(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)
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LES CHEMINS DE L’OUBLI [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Pollymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LES CHEMINS DE L’OUBLI
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Je me trouve laide ; les autres filles de mon âge ont toutes de la poitrine et un joli minois. Hier Deirdre et Juna m’ont maquillée : « On va te faire une beauté Kem et après tu ne te reconnaîtras plus dans le miroir… » Après une demi-heure le résultat fut à la hauteur de leur ambition ; ma vilaine peau fut dissimulée sous de la poudre nacrée et mes lèvres peintes en carmin. Ma mère bien entendue n’a pas trouvée cela beau : « Seules les femmes de petits vertus se peignent le visage » Déclara-t-elle en me tendant une éponge imbibée d’eau savonneuse. Je crois qu’elle n’a pas compris l’enjeu de cette séance : pour moi l’occasion de paraitre plus désirable que je ne le suis et surtout, gagner en confiance. « Mais à qui comptes-tu plaire », sortit ma sœur Ninnog en gloussant sans retenue. S’il y a bien quelqu’un que je vais tuer ici, ça sera elle. En même temps, elle a raison ; je n’intéresse personne ici. Il n’y a personne pour se retourner sur mon passage excepté quand je sors avec Ninnog ; pour elle de longs cheveux longs soyeux et dorés comme des épis de blé ; pour elle, de grands yeux bleus expressifs dessinant en amande ; pour elle tous les hommes des alentours pour la distraire.
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Dernièrement j’ai assisté à l’accouchement de dame Levenez et quand l’enfant arriva, l’accouchée s’est tournée vers moi essoufflée par l’effort : « Oh, encore une fille ! Faites que celle-ci ressemble à ma charmante nièce Ninnog… » Puis l’accoucheuse m’a jeté le linge souillé en plein visage. Direction les lavoirs ; en chemin les dames ont gloussé en me voyant passer, la démarche chaloupée et le visage blême d’avoir assisté à pareil horreur. « Un accouchement forge l’esprit ; Dame Melen sera la suivante et c’est toi qui t’y rendra ». Alors je suis partagée entre l’envie de fuguer et celle d’aller m’enfermer dans les oubliettes du château. « Pourquoi tant d’histoires pour un accouchement ? N’est-ce pas le lot de chaque femme ? » Me sortit la sage-femme en longeant le nouveau-né. Je crois qu’elle n’a rien compris celle-là. Tout le monde a bien compris au château que je ne me marierai jamais par faute de prétendants ; mon existence se terminera dans un couvent ou dans la basse-cour, une tonne de linge souillée de sang dans les bras. Ce matin le prince Meldreg est passé près de moi ; il m’a bousculé ; a poursuivi son chemin sans même me remarquer. « Hey, trou-de-cul j’existe ! » Avais-je eu envie de crier, rouge de colère. Mais l’hautain personnage a poursuivi son chemin, pressé d’aller retrouver ses chevaliers pour s’entraîner à l’épée. De la fenêtre en ogive des appartements de ma mère, on entend distinctement le bruit de leurs armes parfaitement aiguisées et moi de plaindre leurs adversaires. Bientôt ici aura lieu le tournoi de l’année et tous les gentilshommes seront invités à y
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participer ; ce qui explique probablement l’excitation qui règne dans la cour où s’entassent les Demoiselles et leur suite. Je n’ai pour seul loisir de m’occuper des morveux des autres ; c’est à moi que l’on confie les couches sales et les nez remplis de sécrétions. En fin de journée je n’ai pour seule distraction que de défaire les tresses que les petites me font pour passer le temps. Elles me peignent, me brossent les cheveux et ricanent de mon tempérament des plus soumis. L’autre jour, on m’a lancé de la bouillie d’avoine sur ma robe ; j’ai bien évidemment passé plus d’une heure à la récupérer parce que je n’ai ni la garde-robe de Ninnog, ni celle de ses précieuses amies. « C’est quoi le problème avec ta sœur ? » Lança Meven en me suivant du regard et moi de m’apercevoir la grande tâche de myrtille sur mes fesses. Et ma sœur de s’excuser de ma maladresse toute légendaire. « Ben ouais, les petites pisseuses que je garde ne me respecte pas » Susurrai-je, des morceaux de foin plein la coiffe. J’ai foi en l’avenir ; un monde de paix où chacun me tirerait la révérence en me flattant. Mais ce monde utopique n’est pas prêt d’arriver qu’on se le dise. Les pièces du château sont froides, hiver comme été compris et en ce printemps ensoleillé, ma mère ne cesse de m’aboyer dessus : « Et une fois que tu seras malade, que se passera-t-il ? Qui s’occupera des enfants ? » Principale préoccupation de ma mère : les enfants des autres. Depuis qu’on m’a assigné à cette tâche, elle fanfaronne auprès des autres baronnes : une fille ainée des plus charmantes et la benjamine, serviable et docile à souhait. Ninnog ricane dans son
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coin, les pieds sur la fourrure du dogue avachi là. « Si elle est malade, elle pourra toujours se mettre à broder ». Et j’ai bien compris ce qu’elle sous-entendait : j’ai des occupations de femmes mariées quand les autres plus chanceuses vont au lac, partent en ballade, écoutent de la musique en échangeant blagues et potins et s’échangent leurs toilettes. Montée sur la poutre, je suivais les vilains garnements comme Nonn, Trifin, Tristan, Solenn et Briz dont la moyenne d’âge ne dépasse pas les sept ans. Ils m’ont font voir de toutes les couleurs et de tous Nonn et Briz sont les plus insolents. « Si tu ne joues pas avec nous, on le dira à notre mère ! » et après avoir verbalement résisté à cette vague de chantage et de menaces, je me retrouve bien vite à me ridiculiser à jouer à cache-cache, à saute-moutons, aux billes, à colin-maillard, aux jeux de guerre et de tournois avec des figurines de bois. Je dois vraiment faire pitié car non sans mal je distingue des sourires sur le visage des filles et de leurs chevaliers-servants. Je viens à croiser les doigts pour qu’on les appelle à leurs leçons de musique, de poésie et à la prière. Pendant ce temps-là je lis en abondance dans la salle où le maître leur enseigne les mathématiques ; cachée derrière ces sales gosses j’apprends des pages entières en latin sur l’astronomie, la médecine et les sciences occultes. Dernièrement j’ai appris l’anatomie canine au grand désespoir de ma mère : « La lecture n’est pas un loisir pour une fille comme toi, apprends donc à coudre et à chanter ». Bien-sûr mère, pour aller m’enfermer dans une salle du château du lever au coucher du soleil ! Non merci !
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La semaine dernière elle m’a giflée, lassée par mon insolence et mon assurance à lui être désagréable. « Si tu continues je t’envoies au couvent ! Cela te fera le plus grand bien ! » Parfois je me dis que je devrais accepter. Et quand j’ai dit cela à Maner, il a ricané. Lui c’est le valet du prince ; enfin c’est ce qu’il dit. Je crois plutôt que le prince a si honte de lui qu’il ne le montre jamais. Il y a toujours deux ou trois larbins à graviter autour de lui et Maner n’en est malheureusement pas exclu. Il ressemble à une femme avec ses cheveux bouclés et ses yeux qui expriment la tendresse. Si on s’entend aussi bien c’est probablement parce qu’on intéresse personne ici comme ailleurs. Il arrive à me faire rire quand il marche sur les mains ou quand il tire sur la commissure de ses lèvres pour déformer son visage. « C’est un va-nu-pieds ! Un serf que le prince a ramassé l’on ne sait où et toi tu…tu traînes avec cette sangsue ? » C’est là le seul argument d’Elen. Ben ouais et après ? Je n’ai pas vraiment d’amies au château ; on me juge ennuyeuse pour ne pas dire emmerdeuse. Je veux toujours avoir le dernier mot et parfois je manque cruellement de délicatesse. « Foutre…Putain…chiotte » Ces mots-là vont partis de mon vocabulaire, à moi de les replacer dans leur contexte. J’ai utilisé « foutre » quand la sentinelle m’a demandé d’éviter le pontlevis à l’arrivée d’une litière ; il a alors écarquillé les yeux avant de déglutir péniblement. « Heureusement que vous avez une fille qui se distingue par sa sagesse et la noblesse de son sang » Ironisa Dame Aziliz après m’avoir entendu parler des gens de la ville comme des
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« culs-de-chiottes ». Dame Aziliz était l’une des dames d’honneur de la reine avant que cette dernière ne nous quitte et je crois qu’elle entretient avec le roi un rapport très privilégié. Ici c’est elle qui fait la pluie et le beau temps ; les dernières modes vestimentaires et les loisirs de la cour. « Ce n’est pas dans sa nature d’être aimable. On ne peut pas lui en vouloir après tout le mal qu’on s’est donné pour l’éduquer » Rétorqua ma mère en passant ses nerfs sur la zibeline qui recouvre son manteau. Pour l’éduquer, tiens donc ! Depuis Dame Aziliz m’évite soigneusement et ne réponds pas même quand je l’appelle. « Qu’allons-nous faire de toi ? » Pleurniche ma mère en s’excitant sur sa longue tresse blonde. Mes exploits l’agacent terriblement et elle ne passe pas par quatre-chemins pour me le faire comprendre. En soupirant elle regagne sa chaise où elle s’écroula littéralement, la tête dans la main. « Tu as l’âge d’être mariée, parce qu’à ton âge je l’étais ; mais tu es un tel fardeau que nul homme ne voudra t’épouser sans y réfléchir à mille fois ». Ça c’est dit…Et elle se met à pleurer ; elle est douée pour cela. Un torrent de larmes noyé dans sa manche, assez ample pour y éponger toutes les larmes de son corps. Le couvent reste une solution et là elle sort de ses gongs, j’ai encore parlé quand il ne le fallait pas. « Oh plutôt mourir ! De mon vivant, aucune de mes filles n’ira se perdre dans un couvent ! » J’ai marqué un point en apprenant son désir de nous garder le plus longtemps près d’elle ; et la voilà qui fonce sur moi pour me tirer les oreilles. « Si j’entends encore parler de toi, je te
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coupe la langue ! ». Si elle me menace je dois rétorquer une phrase comme : « Coupes-la moi maintenant, pour ce qu’elle me sert ! » Mais étrangement j’avais envie de me faire oublier. Ninnog sortait le soir pour bien me faire comprendre qu’ici le pouvoir c’est la beauté ; tout le monde l’invite, tout le monde veut la voir scintiller de mille feux et tout le monde veut la voir sourire. Et ma mère de lui prêter son collier de perles, celui que j’adore ; la servante de la coiffer pour lui donner toutes les chances d’accéder un jour au trône. « N’oublies pas qui tu es Ninnog, alors séduit les tous. Un Duché cela ne se refuse pas ». Voilà la dote proposée par ma mère : le Duché de ma famille et des prétendants, elle n’en a jamais manqué mais aucun n’avait assez d’argent pour apaiser la cupidité de ma calculatrice de mère. « Tais-toi Kem, je ne veux pas t’entendre ! Tes opinions, gardes les bien enfoncées dans ta bouche » Tonna ma mère en refermant prestement la porte sous mon nez. D’accord. Je décidais de ne pas parler de tout le repas et il fut morne comme à chaque fois que Ninnog nous faussait compagnie. J’allais me mettre au lit quand Maner est venu frapper à ma porte ; il y aurait un feu d’artifice sur le lac et il avait obtenu sa soirée pour aller le voir. Tout le monde y serait alors pourquoi s’en priver ? Alors on s’est enfui comme des voleurs ; on a emprunté l’escalier-est et couru tout le versant du château pour se voir absorbé par la foule des villageois venus assister aux réjouissances. « Dépêches-toi un peu on va manquer la parade ! » Et je le suis, non sans peine. Mais là on l’on est, on ne voit pas grand-chose ; il m’aide à grimper
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sur le auvent puis sur le toit du forgeron. Comme je glisse il me retient par la taille et sur ce promontoire, nous observons la foule en délire venue saluer les protagonistes. C’est exaltant et je me mets à applaudir les saltimbanques avec énergie. Et puis Manner m’offre des sucreries, un sachet entier de sucre d’orge et de pates de fruits. Ceci pourrait me faire croire en Dieu. Mais revenons en arrière au jour de ma naissance. Après un long travail, ma pauvre mère finit par me donner la vie. J’ai du la déchirer puisqu’elle en garde Mais elle aurait pu mourir de désespoir quand elle apprit d’une de ses amies que je buvais et fumais la pipe ; la folie l’a maintenu au lit pendant trois jours. Et elle ne cessait de se lamenter en se tirant les cheveux ; or vous la connaissez pour être une femme calme avec une parfaite maîtrise de ses sentiments. Que nenni ! Elle cache bien son jeu, je peux vous le dire. « Tu vas me rendre folle ! » C’est ce qu’on entend le plus souvent au cours de la journée. Pauvre petite mère. Et elle envoie la servante auprès de l’herboriste pour des plantes sensées calmer ses nerfs ; peine perdue, mère est une talentueuse tragédienne. « Ne me parle pas de tes auteurs grecs ! Jamais enfant, il ne me serait venu à l’idée de manquer de respect à ma mère ! » A croire qu’elle fut si parfaite. Et Ninnog manque cruellement d’originalité. Avant-hier j’ai raconté une histoire aux enfants et les plus jeunes se sont mis à pleurer. Désormais on m’interdit de leur raconter des histoires ; cet ordre émane de ma mère qui soit dit en passant, manque cruellement d’imagination puisqu’elle me
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condamne à garder la chambre jusqu’à nouvel ordre. On me consigne à résidence… Les gueux de la taverne pensent que je suis un homme puisqu’ils me tapent dans le dos, sortent des blagues salaces et décrivent l’intérieur des cuisses de leur compagne ; les putains me lancent des flatteries à l’oreille et m’invitent à les suivre : « Pour toi, c’est à moitié prix ». Il est hors de question que je les suive ! Elles se vexent ; Manner est obligé d’intervenir. Sans lui inutile de vous dire quand quel pétrin j’aurai pu me trouver. Alors elles se ruent sur lui et lui caresse l’entrejambe avec concupiscence ; je ne suis pas dupe, je sais que l’écuyer du prince ne passe pas tout son temps libre à me distraire. Il a une belle gueule et ici cela suffit pour se faire connaître de toutes les jouvencelles et dames du royaume. « Je dirais que tu es singulière » Rétorque Manner à la question que je lui pose quant à mes chances de séduire un mâle. Singulière. Que doit-on mettre sous ce mot ? Manner n’a pas envie de développer et je le comprends. Il me supporte déjà assez bien pour devoir jouer les objecteurs de conscience. « Pourquoi est-ce que les femmes se prennent toujours la tête ? ». Mais je ne suis pas une femme ! Enfin si…malheureusement. Physique ingrat, mauvais caractère, travestissement, tromperie, ce n’est pas ce que l’on attend d’une jeune dame en âge d’être mariée. Manner ricane derrière son énorme bock de bière. Il me fait signe que j’ai de la mousse plein la moustache. J’ai encore trouvé le moyen d’être ridicule. Le bras collé contre le mien, il me fixe
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intensément comme un énorme bouton purulent ornait mon nez. Il se penche à mon oreille : « Tu as ce qu’il faut où il faut et je t’apprécie comme tu es ». Réponse naze. Il redescend dans mon estime. Pas fichu de répondre correctement. Un seigneur rentre et s’installe à une table non loin de nous, fait tournoyer une pièce entre ses doigts puis l’envoie au tavernier qui s’empresse alors de le servir. « Toi petit ! Approche ! » C’est bien à moi qu’il s’adresse ; mon cœur bat si fort qu’il menace d’exploser. « Qu’est-ce que tu vois d’écrit là ? » Il se fiche de moi, cela ne fait pas l’hombre d’un doute. Mais plus je regardai et plus les mots se déformèrent sur le parchemin pour finalement formuler me mot : cerf. Etait-ce là de la sorcellerie ? Le seigneur me sourit
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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