus sérieux Aubrey et je ne peux pas alerter tout le monde en annonçant ton arrivée quand quinze jours plus tard, tu décideras de ficher le camp vers de nouveaux pâturages ! Ce n’est pas ainsi que cela se passe. —Pour qui me prends-tu? Est-ce qu’une fois je t’ai fait faux bond ? Dis-moi seulement j’ai une dois dans ma vie manqué de discernement ? Mais je te préviens Randal, je ne veux pas de traitement de faveur. Je tiens à être considérée comme toute autre stagiaire et jeune diplômée, non pas l’une de tes recrues hautaines et méprisables à souhait. Je veux seulement pouvoir faire ce que l’on attend d’un bon fonctionnaire de notre administration publique.

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—S’il n’y a que cela pour te rendre heureuse, alors marché conclu ! Le congrès t’ouvre ses portes ! » Toute la journée durant je ne pensais qu’à lui. Il occupait toutes mes pensées au point de trouver à m’ennuyer au milieu des miens. Je décidais donc sur un coup de tête de me rendre au Cap North. Tous étaient sur place. Je comptais plus de dix voitures, de luxueuses limousines noires eten aucun cas je ne pouvais arriver avec mes gros sabots et lancer à tue-tête : Faite place à Aubrey McGowan ! C’est à moi qu’échoit la place de favorite ! Pourtant c’est précisément ce que je fis en passant devant le majordome, incrédule et paniqué à l’idée de me laisser entrer en présence de ces prestigieux invités. Dans le grand salon, mon cœur battait à rompre en découvrant tous ces visages inconnus gravitant autour du maitre de maison : Marcus. Ce château je le connaissais comme ma poche mais à ce moment précis je me crus être dans un palais scandinave tenu par un propriétaire aux crocs acérés et prêt à me sucer le sang en guise de diner. Mrs Denton tomba des nues en me voyant arriver dans ma robe fourreau et interrogea Marcus du regard. Il se précipita pour me saluer le plus chaleureusement possible. « Bonsoir, Aubrey. Nous vous espérions et mes félicitations pour votre emploi », déclara-t-il après avoir baisé ma main et dégagé la voie vers tous ces anonymes dont les parents Dewitt, couple charmant qui me complimenta sur mon diplôme. J’étais aux anges, sur un petit nuage. Partout l’on me complimentait. Cependant aucune trace de Randal. Mrs Dewitt glissa vers moi, le sourire aux lèvres. Cette femme aspirait au respect avec son allure

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de Première Dame des Etats-Unis, son rouge à lèvres carmin et ses grands yeux de chat. « Finir majeure de sa promotion ce n’est pas rien. Vous avez du y consacrer de nombreuses heures d’étude pour arriver à un tel niveau d’excellence. Ce ne sont pas les propositions d’emploi qui vont vous manquer. Je ne l’ai pas dit à Max mais il devrait songer à vous appuyer pour un emploi à la Maison Blanche. Ah, ah ! Max y a ses entrées et comme vous êtes une excellente relation des Byron-Doyle, c’est que vous ne devez pas être une conspiratrice ou autre chose. Etes-vous fiancée, Miss McGowan ? Je dis cela parce que vous attirez bien plus le regard sur vous que la malheureuse Joconde enfermée au Louvre. —Non je n’ai pas encore trouvé le moyen de m’attirer les concours d’un galant. —Vous devriez vous en réjouir pour le moment. Une fois que vous l’aurez trouvé, il lui faudra accepter le fait que vous vouliez voler de vos propres ailes pour ne pas être seulement une poulinière ! Nos talentueuses diplômées issues des plus grandes familles de ce pays n’ont malheureusement pas leur mot à dire. Alors ma chérie, ne vous laissez pas ferrer par le premier venu. » Où se cachait Randal ? Le sourire m’effaça de mes lèvres quand je le vis arriver au bras de sa fiancée, Edda Dewitt. Cette dernière paraissait plus lunaire que sa mère et elle passa d’un groupe à l’autre avec la même décontraction d’une reine en visite. Quel charmant couple formait-il ? Je ne pouvais en être que très satisfaire.

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Grisée par l’alcool je sus que tout irait bien pour moi. Puis Mrs Dewitt glissa quelques mots à ‘oreille de sa fille qui aussitôt se retourna pour m’étudier. La panique me saisit. UN jour j’aurais à l’appeler par le nom de Randal. Ce fut Mrs Dewitt en personne qui vint me présenter à sa fille, médecin et brillante chercheuse. Soudain je ressentis la honte de n’avoir rien accompli de ma vie. « Bonsoir Aubrey, enfin je peux mettre un visage sur un nom et vous êtes plus jolie encore qu’on le dit et c’est une chance pour nous que vous soyez de retour au pays. Vous plaisez-vous au moins à Washington ? Et c’est très bien que vous ayez accepté cet emploi au Congrès. A l’occasion il faudra qu’on déjeune ensemble. Passez une bonne soirée Aubrey ! » Ce fut tout. Jusqu’à ce que Mrs Denton vienne à moi, feignant la bonne heumeur. « Votre collier est ravissant. Un prêt de votre grand-mère Nora pour l’occasion Vous la remercierez de notre part. Sans son intervention nous aurions pu nous demander si Boston ne vous aurait pas été plus favorable compte-tenu vos démonstrations de badinage avec Gale. Entre nous je préfère que vous ne restiez pas dormir ici. Il n’y a rien d’intéressant pour vous, nous ne faisons que parler politique et Randal dit que ce côté-là nous n’avons rien à craindre de vous. Merci de sortir par la porte de service. » Folle de rage je sortis jusqu’à ma voiture. Cette sorcière de Denton…. Tant qu’elle serait là, je ne serais jamais tranquille. Son unique source de préoccupation restait le sort des files de

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Marcus. Derrière le volant de ma Ford, je pestais contre mon sort. On cogna contre la vitre et à travers mon voile de larmes je discernais le visage de Randal. « Merci d’être passée. Tout va bien Aubrey ? —Oui je vais bien. Enfin non ! Mrs Denton a cru bon me ficher à la porte. A l’en croire, je fais désordre dans votre assemblée de politiciens ! On ne peut pas la changer et elle me tient responsable de certains faits. De toute façon, je n’avais pas l’intention de rester. —Et tu lui donnerais raison en partant. Sors de cette voiture Aubrey et remontes avec moi. —Non, cela serait perçu comme de la provocation de ma part. S’il te plait excuses-moi auprès de ton père. » Il rentra ensuite à bord de ma voiture et sourit. « Je ne laisserai pas Calpurnia entrava mon bonheur, Aubrey. Pour rien au monde elle ne décidera de ce qui est bon pour moi. Quand je pense que tu te mets dans es états pareils pour cette moralisatrice, cela me fait doucement glousser. —Oh, tu peux rire, ce n’est pas toi qui subit ses colères. Tu t’en dire plutôt à bon compte. Tu t’en sors plutôt bien à en juger par tes relations de New York. Tes beauxparents sont des gens vraiment charmants et Mrs Dewitt m’a donné la nette impression de se soucier du sort d’autrui. » La bonne humeur s’effaça de son visage et je poursuivis là où le bât blesse : « Altruiste et très dévouée à sa cause, celles des femmes dont le seul tort est celui d’être nées trop tôt. Et comment est Mr Dewitt ?

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—un homme d’affaire converti dans le monde politique. Il y a bien longtemps qu’il a capitulé, répondit-il sans me regarder, préoccupé par sa plaidoirie. Comme tu peux t’en douter c’est madame qui porte la culotte et tient les rênes de ses engagements politiques. Alors il est tout naturel qu’elle gère les questions matrimoniales de sa famille. —Le conseil de guerre s’est réuni et a tranché quant à ton sort. » Perdu dans ses pensées il me fixa. Dans mon aumônière je trouvais mon paquet de cigarette et dès la première bouffée je me sentis détendue. Si nous avions l’opportunité de nous réconcilier, ce moment devait être choisie maintenant. On resta longtemps à se fixer sans trouver de suite à notre entrevue des plus improvisées. La cigarette se consumait entre mes doigts et bien vite les volutes de fumée emplirent l’habitacle. « Tu es très en beauté ce soir, me complimenta-t-il sans me lâcher des yeux. —Merci. C’est une vieille robe que j’avais remisée dans la chambre que j’occupe chez mes grands-parents et ce collier appartient à Nora. Et puis je voulais te remercier pour ton cadeau. C’est gentil à toi d’y avoir pensé. —J’aimerai que tu dormes ici ce soir. Tu occuperas ta chambre et on passera la soirée à échanger sur des tas de sujets divers et variés. On pourrait échanger sur nos impressions de cette soirée tout en sirotant un bon whiskey. —On pourrait le faire mais je n’y tiens pas. Ta fiancée est ici ainsi que Mrs Denton. Tous ces paramètres sont à prendre en compte et….

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—Depuis quand cela te dérange—t-il ? Il y a longtemps que tu fais partie de notre famille et ici tu as des entrées, par la grande porte j’entends bien te faire entendre raison ma chérie. » Ma chérie ? L’entendre m’appeler ainsi me galvanisa. J’étais devenue une chrétienne condamnée au martyr dans un des amphithéâtres de Rome et dont l’empereur accorde la clémence. Que c’était bo de l’entendre m’appeler ainsi ! Apaisée par ses propose je posai ma tête contre son épaule et il caressa mon visage avec d’infime précaution, tant et si bien que je le sentis vibrer sous ses propres caresses. Dans un moment de confiance, il souleva mon menton pour poser ses lèvres sur les miennes. Mon Dieu ! Qua faisions-nous ? Pourtant j’en avais autant envie que lui et il fouilla ma bouche. Ce baiser je l’attendais depuis longtemps, depuis toujours. Des larmes ruisselèrent sur ma joue. Mes dents mordirent sa lèvre et il gémit. Randal était à moi et à aucune autre. Ce baiser devait sceller à jamais notre futur. Je ne serais plus jamais la même après cette passionnante étreinte. « Oh, Randal…. —Tu es à moi. tu es ma femme. Et jamais l’on ne se quittera. Promets-le-moi. On ne se quitter jamais. —je te le promets. » Il baisa longuement mon front. « Attends, j’ai quelque chose pour toi. » Il fouilla l’intérieur de son smoking et en sortit une bague. « Qu’est-ce que c’est ? —Afin que du demeures à moi pour l’éternité. Est-ce que tu… acceptes de la porter ? » J’opinai du chef sans trop réaliser ce que je faisais bien trop heureuse pour clarifier

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mes pensées. Il la glissa à mon doigt puis m’attira contre sa poitrine. Les yeux embués de larmes je frissonnais de plaisir, trouvant ce moment des plus magiques. « A toi pour l’éternité ! Répétais-je, traduisant la formule latine. Heureux, Randal me serra davantage, ses lèvres sur mon front. « J’ai crains que tu la refuse tu sais, après tout ce que j’ai trouvé d’horribles à te dire ces derniers temps, gloussa-t-il. Tout ce qui m’importe c’est que tu me fasses confiance. Tout ce que je veux, c’est ton bonheur et cela vaut certains sacrifices. »

CHAPITRE Pendant deux bonnes heures je montais Harlony of Fields. Cette pouliche était prometteuse et répondait parfaitement à c que j’attendais d’elle. Dickinson notre entraineur jurait qu’elle nous rapporterait beaucoup d’argent si on la faisait courir avant qu’elle ne devienne trop sage, ce qui signifiait dans son jargon difficile à convaincre devant un jury chevronné et capable d’un simple coup d’œil de faire et défaire une réputation. John au chronomètre l’avait admiré avant de s’en

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remettre à Richard, également amateur de chevaux. Notre joker, Peter McClau la montait tous les jours en plus de Blue Jean dont le caractère s’amenuisait de jour en jour. Mon frère attrapa la pouliche par la bride, fier pour pouvoir compter sur mon flair à débusquer des futurs champions et il caressa le chanfrein d’Harmony tout en affichant un sourire conquis sur son visage. Bien qu’en costume de ville, John portait des bottes et un vieux chapeau de cowboy qui lui donnaient des airs de gangster. « Elle est merveilleuse, vraiment ! Ta nouvelle petite protégée me plait bien. Il me tarde de la voir courir. Tu comptes descendre à Raleigh ou bien rester ici. » Une voiture arriva, soulevant un nuage de poussière sur le chemin du ranch. On y accédait par un grand arche représentant deux chevaux cambrés ; ensuite le chemin traversait le parc boisé pour débouler sur la maison de maître, soit une immense bâtisse identique avec un chalet de pierres rouges noyé dans cette végétation aux allures de parc européen. L’ancienne demeure fut rasée pour voir sortir de terre cette masure avec son court de tennis, sa piscine et son parc. Le ranch proposait une vingtaine de stalles géré par notre entraineur Dickison qui lui vivait dans un annexe confort tout le confort qu’il faille pour se sentir chez soi. La voiture disparut derrière les arbres et comme nous n’attendions personne, John Dickinson partit en éclaireur. Mon frère enchaina, assez confiant pour aborder le sujet. Je conduisis mon cheval par la bride quand je stoppai net en voyant arriver Gale et Clay McGuire. « Salut John ! Salua-t-il

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en lui tendant une chaleureuse poignée de main. Salut ma toute belle ! —Salut Gale… Clay… » On s’étudia en chien de faïence. Gale ici ? Et pourquoi seulement maintenant acceptait-il de me revoir ? Désolé ma chérie mais j’étais très occupée avec mes amis et je n’ai pas pensé d’appeler non plus pour ton anniversaire ! Mais tu me pardonneras, n’est-ce pas ? Il lorgna du côté des chevaux baladé par la longe par leur lad. « Mais c’est Blue Jean là-bas, Je venais justement voir comment il allait. Te donne-t-il satisfaction John ? —Il est plutôt convaincant Il fait un beau chrono. —C’est ce qu’on attend d’un bon cheval, non ? Certain qu’il ne te décevra pas, il vient d’un excellent élevage. Il faudrait que vous songiez à veiller à sa jambe droite. Il a tendance à s’appuyer sur son côté droit et cela devient problématique dans les courbes ; A moins que votre joker puisse y remédier. —Oui, nous avons étudié le problème. Il aime prendre certaines libertés mais avec une main de fer, on arrive presque toujours à rééquilibrer son allure. —comme tu le sais, je cherche un cheval et je sais que vos chevaux sont de noble souche. As-tu des chevaux à vende ? —Pas que je sache mais j’ai un contact dans le Kentucky qui pourrait te convenir. » A aucun moment il me regarda, occupé à se concentrer sur sa requête ; Mcguire ne pipait mot, fixant ses souliers contrarié de se tenir là pour une transaction qui n’aurait jamais lieu.

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—Oh cela m’ennuie, je suis pressé par le temps vois-tu. Et le premier de tes outsiders fera l’affaire. » Harmony Of Fields brouta l’herbe à ses pieds. Je me chargeais moi-même de ses soins et une fois après avoir ôté sa selle et son tapis, je lui arrosais les jambes la devinant heureuse de cette petite attention. Trente minutes plus tard, gale me surprit dans le cirage des selles. « Et toi ça va Aubrey ? —Telle que tu me vois maintenant. Et je peux quoi pour toi Gale ? John a du te dire que nous n’avions rien à te vendre ici. —Tu ne devrais pas en être aussi sûre. J’arrive toujours à obtenir ce que je veux. » Comme je ne répondis rien, il glissa vers moi et s’assit sur un tabouret, tout près du mien. « Excuses-moi mais j’attends autre chose qu’un visage aussi fermé que le tien. On dirait que tu ne sembles pas ravie de me revoir. Je n’ai pas oublié ton anniversaire tu sais. Tu le trouveras dans le coffre de ma voiture. Et comment va mon cher frère bien-aimé ? On raconte que tu as fait sensation auprès des Dewitt. Racontes-moi un peu ce que tu fichais là-bas. —Randal m’y avait invité, répondis-je avec froideur. —Je ne te crois pas. Cela ne lui ressemble guère. il est porté sur les convenances et j’ai vraiment toutes les peines du monde à l’imaginer te laisser boire un verre en compagnie de Calpurnia. C’est une femme excessivement autoritaire. —Oui je connais Mrs denton. —Alors elle a du t’en faire voir des couleurs. Tu sais je….je n’arrête pas de

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penser à toi et à la manière dont on s’est quitté. » Avec plus d’entrain je frottais le cuir à l’aide de ma brosse dont j’enduisais l’extrémité de cire. Il se leva pour passer derrière moi. Alentour les garçons d’écurie vaquaient à leurs occupations sans se soucier de nos personnes. « j’ai tenté de ne pas être maladroit envers toi mais il s’avère que j’ai manqué de discernement. Il est certain maintenant que jamais je n’aurai du t’inviter à te joindre à nous. Ce fut là ma première erreur dont j’en paye aujourd’hui les conséquences. —Ecoute gale, cette histoire appartient maintenant au passé et je t’assure que je n’ai pas été blessée par quoique se soit. Nous avions tous les deux tords de penser que nous pouvions continuer éternellement à nous comporter comme de parfaits amants ! » Adossé contre le mur, les mains derrière le dos il me défigurait. Je n’arrivais jamais à lui en vouloir. « Avoue que je t’ai fait de la peine. Je t’ai plongé dans l’embarras et toi tu es restée digne comme à chaque fois. Alors tu as toutes les raisons de m’en vouloir même si tu préfères arborer ce visage impassible. Tu m’en veux de t’avoir abandonnée n’estce pas, —Oh, gale je t’en prie ! Je ne veux pas revenir sur cette partie de ton existence car la discussion s’annonce stérile. Dans tous les cas je veux aller de l’avant et me consacrer à mes chevaux. » Voyant l’heure tourner et songeant à mon frère sur le départ je m’essuyais les mains sur un vieux drap quand Gale me saisit par le bras.

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« Et quel sorte d’amant est Calvaert ? —David ? Je savais que tu n’étais pas uniquement venu pour les chevaux. C’est plus fort que toi ! Tu ne peux pas seulement te contenter d’être spectateur il te faut avoir un rôle à la hauteur de tes ambitions et ton ami ne pourrait-il pas…. —Tu couches avec lui ? Réponds-moi tout simplement, il est ton amant ? —Non ! Bien-sûr que non ! —Alors pourquoi portes-tu cette bague ? Tu croyais peut-être que je n’allais rien remarquer. C’est la bague de notre confrérie, celle que l’on offre à nos fiancées avant nos fiançailles officielles. —Cette bague ? Questionnai-je en tournant l’anneau l’écu vers le dessus. Ce n’était en comme qu’une vulgaire chevalière. Les larmes me montèrent aux yeux. Je venais de comprendre. « David a trahi chacun de nous en ne respectant pas nos rites. C’est l’une des pires trahisons car il nous offense en refusant de voir notre confrérie comme un sacerdoce ! —Euh…. Ce n’est pas tout à fait ça. Seulement le moment est mal choisi pour t’en parler. —Tu es enceinte ? —Non ! Nous n’avons pas couché ensemble. —Alors je ne comprends pas. David est mon ami, le meilleur que je pusse espérer avoir. Alors expliques-moi pour quelles raisons il t’honorerait d’une alliance comme celle-ci si ne t’avais pas mise dans l’embarras ? Soit il n’est plus maître de lui, sot il est complètement fêlé. Mais dans les deux cas je ne peux pas envisager qu’il cherche le bannissement.

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—Le bannissement, Et ensuite que se passera-t-il pour lui ? —Plus aucune famille ne le recevra. En tous pas moins de eux cent personnes refuseront de lui faciliter son ascension sociale. Ce qui signifie qu’il sera frappé d’ostracisme. » Le coup de massue me tomba dessus. A quel jeu jouait Randal en agissant de la sorte ? Gale enserra mon visage entre ses mains. Randal ne faisait rien sans en mesurer les conséquences. Randal était lucide, attaché à ses valeurs et je ne pouvais pas imaginer qu’il puisse se mettre en danger pour une vulgaire idylle. « Si cela ne te dérange pas, j’aimerai rester quelques jours ici, murmura ce dernier au creux de mon oreille, comme au bon vieux temps et… —Gale, je…. » Il posa son doigt sur mes lèvres pour m’intimer le silence. « Je sais que tu m’aimes et les sentiments que j’éprouve pour toi sont inaltérables. Je ne peux me passer de toi. Tu comprends qu’on puisse en arriver là toi et moi. C’est bien plus qu’une simple idylle et aucun Calvaert ou je ne sais qui se mettra entre nous.» Il me serra dans ses bras et baisa mes joues avec tendresse. Il aurait été nécessaire que je lui parle de son frère et du contrat tacite passé entre nous mais j’en fus incapable. Le moment s’y prêtait mal et je voulais savourer cet instant comme craignant de ne plus jamais me retrouver dans ses bras. Il me semblait être Lily Bart, triste héroïne de mon Edith Wharton dans son roman Chez les heureux du monde. Cette pensée me rendit triste. Quelque part je n’étais pas si différente d’elle. Adulée puis rejetée, Lily Bart ne trouva ni l’amour, ni la gloire dont elle

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avait espéré. Tout cela me rendait heureuse mais en temps, je fus terrifiée à l’idée de le trahir pour Randal, son ainé à qui son père accordait sa pleine confiance. Randal ne manquerait jamais les occasions d’être heureux, contrairement à Gale qui manquait de confiance en lui. « Alors c’est d’accord pour toi ? Ecoutes, Aubrey ! Mon frère est sur le point de se marier et une fois arrivé à destination, il me demandera d’en faire autant et…c’est toi que je choisirai. —Quoi ? Enfin, comment peux-tu dire ça ? Pestais-je en quittant les lieux talonné par ce dernier. Tu as perdu la tête et par conséquent je refuse de t’écouter déblatérer des énormités. Toi et Clay feriez mieux de rentrer maintenant, votre présence ici risquerait de nous porter préjudices et….cette conversation n’aura jamais eu lieu. » Les larmes embuèrent mes yeux. Il me serra dans ses bras à la vue de tous les lads travaillant pour le compte de mon père. Ils diraient à ceux qui n’avaient pas été témoins de la scène : La petite McGowan est encore tombée sous le charme de ce prédateur ! Et la gorge nouée je le laissais me caresser la tête. « Je ne peux pas t’écouter délirer Gale. —Ne sois pas stupide ma chérie. Ces derniers jours furent les pires de ma vie et tu le sais. Tu le sais alors ne me torture pas davantage. Une fois marié, Randal ne me fera aucune leçon de morale, pas plus que cette prédicatrice de Denton. Il sera bien trop occupé à gérer son foyer qu’à dresser la liste de mes potentielles fiancées et notre amour éclatera au grand jour. Je ne pourrais plus le cacher, tu comprends ? déclara Gale en baisant mes mains jointes.

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Depuis toujours mon père sait que tu es ma promise et il y a longtemps qu’il a accepté le fait que tu puisses être un jour ma légitime. —Ce n’est pas aussi simple. » le front contre le mien, il me retenait contre mon gré. J’eus envie de crier, de me débattre ; je ne pouvais briser la confiance de Randal par ce tour de passe-passe. Je ne pouvais trahir Randal au profit de son cadet ! « Calvaert m’a fait ouvrir les yeux sur le goujat que j’ai été et sans son intervention je serais encore dans les bras de Casey. —Le problème est que je ne t’aime plus. » Et dans ma chambre je joins à chacun de ses violents coups de reins. Il cherchait à me clouer au lit et au bord de l’évanouissement je serrai les dents. Il me pénétrait avec rage. J’étais vidée. La tête enfouie dans le pli de son cou je songeais à Randal. Je l’avais trahi. Je me consolais en disant que Gale était depuis toujours le seul homme que mon corps eut connu. Je me raidis en proie à un orgasme et Gale me sentant partir chargea plus brusquement encore, la bouche sur la mienne afin d’étouffer mes couinements. « Aubrey je t’aime tellement, gémit-il en se répondant en moi après un long râle qui transforma les traits de son visage. Ce musclé coït l’épuisa et ruisselant de sueur, les avant-bras tremblant il s’allongea sur moi pour reprendre ses esprits. Au loin l’orage roulait. Avec délicatesse, Gale sortit de mon corps pour se blottir tout contre moi. « Aucun homme ne t’aime comme je t’aime. On pourrait se marier sans plus attendre. Après quoi je te ferai plein de bébés. »

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Un rire nerveux me saisit. Plein de bébés ? Alors je fondis en larmes à cours d’arguments, incapable de gérer mes émotions. Il prit cela pour des larmes de joie et il glissa entre mes jambes. « Il nous faudra trouver une belle demeure pour y loger tous les gosses que je te ferais ! » Il y a sept ans de cela j’ai renversé le chien de Gale en sortant la voiture du hangar. Le chien gisait de tout son long en couinant. Je n’ai pas su que faire. Gale était là, à se prélasser devant la piscine. Il aimait tellement son chien. Je suis allée trouver Randal mais le chien est mort sur le trajet menant à la clinique vétérinaire. Randal a acheté une pelle, une couverture et on partit enterrer le chien le long du littoral à une demi-heure de route du Cap North. J’ai beaucoup pleuré pour ce chien tant aimé de Gale. Cela me rendait folle de rage et de chagrin. Randal me prit dans ses bras et je l’ai serré de toutes mes forces en le suppliant de ne jamais rien dire à Gale. Ce fut là notre pathétique secret. Je sentais encore le contact de ses lèvres sur mes joues inondées de larmes. Randal a réparé toutes mes erreurs et il m’a habitué à ne pas me soucier de ces petits tracas de notre existence. Il y aurait toujours Randal pour me sauver de l’embarras ou de la honte, du chagrin ou de la colère. Mon cœur se serra à l’idée de voir surgir Gale dans ce ranch : Viens, ma chérie ! Enfile ta plus belle robe, je t’emmène danser ! Et déjà je me voyais avec lui à New York, Boston, New York, tout le monde en nous voyant passer dirait : Quel charmant couple ! Et dire que sa grandmère travaille comme intendante pour cette illustre famille ! Mon cœur se pinça

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dans ma poitrine. Seul obstacle à ce bonheur à venir : la présence de McGuire, seul témoin de mon acte de foi. Dans le salon, tous les trois discutions vautrés dans les confortables fauteuils. McGuire devait penser que je jouais à un jeu dangereux. « Ah, ah ! Il affichait une bouche de six mètres de long mon ami ! Et il bavait des litres et des litres de bave. C’était horrible ! Ricana Gale révélant à ses mais l’une de ses croustillantes anecdotes sur l’un de ses pairs Une calamité ce Hershey ! Je ne l’aurais pas cru si concupiscent ! Ah, ah, ah ! Quoi, McGuire, je ne fais qu’observer ce point ! » Allongé sur le divan, Gale lançait une balle de base-ball vers le plafond sans la lâcher des yeux. « Clay, de nous tous tu es le seul à maintenir ton célibat. Calvaert raisonnait comme toi avant de fréquenter la belle Athena et possible qu’il revienne à la charge. Une telle alliance n’est pas à négliger. —Oui, Athena semble lui correspondre. Elle continue un cycle à Harvard si j’ai bien compris. Elle a oublié d’être bête, argua ce dernier en piochant des amandes dans la corbeille de fruits. Je la trouve très sympathique et Hershey est également de mon avis, il n’a pas arrêté de lui tourner autour ces derniers jours, comme tu l’as si bien noté. Cependant Calvaert ne se préoccupe pas de faire une bonne alliance. —Oh, arrêtes tes salades veux-tu ! Il n’est pas différent de nous autres, bien que la situation lui échappe. Et oui, effectivement, à un moment donné j’ai tenté de les rassurer tous deux.»

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Le regard de Gale se posa sur moi. Il vivait mal ce douloureux épisode, soit, le moment où j’ai manqué de passer à l’ennemi. Derrière le piano, je jouais La prélude n°4 de Chopin. Gale n’aimait pas m’écouter jouer Chopin. Il trouvait son répertoire trop triste. « Joues donc quelque chose de plus gai ! Tu vas me filer le cafard par tous les Saints ! » Randal était bien moins prétentieux ; lui pouvait m’écouter jouer pendant des heures sans jamais se lamenter. Je cessais de jouer pour laisser une place à McGuire sur le banc. « Tu joues très bien. Je voulais te le dire. Ce morceau n’est pas évident. —Arrête, je joue comme un pied, déclarai-je nerveusement en triturant les partitions sur le lutrin. Mais enfin… si tu veux rester… (en avançant davantage mon tabouret devant le piano) je t’aurai prévenu ». Je pris le feuillet de Beethoven pour jouer la Sonate au Clair de Lune, apprise pendant un été en compagnie de Randal. « Qui t’a appris à aussi bien jouer ? » La gorge nouée, je ne répondis pas. « Aubrey ! Tu ne pourrais pas jouer quelque chose de plus gai, on va vraiment finir par se foutre en l’air avec ta musique ! Clay, montre lui comment jouer de ce foutu instrument !» Il joua du Liszt et son Etude S. 161 N°3 La Campenella et je dus m’incliner devant son talent. Il me faudrait travailler davantage pour atteindre un tel niveau. « Je t’apprendrais un jour, avança-t-il en fanfaronnant, sur le mouvement allegro. Tu vois ? C’est comme ça qu’on doit l’interpréter ! »

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Le téléphone se mit à sonner. Le piano cessa et je partis décrocher. « Allô ! Allô ? —Oui Aubrey, c’est moi Randal. —Randal ? » Gale des plus curieux s’approcha de l’appareil, le verre de whiskey à la main. « Je ne te dérange pas au moins ? Ton frere m’a appelé pour me dire que tu étais au ranch et que tu avais reçu la visite de mon frère concernant une pouliche à acheter. —C’est exact. Gale est ici, tu veux lui parler ? » Le silence se fit au bout de la ligne. « Non ça ne sera pas nécessaire. Passes-lui mon bonjour et….j’espère te revoir très prochainement à Washington. Et Aubrey, ne te laisse pas mener en bateau par gale, il lui arrive d’être convaincu de savoir ce qui pourrait le mieux te convenir. A bien vite à la capitale ! » Après qu’il eut raccroché, mon regard plongea dans celui de mon amant. « Il te voulait quoi ? —S’assurer que tu ne me mènerais pas en bateau. » On frappa à la porte de ma chambre et apparut Gale, un bel ange (ou démon) irradiant par sa beauté digne d’un Apollon en quête de grands frissons. La vérité me sauta aux yeux : j’aimais ce qu’il représentait et ce qu’il dégageait. Qui n’aurait pas apprécié se trouver en compagnie de ce bel éphèbe ? Cela revenait à vous présenter une ébauche de paradis et vous dire : Tout ce dont tu as rêvé, tu peux l’obtenir pour en jouir aussi longtemps qu’il te plaira ! Je n’étais pas différente des autres et la cupidité finirait par m’avoir à mon tour. « Il se passe quoi entre mon frère et toi ? J’ai le sentiment que tu n’es pas franche

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avec moi, or dans toute cette histoire il est question de ma famille ! Depuis toujours on s’occupe de toi et tu vois, je ne le sens pas. —Et je vous en suis très reconnaissante, répondis-je prestement fermant mon livre pour gagner mon bureau et m’y assoir. Mais je pensais ne rien vous devoir et surtout pas de manière charnelle. —Ah, ah ! J’accepte que vous soyez devenus de bons amis Calvaert et toi, comme j’accepte que tu ais fricoté cette été avec mon frère mais je n’accepterai pas les faux-semblants de ta part ! —Tu vas te mettre à délirer sur mes intentions, voyant en tes amis des conspirateurs et en ton frère, un redoutable adversaire à abattre et pour cette raison, je ne peux te laisser dire. —Hum… » Perdu dans ses pensées, les mains posées sur le dossier de la chaise vacante, il cherchait à comprendre le fond de mes pensées. « Oui, tu as peut-être raison. On peut voir ça comme de la jalousie mal placée et je te demande d’excuser mon attitude. En ce moment je suis un peu contrarié. Mon père risque de me couper les vivres, tu sais. —Je pensais que tu avais pris cette décision après l’avoir concerté ? Tu avais l’air si sûr de toi hier soir ? —Sauf que je l’ai appelé ce matin. Il a été anéanti. Je pourrais toutefois compter sur le soutien de mon frère s’il acceptait de nouveau de me parler. C’est plus dur que je l’avais imaginé Aubrey… Randal m’a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas ma candidature au poste de représentant d’état si je continuais à te fréquenter. Il n’est plus vraiment le même depuis que tu t’envoie Calvaert.

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—Je n’ai pas de relations physiques avec lui. Il ne fait que lire mes textes et… —Randal ne me pardonne rien. Il veut éviter tout scandale avant son mariage avec Edda et mon père le rejoint là-dessus. Oui… il n’est pas fichu d’apprécier cette femme mais il me conspue après avoir pris connaissance de mon amour pour toi. —On devrait alors cesser de nous voir. On pourrait mettre un terme à notre relation avant que ce scandale vous éclabousse. —Et renoncer à toi ? Tu me prends pour qui ? Tous devront admettre l’hypothèse selon laquelle je veux vivre avec toi, à commencer par Randal au cœur de pierre, Randal l’ennuyeux incapable d’amer une femme aussi brillante soit-elle. Et tu veux que je te dise ? Randal n’a jamais trouvé le temps d’emmener sa belle au théâtre, dans un restaurant ou bien sur un champ de course. Lui tout ce qu’il veut c’est assurer ses arrières et ne surtout pas être importuné par une créature à l’esprit aussi fertile que celui d’Edda. —Qu’est-ce que tu en sais ? Pour moi il est raide dingue de cette Edda. Si tu l’avais vu l’autre soir au Cap North, ces yeux brillaient de mille feux et il n’y avait plus qu’elle dans la pièce. —Il ne l’aime pas. Mon frère est un grand bluffeur, le meilleur de la Virginie en matière de dissimulation. Serais-tu tombée dans le panneau Aubrey ? Edda ne connaitra jamais le bonheur avec lui parce qu’il est imperceptible sous cette bonhomie bien pensée. —Pourquoi es-tu en colère contre lui ? —Non, je ne suis pas en colère, je suis seulement déçu. Et tu devrais l’être toi aussi. Je ne peux le laisser se moquer de

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nous et tu m’approuveras en disant que mon frère a mal agi en te laissant l’approcher. —Non, c’est là que tu te trompe. —D’accord. Alors parle-moi un peu de cet Elias Damon, argua Gale en s’asseyant sur le rebord de la table, les bras croisés. Représentant du Massachussetts et l’une des plus influentes familles de ce pays. L’homme que toutes les familles du sud refusent de recevoir pour ses idées réformistes. Et voilà que ce dernier te propose un emploi. Randal a toujours su attirer la sympathie de ses pairs en affirmant posséder une paire d’as. Et toi tu as sauté à pieds joints, trop flattée qu’un homme comme Damon s’intéresse à toi. —C’est vrai et après ? Lançai-je embarrassée par sa réflexion. « Je te laisse méditer là-dessus. Je vais aller prendre un dernier verre avec McGuire. Lui au moins sait de quoi je parle. » A minuit passé de trente minutes je l’appelais depuis la chambre de mes parents, assise contre le rebord du lit à baldaquin je tentais de me montrer calme. « Aubrey ? Je vais finir par penser que tu ne peux plus te passer de moi. Qu’est-ce que tu veux ? —Je… je voulais un peu te parler. —Un peu me parler et pourquoi ? Seraistu prise de remords ? On va dire, oui. Alors de quoi voulais-tu me parler ? —Ton père l’a mal pris n’est-ce pas ? —Si tu fais allusion à Gale et à sa pirouette, alors je vais te demander à quoi tu t’attendais. Tu ne pourras jamais rivaliser avec une Crowley même si demain tu naissais blanche ! Elle est issue d’une grande famille de Philadelphie et

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cette famille, tu vas la froisser. Attends-toi à de violentes représailles de leur part. —De quelle nature ? —Elle va faire pression sur mon père. Il estime ta famille mais jamais il ne laissera son fils se compromettre avec la petitefille de sa domestique. » Les larmes me montèrent aux yeux. Pauvre sotte es-tu ? Pensais-je de moi en me mordant la lèvre. La tête dans la main je fermai les yeux et ravalais ma colère. Ah, ah ! Tu es Eris la reine de la discorde et maintenant il convient de réparer tes erreurs ! La torpeur me gagna. Une larme ruissela sur ma joue et je l’essuyai bien vite. «J’ai couché avec Gale. » Nouveau silence. « Et pourquoi m’en parles-tu ? Pour me dire que tu as joui dans ses bras ? Et tu m’as appelé pour me faire part de ton expérience des plus enrichissantes ? —Non, mais je pensais à cette alliance. Celle que tu m’as offerte et je songe à te la rendre. Gale ? tu es toujours là ? —Euh…. Ce n’est pas qu’une vulgaire bague tu sais. C’est le genre de cadeau que l’on ne reçoit qu’une fois dans sa vie. On pourra parler de cela plus tard. Excusemoi, mais je dois te laisser. Bonne nuit. » Il raccrocha et médusée je restais le combine posé sur l’oreille. Il ne voulait plus me parler, cela était compréhensible et il lui faudrait du temps pour voir ses cicatrices se résorber.

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CHAPITRE Randal finit par arriver au milieu d’hommes à chapeau. Un peu plus et je le loupais. Après m’avoir aperçu il me tendit une froide poignée de main, les sourcils froncés. Autour de nous, les anonymes nous bousculaient et je me sentis être en terrain hostile. Toute la capitale semblait révéler les mêmes humeurs que Randal. « Et qu’est-ce que tu fais ici Aubrey ? Je te croyais être en Caroline du Nord à dorloter tes nouvelles recrues. —Je tombe probablement au mauvais moment. —Cela va s’en dire. Je mange ce midi avec mes sénateurs. Pour ces derniers il s’agit d’un important déjeuner et… je reste disponible pour te voir après. Tu n’auras qu’à te présenter à mon bureau pour trois heures. Cela te convient ? » Des plus nerveuses j’avalais un hot dog avant de revenir sur les lieux pour l’y attendre. Il arriva avec vingt minutes de retard et m’invita à s’assoir derrière son bureau, une immense table en noyer. Ce bureau me rappelait l’ambiance feutrée du Cap North avec ses boiseries, ses lourdes tentures et ses portraits de Washington, Adams, Jefferson et confrères. Il s’assit sur le rebord de sa table et resta coi, à me fixer. Puis il lorgna sa montre en soupirant. « J’ai un entretien dans moins de trente minutes avec un journaliste du Washington Post. Je présume que tu n’as aucune intention de prendre tes fonctions dans cette annexe du Congrès. » Il y avait une limite à pas franchir pour survivre dans cette société si étriquée et je l’avais franchie. Dans mon cas il ne serait

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plus possible de revenir en arrière. Dans cette impasse n’ayant plus foi en mon entourage j’appelai David pour me venir en aide et sans me juger il m’offrit son soutien. « Je suis… profondément navrée pour tout cela. Je comprends t’avoir déçue au plus haut point. Alors tu sais maintenant que je ne suis qu’une bonne à rien. Comme convenu, je suis venue te rendre ta bague et te dire que j’ai été heureuse d’avoir obtenu votre soutien au cours de ces dernières années et… » Je ne sus quoi ajouter. Alors je posai le bijou devant lui pour me lever prestement. « Bonne continuation à toi. —Aubrey, qu’est-ce que tu me chantes là ? —Ne rends pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà. Je voulais te dire que j’en ai assez fait et qu’il faut que cela cesse. C’est mieux ainsi. —Aubrey. Je t’ai toujours dit ce que je pensais de cette situation mais tu t’obstinais à penser que j’avais tort. Aujourd’hui, force de constater que tu as changé d’avis. Il reste certain que notre collaboration sera fructueuse. Je pense notamment à tes projets de plume. Où en est-il ton livre ? —Ce n’est en fait qu’une ébauche comme tout le reste d’ailleurs. Il s’avère que je n’ai aucun talent contrairement à Calvaert. C’est bien lui l’écrivain. Sa modestie l’honore mais il a écrit avec une telle finesse que nul ne peut prétendre l’égaler. —C’est faux, ton talent est autre. Ecoutes, je n’avais pas beaucoup de temps à t’accorder ce midi, répliqua-t-il debout derrière son bureau et feignant de se

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trouver une occupation de dernière minute pour se donner de la prestance. Un repas compliqué avec quelques représentants de la Chambre et députés. Un repas imprévu dans le sens où je devais réserver ce repas avec McCarty et Hemmings, juges de la Cour Suprême. Ce n’est pas dans mon habitude de décommander mais il est temps pour moi de faire compagne ! Une place se libère dans les hautes sphères de ce Mont Olympe et plus que jamais je dois revêtir les ailes de Mars. —Je t’envie Randal, murmurai-je offerte à ses yeux cupides comme une nymphe sortie de son milieu pour voler la vedette aux autres déesses du panthéon. Et je poursuivis en accentuant cette note théâtrale : Tu as toujours fait ce que tu voulais, obtenu les meilleures gratifications et tout ce que tu touche se transforme en or. —Ah, ah ! Il y a peut-être en amour que j’ai le moins de chance. Le cœur des femmes est difficile à ouvrir. Il n’y a pas de recette magique qui nous enseigne à devenir de bons amants. Cet exercice pour moi est un cuisant échec et je serais un charlatan si j’affirmais le contraire. D’aucune me dirait que l’on récolte ce que l’on sème, n’est-ce pas ? —Tu n’as pas à t’en faire, Edda t’aime comme tu es.» Il fronça les cils avant d’arborer un curieux sourire. « Oui, Edda a de nombreuses ressources et une réelle capacité à maitriser ce qui est ne l’est pas. C’est toujours à cela qu’on reconnait une bonne patriote. Elle sait retomber sur ses pattes et prévoir certains événements qu’on pourrait qualifier d’actes terroristes. »

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Perdue dans mes pensées, je comprenais mon erreur. Il me faudrait apprendre à peser mes mots, tourner sept fois ma langue dans la bouche avant de parler. Randal ne laissait rien passer. Les mains posées à plat sur ses cuisses, il restait à m’observer aucunement agité. Il allait ouvrir la bouche quand sa secrétaire entra pour lui annoncer l’arrivée de son rendezvous de onze heures. A six heures je rejoignis David et il m’invita à diner en sa compagnie. Il ne voulait pas donner l’impression d’être là à me courtiser mais tout en lui le trahissait jusqu’à son parfum et sa manucure. A peine étais-je installée à notre table (dans un restaurant français le Petit Gavroche) qu’il se mit à jouer les trouble-fêtes en me demandant : « As-tu des nouvelles de Gale ? —Non et je ne préfère pas ! Répondis-je sèchement sans lâcher des yeux la carte des vins. Si tu veux tout savoir, il a appelé Randal pour lui dire que je suis alambiquée, le genre de femme n’ayant aucune logique et je sais qu’il a raison. Aujourd’hui à la différence d’hier j’ai seulement un diplôme mais pour le reste... Je n’ai pas une once de bon sens. —Il fait la pluie et le beau temps sur la côte est et si Randal se distingue en politique, son benjamin est le spécialiste des relations publiques. Il connait tout le monde d’un bout à l’autre de cette côte et ses relations sont capitales. Si tu aspires à faire une belle carrière, tu dois savoir bien t’entourer. —Et cela sous-entend quoi ? Que je devrais courir le retrouver et lui manifester mon plus profond respect pour l’espèce d’horreur de névrosée qu’il a fait de moi ?

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Enfin David, ce n’est pas une amourette d’été, une histoire sans lendemain ! Gale a trouvé opportun de me parler de mariage et de projets de vie commune au-delà de la bénédiction paternelle. Comprends-tu cela ? Il m’a mise au pied du mur. —Mais tu n’as pas accepté ce marché. Quoi qu’il se passe, il doit rester ton ami. —Parles-moi de ton entretien au Congrès. Comment était-ce ? —Presque trop facile. —Mais encore ? C’est une belle opportunité pour toi, quand je pense que tu vas travailler auprès de ce sénateur, n’estce pas grisant ? Pourquoi ce regard ? —Tu cherches à gagner du temps ? Estce pour mieux ménager Randal ? Tu lui as fait la scène de la malheureuse dupée et tu crois que cela devrait suffire mais il se fiche de tout ça. Alors tu te rendras au Congrès et tu prendras le boulot qu’il te propose. L doit regagner ta confiance. Alors je te suggère de cesser de jouer la victime. Tu es une McGowan, non ? Maintenant j’ai une autre bonne nouvelle pour toi. Je viens de nous trouver un beau logement. On ira le visiter après ce diner et ensuite, tu me remercieras. » Immédiatement la maison me plut. Située en banlieue, à trente minutes de la capitale, cette bicoque de bois blanc, aux volets rouille ne différait en rien des autres bâtisses de cette résidence pavillonnaire avec leur petit jardin à la pelouse bien entretenue et leurs arbres bien taillés. Cet endroit meublé se révélait être un havre de paix qui cherche à fuir la bruyante métropole et je bondis dans les bras de Calvaert après avoir fait le tour de la propriété.

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« Il y a plein de chambres ici. C’est bien trop pour nous excepté si nous recevons nos amis ! Combien cela va nous revenir par mois, —Tu n’as pas à te soucier de ça. Le bail est à mon nom. Tout ce qu’il faille voir c’est la proximité avec la ville et ces pièces exposées plein est ! Alors tu penses te plaire ici ? » Ma relation avec David était des plus platoniques. On ne s’embrassait pas, on ne copulait pas et surtout point crucial, on ne cherchait pas à se séduire. De toute façon il n’aurait rien fait pour que cela fonctionne, il me savait désorientée et trop énigmatique pour concevoir une éventuelle liaison. Cette situation ne m’embarrassait pas. il sortait le soir, aller prendre un verre avec des potes, fréquentait des filles et rentrer tard ou découchait sans être inquiété de savoir s’il me retrouverait à la maison ou non. De mon côté je lisais ou écrivais sur ma machine à écrire, une tasse de café posé à proximité. Jamais je n’avais mis les pieds au Congrès. Je ne le pourrais jamais… A dix heures le téléphone sonna et David me fit signe d’y aller. « Allo Aubrey, c’est moi Gale ! Je pars prochainement pour New York. Randal a du te le dire, non ? —Non, Randal et moi en ce moment c’est… Et que vas-tu faire à New York ? —Je pars y vivre. J’ai trouvé un emploi là-bas. Plus exactement je l’avais obtenu avant l’obtention de mon diplôme. Ce sont les avantages de ce milieu mais avant d’accepter je voulais vraiment être sûr de faire le bon choix. Ne pas précipiter les choses, tu vois.

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—C’est New York. Tu as toujours aimé cette ville. A toi Broadway et la 5 ème avenue ! Tiffany’s et l’Empire Sate Buildiing ! C’est toutefois mieux que Washington D.C et ses monuments à la gloire de Lincoln pour ne citer que lui ! Tu vas t’éclater là-bas ! —En fait, je… j’aimerai que tu viennes avec moi. » Je craignais qu’il me le proposa et je restai sans voix. Je devais lui dire pour Randal et sa bague, mais aucun son ne sortit de ma gorge. « Aubrey… veux-tu m’accompagner ? » Comment réagir face à cette demande ? « Tu sais maintenant que je ne peux vivre sans toi, tu es la femme de ma vie. Je ne veux personne d’autres que toi… ma chérie. » Et je fondis en larmes, envahie par l’émotion. « Alors… c’est un oui ? » Et David apparut dans l’encorbellement de la porte. Qu’est-ce qu’il fichait là lui ? Encore un désaccord dont elle ne pourrait se dégager, pensait-il en appui contre le chambranle. Je savais que si j’acceptais, je viendrais à le regretter. Je pleurais Randal qui jusqu’à maintenant ne s’était pas manifesté. David parut choqué. il resta sans voix de longues secondes durant. Il ne semblait pas comprendre ce dont je lui parlais, les lèvres serrées. « Et tu as accepté ? —Non. J’aime beaucoup Gale. En fait je l’adore ! Il est avenant, délicat et plein de bonnes attentions mais je ne peux lui donner de faux espoirs. Ma situation a changé maintenant. Je vais travailler avec Randal et je ne tiens pas à quitter Washington de sitôt. —Cela ne semble pas te réjouir, dismoi ? Tu vas devenir une personne

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importante et une foule d’admirateurs va dérouler le tapis rouge sous tes pas. C’est un sacré avancement, à ta place je sauterai au plafond. Alors, il se passe quoi, hein ? —Il ne m’est pas possible de l’épouser ! Voilà pourquoi ! C’est absurde, tu saisis ? C’est comme une histoire de conte moderne dans lequel il n’y aurait pas de maléfice et de sorcière mais bien de princes charmants et de pots de chambre à vider. C’est du domaine de l’utopique. —Et pourquoi cela ? Renchérit David, les bras croisés sur la poitrine. Tu devrais reconsidérer sa requête, après tout tu es encore dans l’obligation de lui répondre. Et pourquoi d’ailleurs t’interdis-tu d’y croire ? Tu connais ce milieu mieux que personne, non et tu devrais savoir que tout n’est pas si absurde. —Mais ça l’est ! Déclarai-je froidement. —Pourquoi ? Parce que son père est fortuné et compte parmi les vieilles familles de la Nouvelle-Angleterre ? Pourtant au départ, il a bien fallu un commencement. C’est bien le propos de ton livre non ? —Tu n’es pas censé l’évoquer avant que j’inscrive le mot « fin » en dernière page. —Tu écris remarquablement bien. Les matins sont identiques à des crépuscules quand la nuit se confond encore avec le jour et…. Il y a des passages entiers sur la nécessité du libre arbitre dans notre société jugée moralisatrice. —C’est parfait et ensuite ? Tu pourrais citer des pages et des pages de mon manuscrit sans que je comprenne où tu veux en venir ! Il s’agit d’une satire pour le cas où tu ne l’avais pas remarquée. —Oui mais au chapitre 5, si je ne m’abuse tu écris que : ce monde a vu

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naître des hommes d’affaires, des politiques, tout autant que des banquiers dont les mères blanchisseuses et révolutionnaires ont tout quitté pour donner foi à leurs pensées. Tu sais Aubrey, je t’admire et en même temps je te plains. —j’aurais du m’en douter. Randal me fait la tronche et ne désire plus me parler, quant à son frère, la raison semble l’avoir quitté. Tout le monde ici, à commencer par ma propre famille me plaint. Je suis trop idéaliste, railleuse et ironique. Sers-moi du vin s’il te plait ! Enfant, je croyais vraiment que tous me voyaient comme une Byron-Doyle car où que j’aille, il y avait toujours un des fils à me suivre dans mes pérégrinations. Jusqu’à ce que je réalise où se situe ma place. —Oui, on te plaint parce que tu ne sais pas trouver ta place. Est-ce si difficile pour toi de l’admettre ? Randal se fait plus de souci que son frère parce qu’il n’a jamais manqué de lucidité te concernant. Tu comptes publier ? —Euh…. —C’est très personnel tu sais. Tu parles des réceptions que l’on donne chez les nantis comme autant de folles soirées proches des bacchanales et ce n’est pas comme si j’ignorais de quoi il s’agissait. Toutes ces gueules de jeunes premiers frais émoulus de leur pension si étriquées, de leur université assujetties à une taxe : celle de fournir l’élite de cette nation (…) et quand on te lit Aubrey, on pense avoir à faire à l’un de ces cupides chroniqueurs qui noircissent des pages entières de gazettes mondaines et dont la seule vocation est celle de faire de l’argent ! —Tu veux dire que pendant toutes ces années je me serais prostituée ? C’est très

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élégant venant de toi. Mais je ne suis pas certaine de vouloir entendre ta plaidoirie au sujet de tes confrères d’Harvard. —Alors c’est que tu l’admets ! Sourit-il d’une oreille à l’autre. En fait tu es dans une sorte d’investigation comme ce personnage de ton roman, Dieter H. Patterson. Depuis le début, tu sais que tu ne prendras pas part aux festins mais tu as apprécié de t’y trouver être invitée. Tu serais parfaite comme journaliste d’investigation. —Tu te répète David, me défendis-je le nez dans mon verre de vin de Californie. Alors pourquoi tout ceci n’est qu’une imposture ? —Oui, aussi vrai que deux et deux font quatre ! » On resta un petit moment à se fixer. Il décroisa les bras et sans me lâcher des yeux, il opina du chef. On lisait au fond de son regard une note de mépris. « Randal n’a pas l’intention que je devienne sa sœur. —C’est ce que tu penses, mais crois-tu vraiment qu’il s’agisse de vérité de la part d’un type tout à fait ordinaire qui paie ses factures et borde lui-même son lit ? Pourquoi ce sourire ? —Comment sais-t qu’il borde lui-même son lit ? Questionnai-je le sourire aux lèvres, la cigarette à la main. Calvaert ne souriait pas. « Parce qu’il me l’a dit luimême. Je beurre ma tartine chaque matin et borde mon lit toujours de la même façon. Note-le quelque part pour t’en servir pour ton roman. —C’est injuste ce que tu me fais subir. —C’est bien parce que tu n’as pas envie de mettre une fin heureuse à ton roman. Tu parles de ton bouquin comme d’une satire et cela n’aurait pas eu de signification si je

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n’avais pas creusé du côté de la romancière. J’ai fait moi-même quelques recherches pour savoir ce qui te motive dans ta façon d’écrire et de te comporter. —Et qu’as-tu découvert de si passionnant me concernant ? —Et bien que tu aies eu une aventure avec Randal. Il y a trois ans de cela. Et c’est dit ainsi : Pour la bonne société il n’est pas convenable de s’abaisser à pareille niveau mais pour le Chevalier, puisque c’est ainsi que tu le nomme, il est important de souligner cette prise de risques sans précédents. Dois-je continuer ? » Mon cœur se mit à battre la chamade. « Cela ne prouve rien David. N’oublie pas qu’il ne s’agit que d’une fiction et non d’une autobiographie. Même si parfois la frontière est maigre. —Tu laisses un peu trop d’indices dans ton livre. Ce sont des sortes de codes dont j’ai la clef. Pour moi il ne me parait pas impossible de te comprendre. Ne bouge pas s’il te plait, je vais te montrer quelque chose ! » Il revint vers moi avec une feuille pliée en quatre et il me la tendit. « Qu’est-ce que c’est ? —Et bien quoi tu ne reconnais pas ? C’est ton travail Aubrey. Des copies des lettres que tu soumettais à Gale pour sa petite chérie de l’époque et j’ai trouvé une similitude avec cette phrase-là et celle de la page 103 : Il affecte ne me regarder mais au fond de mon être, je sais que je ne lui suis pas étrangère. —Ouais je ne nie pas ne pas l’avoir rédigé ! Seulement voilà gale ne voulait pas que cela se sache. Rien de plus normal

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quand on chercher à plaire à tout prix quelque en soit le prix à payer. —Quelque en sot le prix, n’est-ce pas ? C’est là que le bât blesse, ma belle. Le lien semble être rompu avec Randal mais parfois les questionnements annoncent un renouveau. Tout dépend de ce que tu veux faire maintenant. » Le lendemain j’allais trouver Randal dans son bureau. Il n’était pas seul mais avec deux de ses partenaires dont il me présenta après avoir rassuré sa secrétaire choquée par mon intrusion. « Il faut que je te parle, c’est très important ! » Il invita ses collaborateurs à quitter son bureau et ferma la porte derrière eux. « Gale m’a demandé de le suivre à New York ! —Je suis content pour toi. Et tu as accepté ? » Le ton indifférent qu’il prit pour me répondre me laissa sans voix. « Non ! Je ne peux pas partir comme ça ! Il te faut raisonner ton frère. Il va trop loin et il ne pèse pas les conséquences de ces actes. Je ne peux pas y arriver sans toi Randal. C’est plus que je ne peux supporter et Gale manque de bons sens. —Je t’attendais ici la semaine dernière Aubrey, mais tu n’es pas venue. J’ai croisé Calvaert qui m’a dit que tu écrivais ton livre. Je ne pourrais plus t’embaucher ici tu comprends ? Si ton avenir est confus il ne peut l’être pour moi. Je t’ai offert la possibilité de briller au firmament mais cela est moins évident pour toi. Il y a mon frère et il ordonne, toi tu exécute comme Nora. —Quoi Nora ? Je viens te dire que ton frère quitte ficher le camp à New York et toi tu me parle de ma grand-mère !

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—Aubrey je vais te paraitre dure mais tu n’es pas sa propriété. Aucun contrat ne te lie à lui alors sauf ton respect tu ne devrais pas prendre ses déclarations au sérieux. Tu vis un calvaire en ce moment mais tu n’as rien à toi en ce monde, aucune certitude de réussir et tu vas ruiner toutes tes chances de succès pour suivre les élucubrations mentales de mon frère. Tu es magnifique ! Tu es l’être le plus spirituel qui m’est donné de rencontrer et je n’ai pas l’intention de te perdre. » Emue comme il était possible de l’être je serrai mon sac sous mon bras, frémissante au contact des mains de Randal posées sur mes épaules. « Je parage également ton avis. Je n’ai encore rien de vie, je ne me suis pas réalisée et tout le monde s’accorde à croire que je vais m’investir dans des œuvres caritatives et devenir Présidente d’un club de soutien démocratique comme ma mère et…. » Ses mains remontèrent sur mon cou. « Non, ne t’interrompt pas. Poursuis s’il te plait… A quoi aspires-tu Aubrey ? —Je me suis éloignée des miens et de mes passions pour étudier loin de ma famille et de toi pour obtenir un diplôme pour lequel j’aurais à me distinguer. —Tu pourrais obtenir tout ce que tu veux si tu me laissais faire, murmura-t-il au creux de mon oreille. —Randal je te demande pardon. Je risque de tout gâcher pour atteindre un idéal, une certaine félicité que l’on ne trouve que dans l’amour. Qui ne peut se révéler autrement que dans la passion. » Sa bouche touchait ma tempe et cette longue étreinte fut apaisante.

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« Prends tout le temps qu’il te faut, susurra-t-il et dans un frisson je passai mes bras autour de sa haute taille. Randal resterait mon homme, mon tuteur, l’homme sur lequel toute ma vie je m’appuierais. « Que dois-je faire Randal ? Dis-moi comment me comporter pour ne pas me perdre ? —Tu n’as rien à faire. J’irai lui parler. » Mes yeux plongèrent dans les siens. Il les avait humides. Je le rendais triste. « Oui, j’irai lui parler et tout rentrera dans l’ordre, tu n’as pas à te faire du souci pour cela. » Et dans la voiture je suivais la course des immeubles, des monuments autour de moi. Etrange à dire mais une part de moi souhaitait ce mariage quand l’autre part se battait furieusement pour que rien ne change. Puis l’image des femmes de la famille me vint à ‘esprit. Toutes s’étaient battues pour que leurs enfants naissent privilégiés. Nora avait ouvert la voie en épousant Schaeffer, tout en elle trahissait le renoncement de soi. Elle voulait paraitre fière, libératrice en élevant ses enfants comme des blancs pour leur donner un avenir plus certain. Ma mère également suivit ce chemin, cette voie toute tracée vers la liberté. Randal avait raison : je n’étais pas la propriété de Gale, mais une femme accomplie, le fruit de divers combats menés par mes parents. Le feu passa au vert. La voiture derrière moi klaxonna et lentement je repris ma route, le cœur meurtri. Il pleuvait depuis ce matin et je songeais à ma mère et à ce qu’elle me dirait en apprenant cela : Epouse-le ! N’est-ce pas ce que tu as toujours rêvé de faire ? Il serait peut-être

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bien que tu deviennes une respectable femme ! Gale m’aimait, il avait le courage d’aller au bout de ses convictions.

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CHAPITRE Randal assis sur le banc fiait le Capitole, un sandwich posé sur ses jambes. Des pigeons se discutaient ses faveurs en battant des ailes et aucun d’eux ne s’envola quand je passais à travers. « Bonjour Randal ! On m’a dit que tu étais au parc alors je me présente à toi avant de prendre mes fonctions au Congrès ! Il fait un temps superbe n’est-ce pas ? Washington est une ville incroyable et j’ai l’impression d’y avoir toujours vécu. » Il ne m’écoutait pas, fixant les pigeons à ses pieds. J’inspirai profondément. « Mon secrétaire m’a dit que tu devais passer. Je rencontre le sénateur Winthrop dans la journée et tu pourrais venir avec moi. Tu en penses quoi ? Je serais flatté de t’avoir près de moi pour cette entrevue. Mon père et Mrs Denton organisent un diner demain soir et tous deux comptent naturellement sur ta présence. —Tu n’es pas sérieux ? —Après demain on n’en reparlera, déclara-t-il debout près de moi. Comprends-moi bien, de grands progrès seront réalisés en ta compagnie. » La longue berline noire et son chauffeur me déposèrent devant la large bâtisse de pierre donnant sur un lac bordé de cyprès et de tilleuls ; on y accédait par une grande grille flanquée d’un blason et les rares fois où l’on m’invitait en ces lieux, il me semblait goûter à l’intimité de cette richissime famille. Devant l’entrée, deux lions en bronze en gardaient l’accès et sous le porche ce fut à peine si j’osai sonner. Le majordome m’ouvrit pour me dire que tous étaient

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dans le salon. Inutile de vous dire que l’intimité chez ces gens-là c’est toujours clinquant, ostentatoire et très européen avec toutes ces collections de tableaux, de bronze, d’objets hors-de-prix. Trois chiens arrivèrent droit sur moi, ceux de Mrs Denton : un border collie, un lévrier et un bâtard aux cercles blancs autour des yeux, de loin mon préféré. « Ah, enfin la voilà ! Lança Marcus en m’accueillant chaleureusement dans ses bras. Notre délicieuse Aubrey ! Toujours ravissante. Gale a appelé pour nous dire qu’il ne pourrait se joindre à nous. Un empêchement de dernière minute. Alors il est de notre devoir de vous dorloter en son absence ! —Et comment trouvez-vous notre Congrès ? Questionna Mrs Denton en replaçant la carafe de whisky sur la table basse. Et votre chère mère comment se porte-t-elle ? Et votre père ? Compte-t-il faire courir ses chevaux prochainement ? Marcus et moi pavions dans l’idée d’aller les voir au Kentucky, cela nous permettrait d’acheter deux selles parmi ses hongres. Et vos frères? —Ne l’accaparez pas avec toutes vos questions Mrs Denton ! Attaqua Randal peu décidé à venir me saluer. A ainsi la persécuter, vous allez nous la rendre malheureuse ! » Son sourire me ragaillardit et déjà Mrs Denton enchaina : « Oui, Gale a eu un empêchement, mais vous le connaissez, il est incapable de rester tranquille une seule seconde ! Vous prendrez bien quelque chose à boire ? » Randal me servit quand d’autres invités se manifestèrent la minute d’après. Bien vite la maison se remplit de sénateurs et de

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leurs épouses. Reléguée au simple rang de curiosité, j’étais comment dire, ridiculement inutile jusqu’à ce que Randal décide de s’assoir près de moi et me faire la conversation. « Quand auras-tu terminé ton livre ? Il me tarde de le lire tu sais. David m’a fait savoir qu’il s’agit d’une satire sur la société des privilégiés, déclara ce dernier en frôlant mes épaules pour y attraper des noix de cajou. Donnes-moi une phrase ou deux à me mettre sous la dent. —Non, rien de ce genre ! Désolé. » Répondis-je en gonflant la poitrine. Il fronça les sourcils. « David est convaincu que je saurai également l’apprécier à sa juste valeur et je lui fais entièrement confiance, il est bon juge en la matière. Quand tu seras partie pour New York, je compte le recruter dans mon cabinet. —Mais je ne compte pas partir ! Rétorquai-je contrariée par sa sentence. Il me dévisagea avec minutie. «Qui refuserait les avances de mon frère ? Il est plutôt bel homme et rentier à vie. —Pourquoi être si dur avec lui quand tu pourrais te montrer plus modéré ? » Il ne répondit pas, perdu dans ses pensées les plus intimes ; cet autre sénateur nommé Arthur Laughin me dévorait des yeux et il ne fut pas long à se rapprocher, le verre de whisky à la main et l’autre dissimulée au fon de sa poche. « Ainsi c’est votre stagiaire ? La très séduisante Miss McGowan, souligna-t-il le regard lubrique. —C’est précisément Miss McGowan, Arthur ! En quoi puissé-je t’aider ? Je pensais que tu continuerais à torturer mon père avec tes interrogations sur la vice présidence du Maryland. En tant que

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démocrates, tu devrais savoir quand il est bon de manifester ses convictions ou non ! —Et quand allons-nous te voir au Sénat ? Tu sais que ta candidature sera hautement appréciée et une fois que tu auras fait tes preuves lors des primaires, tu pourrais régner d’une main de fer sur ton collège. Le capitole est un passage obligé pour continuer à briller de mille feux. Et qu’en pensez-vous Miss McGowan ? —A quel sujet ? Vous savez j’occupe l’annexe depuis peu et mon rôle se limite à trier et classer des traités applicables ou non en fonction des lois de ce pays et je ne fais rien sans l’accord des juristes de ce cabinet. Par conséquent mon opinion sur le sujet est limitée. —Miss McGowan minimise sa collaboration au cabinet. Il s’avère qu’elle influence grandement le cours des événements. Elle est ambitieuse dans la limite du raisonnable et c’est ainsi qu’on l’apprécie ici comme ailleurs. De plus, Aubrey écrit. C’est une future romancière en mal de public ! —C’est faux, je… ne cherche aucun public. Je me contente d’écrire pour le moment. —Vraiment ? Tu ne fais pas dans la demi-mesure Randal. Et je n’ai pas compris, où avez-vous étudié ? Harvard ? Princeton ? Yale ? —Non, rien de tout cela. J’ai été formée en Californie, à la Berkeley précisément. » Son intérêt pour moi sembla s’atténuer et il interrogea Randal du regard. « Oui, Aubrey est à la Berkeley ce que le Sénat est aux Etats-Unis, une réponse aux pensées réactionnaires. Que dis-tu de cela Arthur ? N’est-ce pas trop progressiste pour toi ?

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—C’est pour ton programme de campagne, Randal ? Si c’est le cas je comprends mieux ta prise de position et bientôt tu te mettras à penser pour le Manifeste de Karl Marx : la classe moyenne doit lutter contre la classe dirigeante qui la domine. C’est pas mal je dois le reconnaitre. Excusez-moi mon verre est vide. Je vous apporte un autre verre, Miss McGowan ?» L’intervention d’Arthur froissa Randal ; ce dernier se terra dans un mutisme. Il revint plus tard vers moi et tenta de sourire et dans le vaste corridor, il posa la main sur mon épaule. « On va passer à table. Mrs Denton t’avait placée près d’un vieux représentant grisonnant de la Chambre quand j’ai cru bon à juste titre te mettre près de moi. Tu penses pouvoir me survivre ? » On s’installa donc autour de la grande table de la salle à manger ; rien n’était trop beau, ni trop luxueux pour les ByronDoyle et à la vue de cette table, mes mains se crispèrent à mon aumônière. Le lustre de cristal pendait au plafond et autour des piles d’assiettes il y avait autant de couverts que l’argenterie que l’on pouvait compter au Cap North. La main de Marcus se posa dans mon dos. «J’espère que tout cela ne va pas vous ennuyer. Après quoi nous aurons quelques heures tranquilles, vous et le reste de la famille Byron-Doyle ! » Randal s’empressa de venir à la place qu’on lui avait attribuée et les discussions reprirent de plus bel, tout ou presque tout, tournait sur la politique et les activités de ces messieurs. Il n’y avait pas de place pour autre chose ; Un moment l’un d’eux parla de golf, d’un dix-huit trous quand un

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autre parla de chevaux, de yachting ; puis on parla de bourse, de stock-options. Plusieurs fois Randal se pencha vers moi pour me demander si je ne manquais de rien. « Quand tu rentreras à Washington tu t’empresseras d’écrire : le repas fut ennuyeux chez les Byron-Doyle, entre cette longue succession de plats et ces sempiternelles discussions sur les élections sénatoriales ; il est alors très difficile pour moi de rester éveiller. Quelque chose dans ce genre n’est-ce pas ? —Cela pourrait-être le cas, glissais-je à son oreille. Tu lis en moi comme dans un livre ouvert. » Il me fixa, la bouche entrouverte avant de poursuivre. « Je pourrais moi-même l’écrire. Si j’avais du temps et surtout ton talent. Je ne te l’ai pas dit mais le vert te va bien. Il fait ressortir tes yeux verts d’eau dans lesquels on aime s’y noyer, murmura ce dernier, noyé dans sa concupiscence. —Tu es un sacré flagorneur Randal. Mais tu n’en sauras pas davantage sur mon travail. Et jamais je ne parlerais, pas même sous la torture. —Alors j’aurais moins de chance que Calvaert. » Longtemps on se regarda ; il lui arrivait d’être malheureux tel cet Ulysse loin de sa Pénélope, voguant vers des terres pleine d’aventures. Ma main se posa sur la sienne et il répondit à ce contact par une étreinte plus ferme. Après le repas, il partit prendre un cognac et fumer avec les autres quand Mirs Denton m’invita à la suivre dans son bureau. « Vous devez certainement savoir pour quelles raisons vous êtes parmi nous ce

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soir. Marcus et moi avons depuis toujours eu beaucoup d’affection pour votre famille et mon beau-fils Gale semble être très attaché à vous. Mais il est encore jeune et inexpérimenté sur les choses de l’amour. C’est un séducteur avant toute chose et vous ne devez pas vous bercer d’illusions concernant ses dernières lubies. C’est à ma demande qu’il n’est pas ici. vous comprenez pourquoi n’est-ce pas ? —Pourtant vous devez savoir que…. —Ceci nous affecte profondément, Mr Marcus et moi. Tous deux savons ce que le mot sacrifice s’signifie. J’ai du batailler ferme pour arriver là où j’en suis aujourd’hui et le seul mérite que j’ai, c’est d’avoir suffisamment cru en moi. Mon père certes était un banquier et après avoir connu la faillite, il nous a appris à nous battre face à l’adversité. Toutes nos belles possessions furent dispersées aux quatrevents et je ne serais jamais devenue juge si je n’avais pas été à ce point déterminée à survivre dans ce monde sans pitié. —Oui, je le conçois Mrs Denton mais je n’ai jamais cherchée à vous nuire. —Vraiment ? Argua-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. J’ai œuvré pour que Gale reconnaisse les vertus et qualités de cette Lee Crowley et nous espérions tous qu’il revienne à la raison. C’est un bon garçon, vous savez et il serait dommage qu’il s’oriente vers la mauvaise voie. Et Randal me dit que vous écrivez ! » Cette manière de tout régenter, de tout vouloir contrôler, cela frisait l’autocratie et plus je la regardais et plus je vins à la trouver détestable. Impeccable dans son tailleur tweed marron, le cou enserré dans son collier de perles gris, elle arborait l’allure d’une femme ayant réussi par elle-

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même ; tous la voyaient comme une sorte de papesse de droit et elle ne se déplaçait jamais sans sa cour de flagorneurs et de secrétaires-assistantes bien souvent de jeunes garçons frais émoulus de leur école de droit, ils passaient leur barreau et roulaient les mécaniques persuadés d’avoir atteint le saint-graal. « Oui j’écris un peu. J’écris depuis ma plus tendre enfance et parmi mes lecteurs plus assidus furent mes frères bien évidemment, ma mère et Randal. —Et votre mère approuve-t-elle tout ça ? —Oui, elle m’a toujours soutenue. —Je parlais de votre flirt avec Gale ! Elle a du naturellement vous mettre en garde contre les risques que cela comportent. Comme je vous l’ai dit, ce milieu est sans pitié et… vous fumez n’estce pas ? Demanda Denton en me tendit son étui de cigarettes qu’elle referma dans un claquement sec. J’ai besoin de savoir où vous en êtes avec vos sentiments. L’aimezvous au point de vouloir pénétrer dans la fosse aux lions ? Peu armée comme vous êtes, vous risquerez de ne pas survivre. —Mrs Denton, j’apprécie tous vos conseils et j’ai conscience de ne pas appartenir à votre milieu, mais soyez rassurée d’apprendre que je ne tiens pas à épouser votre beau-fils aussi beau et talentueux soit-il ! Je suis très bien ici, dans le District de Columbia. —C’est parfait ! Quel soulagement d’entendre ça ! Mais cette décision ne doit en rien entacher nos relations. Marcus vous apprécie plus qu’il ne devrait et votre grand-mère fait beaucoup pour lui être agréable. Ils sont tous deux comme larrons en foire ! Qui plus est j’ai beaucoup d’estime pour vos frères avec un très net

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intérêt pour John que l’on connait être raffiné, délicat et toujours très complaisant. —Est-ce tout ? Aviez-vous autre chose à me soumettre ? » La cigarette fumante entre ses doigts, elle fixa un détail de ma robe crayon verte, les sourcils froncés avant de continuer sur le même ton, soit autoritaire et concis, chacune de ses phrases sonnait comme une terrible sentence prête à embrasser la colère des Titans. « Effectivement, j’ai encore quelques éléments à vous soumettre ma chérie. A présent que nous nous ayons tout dit, je veux que vous preniez le temps de savoir comment vous envisager l’avenir près de Randal. Il s’avère qu’il a de grandes ambitions dont celle un jour d’épouser Edda Dewitt et si ce nom ne vous dit rien, il faut remonter à l’époque des pères pèlerins. Vous devez savoir que Marcus est très sensible aux pedigrees des fréquentations sentimentales de ses fils et…. —J’ai parfaitement saisi Mrs Denton ! Coupai-je sèchement en écrasant la cigarette au fond du cendrier en cristal. Maintenant si vous le voulez bien, je vais prendre congé de nos hôtes ! —Devenez sa maîtresse si cela vous chante, à l’un comme à l’autre mais n’espérait jamais obtenir plus de ces garçons, cela reviendrait à leur manquer de respect. A la bonne heure, je savais que vous comprendriez ! Mon chauffeur vous conduira où vous le souhaitez et j’espère que vous aurez trouvé à vous amuser parmi nous ! » Dans le vestibule, le majordome m’aida a enfiler ma gabardine quand arriva

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Randal. « Quoi ? Tu nous quittes déjà ? Moi qui croyait que tu resterais jusqu’à ce soir. —Non, j’ai….j’ai un roman à terminer, bafouai-je la gorge nouée. Il récupéra mon foulard de la main du majordome pour m’en entourer le cou. « Et bien, dans ce cas, on se voit lundi. Tu es certaine que ça va ? —Oui… je vais bien. » Ses doigts caressèrent tendrement mon menton et son pouce se posa sur ma lèvre. C’était trop difficile. Je manquais d’air et sur le point de pleurer, je roulais des yeux, malgré tout sur le point de défaillir. Marcus dans l’encorbellement de la porte finissait une conversation, les mains dans la poche et quand il nous fit baissa la tête. « Je crois que ton père veut me dire quelque chose. Alors si tu veux bien…. » Ce dernier me serra avec tendresse dans ses bras mieux que l’aurait fait mon propre père et cette spontanéité m’arracha une larme que je m’empressais bien vite de faire disparaitre. « Quel dommage que vous soyez obligée de partir maintenant ! Et j’espère que notre attitude n’en est pas la cause, moi qui me targue de recevoir chaque membre de la famille comme il se doit. Avez-vous ce qu’il vous faut ? Un bon emploi ? Une belle demeure ? —Pour l’emploi Randal y pourvoit quant à ma résidence, je la partage avec un ami de Gale, David Calvaert. —Calvaert ? Mais ce n’est pas le petit gars de Boston, celui qui a par deux fois permis de remporter les tournois de Harvard ? Oui, c’est un bon élément et j’ai toujours pensé qu’il irait loin ce petit. Une sacrée trempe et une extraordinaire

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capacité à analyser les caractères. Et que devient-il ? Il travaille pour toi Randal ? —J’aurai aimé mais un autre cabinet lui a fait des yeux doux. Le moment venu nous le débaucherons. —Ah, ah ! Tu ne dois t’entourer que des meilleurs, fils ! M’est-y le prix qu’il vaut. Ecoutez, Aubrey, il faudra qu’on trouve un moment pour diner ensemble. Que ditesvous de ce mardi ? Voyez avec Randal pour qu’il vous libère plus tôt, car j’exige que vous fussiez mon invitée ! » Avant de partir je me rendis dans la salle de bain. Randal m’y rejoignit et on s’embrassa avec un naturel déconcertant. Il m’embrassait avec douceur, picorant mes lèvres en envoyant des coups de reins qui me transportèrent ailleurs, hors de notre galaxie. Il enleva ma culotte et je le laissais faire. Il m’embrassa de nouveau, ses dents agrippées à ma lèvre. Il s’enfonçant en moi m’arrachant un cri de plaisir. Mon Dieu ! Il m’embrassait divinement bien….Il resta un moment à me fixer avant de reprendre son langoureux va-et-vient dans mon vagin. Il fouilla dans sa poche pour en extirper une bague, sa bague qu’il glissa à mon doigt. J’ai joui, accrochée à sa chemise. « Tu es à moi et à personne d’autres, murmura-t-il mon visage entre ses mais. Je suis convaincue que tu m’aimes alors personne ne doit t’éloigner de mon amour. »Il me souleva hors de terre pour mieux m’empaler sur son sexe et quand il éjacula en moi je sus que je porterais son bébé compte tenu de mon calendrier menstruel. « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

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—C’est la semaine le plus fertile de mon cycle Randal alors je crains que…. » Il me fit taire par un baiser. « Comment sais-tu tout cela hein ? Les jeunes femmes ne se préoccupent pas ce cela, seule leur mère s’en soucie. » En ouvrant la porte de la maison, force de constater que David ne dormait pas. En me voyant débouler dans la pièce, il quitta le vieux sofa pour me voir débrider mes escarpins pour aller me servir une bière. « Je peux en déduire que ton repas ne fut pas à la hauteur de tes espérances. —Oh, les Byron-Doyle ont été adorables pour ne pas changer mais cette…..cette affreuse femme qu’est le juge Denton ! Il ne me sera plus possible de la croiser sans éprouver des envies de meurtre ! Elle m’a sorti un long discours sur la nécessité de rester à ma place et je ne sais comment, elle est arrivée à parler d’elle et de sa prodigieuse ascension professionnelle ! Toujours est-il qu’elle n’a nulle intention de me voir intégrer sa famille et cela serait très insultant pour Gale si je venais à le séduire ! » Je partis m’enfermer dans la salle de bain pour aller passer mon vagin sous l’eau. Après quoi j’allais dans ma chambre pour m’allonger sur le lit. Et David vint m’y trouver. « Tu prends tout ça à cœur. Je ne crois pas qu’elle ait voulu te froisser mais seulement connaitre tes motivations. Tu sais qu’elle aime l’ordre, ce qui lui vaut de franches critiques de la part de Gale. Il ne fait jamais les choses comme elle voudrait qu’il le fasse et tant que tu es tolérée chez eux, tu lui dois le respect. —Dis-moi un peu, tu étais une vedette à Harvard. Marcus dit que tu as permis

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d’emmener ton équipe au championnat. Pourquoi taire tes exploits ? —J’ignorais que cela t’intéresserait. Ces victoires tenaient d’un coup du hasard. — Arrêtes ton char ! Tu es un champion et ta modestie t’honore. Franchement David tu as du en faire tourner des têtes ! A Berkeley il y avait une fille qui avait mauvaise réputation. Elle sortait avec toutes les vedettes du campus. On l’appelait « Gros pétard » et elle s’en moquait. Tout ce que l’on racontait de mauvais sur elle, elle s’en moquait. Elle donnait beaucoup de pouvoir à sa séduction. Quelque part je l’enviais. Aucune critique ne l’atteignait. Cette confiance en elle la rendait si belle. )Je crois maintenant qu’elle simulait son bonheur. —Pourquoi penses-tu cela ? Crois-tu vraiment qu’une femme ne peut goûter au plaisir de la chair sans en tirer une quelconque jouissance ? Les femmes ne sont pas là uniquement à faire des bébés. Elles sont surtout précurseur d’un mouvement. Celui de la libération de la femme. » En appui sur mon coude je dévisageais David. « Alors tu devrais retourner avec Athéna et lui dire exactement ce que tu viens de me révéler, selon quoi les femmes ne sont pas toutes des utérus sur pattes mais de belles conquérantes dotées d’un cerveau à la place du clitoris. —Je doute seulement qu’elle sache surtout où se situe le sien. » Je partis dans un fou rire. David impassible fixait mes lèvres. « Et c’est comment un orgasme ? Randal a du faire ce qu’il fallait pour te rendre ton sourire. Comme cette Miss Gros Pétard, tu

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n’éprouves nulle culpabilité en pratiquant ces jeux sexuels ? —Oui c’est très inspirant. C’est une sorte de feu d’artifice intérieur. Et pour toi David, quelle expérience as-tu de l’autre ? —Aucune en la matière. J’ai eu des petites copines comme tout le monde mais aucune n’a expérimenté la petite mort (orgasme). J’étais seulement là pour cultiver l’art de la complaisance et de la consommation. Cela n’a satisfait en rien mon désir d’attachement. —L’amour s’entretient David mais on peut également accéder à la mansuétude en faisant étal de son indépendance. C’est comme deux galaxies opposées qui finissent par se fondre l’une dans l’autre. —J’aime cette idée. Tu devrais écrire sur ces galaxies cannibales, cela en fascinerait plus d’un… » Déjà je ne l’écoutais plus, sombrant petit à petit dans le sommeil. Il s’allongea tout contre moi en chien de fusil et posa la main dans le creux de ma hanche. «… ces galaxies séparées par des milliers d’années-lumière et qui fusionnent pour n’en faire qu’une. Cela a attrait à de la poésie. » Ce qui me réveilla fut la musique de jazz en bas. Puis le téléphone sonna et David cria mon nom en bas de l’escalier. « C’est Gale pour toi au téléphone… —Comment c’était l’autre soir ? —Je ne pense pas être celle qu’il te faut pour l’existence que tu envisages dans cette métropole. Il te faut être réaliste, je n’ai pas... —D’accord, ce n’est pas le genre de réponse que j’attendais venant de toi mais

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après tout tu es assez intelligente pour savoir ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. —Je cherche seulement à t’éviter un désastre. —Songes-tu très sérieusement à rester ici à la merci des lubies de mon frère ? Ce n’est pas une vie pour toi et quand tu te réveilleras il sera trop tard. Je t’offre l’opportunité de te distinguer du reste de ces ambitieuses au grand nom et toi tu contrarie mes plans. Calvaert est un chouette garçon mais il a d’autres plans et certainement pas celui de rester à Washington. Il s’est persuadé qu’il pourrait obtenir ton affection mais qui mieux que moi te connait ? Tu sais que tu comptes beaucoup pour moi. La décision t’appartient Aubrey. —Je ne suis pas certaine de faire ton bonheur. —Tu sais très bien ce que je pense de cette arrogante Denton, quant à mon père, sa préférence a toujours été pour son ainé, si parfait. Il fallait bien un Randal pour lui faire oublier l’échec de son second mariage et la déception que je peux lui procurer. Pour moi New York serait un nouveau départ et je ne pourrais y parvenir sans toi. —J’en suis flattée mais ce n’est pas ainsi que j’entrevois mon avenir. —Je sais que tu hésites et c’est justifié, renchérit-il. Ton hésitation est on ne peut plus légitime et inattendu. De quoi as-tu peur ? Si encore je savais je pourrais essayer de te rassurer. —J’écris un bouquin en ce moment et jamais tu as cherché à en savoir plus. Tu n’as jamais eu l’intention de me lire, ni d’apporter ta critique et c’est bien ça qui m’ennuie. A new York, tu seras très pris

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dans ton travail et tu n’auras guère de temps à m’accorder. Tu rentreras le soir fatigué et les seuls mots que nous échangerons seront sur la bourse et le temps qu’il fait. Mais jamais il ne sera question de ce roman ni des autres à suivre. —Je vois. Tu t’aies convaincu que je suis en dilettante et que ce que tu écris n’a pas trouvé écho dans mon esprit, est-ce bien ça Aubrey ? Il y a des matins où je me lève et j’entrevois les ténèbres plus rien n’a d’importance que l’espoir que l’on place en moi. Cet espoir je l’ai baptisé ; jour, à la différence de la nuit, pâle cadavre crépusculaire. C’estun de tes textes écris sur un vieux papier. Je l’ai gardé, comme tous ceux que tu as balancés, je l’es ai gardé pour ne jamais oublier. Tu as de tout temps occupée mes esprits, alors comment pourrais-je te négliger ? Pars avec moi. Et faisons ce que nous rêvions de faire enfant : vivre ensemble pour le restant de nos jours ! » Le chauffeur de Marcus vint me chercher peu avant midi et me conduisit au lieu indiqué par son patron. Dans le hall du restaurant, des couples d’hommes politiques conversaient entre eux, peu de femmes, un très grand nombre d’hommes dans ce décor Art-déco. On ôta ma gabardine et mon sac à main, probablement le meilleur accessoire de ma garde-robe, un modèle Gucci offert par ma mère pour mes dix-neuf ans. Ici dans ce grand hall ayant vu passé de nombreux Présidents, leur secrétaires d’état et des ambassadeurs, je me sentais si petite, étouffée par le poids des convenances. Ma place se devait être en coulisse entre les serveuses et les secrétaires.

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Dans l’angle de la grande salle un pianiste jouait du jazz sous le tintinnabulement des verres et le doux ronronnement des discussions, les effluves de tabac parvinrent jusqu’à nous et le maître d’hôtel nous conduisit à notre table où trois couverts se trouvaient être disposés. A peine assise je dus convenir que cet endroit avait quelque chose d’enchanteresse avec ses antiques colonnes, ses bas-reliefs et ses dorures. Mon regard fut irrémédiablement attiré par une titanesque pendule au-dessus du fronton de porte. « Ainsi Aubrey, j’ai appris que vous vous plaisiez à Washington. C’est là un véritable soulagement. Tout au homme sui se respecte devrait envisager de s’installer ici, murmura-t-il penché vers moi. Il faisait naturellement allusion à Gale dont le seul désir restait de rallier New York au plus vite. Des plus nerveuses, je triturais le cordon de ma sacoche sans rien oser dire. « Oui comme vous l’avez remarqué, il y a un troisième couvert. Randal a tenu à participer à ce déjeuner. Il est très occupé en ce moment et c’est avec générosité qu’il nous fera l’honneur de sa présence. Euh… avez-vous des nouvelles de Gale ? —Oui. Il m’a appelé ce dimanche et nous avons longuement discuté, répondisje on ne peut plus surprise par la nature de cette question. —Et, comment l’avez-vous trouvé ? —Tout à fait serein et très heureux à l’idée de partir pour New York. —Mrs Denton et lui sont en constance chamaillerie. Et cette situation n’est pas évidente, ni pour lui ni pour mon amie. Mais il doit savoir que je l’aime très fort.

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Vous buvez du vin n’est-ce pas ? Alors on va se faire plaisir en commandant un excellent cru. » Il commanda son vin, un Château- Pétrus et j’aurais eu envie de le rassurer, de serrer ses mains entre les miennes et lui dire combien son fils tenait à lui. Aucun mot pourtant ne sortit de ma bouche. J’étais bien à l’origine de leur différend et pour dire vrai, je ressentais la honte et l’amertume. Arriva Randal, très à son aise dans cet environnement, serrant des poignées de main tout comme son père avant lui, et aux mêmes individus ; il marchait entre eux, très amical et souriant, jovial et pertinent comme à son habitude. « Aubrey, tu as une mine superbe alors j’en déduis que mon père ne t’a pas encore parlé de politique, d’investissements, de campagne. Bonjour père ! » Ils se serrèrent dans les bras et Randal s’installa entre lui et moi. « Marcus sait être très ennuyeux quand il n’est pas en représentation. J’espère que vous ne m’avez pas attendu pour commencer ! —Je vais te présenter à un vieil ami au moment du digestif avec qui je me défendais d’appartenir à la jeunesse dorée de ce pays. Son vieux papa à fait West Point et lui, cet ami en question s’entretient en briguant un poste dans une de nos ambassades en Europe. Une sacrée personnalité, il convient de le dire. —Et notre week-end avec les Benning tient toujours ? —Plus que jamais ! Si nous nous n’y rendons pas, ils ne nous le pardonneront jamais ! Et j’ai également cru comprendre qu’il y aurait les Dewitt. L’occasion pour toi de leur parler de Gale. Cela serait lui

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rendre service. Il a besoin d’un léger coup de pouce pour intégrer ce bureau juridique. —Je ne me fais pas de soucis pour lui, où qu’il aille il réussira sans moi. Mais s’il faut me rendre utile quelque part, autant que se soit pour la famille. » Jamais de toute ma vie je n’avais rencontré d’homme aussi affable, aussi débonnaire et amical que Marcus ; les contraires s’attirent inéluctablement puisqu’il trouva juste de fréquenter cette sorcière de Denton, cela cependant, n’ôtait en rien son légendaire caractère. « J’ai pensé à juste titre que vous pourriez nous accompagner, glissa-t-il le regard brillant, on ne peut se passer d’une si bonne compagnie ! Ne protestez pas, vous serez des nôtres Aubrey ! —Cela la changera morne grisaille de Washington et de ces ballades on ne peut plus récréatives autour du Capitole. A moins que tu ne te plaises ici au point de nous faire défaut. On ne sait jamais avec toi, tu es d’humeur si changeante. Que commandez-vous père ? —Je pencherais probablement pour ce plat aux coquilles Saint-Jacques. Et vous, Aubrey ? » Comment arrêter mon choix ? Dans peu de temps le maître d’hôtel reviendrait pour prendre notre commande et face à mon indécision, il repartirait bredouille et Randal de son côté jubilerait, une fois de plus. Alors je ne lui donnerai pas ce plaisir et après avoir répondu au hasard, je songeai à Gale dont la présence aurait été plus qu’appréciables en ces instants. « Aubrey est une ravissante cynique, admettons-le une bonne fois pour toutes ! Elle ne peut s’empêcher de tout tourner à la dérision. Pour moi cela sera l’assiette

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d’agneau, déclara-t-il au maitre d’hôtel, je me contenterais de cela. Puisque qu’on parle d’événements, qu’en est-il de ce mariage avec Gale ? Doit-on commencer à publier les bans ? » Alors je fus prise d’un hoquet de surprise avant de m’esclaffer. « Bien que tu ne veux pas l’admettre, cela le contrariera fort que je puisse devenir ta sœur par alliance ! C’est à lui qu’incomberait la lourde tâche de m’éduquer. Ce mariage t’inspire une sainte horreur. Tout comme ce fut le cas pour Mrs Denton. Finalement vous vous entendez si bien. —Et qui ne s’en soucierait pas ? Ton livre parle de cela d’ailleurs : Le mariage de la raison dans une société qui se cherche dans de futiles valeurs. —J’ignorais que tu puisses m’avoir lu, rétorquai-je des plus surprises mais tout à la fois contrariée. —J’avoue en avoir lu quelques lignes et ce que je méprise en toi, c’est ta fausseté. D’une certaine manière c’est de la trahison pour des individus qui ont pris le temps de t’écouter et de t’aimer. —Ah, ah ! De la trahison ? Dois-je me justifier sur mes écrits quand il s’agit de fiction satirique ? Mon neveu de six ans l’aurait parfaitement saisi mais pas toi, cela t’échappe complètement. —Il me faudra lire votre manuscrit, je peux être un excellent juge quand il s’agit de porter une critique sur notre société et ses défauts. Mon soutien peut vous être favorable, argua Marcus en essayant de ramener de la bonne humeur à table. —J’apprécié Marcus. J’apprécie vraiment. —Mon père est favorable à ce mariage cela va s’en dire, cependant toute la côte

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est de Boston à Washington risque de voir d’un mauvais œil cette union qui n’apportera aucun appointements à notre Empire si durement érigé. D’ailleurs il y a un passage similaire à ma remarque dans ton livre si je ne m’abuse. Il commence par : « (…) les nuées annoncent de sombres auspices quant la communauté entière semble avoir tranché du sort de ses individus en les condamnant à une mauvaise alliance plutôt qu’à une triste redondance des noces pourpres où la mariée contrariée par son amant se voit conduite à l’autel par la sacro-sainte moralité (...) » Le style est impeccable puisqu’il colle si bien à la réalité. C’est également l’avis de David, ton mentor qui s’est empressé de me le soumettre, si tu veux tout savoir ! —Marcus, je viens de penser que je ne pourrais malheureusement venir à votre lunch, j’avais promis à mes parents de passer les voir ce même week-end et cela m’était sorti de la tête ! Veuillez m’excuser mais je préfère vous laisser en tête-à-tête. Acceptez mes excuses Marcus ! » Randal se leva à son tour, sans défaire le sourire de ses lèvres. « Et cela devrait toujours être ainsi avec toi ? J’entends par là qu’il faille toujours nous prémunir d’une de tes irritations dont tu connais le secret. Maintenant Aubrey, tu vas t’en aller en boudant c’est bien cela et me faire payer mon insolence. Ou dirais-tu mon arrogance, seule propre à ma race ? —Marcus je suis désolée que vous ayez à entendre cela mais Randal une fois plus trouve utile de me fustiger rien que pour le plaisir de me voir perdre face. —Vraiment ? Cela ne lui ressemble pas. S’il vous plait les enfants, vous êtes

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aujourd’hui mes invités. Aubrey, votre départ risquerait d’être mal interpréter par nos voisins de table qui verrait en moi un mauvais hôte. Vous aurez tout le loisir ‘en discuter ultérieurement. Randal, s’il te plait, montre l’exemple ! » Il s’assit et je l’imitais. Le reste du repas se passa sans encombre et au moment de se séparer Randal ne tint plus en place et la main placée au creux de mes reins il se pencha à mon oreille. « Tu as été merveilleuse une fois de plus. Si tu es indisposée tu peux prendre ta journée, je te sens un peu lasse. —Absolument pas ! Il s’avère que je suis en pleine digestion et ce mécanisme dure quatre heures à ce qu’on raconte. Tu me raccompagne au bureau ? —Non je prends un dernier digestif avec mon père. Alors, on se voit plus tard. Et… Aubrey, tu devrais ralentir avec la cigarette. »

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CHAPITRE Le train me déposa en Caroline du Nord et mon père m’accueillit sur le quai de la gare. Il leva la main dans ma direction, le sourire illuminant son visage et de loin la monture noire de ses grosses lunettes barrait l’expression joviale de son regard. « Et comment va ma fille adorée ? Ah, ah ! Viens ici que je te sers dans mes bras ! Ah, ah ! » Il semblait être si heureux de me voir. « Ah, ah ! Miss Aubrey McGowan travaille au Capitole! Miss Aubrey s’engage dans une voie sénatoriale! Ta mère ne s’en remet toujours pas et ne parle que de toi à son cercle de ménagère de Raleigh ! Tu n’aurais jamais pu espérer mieux, ma fille, jamais ! Ah, ah ! Ma fille est devenue une vraie femme ! » Le chauffeur prit mes valises. Mon père ne s’était jamais caché d’avoir de l’argent ; sa fortune il le devait à ses nombreuses années passées à la General Motors après un diplôme en aéronautique. Earl McGowan épousa Lynn Schaeffer non pour sa fortune mais bien pour sa beauté si insolente, son franc parler et son aptitude à être de tous les combats. Ma mère est une militante, une révolutionnaire, une femme du monde, une séductrice, une bonne fée penchée sur votre berceau et une mère exemplaire conscience de ses faiblesses et de ses forces. Il l’a épousée pour son goût du luxe, son contact facile à en juger par son important carnet d’adresse ; tout le monde la connait à Raleigh et elle connait tout le monde ici comme ailleurs ; elle force le respect par

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sa beauté, sa franchise et son pragmatisme. Mon père quant à lui est cet autre Américain de la classe moyenne, fils d’un propriétaire terrien de la Caroline qui depuis l’enfance a compris que pour exister il faut fructifier ses biens ; alors mon père achète des maisons, des domaines pour une bouchée de pain qu’il prend ensuite soin de retaper pour louer à des familles dont les revenus sont moindres que les siens mais dont les ressources sont qualifiées comme honorables pour s’installer dans ces maisons situées sur la côte est. Il est arrogant comme tous les gens de son milieu qui ont réussi par la force de leurs bras. Ses fils ne pouvaient que réussir dans leurs études, dans leur respective carrière et dans leur mariage et voilà que moi leur fille, la dernière née devait rivaliser avec ses ainés. Je savais qu’il ne me passerait rien. Travailler pour Mulligan aurait pu le contenter mais ce poste près de Byron Doyle le comblait de joie, cela faisait la fierté du père inquiète que je ne perde en route par mauvais aiguillage. Avec Randal à mes côtés il pouvait dormir sur ses deux oreilles. La limousine noire se gara devant notre maison, une imposante bâtisse comprenant un court de tennis, un verger, un grand garage pour les nombreuses voitures de collection ; les domestiques entretenaient le gazon, étayaient les arbres, taillaient les haies, donner toute la mesure à ce domaine dans lequel nous avions grandi mes frères et moi. Dans ses arbres, John et moi y avions grimpé jusqu’à la cime et dans cette maison aux murs lambrissés nous avions patiné sur ce parquet de chêne.

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Comme il est bon de se retrouver chez soi ! « Et comment va notre Randalnational ? Questionna mon père dans l’encadrement de la porte, les bras croisés sur la poitrine. Ta mère et moi suivons de très près sa carrière et au rythme qu’il va, il reste possible qu’il devienne un sénateur et ensuite gouverneur à l’instar de son père, le grand Marcus Byron-Doyle ! Cela ne serait pas trop mal compte-tenu de sa mirobolante carrière. Et comment va le cadet ? —Et bien justement Gale m’a demandé de l’épouser, répondis-je avec un naturel déconcertant. —Quoi ? Qu’est-ce que tu me racontes là ? C’est inattendu ça ! Et qu’as-tu répondu ? » Il avança vers moi, repoussant ses lunettes noires sur son nez. Avec le temps mon père se dégarnissait mais cela n’ôtait rien sa bonhomie. Il caressa sa cravate noire avant de s’assoir derrière la table basse. « Tu lui as fait part de ta réponse ? —Naturellement papa, renchéris-je en le fixant. —Sans même nous concerter ta mère et moi ? Le mariage est un contrat passé entre deux familles et j’ai toujours apprécié Gale comme il se devait mais n’est-ce pas précipité ? Ricana-t-il des plus nerveux. Connaissant Marcus et cette Denton, je ne pense pas qu’ils te donnent facilement leur bénédiction. Les dynasties se marient entre elles et… je cherche seulement à te préserver de leur ultime décision. C’est une nouvelle fantaisie de sa part n’est-ce pas ? » Vautrée dans le canapé, je caressai le chat angora de ma mère puis enfouis mon nez dans le pelage soyeux de l’animal. « Il

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n’a pas conscience des réalités, cela va sans dire ! L’aurais-tu encouragée dans ce sens ? Si c’est le cas, tu dois leur présenter tes excuses car ce mariage ne peut se faire ! —Ne inquiète pas pour ça papa, Randal partage également ton avis, si cela peut te rassurer et j’ai bien pesé le pour et le contre. Gale est une tête brûlée qui se moque bien d’agir pour la renommée de sa famille. Il a toujours été ainsi. —Pas que je sache, non. Le Gale que je connais est tout sauf un crétin et si le vois comme tel, alors nous avons tout à craindre de tes pensées. Flirter avec lui a été stupide de ta part. C’est bien ce que tu as fait non ? Tu savais qu’il y avait un risque et tu t’es fourvoyée ma fille par une scandaleuse attitude sans égale qu’on te fera payer. Tu te figurais quoi ? Randal est bien élégant en t’évitant un scandale sans précédent et le fait qu’il t’est personnellement embauché t’assure une certaine crédibilité mais sache que cela ne suffira pas. Es-tu enceinte ? —Non ! Bien-sûr que non ! —Je suis soulagé de l’entendre. Terriblement soulagé. Je vais de ce pas appelé Marcus pour tenter de sauver ce qui reste à sauver ! C’est très problématique comme situation, tu comprends ? » Ma mère arriva à dix huit heures, chapeau blanc posé sur ses cheveux noirs, un large foulard enserrait son cou de cygne ; elle posa ses paquets sur la table suivit par la domestique Mrs Quinn. « Que fais-tu ici ? N’es-tu pas avec ton père ? Peu importe, il finira par réapparaitre….Tu es magnifique ma chérie, à croire que Washington te réussit particulièrement bien ! Oh, j’ai les pieds

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enflés. Caroline ? Caroline ! Faites-nous du thé, j’ai envie de quelque chose d’apaisant comme cette infusion au jasmin par exemple. Comme je savais que tu venais, j’ai acheté quelques accessoires pour tes toilettes. C’est ici sur la table... » Alors qu’elle se massait la voute plantaire, je défis les paquets pour tomber sur de magnifiques foulards et des gants de cuir. Ma mère a toujours bon goût en matière de mode. « L’idée est de plaire à Randal car rien n’est absolument pas perdu entre vous ! —Ah, Lynn ! Tu es rentrée ! —Et bien oui, je suis là Earl ! Et bien t’aurais-je manquée à ce point ? Vous deux, vous me cachez quelque chose ! Je ne sais pas comment le dire mais il règne ici une ambiance un peu trop, feutrée. —Ta fille a toutes les attentions de Gale Byron Doyle qui n’a rien trouvé de mieux que de la demander en mariage ! » Ma mère poussa un « Oh ! » de surprise et la main sur les l-lèvres ourlées, se leva d’un bon, les yeux ronds pour me serrer dans ses bras. Caroline revint avec un plateau qu’elle posa sur le guéridon. Prestement ma mère ferma la porte derrière la domestique et revint sur le devant de la scène sans me lâcher des yeux. « Mais comment est-ce possible, Es-tu enceinte ? —Elle n’est pas enceinte Lynn, je lui ai posé la même question et tu ne seras pas grand-mère ! Je suis resté plus d’une heure au téléphone avec Marcus pour l’entendre dire que son fils est fol épris de notre fille et cela ne s’arrête pas : il refuse de réapparaitre devant son père tant que notre

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fille ne sera pas acceptée dans leur entourage ! —Oh ! Mais c’est… Et toi tu l’aimes ? Earl si ta fille l’aime alors nous devons la soutenir contre vent et marrées ! Tout cela c’est une excellente nouvelle. Soudain mais on ne peut plus plausible et….j’ai besoin d’un verre d’alcool ! » Mon père leva les yeux au ciel puis essuya ses lunettes sur sa chemise. « Nous devons aller les rencontrer et parler de tout cela avec les principaux concernés Lynn ! —Et rencontrer Mrs Denton ? Elle me déteste Earl ! Elle ne m’a jamais aimé et Dieu seul sait pourquoi ! J’ai toujours fait de gros efforts pour lui être aimable mais elle continue à me regarder de haut ! Gémit ma mère en avalant son verre de Porto cul-sec. Non, je ne tiens absolument pas à la rencontrer ! —Mais tu viens de dire que nous devions soutenir Aubrey dans cette épreuve ! —Mais pas de cette façon Earl ! Jouer les toutous dociles prêts à mendier un os à moelle quand tout pourrait être différent. Elle manipule Marcus avec ses boniments de pythie et elle me fait froid dans le dos… Bry, tu vas appeler ton soupirant et lui demander de passer prendre le thé en notre compagnie. Rien de bien formel, on veut seulement s’assurer d’être compris par ce jeune fougueux. Il n’est pas question qu’il tourne le dos à sa propre famille quand notre fille dispose d’assez de bon sens pour affronter cette Denton ! » Il arriva par le train de quinze heures depuis le District de Columbia ; il paraissait nerveux, ce qui était tout à fait compréhensible compte tenu du stress subit depuis ces dernières semaines ;

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comme à son habitude il fut affable et parla d’un ton calme emprunt d’une grande douceur. « Nous ne sommes pas là pour te passer un interrogatoire Gale, ni pour te mettre mal à l’aise face à nous autres McGowan mais comme tu peux t’en douter, nous avons été particulièrement surpris par ta requête concernant notre fille et…. —Je le conçois Earl, cependant j’aime votre fille et je crois pouvoir dire que vous connaissiez depuis des années les sentiments qui m’unissent à Aubrey. Alors maintenant que je me trouve être détaché de mes études universitaire je désire faire d’elle ma femme. » Ma mère me lança un regard interrogatif, les lèvres entrouvertes, elle chercha à dire quelque chose mais aucun son ne sortit de ses lèvres ; seul mon père prit la parole : « Oui, nous savons que vous l’appréciez à sa juste mesure mais était-ce selon vous nécessaire mettre votre père au pied du mur, de le pousser dans ses retranchements et ainsi faire passer ma fille pour un habile stratagème? —Papa ? Excuse mon père Gale, il est…. —Non, ton père a raison Aubrey ! Dans cette histoire c’est toi et toi seule qui passe pour une belle arriviste. Mais les sentiments que j’éprouve pour elle sont sincères. —Qui plus est, Dee m’a dit que vous étiez fiancée à une certaine Cassandra Lee Harvey et j’ose espérer que vous n’avez pas rompu en présence de ma fille. —Maman ? —Il s’avère que je n’ai voulu leur éviter la confrontation. Tôt ou tard elle aurait du se faire à l’idée et j’ai pensé en tout état de

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cause, agir avec respect autant pour l’une que pour l’autre. Me jugerez-vous indigne d’avoir songé à l’intégrité de votre fille ? —Aux dépends de votre frère ? Souligna ma mère qui depuis le début se retenait. Arrêtez-moi si je me trompe mais vos relations sont pour les moins houleuses et Earl autant que moi ne souhaitons pas que notre nom soit associé à des querelles fraternelles. Il est impératif que vous vous réconciliiez tous deux, pour le bonheur à venir de ma fille. —Lynn, mon frère ne cautionne pas ce mariage. Une autre attitude de sa part et nous n’aurions pas eu à parler de querelles entre nous ! Et Randal ne semble pas décidé à me pardonner. Pour lui tout est question de dévouement. —Le saint homme, ironisa ma mère en lançant un regard affecté en direction de mon père. —Oui et... nous sommes très heureux que la situation tourne à l’avantage d’Aubrey, elle n’aurait pu trouver meilleur prétendant et… si tout a été évoqué alors je ne vois pas ce qui me pousserait à refuser cette alliance. Après tout si vous vous aimez… Lynn, laissons les amoureux à leurs circonspections et… Sortons Lynn, s’il te plait ! » Qu’avions-nous à communiquer ? Des sourires bienveillants, quelques caresses ponctués de gloussements et bien-sûr quelques mos doux échangés entre deux silences ? Or Gale ne fit rien de tout cela. Il se contenta de me fixer de ses beaux yeux envoûteurs et comme je restais sans bouger, il vint s’assoir près de moi pour mieux me jauger après notre récente et nécessaire séparation.

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« Tes parents ne voient pas cette union d’un bon œil. Je m’étais attendu à plus de compréhension de leur part. Ils me connaissent depuis toujours et Lynn s’est montrée être très affectée par la nature des sentiments que j’éprouve pour toi. Quant à Earl, possible qu’il ait eu d’autres projets pour sa fille. —Tu étais fiancé à une charmante personne, fortunée et très prometteuse avant que tu ne te mettes à vouloir jouer les Don Juans et c’est vraisemblablement ça qui les ennuie. Crowley doit s’imaginer que tout cela est en partie de ma faute et le poids de la culpabilité reposera sur mes épaules. —Ah ! Crowley ! Soupira ce dernier prenant un ton et une mine contrariés, je ne vois pas en quoi cette idylle pourrait constituer une menace à notre bonheur ? Peut-être toi-même n’es-tu pas sûre de faire le bon choix? Et comme dit Randal, tu n’as jamais été capable de te décider. Dois-je m’attendre à ce que tu me plante devant l’autel le jour de notre mariage ? » Alors je pris une profonde respiration. Le fait que Randal puisse ainsi me dévaloriser auprès de son frère m’affectait une nouvelle fois : Elle est orgueilleuse et incertaine, Gale ! Elle n’a jamais su arrêter son choix trouvant trop agréable d’être ta muse autant que la mienne ! Pour me donner plus de contenance je jouais avec le pendentif de mon sautoir quand Gale me serra dans ses bras. Il y mit tant de conviction, tant d’affection et de passion que j’en restais sans voix. « Tu ne dois pas t’inquiéter pour notre avenir. Mon père a toujours eu de l’estime pour toi et ce n’est pas ce mariage qui lui fera changer d’avis sur ta personne. Tu ne

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dois pas avoir peur, d’accord ? Regardesmoi ma chérie ! Ce n’est qu’une mauvaise étape à franchir et ensuite tout rentrera dans l’ordre. Il ne pourrait en être autrement car tout le monde t’aime, tu as toujours fait partie de la famille ! » Une fois qu’il fut parti, ma mère ne put s’empêcher de s’entretenir avec moi ; d’abord peu sûre de son intervention, elle finit par se détendre complètement et poussa un profond soupir avant de poser sa main blanche et délicate dans la mienne. « Il n’y a pas à dire, c’est un garçon exceptionnel ! Il est charismatique, altruiste et convaincu de faire une bonne action en t’épousant. Mais je vois bien que tu manifeste de la pudeur à son égard, peut-être parce que tu ne trouves pas les bons mots pour lui dire que tout cela t’échappe. Tout cela t’échappe et tu dois avoir le temps de la réflexion pour être certaine de ton choix, car tu es jeune et…. Je ne voudrais pas que tu fasses le mauvais choix en te décidant trop vite. Personne ne te reprochera de vouloir prendre ton temps. Et puis nous aurons l’occasion de descendre voir Marcus. Il est compréhensif et jamais ma chérie, il ne constituera une gêne à ton bonheur si tu décidais d’épouser l’un ou l’autre de ses fils. —Maman, il n’était pas de mon intention de vous ennuyer avec tout cela, cependant je trouve normal ce genre de discussions quand plus que jamais je me trouve être acculée dans une impasse. —Fais seulement ce que te dicte ton cœur. Lui ne se trompe jamais ! Tu auras tout le temps d’être raisonnable plus tard. Assez parlé de cela ! Comme tu pars demain Je pensé que tu aimerais probablement te changer les idées en te

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rendant avec moi à l’office ? Parfois on trouve certaines réponses dans la prière et tu pourras compter sur le soutien de notre communauté. » CHAPITRE Les Byron-Doyle recevaient plus de deux cent invités en ce mois d’octobre, tous bien évidemment, triés sur le volet : des industriels et hommes d’affaires de Boston, New York, Philadelphie, et d’ailleurs, des hommes politiques dont des sénateurs et leur épouse aux robes griffées et bijoux clinquants, des magistraux et avocats actionnaires dans des grands cabinets juridiques, etc. La veille David m’informa de la présence de Gale au Cap North ; depuis des jours j’étais sans nouvelles de ce dernier. A croire qu’il m’évitait ces derniers temps et pour me rassurer David trouvait juste de me dire qu’il se concentrait sur son avenir. Je devais me donner plus de temps, selon les propos de ma mère : plus de temps à la réflexion. Mais cette absence de communication ne sembla pas lui convenir puisqu’à présent il ne prenait plus le temps de me contacter. Au bras de mon frère John je progressais lentement d’un groupe à un autre, distribuant des salutations quelques peu surannées pour souligner mon mépris à cette classe dirigeante et au loin cette Denton ne me lâchait pas des yeux, manifestant une expression de profond ennui. J’avais eu le malheur de réapparaitre avec le reste de ma famille quand elle se serait volontiers passée de ma présence en cet événement majeur de cette fin d’année.

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La presse locale campait ici immortalisant l’instant à grands renforts de journalistes pour le Washington Post ou tout autre journal faisant mention de la fortune des généreux donateurs et privilégiés de ce monde. Et sortit de l’hombre, cette Edda Dewitt ! Un ange parmi les humains, une beauté sortit de la cuisse de Jupiter, enflammant l’assistance de son regard de chat et son sourire des plus éblouissants. Elle saluait tout le monde avec la grâce d’une impératrice et John se pensa à mon oreille : « Cela lui aura pris du temps mais Randal semble avoir définitivement jeté son dévolu sur la jolie Dewitt. Remarque au moins à quel point elle est gracieuse et solaire ! Elle sera parfaite pour le rôle dont on l’assigner. Et as-tu remarqué sa démarche ? » En tournant la tête de trois-quarts se fut le regard de Randal que je croisais. Il marchait près d’elle, gonflant la poitrine tel un coq de basse-cour. Le bonheur se lisait sur son visage et les flammes de l’amour s’y lisaient. Lui aussi m’avait évité ces derniers jours, trouvant juste de ne pas me parler afin de soutenir son frère dans les épreuves sentimentales infligées par mon arrogance. Alors bien vite je tournai la tête. Il s’était entretenu un bref instant avec mon père et je devinais être au cœur de leur discussion. Edda passa son bras autour de ma taille. « Je suppose que cela n’a pas du être facile pour vous de grandir parmi les frères Byron-Doyle, ils sont si attachés à leurs valeurs ! Mais vous vous en êtes plutôt bien sortie. Il faudra que vous passiez nous voir à Washington, une fois que Randal

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aura officialisé notre union ! J’insiste pour vous recevoir afin que nous papotions comme deux anciennes amies autour d’une tasse de thé ! —De quoi parliez-vous toutes deux ? Questionna Randal, les sourcils froncés. —Nous parlons du fait que notre amie pourrait venir nous saluer une fois installés à Washington. Il serait plus que judicieux de la recevoir puisqu’elle s’avère être la seule à vous tenir tête mon chéri, souri cette dernière en lui attrapant le bras. Je reste persuadée que nous avons tant à échanger. Et vous n’aurez qu’à passer avec Mr Calvaert. Sa compagnie est des plus appréciables. Au plaisir, Miss McGowan ! » Oui j’étais à la torture. Et plus encore qu’en apparut Gale. Mon cœur battit à rompre mais cessa aussitôt quand cette Cassandra Lee Crowley le rejoignit à son bras dans une robe à faire pâlir d’envie les plus coquettes des Américaines en quête de grand amour. Marcus bondit sur ce fils que la providence lui ramenait ; incapable de respirer je posai une main sur ma gorge. Il me fallait fuir le plus rapidement possible et plus encore en découvrant le diamant scintillant au doigt de Cassandra. Mon frère me conduisit à l’extérieur sous le ciel étoilé et là il me tendit une flûte de champagne. « Ressaisis-toi Aubrey ! Ne te laisse pas aller au chagrin ! Et puis, vous aviez tous les deux rompus comme d’un accord. Alors tu devrais te réjouir qu’il soit retourné auprès de la petite Crowley. Bon d’accord ! J’avoue que cela ne tombe pas très bien compte-tenu du fait que Randal ait lui aussi trouvé l’amour dans les bras de Dewitt mais sérieusement tu t’attendais

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à quoi ? Tu te torture l’esprit pour rien, ricana Johnny la main posée sur mon épaule. C’est un concours de mauvaise circonstance mais tu n’aurais pas été heureuse auprès de lui et il n’y avait pas que mère à le penser. —John ! J’admire ta sagacité et ton pragmatisme à toute épreuve mais je ne suis pas certaine de pouvoir réagir aussi bien que toi sur des sujets aussi contraignants ! Oui j’ai tourné cette romance au ridicule, toute cette histoire n’était qu’une farce mais j’y ai laissé une partie de moi, de mes espoirs ! Et ça c’est le plus dur à admettre : avoir eu tort sur toute la ligne ! Alors oui je m’en veux d’avoir été stupide au point de me méprendre sur les intentions de Gale mais tout donnait à penser qu’il tenait à moi ! Comment cela aurait pu en être autrement ? —L’argent ma sœur, railla ce dernier en vidant son verre pour le poser sur le rebord de la balustrade. C’est l’argent qui dirige ce monde, et ce, depuis la nuit des temps. Tu as beau être sage et bien dotée, tu n’es pas moins qu’une idiote petite arriviste. Denton le savait et t’a tenue responsable d’avoir tourné la tête à son beau-fils, comme elle te tient responsable d’agir avec cette sorte de velléité si propre à notre espèce. Nous ne sommes là ma chérie qu’en tant que spectateurs et j’ose imaginer que cette fâcheuse expérience te servira de leçons ! » Oh, le bougre ! je ne voulais plus rien entendre de la sorte bien que John ait raison en tous points. Il me tendit son paquet de cigarettes. « Maintenant que vas-tu faire ? Mais surtout pas de scandale devant ces

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honnêtes citoyens. Tu vaux mieux que cela ! Il serait sage de revenir parmi eux et poursuivre la soirée comme si de rien n’était. Si tu fais des histoires Crowley aura gagné et c’est humiliés que nous autres rentrerons en Caroline du Nord, la queue entre les jambes. —Tu as raison. Restons à notre place. C’est ce que nous arrivons le mieux à faire. —Evidemment que j’ai raison. De toute façon, Gale ne te correspondait pas malgré ses airs de grands seigneurs toujours prêts à convoyer en juste noce. Tu es bien audessus de tout cela ma chérie.» Après avoir vidé nos respectifs verres nous rentrâmes quand dans le vestibule un amas de gentlemen discutait et parmi eux Randal et son ami de toujours Lee brunswick ayant toujours un mot gentil à mon intention. D’un commun accord il se sépara d’eux pour venir vers moi. « As-tu une seconde Aubrey ? J’aimerais te parler ! » Il m’invita à le suivre dans la salle d’étude soit, la pièce attenante à la bibliothèque et d’où nous parvenaient faiblement les doux accords de l’orchestre jouant ce soir pour le plaisir des mélomanes ici rassemblés. « Tu es ravissante ce soir, commença-til, pensant m’amadouer avec un compliment. Mais je n’étais pas dupe et debout devant le feu crépitant dans l’imposante cheminée je portais mon attention sur la salle aux tentures rouges cramoisie et le chêne recouvrant les liteaux de porte, les boiseries d’un autre temps et ces fauteuils de cuir entourant des tables basses en merisier. —Tu veux t’assoir ? S’il te plait, prends ce fauteuil. Ne reste pas là à me fixer, cela

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va finir par me mettre mal à l’aise. Tu es… vraiment très jolie et je ne suis pas le seul à le remarquer. Tous s’empressent de venir me voir pour espérer t’être présentée. Alors je leur fais savoir que tu es fiancée à mon frère. Quoi ? N’est-ce pas cela ? —Epargnes-moi ton sarcasme. Ce soir je ne suis pas d’humeur. —Dis-moi un peu ce qu’il s’est passé entre toi et mon frère. Quelque chose a échappé à ma vigilance et je suis en droit de demander de quoi il retourne. —Ton frère a fait son choix. Est-il nécessaire de te l’expliquer Randal ? Après tout, cela vaut mieux, il n’y aurait rien eu de bon dans ce mariage. A présent que tout est dit, je vais m’en retourner auprès des miens. Mrs Denton s’en trouvera soulagée et je suis lasse de jouer le mauvais rôle. —Non, attends, qu’est-ce que tu racontes ? » D’un bond il arriva droit sur moi. « Ne prends pas des décisions trop hâtives que tu pourrais par la suite regretter. On pourra se voir demain pour en discuter, tu ne crois pas ? Demain à l’heure du déjeuner par exemple. » Sa main se posa sur mon épaule. La vision de Gale avec la Crowley me glaça d’effroi tout comme celle de Randal auprès de sa fiancée ; l’humiliation fut à son paroxysme et c’est la tête haute que je voulais quitter les Byron-Doyle. « Non, vraiment, ce n’est pas nécessaire. Merci pour tout Randal mais tout cela est bel et bien fini. Je te souhaite beaucoup de bonheur et… Continues à prendre soin des personnes que tu aimes, c’est encore ce que tu fais le mieux. » De retour à Washington en compagnie de mes parents et de John, je ne fus pas soulagée pour autant. Et ma mère insistait

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pour que je reparte avec eux en Caroline du Nord, seul mon père continuait à se lamenter sur mon sort, refusant de penser que je puisse quitter cette vie dorée. David n’était pas à la maison quand j’y passais pour y récupérer mes affaires, je lui laissais une lettre d’adieu, ferma à clef derrière moi et prit un billet aller-simple pour Boston et après avoir longuement embrassée mes parents je les quittai sur le quai de la gare, le cœur lourd et la pensée tournée vers cette vie tue à jamais en raison de cet amour contrarié. Et David me rejoignit à Boston une semaine plus tard et il insista pour m’accueillir chez lui, le temps pour moi de trouver un toit. La demeure aux briques rouges nous faisait voyager vers un autre temps avec ces colonnes blanches, son portique et son impressionnant parc. Calvaert avait ses adresses ici et un certain réseau relationnel ; il était rassurant de l’avoir près de moi. On ne craindrait pas de se marcher sur les pieds ici, cela nous changerait de Washington. Et David ne me ménageait pas. Plus que jamais il me faisait comprendre le poids de son sacrifice : par ma faute il tirait un trait sur sa carrière politique et par ma faute, il s’éloignait à jamais des Byron-doyle. Il devait me prendre pour une jeune femme immature, imprévisible et incompétente. Cependant il acceptait de m’entretenir comme un amant entretient sa conquête et il le faisait sans se poser de question. Il aimait s’occuper de moi : veiller à mon confort et à ce que je ne manque jamais de café pour écrire mes romans. Jamais je n’eusse pensé qu’on puisse s’entendre aussi bien lui et moi. Il me respectait, c’est tout ce qui m’importait

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Nous étions comme deux larrons en foire et personne n’aurait pu mettre en doute notre amitié. Vivre à Boston ouvrait de nombreuses perspectives en raison de ses prestigieuses universités et ses lieux de rendez-vous très prisés des Bostoniens. De plus contrairement à Washington, métropole froide et impersonnelle, je trouvais à Boston plus de charme et quelque chose de si historiquement correct avec ses vieux édifices dignes d’un roman du 17ème siècle et puis j’adorais descendre prendre un verre en compagnie de Calvaert et de ses amis du campus d’Harvard. De nouveau j’appartenais à une nouvelle famille de WASP de bonne famille et assez amicaux pour que je parvienne à me montrer loquace en leur présence. Ainsi je rencontrais Pratt, Emerson, Wyatt et Osborne, les amis de toujours de Calvaert. Et puis passer Thanksgiving loin des miens, fut inédit. Du temps où j’étudiais en Californie, je m’arrangeais toujours pour revenir. Ma mère en connaissait les raisons et ne s’en offusquait quant à mon père, il lui faudrait un certain temps pour accepter l’idée que je ne ferais jamais carrière en politique : notre nom de famille étant jamais entachée du sceau de l’infamie et puis, j’avais besoin de mettre de la distance entre ma personne et les Byron-Doyle ayant assez de devoir sans cesse me justifier auprès d’eux. David sur ce point-là n’insista pas ; d’ailleurs plus les jours passaient et moins on venait à parler de Gale ou bien de son frère, tous les sujets tournant autour d’eux furent bannis et cette révolution me convint. Au mois de décembre je reçus une lettre cachetée de l’état du District de Columbia.

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Là, mon cœur battit à rompre. Qui avait l’audace de m’écrire dans mon exil ? Je décachetais l’enveloppe après avoir jeté un bref regard en direction de David occupé à rédiger quelques notes précises sur son travail dans son cabinet juridique. L’écriture fut celle de Gale. « Euh…je viens de recevoir une lettre de Gale. —Vraiment ? Questionna David, les lèvres serrées. Et que raconte-t-il de valable ? Penses-tu vraiment qu’il faille tout ce temps pour oser prendre son stylo et daigner te faire part de sa culpabilité ? Dis-moi un peu de quoi il retourne. —Et bien….c’est assez dense alors j’écrème afin d’aller à l’essentiel… Il fait état de ses sentiments. Tout ce charivari n’était pas de mon propre chef, la providence m’a poussé a prendre du recul sur les évènements que nous aurons tôt faits d’oublier…. —C’est un lâche et il l’admet enfin, noir sur blanc ! Tu parles d’une sinécure et d’un exemple. C’est trop facile. Il parle mariage et il se rétracte sous la pression extérieure et c’est toi qui blessée et humiliée devrait fermer les yeux sur tout ça pour lui donner une seconde chance de recommencer plus tard ses erreurs ? —Non, il ne parle pas de me donner une seconde chance. Plus loin il écrit : (…) j’ai joué avec le feu sans prendre conscience de mes limites puisque tout était trop beau pour craindre de voir cela s’arrêter. Mais le départ de ta grand-mère Nora a joué un rôle important dans mon travail d’introspection... » Je levais le nez de la feuille pour croiser le regard de David manifestement très contrarié par ce qu’il entendait. Ma grand-

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mère avait donc préféré se mettre à la retraite plutôt que de vivre dans la tourmente. Après avoir froissé la lettre de Gale, je croisais les bras sur la poitrine. « Jamais Nora aurait quitté son poste à moins d’y avoir été forcée ! Je ne peux pas croire qu’elle ait démissionné, David, elle aimait tellement ce qu’elle faisait. C’est absurde. —Pas si elle recevait les ordres de Denton. Tout à fait possible que la bellemère de Gale ait trouvé judicieux de supprimer tout souvenir de la bien-aimée Aubrey pour le bien-être de son beau-fils chéri ! Il n’y a rien de surprenant à cela, renchérit David en posant ses fesses sur le rebord de la table, elle n’a pas d’héritier direct et sa fortune est importante au point de vouloir choisir elle-même les fiancées des fils Byron-Doyle. On ne peut pas parler d’un mariage d’intérêt mais si cela y ressemble beaucoup mais disons que les vieilles familles d’Amérique aiment se marier entre elles. Attends-toi prochainement à recevoir un faire-part de la noce de Randal et de son frère. Mais cela ne doit pas t’empêcher de dormi. Si tu veux on peut sortir ce soir ? —Cela pourrait être une idée ! Se rendre sur la Charles River et y manger une glace ? —Oui et je t’offrirais des cacahuètes caramélisés maintenant que je sais que tu les aimes. Mais avant il faut que tu écrives, tu m’as promis trois pages aujourd’hui, ne l’oublie pas ! Après quoi nous dinerons en ville et on ira au cinéma. » Et dans la salle de cinéma je ne cessais de penser à Randal, j’aurais tant souhaité qu’il m’écrive lui aussi. Qu’il rédige quelques mots comme : tu me manque,

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j’espère te revoir bien vite….mais à Washington tout était fait pour qu’il m’oublie bien vite. Le film dont le titre m’échappait ne laissera aucun souvenir à quelques spectateurs paumés dans cette salle dont deux couples et un homme d’un certain âge. « Tu veux qu’on sorte ? —J’allais te le proposer », répondis-je à David que je suivis aussitôt à travers ma rangée de fauteuils inoccupés. Une fois à l’extérieur, je pris son bras pour le serrer fermement contre le mien. Dans ce grand malheur j’avais David ; il était le garde-fou qui m’empêchait de me jeter à l’eau, la tête la première et il nous choisit un banc à proximité de la rivière. Fermement je le serrai contre moi comme pour mieux me l’approprier. « Toute cette histoire au sujet de ma grand-mère ça me travaille. Toute sa vie elle aurait travaillé pour les Byron-Doyle et j’ai du mal à penser que tout cela s’est arrêté sur un malheureux coup de tête. —Ta grand-mère est une femme de caractère, répondit David en me proposant de nouveau le sachet de cacahuètes. Tôt ou tard elle aurait pris sa retraite, c’est ce qui arrive aux personnes après un certain temps consacré à une carrière professionnelle. Tu comprendras un jour quand tu auras fait ton temps à ton journal. Ouvre la bouche…. » Il m’enfonça une cacahuète dans ma bouche. « Je ne serait pas pigiste toute ma vie. —Je sais. Tu seras un grand écrivain à la renommé internationale si ce n’est nationale et n’oublie pas que nous avons décidé de faire des gosses. Un garçon et

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deux filles. Tu n’auras pas besoin de travailler pour les élever. —David, je ne serai pas un grand écrivain non plus ! —Mais tu ne dis pas non pour les gosses ? —Ah, ah ! Que tu peux être impossible ! J’aurais des enfants et peu importe le sexe. Quoi ? Pourquoi me regardes-tu ainsi ? Tu sais sur quoi j’écris en ce moment ? —Comme d’habitude tu nous pondras quelque chose de remarquable. Ton style est unique et tu dois le mettre au profit de courants politique comme le droit civique des noirs et de tout individu issu de l’immigration. Tu pourrais t’engager un peu plus, certaine de trouver des lecteurs pour te lire à Boston comme ailleurs. Tu viens de sortir de l’université. Et si tu as besoin de cours supplémentaires à Harvard je pourrais te les financer. —Tu fais déjà assez pour moi, tu ne crois pas ? Non, lentement je vais gravir les échelons du journal par mes propres moyens pour ensuite avoir un bureau à moi et non pas un vulgaire cagibi donnant sur les archives, répliquai-je en glissant une cacahuète entre ses lèvres. Tu sais étudier à Harvard serait…. une insulte pour mes frères. Personne de ma famille n’a jamais pensé, même en rêve, accéder à cette prestigieuse université et…. Tu es déjà bien gentil de m’accueillir, David. —Disons que je le fais pour que tu puisses enrichir ton savoir et non pas par provocation, non ! Et puis ton cursus universitaire me tient à cœur. Harvard serait un plus pour toi. Vraiment. Il faudrait voir ça comme une formidable opportunité.

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—Et j’en suis touchée mais tu devrais songer à faire le bonheur d’une femme David. Une femme qui le mériterait comme Athena pour ne citer qu’elle. Non, attends ! Laisses-moi terminer. Tu devrais faire ce que tous les hommes de ton âge font : se dégoter une jolie et jeune héritière pour continuer à vivre en pacha et ainsi rétablir l’ordre préétablit par cette société si puritaine. —Et tu voudrais que je le fasse d’un claquement de doigts ? Juste pour te rassurer, c’est ça ? —Oui c’est possible, répondis-je en haussant les épaules. Pour me rassurer que tu ne perdes pas ton temps avec moi parce que je te promets qu’une fois que j’aurais réuni un peu d’argent je me trouverai un endroit décent pour y vivre. —Avec le salaire qu’on te paie je doute qu’un jour tu y parviennes. Il te faudra vendre beaucoup de livres pour espérer vivre décemment. A Boston plus qu’ailleurs le prix du logement grimpe et j’admire vraiment ton optimiste mais tu te dois d’être réaliste pour t’éviter bien des déconvenues. —Et selon toi je ne le suis pas ? —Tout ce qui s’est passé avec les Byron Doyle n’est pas de ta faute. Dis-toi que tu n’y es pour rien et tout ira pour le mieux. » Je ne voulais pas en entendre davantage. Voir de la pitié dans les yeux de David me déstabilisait. Il avait ce regard dur et une fois dans son imposante demeure, il écoutait sa musique tout en travaillant et dans mon coin je pleurais toutes les larmes de mon corps, étant incapable de me maitriser. Il me fallait vivre avec cette souffrance et accepter mon triste sort.

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On prit le grand largue et sur le voilier de David, je tenais la barre des plus enthousiastes. Par moment la coque volait par-dessus les vagues et quand on gitait, McGuire, Finn et David s’empressaient de ramener les voiles sous le vent. Depuis dix heures nous étions sur les flots et on filait plutôt vite jusqu’à deux heures de l’aprèsmidi, ensuite nous dûmes se contenter de neuf nœuds. L’ambiance restait des plus amicale en présence de McGuire et de Finn ; après les derniers événements survenus je ne désirais voir aucun ami de Gale mais McGuire tout comme Finn savaient rester discrets et leur présence n’avait rien d’embarrassante. A aucun moment ils ne me posèrent des questions indiscrètes concernant Gale et je me sentais des plus en confiance avec ces trois là. « Le père d’Athena a besoin de réponses précises David et tu ne peux continuer à l’ignorer. Que tu ignores sa fille est une chose mais lui tu ne peux le laisser poireauter de la sorte. —Lâches-le avec ça Finn, tu sais bien que Calvaert ne pense pas comme toi. Ses idées progressistes le placent au-dessus de la pensée collective. —Mais, ce n’est pas ainsi que cela fonctionne ! Il fait partie de notre confrérie et il n’a pas accepté que tu plante sa fille à Washington et il est de notre devoir de t’en parler pour ainsi t’éviter d’avoir des ennuis par la suite dans vos échanges à venir. —Finn ! Calvaert a d’autres préoccupations en tête et gageons qu’il n’est pas resté là les bras croisés à attendre que ça se passe. Quant à Athena, si elle le désire tant que cela, elle saura attendre ! »

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David ne répondit rien, fixant l’horizon, perdu dans pensées. Le voilier reprit sa course escorté par différentes embarcations. Finn et McGuire s’observèrent et Finn poursuivit sur le même ton : « Ton mutisme commence à se faire remarquer et beaucoup pense que tu devrais faire marche arrière pour ne pas nuire à ta réputation. Et puis Gale est très remonté contre toi. —Cela ne remonte pas d’aujourd’hui. —Sauf que là c’est vraiment sérieux. —Et que me reproche-t-il au juste ? » Finn se racla la gorge : « On cherche juste à te filer un coup de main David, Gale pense que tu l’as trahi à bien des égards et il nous est impossible de lui faire entendre raison. Tu devrais l’appeler. —Pour lui dire quoi ? Je n’ai que faire de ses lamentations et je ne vois pas en quoi mon attitude changerait quoique se soit à l’opinion qu’il a de moi. —Finn a raison. Tu ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé et cette broutille digne d’une cour de récré mine le moral de tout le monde. Avant vos récentes disputes nous formions une confrérie et….tu as prononcé des vœux David, ce n’est pas rien. Gale est entrain de nous monter les uns contre les autres et la dernière fois qu’on l’a vu il nous a clairement fait savoir que tu ne devrais pas jouer au plus malin avec li. David… vous étiez de bons amis avant l’été dernier et personne ne peut penser que tout cela ait pris une tournure si détestable en si peu de temps. —Je n’y suis pour rien s’il est à cran en ce moment. J’ailerai vraiment qu’il cesse

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de se comporter comme s’il n’avait rien à se reprocher. —David, bon sang ! Toi, tu ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé entre vous ! » Il avait raison : David ne voulait pas reconnaitre les faits. Il m’avait « volé » à Gale et inéluctablement il s’était détaché d’Athena pour devenir cet autre homme qui m’avait séduite par ses manières, son pragmatisme et sa grande ouverture d’esprit. S’il m’avait dit : Viens je t’emmène à l’autre bout du monde ! Je l’aurais suivi sans me poser de questions parce qu’il est arrangeant et si généreux. « David, laissez vos différends de côté pour aller de l’avant, renchérit Finn les mains crispées sur le bastingage, n’envenime pas la situation en lui tournant le dos, il t’a toujours considéré comme son meilleur ami, alors ne le déçois pas en agissant avec insanité. —Oui je vais peut-être réfléchir à tout cela, affirma David sans pour autant y croire. Il enroula un boot autour de son avant-bras et mon regard croisa le sien. Il ne tenait pas à réparer quoique se soit sachant que ce différend n’était pas de son initiative. « Aujourd’hui il ne s’agit plus seulement de le dire mais de le faire ! Randal viendra à Boston le douze du mois prochain et l’occasion te sera donnée de te réconcilier avec Gale en rencontrant son ainé. —C’est vraiment ce à quoi tu pense Clay ? Figures-toi que les deux frères sont fâchés et ce n’est pas mon intervention qui y changera le dénouement ! Et puis, sans vouloir te vexer Finn, je ne pense pas que tu veuilles que tout cela change. Jamais Gale ne sait autant confier à toi et tu jouis

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d’un nouveau statut maintenant cela doit être grisant et je te comprends de vouloir leur rendre service mais ce sont des grands garçons. Gale a su trouver du papier et un crayon pour écrire à Aubrey et s’il n’était pas le couard que je connais, il prendrait un billet d’avion pour venir s’excuser personnellement auprès d’elle. Voilà ce que je pense de tout cela ! —Tu n’as cessé de le provoquer avec Aubrey en sachant parfaitement ce qu’elle représentait pour lui ! David, pour l’amour du ciel, tu lui prends sa nana et tu t’étonnes qu’il se montre odieux envers toi ! » Les frissons parcoururent mon dos. « Finn, il n’était pas nécessaire de parler de cela », argua McGuire, sorti de son mutisme. Il paraissait être mal à l’aise et se mordit les lèvres avant de mettre sa tête entre ses jambes. On venait de jeter l’ancre et la discussion allait prendre un sens inattendu. « Et pourquoi s’il te plait, McGuire? Toi, tu ne dis rien mais tu n’en pense pas moins. Il n’y a que moi ici pour avoir les couilles de lui en parler. Je n’aime pas ça. Je n’ai jamais aimé ça et on devrait pouvoir en parler sans que tu t’offusques de mes déclarations, Clay. Seulement David, on n’aimerait te voir sortir du bourbier dans lequel tu t’es enlisé. —Je ne suis pas certain de vous comprendre tous les deux. Vous pensez sérieusement que j’ai forcé Aubrey à me suivre ? Elle l’a fait de son plein gré alors le débat est clos et si tu as quelques doutes là-dessus, ne te gêne pas pour lui poser la question et cesse de faire comme si elle n’était pas là, cela m’horripile. Je ne veux rien ajouter sur le sujet. »

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L’ambiance n’était plus au beau fixe. Finn continuait à réfléchir. Alors mal à l’aise je partis manger mon sandwich à la proue du voilier quand ils reprirent leurs discussions sans plus se soucier de moi. Puis Finn vint me rejoindre en me tendant une bouteille de bière que je déclinai poliment. «Tu sais toute cette discussion que l’on vient d’avoir, cela n’a rien contre toi Aubrey, seulement il fallait qu’il sache pour Gale. C’est notre pote autant que le sien mais là il dépasse les bornes en lui tournant ainsi le dos. On parle de confrérie et c’est malheureusement David qui va en payer les pots cassés. Tu écris quoi en ce moment ? —Un article sur…. Certaines entreprises qui s’enrichissent au profit de plus petites. » Il ne sut quoi répondre sans me lâcher du regard. « C’est cool. Euh… David ne te l’a pas encore dit mais en cette saison nous avons pour habitude de nous rassembler nous et les filles. C’est un peut la raison pour laquelle on est ici. Cette année c’est David qui reçoit et… sans vouloir te vexer, je crois que tu ne pourras te joindre à nous. Cela serait perçu comme de la provocation.» David n’avait pas osé m’en parler de peur de me vexer. Une fois à la maison, l’ambiance fut encore plus électrique que sur le bateau et il arriva dans le salon, tourna en rond avant de s’assoir face à mon fauteuil. « Mes voisins sont partis pour les Aspens. Leur fille Rose n’a pas cessé de me parler de toi, comme quoi tu as été assez aimable pour lui ramener son chien et tu lui aurais prêté des bouquins ?

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—C’est une question ou une affirmation ? Oui c’est vrai il m’arrive d’entretenir de bonnes relations avec mes voisins. Et ensuite ? —Oh, je ne disais pas cela pour te vexer, affirmai-je en appuyant ses coudes sur ses genoux. —Je sais. Mais je ne veux pas que tu m’en parle. —D’eux spécialement ou des autres en général ? Depuis qu’on est rentré tu… si c’est moi le problème, tu dois m’en parler. Est-ce moi ? —Non, toi tu n’as rien à te reprocher. —Alors tu es fâche contre toi-même ? Tu t’angoisses pour un rien. —J’ai beaucoup aimé entendre tes amis parler de loyauté et de confrérie. A croire que votre univers tourne uniquement autour de cela. Finn m’a parlé de votre petit séjour à la campagne. Nous ne sommes pas en couple alors tu n’ais pas obligé de me parler de tous vos petits arrangements entre amis, déclarais-je en souriant. —Oui je vais devoir m’absenter quelques jours. Je comptais t’en parler. Cette année cela doit se faire chez moi et comme tu peux t’en douter tu…tu n’es pas en odeur de sainteté. —Quoi ? Ce n’était pas pour une histoire de membres de la même cabale ? Ne t’inquiète pas David, je te survivrai pendant… quelques jours. —Ce n’est pas contre toi…. Enfin c’est dirigé contre moi, tu comprends ? » J’adorai Boston et cette maison encore plus. L’atmosphère dans cette partie du comté transpirait l’authentique, le rustique et l’antique. David me regardait du coin de

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l’œil tandis que je croquais dans une rondelle de carotte. « Tu m’en veux ? —A quel sujet ? —Pour toute à l’heure avec les autres, j’étais un peu distant avec toi et ce ‘n’est pas comme ça que j’aurais du être. Seulement je ne peux tolérer qu’on s’en prenne à ma personne et aux personnes que j’aime… je te trouve vraiment chouette, tu sais. —Chouette cela sous-entend quoi ? Je fréquente une jeune femme chouette qui sait rester à sa place quand on le lui demande ou plutôt : cette femme chouette que j’ai retiré des griffes de Byron Doyle s’avère être bien moins amusante que je l’eusse imaginer et maintenant j’aimerai la voir quitter Boston mais j’ignore encore comment le lui dire. David je ne suis plus une petite fille alors ne me ménage pas, s’il te plait. —Ecoutes Aubrey, commença-t-il les bras soutenant le poids de son corps penché en avant. Ce n’est pas facile : la maison, les charges, la toiture qui fuit et le boulot dans ce cabinet. Ce n’est pas vraiment ce que j’eusse imaginé pour démarrer ma vie professionnel et je… j’adore cette ville, l’ambiance qui en découle et même si les opportunités sont moins nombreuses à Washington, je me sens bien ici… avec toi. » Ma gorge se noua et je fermais le livre pour allumer une cigarette. Il me rejoignit pour faire de même et on resta un court instant à se fixer. « Et bien si tu dois regagner Washington….fais-le. Tu n’as pas besoin de ma bénédiction.

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—Si. Au contraire. J’ai besoin de savoir ce que tu ressens là. » Mes yeux roulèrent dans leur orbite et allèrent fixer une nature-morte encadrée sur le mur de la cuisine. David ne sourcilla pas, immobile face à moi. « Cette ville a une âme. Les gens sont amicaux et j’aime à discuter avec eux au sujet de leurs origines, de leur ville dont ils sont fiers et je me suis faite à cette existence. Je ne te remercierais jamais assez David, murmurai-je en essuyant une larme ruisselant sur ma joue. —Alors nous resterons ici. —Non. Moi seule. Je trouverai un endroit où dormir qui soit abordable et… on s’appellera si tu veux. Et on pourra toujours se retrouver ici pour le yachting, toi et les autres. C’est mieux pour tout le monde, David, vraiment. » Il sortit prendre un verre avec McGuire. J’en profitais pour appeler Randal. Allait-il décrocher ? C’est précisément ce qu’il fit. Derrière résonnait un bruit étouffé de discussions, de verre que l’on entrechoquait et de la musique classique. « Allô, j’écoute ! —Oui, Randal c’est Aubrey. —Aubrey ? Attends ne quitte pas, je te prends dans le bureau… » La main crispée sur mon téléphone, cette attente sembla dura une éternité. « Bonsoir, Aubrey, Comment vas-tu ? —Bien. Je vais bien. Merci de t’en soucier. —Et ton emploi à la Stafford ? » Comment savait-il que j’avais embauché là-bas ? « Je m’y fais. Les gens sont plutôt abordables ici.

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—Tant mieux je suis heureux d’entendre cela. Et la vie à Boston ? Tu dois t’y plaire là-bas. Le vieux Boston et le port, c’est enivrant. Je pensais justement à toi ce soir et je me disais que je devrais passer te voir. Tu en penses quoi ? Disons que je passe dans le Maryland le mois prochain et il est possible que je fasse un détour par le Massachussetts. Dis-moi quand on pourra se voir si tu es toutefois disposée à me rencontrer. —Randal je voulais te parler de David. —Quoi David ? —C’est un peu tendu entre nous en ce moment et la raison est leur rendez-vous annuel. Cette année il s’avère que cela soit chez David et au vu des circonstances, cela tombe vraiment mal. Comme tu le sais entre lui et Gale, cela n’est pas prêt de s’arranger. David parle même de retourner à Washington. —J’ai cru comprendre que mon frère t’avais écrit mais qu’il est à ce jour sans nouvelles de toi. Tu devrais prendre ton téléphone et l’appeler, juste pour lui dire que tout va bien de ton côté et que tu tiens à conserver votre amitié, c’est par là que je commencerais si j’étais toi. Dis-moi ce qui t’empêche de le faire. Ton départ l’affecte énormément tu sais. —Parce que tu crois peut-être que tout cela fut facile pour moi ? J’aime beaucoup Gale mais je pense dire que je t’aime encore plus Randal. Je suis désolé d’avoir à te le dire comme ça mais… tu me manques beaucoup. » Voilà. Je venais de le dire. Un long silence interrompu notre conversation. A l’autre bout du fil Randal ne devait plus savoir que dire et dans sa tête des milliers de questions devaient s’y presser :

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pourquoi maintenant ? Et pourquoi elle, cette Aubrey que je considère comme une sœur ? J’eus envie de raccrocher pour retourner à ma littérature et vautrée sur le canapé j’attendrais le retour de David pour tout lui révéler, bien que selon moi il le savait depuis toujours. « Euh…Aubrey, je… je suis fiancé tu sais et…je suis très touché par ce que tu me dis mais… je t’apprécie beaucoup moi aussi, n’en doute jamais. Pour moi tu es merveilleuse et je ferais ce que je ferai ce qu’il faut pour David. En attendant je dois te laisser, je reçois ce soir alors je ne voudrais en rien vexer mes invités. —Je comprends Randal, murmurai-je essuyant la larme qui coulait sur ma joue. —Aubrey… je suis vraiment heureux que tu m’aies appelé. Je suis tellement désolé pour tout ça. Prends soin de toi d’accord ?« Les jours suivants furent pires. David s’absentait de plus en plus souvent, voir découchait certains soirs et s’entretenait de longues heures au téléphone avec l’une ou l’autre de ses relations de Boston ou d’ailleurs. Lentement et inexorablement il se détachait de moi pour préparer une sortie. Difficiles aussi les relations avec mes parents, ils étaient constamment très occupés et je laissais de nombreuses messages à leurs intentions sans pour autant les avoir au téléphone ou alors de manière très froide. Je voulais connaitre des détails sur le départ anticipé de Nora mais mon père restait flou sur les réponses à apporter et je devais retenir une chose : ceci n’était plus mes affaires. On sonna à la porte. McGuire devait passer récupérer des dossiers pour les

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envoyer en Virginie et en ouvrant la porte je tombais des nues en y voyant Randal. « Bonjour Aubrey. Comment vas-tu ? » Abasourdie je ne sus que répondre. Il s’essaya à un sourire décontracté avant que l’on ne finisse par s’embrasser. « David est ici ? —Non. Il vient de sortir. —Alors je repasserais. —Attends ! Tu veux peut-être boire quelque chose ? Reste au moins quelques temps pour boire un café. » Et dans la cuisine je tournai en rond sans arriver à me calmer. Randal était là. Il était là et je me comportais comme la pire des crétines. En tremblant j’apportais le plateau dans le salon et des plus nerveuses je m’assis en face de lui, à quelques mètres de distance de mon invité. « C’est très bien ici. Aurais-tu refait la décoration à tes goûts ? —C’est l’un des propriétés des Calvaert et je n’oserais jamais déplacer le moindre meuble ici. J’avoue que c’est très britannique, très continental comme le dit David au sujet de tout cela. » Il saisit la soucoupe et la tasse qu’il posa sur ses genoux. A présent il ne se souciait plus que de son café qu’il remua lentement sans y détacher les yeux. « David a toujours eu beaucoup de goût et du bon sens. On le regrette à Washington, notamment certains sénateurs qui demandent après lui. Possible qu’il fasse son grand retour dans notre capitale. T’en aurait-il parlé plus en détail ? Des informations sur les dits-sénateurs ? —Non. Il est très discret sur ses potentiels recruteurs. McGuire et lui passent de longs moments à discuter

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politique et…veux-tu un peu de lait dans ton café ? » Il releva la tête pour m’interroger du regard. Nous étions réciproquement mal à l’aise. « Combien de temps restes-tu à boston ? —Cela va dépendre de toi. —Comment ça ? » Mon cœur battait à vive allure et dans mes tempes je pouvais sentir le flux sanguin passer pour mieux m’étourdir. Il me dévisagea avant de déposer son café sur la table basse. « Il s’avère que mon père recherche un attaché politique en vue des primaires et ta candidature a retenu son attention. —Quelle candidature ? Je n’ai jamais écris à son cabinet. —Mais tu va le faire maintenant. Il y a trois mois de cela tu as rédigé un très bel article sur les politiques fédéralistes de notre pays et il aurait fait mouche dans son cabinet. Si tu es capable d’écrire de tel article alors tu es capable de trouver le mot, la phrase qui fasse mouche. » Les larmes me montèrent aux yeux. Après Randal à Washington, je n’aurais pu imaginer mieux. Travailler auprès de Marcus Byron-Doyle. Quelle consécration ! Mes parents seraient si fiers de moi et j’entends déjà mon père s’esclaffer en disant que je leur réservais bien des surprises. Il me fallait accepter ou bien aller m’enterrer sur une ile déserte en plein pacifique. Personne là-bas ne dirait que je suis la pauvre fille qui a raté sa carrière en prenant de mauvaises décisions. « Pourquoi… pourquoi fais-tu cela Randal ? —Peut6être parce que tu écris bien. J’ai toujours su apprécier ton style, tout comme

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David. Ce n’est pas par hasard qu’il t’ait trouvé une place dans cette rédaction. Tu n’es peut-être pas membre de leur confrérie mais tu es compétente et pragmatique. Tout le monde aurait envie de te faire confiance et je suis donc là pour t’aider à rédiger cette lettre. —Randal, je…. —Tu me remercieras une fois que tu auras le poste. Il serait prématuré de le faire maintenant, tu ne crois pas ? As-tu du papier et un crayon ? » On travailla de conserve et j’appréciais sa présence plus que tout et je rougissais à chacun de ses regards et la lettre fut écrite, soit trois pages manuscrites pour présenter mon projet en tant que directeur chargé de la communication. Je n’avais aucune expérience dans ce domaine mais Randal me certifiait que cela ne changerait rien à leur désidérata. Son cabinet d’audit cherchait une personne fiable et ayant une grande connaissance du milieu. Et Randal se leva pour partir. Devais-je le retenir ? Dans le couloir, le manteau sous les bras il resta à me fixer et je ne sus que dire pour le garder près de moi « Et comment se passe ta campagne ? —Cela se profile. Tu comptes pondre un article là-dessus ? Brocarder les démocrates pour sensibiliser l’opinion publique aux idées marxistes ? —Oh, non ! je ne tiens pas à mettre tout le pays à dos, répliquai-je des plus mal à l’aise, passant ma main sur ma nuque, je suis de près ta carrière et j’espère que tu obtiendras un poste comme sénateur. Cela serait super pour toi. —Oui ces élections ne tiennent à cœur. Ces primaires locaux sont tous sauf une partie de plaisir et je mène la course parmi

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des candidats chevronnés et hargneux sui pensent tous rafler au scrutin uninominal à un tour. L’expérience de la politique m’a appris à courber l’échine et porter ma croix chaque jour que Dieu fait. Tu salueras David pour moi. —Cela veut dire que tu pars maintenant ? —Je pourrais rester mais cela serait mal interprété. Mais adversaires sont de brillants tacticiens et savent où fouiller pour nuire à ma crédibilité. —Et tu crois que le monde n’en survivra pas ? Tu es irréprochable Randal et qui se soucierait de tes relations publiques de Boston ? Tu es chez Calvaert et pour toi ta victoire est presque dans ta poche. —J’ai besoin de croire que l’Enfer n’est pas pavé de mauvaises intentions. Prends soin de toi Aubrey. » Son départ m’affecta. Comment pouvaisje survivre à ce nouveau départ ? Une heure plus tard je rejoignis Annie Stafford, ma rédactrice en chef dans un restaurant très en vogue de Boston. Elle arriva accompagnée de son époux à la tête du Heights. On commanda un bon déjeuner tout en parlant de la Une du journal. Il ouvrit les hostilités de cette manière : « Non, pourquoi parler de ces primaires ? Nous en avons déjà fait le tour Aubrey et tous nos journalistes ne veulent pas monter aux charbons pour ce que tu dis être un coup d’état fédéral. Tu devines où je veux en venir ? Il n’y a pas de feu sans fumée et nos représentants du Massachussetts vont commencer à parler d’immoralité pour avoir oser influencer le vote de ceux de la Virginie. Or nous n’avons aucun accord avec cet état. Leurs

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sénateurs se fichent de savoir comment nous autres pensons de leur vote. —Moi je pense qu’elle pourrait nous surprendre, déclara Annie en allumant sa cigarette qu’elle enfonça ensuite au bout de son porte-cigarette. Nos lecteurs se soucient de la politique fédéraliste et les choix des autres influence bien souvent leur propre décision. Nous pourrions mettre Hitch sur le coup. Hitch ou Abbot, ils savent voir l’activité des démocrates quand les républicains se cachent derrière leur étendard. —On ferait une erreur en prenant cette décision, déclara ce dernier en faisant une épouvantable moue. Je n’aime pas cette idée d’aller épier le scrutin de nos voisins, cela reviendrait à manquer d’élégance. » Annie leva ses grands yeux verts au ciel. Cette radieuse femme blonde toujours impeccable et inspira profondément. « A l’écouter, on pourrait penser que notre Owen n’aime pas prendre de risques. On vend bien plus de journaux quand la une concerne la politique de ce pays. On ne parle pas de sondages mais de tractations politiques, c’est ce dont se nourrit le lectorat. On ne peut se détourner de leurs préoccupations. On peut vraiment y aller en toute confiance, cette voie a déjà été tracée par le Boston Globe et les résultats de notre voisin ne peuvent nous laisser indifférent. —Bon dieu Annie ! Aubrey n’est qu’une pigiste, sauf ton respect Aubrey, mais il faut vraiment qu’elle croit en la cause, or le programme de Byron-Doule ne diffère en rien de celui de son concurrent à la différence seule qu’il est le fils de gouverneur !

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—Et ensuite ? rétorqua Annie son regard rendu amer par sa sentence. Aubrey ne citera pas son nom mais seulement son parti et ses résultats. On met Abbot sur la brèche et on attend de voir si nos clients suivent. Aubrey écrit remarquablement bien et nos concurrents vont finir par le remarquer. L’un après l’autre ils font tenter de nous la débaucher et remarque combien ses idées sont pertinentes, Owen. On devrait la laisser travailler avec Abbot. » David m’appela tard dans la soirée pour me dire qu’il ne rentrerait pas de sitôt ; il refuse de me le dire mais je sais qu’il revoit Athena. Ils se retrouvent tous après le travail, Athena, May, McGuire et Finn. Exclue de leur réunion composée de protestants, blancs et tous anciens étudiants d’Harvard et Princeton, je ne fais pas d’esclandres, David est libre de voir qui il veut et comme je lui répète souvent, lui et moi ne sommes pas en couple. Pourtant le dimanche suivant je pris une voiture de location pour me rendre dans la propriété des Calvaert. Une dizaine de voitures stationnaient devant la massive propriété bâtie dans un vaste parc boisé. Le majordome m’ouvrit la porte et apparut David en pantoufles et robe de chambre arborant le blason d’un club de yachting. « Aubrey, mais…..qu’est-ce que tu fiches ici ? Questionna ce dernier en m’attrapant par le bras pour me conduire dans un bureau qu’il prit soin de refermer derrière lui. Pourquoi es-tu là ? Quelque chose ne va pas à Boston ? —Avant que je ne parte, Randal est passé et il a demandé après toi. —A quel sujet ? Je crois plutôt qu’il est venu pour toi. Peu importe. Les parents d’Athena m’ont fait une offre que je ne

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peux refuser. Pour être franc je n’ai jamais songé à m’installer à Washington. C’est ci que j’ai grandi. Et à la mort de mon père j’ai refusé de vendre pour ne pas voir ces vieux souvenirs éparpillés aux quatrevents. Athena et moi c’est…. —J’ai toujours pensé que tu prendrais la meilleure des décisions concernant ton avenir, répondis-je soulagée. J’ai discuté avec les Stafford au sujet d’une chronique à rédiger. Annie en a lu les premières ébauches et a semblé conquise par mon thême. J’ai rédigé quelques lignes et j’aimerais te le faire lire afin de le faire publier lundi. Peux-tu y jeter un œil ? » Il parcourut des yeux mon texte avant de lever les yeux dans ma direction. « C’est très bon ? C’est même excellent…. » Il s’assit sur l’accoudoir du fauteuil afin de poursuivre sa lecture. «C’est publiable. Stafford doit se féliciter de t’avoir embauchée et je me réjouis d’être ton ami. Tu dois savoir que de mon côté j’ai contacté Gale. Il est actuellement à New York et Il accepte de passer. Tu vois, tu n’avais nul besoin d’appeler Randal. —Je l’ai fait pour te faciliter la tâche. Je vois bien que tu n’es pas heureux près de moi. Tu as été très correct David et tu es une excellent ami, mais je pense que tu n’aurais pas du me suivre à Boston quand tu aspirais à un bien meilleur avenir à Washington. —Est-ce cela dont vous avez parlé Randal et toi ? —Non. Mais cela ne change rien au problème. Je sais que tu vois Athena et que tu n’oses me le dire afin de ne pas me blesser. C’est touchant, vraiment. Athena est vraiment quelqu’un de bien.

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—Athena est enceinte. » Enceinte ? Ainsi je comprenais mieux son comportement des jours passés. Son regard se voila et il continua, les bras croisés sur sa poitrine. « Elle porte mon enfant. Je vais l’épouser. C’est ce que l’on attend de moi, non ? J’ai merdé. Vraiment. —Tu vas être papa David et tu seras un excellent père ! Athena a beaucoup de chance, crois-moi. Bon et bien…je vais retourner en ville et te souhaiter un joyeux Noel. » A Raleigh mon malheureux père s’offusquerait : Notre fille s’est compromise avec un jeune homme de bonne famille pour finalement nous revenir plus démunie que jamais ! Et ma mère tenterait en vain de le raisonner soulignant mon indépendance d’esprit. Avant de partir, David me remit des enveloppes non ouvertes et des dizaines de lettres rédigées par une inconnue pour Calvaert. Bien vite je compris qu’il s’agissait de ma personne. « (…) elle est perfide et instable. Le genre de femme auprès de qui l’on a des ennuis (…) cette négresse entache ta réputation et celle de tous ceux qui l’ont fréquentée de loin ou de près (…) je sais de source sûr que son grand-père a collaborer avec des « rouges » et que la place de son épouse ne sera plus assurée chez les Byron-Doyle après l’enquête ouverte à leur sujet, tu trouveras ici maints détails sur cette affaire. » Ainsi je comprenais mieux les raisons du départ précipité de ma chère Nora. On l’avait injustement calomniée. Impossible pour moi de fermer l’œil ; David avait lu tout ce courrier et l’avait stocké dans son

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bureau sans même le cacher aux yeux de sa femme de ménage. Le fait que Casey Lee Crowley m’insultait n’avait rien d’extraordinaire, je lui avais volé son fiancé et une femme blessée dans son orgueil devenait alors le pire des monstres mais que l’on s’en prenne à ma famille. Devais-je contrattaquer ou bien jouer la carte de l’ignorance en me taire à jamais ? Et le lendemain je contactais John pour obtenir son précieux conseil. « Cette famille est intouchable à notre échelle. Crowley possède une multinationale et il est représentant de la Chambre pour l’état du New Jersey. En t’attaquant à sa fille tu peux être sûre de commettre la plus belle bêtise de ta fille. Songe à papa et à ses investisseurs, aux frères. Quel serait leur avenir après avoir de nouveau offenser cette famille ? Non, tu ne peux agir à ta guise, pas cette fois. Tu en as déjà fait assez ! —Moi ? Tu penses que je suis responsable de cette marasque professionnelle ? Saches que je suis tout à fait décidée à accepter l’offre de Marcus Byron-Doyle. Il cherche actuellement à reformer son équipe pour la campagne. —Toi chez Marcus ? C’est le gouverneur de la Virginie. Aubrey ! Tu crois sérieusement qu’il va te prendre dans sa campagne ? Sauf ton respect, tu n’es qu’une pigiste au Heights et tu n’as aucune expérience de la politique. Tu l’as dit toimême c’est un milieu dont tu ignores tout. —Je sais encore penser par moi-même John et ce que j’attends de toi c’est un peu de soutien et ta compassion pour tout ce qui m’est arrivé et qui a de fâcheuses répercutions sur nos grands-parents ! Estce trop te demander que de m’encourager ?

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—Et tu vas aller ficher la pagaille chez Marcus maintenant ? Il n’a pas besoin de toi en Virginie quand tu as déjà fait des étincelles à Washington près de son fils. Dois-je te rappeler que tu n’as pas daigné venir à la Thanksgiving chez eux et tu t’attends à ce qu’il te considère avec ça ? —C’est une autre affaire ça, répondis-je fiévreusement saluant de la main un homme cherchant à récupérer la cabine téléphonique. Je t’en prie John, cesse de penser comme papa ! Je ne suis pas là à saboter ma carrière professionnelle cependant je ne peux pas m’entendre avec tout le monde et….. —Ecoutes Aubrey tu veux ce que tu veux de ta vie mais si tu décide de tout ficher en l’air, ne nous entraîne pas dans ta chute. Je fais un boulot que j’aime et pour lequel je suis très bien payé. J’ai une femme formidable et un merveilleux petit et je vis dans un coquet pavillon dans la banlieue chic de Washington alors….je ne t’appuierais jamais sur tes décisions foireuses concernant une vengeance de cour de récré ! Grandis un peu Aubrey et ranges-toi du côté de la sagesse ! Maintenant je te laisse, j’ai du boulot ! » Il me raccrocha au nez et décontenancée je tardais à sorti de la cabine, toutefois remercier par le type suivant attendant son tour et qui leva son manteau avec complaisance. Stafford me reçut dans son bureau et assit sur le rebord de la table il me fixait, les sourcils froncés. « Une cigarette Aubrey ? » J’acceptais l’offre et il lorgna du côté de la baie vitrée derrière laquelle s’affairaient ses employés. « Abbot a appelé le District de Columbia pour joindre les bureaux démocrates et

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républicains. Il s’avère que nos champions en liste sont en déplacement et ByronDoyle est actuellement à Boston, il réside dans un hôtel situé sur le Charles. Un bel établissement aux charmes coloniaux. Un bijou architecturale et je comptais envoyer Abbot à Cambridge mais il a refusé. Pas assez d’informations susceptibles de plaire à la majorité. Il n’a pas tort là-dessus mais mon épouse, la succulente Mrs Annie Stafford refuse de te laisser dans le placard entre les balais et les serpillères. Alors c’est toi qui ira interviewer le fils Byrondoyle. Après tout il est un peu de ta famille. —comment ça ? —Ne fais pas la mijaurée Aubrey. Avant d’embaucher notre personnel on aime lire les lettres de recommandations et celle de David Calvaert a attiré notre attention. Il est diplômé de la prestigieuse Harvard et réside dans la ville depuis plus de deux cent ans. Armateur qui a fait fortune dont le négoce avec le roi George III. Mais revenons à nos moutons s’il vous le voulez bien ! Calvaert fait partie du cercle privé des fils Byron-Doyle, je reste persuadé qu’ils partagent bien plus que cela…. » Il se perdit dans ses pensées, négligeant sa cigarette. Quelqu’un quelque part avait du me balancer au patron qui maintenant cherchait à creuser dans les méandres de mon passé. « Vous avez un grand nombre d’idées concernant ce journal et votre efficience est tout à fait en votre honneur mais je me dis que si vous êtes amie de Calvaert alors vous avez certainement du fréquenter l’un ou l’autre des fistons du gouverneur de la Virginie n’est-ce pas ?

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—Oui. Je les connais et nous avons pour tradition de célébrer Thanksgiving ensemble. Toutes les années, depuis la nuit des temps. » Et Stafford se leva pour gagner sa fenêtre. Puis quelques grognements sortirent de sa poitrine, son index glissa dans ma direction et il s’assit près du fauteuil collé au mien. « Vous êtes une petite cachotière, Miss McGowan. Votre savoir est inestimable en la matière et il ne s’agit pas de savoir comment vivent ces nantis ni de combien de domestiques ils disposent dans leurs nombreuses villégiatures mais la question est de savoir qu’est-ce qui a motivé leur choix de politique. Est-ce une règle de vie ? On s’est que les Byron-Doyle sont tournés vers le libéralisme, du moins c’est ce que prône le paternel, et à quel point le père et le fils sont analogues aux notions de capitalisme, fidèles aux lois antitrusts entre autres. C’est un point à creuser puisqu’il s’agit de leur réalité. » A l’’hôtel on me barra l’accès au meeting politique. Une secrétaire mignonne comme un cœur vint me trouver pour m’escorter vers un bar pris par des membres du parti démocrate. Randal fendit la salle pour venir m’accueillir. « J’ignorais seulement qu’il y aurait tout ce monde. —Les sénateurs du Massachussetts n’ont pas pour habitude de se réunir dans un endroit modeste que cet établissement mais compte tenu du calendrier, on ne peut s’attendre à mieux. Venez que je vous présente. Ces sénateurs seront en mesure de vous renseigner pour votre journal et votre charisme tranchera indubitablement avec celui de Mr Abbot. Elias ! »

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Elias Damon se tourna vers moi. Ce dernier me dévisagea de la tête aux pieds avant de tenter un timide sourire. « Notre Elias brigue le poste de sénateur du Massachussetts après avoir fait ses preuves à la Chambre comme représentant. Il lui faut obtenir la voix d’un bon millier d’électeurs pour s’en sortir vainqueur ; ce que nous croyons fort possible. —C’est exactement ça Randal, nous n’avons pas tous la chance d’avoir de solides compétences en matières juridiques pour avoir l’influence des illustres membres du Congrès et ses électeurs dans la poche. —Ah, ah ! La guerre n’est pas finie Elias, la guerre n’est pas finie. Miss Aubrey McGowan du journal le Heights nous fait l’honneur de sa présence. Ses articles sont plein de fraicheurs qui nous font oublier la sueur de l’arène et sa plume est des plus élogieuse quant il s’agit de brosser un portrait très fidèle de l’élite de ce pays. » Il me présenta à un autre représentant de la Chambre, plus âgé et donc plus expérimenté qui accepta de répondre à une série de questions devant un bon café. Il sut me mettre à l’aise et je me surpris à rire de ses blagues. Liebermann savait y faire avec les femmes et quand j’eus les réponses à toutes mes questions je cherchais des yeux Randal pour le voir discuter avec Damon. « Veuillez m’excuser, je vais m’en aller. —Oui. J’allais justement prendre congé d’Elias et ensuite m’assurer que je puisse regagner la Virginie l’esprit tranquille, déclara ce dernier en posant sa man dans la chute de mes reins.

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—J’organise une réception ce soir et vous êtes la bienvenue, Aubrey. Mon chauffeur pourra passer vous prendre au Heights à dix huit heures. » Elias me tendit sa carte de visite et je suivis Randal vers le petit salon ou cette fois l’on me servit un thé. Une fois de plus j’ouvris mon petit carnet sous le regard énamouré de mon ami de toujours. « Tout cela est-il utile ? —faisons semblant veux-tu. Si l’on nous voit seulement boire un thé, on va commencer à penser que nous sommes des amants. Tout ceci est la propriété de Stafford et il comprendra que finalement tu n’es pas été disposé à me parler quand l’entrevue passée avec Liebermann suffira. David va être père. —Ah oui ? Et bien mes félicitations ! —David est… enfin il est réservé et en définitif c’est bien ce qui pouvait lui arriver de mieux. Ainsi ils vivront dans la propriété de ce dernier. Il tient tant à conserver ce bien familial et je le comprends cet endroit est magnifique car chargé d’histoire. —Cela ravira les Hoffman. Ils mettent tant d’espoir dans ce mariage. Il est travailleur, consciencieux et d’une générosité sans borne. Pour peu il te laissera sa maison de Boston. —Sauf si ton père accepte ma candidature. —Mais il l’acceptera cela va de soi. Je pars demain pour la Virginie et j’aimerais que tu ne m’oublies pas une fois là-bas. —Comment ça ? —Je vais avoir besoin de ton soutien face à la plus grande ordonnance de ma vie. »

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Je posai la tasse dans sa soucoupe. Le thé était immonde. Randal me fixait avec intensité. Son pied toucha le mien et je ne fis rien pour l’en dégager. « Je réside en ce moment à l’hôtel. A tout moment on pourrait me voir comme une opportuniste et je sais comme les amis de David peuvent être amers et vindicatifs pour tout autre individu qui n’appartient pas à leur caste. —Tu seras toujours la bienvenue chez moi si toutefois tu acceptes d’y poser tes valises, argua-t-il le rictus au coin des lèvres, je sais que cela n’est pas facile pour toi en ce moment mais une fois près de mon père tu seras très sollicitée par les sénateurs tout aussi séduisant que notre Elias Damon. J’aimerais de faciliter la vie si tu ne vois aucune objection. Oh, le temps passe. Il faut que j’y aille. J’ai des documents à récupérer dans ma chambre ensuite je te déposerai au Heights si tu le souhaites. »

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CHAPITRE Randal partit et son départ sonna le glas de mon ostracisme. Il prit forme au lendemain de la réception chez Elias Damon. La soirée fut des plus réussies et tous me connurent sous le sobriquet de la Marchande de Rêves, en raison de mes articles jugés flatteurs pour ces personnalités de tel ou tel autre parti or en vérité je ne cherchais pas à encenser une personnalité plus que l’aurait fait un autre journal mais ma plume plaisait par son style complaisant, d’autres l’auraient trouvé atrabilaire et accusateur mais pour la majorité des lecteurs, il ne leur déplaisait en rien. Donc je me rendis au journal quand le patron me sauta dessus sans me laisser le temps de m’assoir. Autour, tous les visages convergèrent dans notre direction et soufflait ici un vent de désordre annonçant l’Apocalypse ou bien et je sus que quelque part quelqu’un avait désamorcé une bombe. De son index pointé dans ma direction il m’invita à le rejoindre dans son bureau et les sourcils froncés il m’étudia en détails. « On me raconte que vous étiez chez Damon hier soir. Il est charismatique cela va sans dire, je disais même qu’il est plutôt beau garçon et que toutes les mères de Boston rêverait de coller leurs filles à ce Charmant représentant siégeant à la Chambre du Congrès mais ce journal a une certaine éthique. Il pourrait ne pas être élu par un cruel revers de situation et alors il nous fera aller lécher les bottes au parti adversaire par votre négligence. —Oui cela pourrait se concevoir mais je reste persuadée qu’il y a autre chose et que

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vous n’osez pas me le dire de crainte que je prenne la porte. —Oui c’est exactement ça, Annie est très cool avec toi, elle te considère comme sa petite sœur et elle ne tarit pas d’éloges sur vous et ce n’est pas rien de la part d’Annie mais si sur le plan professionnel il n’y a peu de choses à dire, sur le plan personnel c’est une autre histoire. —J’imagine oui. C’est la raison pour laquelle vous vous mettez au devoir de me raisonner ? Alors je vais être au clair avec vous, Owen. Tout ce que vous entendrez ou direz sur vous est un tissu de mensonges. —J’ose l’imaginer oui. Néanmoins si j’ai bien un conseil à vous donner c’est bien celui de rester à votre place. On vous a ces derniers temps, trop souvent vu avec le fils Byron-Doyle et des faits remontent à mes oreilles selon lesquels vous auriez séduit le benjamin pour vous hisser bien au-delà de votre condition et la manière à laquelle vous vous y êtes prise va à l’encontre de notre sacro-sainte morale. —Vraiment ? Je ne vous aurais jamais cru assez léger pour donner crédit de telles accusations, balançai-je n’ayant plus rien à perdre et surtout en étant certaine de n’avoir rien à me reprocher. —Nous pourrions fermer les yeux sur vos mœurs on ne peut plus douteuse mais on me rapporte que votre famille serait partisante des communistes et que vousmême portez quelque affection pour leur idéologie et leur endoctrinement. Voyez, je n’ai guère envie que la CIA vienne mettre son nez dans mes affaires. —La CIA, rien que cela ! Donc vous ne souhaitez plus poursuivre l’aventure avec moi ?

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—Je suggère que vous ne remettiez plus les pieds au journal. Vous pourrez toujours écrire de votre chambre d’hôtel où vous avez trouvé refuge et publiez de façon anonyme mais nous ne pouvons faire l’objet d’une enquête, cela nuirait à notre image de marque et alors il nous faudra déposer le bilan. —Je le conçois. Est-ce tout ? » Il fouilla dans le tiroir de son bureau pour en sortir une pile de lettres. L’œuvre de la famille Crowley, sans aucun doute. « Je dispose ici d’assez de lettres de dénonciation vous concernant. D’illustres personnalités du monde des affaires, de la finance et politique me recommandent la prudence et je n’ai pas pour habitude qu’on me menace, vous comprenez ? » Ma gorge se noua. David s’était détourné de moi suite à ces accusations. Allons-nous penser qu’Athéna n’était pas enceinte, Tout cela n’était qu’une mise en scène pour m’éloigner à jamais de David Calvaert. Difficile de ne pas les imaginer gloussant et amusés par leur farce. Or tous ignoraient le fait que Randal m’avait contacté à Boston comme tous ignoraient sa proposition de travail. Les dès étant jetés, je ne pouvais pas me retirer du jeu ; abandonner la partie me condamnerait à une longue errance. Vidée de toute énergie vitale, je gagnais une cabine téléphonique pour y insérer des coins et attendre que l’on décroche à l’autre bout du fil. Une domestique décrocha pour me mettre en attente. « Oui allô j’écoute ! » Je reconnus la voix de Swift. « Allô ? Allô ? Qui est au bout de la ligne ? —Swift c’est moi, Aubrey.

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—Dee ? Et bien ça alors ! Qu’est-ce que tu deviens ? Tu es toujours à Boston ? —Oui. Et toi Philadelphia, cela te plait ? —Oui, enfin… C’était provisoire. Disons que je compte m’installer à Boston là où les opportunités de travail sont les plus favorables. Mais je ne déchante pas à l’idée de tenter l’aventure à Washington. Tu veux certainement parler à David, c’est ça ? Il ne peut actuellement pas te parler mais je lui transmettrai l’information selon laquelle tu as appelé. Un message en particulier à lui transmettre ? —Oui. Dis-lui que je pars pour la capitale. J’ai croisé Randal à Boston et…. —Attends, tu viens de croiser Randal ? Qu’est-ce qu’il te voulait ? Je veux dire par là, c’était professionnel ? Si c’est le cas il faut qu’on cause toi et moi. Disons dans une heure au Square Pub par exemple ? Tu pourras y être, tu crois ? Cette entrevue restera entre nous et je compte vraiment sur toi. » Il arriva à l’heure convenue, un bouquet de fleurs à la main et un sourire éclatant, du genre conquérant signifiant clairement qu’il comptait jouer les séducteurs plus que d’ordinaire. « Wouah, Aubrey, tu es magnifique ! Tu es vraiment resplendissante et si je n’étais pas l’homme que je suis, je te ferais la cour sans plus attendre. Mais assieds-toi s’il te plait. Ces fleurs sont pour toi… Alors que veux-tu boire ? Pour moi ça sera l’un de leurs merveilleux cocktails au rhum. Ils sont si spéciaux qu’ils vous ferraient croire en Dieu. Ah, je vois que je te fais sourire, c’est un bon début non ? —Un bon début à quoi ? Si j’ai accepté cette invitation Swift c’est uniquement par respect pour David. Je ne voudrais pas

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qu’il pense que je répugne à saluer ses relations quand déjà tous me voient comme une répugnante garce. —Où vas-tu chercher tout ça ? Tout le monde sait que tu es une fille chouette. —Tout le monde, en es-tu certain ? Tu vis dans le déni et je ne prétends pas savoir ce qui pousse Casey ou Athena à jouer les garces dans mon dos mais….. —Hey ! Hey ! Laisses tomber d’accord ! Me coupa-t-il en se penchant vers moi. Ce ne sont que des gamineries et si je dois être franc avec toi, tu as seulement manqué d’égard à Gale mais cela devait arrive n’est-ce pas ? C’est tendu entre David et Gale, et tu as pris le parti de te fier à David, ce qui est un signe de maturité mais surtout, évite de te prendre la tête avec les élucubrations mentales de leur petite amie. Tu es bien au-dessus de tout ça. —Pourquoi en veux-tu autant à Gale ? —Ah, ah ! Qu’est-ce qui te fat penser ça ? Non, je….Gale c’est mon vieux pote et comme tel, on n’est pas toujours d’accord. On devrait constamment se dire je t’aime tu crois ? Et se prendre par la main pour aller ramasser des fleurs sauvages en chantant des airs à la mode, histoire de bien faire monter l’émotion. La réalité est différente, d’accord ! Il faut que tu conserve ça dans une partie de ton esprit. Gale est chez David en ce moment. Mais ça je suppose que tu le sais, Randal a du t’en toucher un mot et tu as cru bon appeler pour avoir la confirmation. Tu veux manger quelque chose avec ton verre de mangue ? —Et comment David le vit-t-il ? » Les yeux de Swift se posèrent sur mes lèvres et il renifla, le rictus au coin des lèvres. Puis il se caressa le menton sans

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cesser de me sonder avec une certaine concupiscence au fond de son iris. « Et bien on peut dire que la grossesse inattendue de notre Hoffman a eu raison de leur cordiale entente. Voilà qu’ils se remettent à se parler et tous deux ont des projets, comme celui de retourner à Washington. A croire qu’ils se sont séparés pour mieux se retrouver. Quant à Athéna, elle est rayonnante. » Elle pouvait l’être maintenant qu’elle avait retrouvé son fiancé. Casey et toutes les autres dont Athena devaient se dire : Que cette petite négresse retourne donc dans sa lingerie et qu’elle laisse nos hommes et leurs valeurs à nous autres femmes, membres de ce si parfait cosmos ! Il me fallait rester concentrée et ne pas montrer que leur indifférence m’atteignait, du moins celle de David. « Et de quoi avez-vous discuté avec Randal ? —Avec qui ? —Randal. Tu as dit l’avoir vu à Boston et tu es la seule personne à l’avoir croisé depuis des semaines, voir des mois. Il est très difficile à joindre, crois moi. Il se met la pression pour sa campagne sénatoriale alors qu’il a toutes les chances d’obtenir ce siège. Sa fiancée l’aide beaucoup dans sa campagne, du moins, son père et… tu la connais déjà n’est-ce pas ? —Non, mentis-je la gorge nouée. Je n’ai pas eu l’occasion ou bien je ne me souviens pas l’avoir rencontrée. —Ah, bon ! C’est bizarre parce que Casey parle de vous comme les meilleures ennemies du monde, tu la connais, elle a le sens de la formule. —Pourquoi tenais-tu tant à me voir ? Tu sais que la situation est plus critique que tu

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ne le pense et que même si je le voulais je ne pourrais influencer Randal quant à son choix final. —Tu plaisantes ou quoi ? Il est très attentif à ta carrière et tu ne devrais pas le prendre comme ça, c’est une aide inestimable et le genre de relation que les gens ordinaires aimeraient avoir. Je crois sérieusement qu’il cherche à faire ton bien. On sera là demain pour faire du bateau en rade du Charles. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Dis oui et je viens te chercher. Et je sais que tu diras oui, tu ne peux laisser Athena et Casey s’en tirer comme ça. —Tu viens de me dire que je devais me montrer plus maligne qu’elles ? —Oui c’est exactement ça ! Mais la stratégie est de leur prouver que tout cela ne t’atteint pas, juste pour bien les faire rager. Ecoutes, on est tous ici issu de l’immigration et du métissage pluriculturelle et quand je te vois, là, assise devant moi et bien je me dis que je suis un imbécile qui se doit de ravaler sa fierté pour saisir l’opportunité de te venir en aide. —Oh, non vraiment. Si tu étais sérieux tu passerais bien vite ton chemin. —Et bien Randal crois en toi, alors par pure courtoisie j’aimerais vraiment te venir en aide. Tu vois si tu veux trouver un toit ou bien….dis-moi ce qui te ferait plaisir ! —Tu veux m’entretenir, c’est bien ça ? Pour qui me prends-tu Swifty ? Tu t’es dit que je serais assez désespérée au point d’accepter tes avances ? Je n’ai franchement pas envie de vivre avec toi, avec aucun homme d’ailleurs. —Je me suis mal fait comprendre.

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—Oh, non tu as été très clair. Tu comprendras que je ne puisse rester près de toi sous ces conditions-là. Je n’ai plus rien à te dire…. » Pour la Noël, Elias m’offrit une parure de diamants. Quelque chose de très modeste, selon ce dernier et comme il me l’attachait autour du cou, je me sentis des plus fébriles. Jamais encore aucun homme ne m’avait offert pareil cadeau et les mains jointes devant ma bouche, je ne cessais de regarder Elias les étoiles plein les yeux. « Tu n’as rien contre le fait que je me montre plaisant envers toi. —Absolument pas ! Aucune femme ne peut résister à l’attrait des diamants. Mais c’est trop, tu as du te ruiner ! » Il me tendit un verre de Bourbon sans me lâcher des yeux. J’acceptais de le rencontrer à Raleigh, mais après cette soirée au théâtre, tout bascula entre nous deux. Il était correct, affable et j’aimais ses manières. On riait beaucoup et son sourire me faisait frémir. On riait beaucoup et qu’on on redevenait plus sérieux, alors il me posait des quantités de questions sur ma famille ; il voulait tout savoir et ne perdait pas à un mot à ce que je lui disais et puis… on restait longtemps à se fixer. Ce soir-là, il s’assit tout contre moi, la main frôlant la mienne et on se dévorait des yeux sans plus aucune pudeur. « J’ai réfléchi à tout ce que tu m’as dit sur ces femmes qui te veulent du mal. Je connais ce genre d’individus et elles ne s’arrêteront jamais de te calomnier tant que continueras à jouer dans leur cour. Il te faudra toutefois agir avec circonspection, ces femmes sont des harpies et le fait que tu aies quitté ton ami David leur donne raison.

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—Enfin ! Sa petite amie est enceinte ! Je n’allais pas empiéter sur leur territoire ! Si ? —Qu’est-ce qui te prouve qu’elle est bien enceinte ? As-tu constaté un quelconque changement dans ses humeurs ? Sur son physique ? —Cette information me vient de David. Jamais il ne me mentirait ! Répliquai-je blessée dans mon orgueil, comprenant avec douleur que j’avais pu être dupée. —David non, mais Athena oui. Est-ce que tu l’aimes ? —Non c’est un bon ami c’est tout. » Manquer de discernement à ce point restait pathétique. La plus innocente des femmes demeurant sur cette terre aurait trouvé à se prémunir de ce genre de désagréments mais pas moi, pendant toutes ces longues semaines je m’étais tenus hors de tout cela, vivant en parfaite harmonie avec un homme irréprochable sous bien des aspects. Oh, oui ! Elles devaient toutes se marrer dans leur coin. Si j’étais restée près de Gale, rien de tout cela ne se serait produit. Il était la muraille empêchant la houle de passer par-dessus bord et partir s’saccager le littoral. En admettant que mon Elias est raison, que pouvais-je à présent ? Partir laver mon honneur ou bien continuer à me terrer à Boston. « Si tu aimes la campagne, nous pourrions y faire un tour ce samedi ? Qu’est-ce que tu en dis ? Comme je secouai la tête, il enserra mon visage entre ses mains et un frisson parcourut mon dos au moment où il baisa mon front. Etais-je à jamais destinée à être un objet de fantasme, ou bien un jour un homme aurait le courage de me demander en mariage ?

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Après mon rapide passage à Raleigh, nous primes la route tous deux vers Boston. Sa demeure était aussi imposante que celle des Calvaert et le style architectural ne fut en rien différent à la différence près fut que celle de Damon donnant sur un grand lac autour duquel se dessinait un terrain de golf. Une dizaine de domestiques s’affairaient pour entretenir les lieux et dans ce château aux charmes néo-gothiques j’étais devenue une invitée des plus privilégiées. Elias voulait que je m’y sente bien et il œuvrait dans ce sens. Il vint me rejoindre sur le rebord de la piscine pour me tendre un cadeau, n’étant autre qu’une montre bracelet au luxe tapageur puisque griffé du nom d’unes prestigieuses enseigne française : Chaumet. « Non, écoute je ne peux pas accepter…. —C’est un cadeau. On ne peut refuser un cadeau. Ta mère ne t’aurai-elle jamais appris cela ? Mes intentions envers toi sont on ne peut plus honnêtes et tu m’offenserais en rejetant cet amour que j’ai pour toi. Je sais que je suis un peu rapide et tu vas penser que je m’enflamme mais jamais encore je n’avais ressenti cela pour une femme ! Je sais que tu pourrais faire mon bonheur… Il suffit pour cela que nous y croyons tous les deux. —Elias j’en suis flattée mais tu viens de le dire toi-même, une telle précipitation est on ne peut plus invraisemblable et…. —Tu t’es compromis en acceptant mes nombreuses sollicitations et je ferme les yeux sur tes rapports précédents avec Calvaert. Il n’y a pas une famille qui te jugera scandaleusement libre et je veux t’éviter cela. On ne peut revenir en arrière et les hommes ne te respecteront pas si tu

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espères survivre à cette société sans époux à tes côtés. » Il avait raison. Une petite voix dans ma tête me disait : Fonce ma chérie ! Fonce ! Tu n’as rien à perdre et par ce mariage tu seras admise dans ce cercle de la haute société de Boston ! En rougissant je tentais un sourire et Alias qui depuis toute à l’heure se trouvait être accroupi près de moi, saisit une chaise longue pour se poser en face de moi, le regard interrogatif. « Pourquoi tiens-tu tant à m’épouser ? Il y a forcément une raison à cela ? « Avant tout la raison est personnelle : tu es rusée et maligne, intelligente et réfléchie et puis, tu es très jolie ! Les hommes te dévorent des yeux, où que tu ailles tu ne passe pas inaperçue. Ensuite la raison est politique. Tu es issue de la middle-class mais tu es ambitieuse si l’on en juge tes relations et en politique, c’est un élément important à prendre en considération. En tant que représentant de la Chambre au Congrès je n’aurais pu espérer meilleur compagnon que toi et une fois sénateur, j’aurais plus de poids auprès de mes concitoyens et condisciples. Le mariage t’effraie-t-il à ce point? » Une semaine après, on se mariait. Etrange de songer que je suis maintenant Mrs Elias Damon. Difficile de m’imaginer plus heureuse. Elias est un amour et quand ma mère arriva à Boston, intense fut son bonheur à en juger par le torrent de larmes ruisselant sur ses joues. En sanglots elle serra son gendre dans ses bras en bafouillant quelques mots inaudibles. Une fois remise de ses émotions, ma mère attrapa le bras d’Elias. « Vous avez fait le bon choix, ma fille est une perle !

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—Je partage également votre avis, Mrs McGowan et aurons-nous l’honneur de rencontrer votre époux ? —Il est en chemin. Après l’appel de ma fille je me suis empressée de monter à bord du premier avion et me voilà ! C’est une incroyable demeure que vous avez là ! Aubrey me l’avait décrite comme un manoir mais force de constater qu’il s’agit d’un palais ! Tes frères te saluent ma chérie et tous se désolent de ne pouvoir être là, et leurs pensées vont naturellement vers notre futur sénateur ! Où en sommesnous avec votre cote de popularité ? —Et bien des plus prometteurs je dois dire. Cependant gardons-nous de crier victoire avant d’avoir attraper notre ours ! Prendrez-vous un verre Mrs McGowan ? —Oui, ces émotions m’ont donné grand soif ! » Ma mère ne cessait de regarder tout autour d’elle comme fascinée par tout ce qui se présentait à ses yeux ; notre girouette passait d’un détail à l’autre sans perdre le fil de notre conversation. Le fait que ma mère fut là me réjouit au plus au point. Longtemps j’avais pensé qu’elle me jetterait le blâme de n’avoir pas su garder un homme près de moi quant mon père de son côté, ressasser mes échecs professionnels à Washington. Comme n’importe quelle mère, ce mariage l’avait quelque peu horrifié par la rapidité de son exécution. « Plus tard, nous ferons un mariage à l’église, suggéra Elias comprenant que chez lui comme chez moi nous ne pouvions fait l’impasse sur cette forme d’engagement, mais une fois les élections passées, nous serons tout à fait libres pour envisager plus fastueux. » Mon amour pour Elias grandissait de jour en jour, peut-être parce qu’il est un

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romantique convaincu, un prince des contes de fées qui jamais ne s’offusque d’être sentimental ; il me plait pour sa disponibilité, son bon sens et sa générosité. Il sait toujours trouver le mot pour me faire rire, m’apaiser et dans ses bras je me sens si heureuse. Il plut immédiatement à ma mère et ensuite à mon père. Ce dernier avait eu quelques à-priori sur mon époux ; non pas qu’il ait contesté sa carrière politique, sa fortune et tout son environnement mais bien parce que mon petit papa craignait qu’il ne m’ait épousé sur un coup de tête. On ne se connaissait pas vraiment et si ce mariage choquait par sa fulgurante précipitation, il suffisait de nous voir tous les deux ensemble pour comprendre que nous deux étions fait l’un pour l’autre. Tandis qu’Elias faisait découvrir à mon père les trésors botanique de son jardin, ma mère me prit par le bras. « Ton père est littéralement sous le charme. Elias est un homme formidable et toute sa réussite, il ne le doit qu’à luimême même s’il est né avec une cuillère d’argent à la bouche. Et je te vois si heureuse ma chérie, ce bonheur tu le mérite après que les fils Byron-Doyle t’ait brisé le cœur chacun à leur façon. Maintenant tu n’as plus de souci à te faire pour ton avenir, ce beau mariage ne te laissera jamais dans le besoin. Il faudra que vous veniez nous voir à Raleigh. —Oui mais comme tu t’en doute, Elias attend les résultats du vote dans les jours à venir et il ne pourra quitter Boston et je me dois d’être près de lui pour le soutenir quelque soit le résultat. —Sors-tu ? Rencontres-tu la bonne société de Boston ? Il est important pour

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toi que tu te constitue un réseau personnel. C’est très important que tu gardes une vie sociale loin de ce confort de vie. Tu ne pourras batailler seule en cas de coups durs. —Du genre ? Questionnai-je sans la lâcher du bras et calant mes pas dans les siens. —Sa famille est très altruiste comme tout bonne famille Quaker. De ce côté-là tu n’as rien à craindre. .une fois que tu rencontreras tes beaux-parents ils sauront t’accueillir aussi bien que leur fils mais tes origines pourraient en troubler plus d’un. N’oublie pas ce qu’il s’est passé pour ta grand-mère Nora. » Brusquement je stoppai ma marche pour interroger ma mère du regard. Elle, me dévisagea. « Oui. Maintenant je peux te le dire. C’était le soir de la réception au Cap North. Certains invités se sont montrés déplaisants concernant ta grand-mère. J’ai quelques idées sur l’identité de ces diffamateurs et Nora ne s’en est jamais remise. Elle disait que tout cela n’avait pas d’importance mais, tu la connais. Il est difficile de la raisonner. Randal m’a appelé pour m’avertir qu’elle quittait son emploi, le temps pour moi de me retourner, elle avait déjà fiché le camp. Randal s’en est beaucoup voulu bien que tout ceci ne fut de sa faute. —Et je suis censée l’appeler pour le remercier ? —Certainement pas ! Il a dit ne pas vouloir t’ennuyer avec ça et si tu viens à lui parler de Nora, il fera le rapprochement entre toi et moi. Il est hors de question de trahir sa confiance ! »

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Ma mère était d’une loyauté sans faille. Ce mariage la poussait à se confier à moi et plus tard après notre frugal repas, elle m’entraina sur la terrasse. « Ton frère John fréquente un homme le savais-tu ? Je pensais qu’il avait cessé de se comporter comme une chochotte depuis des années. Je n’ai pas osé en parler à ton père, il en deviendrait fou mais toi, tente de le raisonner ! Si ton mari devient sénateur, tu ne pourras souffrir pareille scandale ! Imagines-tu un peu les journaux locaux faire chou gras des orientations sexuelles de ton frère ! —Maman, John est heureux comme ça et il a tout mon soutien. Quant à la réputation que je dois avoir…. Pour l’instant je nage dans un parfait bonheur et rien ne pourrait l’entacher, pas même les choix de John. —J’espère que tu as raison en disant qu’il est heureux lui aussi, cela parait moins évident pour lui entre sa femme et son fils. Essaye de l’appeler et de le convaincre de revenir une fois de plus à la raison. » Mes parents partirent et je retournai au salon près de mon Elias. Ce dernier lisait ses courriers parmi la trentaine qu’il recevait tous les jours et je l’aidais dans cette entreprise, assise à ses pieds sur mon coussin de sol. Le vent gonflait les voilages des grandes fenêtres et soulevait ma robe, dévoilant ma cuisse pliée sous ma fesse. Elias fumait tout en écrémant son courrier et quand un courrier retenait son attention il me le remettait afin que je puisse le classer pour y répondre. Lourdes responsabilités que celle des représentants de l’Etat puisque son devoir était celui de s’occuper des affaires du quotidien de nos

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concitoyens. Il se rendait sur le terrain, répondait aux interviews et se rendait à des meetings, des associations, à des réceptions, des soirées mondaines pour des collectes de fonds et en somme jamais il ne s’arrêtait. J’étais devenue sa secrétaire personnelle, celle qui gérait ses finances, ses rendez-vous professionnels et privés, son carnet d’adresse et toute la partie domestique. « Tes parents sont des gens charmants. —Je savais que tu les apprécierais. Ma mère est ce qu’on peut appeler une femme du monde. Elle est très impliquée corps et âme pour la collectivité. Elle mène de nombreux combats de front, c’est une militante comme on n’en voit peu. —Oui j’avais imaginé tes parents on ne peut plus modestes mais force de constater qu’ils sont propriétaires terriens et bien implantés dans la côte est si l’on en croit les revenus annuels de ton père. —Cela te déçoit-il que mes parents ne soient pas des gens ordinaires ayant des difficultés à rembourser le crédit de leur voiture ou de leur maison ? Nous avons grandi sans avoir manqué de rien, mes frères ont fait de bonnes études et mon père a accepté de me voir partir étudier en Californie. —Pourquoi la Californie, questionna ce dernier en me remettant une lettre dactylographiée, range-la dans la partie impôts. Il y a des tas d’université dans la région alors pourquoi la Californie ? —Berkeley a une excellente cote et je voulais profiter de leur programme de littérature. —Tu fréquentais déjà le fils ByronDoyle à cette époque ? Je veux dire de façon intime.

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—Non. Il étudiait à Harvard et il était arrogant. Il avait toutes les jeunes femmes à ses pieds et il n’a jamais eu l’embarras du choix mais c’est cette Crowley qui a capté toute son attention. —Et Randal ? Cela s’est passé comment avec lui ? Demanda Elias en écrasant sa cigarette dans le cendrier. Tu l’aimais n’est-ce pas ? —Oui je ne vais pas te mentir, je l’ai idéalisé à un degré qui s’approche du pathos et tu es arrivé pour me délivrer de cet amour pour lequel j’étais prisonnière. —Lui est très amoureux de toi. Il m’a envoyé une lettre de vœux dans laquelle il fait ’l’éloge de ta personnalité à tel point que je finis par me demander si un jour il me pardonnera de t’avoir prise à lui. Avec ta permission je compte le recevoir prochainement, afin de dissiper tout malentendu entre nous. Je l’aime bien Randal, c’est le seul qui m’est encouragé à briguer le poste de sénateur et il a usé de son influence pour financer une partie de cette campagne. —Oui invite-le quand tu veux, répondisje ne manquant un peu de conviction. —Promets-moi de ne jamais te défaire de cette amitié, il te faudra essuyer la critique et accepter tous mes défauts car une fois sénateur, je risque te de négliger au profit de la politique et qui mieux que cet homme sera te conseiller et te consoler quant à mon indisposition à t’honorer. » Elias partit à Boston et seule à la maison je nettoyais l’argenterie quand le majordome Hall vint m’annoncer une visite fortuite. « Mr Calvaert est ici, dois-je le faire entrer, Madame ? » Sans lui donner de réponse je le suivis jusqu’au vestibule pour le voir, lui les mains dans les poches,

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vêtu de façon décontractée et plus beau encore que dans mes souvenirs. « Mrs Damon, lâcha ce dernier en tentant un sourire et je l’embrassais chaleureusement comme je l’eusse fait pour un frère. —Oh, David ! C’est gentil à toi d’être passé ! Je t’ai écrit mais étant sans nouvelles de toi j’ai pensé que tu étais parti pour Washington ! Tu as bonne mine. —Ton mari a obtenu soixante douze voix contre vingt-huit, je tenais à te l’annoncer sachant qu’il risque de ne pas rentrer de bonne heure aujourd’hui. Mes félicitations au Sénateur Damon ! » Elias était sénateur. Quel bonheur ! Immédiatement mes pensées se tournèrent vers Randal dont je n’avais pas de nouvelles depuis sa lettre de vœux adressée à Elias, non au couple que nous formions. « Et pour Randal ? As-tu de ses nouvelles ? —Non, mais je me disais qu’on pourrait l’appeler ensemble, si toutefois cela ne te dérange pas. —C’est une excellente idée ça ! » On composa le numéro de son cabinet à Washington et après avoir franchi le barrage des secrétaires, on finit par nous transférer à son poste. « Oui, Randal, c’est moi David ! Où en es-tu avec les votes ? » Et Crispée sur le module d’écoute du téléphone je ne perdais pas un mot de cette discussion. —Et bien les résultats sont tombés depuis deux heures maintenant et je l’ai remporté à quatre vingt trois voix contre dix-sept. On t’attend à Washington pour fêter cela comme il se doit. Tu viendras

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n’est-ce pas ? Et je te garde un poste bien au chaud pour toi. —Ce qu’actuellement je ne pourrais donner suite à ton offre mais je songe bien réfléchir à tout cela une fois que j’aurais retrouvé un semblant de vie. Et toi, commente te portes-tu ? —Je m’en remets doucement. Je pense pouvoir m’accorder une quinzaine joyeuse à Boston. D’ailleurs je compte sur toi pour me trouver une petite maison sympathique dans les hauteurs. —Je t’ai trouvé quelque chose mais c’est plus de trois millions de dollars. Est-ce ton budget ? —Cela peut l’être tant que c’est dans la verdure. Est-ce la propriété des Hastings ? Je sais qu’elle est en vente depuis peu. » Hastings. Elias en avait parlé l’autre jour après un retour de Boston. C’était une ravissante petite propriété cachée derrière les bois mais dont on apercevait le logis principal, rien à voir avec toutes ces imposantes demeures palladiennes toutes aussi tape-à-l’œil que celle de Damon et de Calvaert, au moins celle-ci par ses proportions vous impressionnait moins mais Elias disait avoir connu le fils avec lequel il avait fréquenté une classe de droit à Harvard. Le fils Hastings était prodigue et dilapida la fortune de sa famille à New York où il continuait à vivre une existence oisive sur la 5ème avenue. « Oui c’est bien ça, c’est de la demeure Hastings dont je fais allusion. Elle est à toi pour seulement trois millions, si tu veux te porter acquéreur ne traine pas trop. McGuire est sur coup. Je serais heureux de t’avoir pour voisin et je crois savoir qu’Aubrey aussi.

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—Qu’est-ce que tu en sais ? L’aurais-tu vue dernièrement ? —Oui, elle se trouve être près de moi en ce moment. Elle a quelque chose de particulier à te dire. » Des plus fébriles, je saisis le combiné tendu par David. « Tous mes compliments sénateur Byron-Doyle ! Je suis vraiment très contente pour toi, tu mérites vraiment ce poste et comme l’a dit David, j’espère vraiment te revoir dans la région ! —Tu féliciteras Elias également pour moi. Tu écris toujours en ce moment ? Tu ne dois pas manquer d’inspiration à Boston. —J’aimerais disposer d’un peu plus de temps. Mais étant donné la conjoncture actuelle je me contente au rôle de femme au foyer. J’arrose les plantes, je frotte l’argenterie et là je m’apprête à prendre le café avec mon charmant voisin ! David et peut-être qui sait parlerons-nous de littérature ? —Si tu es heureuse c’est l’essentiel. » Il reprit David en communication pendant que je sollicitais Beverly pour qu’elle nous prépare du café que l’on prendra ensuite en terrasse. Plus tard nous étions tous deux sur la terrasse avec une vue dégagée du parc et les jambes repliées sous mes fesses, la tasse à la main je me perdais dans mes réflexions sans plus tenir compte de la présence de David, lui aussi tout aussi silencieux. « Et comment va la belle Athena ? Apprécie-t-elle la vie la campagne ? —Athena a perdu le bébé. » D’un bond je me redressai pur poser une main rassurante sur la sienne. « Oh, j’en suis profondément navrée….

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—Pas moi, je doute qu’elle ait été une fois enceinte. Tout ce simulacre de grossesse n’avait qu’un but, t’’éloigner de moi et elle y est parvenue aidée par cette tyrannique Crowley. Ce qui aurait pu être un séjour convivial et reposant fut épouvantable. Aucun de nous supportait l’humeur de l’autre et j’ai fini par prendre la décision de rompre avec elle, une bonne fois pour toute. —Tu trouveras quelqu’un David. —Je crois que pour le moment je me passerai de petites copines, de ces riches héritières sans scrupules qui fomentent des complots derrière notre dos. Non j’aspire à autre chose. —Si tu le dis. —Elias est un quelqu’un de bien. Je ne peux pas dire qu’on se soit véritablement fréquenté lui et moi, seulement je sais qu’il est droit dans ses bottes. Ce qui fait de lui une personne fiable. Les Damon sont des gens. On pourrait aller faire de la voile un de ces jours, tu en penses quoi ? » Elias m’encourage à reprendre contact avec Randal sans attendre l’achat de la maison des Hasting. Il vint me trouver dans le jardin, près des rosiers que je taillais ; il avait pour habitude de me laisser faire sachant que j’aimais à me retrouver dans le jardin. « J’ai tenté de contacter Randal à maintes reprises mais je suis pour l’heure sans nouvelle de lui. Il serait bon que tu essayes de ton côté. —Il est sénateur tout comme toi et tu n’as pas pensé qu’il pouvait être très occupé. Sois sans crainte, il répondra à tes sollicitations. Manquerais-tu de patience mon chéri ? Je compte inviter mon frère

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John quelques jours ici, est-ce que cela te pose-t-il problème ? Elias ? —Oui, pardon, j’étais dans mes pensées ! Tu disais vouloir voir ton frère ? Oui, au contraire, affirma ce dernier le sourire donnant plus d’éclat à son visage de Dieu grec. Invite-le! Je pars pour Washington demain et cela me contrarierait que tu sois seule, loin de ta famille.» Mon Johnny arriva mais pas seul. Il vint avec son amant rencontré à Washington l’été dernier. John le dévorait des yeux et comme son amant vouait profiter de la piscine, on l’escorta jusqu’à la terrasse où la Maria nous apporta des collations fraîches et John prit ma main pour la porter à ses lèvres. « Tu vis comme une reine ici et maintenant que tu as goûté au luxe tu ne pourras plus t’en passer. Tu as la vie rêvée avec un époux plutôt bel homme et sénateur qui plus est ! Et puis tu es choyée ma chérie. Il faudrait que je vienne m’installer ici. J’ai toujours rêvé de vivre dans une grande maison comme la tienne. Que te faut-il de plus pour être heureuse ? Ecris-tu toujours au moins ? —Oui et Elias a des contacts dans le milieu de l’édition pour mon roman. En ce moment David le corrige et il est très critique. J’ai de la chance de l’avoir près de moi. On continue à se voir une fois par semaine et grâce à lui j’exerce ma plume à la productivité et l’analyse. —Et comment va-t-il maintenant qu’il a rompu ses fiançailles ? En même temps j’ai du mal à l’imaginer malheureux. Il est entouré de ses amis de toujours et il n’est pas du genre s’encombrer avec une excitée comme Athena. Ah, ah ! Je suis si content

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pour toi Aubrey ! Je savais que tu réussirais. Tout le monde rêve de te rencontrer de Raleigh à Washington et tout le monde connait ta légendaire beauté, celle qui fait tourner bien des têtes, déclara John en souriant. Tu es devenue une personnalité à part entière et il te faudra un secrétaire personnel pour gérer cet afflux de mondains qui demandent à te rencontrer. —Pour le moment je suis bien comme je suis. J’aime me promener à Boston et puiser mon inspiration ici et là. Et puis Elias tient à sa quiétude, tout autant que moi. Il est discret et ses besoins sont simples. —Elias est vraiment beau garçon. Vous ferez de beaux bébés. —Es-tu amoureux de ton amant, John ? Questionnai-je penché à son oreille, les jambes repliées sous mes fesses. —Cela va sans dire. Ce que je ressens pour lui est unique, tu peux me croire. Quand je suis à ses côtés, je ne suis plus tout à fait le même. Si je pouvais vivre tous les jours à ses côtés, je serai l’homme le plus heureux du monde. En attendant nous devons nous cachet afin de ne pas ébruiter notre amour aux yeux de tous. Tu ne peux pas savoir comme je t’envie ma chérie. Toi, tu n’as pas à te cacher pour aimer. Elias est là pour répondre à tous tes besoins et l’amour te réussis bien. Tu es resplendissante. Elias doit savoir y faire, si je ne m’abuse. —Dans tous les domaines. C’est un dieu… » Et mon frère se perdit dans ses pensées. « As-tu l’intention d’acheter des chevaux ? —J’espère bien. Deux voir trois pour commencer. Je compte vous emmener en

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ville déjeuner chez Henri, un très bon ami d’Elias où la carte est riche et variée. Ensuite on ira se balader dans le vieux Boston, tu en penses quoi ? » Nous eûmes une table dans l’établissement du Français et une fois tous trois assis, force de constater que tous les regards convergèrent dans notre direction. John commanda du Bourgogne et alors que nous discutions de choses et d’autres, arrivèrent Gale suivit par McGuire. Mon cœur battit furieusement et bouche-bée je me penchais vers mon frère qui aussitôt comprit que quelque chose n’allait pas. « Gale est ici avec Clay. C’est plus fort que lui, il faut toujours qu’il se manifeste quand je m’y attends le moins. Ne s’il te plait, ne te retourne pas. —Tu es maintenant Mrs Damon, il serait convenable que tu le salue. C’est le moins que tu puisses faire pour ce vieil ami. Aubrey, si tu ne le fais pas, il pensera que tu es une ingrate et cela nuira à toute relation amicale à venir. —Tu as raison. » Et je me retournai pour le saluer. Il répondit à mon signe de tête avant de se présenter à notre table. « Comment vas-tu Aubrey ? S’enquit ce dernier après nous avoir saluée l’un après l’autre. —Je fais très bien, merci de t’en inquiéter ! Et toi ? Es-tu bien installé à New York ? —On peut le dire oui. Il faudra que vous veniez m’y saluer toi et ton époux. Cette métropole est tout aussi sympathique que Boston. David a du te le dire, je suis là pour la semaine. Les Hastings vendent leur maison et je m’en porte acquéreur. —Vraiment ? Je l’ignorai. » Le sourire s’effaça de mes lèvres en songeant à

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Randal. Une fois de plus son cadet allait le coiffer au poteau. « Oui c’est propriété est relativement plaisante et offre de nombreuses opportunités d’évasion. Elle vaut bien ses trois millions. Demain nous ferons un peu de voile, alors si cela vous donne envie de vous joindre à nous. Il n’y a pas plus grand barreur que John, n’est-ce pas vieux frère ? —Et bien si vous voulez bien de moi, cela serait avec plaisir ! —Alors demain à dix heures devant le voilier de David ! Je n’ai plus qu’à vous souhaiter une bonne journée ! » Il allait acheter la propriété des Hastings… Mon frère voyant mon embarras se contenta de sourire, le nez dans son Bourgogne. « C’est quoi cette tête ? Une telle proposition ne se refuse pas. C’est Gale et pas un austère inconnu qui te ferait du rentre dedans ! Tu as besoin de ce genre de relations pour exister et Elias ne dira pas le contraire. Tu es peut-être mariée mais cela ne fait pas de toi un ermite : On va aller tous les trois sur ce foutu rafiot et tu sauras te monter joviale comme à ton habitude. Tout ce passé est loin derrière vous maintenant et c’est un nouveau départ qui s’offre à toi. Je ne sais pas ce qu’est la propriété des Hastings mais il va débourser trois millions pour se rapprocher de toi, alors cela ne signifie qu’une chose : il ne te porte aucune animosité. Au contraire, c’est plutôt positif, Aubrey.» Autant vous dire que je suis très tendue. La raison étant Gale et son beau sourire, Gale et son regard hypnotique et Gale et cette façon bien à lui de vous faire passer pour la plus belle merveille de ce monde. Et après notre retour à Boston j’appelais

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mon époux malheureusement trop occupé pour se préoccuper de mes embarras sentimentaux. Alors je revins vers mon frère pour lui faire part de mes inquiétudes ; tout ce qu’l trouva à dire fut : « Ne réagit pas comme une vierge effarouchée, tu es maintenant mariée et Gale le sait, que crois-tu qu’il se passe entre vous ? Il ne serait pas assez stupide pour s’abaisser à pareil délire. Fais-moi confiance, il ne s’agit qu’un tour en voile et pour toi, encore l’occasion de te distinguer ! » Le lendemain, on monta à bord du voilier de Calvaert et à la poupe Gale et McGuire nous accueillit tous les deux, car Dennis préféra nous laisser pour jouir de la piscine et du parc. A la proue Gale s’entretenait avec David et quand ils nous virent sur le pont ils nous saluèrent ave une certaine pudeur. Son voilier de luxe disposait de trois cabines et il offrait tout le confort qu’on était en droit d’exiger pour un tel voilier. Il était certes moins imposant en taille que ceux des ByronDoyle mais j’aimais y monter parce qu’il promettrait toujours de belles ballades sur les flots. Mon époux en avait également un, pour l’heure en maintenance qui encore plus tape-à-l’œil en imposait avec son pont de teck et ses larges voiles. Le yachting était pour ces Anglo-saxons, une institution et sitôt que vous saviez marcher l’on vous initiez aux joues de la barre. Il me tardait de le manœuvrer mais Elias lui préférait un sloop plus modeste mais assez véloce pour couvrir les distances de Boston à New York. On quitta le port de Boston sous un généreux soleil et alors que mon frère me

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faisait défaut, je restais au cockpit ouvert, ne sachant quelle partie du voilier occuper car tous les autres membres de cette expédition œuvraient comme de beaux diables. Bien vite Gale me rejoignit. « Cela doit te manquer un peu non ? Ces ballades sur l’océan ? Tu es enfermée dans ton manoir quand il y a tant de belles choses à découvrir, comme la bibliothèque publique. Boston et sa somptueuse salle de lecture. —David me les a faits découvrir ! Nous y allions deux fois par semaine du temps de notre cohabitation. Et je connais le Museum of Fine Arts et son impressionnante collection de d’œuvres illustrant les différents mouvements artistiques de l’Antiquité au 19ème siècle. On peut dire que cette ville m’a livré bons nombres de ses secrets. —Oui, il vaudrait mieux pour toi. Elias a trainé ses savates à Harvard avant de rallier le Massachussetts State House à la Chambre des Représentants et maintenant qu’il est sénateur, les connaissances de son épouse ne devraient pas uniquement s’arrêter à la Park Street Church. —Naturellement oui. Elias est très sensible à la culture, tu aurais tout à gagner à le fréquenter. —Hum… tu nés rien perdu de ton sarcasme c’est bien. Randal t’a dit ? On fait courir les chevaux ce week-end en Virginie et il serait vu que tu y assistes avec Elias. Ensuite on fera un truc entre nous comme au bon vieux temps, alors cela pourrait être convivial, tu ne crois pas ? » Et les chevaux se précipitèrent sur le circuit. Derrière mes jumelles je suivais la course des plus tendues. Aujourd’hui ne

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courraient pas mes chevaux mais ceux d’Elias au nombre de trois, des yearlings aux poils luisants et allures prometteuses. Dans cette tribune je sentais mon cœur battre au même rythme que les sabots furieux de ces bolides et champions galvanisés par la foule. Le champagne coulait à flot. Les discussions s’enflammaient au sujet de politique. Des serveuses passaient avec des plateaux recouverts de petits fours. A Washington plus qu’ailleurs les femmes savaient s’habiller. « Mon amour ? Les Byron-Doyle sont là, murmura Elias au creux de mon oreille. Si tu veux bien te joindre à nous ? » Marcus se trouvait être là en compagnie de son fils et assiégés par la presse mondaine et celle qui tenait les plus gros tirages de la côte est. Cependant je ne vis Gale nulle part et en tournant la tête je le vis ans mon champ de vision en compagnie de Swift, Hershey et la plus prétentieuse de toutes, Cassandra lee Crowley qui officiellement faisait son entrée sur le terrain des démonstrations hippiques. Gale se précipita pour déposer un long baiser sur mes joues. Mon attention se portait cependant sur Randall en grande conversation avec un journaliste. Tout ce que je voulais c’était le féliciter pour son poste de gouverneur. Les journalistes partis je me précipitai vers lui au milieu de toute cette cohue, cette presse mondaine grossissante à vue d’œil. « Bonjour, monsieur le gouverneur ! » Il sourit d’une oreille à l’autre et ses yeux se posèrent sur mes lèvres. « Madame Damon….le plaisir est pour moi. —Arrêtes un peu, tu es le seule à m’appeler ainsi. A ce sujet, as-tu salué

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Elias ? Il ne fait que me parler de tes succès au Congrès. Si je ne te connaissais pas j’aurais toutes les raisons de me montrer jalouse. —Ah, ah ! C’est embarrant non ? Tu n’es plus la vedette dans ton propre foyer ? Tu ne les entends plus n’est-ce pas, toutes ces mauvaises langues : Vois comme elle se pavane. Les Byron-Doyle a eu la gentillesse de l’inviter bien que cette petite futée ne connaisse rien à la politique. Mais aujourd’hui tout cela est différent n’est-ce pas ? On te déroule le tapis rouge et Elias me dit que vous recevez tellement d’invitation que vous ne prenez plus la peine de les lire. —Oui, on croule sous les sollicitations. —Toujours est-il que tu nous l’as transformé. Il est de tous les combats maintenant et je me dis je pourrais d’emprunter quelques jours dans la semaine pour que tu m’aides à rédiger certains de mes discours. Quand viens-tu vivre en Virginie ? —Tu n’es pas sérieux, murmurai-je sans lui lâcher le bras. J’aime vraiment Boston. Cette ville est des plus agréables. Et quand est-il de ton projet d’achat ? David me dit que tu veux acheter la demeure des Hastings ? —Une telle propriété ne me sera d’aucune utilité pour le moment car j’ignore s’il te l’a dit mais j’ai dernièrement rompu mes fiançailles avec Deva. —Quoi ? Non, je l’ignorais. Mais pourquoi ? Edda est vraiment parfaite ! Vous formez vraiment un beau couple et tu ne trouveras pas mieux Randal. » Il se tourna vers moi pour me fixer avec intensité.

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« Peut-être que je n’attends pas à ce qu’on me surprenne ? Mes desseins sont modestes tant que je ne me trahis pas en définitif. Il n’y a pas de plus grand accomplissement qu’un mariage réussi. Si tu le veux bien, je vais aller saluer ton époux… » A quoi jouaient les fils de Marcus ? L’un se fiançait l’autre se séparait, puis l’un se séparait et l’autre se fiançait. On n’y comprenait plus grand-chose. Au bras d’Elias j’étais une autre. On me demandait mon avis, sur tel ou tel texte de mon époux et les plus avertis ne me lâchaient pas, rentrant dans des détails invraisemblables sur la composition des membres de la Chambre des représentants, du congrès et la cour suprême. Comment pouvais-je me tenir au faîte de tout cela ? En bon époux, Elias venait à mon secours plutôt que de savoir ces nantis non-contentés ; « Marcus organise une petite soirée chez lui. Je lui ai dit qu’on s’y rendrait mais ti tu es fatiguée on peut décommander. —Non ! Enfin Elias ! Bien-^sur que l’on ira ! —J’eusse pensé que tu dises non. —Et pourquoi donc ? Quelque chose ne va pas ? —Je ressens comme du relâchement de ta part voir de l’ennui. Cette foule y est pour quelque chose et j’aimerai que tu te sentes bien avec moi. Les chevaux c’est une chose mais qu’en due penser de cette incessante ruche ? On pourrait s’éclipser sans que personne n’ait à redire. » J’avais épousé un homme bienveillant. Il était en perpétuelle recherche de bonheur quand til se trouvait être près de moi. Il savait comme nulle autre que la gloire pouvait être éphémère. Une mauvaise

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critique dans une feuille de choix, de mauvais résultats à un sondage et votre carrière pouvait s’en trouver compromise. En tant comme public il marchait sur des œufs et bien qu’il donnait l’apparence d’un homme fort capable de gravir des montagnes il ne restait pas moins un homme tourmenté, accablé par ses propres limites et ses limites provenaient du fait qu’il n’avait rien de transcendant à offrir. Il était riche, c’était un fait. Sa famille avait fait fortune dans les années 1856, s’installa dans le nord du pays peu après la guerre de sécession et son aïeul entra dans la politique après l’assassinat de Lincoln, révolté par l’apparente anarchie régnant au Congrès. Ce dernier d’après mes connaissance fut favorable à l’émancipation des nègres et les encouragea à mener une carrière en dépit des idéaux de la population blanche. Elias voulait en être le digne représentant favorisant l’éducation pour tous dans les milieux défavorisés. Il encourageait le mariage mixte et son mot d’ordre fut : brisons les principes séculaires pour forger l’Amérique pluriculturelle de demain ! Beaucoup de sénateurs n’allaient pas dans son sens, ils marchaient de conserve pour lui barrer la route et il pouvait gagner le soutien de Marcus Byron-Doyle aux idées libérales pour obtenir son avancement ou bien une certaine crédibilité auprès de ses pairs. Plus on le voyait en sa compagnie et plus les journalistes l’encensait. Finalement on le voyait comme un politicien modéré aux idées ultralibérales mais modéré quand même. Notre mariage aurait pu causer sa perte compte tenu de mes origines mais tous me voyaient comme une femme

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blanche élevée parmi les protestants de race blanche, une parfaite arriviste classée parmi le plus ambitieuses de son temps. Cette image ne me déplaisait pas tant qu’Elias y trouvait son compte. Je me disais alors que cela en valait la peine. La maison de Marcus grouillait de sénateurs et de leurs épouses, de magistraux pompeux et de leur épouse vêtues chez Dior ou Yves Saint Laurent affichant des parures hors de prix. Au bras de mon époux il me paraissait insensé de me mêler à ses personnes dont je connaissais déjà la réputation sinon leurs brillants états de service depuis des années pour les avoir découvert en compagnie de Randal. Et je le vis sous le grand lustre, un verre de champagne à la main, régnant ici tel un empereur romain au faite de sa gloire. Il semblait heureux, détendu et maitre de liui quelque soit l’embarras personnel qui pouvait l’accabler. Il pouvait néanmoins se féliciter de mon mariage. Il avait misé toutes ses années pour faire de moi une femme accomplie et la situation fut favorable au vue de l’intérêt porté par son ami Elias. Les discussions s’enchainaient aux discussions et comme nous passions d’un couple à l’autre, d’un groupe à l’autre je fus bien vte sur le point de vaciller. « Je vais aller me rafraichir Elias, poursuis sans moi s’il te plait ! » Et discrètement je me rendis à la salle de bain après quoi je partis m’en griller une sur la terrasse. Tout ce bruit, tout ce concert de flagornerie me donnaient envie de m’éclipser. « Comment te sens-tu Aubrey ? » J’avalais mon tabac de travers et toussait pour permettre à la fumée de s’échapper par mon nez.

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« Je me porte comme un charme. Cette soirée est un franc succès. Quand Marcus reçoit il le fait toujours avec élégance. Une vrais leçon pour nous autres. » Randal m’imita en s’adossant contre le mur, l’arrière-train appuyé contre un détail de la colonne. « mais toi comment vas-tu ? Je m’adresse à Aubrey McGowan celle que je connais depuis l’aube de nos existences. Celle pour qui nous témoignons beaucoup d’affection. » Le sourire s’effaça de mes lèvres et je fis taire le gloussement de ma gorge pour me concentrer sur la cigarette se consumant au bout de mes gants de satin. « Je vais bien crois-moi, tu n’as aucune raison de penser le contraire. Tu connais Elias mieux que moi et tu sais à quel point il peu se montrer bienveillant, attentionné et très sentimental. Vraiment je suis comblée. —J’ai encore du mal à réaliser que tu es mariée. Je suis sérieux. Tu nous as tous coiffé au poteau. En fait on va dire que tu nous a surpris, tous autant que nous sommes. Et je suis très jaloux tu sais. —Randal je t’en prie, soupirai-je en tirant nerveusement sur ma cigarette. Cesse de me flatter, j’ai eu ma dose de cajoleries pour ce soir. Tu sais la différence entre Aubrey d’avant et l’Aubrey d’aujourd’hui est l’isolement si je peux parler en toute franchise. Aujourd’hui aux courses j’ai pensé à mon frère John privé de sa sœur chérie et je me suis sentie nostalgique. —Tu en as parlé à Elias ? —Il l’a devine oui. Ce qui est formidable avec Elias c’est que je n’ai pas besoin de m’exprimer pour qu’il devine ce que je

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ressens à un moment précis de ma vie. A croire qu’il a un détecteur émotionnel à la place du cerveau. Je suis navré de ta rupture avec Edda. —Je l’ai provoqué. » On échangea un long regard. « Qui aurait pu prévoir cette succession d’événements ? —As-tu toujours la bague que je t’ai offerte ? —Je pensais que tu voudrais la reprendre alors je l’ai mise dans mon coffre-fort à Boston. Il faut que tu comprennes que cela n’aurait pas marché entre nous. Je veux dire que personne n’aurait apprécié ce mariage et comptait avant tout ta nomination en tant que gouverneur. Ta carrière exigeait quelques sacrifices n’estce pas ? —A quel moment as-tu cessé d’y croire Aubrey ? » Les larmes me montèrent aux yeux. J’eus envie de le serrer dans mes bras. je devais me montrer forte et ne pas flancher par respect pour Elias, pour toutes les personnes qui jusqu’à là m’avaient montrées la voie à suivre. « Randal, ce n’est pas comme si nous étions des étrangers l’un pour l’autre. J’ai conscience e ne pas avoir été honnête encres toi en t’encourageant à te prononcer sur de potentiels sentiments mais…. —Je vais acheter des chevaux ! Coupa-til prestement pour ne pas avoir à m’écouter. Je voulais t’en parler toute à l’heure mais je n’en ai pas eu l’occasion. Avant de rentrer dans tes quartiers j’aimerai que te les soumettre à ta critique. Quand partez-vous ?

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—Euh…. Elias aimerait rester un peu plus de temps en Virginie. Il n’a pas pour l’heure l’intention de rentrer. » Il se redressa pour marcher vers la balustrade sans me lâcher des yeux, le rictus au coin des lèvres. Et je le rejoignis. « Gale sera là tu sais. Gale et sa horde de Vigilants. Tu ne seras pas en mesure de lutte contre ce tribunal de fortune visant à éradiquer toute forme de décadence de notre merveilleux pays. Oui, il permet ceux qui ne pensent pas comme lui comme des hors-la-loi. Il est très sincère croismoi. Alors il faudra fuir le pays avant que cela ne devienne trop sérieux. » Il se perdit dans ses pensées puis sourit franchement. « Le plus sûr pour toi serait de t’en remettre à ton vieil ami de toujours. Disons qu’il pourrait t’être utile d’une manière ou d’une autre. Toi et moi c’est pour la vie n’est-ce pas ? Je veux te l’entendre dire Aubrey. —Et tu dormiras mieux si je te le dis ? —-Cela y contribuera oui. —D’accord. Toi et moi c’est pour la vie. Alors ? Content ? » Son sourire fut ma réponse. Il déposa un long baiser sur mon front. J’étais Mrs Damon mais pour Randall, je restais son Aubrey. Peut-on parler de liaison si l’on ne couche pas ensemble ? Pour sûr que l’on nous voyait comme des amants. Où que l’on se rende Randall me présentait comme Mrs Damon puis précisait toujours : « Ma meilleure amie et confidente ! » Elias, mon bien-aimé Elias ne se formalisait pas de notre union puisqu’iil m’encourageait à vivre ma passion des chevaux avec l’ainé des Byron-Doyle. Et par ce mariage je fus

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introduite dans les hautes sphères de notre pays. Denton quant à elle devait ravaler son frein et acceptait contre mauvais fortune bon cœur à me faire certains honneurs. Les invitations arrivaient scellées et ce caractère officiel venait gonfler mon orgueil. La plus heureuse dans toute cette histoire fut ma mère qui toujours veillait au grain. En plus d’être sa fille chérie j’étais devenue la coqueluche de ses amies, de son club de Raleigh où tous parlaient de moi comme d’une merveilleuse porte-parole des minorités. Et quel ne fut pas l’engouement d’Elias à rendre les choses abordables pour la communauté noire de la Caroline. Il avait les bras longs comme les gens de son acabit et un coup de fil suffisait presque toujours à ouvrir les portes des administrations locales dirigées par des hommes obtus bercés dans une culture prônant la race blanche. Après trois mois de mariage il m’apporta des fonds financiers pour accroître sa renommée audelà de Boston et de sa juridiction ; étant native de la Caroline, je développais mon réseau en allant frapper aux bonnes portes. Derrière mon bureau je jubilais après chaque victoire remportée sur l’ennemi : nos institutions. Force de constater que j’avais l’appui de la presse et le soutien sans faille de mon frère John, toujours prêt à voler à mon secours quand les choses se gâtaient. Grâce à sa bonne intervention je pus toucher le cœur des fidèles de l’église luthérienne de Raleigh, de certaines villes de Virginie, de plusieurs comtés du Kentucky où nos chevaux courraient sur leur terrain verdoyant. J’avais un nom, une réputation et de solides alliés. Mais le pouvoir est une

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drogue dont les effets immédiats vous galvanisent et tentent à faire de vous des arrivistes d’un genre nouveau. Elias m’aimait et je le découvrais un peu chaque jour à chacun de ses encouragements, compliments et félicitations. Je ne pouvais pas nier le fait qu’il travaillait trop, parfois toute la nuit et je l’aidais comme je le pouvais en rédigeant ses discours, ses lettres de remerciements, ses notes destinées à son cabinet et il me remerciait non pas en me donnant de l’argent ais en me fournissant l’adresse des clubs sélects de la côte est, là où la politique libérale sévissait. Parfois il me semblait incroyable de l’avoir épousé. Nos deux mondes restant séparés par un fossé. Il disait possible de renservers les frontières, de gravir des montagnes tant que nous avions la foi et je l’écoutais, buvant ses paroles comme l’assemblée fidèle boit le serment du prêcheur. Et je fus surprise de constater combien l’influence des hommes comme Martin Luther King emplissait son esprit. Lui ne me voyait pas comme une femme blanche élevée parmi les blancs mais comme une femme de couleur élevée dans un monde prônant la diversité. Plus d’une fois il se rendit au temple en ma compagnie pour s’imprégner des negro-spirituals de ma communauté. Il en sortait toujours secoué et ému comme une vierge à qui l’on annonce un mariage prochain avec l’élu de son cœur. et main dans la main nous écoutions le chœur s’époumoner sur des airs à la mode que l’on chantait pendant les manifestations des droits civiques.ces voix cristallines montaient haut dans le cieu et gonflait nos cœur d’amour.

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Pus que jamais je me rapprochais de ma Nora. Après son départ du Cap North, elle m’abreuvait de conseils et de bonnes attentions. Elle me disait d’écrire après avoir lu les trop rares textes publiés dans les manchettes de la presse de Boston et la main dans la sienne je disais je la rassurais dans ce sens. Rien en pouvait entacher ce bonheur, cette plénitude qui faisait mon quotidien. Randall m’appelait tous les jours jusqu’à deux fois certains jours pour s’assurer que j’aille bien. Son amitié dépassait tout c que l’on peut espérer entre deux individus. Sans son imparable soutien je n’aurais jamais été à Berkeley et jamais je n’aurais pu attirer l’intérêt de mon Elias. Je lui devais tant. Pour le remercier j’eus l’idée de lui envoyer mon livre via un coursier à Washington. L’attente pour sa réponse fut longue et dans mon coin je me rongeais les ongles de désespoir. Un soir pourtant il m’appela pour me dire ce qu’il en avait pensé et le cœur battant à rompre je cherchais à calmer mes nerfs. « Mais ce n’est pas trop pompeux ? Je parle du style évidemment. J’ai besoin que tu me dises ce que tu as vraiment pensé de ce texte. —D’accord. je passerais te voir demain à Raleigh ? tu serais toujours à Raleigh demain ? —Mais pourquoi ne pas me le dire par téléphone ? —J’ai besoin de te voir pour en parler, d’accord ? Peut-on dire à quinze jours à l’adresse de ton choix. » Il arriva peu après moi au parc de la ville. L’endroit où petite fille ma mère aimait m’y emmener. En me voyant mon

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cœur sortit hors de ma poitrine. Qu’avait-il pensé de mon texte ? « Marchons un peu s’i tu veux bien. —Alors mon manuscrit ? Qu’en as-tu pensé ? —Oh, ma petite Aubrey. Ton texte, qu’est-ce que j’en ai pensé ? Tu nous dépeins comme une société arriérée pleine de traditions et ralliée à des organisations secrètes qui fomentent des complots visant à promouvoir tel politicien en faveur d’un autre mais tu dois savoir sur quels principes a été fondés ce pays, cette nation de dégénérés comme tu l’exprimes si bien. Nous n’avons pas eu de guerres de Cent ans, ni de peste bubonique ; nos hommes n’ont quitté leur terre sacrée pour aller sillonner le monde mais nous avons cette terre ; celles des persécutés, des affamés et des Africains. —Je sais tout cela Randal. Mais peux-tu aller au fond de tes pensées ? —D’accord. Sais-tu dans quel contexte ta famille a rencontré la mienne ? Mon père alors qu’il n’était qu’un simple employé à la Maison Blanche a un jour rencontré ton grand-père, notre Clive Schaeffer. Ce dernier lui a parlé de Nora et des difficultés qu’ils avaient pu s rencontraient au quotidien. A l’époque ta mère était une adorable petite fille. Mon père a vu du potentiel en Nora bien plus qu’il n’en a vu pour sa propre épouse. Alors il s’est juré de protéger cette famille. Cette histoire tu la connais n’est-ce pas ? Alors je vais t’en raconter une autre. Mais avant tout assieds-toi sur ce banc…. » Je m’exécutais docilement. « L’histoire que je vais te narrer et bien moins romantique. Cela s’est produit des années de cela à quelques kilomètres des

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Richmond. La mère de Nora travaillait dans une blanchisserie. Un jour qu’elle fut très malade, elle se rendit chez mon grandpère avec sa fille de douze ans. Elle tenait à la main un panier et quant il se pencha pour voir ce dont il était question, il découvrit un bébé de quelques jours pas plus gros qu’une pomme d’après ce qu’on raconte. Cette femme sans abri et sans famille implorait notre protection et un peu de pain. A la place de cela, il la laissa dehors incapable de la faire rentrer. Mon père, du haut de ses dix-sept ans assista à la scène. Il fit alors tout son possible pour les retrouver. Plus tard il finit par croiser la route de deux orphelins dont le plus jeune ne tarda pas à décédé faute de soin. Mais Nora survécue, cachée dans la chambre de mon père. Alors je ne suis pas convaincu que ton livre serve la moindre cause. Il existe sur cette terre des hommes capables d’aimer quelque soit la couleur de la peau. C’est de cela dont je veux parler. Malgré toutes nos imperfections, nos maladresses qu’as-tu appris en nous fréquentant ? Le pardon n’est-ce pas ? L’amour ? » Je me retournais pour laisser poindre mes larmes. Oh, oui j’avais été ridicule ! J’avais tourné en dérision des hommes comme Gale, comme Randal, comme David seulement pour dénoncer un entrefaite. J’étais à blâmer par ma suffisance et mon manque e loyauté. Randall m’attira à lui et les bras autour de son cou je pleurais à chaudes larmes en lui demandant de m’excuser. « Je te voulais pour femme. Je voulais être certain de mon succès aux urnes pour te demander ta main Aubrey. Tu ne peux pas savoir à quel point tu es importante pour moi. Alors si un jour Elias se lasse de

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toi, tu sauras que tu trouveras le réconfort en ma personne, n’est-ce pas ? —Oh, Randall…. —Non bien-sûr Elias ne se lassera jamais de toi, affirma-t-il en me caressant la joue avec tendresses. Il est comme fasciné et à juste titre, ceux qui ont eu l’honneur de t’approcher disent que tu es un être céleste, la réincarnation d’une déesse hindoue pour les plus éclaires. Je sais que tu es heureuse alors je ne me fais pas de soucis pour toi. Elias dit que tu veux partir dans le sud ? —Oh, non ! C’est un projet tout à fait stupide que j’ai eu une nuit. Je sais que les infrastructures manquent dans les états du Mississipi, en Alabama et je m’étais dit qu’on pourrait influencer les leaders politiques come les juges et les hommes e lois mais je manque cruellement de moyens. Je ne dispose pas d’une armée mais seulement de bénévoles recrutées dans nos églises de la Caroline. —Cette idée parait irréalisable comte tenu de l’ignorance de certains faits. Je pourrais te venir en aide pour des actions ponctuelles et ciblées en Virginie ou en Carolines mais t’attaquer aux Etats du sud c’est du suicide politique. Tu devrais renoncer à certains de te s projets pour te concentrer sur les instituions locales de Raleigh par exemple. Je dois voir un ami dans moins d’une demi-heure. Tu pourrais te joindre à moi si tu n’es pas trop bousculée par le temps. » Je déclinais sa proposition pour aller m’enfermer dans ma chambre. je pris mon téléphone pour appeler Nora quand ce dernier sonna. Au bout de la ligne je reconnus la voix de Gale. Mon Dieu Gale !

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« Comment va notre Mrs Damon nationale ? J’auras du t’appeler plus tôt mais Randal a du te dire que j’ai trouvé un emploi à Washington. Ecoute je sais que tu es très occupée en ce moment mais on pourrait prendre un café si tu le souhaite entre deux de tes rendez-vous ? » Et deux jours plus tard je le retrouvais dans un bar-club à la mode par lequel on y accédait par une porte dérobée située derrière un salon de coiffure. J’adorais le concept rappelant les époques de la prohibition où l’on se cachait pour boire loin des autorités. Il m’accueillit à l’entrée de cette salle aveugle sur lequel un pianiste jouait du blues. Cette entrevue avait une note confidentielle car tous ici parlaient à voix basse n’osant troubler ls chuchotements des autres. « C »est inédit comme endroit. On pourrait se prendre pour des contrebandiers. —Comment va Elias ? —Bien. Merci de le demander. Il est actuellement à Boston pour l’un de ses meetings. —J’ai attendu un petit moment avant de provoquer cette rencontre Aubrey. Elias et moi l’on ne sait jamais vraiment entendu. J’ai mes idées et il a les siennes. C’est un peu comme demander à un éléphant de collaborer avec un âne de collaborer ensemble. C’est du domaine de l’utopie. As-tu rencontré mon père dernièrement ? —Oui, nous sommes en d’étroite collaboration avec Marcus. J’apprends beaucoup en le fréquentant, c’est. Mon mentor, on peut le dire ainsi. En fin de semaine ils organisent un diner. Tu espères y être ?

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—Non. Mon père est un peu fâché contre moi. disons que je ne suis pas tout à fait le fils qu’il aurait souhaité avoir. A l’écouter je dilapide la fortune familiale en débauchant toute la jeunesse de la Virginie. Et puis la Denton n’est pas convaincue de mon efficacité à vouloir rentrer dans le rang. Maintenant que j’ai cet emploi à Washington les choses vont peut-être changée d’elles-mêmes. —Je doute que Marcus ait eu des mots aussi urs à ton sujet. —Ah, ah ! Je ne suis pas Randall promis à un bel avenir. Lui, ne l’a jamais déçu. —Qu’est-ce que tu racontes là ? Gale ? —Oui je n’ai pas su gagner sa confiance. Maintenant je le pie cher. Que veux-tu boire Aubrey ? —la même chose que toi. —Et ça se passe comment avec Elias ? Les apparences sont trompeuses. Je m’étais toujours imaginé un type rasoir qui finirait seul mais c’était me tromper. Il a épousé Aubrey McGowan et c’est tout à son honneur. On dit qu’il fréquente les sénateurs et amis de Randal, lui qui ne savait céder à ce genre de compromis. N’est-il pas à penser que les républicains de nombrilistes ? —As-tu l’intention de me parler e ta farouche opposition à l’homme que j’ai épousé ? Si tel est le cas, alors je préfère ne pas te répondre en l’absence du concerné. —Tu as raison ma chérie, je n’ai pas la langue dans la poche. Sinon comment va Nora ? —Elle se porte bien. —‘est l’impression que j’ai eu quand je l’ai vue la semaine dernière. »

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Elle ne m’avait rien dit sur leur rencontre. Depuis son départ du Cap North, elle passait certains événements sociaux sous silence. Marcus l’avait indemnisée au-delà de ses espérances ; On lui donnait du Mrs Schaeffer par ça, Mrs Scheffer par là. Depuis toujours elle adorait sa maison à quelques minutes de son lieu de travail mais maintenant qu’elle n’y vivait plus, elle vivait en ville pour ses petits-fils comme elle le disait. Savoir si Marcus entretenait une relation avec elle aurait apaisé ma curiosité. Randall avait raison sur ce point : son père l’aimait d’un amour sincère. Il manifestait les petites attentions à son égard et Nora maintenant qu’elle ne lui était plus utile sur sa propriété trouvait un moyen correct de l’approcher. « tes chevaux courent cette saison ? je suis les résultats de tes champions de près. Ceux de Calvaert courrent aussi. —J’ignorait qu’il avait des chevaux à courir. Les siens sont plutôt des chevaux e selle bien plus habitués au confort des sentiers boisés du Massachussetts ; C’est marrant que tu m’en parles, parce que justement je pensais à lui. —Ah, oui ? Et dans quel contexte ? —Il fréquente une jeune femme en ce moment. Elle étudie l’art dans une université de Virginie et il souhaite me la présenter. J’imagine alors que leur relation est des plus sérieuses et j’espère que je saurais me montrer à la hauteur d’un tel événement. . —Tu vas trouver à te distinguer Aubrey, comme à chaque fois. » On aimait danser Elias et moi. On mettait un bon blues et on dansait dans le salon. J’aurai pu lui parler de ma rencontre

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avec Randal et pourtant je me tus. La tête posée contre sa poitrine je me laissais prendre à la magie de cet instant. « Gale m’a appelé tu sais. —A quel sujet ? Répondis-je serrée tout contre lui. —Il me dit que tu envisages de rendre visite à David au sujet de sa nouvelle petite amie. Tu sais je te soutiens pour tout quelque soit ton projet mais sur ce coup je ne le sens pas. —Comment cela ? Que veux-tu dire ? » Mon regard plongea dans le sien intense malgré cette impression de lointain. Dieu qu’il est bel homme ! A chaque instant je me disais que je ne méritais pas ce bonheur, cette maison et toutes les autres, ce nom qui me permettait d’ouvrir bien des portes, ce sourire déroutant et chargé d’amour, ses yeux pétillants de vie. Pour Elias j’aurais fait n’importe quoi. Il posa ses mains sur mes épaules. Il me dépassait de plusieurs têtes, ce bel éphèbe dépassait tout le monde en taille et en beauté ; « Je ne le sens pas. Depuis un certain temps j’évite gale. Cela va te paraitre absurde mais nos avis divergent en tout et…. » Je me détachais de lui pour aller fumer. Etait-il possible qu’Elias manifeste de la jalousie pour Gale ? La première taffe m’apaisa. Les mains dans les poches, Elias se balançait d’avant en arrière, la tête baissée ; il aurait voulu éviter cette discussion et mis au pied du mur, il devait poursuivre au risque de perdre la face au sein de sa communauté de politiciens. Pourtant Elias se situait bien au-dessus de Gale alors pourquoi cette angoisse infondée ?

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« Je sais que Gale cherche après toi en ce moment. —Parce que tu me fais suivre maintenant ? —Non ! Bien-sûr que non ! Seulement Nora reçoit de nombreux appels provenant de Gale et elle…. —Enfin Elias, elle le connait depuis toujours ! quel mal veux-tu qu’il y est à l’appeler ? —Tu as raison, conclut ce dernier en s’asseyant sur l’accoudoir du fauteuil club, seulement tu connais les relations tendues du père et du fils. Et tu en connais la raison n’est-ce pas ? L’été où tu te trouvais chez eu, sa petite fiancée du moment n’a pas appréciée la compétition et a colporté des rumeurs sur tes grands-parents selon lesquelles ils appartiendraient à un groupuscule communiste. —Que racontes-tu là ? Questionnais-je en m’asseyant à mon tour. Nora m’en aurait parlé, et si ce n’est pas elle, alors Randal m’en aurait touché un mot. De telles accusations sont graves. Où tiens-tu cette information ? —De mon cabinet juridique. Randal m’a appelé pour me faire part de ses craintes. La famille Lee Crowley a de solides appuis dans le nord et et Cassandra a cherché à te nuire et il fallait que ton nom soit purifié, tu comprends ? Ta famille devait être blanchi et par conséquent j’ai fait ce qu’il fallait pour te sortir de cette impasse. —Tu n’avais jamais eu l’intention de m’épouser avec que cetet Lee Crowley déverse son venin ? —Ce n’est pas tout à fait cela. Aubrey, tu es la personne la plus honnête qu’il soit, la

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plus brillante et il n’a pas été difficile pour moi de t’aimer. » Les larmes de rage me montrent aux yeux en songeant à cette maudite Cassandra. Si Elias n’avait pas été là alors les miens auraient été frappés d’ostracisme. Nora afin de ne pas éclabousser les Byron-doyle avait choisi de quitter le Cap North par amour pour l’homme qui prenait soin d’elle depuis tant d’année. Quelle pure dévotion ! Un exemple de noblesse. « Et quel rapport avec Gale ? je veux dire, pense-t-il qu’il est joué un rôle dans tout cela ? Elias, si tu sais quelque chose tu dois me le dire. —Parmi les amis de Gale tu as des ennemis. Ils ont tous affirmés que tu t’adonnais à certaines mœurs des plus douteuses et, ce dont je sais ce qu’il a lissé la gangrène s’infecter quand il aurait pu éradiquer le mal à sa source. David m’a parlé des relations houleuses entre eux ce qui lui a valu d’être injustement rayé de leur confrérie et il en fut très affecté. —Je ne t’ai rien caché concernant mon passé. —Il ne s’agit pas de toi, Aubrey ! S’insurgea ce dernier en se mettant debout. Si je dois aller à l’essentiel je dirais que Gale est obsédée par ta personne au point de s’oublier. Or il ne me parait pas nécessaire de le provoquer davantage. —alors tu penses que je ne devrais plus fréquenter David pour ne pas attiser sa jalousie ? —C’est exact. Je sais que tu tiens à cette amitié mais tu t’exposes à sa colère ma chérie. Le plus sage serait de ne pas lui donner l’occasion de nuire à ta réputation. »

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Je ne dormis pas cette nuit-là, blottie dans les bras d’Elias, mon sauveur. Gale blessé dans on orgueil en voulait à la terre entière. Marcus savait que son fils chéri était responsable de bien des choses et il le blâmait d’avoir voulu jeter l’opprobre sur contre famille en pactisant avec le diable.

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CHAPITRE Les chevaux s’élancèrent avec empressement en une sorte de marée compacte et rugissante. Derrière le micro, le speaker s’emballait un peu trop soulignant lla prestation de tel ou tel favori. John derrière ses lunettes suivait la course quand le carnet à la main je restais impassable à la course de jouant devant nos yeux. Nos chevaux peinaient à remonter. La course précédente nous l’avions perdue. Flash Gordon II, notre noir faisait ce qu’il pouvait pour se distinguer. « Ce n’est pas croyable….ton cheval remonte Aubrey ! Allez mon vieux ! Ne nous laisse pas tomber ! Allez, remonte s’il te plait ! Vociféra John. Plus vite mon gars, tu peux y arriver ! » Me sentant observée je tournai la tête pour surprendre le regard de Gale posé sur moi. Flash Gordon remontait à vive allure, plus déterminé que jamais à espérer un bon classement. Mon frère exultait de joie. « Ton cheval va encore se distinguer Aubrey, annonça Gale en s’asseyant à ma droite. Une victoire de plus à ajouter à ton palmarès. —Oui, nous avons un excellent entraineur. —Tu te rends chez Swift ce soir ? Il organise une petite soirée dont il a le secret. Tu pourrais venir avec ton frère à défaut de Damon. —Non, je ne crois pas pouvoir venir. Demain je me lève de bonne heure. Je repars pour Boston. —Vraiment ? je l’ignorais. Raison de plus pour que l’on fête ton départ. Tu n’as pas l’air de vouloir me parler aujourd’hui,

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si je ne m’buse. A peine un sourire et ce regard si froid…. Qu’est-ce qui ne va pas Aubrey ? —j’ai appris ces choses déplaisantes au sujet de ta fiancée, Cassandra lee Crowley. » Il pencha la tête entre ses jambes et prit un air condescendant. « Alors mon père t’a tout raconté ? C’est plus complexe que cela crois-moi… » Flash Gordon parvint à la troisième place et John ne rejoignit, tout sourire. « Ton cheval a fait des étincelles, sœurette ! Il va falloir fêter cela. Une coupe de champagne pourrait convenir non ? —Oh, c’est une excellente idée Johnny ! m’exclamai-je en le suivant du regard. Tu pensais pouvoir m’atteindre en agissant ainsi ? Je pense à Nora en disant cela. Il s’agit de la femme qui t’a élevé et tu as laissé cette Lee Crowley lui manquer de respect. Comment as-tu pu ? —Hum….ta grand-mère est une femme qu’on ne peut difficilement impressionner. —Mais ce genre d’attaques Gale ? je ne peux pas croire que tu aies laissé dire ! Pestai-je sans le lâcher des yeux. Enfin, elle a toujours été là pour toi ! —Aubrey, j’ai merdé, d’accord ! je m’en suis excusé un milliers de fois à ce sujet mais tu connais Nora, elle n’a rien voulu entendre. Mais toi tu n’es pas comme elle, tu es plus conciliante et plus réfléchie. —Je te demande pardon ? Il s’agit là de son intégrité et non pas d’une nappe brûlée par maladresse. Mais enfin….tu n’as pas pensé une seule fois que cela me remontrerai aux oreilles ? —je m’en suis excusé. J’aurai du me montrer plus ferme seulement on ne peut

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parfois rien contre certaines rumeurs. Plus on souffle dessus et plus on attise la flamme. —D’accord ! D’accord ! tu as raison un point : tu ne partageras jamais les mêmes convictions que mon époux, mais lui au moins à la droiture de ne pas te conspuer si ouvertement. » Il resta hagard et ne se leva pas quand je le fis. John revint avec les coupes de champagnes, j’en saisis une au vol que j’avalais cul-sec. Il était l’heure de rentrer à Boston. Le Sud et ses bassesses m’épuisaient. Les parents d’Elias arrivèrent précédés par une myriade de petits-enfants. Elisabeth de prime abord froide et hautaine s’avère être une femme ouverte et débordante d’énergie. Immédiatement elle me prit sous son aile en me prenant sans cesse à partie. Son père, Arthur est un homme discret mais bon enfant, plein humour et d’esprit, assez facile à vivre et plein de fierté pour son cadet. Les enfants au nombre de six gesticulaient dans tous les sens. Les filles dont la moyenne d’âge ne dépassaient pas neuf ans ne me lâchèrent pas d’une semelle, toujours prêts à s’installer sur mes genoux, me peigner les cheveux et me pincer les joues. Arthur fit fortune dans la sidérurgie et Elisabeth dite Lizzie se distinguait par ses études en économie. Elle avait obtenu sa thèse à l’université de Princeton. Les lunettes papillon posée sur son nez elle me surprenait par sa clairvoyance. « Oui, c’est une excellente idée ! Tu entends ça Arthur ? les enfants veulent s’installer en Virginie ! »

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Et sur la terrasse, Arthur pencha le cou pour prendre part à la conversation. « Tu disais quoi ma colombe ? —les enfants vont s’installer non loin de Washington D.C. C’est toutefois mieux que dans ce manoir sans âge où rien ne se passe d’excitant. Elias a toujours craint l’enfermement et puis tout le monde sait qu’il est très attaché à Randal ByronDoyle. D’ailleurs comment va-t-il ? —Qu’est-ce quelle a cette demeure qui te déplait tant Lizzie ? Nous y avons passé d’excellents moments, non ? —Il ne s’agit pas de cela Arthur. Les enfants sont jeunes et ont besoin d’autre chose que de la verdure. Et Dieu sait qu’il y en a ici ! —Et pas en Virginie ? » Charlotte installée sur mes genoux et lovée contre mon bras riait aux éclats quand je vins à lui pincer le nez. « Arthur n’entend rien à la politique. Comment va Randal, Elias ? » Ce dernier nous rejoint dans le salon après avoir écrasé sa cigarette dans le cendrier de la terrasse. « Il se porte comme un charme mère. —Comme c’est étrange, je ne l’aurais jamais cru. Tout ce boulot et ses nouvelles responsabilités, sans parler de son célibat qui commence à peser. Compte-t-il un jour se marier ? C’est un excellent parti, non ? Alors qu’est-ce qu’il attend par tous les saints ? —Voyons Lizzie, cela ne te regarde pas ! C’est un Byron-Doyle, ils sont assez arrogants pour qu’on les remarque mais manquent cruellement d’assurance en matière de petite amie. N’est-ce pas ce que tu disais d’eux avant d’entreprendre ce voyage en Europe.

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—Et cela n’a pas changé ! Mais enfin cette pauvre Emmy doit se retourner dans sa tombe en songeant à l’insuccès de leur fils face à la gente féminine. —Tu devrais tenir une chronique mondaine ma chérie, plaisanta Arthur en appuyant sur le mot mondain. Et vous ma très chère Aubrey, comment trouvez-vous Washington ? je n’ai jamais aimé cette ville qui est froide et impersonnelle. —Je ne dirais pas que cette ville me plaise mais on y y fait de belles rencontres. —Voilà qui devrait vous faire cogiter, Arthur répliqua en souriant Lizzie. Cet endroit est assurément un vivier pour les penseurs libres. Ma chérie allons dans le boudoir j’ai besoin de vos lumières pour un texte que je compte publier très prochainement ! » Lizzie écrivait des livres publiés en Angleterre à compte d’auteur. Elle disait que les Américains ne savaient ni lire ni observer le monde en dehors de leur nombril. Ouvrir les yeux c’était accepter l’ambivalence du bien et du mal sur notre monde. « Elias me dit que vous écrivez également. Je connais d’excellents éditeurs à Londres et à paris qui pourraient vous éclaircir sur le monde cupide de l’édition. A quand votre premier roman ? » On en parla pendant une heure ayant toutes deux matières à développer. Lizzie ma plaisait et les mains sur mes épaules elle relisait ce qu’on ébauchait ensemble. Au moment de leur dire au revoir, je ressentis les affres de l’abandon. « Notre porte vous sera toujours ouverte ma chérie ! Vous faites partie de ma famille et à ce titre vous serez traitée en

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égale, psalmodia Lizzie en baisant mes joues. Au plaisir de vous lire ! » Deux jours plus tard John m’appela pour me faire part d’une chose effroyable. Ma grand-mère Nora venait de mourir. « John. En est-on certain ? —Malheureusement oui. Les médecins disent que c’est son cœur. —Mais…. » Nora était si jeune. Comment cela aurait-il pu arriver ? En toute hâte je regagnais la Caroline du Nord. Ma pauvre Nora. La maison pleurait sa perte. Mes frères furent présent et ma mère inconsolable. Comment avait-elle pu nous quitter ainsi ? Nora, puisses-tu reposer en paix ? Clive conservait son sang-froid et vers quinze heures, ma cousine Deirdre me tendit le combiné. « Un appel pour toi… —Allo j’écoute ? —Aubrey, c’est moi Randal toutes mes condoléances pour Nora. S’il y a quoique se soit que je puisse faire…. —Randal, je… il n’y a plus rien à faire. —J’arrive dans moins d’une heure. John pourra-t-il venir me chercher à la gare ? » Je l’accueillis sur le quai et on s’enserra avec brutalité. Il resta une heure devant la dépouille de Nora après quoi je le déposai à son hôtel. Tel un zombie je l’ai suivie dans sa chambre. Nora nous laissait tous orphelins, privée de mère. Mes lèvres rejoignirent celles de Randal. Elles étaient douces et salées par mes larmes. Nous aurions pu nous arrêter là mais plus je l’embrassais et plus je me sentais forte. Sans même trouver le lit il s’introduisit en moi. « Nora aurait voulu cela, murmurai-je au creux de son oreille. Elle aurait béni notre union.

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—Alors rendons-lui hommage comme il se doit. Embrasse-moi… » Le coït fut long et intense. Jamais encore je n’avais ressenti pareille sensation. On l’enterra trois jours après. La main dans celle d’Elias je ne pus dissimuler mon chagrin. Les fidèles de l’église lui rendaient un dernier hommage en entonnant l’un de ses airs favoris, Motherless Child. Et je me retournai pour observer Randal. Nous enterrerons notre secret avec Nora. Une larme ruissela sur ma joue. Ma Nora chérie… Pourquoi la mort l’a-t-elle frappée ? Le chœur s’interrompit et je montais au micro. Une centaine de personne était venue la saluer une dernière fois. J’en avais la gorge nouée, étouffée par ma peine. « Elle fut notre mère, notre confidente, notre guide…. » Amen, marmonna l’assistance. »Elle a guidé chacun de nos pas. Elle fut notre lumière… » Amen ! Mon regard croisa celui de Clive. « Elle fut une épouse et une mère et quand au plus noir de la nuit nous ne pouvions entrevoir la lumière, elle fut notre guide… » Le chœur reprit à voix basse, Motherless Child. « Dieu l’a rappelée à elle comme Il le fera un jour pour nous, car nous sommes ses enfants. et au moment où nous quitterons ce monde des ténèbres après avoir entrevit l’amour, nous nous envolerons gonflés de fierté pour la retrouver. Elle, Nora. » Ma cousine Cessi éclata en sanglots. « Alors nos cœurs aujourd’hui doivent s’ouvrir et accepter Nora comme un ange venue pour nous guider vers la Lumière. » D’autres éclatèrent en sanglots et se fut ensuite l’hécatombe. « Elle a trouvé les mots pour

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faire de nous des adultes responsables, des adultes confiants capable de…pardonner à ses ennemis…. » Amen, cria quelqu’un dans l’église. « Alors pour Nora, point de larmes mais de l’espoir et faire qu’il y ait assez d’amour pour que triomphe la Vérité. A toi Nora…. » Ma mère sanglota le visage dissimulé derrière ses gants. « C’est un long chemin à entreprendre mais qui en vaut la peine. Merci, Nora.» Je regagnais ma place pour remarquer que tous pleuraient autour de moi. La mise en bière fut une épreuve pour tous. Toujours ces chants de negrospiritual pour vous transporter au-delà de ce monde pour en atteindre un, plus spirituel. Marcus baissa mes joues puis glissa un « merci » avant de rejoindre le cortège. Dans les bras d’Elias je me sentis troublée comme jamais. On se rassembla chez mes parents quand Randal vint m’y trouver, un verre de punch à la main. « Mon père n’a pas desserré les lèvres depuis l’annonce de sa mort. Il avait craint de venir. Et puis il a reçut ta lettre. Pourquoi lui avoir écrit personnellement ? —Pour le remercier de l’avoir sauvée, répondis-je les yeux inondés de larmes. Je ne voulais pas que le souvenir de cette mère de famille et de son bébé dans le panier ne vienne le hanter à jamais. » Il serra ma main dans la sienne et prestement détourna la tête pour ne pas le voir pleurer. Il s’en alla pour laisser le siège vacant. Ma cousine Deirdre le remplaça. « Ton discours m’a collé des frissons. C’est le plus beau que je n’ai jamais entendu. —Merci Deirdre.

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—Il t’a déjà pardonné, murmura cette dernière les boucles souples bordant son visage clair. Il t’a pardonné depuis le jour où tu as cessé de porter ta croix. Et personne ici ne te portera le blâme parce que tu es une belle personne Aubrey et Randal le sait. » On se serra dans les bras. Plus tard je le retrouvai dans le couloir, le regard visé sur les photos de famille. Le cliché qu’il regardait me représentait au milieu de mes lèvres sur une dune de sable dont il reconnaissait l’emplacement non loin du Cap North. Il aurait pu lui-même prendre ce cliché mais Nora l’avait pris quelques années auparavant. « Excuse-moi pour toute à l’heure. L’émotion m’a submergé, déclara-t-il en souriant. Ce fut une belle cérémonie. Je crains devoir rentrer. Il ne reste plus vraiment de Byron-Doyle ici. On se verra à Washington. —Randal….est-ce qu’un jour tu t’es dit que ta vie aurait été différente si je n’étais pas tombée dans cette eau ? » Alors que j’avais quinze ans mon bateau s’était retourné. Il plongea dans l’eau pour me secourir. J’aurai pu me noyer mais il m’avait sauvé. Il me rapporta jusqu’à la berge et tremblante de froid et terrassée par la peur, il me serra dans ses bras. il avait trouvé les mots justes pour me rassurer : « je serais toujours là pour éviter que tu bois la tasse… » Se souvenant de cela, Randall pouffa de rire. « Ma vie n’aurait pas eu de sens. Salue le reste de ta famille pour moi. »

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CHAPITRE Peu après l’enterrement, je me rendis au Cap North. Clive disait que Nora y avait laissé quelque chose pour moi. Ma curiosité fut telle que je n’en dormis pas de la nuit. Sur place je trouvais sur la table un manuscrit portant un post-scriptum sur le dessus disant : A ma petite Aubrey pour que tu n’aies plus peur d’écrire, ce modeste présent pour t’aider à trouver la Lumière. En tremblant je déliais les ficelles retenant le dernier témoignage de ma Nora. Cela me prit eux jours pour tout lire et dans cette maison à présent vide je fus gonflée d’un sentiment de béatitude. Je décidais de publier le roman de Nora à titre posthume. Je le remis à David Clavaert qui s’empressa de faire le nécessaire et après deux mois nous obtinrent donc une édition à faible exemplaire pour la proche famille. Le livre de Nora parlait de cette difficulté que nous avions à nous aimer ; Elle mettait en scène deux protagonistes dans une maison un soir d’été. L’orage tombait du-dessus de leur tête et eux conversait sur le droit de chacun à vouloir une existence meilleure. C’était une sorte de fable enfantine avec des dialogues simples. La magie prenait parce que Nora savait écrire, soit trouver le mot juste pour faire passer une idée. A la fois drôle et satyrique, ce texte s’inscrivait dans la lignée des récits folkloriques. C’était le sud, le Mississipi et son racisme flagrant. On y sentait l’odeur du maïs, du crottin et du caoutchouc des vieilles bagnoles chauffant su soleil. Je n’avais jamais mis les pieds dans le Mississipi mais avec Nora il me fut permis de m’y

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rendre. Dans les bras de Damon je me posais la question de savoir si nous aurions été meilleurs ou moins bons si un jour Nora et Clive avaient poussé la porte du destin en brisant certains tabous. Son amour pour Marcus était manifeste et ils s’aimaient au-delà des mots. Elle était Joe de son roman et lui Sanders, cet homme noir un peu caricatural mais bon vivant. Jo et Sanders que tout opposait arrivèrent à s’aimer contre toute attente. Ils ne vivaient pas dans la même rue mais dans le même quartier ; ne fréquentaient pas les mêmes gens mais la même église et quand Joe se mettait à chanter alors Sanders l’accompagnait au banjo. Tous deux étaient des idéalistes, toujours prêts à faire le bien autour d’eux. Joe voulait faire quelque chose de sa vie quand son compagnon reprendrait le garage de son père. Les choses les plus simples sont si faciles à exprimait, pensait-elle en découvrant son amour pour Sanders dont le seul plaisir résidait dans le fait de se distraire au milieu des autres nègres. Et puis cette Joe c’était un peu la femme que nous rêvions toutes d’être : un brin buté, capricieuse, téméraire, indépendante et déterminée. Elle savait le prix que cela lui couterait d’être quelqu’un d’autre avec un style différent du sien alors elle est restée elle-même et s’est façonnée une personnalité en exploitant chacun de ses échecs. Sanders quant à lui ressemblait tant à Marcus par son franc-parler, sa générosité, son cynisme et cette façon bien à lui de prendre les événements avec beaucoup de circonspection. Il y avait une course de chevaux dans le comté. Le mien se préparait à partir. Derrière mes jumelles je ne perdais rien de

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ce départ à venir quand d’un seul élan les chevaux s’élancèrent. Je rêvais de nouvelles victoires pour notre palmarès et afin d’éviter toute déception je ne pariais jamais sur mes propres sprinters. David se pencha à mon oreille : « J’aperçois Randal là-bas accompagné par un cheptel de flagorneurs virginiens ! Tablons qu’il passera près de toi en feignant ne point de reconnaitre. Il craindrait toute allusion entre Sanders et Joe, point de mire des sénateurs bien pensants. —Je doute que ces sénateurs aient pris le temps de se procurer le livre. Bien pensant ou non, Randall est bien au-dessus de tout cela. » Et Randal salua Damon comme le vieil ami qu’il était. Ils formaient une sorte d’unité que rien ne pouvait contrarier pas même une femme aussi intrigante que moi-même. Force de constater que Damon me le précipita dans les bras. « Ma chérie, tu ne vois aucun inconvénient à ce que Randall passe déjeuner en notre compagnie ? Il aimerait nous parler d’un projet qui lui tient à cœur et dont tu pourrais apprécier l’enjeu. —Il n’est pas nécessaire d’attendre mon invitation Randal. Tu sais être toujours le bien venu chez nous. » Suite à cette annonce je devins fébrile. A croire que Randall fut un Dieu et moi son exécuteur. Alors qu’il dévissait avec d’autres politiciens rassemblés sous ce même périmètre je me surpris à le regarder. Ce n’était pas le Randal que j’avais connu il y a des années de cela, ce Randal avait trouvé la Lumière et se l’était faite sienne. Cette forme de sagesse lui

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conférait une aura particulière, il électrisait les foules et je vins à lui en vouloir d’être si sûr de lui quand le poids de la culpabilité écrasait mes épaules. Les chevaux en ce jour ne l’intéressaient pas, jusqu’à ce qu’il trouva une parade pour s’approcher de moi affairée à noter le nom des favoris en lice. « Ce n’est pas ainsi que j’imaginais l’avenir. Les miens partaient victorieux de ce derby mais cette arrogance tend à nous détruire. La prochaine fois il me faudra étudier la concurrence plus sérieusement. —Oui cela va sans dire que de tels scores ne sont pas pour nous servir. Je crains devoir remercier mon entraineur malgré de longues années de collaboration. Et toi, comment vas-tu? —Pas trop mal je dois dire, répondit-il en lorgnant du côté du tableau des scores. Je craignais qu’on ne trouve du temps pour se parler compte tenu de ton actualité. Damon ne cesse de me dire que tu abats un travail monstre, t’accordant très peu de temps pour tes loisirs, comme les chevaux par exemple. Cela ne m’étonne un peu de toi. Je ne t’aurais jamais cru capable de faire passer le travail avant les courses. —Ah, ah ! J’aime vraiment ce que je fais et je ne parle pas seulement de l’association qui est mon petit bébé. Je parle surtout de la place que Damon m’a attribuée dans cette société. Jamais je n’aurai pu m’épanouir de la sorte. Il m’offre tant de possibilité pour me réaliser qu’il parait surréaliste de ne pas profiter de tous ces attraits politiques. » Il ne répondit rien, s’essaya à un sourire et retourna joindre le reste de cette tribune. Je crois bien l’avoir vexé en lui parlant de ma participation auprès de Damon.

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Plus tard je tenais salon dans l’habitacle réservé aux personnalités médiatiques, personnes mondaines, célébrités du petit écan et des ondes. Assise au milieu de tous ces hommes je dévissais sur la politique de notre président en poste. Tous prêtaient attention à ce que je disais, en fait ils buvaient mes paroles en ponctuant ici et là quelques commentaires bien assaisonnés. Je riais de bon cœur en répondant aux questions posées par un fonctionnaire de la Cour fédérale de cet état. Peu importe son poste il était prêt à me ridiculiser auprès de ses paires. Chose impossible à faire ayant tout appris de l’art de renvoyer la balle en fréquentant Elias Damon. Ils éclatèrent de rire en me tendant une cigarette, ue flûte de champagne, des petits fours. « Et que pensez-vous de ‘influence de Warren sur votre époux ? On dit que Warren soutient toutes ses actions et pousse Damon dans ses retranchements en lui faisant abdiquer son statut de libéral. Comment ferez-vous pour collaborer sans craindre de violentes et justes scènes de ménage ? —On devrait éradiquer toute forme de radicalisation, répondis-je en soulevant une vague d’éclat de rire. —Et pourquoi ne pas tenter un rapprochement avec les conservateurs du pays. Ils sont un électorat blanc qui vite ? Pourquoi votre situation serait-elle plus favorable à la lutte contre la ségrégation ? Ne craignez-vous pas d’être lapidée par les adorateurs de la foi protestante qui sévit dans ces comtés ? —L’idéel serait de faire entendre à la Chambre du Congrès en briguant des postes parmi les hauts fonctionnaires.

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—Une telle légion est utopique, ne trouvez-vous pas ? » Et je me retournai pour faire face à Cecil Warren, le protecteur de mon époux. A plusieurs reprises j’avais tenté de le contacter mais en vain. Il ne voulait pas répondre à mes appels, ni à mes courriers. Son poulain et nouveau favori le trahissait par cette mésalliance matrimoniale. Il ne m’aimait pas et ne m’aimerait aimais quelque soit mes convictions politiques. « Je pense Mr Warren qu’on ne construit pas un état sur du sable mouvant et tant que le mortier suffira à consolider les fondements de nos institutions alors vous n’avez dès lors rien à craindre. » Il me fixa longuement. Il n’y eut pas de rire pour accompagner ma réplique. Alors que les chevaux se démenaient à l’extérieur pour franchir la ligne d’arrivée moi je me démenais dans cette salle confinée pour faire entendre ma voix. Damon me disait de me rendre là où se tenait les grands noms de la politique pour les sensibiliser à ma cause. Bien des potes s’ouvraient à l’évocation du nom de Damon mais sitôt qu’on annonçait mon nom alors on s’empressait de prétexter l’absence du maitre de maison. « Nous craignons pour nos fils, Mrs Damon. Nous craignons pour notre constitution, celle de nos pères fondateurs. Ce qui implique de préserver nos lois contre tout contestataires aux idées machiavéliques qui brandissent non par des armes mais braillent des obscénités dans nos rues à la vue de nos enfants. Nous n’avons pas le temps pour ces enfantillages et vous le savez très bien ! —Notre objectif commun est l’unification des règlements. Votre autorité

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se limite à votre comté et vous n’avez pas juridiction dans des états comme le Kentucky ou la Caroline du Nord. Pensezvous que nous gagnerons des batailles en restant murés dans par nos convictions ? » On siffla dans les haut-parleurs la fin de la course. Mon étalon favori, Paradise Midness arriva premier et j’inscris le palmarès dans mon carnet. Encore uen victoire comme celle-ci et je rentabilisais une année de dépenses. Près de mon banc des femmes gloussaient le coquet chapeau enfoncé sur la tête. L’une d’elle me jeta un regard noir. Elle glissa quelques mots à son interlocutrice et toutes deux s’en allèrent en me déshabillant du regard. Et Damon arriva, les mains enfoncées dans ses poches. « Warren dit vouloir déjeuner en notre compagnie. Mais si tu n’es pas prête nous pourrons le reporter à plus tard. Quelle réponse dois-je lui apporter ? » Sa voiture se gara devant notre pavillon et son chauffeur lui ouvrit la portière. Des plus fébriles j’interrogeai Damon du regard. Lui seul pourrait me sauver si le navire prenait l’eau ; Il entra, échangea des banalités avec mon époux et entraina Randal derrière lui. Pendant plus de quarante minutes on parla de choses et d’autres tournants sur le comportement de tel gouverneur face aux agitations actuelles. Ils accompagnaient leur discours par des goulées de whisky et des cigares de la havane. « Vous êtes-vous déjà rendu dans le sud Mr Warren? Tout n’’est pas si noir que vous le prétendez. Il y a encore de l’espoir là-bas. —j’aimerai vous croire Mrs Damon mais la réalité est tout autre. Pour s’en

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convaincre il vous suffit de lire les rapports de nos gouverneurs. Les ministres des cultes prêchent la paix quand vous,, vous tenez là à défendre des valeurs chères aux hommes blancs. Devons-nous les obliger à se tenir tranquilles ? » Damon soupira, les avant-bras posés sur ses genoux. Il savait de quoi retournait mon intervention et il me laissait faire parce qu’il avait confiance en mon jugement. De son côté randal, la cheville posée sur sa rotule croisait les mains avachi dans son confortable fauteuil. « Nous défendons les mêmes valeurs. Il nous faut apprendre à cohabiter ensemble. c’est tout l’enjeu de cette bataille. Tous les jours nous recevons le courrier de famille soulignant leurs efforts pour protester contre cette société bannissant leurs droits les plus fondamentaux au nom d’un gouvernement ségrégationniste et…. —Vous êtes une activiste comme nous en croisons à chaque coin de rue et dans nos offices. Tout cela me parait u peu trop facile compte tenu de votre point de vue de femme du sud choyée par des individus prévenants. Vos principes sont ceux d’u conservateur non d’un abolitionniste. Vous êtes un imposteur qui a fait des études à Berkeley avec l’argent d’un fond privé, celui de Byron-Doule. Vos amis des paroisses sont-ils au courant de vos agissements ? Non bien entendu, tout cela pour ne pas nuire à votre cause. Du temps où vous étiez à Boston que faisiez-vous exactement ? Vous cherchiez à faire alliance avec Calvaert, McGuire et condisciples ? —C’est exact et je ne l’ai jamais caché. Ils sont mes amis et je ne peux me défaire de leur amitié.

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—Pourtant le bruit court que vous aviez offensé la petite Lee-crowley en tentant de séduire son fiancé qui n’est autre que le benjamin de Randal. Quel genre de garce immature êtes-vous ? —La même qui écrit des pamphlets révolutionnaires contre un roi tyrannique et absolu que l’on nomme ségrégation. La garce avisée que vous pensez que je sois pense que votre position doit-être réévaluée pour que vous ne puissiez pas dire : j’étais au courant mais je n’ai rien fait pour éviter le pire, soit la montée en puissance des Droits civiques ! Et tout le lot de contestations que cela va soulever dans ce pays et dans le reste du monde entier. » Il leva les yeux en l’air et posa son verre sur son guéridon. « Je conçois que vous puissiez être en colère mais vous vous battez seule si vous vous obstinez à frapper aux mauvaises portes. Il n’y a pas plus injurieux qu’une femme qui brandit l’étendard de la liberté, échauffe les foules et sympathise avec nos dirigeants. L’Histoire fera de vous une martyre. —Hum, Cecil…. La discussion parle des actions à menée contre le Congrès-rs non contre le féminisme, répliqua Elias. Il serait juste d’étudier le problème dans on intégralité et non focaliser sur des actions isolées. Ce que ma femme cherche à vous faire comprendre c’est qu’il est préjudiciable pour vous de voir cette conciliation comme bénéfique. Il nous faut gagner d’une autre manière et pour cela sensibiliser l’opinion publique à ce qui se passe dans le sud. Ce climat haineux ne peut plus perdurer, c’est la raison pour

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laquelle nous prenons part à cette mobilisation. —Sans tenir compte du choix de mes électeurs ? Cela m’est tout simplement impossible et si vous voulez mon avis, Elias, retirez vos billes du jeu avant que le vent ne tourne pour vous. Beaucoup ne partage pas vos avis au Congrès. —Et nous pourrions renverser la tendance, argua Randal. Pour mieux vous persuader nous pourrions vous donner l’assurance que toute concession apportée aujourd’hui sera bénéfique pour les vingt prochaines années à venir. La décision est dans votre camp Warren, pas dans le notre ! » Personne ne put être en mesure de savoir si ce déjeuner apporta ses fruits. Elias me disait de garder espoir, la partie n’état pas terminée. Je crus fort en ses conseils éclairés jusqu’à ce que les premières menaces de mort arrivent sur mon bureau. Ces anonymes s’en prenaient à mon époux en le traitant des pires noms que la création eut pu donner aux traitres et renégats. Accablée de chagrin je pouvais l’être et s’il se moquait ouvertement de tout cela je ne parvins à dormir sur mes deux oreilles Après le courrier, ce fut des appels à notre domicile disant explicitement que si Elias ne se retirait pas de la politiques alors tel groupuscule se ferait contraint d’agir par correction et rendre ainsi à la constitution tout son éclat. A Washington je craignais de sortir seule à l’affût du moindre mouvement suspect. Et toujours aucune nouvelle de Warren. Plus tard dans le mois décrochai mon téléphone dans l’espoir de contacter Randal mais ce dernier se trouvait être injoignable. Toujours ces menaces et puis

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les pneus de ma voiture crevées, la rétroviseur extérieur brisé, ma boite aux lettres défoncée. Et pour ne pas inquiéter Elias, je lui cachais tout cela. Pauvre idiote j’étais devenue ! Mes études à Berkeley ne m’avaient pas apprises à vaincre la peur, à marcher la tête haute. Pour me donner du courage je me disais que ma grand-mère Nora, elle, aurait su se montrer forte quelques soient les circonstances. Mais je n’étais pas Nora. J’étais de ces petites intrigantes qui fomentent des complots, agitent l’opinion publique et qui au premier coup de pétard enfonce la tête dans le sable. L’orage passé je décidais de me rendre en ville boire un milk shake. Attablée devant mon journal je lorgnais du côté des couples sur ma droite. Lui glissait des mots d’amour à son oreille et sa dulcinée gloussait. Je vins alors à penser à Marcus et à son amour contrarié que fut ma Nora. Il lui fut interdit de l’aimer, pas même lui offrir un verre en public. Comment pouvait-on vivre ainsi ? Une ombre plana au-dessus de ma tête et en levant la tête je reconnus le visage contemplatif d’un ange. « Gale ? Mais que fais-tu ici ? Questionna tombant d’effroi devant cette franche révélation. La lumière donnait des reflets dorés à sa chevelure rousse et son regard semblait avoir pris une autre teinte, une de ces nuances irisées que je ne lui connaissais pas. « Quel heureux hasard dis-moi. —Il est très difficile de te contacter. Ton employée de maison et ta secrétaire auraient reçues la consigne formelle de ne pas donner suite à mes sollicitation que je comprendrais. A moi de te demander

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comment tu vas. Et Randal comment va-til ? —Oh !.... et bien, je dirais qu’il va bien, répondis-je des plus nerveuses. Mais puisque tu ne semble pas t’en soucier, Elias se porte bien lui aussi. » Il ne trouva rien à répondre. La conservation s’arrêterait là probablement. Car ni l’un ni l’autre n’avions le besoin de nous exprimer sur les sujets du quotidien. Il se cala au fond de sa chaise et le bras par-dessus son dossier resta à me fixer un long moment. « Et bien je pensais que tu étais partie à New York. Ton frère me disait que Washington n’avait aucun attrait pur toi, que tu lui préfère cette métropole plus cosmopolite. —Il n’a pas tort. Je suis ici de passage. Je voulais seulement te voir. —Et comment savais-tu que je me retrouverai ici ? Dans ce snack des plus populaires. Notre rencontre n’a rien du hasard n’est-ce pas ? —Je suis bien renseigné c’est tout. J’ai lu le bouquin de Nora tu sais et cela m’a permis de comprendre un tas de trucs sur les rouages de ce système et une question demeure : pourquoi l’avoir fait éditer ? —Je ne te suis pas. le texte est remarquablement bien écrit et le style est vraiment…. —Alors tu ne l’as pas lu ? » Je fronçais les sourcils devant de telles accusations. Comment pouvait-il penser que je ne l’avais pas lu ? Il posa les coudes sur la table sans me lâcher du regard. Le couple se leva et mon attention se porta sur lui. « Nora a une fâcheuses tendance à placer certains détails de son existence dans cette

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fable sociale. Ne me dis pas que tu ne t’en étais pas aperçue, pas toi, la grande diplômée de Berkeley ! Calpurnia l’a lui. Oui je l’appelle ainsi car depuis des années nous lui avons donné du Madame Denton par-ci, Madame Denton par-là pour se rendre compte finalement que père ne l’a jamais aimé. Son cœur battait pour une autre. —Tu as fait tout ce chemin pour venir me dire cela ? Je m’attendais à mieux de ta part. —On a eu une longe aventure toi et moi. Tu étais pour moi La Merveilleuse Aubrey jusqu’à ce que tu te tapes mon frère, là sous mes yeux. Calpurnia et moi avons finalement beaucoup de points en commun. Nous sommes tous deux les dindons de la farce. —Si tel était le cas pourquoi t’infliger pareille souffrance en apparaissant vert de colère quand tu pourrais avouer l’avoir toujours deviné ? —Aubrey, tu es une brillante fouteuse de merde ! Et tout le monde te pardonne parce que tu es belle à damner à Saint mais je ne veux pas que tu penses que tout est gagné d’avance pour toi. Tu saisis ? Je sais très bien que tu t’envoie en l’air avec Randal dans le dos de ce pauvre Elias. Non ! Rectification : dans le dos de ce mou-du-genou qu’est Elias. Il est certain qu’il ne te causera pas le moindre ennui parce qu’il a un jour juré protégé les intérêts de son Frère. Oui je parle de leur putain de confrérie à la con ! Ils ne font qu’un, indivisible entité qu’aucun ne pourra jamais séparer, pas même une indélicate Aubrey. » Il ne m’apprenait rien là-dessus mais le ton qu’il prenait à le dire me colla des

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sueurs froides. Cette déclaration sonnait comme une menace et après mon lot d’attaques je craignais une nouvelle crise d’angoisse. Mon pouls alors s’accéléra et je pris sur moi ne pas regarder par-derrière mon épaule. « Oui je sais que les liens sont forts entre eux deux mais s’il te plait ne te montre pas si amer quand tu parles de l’homme que j’ai épousé. —Et je ne vais pas me gêner. —En trahissant les préceptes fondamentaux de ta confrérie ? Tout secret ne peut-être divulgué au non-initié et tu viens de violer cette Loi, Gale ! Quand je dis que tu es atrabilaire, tu ne dois pas prendre cela à la légère et…. —Aubrey, Aubrey, Aubrey, je t’arrête tout de suite ! Toi et moi on sait toujours tout dit, vrai ? Et à aucun moment je ne t’ai trahi, vrai ? Alors pourquoi aujourd’hui cela changerait ? Et comment va le boulot ? —Bien, je ne compte pas mes heures et mes collaborateurs sont des gens exceptionnels. —Ils sont tous noirs ? —La plupart d’entre eux le sont. Ce sont avant tout des républicains convaincus. Tu devrais passer nous saluer quand tu en auras l’occasion. —Ton travail ne te rapporte rien. Elias ne te paie pas un rond, ainsi il se dédouane de toutes responsabilités envers toi. Il s’intéresse plus aux sorts des futurs électeurs du Massachussetts qu’à tes nègres révoltés et qui scandent « Liberté » à chaque coin de rue. Comment fais-tu pour rémunérer ton personnel ? —Nous avons des subventions des divers chefs de cabinets. Les églises

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financent également notre mouvement et puis les autres partisans rassemblés sous notre bannière. C’est un travail très grisant qui nous oblige constamment à nous remettre en question et puis….il me semble faire partie d’un tout. —Comme au bon vieux temps. Je fais allusion à nos vacances au Cap Noth. A ce sujet McGuire a demandé après toi. Il voulait savoir comment tu survivais à toute cette pression. Et puis aussi Hersley. —Hersley ? Je ne te crois pas. Entre lui et moi cela a toujours été conflictuel. Et lui, que voulait-il savoir ? —Comme tous, il croit improbable que tu aies épousé Elias, voir quasiment impossible que Randal ait pu laisser faire cela. —Encore au nom de votre sainte confrérie je suppose ? Il n’y-a-t-il rien que vous fassiez qui ne dépende pas de votre secte ? —Il y a une contrepartie à cela tu sais. Par les liens du mariage tu es rentrée dans notre grande famille. Tu es devenue une sœur pour nous. Un titre que beaucoup t’envies-tu sais mais qui n’est en rien légitime. A Philadelphie, Richmond, Raleigh et New York et Boston on s’interroge quant à ton implication dans notre combat. —J’ignorais que vous étiez en guerre, ironisai-je en jetant un regard inquiet derrière mon épaule. Je dois maintenant m’en aller Gale. A une prochaine fois peutêtre ! » Plus tard allongée sur le divan du salon je fixai mon verre de porto quand entre Elias. Il baisa mon front comme il le faisait chaque soir avant d’ôter sa veste et de s’installer près de moi, un Bourbon à la

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main. Ce soir-là je me levais avant même qu’il puisse m’embrasser et debout devant lui je pris sur moi de lui révéler l’existence de ces menaces troublant mon quotidien. Il m’écouta d’une oreille attentive. « Ne prends pas cela au pied de la lettre. Il y aura toujours des dissidents pour tenter d’menuiser ton enthousiasme, répondit-il en se servant un autre verre. Tu es ma femme alors dis-toi que rien de sérieux ne t’arrivera tant que je veille sur toi. —J’ai toutes les raisons de le croire, Elias cependant j’en serais entièrement convaincue si tu trouvais un moyen d’éradiquer ce fléau. —Il y a bien un moyen mais cela ne te plaira pas. —Dis toujours. » Il reprit sa place dans le canapé et croisa les jambes l’œil brillant d’excitation. « Tu pourrais mettre de coté cette association pour un temps et aller travailler dans le cabinet de Randal. Je sais que tu n’y tiens pas plus que cela mais c’est un mal pour un bien. Le temps pour toi de gagner en crédibilité et ainsi faire taire les mauvaises langues une bonne fois pour toute. Plus tôt tu commenceras et mieux cela sera. Tu pourrais essayer quelques heures et voir si cela te plait. —Elias, je souhaite vraiment y arriver par moi-même sans rien devoir à Randal. Je lui dois déjà tant.» L’expression de son visage prit un autre ton. Il posa son verre sur le guéridon et décroisa les jambes. « Et pourquoi tant de modération vis-àvis de ton plus vieil ami ? Votre relation n’est un secret pour personne et Randal veut ce qu’il y a de mieux pour toi.

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—Tout comme toi n’est-ce pas ? A moins que ce mariage ne soit une supercherie, un simulacre de vie idéalisée tant vantée par notre société de consommation. —Voyons Aubrey, où vas-tu chercher tout cela ? Tu as toujours voulu faire partie de ce monde et à aucun moment je ne t’ai mis la pression sur quoique se soit. Enfin, tu es talentueuse et pleine de bon sens ! Tu es la femme que j’ai toujours espéré épouser, alors comment puissé-je de convaincre que ce mariage n’est pas une supercherie ? —Tu as raison, je ne fais que céder à la peur et dès lors je deviens suspicieuse, plus qu’il n’en faudrait pour que tu me prennes pour une folle! Ce soir je me disais qu’on pourrait faire quelque chose d’original. Que dirais-tu si l’on se rend au théâtre ? Proposai-je assise sur l’accoudoir et mes bras entourant ses épaules. Il nous faut continuer à nous comporter comme un vieux couple dont la seule motivation serait celle de prendre du bon temps. » Aussi souvent que nous le pouvions nous remontions à Boston, soit quand les obligations sénatoriales d’Elias lui permettait de s’absenter loin de son cabinet installé non loin du Capitole. Il faut vous avouer que ce grand manoir me plaisait, non pas pour ses dimensions mais bien parce que je pouvais vaquer à mes occupations fortement inspirées par l’atmosphère qui s’en dégageait. Par la force des choses j’étais devenue une riche propriétaire, châtelaine enviée par le voisinage et estimée par lesrelations ancestrale de mon époux. Et aussi étrange que cela puisse paraître je ressentais encore quelques difficultés à me faire

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appeler « Madame Damon ». Les employés de maison aussi nombreux et discrets soient-ils ne me jugèrent pas comme une parvenue, mon père ayant fait fortune dans l’automobile mais quand un tel devenait trop insistant, dans sa façon de me regarder, alors je m’imaginais quelques centaines d’année auparavant. Quelle place aurai-je occupée quand les aïeux de mon Elias cherchaient à enraciner leurs traditions dans cette ancienne colonie britannique. Les parents de Damon, eux ne pensaient pas que je puisse être un frein à l’ascension professionnelle de leur fils. Elias m’avait choisi par conséquent père et mère devaient m’accepter dans leur famille comme étant la future mère de leurs petitsenfants. Après ma ballade à cheval matinale je retrouvais Elias dans son bureau trônant derrière sa large table de merisier. « Comment vont tes parents ? Questionnai-je en passant derrière lui et glissant les mains sur sa poitrine, la tête posée sur son épaule gauche. Que pensestu si nous les invitions à diner. J’aimerai beaucoup avoir l’avis de Lizzie sur des sujets qu’une femme aussi avertie qu’elle peut-être en doit de maitrisée. —Hum…. Ce soir, cela ne sera pas possible. Et puis mes parents éprouvent quelques difficultés à venir diner chez leur fils maintenant que je ne suis célibataire. En bons parents qu’ils sont, ils craignent de déranger notre ménage. —Mais quand je serai maman, Lizzie ne craindra plus de nous gêner. Elle sera constamment à nois solliciter pour garder le petit. —Qu’est-ce que tu essayes de me dire ? Tu es enceinte ??

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—Tu aimerais que je le sois ? » Il ne répondit rien. J’allais trop vite en besogne. N’importe quel homme aurait pris peur. Nous venions à peins d’aménager ensemble que déjà je lui parlais de bébé et de couche. Alors je me redressais pour aller m’assoir devant lui, les deux jambes poses par-dessus l’accoudoir du vieux fauteuil en médaillon. Le regard d’Elias brillait de mille feux et il retenait son souffle prêt à faire entendre sa voix. « Non, je ne suis pas enceinte mon chéri mais je suis tante et la meilleure qu’il soit ! Ma mère n’est pas du genre très gâteux mais elle savait décrocher son téléphone pour rassurer mes belles-sœurs quant aux petits tracas du quotidien. Ah, ah ! On dirait que ma réponse te soulage. Tu crains à juste titre qu’une grossesse soit un peu prématurée et je te donne raison. —Non j’aimerai que tu sois maman le plus rapidement possible. » Alors là je ne comprenais plus rien. Rassemblant mes esprits, Elias tritura sa cravate. Plus je vivais à ses côtés et plus je le trouvais magnifique, solaire, impérial, auguste. Il possédait cette aura que possèdent certaines vedettes du cinéma et puis un tel visage ne pouvait pas vous laisser insensible. Il était bâti pour les choses romantiques, ballade au clair de lune, langoureux échanges de baisers sur la proue d’un voilier…. Il me plaisait car incarnant le gentleman à dix mille livres de rentes annuelles que l’on trouve dans les livres de Jane Austen ; Il se leva d’un bond, posa son stylo sur la table et l’observa un instant perdu dans ses réflexions. « En fait, je me disais que si tu es d’accord on pourrait mettre un petit

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premier pour l’année à venir. Un bébé serait…. Le point d’orgue de notre relation. —Mais que fais-tu de mon travail à Washington ? Je tiens vraiment à cet emploi Elias et nous pourrions encore attendre deux ans sans que ce projet chamboule tout notre ordinaire. —Pourquoi attendre si longtemps ? de cette association tu n’en tire aucun revenu et tes employés bien qu’ils t’adorent, seront contents de retrouver quelque emploi mieux rémunéré dans la capitale. Tu sais tout à fait entre nous, j’ignorai que tu puisse trouver à t’épanouir dans ce type d’activités. —Tu n’es pas sérieux là ? —Si encore tu acceptais de travailler avec Randal, je pourrais envisager d’attendre. —Ah ! On y revient ! Pestais-je les mains sur les hanches et le défiant du regard et de poursuivre sur le même ton : Je refuse tout simplement de travailler avec lui, tu pourrais au moins l’admettre et te sentir fier d’avoir une épouse si dévouée que nul âme ne saurait la corrompre ! » Que n’avais-je pas dit là ? Si dévouée que nulle âme ne saurait la corrompre ? Cela sonnait faux, si faux que mon regard devint fuyant. Elias me fixait avec intensité, ne croyant pas lui non plus, un mot de ce que je venais d’énoncer. « Au point de ne jamais céder aux avances de ton amant ? C’est bien ce qu’il est pour toi n’est-ce pas ? » Les larmes me montèrent aux yeux. Je me serais immolée par le feu plutôt que devoir lui annoncer la vérité. Elias, si ble homme tant convoité par la gente féminine

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était cocufié par ma faute. Un dérapage que je n’étais pas prête d’oublier. « Je sais qu’après le décès de ta grandmère tu l’as vu lui as donné rendez-vous dans un hôtel et que vous n’avez pas fait que vous regarder dans les yeux. As-tu aimé ce qu’il t’a fait au moins ? » Un sourire nerveux apparut sur les lèvres avant une irrémédiable envie de pleurer. Elias posa son front contre le mien. Me pardonnera-t-il un jour d’avoir fauté avec son meilleur ami ? Une larme ruissela sur ma joue et il s’empressa de la faire disparaitre d’un revers de pouce. Nos lèvres se rejoignirent et avant que je puisse reprendre mon souffle il se trouva à s’introduire en moi sans le moindre préliminaires. Cette étreinte m’arracha des cris de plaisirs et des larmes. « Tu as aimé qu’il te baise ? Questionna Elias enserrant mon visage entre ses mains. Tu as aimé qu’il te donne du plaisir ? Il mordilla ma lèvre tout en me pilonnant. « Tu as aimé ça, hein…. Sa grosse queue et qui te pénètre encore et encore… te susurrait-il des mots d’amour ? » Il enfouit ses doigts dans ma bouche tout en me clouant avec rage contre le mur. Crispée aux sa chemise je cherchais à fuir son regard. Il m’obligeait à la regarder, enfonçant ses doigts entre mes lèvres qu’il recouvrait des siennes et je retenais ma respiration à chacun de ses cops de reins qui devaient trahir nos ébats pour qui témoin auditif se tenait dans le couloir. Je pouvais jouir d’une minute à l’autre. « Il t’a donné beaucoup de plaisir…. Il en avait envie lui aussi….je veux que tu

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jouisses en pensant à lui… Tu es empalée sur sa queue et il va jouir…. Au bord de l’orgasme je serrai mes jambes autour de ses hanches. Une avalanche de plaisir me submergea et Elias se répandit en moi, rugissant de volupté. « Tu vas travailler pour lui et continuer à lui donner du plaisir. Aubrey…. Ce que j’éprouve pour toi restera inchangé. Tu es ma femme et cela ne changera rien entre nous. —Je ne peux pas accepter, répondis-je la tête posée contre sa poitrine. Je ne peux pas. Tu es mon époux et c’est avec toi que je vis. —Accepte au moins de le revoir. Dans votre hôtel. Si tu ne parviens pas à passer à l’acte je ne t’en voudrais pas. L’idée est que tu continues à lui donner un peu de plaisir en acceptant de le revoir plus souvent. » Et pendant une dizaine de jours je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Gale avait raison en affirmant que ces deux confrères partageaient tout y compris les plaisirs de la chair et Elias ne me touchait plus. Il voulait que je rencontre Randal à cet hôtel découvert au lendemain du décès de ma Nora. On se donna rendez-vous pour six heures du soir et Randal accusa un retard de cinq minutes. « Je suis navré, tu attends depuis longtemps ? » Il le savait et e regrettait d’être là dans ce hall à me torturer l’esprit. « Veux-tu qu’on passe par le bar ? —Non, je dois être rentré pour dans une heure. » Le sourire s’effaça de ses lèvres. Il prit la clef et régla pour l’heure. Il s’attendait à ce que je le suive mais je n’en fis rien. Surpris il se retourna vers moi.

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« Je ne peux pas. Et j’ai dit à Elias que je ne pouvais pas. Il est mon mari et je t’aime beaucoup Randal mais il n’y aurait jamais du y avoir de première fois. —Aubrey ma chérie tu sais que je ne forcerai jamais à faire ce que tu répugnes à faire mais nous devons .

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-CHAPITRE Un mois après les funérailles de Nora je me rendis à la rédaction de Mulligan. Ce dernier était au téléphone quand sa secrétaire aboya derrière moi. « Mrs Damon, non, vous ne pouvez pas rentrer ! » Ce dernier se leva d’un bond en me voyant débarquer dans ce bureau. Ahuri il me dévisagea de la tête aux pieds. « Mrs Damon, je vous ai connu comme étant Miss McGowan et comment se porte votre époux ? on dit qu’il fait des étincelles au sénat et…. —Cessez vos flagorneries ! Je ne suis pas venue pour que vous me ciriez les bottes, Mulligan, arguai-je en prenant place devant son bureau. Aujourd’hui je ne viens pas en son nom mais en celui de McGowan. » Il se cala dans son fauteuil de cuir. « Et bien je vous écoute, Mrs Damon. En quoi puissé-je vous aider ? —Connaissez-vous les Lee Crowley ? —Oui bien évidemment, comme tout le monde ici ! » Je sortis de ma serviette en cuir, un rapport épais de plusieurs pages, soit une centaine. « Un ami m’a remis ces documents pour les mioins confidentiels. Très confidentiels. Je sais que votre éditorial ne se compromettrait pas dans un problème de fonds relevant des bureaux du FBI mais toute publication pourrait vous valoir de faire un tabac. Je pense que vous savez ce dont je parle. —Pas vraiment non ? Vous me demandez de compromettre une personne influençable comme Lee Croley en me reposant sur ce rapport ? ?

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—Où est le problème ? il vous arrive parfois de diffuser des horreurs concernant les orientations politiques de personne irréprochables comme les Schaeffer. Je sais que ce nom ne vous évoque rien et pourtant….un jour vous avez accepté un appel téléphonique provenant d’un petit village côtier de la Virginie disant ne pas m’embaucher. —Oh, ce n’est pas tout à fait ça, Mrs Damon. La vérité est bien plus complexe. —De votre vérité je m’en manque, coupais-je froidement. A votre place je publierai ce texte avant que le FBI accepte ma plainte concernant Lee Crowley. Songez un peu la réaction de vos lecteurs en apprenant que vous avez hésité à le publier. Soyez sûr que l’on viendra éplucher vos comptes. Le FBI est très sensible aux problèmes de corruption. —Quelle garantie que cela ne soit pas une horrible farce destiné à duper l’opinion publique ? » Et je me penchai vers lui. « « Vous pensiez que je ne serais pas crédible en tant que journaliste d’investigation. Je peux le concevoir compte tenu de votre expérience en la matière mais s’il y a bien quelque chose que je sache faire Mr Mulligan, c’est toucher les gens en plein cœur. Il fat parfois peu de chose pour que les langues se délient. A votre place je publierai. Merci de m’avoir reçu ! » Mulligan publia et le FBI fit une perquisition chez les Lee Crowley. Le scandale fut phénoménal et aucun de savoir qui avait pu balancer cette famille. Envoyés sur le banc des accusés pour malversations je fus heureuse d’avoir pu

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venger ma Nora. Et je partis déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe. « D’habitude je passe plus tard. » Je me retrouvai pour découvrir Marcus. « A chacune de me visite je m’étonne de voir autant de garnir sa dernière maison.. Nora avait un problème de cœur. Elle ne voulait pas l’admettre mais elle s’épuisait à la tâche. » Je me levai pour comprendre ce dont Marcus me parlait. « Elle a fait une crise cardiaque et s’est fêlé le pied, peu avant que vous n’arriviez. Elle avait un tempérament de feu. Elle n’aurait jamais admis ses faiblesses. J’aurais du me montrer plus ferme. Je ne regrette aucun moment passé en sa compagnie. Nous avons beaucoup appris l’un de l’autre. Elle savait me faire rire et Dieu que nous avons eu des fou-rires ! Gloussa ce dernier en fixant ta tombe. Elle arrivait à rendre les choses plus simples même au décès d’Emily foudroyée par un cancer. —Elle vous estimait beaucoup. Vous avez toujours compté pour elle. —Tu ne sais pas à quel point je l’ai aimée, Aubrey. » Il fondit en sanglots et dans un geste d’affection je lui caressai son épaule. « J’aurai tant souhaité faire son bonheur… —Mais elle fut heureuse. Marcus….Nora fut très heureuse de sa vie. Soyez-en assuré. —Elle ne serait pas morte si…. —je l’ai vengée. Votre fils et moi l’avons vengée. —Quoi ? —Il a rassemblé toutes les preuves qu’il fallait pour inculper Lee Crowley. -6De qui parles-tu ? Randall ?

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—Non, Gale. —Mais pourquoi a-t-il fait cela ? Ce petit s’est tiré une balle dans le pied en conspuant ses relations. Il y aura un procès et il sera assigné à comparaitre. Mais pourquoi Diable prendre un tel risque ? —Marcus, vous ne lui avez donné aucune occasion de se distinguer. Il ne l’a fait que pour prouver sa valeur et vous devriez en être fier. Il n’est pas le lâche que vous pensiez qu’il soit. Il l’a fait pour regagner votre estime et le mien par la même occasion. —De quoi est-il question au juste ? Cet ingrat recherche ma condescendance et je devrai l’applaudir pour ses exploits ? Non, non, non, je ne crois pas. cela serait trop facile et ensuite comment faire confiance à qui trahit ses propres frères ? Non, Aubrey ! Son attitude n’est pas excusable. —Il s’en voulait pour le départ inopiné de Nora. —Non, mais quelle connerie ! Il te ferait avaler des couleuvres et exploite tes faiblesses pour mieux de desservir. Je le renierai plutôt que de devoir subir cet affront ! Il est une chance que vous m’ayez prévenu avant que cette situation ne dégénère Aubrey. » Les retombées furent désastreuses. Lee Crowley balança plusieurs familles du dus dont le gouverneur Byron-Doyle et son fils Randal. Comment avais-je pu manquer de clairvoyance ? Guidée par esprit de vengeance je n’avais pas pris le recul nécessaire pour comprendre où voulez me conduire Gale. Avec quelle promptitude pouvait-on passer de l’amour à la haine ? Les avocats de Byron-Doyle contreattaquèrent avec véhémence et de nombreuses enquêtes virent le jour. Le

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nom de Damon fut également évoqué et il fallut se défaire de ces attaques avant un retentissant procès aux désastreuses conséquences ; Nous reçûmes des menaces de mort et terrifiée je me cloitrais à la maison sans oser décrocher le téléphone.

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FIN.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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