Chapelet du Démon

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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LE CHAPELET DU DEMON [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Pollymnie’Script [La cave des Exclus]

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MEL ESPELLE

LE CHAPELET DU DEMON

Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1 « Maner, c’est toi ? Il n’y a donc plus de travail au château ? Et tu emmènes ta dulcinée, comme c’est touchant. Moi qui croyais que tu ne plaisais qu’aux mules et aux porcs» Lança le prince Meldreg devant une étale de confiserie ; brièvement il lorgna dans ma direction avant de tourner au ridicule cette fortuite rencontre ; il a tiré les oreilles de Maner, lui a lancé un coup de pied au cul sous le rire de ses amis, des petits barons péteux et cyniques à souhait. « C’est facile de s’en prendre à un plus faible » argumentai-je le cœur battant à rompre car je m’étais imaginée qu’il allait également se mettre à me cogner. Et quand il a demandé mon nom j’ai menti ; j’ai dit m’appeler Enora, cela sonne bien Enora. « Une sacré paire de couilles Enora, tu vois Maner c’est ce qui te manque ! Dis à ta chienne de rester à sa place, sinon c’est deux jours de pilori pour toi». En voyant ma sœur arrivée au milieu de sa cour j’ai détalé, entraînant Maner dans mon sillage. Le lendemain j’avais mal aux cheveux : Maner m’avait fait boire de l’Hydromel acheté avec ses maigres économies et on devait rentrer en faisant

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un raffut du tonnerre ; comme j’étais ivre j’ai chanté en titubant dans les couloirs et Maner a vraiment craint pour moi. Ma mère de me sortir du lit par les pieds « Non mais tu t’imagines quoi ? Tu ne dormiras pas jusqu’à midi ! Tu vas t’habiller et te rendre auprès de dame Meven pour s’occuper de son enfant ! Allez, debout ! » Alors c’est en traînant des pieds que j’ai traversé le château, la main en visière sur mon front. Puis j’ai couru aux latrines pour vomir. Dieu que j’étais moche ! Mon portrait me fut révélé en longeant le miroir non loin de la salle d’apparat ; j’avais de grands yeux gris, complètement délavés ; un regard à faire peur puisque livide. Et mes cils sont beaucoup trop longs ; on a forcément envie de les couper tellement ils gâchent la vue. Ma bouche est trop grosse, ronde à l’expression boudeuse et des tâches de son recouverte complètement mon visage. En me voyant là je suis soudain prise d’une envie de tout casser et de m’enfuir en courant. « Tu as une mine épouvantable Kem ! Tu devrais prendre un bain, cela te ferait du bien ». Avec Meven je cause, c’est elle la sœur que j’aurais dû avoir et lentement, elle défait ma guigne pour laisser retomber mes cheveux sur mes frêles épaules. « J’ai quelque chose pour toi pour te remercier de garder mes enfants comme tu le fais ». Et elle me remet un présent ; des boucles d’oreilles que je n’aurai jamais l’occasion de porter. Je peux encore les vendre et ainsi me faire un peu d’argent mais je trouve qu’elles me vont plutôt bien. Elles ont le pouvoir de m’embellir et c’est bien ce qu’il me faut.

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Les seigneurs arrivent en grande pompe en vue des tournois ; c’est alors un défilé de chevaux harnachés de galons et de cuir ; les riches dames quittent leurs litières pour se joindre à la cour. Elles me prennent pour une femme de charge ; c’est élégant de leur part ! « Tiens-toi ! Prends mes affaires et fais attention c’est fragile ! » Et le prince Meldreg de me reconnaître : « Tiens la petite peste de l’autre soir ! Tu en profiteras pour prendre un bain, tu empestes ! Et tiens toi à distance de mes chiens, tu vas les effrayer ». Ouais, la blague est bien lancée, mais il m’en vaut plus pour m’intimider et qu’est-ce qu’ils ont tous à dire que je pue ? Maner avançait en baissant la tête ; je crois qu’il a honte. « Non je n’ai pas honte mais… » Parce qu’il ne finit pas sa phrase je ne me fais pas d’idée ; notre arrogant prince l’a sermonné quant à son attitude. Lundi dernier il m’a lâchement abandonné dans la cour ; or il devait m’accompagner chez le drapier pour y récupérer des pannes de velours. Sa lâcheté m’exaspère. J’ai dû m’y rendre seule et au retour je vins à croiser les amies de Ninnog et elles ont gloussé en me voyant. Quoi j’ai un bouton sur le nez ? « Non, tu as mis ta tunique à l’envers » Rétorqua ma mère en haussant les épaules. « Et mieux vaut pour nous toutes que l’on ne te voit pas traîner près des dames.. » Le sempiternel discours pour souligner que ma présence est pour le moins indésirable ; alors la petite Niniel de quatre ans sur le dos et les autres Tristan, Nonn et Briz nous descendîmes voir les chevaliers s’entraîner. Ils mettent tant de hargne à se taper dessus que cela en est pathétique : ils

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prennent des bleus avant même le début des festivités et l’odeur de sueur nous emplissait les narines. Les tribunes sont installées depuis trois jours ; pour les jeunes chevaliers l’enjeu est de taille : trouver un patron pour faire d’eux un vassal de choix, trouver une épouse ou bien s’enrichir. Les gosses ont des yeux ronds comme des soucoupes et ils poussent des « Oh ! » de surprises en voyant les guerriers monter de lourds destriers. « Tu as vu cela Kem, ils vont s’en mettre plein la tronche » Entonna Nonn en sautillant. Deidre et aussi excitée que ses benjamins et elle me course dans les couloirs du château pour me signaler la présence du baron untel et untel. Déjà, elle a noté la liste de ses favoris et en haut de sa liste, le prince en question. Depuis trois ans, il n’a jamais perdu un tournoi en combat rapproché ; il a également fini vainqueur lors des mêlées et des joutes. Et puis les duels font sensations auprès des dames et de leurs filles en pleine force de l’âge. « Oh, il faut que tu viennes Kem ! On va bien s’amuser ! Il faut venir ! ». Lors des tournois, tout le monde veut y assister, pauvres et riches ; malades et puissants ; tous veulent faire partie du gratin mondain. En prévision des trois jours à venir, les tentes sont montées un peu partout autour de la place fortifiée et les estrades sont richement ornées de tapis, de banderoles et d’armoiries. Ma mère et ses amies y ont leur place et en attendant de s’y rendre elles se préparent physiquement sapées dans leurs plus beaux atours. Elles sont là à se flatter en faisant briller le satin de leur étoffe et leurs bijoux ; une merveilleuse

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tapisserie dans laquelle je figure en tant que fleur à ce romantique décor. « Dame Levenez aura besoin de toi pour les enfants, tout comme Dame Urielle et Deva. Penses-tu être à la hauteur ? » Bien-sûr que oui, je n’en suis pas à mon premier sacrifice. Et ma mère de me dévisager de la tête aux pieds ; j’ai là l’opportunité de me distinguer alors pourquoi faire du mauvais esprit. La belle histoire. Le ménestrel chante les louanges à la gloire de tel chevalier et sur les remparts je les regardais partir. Briz était en bas à m’attendre, les dents serrées. Bien entendu les morveux veulent s’y rendre et me travaillent au corps pour enfreindre les règles. « On ne peut jamais rien faire avec toi ! Tu es d’un ennui à mourir ». Et je les laisse râler pour m’apercevoir que cette sournoise de Solenn à traverser le pontlevis en direction de l’escalier-est. Plus rapide que moi la voilà en bas, prise dans la foule. Alors je me mets à crier son nom des plus désespérée. Surgit de nulle part, un cavalier et ses hommes fendent les villageois et l’un des canassons hennit furieusement ; à ses pieds Solenn qui prenait peur. « Fiches-moi le camp sale môme ! » Tempêta l’homme en levant son épée sur nous ; il nous menaçait de nous écraser quand le prince intervint au milieu de ses hommes. « Laisses cette femme et ces enfants ! Si tu oses lever la main sur eux, je te fais mettre aux fers, tu saisis ? » Sans demander notre reste on a filé. Il venait de prendre ma défense et en haut du parapet je le suivais des yeux. Le soir il y eut un banquet pour célébrer l’écrasante victoire du prince sur les autres et derrière la colonne de la

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grande salle, je cherchais des yeux le prince. Ninnog n’avait d’yeux que pour lui et ma mère saluait son entreprise par de longs sourires complices. Les dresseurs d’or et les saltimbanques viennent y faire leur spectacle ; le roi leva son verre en direction de son fils ; il est là pour l’occasion mais repartira après les festivités pour le Nord où il tient le plus gros de son armée. C’est un homme grand, sec portant la barbe poivre-grise et de longs cheveux gris. C’est un homme fatigué par les années de combat mais qui a encore assez de force pour intimider ses potentiels ennemis. « Qui est l’homme près du seigneur Bart ? » Demandai-je à Juna. « C’est le seigneur Gwenneg, une sale réputation. On dit qu’il a assassiné sa femme » ; rien d’étonnant, il a essayé de nous tuer Solenn et moi. « Vraiment ? Racontes-moi ! » Dieu qu’elle peut-être curieuse ! « Le prince t’a sauvé la vie ? Ouah ! » Enfin, on peut voir cela comme ça ; il a seulement fait son devoir de chevalier. Mais Juna ne voyait pas cela ainsi : les yeux en forme de cœur elle m’escorta jusqu’aux appartements de ma mère en insistant lourdement que j’étais la fille d’une duchesse et qu’il était temps pour moi de reprendre la place. « Ne sois pas stupide ! Tant que Ninnog n’est pas mariée, je ne suis rien ! C’est elle qui héritera du duché ! » Et Juna de me plaindre. J’adore qu’on me remonte le moral et Juna a toujours su le faire. « Toi ! Apportes-moi de l’eau ! » Siffla Meldreg en sortant de nulle part. Or la cruche que je tenais à la main était destinée à Meven, incapable de se lever étant donné le ventre qu’elle portait.

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« Encore toi ? Décidemment…il n’y aurait-il plus d’autres domestiques pour me servir ? » Persifla ce dernier assis autour d’une table en compagnie de ses amis-chevaliers. Et derrière j’aperçois la silhouette longiligne de Maner caché derrière une colonne du passage couvert. « Alors c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? » Je comprends la réaction des domestiques qui se barrent tous pour ne pas avoir à le servir. Furieux, il me demanda de répéter alors je me suis exécutée en y mettant cette fois-ci plus de conviction ; il n’a rien répondu mais à attendu que je contourne la table pour me faire un croc aux jambes sous le gloussement sardonique de ses amis. « Kem, rien de casser ? » D’un bond je me relevai pour me débarrasser de Maner et des débris de cruche. Et ils ricanaient derrière moi, cela commençait à devenir embarrassant. « Dame Izold a besoin d’une femme de compagnie et j’ai pensé à toi. Tu pars après-demain… » Proposa ma mère folle de rage en apprenant que je m’étais faite remarquée auprès du prince. « Partir loin de la cour, te fera le plus grand bien ». Si vous aviez pu voir Dame Izold vous m’auriez plainte ; grande au nez droit et aux yeux d’un bleu perçant, elle me dévisagea minutieusement avant de glousser. « Il n’est pas certain que je puisse en faire quelque chose… » Et ma mère de larmoyer à nouveau. Prenez-la ! Prenez-la, semblait-elle vouloir dire en serrant les mains de Dame Izold. Petite fille déjà j’étais une plaie et ma mère de préférée la douce Ninnog. « Ne sois pas fâchée contre maman, tu sais qu’elle fait cela pour ton bien ». Et elle a

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toutes les raisons d’être sur un petit nuage, Ninnog ; comme l’an passé elle sera élue reine du tournoi. Cela m’agace de la voir minauder, de jouer les ingénues quand le prince et ses chevaliers n’ont d’yeux que pour elle. Pourquoi ne se décide-t-elle donc pas à en prendre un qu’elle emmènerait se rouler dans le fon ? « Tu es déconcertante Kem. On ne peut jamais parler sérieusement avec toi». Et Dame Meven me fit quérir ayant appris par un tiers que je partais après les tournois. « Tu vas me manquer ma petite chérie…Profites de cette belle journée pour te dégourdir les pattes ». Alors rendue à ma liberté j’errai comme une âme en peine ; là les chevaliers me bousculèrent et ne sachant que faire et surtout où me rendre, je surpris le prince en pleine méditation, assis sur un tabouret, faisant tournoyer son épée entre ses jambes ; nos regards se croisent. « Tu m’espionnes à présent ? » Aïe ! Dois-je partir en courant ou affronter son courroux. Et j’ai préféré fuir comme une lâche. Aux aurores nous partîmes ; ma mère de pleurer comme une Madeleine en m’embrassant fiévreusement. Pour moi la mule et pour Dame Izold et sa dame de compagnie, la confortable litière. Pauvre de moi ! Chassée de mon propre foyer. « Tu vas trouver à te consoler, crois-moi ». Et une semaine de voyage nous conduisit à un vieux fort délabré au milieu de la végétation aride ; un énorme molosse aux poils gris vint à notre devant. « Couchez Nog ! » Cria Izold alors que le chien me reniflait bruyamment, le poil dressé. Cela n’avait rien de comparable au château royal et il me fallait m’habituer à

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ce nouveau décor au risque de finir pendue à la branche du chêne à l’entrée du Fort. Izold, la gorgerette sous le menton me présenta brièvement à son cadet, le sinistre et triste Gurvan. « Elle va rester ici jusqu’à ce que sa mère la rappelle à elle », murmura la châtelaine en pointant son menton dans ma direction. « Et bien ne restes pas planter là, vas en cuisine et apportes-moi mon repas ! » Et prestement je m’exécutai docilement. Mais j’allais me rendre compte que rien n’allait jamais comme il le fallait auprès de cette marraine. * La semaine dernière, le père Kerrien vint nous rendre visite afin de récupérer les dons de sa paroisse. Il appartient à un monastère où se rendent les paysans. « Comment va notre prince ? » Questionna ce dernier en buvant à la table remplie de victuailles de Dame Izold. Il mange bien et boit plus qu’il ne faudrait ; ma marraine à pour lui plus de sympathie qu’elle n’en a pour son propre cadet, le silencieux Gurvan ; solitaire dans l’âme, on ne le voit jamais excepté pendant les repas. « Penses-tu qu’il fera un bon roi à l’image de son père ? » Meldreg est un meneur d’hommes et à la mort du roi, tous ses chevaliers le suivront jusqu’en Enfer. Ma réponse fit son bout de chemin dans l’esprit du clerc aux joues creuses. « Tu vas avoir du boulot avec celleci » Commenta Kerrien, une fois le repas terminé. « En plus d’être laide, elle n’a aucun esprit ! » et Izold de sourire en caressant la tête de Nog. Elle se vantait d’en avoir maté d’autres dont ses trois

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fils ; maintenant vassaux du Roi Mordiern et après un tonitruant rôt, Kerrien haussa les épaules. « La baronne Azénor te convie ses mouflets maintenant ? C’est qu’ils ne doivent pas savoir quoi en faire… » Et lui de continuer à parler comme si je n’étais pas dans la salle ; il est péteux et orgueilleux, pas étonnant que les villageois l’évitent dans le coin. « Kem qu’est-ce que tu fais ? » Déboula Izold dans la petite pièce qui me sert de chambre ; arracha le drap de mes mains pour me remettre de l’argent. « Quand on a rien pour soi, on se rend utile pour la communauté. Ce n’est pas en te regardant dans le miroir que tu gagneras en beauté ! » Elle m’envoie acheter des plantes chez l’apothicaire et Gurvan doit m’accompagner. J’attendis dans la cour une demi-heure, puis une heure sans que personne ne vienne. Alors je me décidai à partir seule. Le village comprend une dizaine de maisons en toit de chaume ; les rustres m’observèrent attentivement. Ici plus qu’ailleurs je ne me sens pas en sécurité. L’un des gueux vint me tenir la jambe ; il empeste l’ail et je ne comprends rien à ce qu’il dit ; mais on ne peut être plus explicite quand on pose sa grosse main poisseuse sur la croupe d’une femme. « Tu la touches, je te tue ! » Préviens Gurvan en plaçant un couteau sous son doublementon. « Et c’est valable pour tous ! Retournez à vos travaux et ne vous avisez plus de la regarder ! » Il est rouge d’avoir crié et je remarque qu’il tremble légèrement. J’essayai de le suivre tant bien que mal, mais il avançait trop vite sans se soucier de ma personne. Il est visiblement très furieux. « Apprends-moi à me

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battre ! » Le suppliai-je. Mais il ne m’écoutait pas, monta sur son cheval et détala sans demander son reste. « Petite sotte ! Emmerdée par des villageois ! » Tonnait Izold en me jetant une éponge gorgée de flotte au visage. « Tu veux te donner de l’importance, mais tu n’es rien tant que tu ne te fais pas respecter ! Tu n’es rien qu’un insecte qu’on écrase sous nos pieds ! Nettoies l’escalier et que ça brille ! » Alors j’ai frotté jusqu’à épuisement. J’en eus les doigts crevassés. Et Izold pour me récompenser m’a confisqué mon nécessaire de toilette, mon miroir et mon peigne en ivoire puis elle me remit des haillons en guise de parures. « Tiens baronne ! Voilà ce que j’ai de plus beau pour toi ! » Je crois qu’elle me méprise et sitôt que j’essaye de lui rendre la monnaie de sa pièce, elle m’envoie au cachot pour un jour ou deux. « Apprends-moi à me battre ! » Revins-je à la charge. « Tu es une femme… » Répondit ce dernier en déplumant une poule à l’hombre du mur recouvert de lierre. Cela fait trois mois que je suis là et jusqu’à maintenant je n’ai pas trouvé à rire ; les occasions sont rares et ni Izold ni son sinistre fils trouvent le moment pour s’essayer à un sourire. Le château royal me manque. « Les femmes ne se battent pas ». Alors je m’assis près de lui, acharnée comme je suis et j’attendis. Gurvan avait assisté à un tournoi il y a deux ans et il a tout perdu : son cheval, son armure et son honneur. Le jeune Prince l’avait humilié ; je tiens cette information de la vielle servante Jud qui cause peu. Les consignes sont de ne pas me causer et

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muette comme une carpe, elle va jusqu’à m’éviter. Et puis il y avait eu la guerre près du Roi ; cette vacherie de guerre l’a anéanti. Sa main se mit à trembler. Il ne veut pas en parler. « Ce n’est pas de ta faute, tu as fait ce que tu devais faire ». Il plongea son regard dans le mien ; je crois qu’il est fatigué de m’entendre. « Je ne veux pas te voir tourner autour de mon fils, tu n’es pas une putain ! » Siffla Izold en me jetant le métier à tisser ; elle m’apprend à tisser et elle se donne beaucoup de mal à me faire recommencer pour atteindre un semblant de perfection. Je suis fatigué, physiquement et psychiquement. Est-ce que tout cela en vaut la peine ? Je suis moche ; aucun homme ne voudra de moi dans son lit ; pour moi une vie austère auprès de cette pythie. « Si tu ne t’appliques pas, retournes près des porcs et restes-y ! » Tonna la femme, les lèvres serrées. Elle a raison : seuls les porcs semblent m’apprécier ici. Il faut voir l’accueil qu’ils me réservent quand j’arrive le seau rempli de déchets. J’ai tenté de fuguer mais ne sachant où me rendre, je suis revenue sur mes pas ; Izold m’a jeté au cachot. « Je vais te faire passer l’envie de nous fausser compagnie ! » Et j’ai pleuré jusqu’à n’en plus pouvoir. « Si elle vous cause quelques tracas, envoyez-la moi un jour ou deux. La religion l’éduquera » Chanta Kerrien dans la salle commune. Et c’est précisément ce qu’elle fit sous couvert de la religion. Le baluchon à la main j’ai suivi le moine jusqu’à sa retraite et il m’a mi derrière un pupitre. « Tu lis le latin, alors fais-moi la lecture ! » Les rides creusaient son visage

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et alors que je m’appliquai à lire, il semblait perdre patience. « Izold est une Sainte, tu ne fais jamais rien correctement ; à commencer par la lecture des textes sacrés ! » Alors j’ai recommencé encore et encore ; de quoi lui écorcher les oreilles. Et plus je lisais et plus le latin eut une signification pour moi : la connaissance et le savoir proviennent des livres. Il est dangereux d’en posséder car ils ont le pouvoir de vous influencer. « Si tu ne te plies pas aux Ecritures, ton âme ira en Enfer ! Tu dois obéissance à ton Eglise et à ses représentants ». Comme je demandais à rentrer chez moi, Kerrien m’a remis de l’argent. « Reviens demain et je te récompenserai ». Izold de croire que je fus touchée par la grâce divine mais seul l’appât du gain et la cupidité me fit revenir auprès de Kerrien. Entre deux lectures, il me nourrissait de son savoir religieux et Gurvan comprit quand je lui tendis ma main remplie de piécettes. « Cette fille est le Mal réincarné, ne t’en approches pas fils ! Toi tu vas rendre cet argent à son propriétaire et je ne veux plus te voir tourner près du monastère ! » De nouveau humiliée, je m’enfermai dans un profond mutisme quand Gurvan vint me trouver pour me mettre en garde contre Kerrien. « Les hommes sont ceux qu’ils sont et tu es bien trop naïve pour t’en méfier ». Puis les frères de Gurvan arrivèrent peu de temps avant la Noël. J’avais cuisiné pour eux. « Mais pourquoi ne vient-elle pas s’assoir à notre table ? » Questionna l’un des aînés portant le nom de Konwal ; il était veuf depuis peu et me fit l’impression étrange d’être absent de cette

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table. « Azénor serait fâchée d’apprendre que sa cadette mange au milieu de tous ces hommes ». Et il m’étudia minutieusement avant de déclarer que Ninnog ne me ressemblait pas ; il l’avait vu il y a des mois de cela aux tournois du roi et avait été ébloui par sa beauté. « Heureusement que tu sais cuisiner… » Poursuivit-il en gloussant. « Mais elle a d’autres qualités mon frère comme le chant et… » Et Gurvan de ne pas finir sa phrase sous le regard circonflexe des siens. « Alors comme ça tu chantes ? » Il est vrai que je fredonnai mais cela n’était pas suffisant pour dire que j’avais un joli timbre de voix ; et Izold d’en m’envoyer en cuisine afin de sermonner son fils quant à l’engouement qu’il nourrissait pour ma personne. Peu de temps après Konwal se rendit en cuisines pour me féliciter probablement. « Donnes-moi un peu de vin… » Je m’exécutai me sachant observer par cet homme aux augustes traits. « Il faut du courage ou de l’abnégation pour résister à ma mère. Quel est ton secret ? » Je lui tendis le gobelet en tremblant ; je ne pouvais répondre ; les mots me manquaient malheureusement. « Tu as de très jolis yeux… » Et parce qu’il avança je reculai précipitamment. Aussi embarrassé que moi, il me remercia pour le vin et remonta retrouver les siens. Gurvan ne prendrait pas part aux conflits qui opposaient les armées du roi aux troupes d’Alric ; il disait que ce conflit n’avait rien d’un conflit majeur. « Tu as besoin de te distinguer Gurvan. Comptestu rester toute ta vie entre ces murs ? » Siffla Maël le grand rouquin à la barbe drue. « Si le roi te remarque, il te donnera

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une épouse parmi ses pupilles et tu deviendras l’un de ses vassaux ». Les joues rougies par l’émotion, les yeux de Gurvan se posèrent sur sa mère paisiblement installée dans sa chaise. Je crois qu’il l’appelait à le défendre : « Gurvan est bien ici et je me sens protégée quand il est là ». Maël de s’esclaffer, noyant son rire dans son vin, puis il se tourna vers moi en déclarant qu’il pourrait m’obtenir puisque je chantai si bien. Comment pouvait-on rire de cela ? Il s’est mis à neiger ; Nog et moi on est sorti se mettre sous les gros flocons. Et puis j’eus l’idée de faire des boules de neige pour en bombarder le dogue. « Les loups vont revenir. Il faudra organiser une battue. Kem jusqu’à nouvel ordre, tu ne sortiras pas » Déclara la châtelaine, frigorifiée par le froid qui pénétrait la salle commune. Que ferais-je de mes journées ? Alors j’ai cousu. J’ai regardé par la fenêtre. J’ai cousu…et regardé par la fenêtre. « Il y a pire jeune fille, tu pourrais être malade ! » Puis elle se tourna vers Gurvan venant de faire son entrée : ils avaient tué trois loups et leurs petits, à présent il allait se mettre au lit. « Vas lui apporter sa soupe ! » Et lentement j’ai pénétré sa chambre ; il dormait les poings serrés comme un bébé ; j’ai posé la soupe sur la table installée sous la fenêtre, puis j’ai croisé son regard. « Quoi tu n’y penses pas ? Le roi n’y consentira jamais » Entendis-je Isold articuler à Gurvan ; en entrant dans la pièce, elle se tut ; lui détourna la tête. « Poses ça ici Kem et vas sortir prendre l’air ; cela te fera le plus grand bien ». Nog à mes trousses, je partis battre la campagne. Au loin des cavaliers

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arrivaient ; l’étendard flottant au vent. Ils étaient une dizaine galopant à vive allure. « Des cavaliers dis-tu ? Gurvan préparestoi à les accueillir ! » Et moi de suivre Izold à travers les corridors humides du vieux château « Quels qu’ils soient, ne nous laissons pas intimider ! » Ainsi je l’aidais à enfiler ses vêtements luxueux faits de soie brodée d’or et de lourds tissus, de bijoux et de fourrures. Ainsi métamorphosée Dame Izold redevint une femme distinguée presque séduisante. Et quand le seigneur Gwenneg posa le pied à terre, mon sang fit qu’un tour dans mes veines. « Madame, nous faisons route vers Nord ! Nous offrirez-vous l’hospitalité ? » Demanda l’homme en direction de la blonde dame au visage austère. « Restes près de moi et évites de discuter avec ces vauriens ». Ces vauriens ? Cela sonnait bien. Gwenneg avait l’air d’un brigand et non pas d’un seigneur. « Le roi appelle ses troupes à combattre. Tous les chevaliers doivent rejoindre sa bannière ! » Précisa Gwenneg crotté et puant le cheval ; il passa devant moi sans même me remarquer trop préoccupé par cet appel aux armes. Et Izold d’interroger son fils du regard. « Son crétin de fils commande les troupes de renfort et en ce moment c’est à bride abattue qu’il traverse ses terres. Meldreg est un chien sans laisse qui ne demande qu’à mordre ». Et moi de profiter de l’aubaine pour avoir des nouvelles de la cour. Mais à ce sujet Gwenneg restait assez évasif ; à l’écouter il n’y avait jamais de fumée sans feu et l’indexation des terres de l’ouest est la fumée précédant le feu. Le roi partait fiche une raclée à son cousin

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avant qu’on ne l’enterre dans son joli linceul. « Il ne survivra pas à cette énième guerre, je vous le dis ». Et un sourire apparut sur les lèvres d’Izold. Quand le roi viendra à mourir, ses fils auraient à prêter allégeance au prince Meldreg. Plus que jamais Gurvan devait partir. La veille le seigneur Gurvan m’avait gratifié un sourire ; le seul depuis de longs mois. Il m’avait souri. Je crois qu’il a perdu la tête ces derniers temps ; il n’est plus tout à fait le même. Et il me fixe comme si nous avions un secret en commun. « Tu dois sûrement mourir de faim. Kem ! » Mais il m’attrapa par le poignet pour m’examiner sous toutes les coutures. « Joli minois… » Et Gurvan de bondir hors de sa chaise. « Elle n’est pas pour toi, elle appartient au roi et jamais personne ne chasse sur ses terres ». Lentement il me lâcha, caressant sensuellement le creux de mon poignet. « J’ai entendu dire que le prince va épouser la fille du baron Privel et bientôt il lui faudra une escorte pour conduire la promise en terres royales ». Le baron Privel et sa fille Modanez ? Et ma sœur ? Ne devait-il pas épouser ma sœur ? Adieux mes perspectives de retour. Izold me le fit comprendre le lendemain : « Ce n’est pas aujourd’hui que ta mère te rappellera à la cour. Ton aînée a failli…Qu’allons-nous faire de toi ? » Je n’en savais rien ; je n’en savais strictement rien… Tous des gens-foutre ! Gurvan vint s’assoir près de moi et Nog de nous rejoindre. Il resta un long moment à regarder droit devant lui. « Je vais partir me battre…je pars demain ». Je ressentis un violent pincement au ventre et

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les larmes me montèrent aux yeux. Et bien si tel était son destin, pourquoi s’y opposer ? Il quitta le banc de pierres sans rien ajouter d’autre. Pauvre homme. Une année s’écoula avant qu’on ne le revit ; Izold soupira d’aise en serrant son fils dans ses bras. « Et bien ? Tu ne reconnais pas Kem ? » Déclara cette dernière en me conduisant à son fils. Lui de répéter mon nom avant de tirer une longue révérence. « C’est tout à son honneur mon fils, mais Kem est restée la même ». Et moi de le presser de questions sur la guerre, le roi et le prince. Je voulais tous savoir et Izold de me rappeler à l’ordre. « Ces histoires de guerre ne devraient pas tant vous intéresser » Répliqua ma marraine et moi de lui répondre que les hommes avaient inventé la guerre pour occuper les femmes. « Alors les nouvelles du roi sont-elles bonnes ? » Et Gurvan de fuir mon regard. Et bien quoi ? Si le roi était mort nous l’aurions su. « Vous avez gagné de l’argent et le prince vous a honoré d’un fief, poursuivis-je sur la même lancée. Vous avez enfin les mérites qu’il vous revenait » Il m’a tourné le dos et Konwal est arrivé quelques jours après, de meilleure humeur que son frère. Il avait pour moi des présents qu’il disait et moi d’applaudir son entreprise. « Izold avez-vous vu ce magnifique velours ? » Et les lèvres pincées, elle haussa les épaules. « Oh, et ces bijoux ! Ils sont dignes d’une Reine ! » Et il me caressa du regard tandis que je passai le collier autour de mon cou. « Alors qu’en pensez-vous ? » Gurvan le nez dans son verre, quitta promptement la pièce et Izold de serrer les poings.

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Il avait des nouvelles de ma mère et de ma sœur, la jolie Ninnog. J’étais très enthousiaste à l’idée de les entendre. « Votre mère m’a pressé de questions à votre sujet et elle se félicite que le prince se fiance pour vous revoir ». J’étais sur un petit nuage. J’allais enfin retourner au château et revoir Deirdre, Juna, les dames Melen et Levenez sas parler de Nonn, de Solenn, de Briz et de tout le reste. J’en ai les larmes aux yeux. « Mais ce n’est pas pour maintenant. Les routes ne sont pas sûres ». Il avait raison ; la guerre poussait les brigands à s’attaquer aux plus faibles alors privés de la protection des chevaliers. La veille encore les villageois tremblaient de rage en découvrant les exploits de ces détrousseurs. Le retour des fils de dame Izold rassurent tout le monde y compris le clergé. Kerrien se met à haranguer les badauds : « l’Eglise offre à ses fidèles sa protection ! Rassemblez-vous dans la maison du Christ ! » Et d’ajouter : « Luttons ensemble contre les brebis égarées… » A qui pense-t-il en disant cela. Depuis deux ans, il raille ma conduite ; à dix-sept ans, les femmes devaient trouver époux et lui donner des fils ; c’était là son seul devoir. Et lui de venir au château plusieurs fois dans la semaine comme pour s’assurer que le Diable ne me visite pas. Si ce n’est pas lui, c’est son jeune clerc, Annaec un rouquemoute aux lèvres pleines et au regard d’un vert intense. « Rejoins notre ordre, c’est le seul moyen de t’en tirer » Proclame-t-il la main posée sur la croix de son chapelet. Bien souvent je me retiens de ne pas rire. Lui et Kerrien connaissent ma situation et s’en réjouissent ; pour eux j’ai vocation à épouser la religion.

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J’allais me préparer pour gagner le village quand Konnal me sollicita. La raison de son entretien : ma sœur Ninnog et moi de réaliser qu’elle occupait ses pensées les plus secrètes. D’une beauté insolente, ma sœur à sa naissance fut fiancée à un baron qui mourut avec mon père lors d’une expédition punitive. Alors privée d’époux, elle attendait la décision du roi quant à son avenir. Seul un chevalier comme Konnal pouvait prétendre l’épouser et ainsi mettre un terme à son célibat ; et il le ferait car veuf depuis trois ans maintenant. « Et je serai heureuse de t’avoir pour frère ! » Concluais-je, un large sourire aux lèvres, les mains dans les siennes. Le climat était tendu entre les frères ; la raison de leur conflit est ma présence en ces lieux. Derrière la porte je les avais entendus débattre furieusement quant à mon sort. « Elle ne peut pas rester ici ! » Tonna Gurvan et sa mère de répondre : « Que ferions-nous d’elle ? C’est à moi que cette malheureuse Azénor l’a confiée ! Et il semblerait qu’elle ne souhaite pas la récupérer ». La main sur la bouche j’y étouffai mes larmes. Comment ne pas croire le contraire ? Depuis deux ans, je n’avais pas reçu une seule lettre ; j’étais l’enfant sans intérêt dont l’absence ne se remarque pas. Et Konnal d’en ajouter : « Si elle a gagné en beauté, elle est trop impétueuse pour se plier aux exigences de la cour. Elle n’y tiendra pas deux jours ». Nog poussa la porte et vint se frotter contre ma jambe. Il n’y avait que lui qui me prenait tel que j’étais. Au village, les culs-terreux se sont pressés autour de moi pour avoir des nouvelles du Roi. « La guerre est-elle

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terminée ? » Et moi de rassurer les mères aux jupons desquels s’accrochaient des enfants rachitiques, malades au regard vitreux. Quand ces derniers se dispersèrent prestement à l’arrivée de cavaliers. Le seigneur Gwenneg venait de faire son entrée. « On recherche deux fugitifs. Une gueuse et son chien de mari ». Ici il était sur les terres de Dame Izold, par conséquent il n’avait pas y faire régner l’ordre. Fou de rage il s’avança vers moi sans même descendre de cheval ; Je n’ai pas reculé. « Tu as la chance d’être la filleule d’Izold. J’offre dix pièces d’or à qui me les retrouvera ! Dix pièces d’or ! » Et tous s’interrogèrent du regard. Ils partirent dans un nuage de poussière ; tous reprirent leurs activités en pensant à la récompense promise par Gwenneg. « Dix pièces d’or ? Et il n’a jamais rien ajouté de plus ? » Questionna Izold avant de masquer son visage par un voile d’indifférence ; elle avait d’autres préoccupations en tête que de gérer les fugitifs-prisonniers de son voisin. « Ne te mêles pas de ses affaires, cela vaut mieux pour tout le monde » poursuivit cette dernière en pianotant sur l’accoudoir de sa chaise. Deux heures après c’est Gurvan qui défonça la porte en me pointant du doigt « Elle a insulté Gwenneg, mère ! Et vous la laissez faire ? » D’un bond je me levai pour me justifier ; dire que j’ignorai qu’il y ait pu avoir un accord tacite entre les deux familles et l’ainé de rire dans la manche de son gilet. Alors je leur proposai de faire mes excuses. « Il n’a que faire de tes excuses parce que tu as contesté son autorité devant nos serfs » Réfuta Konwal, le rictus au coin des lèvres et son benjamin

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de m’attraper par le poignet pour gagner les geôles. Il m’y jeta sans autre forme de procès. « C’est Konwal qui aurait dû le faire mais…mais tu l’as ensorcelé ». Et j’ai passé la nuit à grelotter ; à me gratter et à tendre l’oreille vers la source du bruit ; celle d’une tierce personne assise près de la grille à moins que cela soit Nog. Pour tenir j’ai fredonné…toute la nuit j’ai fredonné. Un rat vint me saluer. Nous deux on se connait. On a fini par s’habituer l’un à l’autre. « Pourquoi es-tu encore dans ce cachot ? » S’hasarda Kerrien en cherchant à croiser mon regard ; et lui ? Que faisait-il ici à me prendre la jambe sur des affaires qui ne le regardaient pas ? Je n’avais pas envie de répondre « Le malin prend divers aspects pour séduire les êtres faibles et tu es faible ». La gorge nouée, je trouvais la situation des plus humiliantes ; tous ici donneraient raison au seigneur Gwenneg. Tous ! Pas un ici pour prendre ma défense et insister pour dire que l’erreur est humaine. « Perseverare diabolicum » contre-attaqua le moine après mon Errare Humanum est. Il s’accroupit devant moi : « Le Diable est en toi mon enfant. Il faut t’en remettre à l’Eglise. C’est la volonté de Dieu ». Et il a tendu la croix sous mon nez pour que je l’embrasse. « Elle part ou c’est moi qui m’en vais » psalmodia Gurvan sous les caresses apaisantes de sa mère. Pourquoi me détestait-il autant ? Je n’ai pas osé ouvrir la porte, trop affligée pour affronter leur regard. « Calmes-toi mon petit…calmestoi. Tout va finir par s’arranger ». Et pour cela il fallait que son frère épouse ma

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sœur. Tous nos espoirs reposent sur leurs épaules. Comme Konwal se trouvait être seul dans l’écurie, sournoisement je me présentais à lui pour parler de Ninnog. « Ninnog ? Oui j’ai évoqué l’idée que je la trouvais séduisante, mais… » Mais quoi ? Le sang battit furieusement mes tempes. « Elle est charmante et très jolie ». Mais où voulait-il en venir ? Il s’arrêta sur mes lèvres avant de recouvrir le fil de sa réflexion. « Le prince va devoir se marier et je ne peux chasser sur les terres du roi ». C’est absurde ! S’il avait le moindre sentiment pour ma sœur il l’aurait déjà épousé. « Je vois où tu veux en venir. Si j’épouse Ninnog épouseras-tu mon frère ? » Oui, oui mille fois oui ! Si cela pouvait me sortir de ce cul-de-sac. « Alors à t’écouter n’importe qui ferait l’affaire ? » Grand silence. J’avais 17 ans et à mon âge les femmes de ma connaissance avaient des enfants, un foyer et un homme à aimer ; je ne voulais pas porter le voile pour le restant de mes jours. Ah ça, non ! « Alors vas trouver le roi et fais lui part de ton projet » ; il se fichait de moi. Il se payait ma tête. Alors il a sourit et est partit sur le dos de son cheval en me laissant digérer cet infâme défaite. Et pour ajouter à l’horreur de mon infortune, le seigneur Gwenneg arriva avec Kerrien et ses hommes ; des mercenaires de chevaliers corrompus jusqu’à la moelle pour reprendre l’expression de dame Izold. « Le roi est mort, il a rendu l’âme il y a trois jours. C’est Meldreg notre nouveau roi ! » Annonça-t-il en baisant les mains d’Izold devenue fébrile à cette annonce.

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« Mort, mais… » La châtelaine s’écroula sur sa chaise avant de réclamer à boire. « Je pars demain pour l’embrasser une dernière fois ». Et notre regard se croisa. Kerrien de poursuivre en disant que le nouveau roi aurait besoin de s’assurer de la loyauté de ses barons. Les fils d’Izold devaient également partir ; cela ne pouvait être autrement. « Konwal s’y rendra seul, j’ai besoin de Gurvan ici ». Toujours le même baratin. Pendant un an nous avions fait sans lui et voilà qu’il lui était redevenu indispensable. « Meldreg est irascible, cela pourrait être perçu comme un affront à son ascension ». Nog gratta ma jambe pour obtenir des caresses. « Meldreg n’a que faire de ma présence. Je suis indésirable dans son bastion » Et Izold de poser la main sur le bras de son fils-chéri. L’heure était aux remises en question et Gurvan ne pouvait y échapper lui qui critiquait si ouvertement les actions du roi. « Meldreg est notre nouveau roi c’est bien à lui que nous devons prêter allégeance au risque de passer pour des traîtres ». Mais Gurvan ne l’entendait pas de cette oreille. Les beaux discours de l’Eglise et du seigneur Gwenneg ne suffisaient à le calmer. Je contemplais les étoiles scintillantes quand Gurvan arriva à pas feutré. « Je ne savais pas où tu étais ». Il me cherchait ? J’avais peine à le croire. Il ne m’aimait pas et rêvait de me voir partir ; alors je fus surprise quand il ouvrit ma main pour y glisser une petite statuette en bois. « Je n’ai pas le talent d’un ébéniste, c’est assez grossier mais…c’est pour toi ». Et c’était quoi au juste ? Prestement il détourna la tête en tremblant. « C’est moi…pour te protéger ». J’étais touchée mais sans plus ;

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Gurvan pendant ces deux années n’avait pas su m’aimer et voilà qu’il m’offrait cette ridicule statuette pour manifester sa présence. Finalement je vins à trouver cela ridicule. Je pris congé de lui pour aller me coucher. « J’ai de l’argent et…un lopin de terre. Ce n’est pas grand-chose mais… » Il ne finissait jamais ses phrases ; cela m’agaçait. Mais je compris que Konwal lui avait parlé de notre entretien de l’autre jour. Péniblement il s’exprimait pour me demander ma main. J’ai éclaté de rire avant de l’entendre poursuivre et j’ai fait connaître mon opinion à ce sujet :. « C’est la pitié qui t’a fait venir me trouver, rien de plus ». Je lui remis sa statuette pour ne pas m’encombrer davantage. « Je vais m’en aller Gurvan et quand je le ferai, tu en éprouveras un très soulagement ». J’étais heureuse de l’avoir remis à sa place mais en même temps tourmentée par sa demande. S’il m’aimait comment n’avais-je rien vu au cours de ces dernières années ? « Embrasses-moi mon fils… » Lança Izold au pied de sa monture et lui de s’exécuter tel un amant aux supplications de son aimé. « Gagnes les faveurs du nouveau roi et apportes-nous la gloire ». Affectueusement elle lui caressa la cuisse quand au même moment le fougueux cheval de Gwenneg me poussa hors du chemin. « Azénor me donnera la main de sa fille ; à moi de décider laquelle ». Il plaisantait certainement : je ne pouvais rentrer en lice avec Ninnog. Au village je découvris le visage des fugitifs de la semaine passée ; à en juger par leur aspect ils avaient du subir la question. Menottés au pilori, le visage boursouflé, ils semblaient être en

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décomposition et moi de leur donner à boire quand un moine, le vieux Even fendit la place pour m’apostropher : « C’est l’œuvre du malin ! Ne t’approche pas d’eux, femme ! » Quels étaient leurs crimes ? « Ils ont chassés sur les terres du seigneur » Répondit le clerc Annaec le regard posé sur ma gorge ; sans plus attendre j’ai acheté mon fils de soie pour ma tapisserie et j’ai filé. Il m’a suivi jusqu’au château ; le pontlevis franchis je l’observais derrière l’arbalétrier. Pourquoi avais-je si peur ? Cela frisait le ridicule. « Mon fils est parti te voir hier et il t’aurait fait sa demande ». J’ai opiné du chef et elle m’a giflé. « Petite prétentieuse. Tu crois que tu peux choisir ? » La main sur la joue endolorie, j’ai affronté son regard. Elle avait pourtant l’air si calme. « Il t’aime lui, cela aurait pu te sauver mais ton arrogance t’a de nouveau perdu ». Elle partit dans un bruissement de jupons ; claqua la porte derrière elle et partit se réfugier au donjon. Un ménestrel arriva et nous brossa un portrait fort élogieux du prince Meldreg devenu roi. On le disait fort comme un lion et capable de repousser une armée entière à lui tout seul ; tout cela n’était que de la propagande. « Va-t-il se marier ? » Questionnai-je en songeant à Ninnog dont le peu d’ambition me condamnait à l’exil. « On ne parle que de la beauté de la demoiselle Modanez et le roi s’en impatiente ». J’avais du mal à y croire. Egoïste comme il l’était, je le voyais plutôt être à faire briller les joyaux de sa royale couronne. Et le ménestrel me tendit sa main : « Mais Modanez peut craindre une toute autre rivale Kem… » Et Izold de le faire

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taire en lui commandant une chanson de gestes. Le lendemain, les villageois furent attaqués par une horde de bandits ; les prisonniers libérés de leurs enclaves et terrifiés les villageois demandèrent asile et protection à dame Izold. En contrebas le village brûlé. Qui étaient ces lâches ? Dans mes bras une petite fille de trois ans pleurait ; sa mère avait été tuée sous ses yeux. « Ces misérables seront punis ! Tous jusqu’aux derniers ! » Vociféra dame Izold derrière le chemin de ronde. Ces hors-la-loi répandaient la terreur et bien vite leurs actions prirent de l’ampleur. Il nous fallait les dissuader de tout saccager, voler et tuer. « Je sais ce que j’ai à faire Kem, alors restes tranquille » m’exhorta la dame agacée par mes évidentes réflexions. Suivis de six hommes parmi les plus téméraires j’organise la résistance ; il nous faut semer le trouble parmi les félons et c’est à la faveur de la nuit que nous passons à l’attaque. Les arbalètes s’abattirent sur les hommes ; comme ils n’ont pas le temps de s’organiser c’est la débandade. Leur chef maintenant démasqué demande un pourparler : « Le roi a manqué à sa parole ! Il nous affame depuis de trop nombreuses années et aujourd’hui il doit payer ! » Les autres acquiescent sans même penser que les représailles seront lourdes de conséquences. « On va se battre pour vivre et rien ne fera changer d’avis ! ». Ils ne comprennent pas qu’ils trouveront la liberté dans la mort. Un cessez-le-feu est négocié. Aucun mal ne leur sera fait s’ils acceptent de jeter leurs armes en attendant le retour du

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seigneur de cette terre. « Nous avons ta parole… » Et ils décampent. Il me faudra plusieurs jours pour me calmer. Et dans l’histoire j’ai gagné le respect de ma marraine : « Tu es chez toi Kem. Le courage fait de toi une respectable personne ». J’eus envie de pleurer quand elle me baisa le front avec conviction. Les fils reviennent épuisés d’avoir galopé nuit et jour ; ils sont là tous les trois et Konwal me cherche des yeux. « On ne peut négocier avec ces brigands ! Qui t’a donné le droit de parler en notre nom ? » Et Izold de se mettre entre nous : « C’est moi, Konwal. C’est moi ta mère ». Abasourdi, il s’écroula sur un siège sans hausser lever la tête ; et moi de jubiler face à cette montée de reconnaissance. « Kem a fait ce que vous auriez dû faire : nous protéger et elle y est arrivée à merveille ». Je retournai à ma tapisserie sous le regard lointain de Gurvan. Et puis quoi ? Ne me féliciteraient-ils pas d’avoir protégé leur domaine ? « Où allez-vous ? » Les trois frères partaient mater la rébellion et nous devions les revoir que trois jours après. Durant leur absence, Izold me dicta une lettre pour le roi. Ses fils sont de preux chevaliers ; par conséquents il est normal de leur octroyer davantage de moyens. « Il ne répondra pas. Et tu sais pourquoi ? » J’image que Meldreg reçoit pareille missive de ses barons ; une de plus ou de moins ne changera en rien son administration. « Tu apprends vite. S’il nous ignore et il le fera, nous ne collecterons pas les impôts cette année ». Mon cœur battit à rompre. Cette déclaration pourrait signer un acte de rébellion ; dame Izold sourit. « Meldreg

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doit savoir que nous ne voulons pas de ses réformes qui visent à nous avilir, nous ces barons les plus proches ». Je ne veux pas être mêlée à cette histoire en songeant à ma mère et à ma sœur dont le nom risquerait d’être frappé d’infamie. Il fait si chaud en ce mois d’août que je ne me refuse pas un bain dans l’étang du domaine ; néanmoins avec torpeur je découvris que mes vêtements avaient bel et bien disparus. « C’est ça que tu cherches ? » Demanda le seigneur Gwenneg en tenant mes frusques à la pointe de son épée. « Laisses-moi te regarder… » Et brutalement il déchira ma chemise sur tout sa longueur. Le fils de putain ! Il attrapa ma bouche de la sienne ; je lui crachai dessus. « Nos fils seront beaux et vigoureux ». Et il me restitua ma robe sans cesser de sourire. Son odeur était encore sur mes lèvres ; j’eus la nausée. « Après le mariage du roi tu seras mienne et je te baiserai comme une putain ». Konwal était avec le fauconnier quand je bondis sur lui. « Que penses-tu de cet oiseau ? » En désignant le rapace prompt à fondre sur le leurre. Et moi de lui parler de ma sœur. Les bras croisés sur sa poitrine, il répondit sans me regarder. « Le roi la garde pour lui. Ta mère l’a considérablement doté… » Cela ne suffirait pas malheureusement : il ne voulait pas de ma sœur pour femme. Je connaissais Meldreg et… « Tu as refusé mon frère, n’est-ce pas ? Alors ta sœur m’est égale ». Quoi ? C’était la cupidité qui le faisait parler. Qui des deux frères étaient le plus avides ? J’ai serré les poings et me suis mordue la langue : Gwenneg veut m’épouser et moi de vouloir une meilleure proposition pour enchérir sur sa

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demande. Nerveusement Konwal a ricané : « Alors épouses mon frère ; on n’est plus à un scandale près ». Oh le scélérat ! Il aurait à rougir de me voir épouser Gwenneg, lui que je n’aurai pas hésité à épouser. Et le seigneur Gwenneg nous reçut dans son fort et jamais après la demeure du roi je n’eus pensée qu’il y est si fier et majestueux château sur terre. Predenna, la jeune sœur de Gwenneg m’attrapa par le bras. « L’orage menace, entrez vite Kem ! » et moi de la dévisager soulagée d’avoir une personne de mon âge pour me distraire ; et son frère de nous présenter l’une à l’autre. « Le roi va passer dans les jours qui viennent » me glissa-t-elle à l’oreille ; la raison fut la lettre de dame Izold concernant ses moyens de défense. Il n’avait pas été sourd aux revendications de la baronne quand on s’était figuré du contraire. « C’est ici qu’il va descendre et mon frère n’approuve pas cette visite ». Allons bon ! Predenna m’entraîna loin des discussions de l’assemblée de chevaliers amassés autour du seigneur. « Son objectif est celui de recenser les biens de ses barons et de l’Eglise ». Des plus intéressées, je l’interrogeai du regard et elle poursuivit avec la même confiance : « Notre nouveau roi va se faire beaucoup d’ennemis parmi ces vassaux ». Et je voulais bien la croire. Tout comme moi Predenna n’était pas mariée ; elle vivait près de son frère depuis toujours. C’était lui qui l’avait élevée ne supportant pas l’idée de se séparer d’elle, de l’envoyer auprès d’une marraine. Aimait-il sa sœur on n’agissait-il que par intérêt familial ? « Oh, non Kem, mon frère est l’être le plus

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admirable qu’il existe sur terre ! » et elle ne pouvait dire le contraire sachant que son aîné me convoitait. Il y avait chez elle la même force de caractère que chez son frère ; un regard dur et autoritaire renforçait leurs traits et une incroyable force émanait de leur personne. D’un naturel jovial, le frère comme la sœur surprenait dans l’intimité de leur foyer. Plusieurs fois j’avais croisé Predenna sans oser l’aborder ; elle avait semblé me fuir et m’éviter. « Gwenneg disait que tu étais une sauvage ; mais aujourd’hui je découvre combien il avait tort ». Oh, me voilà donc rassurée et Predenna de me serrer dans ses bras pour sceller notre amitié naissante. Et le roi arriva le lendemain matin sans que personne ne nous prévienne. Prestement je quittai le lit de Predenna ; enfila ma robe avec son aide, arrosa mon visage, brossa mes cheveux, noua le lacet de mes souliers pour rejoindre les autres dans la salle d’honneur. Assis au milieu de ses sujets, il réagit à l’annonce de l’arrivée de Predenna et marqua l’indifférence en entendant le mien. « Voici la charmante sœur de Gwenneg…Predenna… » Il l’aida à se relever ; il me laissa sur le carreau. « Il voit ta mère et ta mère tous les jours, crois-tu qu’il puisse s’intéresser à toi ? » Lança Izold avec sarcasme. La visite fortuite du roi la laissait dans un état proche de la démence ; il se doutait de quelque chose. « Vas lui remettre ceci de ma part » et Izold me remit ses bijoux comme pour assurer ses bons sentiments à l’égard du roi. Le valet m’ouvrit la porte. Meldreg était là devant la fenêtre, les yeux perdus dans le vague. « Qu’est-ce que tu veux ? »

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Et moi de bafouiller avant de poser les bijoux sur la table disposée devant l’âtre. Il était ailleurs, préoccupé par divers sujets ayant attrait à son royaume. « Comment vas-tu Kem ? » Comment ? Non seulement il s’enquérait de ma santé mais encore, il m’appelait par mon prénom. « Cela va faire plus de deux ans, n’est-ce pas ? » Et moi d’avancer vers lui subrepticement. « J’ai gardé le souvenir d’une fillette insolente et franche, plus précisément lors de la Saint-Jean ». Il avança vers moi ; je m’agenouillais et il m’a contourné pour examiner les bijoux de dame Izold. Et moi d’attendre qu’il me dise de me relever… « Que penses-tu de Gwenneg ? » Comme je ne répondais pas, il revint devant moi. « Il m’a dit être intéressé par ta sœur… » Ninnog ? A quoi jouait-il ? Trois semaines auparavant, il m’avait volé un baiser et voilà qu’il convoitait mon aînée. C’était à n’y rien comprendre. « Sa sœur Predenna pourrait convenir à Konwal, qu’en penses-tu ? » Non, pas Konwal ! Gurvan pourrait trouver à s’épanouir près de Predenna, mais pas Konwal. « Et pour toi je ne sais pas encore…Regardes-moi…Lèves-toi » Mon cœur battait si fort que j’étais sur le point de défaillir. Il se passa un long moment avant que Meldreg ne poursuive. Il fixa un détail de la pièce puis revint sur le sujet d’étude que j’étais devenue. « Ramènes les bijoux à Isold, je ne voudrais pas la déposséder de ses atours ». Et le seigneur Gwenneg entra dans une colère noire. « Il me donne ta sœur ? Je n’ai que faire de cette…Il me provoque, parce qu’il sait depuis toujours que c’est toi que je veux ! » Et Izold de poser la main sur son bras pour le calmer. Mais rien

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n’y fit ; tel un ours dans sa cage, il éructait de rage. « J’ai été patient et loyal envers Meldreg ; j’ai agi pour les intérêts de la couronne et… » Konwal le plaqua contre le mur pour le faire taire, mais il se dégagea prestement de cette étreinte. « Je ne vais pas me laisser insulter sans rien dire ! » Et Konwal de le gifler. Il allait contrattaquer quand Izold se plaça devant son fils. « Cela suffit ! On t’a assez entendu. Ninnog te donnera le pouvoir que tu convoites et de beaux enfants… » Alors il éclata de rire sans parvenir à s’arrêter. Il rit encore et encore. Son esprit avait-il atteint la folie ? « Tu es contente de ce que tu as fait ? » Tonna Izold manquant d’objectivité. « Si c’est la guerre que tu veux, on ne s’y prendrait pas mieux pour l’obtenir » ; pourquoi me parlait-elle de guerre ? Elle voyait le mal partout. Le roi et moi n’avions fait que discuter sur notre respectif avenir. « Ton avenir ? Il ne sait même pas à qui te donner ma pauvre chérie ». Me donner ? Oui, tout ceci était vraiment ridicule. « Mon seigneur, puis-je entrer ? » Abasourdi, il fronça les sourcils. Je voulais retourner au château : pour moi il n’y avait plus aucun intérêt à être ici. J’y occuperai n’importe quelle place du moment que je puisse me sentir utile. « Qu’est-ce qui me prouve que tu as changé et qu’on peut te faire confiance ? » Je restais coi avant de m’essayer à un sourire ; il n’avait toujours pas confiance en moi. Depuis des années j’étais dans l’attente d’une meilleure considération qui ne devait jamais venir. Et puis le seigneur Kerrac fut son entrée ; avec lui un jeune chevalier à la joue balafrée. Après analyse je reconnus

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Maner passé chevalier pendant les conflits qui valut le décès de notre précédent roi. Du haut de ses vingt ans, il semblait en avoir trente ; il avait gagné en assurance et l’influence de Meldreg transcendait sur son esprit. « Hey, mais n’est-ce pas notre Kem préférée ? » Déclara-t-il affichant un large sourire luciférien sur son visage ; et moi de songer à ce qu’il était devenu : un disciple de Meldreg. « Comment va ma sœur et ma mère ? » et il me dévisagea de la tête aux pieds. « Tu n’auras qu’à leur demander ; Meldreg organise une somptueuse fête avec des tournois en l’honneur de son couronnement ». Une fête ? Dame Izold expira profondément fatiguée par mon acharnement à quérir des informations sur ma famille. L’occasion pour tout chevalier dont le roi de trouver une épouse ; « Que pensestu d’Kem ? » Et Maner d’éclater de rire en guise de réponse. Maner celui avec lequel j’avais grandi me traita de sournoise, d’ingénue coquine à l’esprit perfide. Derrière la porte je serrai les poings de rage. « Elle est assurément devenue une jolie femme, mais elle est dangereuse… » Et moi de froncer les sourcils en ouvrant grands mes oreilles. Il continua en disant que si le seigneur Gwenneg m’avait voulu pour femme c’était bien dans le seul but de se liguer contre l’autorité royale. «Je connais Kem et je sais ce dont elle est capable d’accomplir ». L’imbécile ! Bruyants autour de la table, les hommes causaient forts. Ils avaient chassé toute la journée et le butin s’amassait copieusement sur la table ainsi que le vin en grande quantité. Organiser un banquet et un tournoi allait couter beaucoup d’argent aux vassaux quand les serfs

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mourraient de faim… « Votre opinion importe peu au roi » Lança Maner en portant le vin à ses lèvres. Il y a deux ans à peine Maner était un valet couard et à présent il siégeait à la droite de notre souverain. « Et cela te déplait-il Kem ? Ta grande franchise t’a couté cette pénitence ; les femmes contrairement doivent rester à leur place ». Et les rires d’éclater autour de la table. Il m’agaçait. Parfait ! Fallait-il que je me taise et le laisser m’insulter ? Plus que jamais j’étais décidé à l’ouvrir et à m’exprimer ouvertement. « Je me disais que comme au bon vieux temps, nous pourrions débattre sur la grande bonté du roi. As-tu connu Gwendal et son épouse Aoren ? Des personnes respectables sans la moindre histoire privées de sépultures parce qu’ayant désobéi à un ordre royal. Tu trouveras leur corps à l’entrée du village. Ce genre de funèbre spectacle a toujours excité la compassion comme la colère des serfs venus vengés les leurs et dont le tranchant de l’épée aurait pu avoir raison de notre empathie. Si la guerre est le seul privilège des hommes alors pourquoi devons-nous garder vos forts au péril de nos vies ? —Cela suffit Kem ! » Tonna le seigneur Gwenneg en jetant les os à ses chiens et eux de se bagarrer pour obtenir le meilleur morceau. En tant que maître des lieux, il ne pouvait tolérer que je l’ouvris ; le roi me fit signe de poursuivre non indifférent à mes élucubrations. « Ils ont toutes les raisons d’espérer des cieux plus cléments maintenant que cette lointaine guerre a trouvé à s’achever. Peut-être auriez-vous la bonté de les visiter avant votre départ ?

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—Veuillez l’excuser Monseigneur, Kem est dépourvue de toute probité, soupira Isold en me lançant des éclairs de colère. Un jour peut-être comprendra-t-elle où elle doit se tenir et quelles sont les limites à ne pas dépasser mais le moment venu il sera certain que nous aurions tous des cheveux blancs ou probablement sous terres dévorés par les vers grouillant». L’orage tonna et la pluie tomba à verse ; derrière les vitraux de la fenêtre de ma chambre je comptais les éclairs, les genoux sous le menton. Et ne parvenant à trouver le sommeil, j’enfilai une robe pour gagner la cuisine quand des chuchotements attirèrent mon attention : « Cette somme devrait suffire. Rassembles les hommes et préparez-vous pour demain ». C’était là la voix de Gwenneg et il s’entretenait avec son sénéchal et homme de main, le sieur Rieg une force de la nature ; je l’avais cru muet jusqu’à ce qu’il me dise il y a trois jours : « Ce château sera bientôt tien et Monseigneur me charge de veiller sur toi ». Le lendemain le roi se mit en route et pour la première fois de sa vie posa les yeux sur ma personne ; les lèvres serrées je le fixai perdue dans mes réflexions. « Sois sans crainte Kem, un jour tu me remercieras ». Que devais-je comprendre ? Et il monta sur le dos de son fidèle destrier ; m’étudia une dernière fois et rejoignit l’escorte du roi. Seulement deux heures après, ils revinrent ayant essuyé une embuscade. Le seigneur Gwenned avait tout organisé dans le seul but de faire plier le roi à leur cause ; « Il va s’en sortir Isold, il n’y a pas raison de s’inquiéter » Déclara Konwal, la cotte de maille recouverte de sang, l’œil

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brillant ; il sut que je savais quelque chose c’est la raison pour laquelle il me demanda de le suivre. « Ton comportement d’hier a plongé Izold dans un profond désarroi » Ses yeux se posèrent sur le collier qu’il m’avait offert. Le pendentif descendait jusque dans ma gorge et Konwal de ne pouvoir y faire abstraction. Pour les hommes la tentation restait si forte que leur regard ne parvenait à s’en détacher. « Allez-vous me jeter au cachot ? » Il se frotta les lèvres et tenta un sourire. Mais au moment où il ouvrit la bouche, Predenna ouvrit la porte, des plus agitées : « Le roi te réclame ! » Pour la belle, la présence de Meldreg en ces lieux lui confirmait les dires de son frère ; c’était un arrogant et cynique homme qui divisait ses barons pour mieux régner. « Je te fais chercher depuis une heure ; à croire que tu avais d’autres priorités ». Et il me servit un verre de vin sans me lâcher des yeux. Je savais à quoi il pensait, son regard parlait pour lui. « Tu ne m’aimes pas, tu ne m’as jamais aimé ». Et il avait raison ; mise à part ses longs cheveux blonds, il était détestable à souhait et ces dernières années de guerre réaffirmèrent son goût immodéré pour les combats. Alors que je buvais son vin, il m’observait tout à loisir, les sourcils froncés et les lèvres closes. Il est bel homme certes, mais incapable d’aimer ; des bruits de couloir disaient qu’il préférait la compagnie des hommes à celles des femmes et plus jeune je l’avais imaginé sodomite. De telles pensées ne pouvaient être miennes bien que cela fut si excitant de l’imaginer dans les bras d’un de ses chevaliers et Ninnog horrifiée par mes

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propos me menaça de laver ma bouche avec du savon. Du savon, carrément ! Elle était comme ça Ninnog, incapable de voir plus loin que le bout de son nez, pas étonnant alors qu’elle fut encore célibataire malgré sa grande beauté. Comme je disais vouloir partir, Meldreg sortit de ses réflexions. « Tu as les mains d’une esclave ». Il est vrai qu’elles étaient rugueuses, crevassées et terriblement sèche ; la faute aux harassants travaux domestiques qu’Izold me faisaient exécuter du lever au coucher du soleil. A force mes mains en prenaient un sérieux coup. « Tu risquerais de faire une bien mauvaise impression à la cour… » A la cour ? Et mon cœur de battre à grands coups. J’allais enfin rentrer retrouver ma mère et Ninnog. Ce dernier éclata de rire et attrapa mon verre pour se servir à boire. Il n’était pas question que je quitte la demeure de dame Izold ; à ça non ! Il voulait me punir pour mon insolence d’hier. En sortant de sa chambre, je croisais Maner au regard distant. Et dire que nous avions joué ensemble et partagé tant de choses… « J’ai cru que tu ne viendrais pas à la cour. Le roi ne semble pas vouloir de toi ». Mais quelle ordure ! Et ensuite ? J’étais bien ici, auprès de Dame Izold et de ses fils ; pour rien au monde je ne souhaiterai retourner là-bas. J’allais retrousser chemin quand Maner m’attrapa par le bras « Ta tante, dame Levenez a perdu deux enfants et Dame Meve son époux au combat ». Mon Dieu ! Qui de mes neveux avaient perdu la vie ? Tristan et Solenn emportés par la maladie. Quel horreur, pauvres petits ! Les larmes me montèrent aux yeux ; personne n’avait

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trouvé utile de me l’annoncer et ça, c’était pire que tout. « Kem, tu es là, je peux entrer ? » Questionna Predenna derrière la lourde porte. Elle m’apportait du tissus, des draps de très bonne qualité pour que je m’en fis des somptueuses toilettes, mais je n’avais pas le cœur à l’ouvrage. « Pourtant tu couds si bien » et elle attrapa mes mains pour les serrer dans les siennes, puis déposa un long baiser sur ma joue. « Je vais épouser Konwal, c’est le vœu du roi et j’aimerai t’avoir comme dame de compagnie ». La proposition était des plus alléchantes ; ainsi j’allais m’extirper du joug de dame Izold pour recouvrir toute crédibilité. Mais Izold ne l’entendit pas de cette oreille : « Dame de compagnie, toi ? Predenna ignore à qui elle aura à faire ». Et elle tourna autour de moi, le sourire aux lèvres. Le roi étant parti, les domestiques s’affairaient à préparer notre départ et Izold me traîna jusqu’au seigneur Gwenned pour le remercier de son accueil. Avec intensité il me fixait. « J’espère que tu reviendras nous voir Kem » et moi de garder les lèvres closes, laissant Izold répondre à ma place : « Ta sœur la veut près d’elle, alors c’est auprès de Konwal qu’il te faudra la saluer ». Finalement je crois que dame Izold va me manquer : il n’y aurait plus personne pour me houspiller, me faire lever aux aurores pour lustrer son sol, laver le linge et nettoyer ses appartements ; personne pour me reprendre quand j’avais le verbe trop haut et me traiter d’impertinente ; on arrivait à s’habituer à tout et pour preuve, Dame Izold me serra dans les bras pour y étouffer ses larmes. « Tu vas me

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manquer… » Et elle me remit une bourse pleine ; assez d’argent pour acheter toute une échoppe de draps de soie et de fourrures, des cordons de satins, de taffetas, de coton et de laine aussi douce que de la peau d’une pêche. Sans parler d’accessoires et bijoux à la mode. « Je sais que ce n’est pas grand-chose, mais ce maigre capital te permettra de ne pas inspirer la pitié ». Puis on me remit un cheval, un beau destrier à la robe blanche acheté la veille par les soins de Gurvan Un tel présent flatta mon orgueil et comme le remercier autrement que par un baiser sur le front. Le cadet Maël devait faire le voyage avec nous et je fis bien à son regard que cela ne l’enchantait guère de me voir gagner leur fief dans le nord. Dame Izold avait eu trois fils de trois maris différents et chaque époux avait légué à leur héritier des terres et un fort dans les quatre coins du royaume. « Au prochain faux pas, je te ramène ici » Me susurra Maël en tenant les brides de ma pouliche et je le croyais bien volontiers ; il était brutal, sanguin et n’avait aucune patience. « A vos ordres capitaine ! » Lançai-je le sourire aux lèvres avant de partir au galop. Jamais derrière, toujours devant ; ce départ anticipé de chez Izold me donnait des ailes. Goûter à la liberté, c’est si jouissif et plus encore sur un cheval poussé à vive allure ; il me fallait aller vite comme pour rattraper le temps perdu. Dieu, que j’étais heureuse ! Et ni l’orage, ni la pluie n’affecta mon humeur ; on trouva refuge dans une auberge remplie de bois-sanssoif, de cul-terreux et d’escrocs en tout genre. Devant le grand foyer, je cousais la capuche d’une cape quand Konwal me

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rejoignit. « Et tu ne t’arrêtes jamais de coudre ? » Cette remarque me déroutait. N’était-ce pas ce que l’on demandait aux femmes : de savoir coudre, chanter et se tenir en société ? Il ricana avant de me tendre son bock de bière. C’était fort mais cela se buvait. Avec Maner celles que nous buvions ressemblaient plus à de la pisse d’âne, mais je gardais cette réflexion pour moi au risque de passer pour une dépravée. Et il me recommanda d’aller dormir un peu ; demain nous partirons de bonne heure. Comme tous les matins depuis notre départ, soit depuis trois jours, je me levais la première et sellai ma jument sans l’aide de l’écuyer. * Au petit matin nous arrivâmes enfin à destination et à l’entrée du pont-levis nous fûmes accueillis avec enthousiasme. « Qu’il est bon de vous revoir Mon seigneur ! » Et l’homme courut vers ses enfants : trois mouflets plein d’ardeur dont la grande. « Père ! Pére, vous nous avez tellement manqué ! » De les voir ainsi réunis me transporta ; je n’avais jamais eu de famille et j’enviai le bonheur des autres. La petite Aodren de neuf ans me passa les bras autour de la taille et j’en fus bouleversée. « Les enfants laissez votre père se reposer ! » Déclara Matelina, la nourrice et Konwal de me conduire dans mes quartiers suivit par les enfants joyeux et très hilares. La chambre était éclairée et donnait sur le chemin de ronde et l’une des six tours ; le mobilier me plaisait tout comme ce grand feu qui promettait des chaleureuses soirées. J’allais y être à mon

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aise ; « Tu es ici chez toi alors…profites de tout » et une fois la porte refermée j’ai pleuré de joie face à ce bonheur à venir. « Qu’est-ce qu’elle fait ? » Lança le petit Riowen âgé de sept ans à l’intention de ses sœurs, la coquette Eozen de six ans et son aînée de neuf ans, la très sage Aodren. « Tais-toi et observes ! » Je suis heureuse d’avoir un public ; à l’université de Cologne, le maître monte dans sa chaire pour donner la lecture, lire des textes, ouvrir un débat. Et là ils enseignent Aristote et Platon. Moi je veux expérimenter, comprendre et apprendre. Fréquenter Konwal est excellent pour moi ; et il m’apprend tout ce qu’il faut savoir sur le monde qui n’a bientôt plus de secret pour moi. Je me sens bien prêt de lui au point de partager mon bonheur avec tous les locataires du Fort ; petits et grands et ce jour-là j’expérimentai la fabrication de savon. Constamment les enfants de Konwal me suivaient réclamant ma présence avec véhémence, surtout l’aînée qui n’hésitait pas à me suivre jusque dans les bois à la recherche de plantes médicinales et de fleurs sauvages pour mes savons. Solenn aurait eu son âge si la maladie ne l’avait emportée. Ma pauvre petite chérie…Ma tante ne s’en remettrait jamais. « Tu vas rester avec nous Kem, hein. Tu ne partiras pas » Lança la petite Eozen en passant les bras autour de mon cou. Pour le moment je n’en avais pas l’intention ; et puis dans quelques jours arriveraient Dame Predenna et son frère. Tout devait être prêt pour l’accueillir et ils devaient m’aider à compléter son trousseau ; des sacs de lavande pour son linge, des mouchoirs de

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poche et des coussins brodés par les soins d’Aodren. « Comment se passe la cohabitation mon frère ? » Questionna Maël sans détours. Il n’y allait jamais par quatre chemins et jouant l’indifférente, je finissais un motif de broderie pour une toilette en vue des noces de mon châtelain à la sœur de Gwenneg. « Kem est…un bon élément ». Un bon élément ? J’ai levé le nez de mon ouvrage pour l’interroger du regard ; il ne voulait pas s’étaler sur le sujet ce qui expliqua son mutisme. Et debout près de moi, son cadet étudia mon travail attentivement avant de me le rendre sans rien commenter. « Un bon élément. Regrettable que cet élément ne trouve à s’établir ». Et la colère me gagna, ce sournois me méprisait et cela depuis le début. Alors je prétextais avoir la migraine pour fuir cette médisance. Nous avons fait des colliers de fleurs pour ensuite les faire sécher ; des tresses entières aux mille couleurs pour le banquet de Dame Predenna et l’on s’y appliquait énormément. Les filles de Konwal sont d’excellentes élèves ayant soif d’apprentissage et j’aime les serrer dans mes bras, les couvrir de baisers et coiffer leurs cheveux blonds. Toutes deux me font des confidences et je leur parle de la Cour, des Dames qui y sont et de leurs beaux atours. Quant à Riowen, trop heureux de retrouver son père il délaisse ses sœurs pour suivre Konwal comme son ombre. « A quoi joues-tu ? Ces enfants ne sont pas les tiens et bientôt ils auront une mère ! » Tonna Maël fou de rage de me voir jouer avec ses neveux, lui qui ne semblait pas presser de revoir les siens. Il m’a menacé avant d’arracher la couronne

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de mes mains pour les écraser. « Moi vivant, tu ne partageras jamais sa couche ». Pour quelles raisons tenait-il à préserver les vertus de son frère ? Jamais il ne m’était venu à l’esprit que Konwal puisse être intéressé par ma personne. « Tu mens ? Je te vois le regarder et je n’aime pas ça, tu saisis ? » Il y avait erreur sur mes intentions et Maël ne devait pas porter de conclusions trop hâtives. Il renifla mes cheveux, s’attardant sur mon oreille dégagée. Je portais les boucles d’oreilles offertes par Dame Meven pour me rapprocher en pensées de mon foyer. « Pour qui te fais-tu belle ? Si c’est pour mon frère, tu n’es pas de taille. Et tu n’es qu’une catin». Pour qui se prenait-il ? La gifle partit. Dieu que cela fait du bien… Pourquoi ne l’avais-je pas fait plus tôt ? J’aimais Konwal d’un amour fort ; il était si attentionné et si généreux. Et quand il souriait, je souriais en retour et quand la mélancolie le gagnait, j’étais moi-même rongée par le chagrin. Il se recueille tous les jours sur la tombe de sa défunte épouse et je l’observe à distance, enviant l’amour qu’il avait su donner à la femme enterrée sous terre. « Tu as des ennuis Kem ? Alors pour quelles raisons es-tu triste ? » Que répondre à Konwal ? Devais-je taire la vérité et continuer à vivre dans le mensonge pour le restant de mes jours ? Il attendait ma réponse et frappée de mutisme je fixai les vitraux de la salle sans toucher à mon assiette. « Je dois retourner près d’Izold mon seigneur ». Il fronça les sourcils ; je pensais aux menaces de Maël et du sort qui attendait Konwal si je restais un jour de plus ici. « Je ne veux pas tout gâcher ». D’un bond je me levai pour quitter la table, mais il me rejoignit. « Que

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penses-tu gâcher Kem ?». Les larmes inondèrent ma vue et le souffle me manqua ; un frisson parcourut mon échine quand sa main se posa sur la mienne. « J’éprouve beaucoup d’affection pour mon Seigneur mais je sais que cet amour est impossible. Alors il est plus sage que je parte avant que cela ne finisse par se remarquer». Ça y est ! Je l’avais dit. Le sol sembla se dérober sous mes pas et pis encore quand il me caressa la joue. Il avait besoin de Predenna et du soutien de son frère, tout comme Gwenneg avait besoin de lui pour mener à bien ses projets. Et le roi offrait Ninnog à ce rustre de Gwenneg. Il n’y avait donc plus aucun espoir en ce monde ; étant exclue de leurs unions matrimoniales. Et la noce de Dame Predenna arriva en un imposant cortège et nous les accueillîmes avec nos couronnes de fleurs ; parmi eux le Roi Mordiern et ses vassaux comprenant les fils d’Izold et les seigneurs Bleiz, Ezhvin, Gall, Gildwen et Kadeg. Profitant de la cohue, la sage Predenna m’éloigna de son frère et des rustres qu’il avait amenés. « Ils se concertent sur la guerre ; des tels sujets n’ont rien de réjouissant ». C’est là que Predenna se trompait : les sujets des hommes me passionnaient, ce qui sousentendait la guerre. Elle sourit, dévoilant sa blanche dentition ; je comprenais mieux pour quelles raisons Konwal l’aimait. Douce, passionnée et sincère, Predenna ferait une excellente châtelaine et épouse. En vue de la semaine de festivités, des troubadours donnaient un aperçu du spectacle à venir quand une femme s’approcha de moi : « Je lis l’avenir Ma Dame… » La rousse attrapa ma main, je

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tentais de me soustraire mais Predenna lui tendit une pièce d’or. « Oh, je vois un trône…tu seras Reine. Un grand royaume t’attend ». Un grand royaume ? Cela ne pouvait être possible ! La femme disparut au milieu des spectateurss. « Tu vois ton avenir n’est plus incertain, un trône t’attend quelque part… ». Et nous deux de ricaner en nous tenant par la taille. Comment accorder crédit aux boniments d’une fieffée menteuse ? Son art était celui de vous dire ce que vous vouliez entendre et cela de tout temps. De plus il n’y avait aucun trône de vacant pour exciter l’envie d’une courtisane. Il y a bien longtemps que je n’avais assisté à pareille noce ; il est vraiment agréable de sentir tout ce bonheur alentour et de se l’approprier. Predenna et moi dansions jusqu’à n’en plus pouvoir. « Demain nous dormirons toute la journée si cela peut te rassurer ! » Lançai-je à la belle Dame épuisée par la danse ; au son des tambourins, des violes, des flûtes et des luths, nous étions des elfes volant et virevoltant sous les accords des trouvères. « Tous les hommes te regardent Kem… » Probablement parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire, répondis-je en souriant. Et puis ce n’est sûrement pas moi qu’ils fixaient mais bien Predenna, la future épousée. Le lendemain matin, les hommes se réunirent dans la grande salle d’apparat où ils devaient y rester jusqu’au banquet ; derrière la colonne je les écoutais débattre sur Meldreg n’ayant de cesse de les monter les uns contre les autres : ils offraient des privilèges, des terres, des femmes attendant avec impatience que la cupidité de ses vassaux se fassent entendre. « Cette

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situation ne peut durer ! » Cria le seigneur Gildwen en se levant d’un bond. « Nous sommes ses plus fidèles vassaux et à nous, il nous offre rien que des taxes ! Encore des taxes ! Dans le seul but de nous appauvrir ! C’est inqualifiable ! » Mon aiguille s’enfonça dans le tissus soyeux acheté après maintes négociations auprès du drapier. Tous acquiescèrent ses dires. « Nous ne nous battrons pas pour lui tant que cette injustice ne sera réparée ! » Enchaîna Bleiz de sa grosse voix caverneuse. Les esprits s’échauffaient et j’étais curieuse de savoir ce qu’allait dire Konwal, silencieux dans son coin. Son benjamin semblait parler pour lui et son agressivité trouvait partisans. « Nous devons nous faire entendre une bonne fois pour toutes ! » Fit remarquer plus sagement Gall en caressant sa barbe grise. Et il proposa d’envoyer Konwal pour négocier un terrain d’entente ; cette proposition eut pour effet de contrarier Maël, ce dernier quitta sa chaise pour brailler son mécontentement quand Gwenneg lui coupa la parole. « Gall a raison, Meldreg l’écoutera. Son armée est puissante et il nous faudra plusieurs mois pour rassembler la notre ». Et Maël de ricaner, dérouté par ce qu’il venait d’entendre : son frère se rangeait toujours du côté du plus fort et cela n’arrangerait pas forcément leur situation. Puis l’intendant annonça l’arrivée de Dame Izold. Notre séparation remontée à cinq semaines ; j’avais tellement de choses à lui raconter. « Cette mise est très vulgaire, à qui comptes-tu plaire ? » Cette remarqua mit un terme à mon enthousiasme ; elle m’évita comme si j’avais été une pestiférée et au bras de son

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aîné me tourna froidement le dos. Cette robe j’avais passé de longues heures à la coudre et j’en étais si fière ; alors j’en étais profondément affectée. « Izold a raison, j’ai déjà vu cette robe sur une putain, mais il faut admettre qu’elle te sied mieux » Murmura Maël en me bousculant. Lui qu’il aille se faire fiche ! Son avis m’importait peu, ce n’était qu’un ivrogne doublé d’un perfide et cynique amateur de pépées. Dieu m’état témoin que s’il essayait encore de me toucher, mon couteau se planterait dans sa jambe ou son bas-ventre. « Où cours-tu ainsi ? » Il ne manquait plus que lui ! Le seigneur Gwenneg me barra l’accès aux dernières marches de l’escalier. Son regard en disait long sur ses pensées. Et les ménestrels jouèrent une danse pour les futurs mariés. Le vin, l’hydromel et la bière coulaient à flots et dès le début de la journée les hommes étaient déjà bourrés comme des coins ; rien d’anormal à ce qu’ils commencent à se battre en parfaits ivrognes qu’ils étaient. Konwal et sa promise dansaient magnifiquement bien sous le dais de fleurs ; le bonheur émanait du visage de Predenna. J’enviais leur félicité. C’est le moment que choisit Dame Izold pour m’extraire de mes réflexions sur l’Amour. « Que s’est-il encore passé entre toi et mon fils ? » Ne sachant de quoi elle m’accusait, je l’interrogeai du regard pour comprendre qu’elle m’aurait étranglée s’il n’y avait eu autant de témoins autour de nous. Si elle parlait de la claque que j’avais administrée à son imbécile de cadet, je pouvais comprendre à demi qu’elle se montra si acerbe. « J’ai la nette impression que tu es décidée à te fiche de moi ». La danse

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s’arrêta et Predenna fit une chose idiote en proposant Konwal de danser avec moi sur la prochaine danse. A quoi jouait-elle ? Ne voyait-elle pas mes désespérés efforts pour fuir tout contact avec le seigneur de ces lieux ? J’ai bafouillé quelque excuse inaudible avant de me retrouver propulsée sur le devant de la scène. Et Maël ne me lâchait pas des yeux, trouvant jouissif que le seigneur Gwenneg trouve à tempêter dans sa barbe. Les lèvres closes et le regard absent, je me laissais guider par la musique sans chercher à me l’approprier. Quand il me ramena près de Predenna, je sus qu’elle savait la nature des sentiments que je nourrissais pour son futur époux ; elle me souriait en me serrant le bras comme indifférente à la douleur que je pus ressentir en dansant avec lui. Bientôt ils échangeraient leurs vœux. « Ce n’est qu’une danse, alors n’imagines rien d’autre » Souffla Izold à mon oreille. Le soir je couchais les petits et leur racontais une histoire pour les endormir. Des plus attentifs ils écoutaient, buvant chacun de mes mots, mais ce soit-là Aodren sentit à quel point j’étais troublée. Elle se blottit tout contre moi, le pouce dans la bouche. « Pourquoi père n’est pas avec nous ce soir ? D’habitude il est là… » Konwal était au milieu de ses invités car demain ils auraient de nouveau une nouvelle mère à aimer. « Nous, on veut que se sois toi notre nouvelle mère » Lança Riowen d’un air boudeur. Alors les larmes aux yeux, je leur expliquais que cela ne pouvait être possible parce que je n’étais pas assez instruite pour plaire à leur père. En quittant la chambre, je tombai dans les bras de Konwal. Il s’était à la porte

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sans oser entrer. Prestement je le saluai avant de déguerpir quand je m’aperçus avoir oublié la clef de ma chambre dans celle des enfants. « C’est ça que tu es venue chercher ? » Glissa Konwal en me rendant mon bien. La lune se découpait derrière les vitraux et venait éclairer la coursive. Et il se passa de longues minutes avant que l’un et l’autre ne parla. « Il a fait beau aujourd’hui… » J’ai tenté un sourire en guise de réponse. Je me sentais vraiment ridicule, mais après les réactions démesurées de son cadet et de sa mère j’étais en droit de ne pas être très loquace. « Tu portes toujours le collier que je t’ai offert » Remarqua ce dernier en souriant. Puis il déclara devoir rejoindre ses invités : « Cette fête est également la tienne, tu as passé tellement d’heures à la préparer. Viens te joindre à nous ». J’avouai avoir trop bu ; il me fallait regagner mon lit pour y dormir de tout mon saoul. Là, il se mit à fixer ma bouche avec convoitise et il me caressa les joues avant de me baiser le front. J’avais envie de lui ; mon corps entier le réclamait. « Mon seigneur… » Il posa son index sur mes lèvres pour me faire taire ; mes sentiments ne lui étaient pas inconnus et à la veille de ses noces, il ne désirait pas les entendre. Et dame Isold apparut, surgie de nulle part. Elle venait saluer ses petits-enfants et nous fixa tous deux. « Kem, laisses-nous. Nous avons à parler ». L’autre jour, Konwal et moi avons discuté toute la nuit ; il était fréquent que nous ayons des tas de sujets de discussions comme la guerre, les armes, la politique, etc. Il disait de moi que j’étais différente des autres femmes et au cours de mon enfance souvent entendu les autres

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s’exprimer ainsi à mon sujet, accompagnant leurs propos d’une mine étrange proche de l’ennui. Et il n’était pas là à me trouver ennuyante et sarcastique. « Et toi comment te définirais-tu ? » Me demanda-t-il, allongé par terre près de moi. C’était notre position favorite, là devant le feu au milieu des chiens aux poils frisés et gris. « Je ne suis pas très intéressante » et il se redressa pour mieux m’observer. C’est vrai, quoi ! Je vivais continuellement au crochet des autres, à défaut d’avoir mon propre foyer et pour le moment j’étais envieuse du bonheur des autres. « Envieuse ? Tu n’as pourtant rien à envier à personne, crois-moi » Poursuivit Konwal en caressant une de mes mèches avant de se reprendre, comprenant son erreur. « Je vois de quelle façon les hommes te regardent et tu ne resteras pas longtemps sans foyer ». Il caressa mon épaule pour me réconforter avant de se lever pour aller boire dans sa magnifique coupe de bronze. Avant cet épisode, ce fut au lac qu’il me rejoignit. Les pieds dans l’eau j’observai la lumière se réfléchir sur la surface et accroupit sur la berge, il me demanda ce que j’admirai ainsi. L’univers, c’est l’univers que j’entrevoyais. « A tes pieds ? N’est-ce pas là prétentieux de penser que le monde entier est à tes pieds ? » Je souris et une fois près de lui sur la berge, nous partîmes dans une grande discussion sur le monde dans toute sa complexité. Ayant des notions en astronomie, mes réflexions se tournèrent vers Aristote, de Platon dont ce dernier fut l’élève et de Pythagore. « Quand je t’entends parler j’ai du mal à imaginer que tu es la fille d’Azenor ». Interloquée je

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cessai ma marche pour l’interroger du regard. A quoi faisait-il donc allusion ? Ma mère avait des connaissances tout comme ma sœur ; nous avions été éduquées par des hommes de science, des poètes et des religieux. Ses propos me vexèrent. Tout cela fut bien vite oublié quand il piqua une fleur sauvage dans mes cheveux. « Tu ne ressembles ni à Azenor, ni à Ninnog. Et parfois je te trouve étrange. Mais d’autres fois je…tu m’impressionnes ». Etrange, comment ? Dans la cité royale, je savais de quel sobriquet on m’affublait mais ici, chez Konwal seul son frère Maël aurait pu me dépeindre comme une fille infréquentable, bornée et incapable de maîtriser ses nerfs ; pour preuve la gifle de la fois dernière. « Es-tu heureuse ici ? » Questionna Konwal en croisant les bras sur sa poitrine dans l’espoir d’une réponse positive. Je le connaissais à présent et étais tout à fait capable de déchiffrer l’une ou l’autre de ses attitudes. De toute évidence la réponse à sa question devait sauter aux yeux ; jamais encore je n’avais connu pareille félicité. Et chaque matin quand je me réveille, j’entends les oiseaux chanter et les enfants rire à gorge déployée. C’était l’idée que je me faisais du bonheur. Il sourit à ma réponse. « Tes sentiments envers mon frère sont-ils inchangés ? Gurvan t’apportera tout le bonheur dont tu rêves et je serai heureux que tu deviennes ma sœur. C’est également le vœu de ma mère ». J’allais poursuivre mon chemin quand il saisit ma main ; ce contact affaiblit ma raison et plus encore quand il posa ses mains sur mes épaules. « Il t’aime, l’ignores-tu ? » Mais il avait pourtant souhaité que je parte…Ses mains glissèrent sur ma peau et moi d’en

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frissonner ; je n’avais jamais connu d’homme si affectueux que Konwal et je l’aimais en secret. Et cet amour allait me tuer si je le laissais agir de la sorte. Mon Dieu ! Je me sentis prête à défaillir à tout moment. « Qu’est-ce qui te trouble à ce point ? » Et ses mains remontèrent à mon cour, plus fermement encore qu’un étau sur le métal à forger. Alors j’ai préféré partir plutôt que de souffrir près de ce Seigneur. Et la nuit qui précéda la noce de Konwal, je tournai en rond dans ma chambre, torturée par de tels souvenirs. Il allait se marier…J’enfilai ma cape pour marcher un peu sur le chemin de ronde. Les noctambules s’esclaffaient en bas autour d’une cruche d’alcool. Et au bord des larmes, je m’arrêtais pour observer le ciel particulièrement rouge. « Le feu a du avoir pris dans un des villages situés dans la vallée ». Le roi Mordiern me surprit dans mon recueillement et le vieil homme barbu tenta un sourire qui n’eut aucun résultat sur mon moral. « Il semblerait que je ne sois pas le seul à ne pas trouver le sommeil. Des problèmes d’Etat principalement ». Les fils de Mordiern avaient péri au combat et son trône à sa mort reviendrait au roi Meldreg ; ce qui lui était insupportable. Depuis des années, il s’était battu pour maintenir son indépendance et voilà qu’il se trouvait dans une situation des plus délicates. « Enfin…je ne tiens pas à t’ennuyer Kem, tu es encore bien jeune pour te préoccuper par de tels ennuis ». Cela ne m’ennuyait nullement et je me mis aussitôt à parler de Meldreg et de ses aptitudes à lever une armée. « Il veut tous nous voir périr d’une façon ou d’une autre ; mon armée ne

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tiendra jamais face à ses troupes ». C’est faux ! Mordiern devait coaliser ses vassaux pour éviter que la crainte n’ait raison d’eux. Derrière lui ils s’uniraient tous pour ne pas se retrouver privés de leurs droits ; Mordiern semblait las de combattre au côté d’un jeune roi qui n’avait plus aucune considération pour l’une de ses plus vieux vassal. « Cette guerre a duré trois ans et a coûté la vie à mes meilleurs hommes. La mort du Roi a permis une trêve, mais Meldreg repartira sitôt qu’il aura trouvé une épouse ». Une épouse ? Immédiatement je pensais à Ninnog. Quels efforts entreprenait-elle afin de gagner ses faveurs et ainsi refuser les avances du Seigneur Gwenneg. Ma sœur devenue reine, elle saurait influencer Meldreg et ainsi entretenir la paix pour de longues années à venir. « Ninnog n’a pas l’étoffe d’une reine. Une fois la couronne sur la terre, elle se hâtera de piller les trésors du Royaume ». Comment osait-il la juger ainsi ? L’ambition ne faisait pas d’elle, un être méprisable et bien trop avide de joyaux pour servir au mieux tout un peuple d’opprimés. « Tu es bien trop naïve, le monde est bien plus laid que tu ne le crois et ce ciel rouge n’annonce rien de glorieux ». Et dans la chapelle, où devait se tenir la cérémonie religieuse, le seigneur Gwenneg vint s’assoir près de moi. « Ils vont bien ensemble, n’est-ce pas ? » Subrepticement il glissa sa main vers la mienne pour la serrer ; Dame Izold surprit ce geste et son regard se durcit, probablement parce que j’étais trop sotte pour refuser les avances de cet homme ou bien parce qu’elle m’avait surprise dans le couloir avec Konwal et qu’elle savait la

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nature de ses sentiments à mon égard. « Le prochain mariage sera le nôtre » Susurrat-il à mon oreille sans cesser de sourire. Il est possible qu’il fut heureux mais à quel point je l’ignore. Mais le sous-estimer était bien la chose à ne pas faire : il avait pour lui le pouvoir et à présent Konwal dans sa poche et quand il épousera ma sœur, il aurait davantage de terres et le contrôle des fiefs du Nord. Il remplit mon verre de vin et m’offrit une vulgaire fleur ramassée je-ne-sais-où. Vraiment pénible pour moi de l’avoir comme voisin et pis encore quand il me touchait. Mon regard plongea dans celui de Konwal ; il me fallait l’oublier. « A quand vos noces avec Ninnog ? » Questionna Izold d’un ton très sarcastique et le seigneur éclata de rire avant de répondre qu’il n’en avait nulle intention puisqu’il m’avait prêt de lui. « Kem ? Tu pourrais avoir la plus jolie femme du royaume et tu lui préfères cette…diablesse » et il se passa un long moment avant qu’il ne réponde que ma sœur n’avait pas plus de jugeote qu’un poisson rouge. Predenna quant à elle suivit le regard de son époux et effaça tout sourire de ses lèvres : il n’y avait pas que son frère à me fixer avec intensité. Avant la cérémonie Maël et Konwal avaient eu une discussion d’ordre très privée ; dans ce corridor, le cadet tentait de raisonner son aîné des plus perturbés. Il disait ne pas connaître les causes de son tourment. « C’est encore cette sorcière ? Konwal ressaisis-toi. Ne nous laisses pas tomber » Il enserra la tête de son frère contre son front et ce dernier semblait ne pas savoir où il était. « Débarrasses-t-en avant que Gwenneg ne s’en aperçoive » Et je sus qu’ils parlaient de moi. C’est la

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raison pour laquelle je devais éviter de me faire remarquer, ce jour-là plus que d’ordinaire. Mais ce fut plus fort que moi, il me fallait exister et leur prouver que j’étais loin d’être aussi mijaurée et inutile qu’ils le pensaient. « Kem est très en beauté aujourd’hui » lança Predenna à son époux et tous les regards convergèrent dans ma direction. Ce compliment me gonfla d’orgueil ; elle avait la réputation d’être sincère mais quand Maël prit la parole, je souffris de son jugement. « J’ai une jeune pouliche, capricieuse et insoumise ; si tu veux la monter Gwenneg, elle est à toi. Elle te sera bien plus utile que cette femme». Il serra ma main dans la sienne tandis que les ricanements faisaient le tour de la table. « Peut-être n’a-t-elle pas trouvé de bon cavalier pour la monter. Ta jument apprécierait mieux les caresses que les coups. Il suffit parfois de les flatter pour tout obtenir de ces insoumises ». Et je partis le trouver dans ses appartements ; appuyé au chambranle de la porte, il me dévisagea avant de me laisser entrer. En découvrant Maël, mon cœur s’emballa. « Fais attention Gwenneg, elle mord. On se voit plus tard ». La porte refermée sur le cadet d’Izog, je pus m’exprimer en toute quiétude. J’acceptai de me marier avec lui et de partir sur le champ sans manifester la moindre opposition. « Tu me demandes de t’épouser ? » Il fronça les sourcils avant de noyer ses lèvres dans son vin ; il sut que je cherchais à fuir quelqu’un et il ne fut pas long à comprendre. Assis dans son siège, il me déshabilla des yeux. « Es-tu encore vierge ? » Sa question me paralysa d’effroi ; Maël avait encore dû colporter de

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fausses rumeurs à mon égard. « Finalement je n’en éprouve plus l’envie. Je me suis emballé en pensant que tu m’aimais ». J’allais partir quand il me demanda de rester. Il caressa mon visage, s’attardant sur mes lèvres. « Demain matin dans la chapelle, tu me jureras fidélité ». Predenna déboula dans ma chambre pour me serrer dans ses bras ; nous allions devenir des sœurs. « Tu ne t’imagines pas à quel point je suis heureuse ! » Et les larmes au bord des yeux, il me baisa les lèvres.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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