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LA GALERIE DES INFLUENCES [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LA GALERIES DES INFLUENCES
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1
En passant par la coursive nord je vis la neige partout sur les toits dont on ne discernait plus grandchose que les fines volutes de fumées sortant de Dieu ne sait où ; le ciel se confondait avec les toitures et les toitures avec le sol de la cour dont on entrevoyait qu’ne infâme partie. En frissonnant je m’accoudais au parapet de bois pour tenter d’en estimer la hauteur. En tentant la main il m’était possible de toucher cette neige compacte et immaculée ; cela vous refroidissait inexorablement le bout des doigts qui ne tarderaient pas à s’engourdir à son contact. Pour mieux la contempler, il me fallait descendre d’un niveau ou bien quitter le donjon pour gagner le cloitre, si toutefois je parvenais à m’y rendre car depuis un mois je ne m’étais toujours pas faite à la configuration de cette immense bâtisse. Le temps que je perdais à me repérer contribuait à me faire passer pour une imbécile et malgré tous les efforts déployés pour poser des repères, je finissais par angoisser de quitter mes appartements. J’ai écris à ma mère en ce sens : (…) ce château est si grand-mère qu’on pourrait le comparer au labyrinthe de Tantale (…) et j’ajouterai une chose : je m’y perds tellement que j’éprouve de la honte à venir souper après les gens
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d’Axel. Et même si par politesse, aucun d’eux ne l’exprimeront ouvertement, tous ne cesseront de me voir comme une étrange petite femme, écervelée et tombée de son nid. Mieux ne valait pas y penser, cherchant à me faire la plus discrète possible pour ne pas passer pour une pauvre fille. Mon époux écrivait à la lueur d’une dizaine de candélabres. Il s’enfermait dans ses appartements peu après son petit déjeuner pris devant l’imposant âtre de la salle commune, au milieu de ses baronnets et vassaux ; quand il n’était pas face à ses gens toujours prêts à se distinguer d’une façon ou d’une autre. La plume grattait le papier et il s’appliquait à rédiger en latin des mots connus de lui seul. Il écrivait beaucoup, s’arrangeait toujours pour garder une trace de ce qu’il faisait. Il y avait un moine affecté à cette tâche, mais il préférait n’avoir rien à ne demander à personne. Etrange homme qu’il est ! Naturel que l’on se soit trouvé. Non pour être exact, c’est lui qui me trouva peu après mes douze printemps ; il venait souvent voir mon père avec ces hommes droit sur leur lourd destrier. L’enfant que j’étais restait émerveillée par tous ces chevaliers sous leur rutilante armure. A aucun moment mon père ne me parla de ces fiançailles. Puis un jour on me conduisit à Cleven de l’Essex ; alors âgée de quinze ans et assez innocente pour comprendre de quoi il était question, je fus donc prise de court quand je dus prononcer mes vœux devant un parterre de quelques gentilshommes qui nous ovationnèrent sans trop y croire non plus. Cleven de l’Essex demeurait un homme discret et attentif ; on ne peut pas dire que je sois follement éprise de lui bien qu’on arrive à s’entendre sur tous les sujets ; Cleven ne m’aime pas, ce que je conçois puisque ce mariage repose sur des arrangements politiques. Ma dote lui a fait fermé les yeux sur mon absence de qualités qui de tout temps ont causé bien du tourment à ma malheureuse mère. Il lui suffisait de me regarder pour ressentir de l’ennui ou bien de la colère, de l’écœurement et une immense et
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incommensurable peine. Alors vraiment il n’y a rien de surprenant au fait qu’ici ou là-bas j’e restais inutile. Croyez-le ou non mais pour l’heure je suis toujours vierge. Mon époux n’a pas jugé bon de m’honorer. Ce détail-là n’a rien d’une bagatelle ; d’autres ont fait annuler leur mariage pour non-consommation. Un jour il viendra me trouver suivit de l’intendante et là me demander de partir, de retourner chez mon père et alors je subirai la plus grande des humiliations. Après quoi j’irai m’enfermer dans un couvent. « Que veux-tu Auden ? » Je sursautai au ton qu’il prit, cela sonnait comme une sentence. Si tu n’as rien d’important à me dire, retournes donc broder ! Mes lèvres se mirent à frémir et des plus nerveuses, je rassemblais mes mains sous mes longues manches qui avaient la particularité de toucher le sol. Ce dernier me dévisagea froidement, faisant courir ses yeux le long de mon corps engoncé dans un manteau lourd, noir et sans manche, tombant négligemment sur mes frêles épaules. « Je voulais…..je voulais savoir si tu ne manquais de rien… » Un rictus apparut à la commissure de ses lèvres. Oh, oui il faut l’admettre, j’étais stupide ! Dame A. m’avait recommandé de me rapprocher de lui, de chercher à lui plaire d’une certaine manière ; ne pas rester passive à attendre que cela se passe. Pourtant à cet instant son regard semblait vouloir dire : Elle est plus stupide que je ne l’aurais cru. Quelle pathétique épouse ai-je donc ! Aussitôt je baissai la tête, comprenant mon erreur. Il me fallait partir le plus rapidement possible, sans me retourner ; partir et aller m’enfermer dans mes appartements pour y coudre toute la journée. Dans ma chambre, je m’y enfermai. « Que je suis nulle ! » La tête dans la main je sentis l’émotion chauffer mes oreilles et faire battre mon cœur avec plus de conviction. Ployant sous cette charge, je m’affalais dans mon fauteuil et ainsi prostrée je méditais sur mon sort. Les autres femmes y arrivaient ; autour de moi certaines avaient des bébés et un époux assez complaisant pour leur donner un peu d’amour. Lentement je pris mon ouvrage sans
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grande motivation et commença à piquer dans le tissu. Les larmes me montèrent aux yeux et m’empêchèrent d’y voir clair. On frappa à la porte. A part Berte ma femme de chambre je ne voyais pas qui pouvait venir prendre de mes nouvelles ! M’essuyant les yeux à l’aide de ma manche, je glissais vers la porte. Mon époux se trouvait être là, plié sous le linteau de la porte. « Je peux rentrer ? » Il ne venait jamais me voir, oubliant que je vivais sous son toit ; rien de plus normal quand on sait que je ne cherche jamais à me mélanger aux autres. Qu’espérait-il en venant me voir ? Ecoutes Auden, je sais que tu adores rester loin de tous mais cela ne peut plus durer. On se plaint depuis toujours de ton indifférence…. La gorge nouée je fermai derrière lui, puis direction à la table pour lui servir à boire mais au dernier moment je bifurquai vers l’autre fauteuil pour y virer ce qui obstruait l’assise. « Comment te sens-tu ici ? » Je ne répondis pas, fixant un détail de mon ouvrage posé sur le repose-pied. « Je sais que ce n’est pas ce à quoi tu aspirais. Cet endroit est lugubre et…. —Non, c’est parfait ! » Coupai-je hâtivement, le cœur battant furieusement dans ma poitrine. Il n’était pas idiot encore moins borné dans ses réflexions et son amour-propre allait être salement amoché quand il aurait vent de toute l’histoire : votre épouse, mon Seigneur vous a depuis le début menti en prétextant être heureuse près de vous ! Le rouge empourpra mes jouies et j’attendis qu’il reprit la conversation où il l’avait laissé ; cela ne se passa pas comme il l’avait prévu ni comme je l’avais imaginé. Le feu crépitait dans la grande cheminée et à l’extérieur, le vent soufflait dans la coursive. « Le Prince s’est annoncé et il voudra que nos hommes joutent. C’est un homme que l’on dit…. » Sa pensée se perdit en cours de route. « Il a des mœurs légères et je ne tiens pas à vous heurter face à ses lubies On le dit être fantasque et peu économe. Alors pour ces raisons je prendrais le contrôle des festivités. » Ainsi il était venu pour me dire cela : le prince venait au château avec son armée que l’on savait campée dans
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les environs du comté d’Albany. De cela j’en eus cure, cela reviendrait à une fois de plus m’oublier dans la quiétude de mes appartements. Je ne savais rien de ce Prince ; tout m’était inconnu car à la différence de mes frères et sœurs je n’étais pas assez douée pour retenir quoique se soit. Ma mère la première se lamenta de mon incapacité à me distinguer, quant à mon père, il avait renoncé à me confier à un moine tant mon cas faisait peine.
Tous deux jouaient aux échecs et lui venait de perdre ses dames et Nimue jubilait ; bientôt : Echec et mat ! Sortirait de ses lèvres et lui dirait avoir agi par noblesse. En trépignant sur son siège, la petite applaudissait le coup à venir quand un vassal franchit la porte : « Un chevalier, mon seigneur ! Un chevalier qui demande audience ! » Axel ne répondit rien, laissant sa jeune femme prendre le dessus sur son jeu. Encore un coup et il ne restera plus rien de sa superbe, pensa-t-elle en se mordillant ses lèvres. Encore un coup et elle gagnerait en confiance pour les semaines à venir. Les yeux d’Axel se posèrent sur Nimue et un discret sourire apparut à la commissure de ses lèvres ; lentement il se retourna pour dévier du regard son vassal. « Un chevalier qui veut nous interrompre en pleine partie ? Quel est donc cet énergumène ? —Axel ne vous déconcentrez pas ! Jouez donc que je puisse sortir mon nez d’ici ! Aruga la petite, l’œil pétillant et les doigts s’agitant fébrilement sur ses genoux. Qu’il rentre constater votre cinglante défaite , mon seigneur ! S’il en est parmi vous des hommes avides de fringales conquêtes, laissez-le vous servir !
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Renchérit la petite en déplaçant son roi avec grâce et tact. Echec ! —Parfait ! Arno, avez-vous entendu ? Qu’il rentre, constatez la défaite d’un juste ! Finissons-en Nimue ! Finissons-en ! » Et Malner rentra. Son regard se posa sur les riches tentures recouvrant les murs ; il y avait là tant de beauté dans cette pièce, tant d’éclat qu’il ne savait dire si elle incombait au seigneur Axel ou bien à la petite jouvencelle gloussant dans la manche de sa robe cramoisie identique au même tissu de son seigneur. Cette dernière absorbée par son jeu ne le regardait pas, ni elle ni son seigneur d’ailleurs. « Que veux-tu chevalier ? Parles donc sans t’émouvoir ! » Maner se rapprocha de la table. « J’ai appris mon seigneur que vous recherchiez un champion pour vous représenter lors des derniers tournois et c’est ainsi que je vous présente ma candidature. —Nous avons déjà notre champion. Vous arrivez un peu tard, murmura Axel en mettant en péril le propre roi de Nimue qui alors se mit à rouspéter face à ce retournement de situation. Alors Malner prit l’un des pions de Nimue et déclara le fameux : Echec et mat par le fou ! Folle de rage, Nimue leva le nez de son échiquier. « C’est un coup que je n’aurai pas pu prévoir. J’aurais pu le jouer, n’est-ce pas Axel ? Qui que vous soyez j’espère que vous avez eu une bonne raison de le faire. La partie est terminée….Il faut donc nous en remettre à cet impétueux chevalier plein de stratégie pour oser ainsi jouer en mon nom. —Mon nom est Malner, ma demoiselle ! Et je suis ici dans le seul but de vous servir. » Les cavaliers arrivèrent dans un martèlement de sabots, de cris des écuyers et ceux de l’escorte armée rendue furieuse par l’agitation régnant sur place. Ma sœur Niniane jubilait, lorgnant du côté d’Eldreg. Les
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nouveaux arrivants chahutaient, s’administrant des bourrades amicales et se provoquaient. «De l’eau ! De l’eau fraîche pour les chevaux ! » Alerte je glissais entre les hommes empestant la sueur et le crottin ; des valeureux chevaliers prêts à séduire toute femme : vierge comme veuve, on pouvait voir l’effet produit par leur présence en observant la brochette de dames gloussant non loin des arrivants. L’eau du seau gicla sur ma robe. « Que fait ta sœur ? » Niniane me dévisagea de la tête aux pieds. A son regard chargé de morgue je sus qu’elle prenait sur soi pour ne pas paraître détestable. Je portais de l’eau à un magnifique alezan à la robe noire et à la crinière fournie. Flattant son encolure, je m’imaginai galopant dans de vertes prairies. « Mate un peu sur la gauche Eldreg ! Glissa un chevalier à la balafre coupant son œil. On va se régaler ici ! » Il parlait bien entendu de Niniane et d’Inna, bras-dessus, bras-dessous, parfaites dans leur rôle de courtisanes. Le dénommé Eldreg prit le temps de les examiner. Il devait les trouver à son goût puisqu’il se mit à sourire. Un bel homme aux traits nobles ; barbe de trois jours et belles boucles auburn vrillant sur sa tête. Niniane en parlait depuis des semaines et voilà que le rêve devenait enfin réalité. « Hey Malner ! Tout va bien ? Lança un autre chevalier à barbe et longs cheveux blonds empoignant ce dernier par le cou. On dirait que tu as vu une apparition…Ne sont-elles pas appétissantes celles-là ? Allez, fermes cette bouche et allons nous restaurer, nous l’avons bien mérité ! » Niniane et les autres jouvencelles en quête de grands frissons se donnèrent des coups dans les flancs et toujours en ricanant quittèrent la cour dans un même élan ; divines apparitions presque irréelles, flottant dans l’air telles des fées aux élytres nacrées. « Malner ! Tu nous suis ou bien tu prends racines ? » Railla Eldreg. Mon regard croisa celui de Malner. Prestement il détourna la tête et suivit les autres vers la salle d’armes.
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Plus tard ils ressortirent de joyeuse humeur et s’agrippant par le cou. En me voyant il cessa de rire. Baissant la tête je poursuivis mon chemin à grandes enjambées. Je me trouvais trop maigre et insipide, pas le genre de pucelles à attirer le regard vers moi. Dans les gradins Niniane me broya la main en voyant apparaître Eldreg suivit par trois de ses vassaux dont Malner. « Regardes comme il est beau ! (Elle pencha la tête en arrière pour s’adresser à Inna) On dirait que Malner en pince pour toi…il te dévore des yeux…Si je n’étais déjà engagée ailleurs, il est certain que j’aurai jeté mon dévolu sur cet homme ! Oh Dieu vivant!» La mêlée commença et dura deux bonnes heures. L’’hérault totalisait les points par équipe e celle d’Eldreg partait favorite. Les mêlées sont toujours synonymes de désordre, de chaos et de redoutables coups. Là on applaudit, on détourne les yeux ou bien on dissimule son émotion derrière le pan de son voile. On quitta le vaste terrain pour passer à travers la foire et ses milliers de bruits et odeurs. Ici les cracheurs des feu, là les prostituées offrant leurs gorgés aux manants et seigneurs ; les pieds dans le crottin et la bouse je marchais à distance de ma sœur talonnée par les nos gens en armes. Les épreuves allaient se poursuivre dans l’après midi et pour cette raison on mangea sous le dais : des potages, des anguilles, des lamproies, des hérons et des cygnes farcis, pâtés gigantesques et tartes aux fruits. Les convives s’agglutinaient autour des tables montées sur tréteaux. C’était bon et savoureux. On commentait la mêlée et les dames encore sous l’émotion du jeu se concentraient uniquement sur le jeu de leur famille. Nos vedettes arrivèrent sous les acclamations de tiers ; Niniane gloussait au milieu de ces mâles. Jamais elle ne manquait de compagnie et tous se précipitaient pour être présentée à Malner. Rassasiée je quittais le dais quand mon cousin Alon m’accrocha à la taille. « Comment va ma cousine adorée ? » La présence d’Alon rassurait ma mère
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n’ayant plus de fils à qui me confier, il jouait ce rôle de protecteur ; ma mère étant depuis longtemps dans un état second. Quant à mon père…j’en oubliais presque son apparence. «As-tu trouvé ton bonheur parmi ces chevaliers ? L’un deux pourrait représenter vos couleurs et il te suffirait de lui rendre ta manche pour que la renommée de ta famille soit sauve. Que dis-tu d’Enderil ? —Il s’est bien battu oui, mais nous avons cru le perdre quand Eldreg et ses hommes l’ont tenu en tenaille. En temps de guerre, il n’aurait pas survécu. —Et Amoril ? Il est connu pour ses brillants exploits de l’autre côté de la frontière. Il n’est pas à sousestimer, ma cousine. » Alon m’attrapa le bras pour poursuivre au milieu des gosses courant et passant à vive allure devant nous en agitant des bouts de bois en guise d’épée. « Hender pourrait également convenir, si son différend avec ton frère n’avait terni nos rapports. Andreg, Sermo et Molten sont de bons guerriers certes, mais trop prévisibles. Chacun de leurs coups sont anticipés par leur adversaire et ils manquent de pragmatisme. Lors de cette mêlée ils n’ont pu voir audelà du bout de leur nez. Si j’avais été à leur place, j’aurais opté pour une autre stratégie privilégiant la surprise par exemple. —Je sais que tu aurais fait mieux Nimue. Le tort est que tu sois née avec un sexe de femme. J’ai pensé quant à moi à Malner. —Pourquoi lui ? Questionnai-je vacillante sur mes jambes. Il est le vassal d’Eldreg et Niniane refusera ne lui trouvant nul intérêt ! Il ne le jugera pas assez noble même si son épée suffit à en dérouter plus d’un. Et puis il est arrogant, si sûr de lui que cela en est agaçant… » Soudain je me tus faisant face à Malner en personne. Lui me sonda et nerveuse au bras de mon cousin, je me crispai craignant qu’il ait entendu une partie de notre conversation, pour ne pas dire la plus inintéressante.
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« Tu t’es bien battu Alon et je tiens à saluer un valeureux guerrier, mon ami. » Il l’empoigna avec virilité pour l’embrasser ; pendant cette longue embrassade Malner continuait à me fixer. « J’aurai l’occasion de me battre contre toi dans un combat singulier et cela reste pour moi un honneur. —-C’est me flatter Malner, mon combat fut bien modeste comparé à tous ceux qui sont tombés sous ton épée. —Soit. Je le conçois mais les grandes victoires ne se conquièrent pas seulement par la victoire prise sur l’ennemi ; on peut également en apprécier l’opiniâtreté dont tu n’as pas manqué. —Alon…je m’en vais ! On se revoit plus tard. Si tu veux bien ! » Un rapide baiser sur sa joue et je filai donner à boire aux chevaux. Leur donner des soins m’enchantait, plus qu’un devoir je pouvais parler de plaisir au contact de leurs muscles, leur crinière et leur soyeuse robe. « Alors ! As-tu trouvé ton épée ? » En tournant la tête je découvris Trifin croquant avidement dans une pomme. « Oui mais j’ai fait une autre découverte, tout aussi intéressante. Quoi ? Pourquoi me fixes-tu ainsi ? Ai-je un bouton sur le nez ? Trifin tu es mon écuyer alors ne te montre pas trop insolent, tu sais que je n’aime pas ça. J’ai déjà Alon pour me fustiger. Et toi ? As-tu tiré profit de tes investigations ? —Pas vraiment non. Mais cela ne saurait tarder. J’ai des contacts ici et ce tournoi me permettra de me faire connaître auprès de ces chevaliers. J’ai des arguments pour Malner et tu pourrais opérer pour me faire connaitre de lui. —ben voyons ! Tu crois que je suis une sorcière pour lui jeter un sort pour qu’il s’intéresse à toi Trifin ? Laisses tomber cette idée. De toute façon je ne l’approcherai pas de sitôt. » Niniane m’envoya en mission : « Remis lui ce plis de ma part ! Allez, vas-y ! » Et je m’élançais entre cette marée humaine, grouillante et gesticulante ; une marée composées de jeunes seigneurs tous rutilants
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dans leur armure. Les tournois restaient pour eux la seule occasion de se distinguer auprès d’un parterre de femmes. Ils n’avaient qu’à se pencher pour les ramasser, toutes les cueillir et ensuite s’en gratifier. Rapide et alerte, je passais entre les écuyers et tendit la missive à Eldreg. Ce dernier me dévisagea de la tête aux pieds, de grandes boucles auburn descendraient en vrille sur sa peau laiteuse et un peu gêne par son gantelet saisit le pli. « De la part de ma sœur Niniane, répétais-je bêtement comme un môme répétant sa leçon sous l’oreille attentive du précepteur. « Qui donc ? » Il me fallait donc répéter après m’être pliée dans une seconde courbette. Interloqué lui se tourna vers un autre chevalier portant une selle sur son épaule. « Malner ! Est-ce que le prénom de Ninno t’évoque-t-il quelque chose ? » Je crus bien m’évanouir net en revoyant ce bel éphèbe aux allures d’Apollon. Il haussa les épaules en guise de réponse. La sueur ruissela sur mes tempes me semblait-il et m’agitant nerveusement j’aurai pu m’appuyer sur la mangeoire des chevaux pour me laisser aller à mon malaise. « Cette demoiselle veut que je défende ses couleurs. Et de quelle maison s’agit-il ? » « Celle des Highmore, parvins-je à déclarer la gorge sèche. —N’avez-vous point de champion pour vous représenter ? » Un champion, si mais il venait de mordre la poussière en un combat singulier ; or il restait encore de nombreux combats à…Le dénommé Malner, celui qui derrière son heaume faisait battre tous les cœurs des demoiselles s’approcha de moi pour me dévisser. Quand cela se produit dans votre vie vous avez le choix entre : disparaitre sous terre pour que l’on vous y oublie bien vite ou bien filer sans demander son reste. « Qu’en dis-tu Malner ? —Il faut voir ce qu’il te propose. L’offre est-elle alléchante ? » Eldreg me tendit le papier en grimaçant. Un écuyer me bouscula, s’en excusa bien vite et reprit sa route soulagé de n’avoir point causé de dommages
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à une belle dame. Peste soit Niniane ! La prochaine fois elle fera ses courses elle-même. Le héraut sonna le prochain combat et au loin un tonnerre d’applaudissement encouragea les vedettes. Eldreg repartit à sa monture, un magnifique bai labourant la terre de son lourd pied. Quant à ce Malner il sortit l’épée de son fourreau pour en étudier le fil. Il n’avait perdu aucun combat jusqu’à là et dans les tribunes, les filles se mordaient les lèvres pour ne pas s’évanouir d’aise en le voyant apparaître. Eldreg se passa le visage à grande eau et me regarda du coin de l’œil. Niniane n’aurait pas pu choisir plus piètre ambassadrice. « Tu diras à ta sœur de nous donner envie de défendre vos couleurs, hein ! » Et en revenant jusqu’à la tribune, le cœur battant à vive allure, l’accueil fut à la hauteur de mes exploits. « Et que lui as-tu répondu ? Il fallait lui promettre ce qu’il voulait ! Nimue, tu ne sers vraiment à rien. Et puis retourne le trouver et dis-lui que notre prix est le sien ! » En nage, je repartis donc dans l’autre sens, manquant les chevaliers commencer leur combat sans moi à les encourager. En arrivant sur place, force de constater qu’Eldreg n’était plus là. Fichtre ! Devais-je l’entendre ou retourner bredouille vers ma tyrannique ainée. Je vois déjà la scène qu’elle va me faire ; elle ne manque jamais de me houspiller en public. « Comment t’appelles-tu, sœur de Niniane des Highmore ? » Et là mon cœur s’arracha littéralement à ma poitrine. Malner se tenait derrière moi, ce Dieu venu sur terre pour troubler les femmes quelque soient leur condition et leur âge. « Nimue…mon seigneur. —C’est un bien joli prénom. As-tu soif Nimue ? Tu ne t’arrêtes pas de t’agiter en tout sens et si tu continues ainsi, il ne restera plus rien de toi avant la fin de la journée. Allez ! Viens te rafraichir ! » Docilement je me suivis jusqu’à la tente portant les armoiries de la famille Grevenhold, la sienne ; il revint avec une timbale d’argent et de l’eau glacée qui me figea dès la première gorgée. Lui me regardait du coin
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de l’œil constatant à quel point je ne savais pas boire correctement à une timbale d’argent. L’eau ruisselait le long de mon cou et ma gorge plate où jamais aucune poitrine n’apparaîtra. Maladroitement je lui remis le verre et lui resta coi. Dieu qu’il était beau ! Le soleil glissant sur ses boucles noires gonflées par le petit vent chaud apportant odeur de crottin, de cavaliers trempés par l’effort, celles plus aigres des écuyers et quand son odeur me parvint enfin je faillis défaillir. Comme toutes les autres je pourrais tuer pour avoir une chance de l’avoir à diner près de moi, le voir couper ma viande et me la tendre de la pointe de son coutelas. Ses narines frémirent et il expira profondément, les sourcils froncés et concentré sur son épreuve à venir. « Vous cherchez toujours un champion ? Je finis cette manche et la première sera pour vous si ta sœur n’y fait pas d’objections. On se voit plus tard d’accord et essayes un peu de profiter du spectacle ! » En entendant cela Niniane poussa un cri de joie venant me perforer les oreilles repris en chœur par Inna, Deirdre, Juna et toutes les autres vierges regroupées ici et là. Ma sœur à défaut du bel Edreg aurait les grâces de ce Malner. Puis ayant honte qu’on nous voit ensemble elle se tourne vers moi. « Non ! Ne restes pas là Nimué ! Rends-toi utile ailleurs. La violence de ces jeux pourrait avoir raison de ta sensibilité ! » Je passais donc le reste de la journée en compagnie des dames Levenez et Ilda puis on me chargea de veiller sur les enfants aidé par Trifin: Nonn, Solenn, Briz et Tririan ; aucun d’eux ne pouvaient me tolérer me trouvant trop rabat-joie et pas assez participative. Je ne devais pas revoir Niniane et sa cour de flagorneuses et de chevaliers avant le banquet de ce soir, l’occasion pour moi d’aider en cuisine où s’affairaient une vingtaine de marmitons, d’échansons, de cuisiniers et de bouchers. Le repas allait être démesuré comme tous les autres avant celui-ci.
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« Nimue, as-tu une seconde ? Alon me coupa la route, le regard fuyant et suintant par tous les pores car revenant des lices. « Mon instinct dit que le Seigneur Eldreg n’est pas insensible aux Highmore. Tu sais qu’il pourrait d’un simple signe de tête déposséder ton père de son titre et de ses terres s’il décidait de se montrer déplaisant. —Je ne comprends pas ce que tu dis. Pourquoi voudrait-il se montrer si déplaisant ? Niniane et moi le tolérons à sa juste valeur et… —C’est bien de cela que je parle. Il vous perçoit toutes deux comme de la monnaie d’échange et tu dois pouvoir interférer de façon à ce qu’Eldreg épouse ta soeur. Une fois mariée à cet homme, ta valeur sera plus grande et…avec Eldreg comme frère, tu ne seras jamais inquiétée. Elle doit l’épouser tu comprends ? —Mais pour quelles raisons m’écoutera-t-il plus que toi par exemple ? —Parce que je les ai entendus discuter Nimue. Ils discutaient au sujet de ton ainée et il est dans notre intérêt qu’Eldreg la voit à travers les yeux critiques d’une personne qui lui est chère. Je sais que ce n’est pas toujours évident avec Niniane mais Eldreg assurera ton avenir comme celui de tous les bâtards de ton père et Dieu sait s’il en a. —Et pourquoi devrais-je me soucier d’eux ? —Certains des bâtards de ton père sont issus des familles les plus influentes du royaume. Un large panel très représentatif des alliances que l’on peut établir d’un royaume à l’autre. Si une guerre venait à éclater il vaut mieux pour nous les voir joindre nos bannières. Tu arriveras, je ne me fais pas de souci pour toi. —Qu’est-ce qui te fait croire ça ? Je suis si incomprise d’un grand nombre. —Ce Malner te dévore des yeux. Ne l’as-tu donc pas remarqué ? Or Eldreg fait son jugement sur les remarques bonnes ou mauvaises de son compagnon d’armes qu’il considère comme son frère. Cette piste n’est pas à négliger. » A sept heures je montai me changer et en me voyant arriver Niniane piqua une soudaine colère.
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« Mais tu as vu dans quel état tu es ? On dirait une souillon ! J’espère pour nous que personne ne t’a vu. Peu importe, de toute façon personne ne te remarque jamais ! Tu rauras beau faire des efforts, tu resteras toujours la petite souillon que nous connaissons ! » Plus tard dans la grande salle, on se pressa pour féliciter les champions du jour et les belles dames richement vêtues accueillis ces hommes comme il se dut. Au son des busines, des flûtes à bec, des chalumeaux et des luths on chanta quelques ballades sous le brouhaha général. Les femmes gloussaient, les hommes s’enivraient et les gosses couraient au milieu des chiens. Dans mon coin je mangeai mon pain du bout des doigts en attendant l’arrivée des plats servis à la table d’honneur. Là-bas Niniane riait en glissant quelques regards ensorcelants du côté des jeunes seigneurs. En fait elle dévorait des yeux Eldreg, laissant Malner à Inna, cette autre jolie créature. Je levai mon nez de mon assiette quand mon regard croisa celui de Malner. Oh, mon Dieu…Eldreg lui glissa quelques mots à l’oreille, ce qui le fit rire aux éclats. Le lendemain aux aurores je partis panser les chevaux pour soulager un peu les palefreniers. Le seul moment de la journée où l’on pouvait être tranquille. Brossant la robe d’un alezan j’enviai le sort de Niniane plus enviable au mien ; personne jamais ne la comparait à une domestique parce qu’elle dégagea une sorte d’aura naturelle. « Bonjour Nimue… » La surprise me fit faire tomber l’étrille des mains et Malner s’approcha de moi, une fine balafre sur la joue ; rien de bien sérieux pour entacher sa beauté. « Comment te sens-tu aujourd’hui ? —Je vais bien ! Répondis-je en tremblant me hâtant de reprendre le contrôle des soins. Il souriait. Ses yeux souriaient illuminant son si parfait visage. Or n’avait-il pas festoyé toute la nuit avec les autres ? Les autres dormaient encore dans la grande salle, la main tenant la cruche de vin de peur que l’on la reprenne.
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« Tu n’as pas assisté aux combats hier. J’ai mis à terre quatre chevaliers sous vos couleurs comme convenu. Tu aurais du les voir, poursuivit-il en caressant l’encolure du cheval sans chercher à dissimuler son sourire. Toute leur arrogance mise au tapis. Peut-être es-tu réfractaire à la violence ? —Non…je sais me battre aussi. Le maître d’armes de mon père m’a enseigné quelques attaques à l’épée. —Vraiment ? Je serais curieux de voir cela. Tu pourrais me les montrer, tu penses ? Si tu n’as pas tout oublié, ceci dit. —Non. Pour que tu te marres ensuite…Tu ne seras malheureusement par le premier ni le dernier. —D’accord. Alors montres-moi et ensuite je verrai ce que je pourrais en faire! » Alors voilà comment je me retrouvais à me battre contre lui. D’abord c’’était un peu tendu mais on a finit par bien rire. Gentiment il me laissait me toucher et là dans cette écurie au milieu des chevaux il m’encourageait à passer à l’attaque. « Oui c’est bien, mais tu pourrais mieux encore. Je pourrais te montrer quelques coups si tu veux ? Tes bottes qui te rendront invincible. —Mais je suis invincible ! » Je revins à la charge et il para mon coup, en dégageant le bâton je vins à me faire mal. « Est-ce que ça va ? C’est moi ? Je te demande pardon… » Il attrapa ma main pour la serrer dans les siennes. Je crois que…quelque chose est entrain de naître entre nous, ou du moins dans mon cœur. Il est le premier à me regarder, à me voir et son brûlant regard trahi ses pensées les plus intimes. « Je vais bien. —Oui pardon. Dis-moi est-ce l’une de tes bottes secrètes pour avoir l’avantage sur l’ennemi ? Nimue… on pourrait, si tu veux bien…. Euh…marcher sur la plage. Non laisses tomber, je…je m’emballe un peu trop. Veux-tu bien m’excuser. » Il allait s’en aller alors pour le retenir j’ai accepté son invitation. Une heure plus tard on se retrouva sur
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la plage. J’étais très nerveuse et vous comprenez pour quelle raison. Nous enfreignions toutes les règles de bienséances ; on ne se connaissait pas et j’acceptais de suivre ce seigneur sur la plage en compagnie de son écuyer. Le cœur battant à rompre il me semblait avoir gagné en âge, en maturité ; il me semblait possible d’aimer cet homme qui m’ouvrait son cœur. « J’ai croisé ta sœur qui réclamait après toi et je lui ai dit que si je te voyais je lui ferais part de son mal être. Possible qu’elle cherche un messager pour porter ses missives à Eldreg ! —Ah, ah ! Oui c’est ça. J’espère qu’elle s’en remettra. C’est une très mauvaise idée que j’ai eu de te proposer de se retrouver ici. On passe presque pour des amants. —Et cela te contrarie Nimue ? —Alors la douleur que tu m’as infligée toute à l’heure, j’aurais tort de te faire confiance. —Mais tu pourrais ne pas avoir à le regretter, ajouta-t-il en descendant la dune tout en me tendant une main. As-tu oublié que je suis le champion de ta famille et qu’à ce titre ton père me doit deux chevaux de selle et trois destriers ? » Le vent gonfla mes cheveux et ma robe et le doux ressac de la mer m’apaisa complètement. Là j’ôtai mes souliers pour progresser dans le sable froid et fin. Malner m’a dit : « Viens avec moi sur la page ! » Comme il aurait pu dire : Si tu veux te dégourdir les jambes, je suis ton homme. Pensait-il que je m’ennuyais ? Du lever au coucher du soleil, j’errai telle une âme en peine. En me voyant les autres pouvaient se dire que je n’avais nulle raison d’être ici à attendre que les choses se passent dans un immuable rythme ponctuée par les activités des hommes. Ma sœur Niniane me disait : « Comment peux-tu t’ennuyer ici ? Il y a tant de choses à faire ? » Elle brossa ce matin mes longs cheveux noirs pour ensuite les relever en une couronne serrée sur le dessus de ma tête. Puis elle brandit le miroir sous mon nez. « Alors que vas-tu faire aujourd’hui ? Trainer du côté des écuries ?
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—Je ne sais pas…Malner m’a proposé d’aller avec lui sur la place ». Et là, elle suspendit son geste comme si on venait de lui annoncer l’approche d’une comète. Assise sur le rebord de la table, elle m’interrogea du regard, le sourcil en pointe. Une expression qui lui était familière quand quelque chose la troublait. « Malner t’a proposé de l’accompagner ? Malner ? C’est marrant, il ne m’en a pas parlé. Et il a demandé à ce que je t’accompagne ? Parce que tu sais que ce matin je ne peux pas. Et que ferez-vous sur la plage ? » Son beau regard vert me sonda, incrédule et malicieuse à souhait. « Je suppose qu’on va marcher et ramasser des coquillages. —Ramasser des coquillages ? Ah, ah ? Tu n’es qu’une petite fille naïve, ma chérie. Si Malner te demande de l’accompagner c’est uniquement pour te poser des questions sur Inna. Lui et elle, c’est…la suite logique que l’on attend d’un beau gentilhomme et d’une riche héritière. Il va vouloir en savoir plus sur elle, croit moi et il sait que tu causeras. Tu le fais toujours pour des sujets qui ne te conservent pas. Tu me raconteras n’est-ce pas ? Cela sera notre petit secret. » La plage se découpait le long du rivage jalonné de dunes clairsemées et piquée de chardon, d’ajoncs et d’algues envoyées par le vent du large ; au-dessus de notre tête planaient quelques mouettes pressées de voir la mer se retirer pour gratter le sable mouillée de leur petites pattes ; certaines avaient la technique pour faire sortir les vers marins : elles martelaient les petites flaques d’eau salée pour en faire sortir leur pitance. Un ballet aérien d’ailes et de cris plaintifs. L’eau était froide et vous mordait la peau, les vagues se brisaient contre vos chevilles poussant vers vous petits crustacés, algues arrachées aux rochers ; le doux ressac vous apaisait, doux murmure incessant. Au loin le timide soleil crevait les nuages et venait caresser la surface plane du large sur laquelle quelques pêcheurs remontaient leur filet.
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En tournant la tête, je vis Malner assis à l’abri contre cette dune, perdu dans ses contemplations de la nature. Toujours rien au sujet d’Inna, laissée là-bas au fort niché sur ce bras de mer et scintillant comme un bloc de sel. Comme l’avait souligné ma sœur, Malner la convoitait et il fallait être aveugle pour ne pas l’avoir remarqué : il l’observait à la dérobée, rougissait en sa présence et il était naturel qu’il s’intéressa à la belle demoiselle. Je m’agenouillai près de lui en plongeant mes mains dans le sable frais, glissant entre mes doigts. « A quoi penses-tu ? —A rien, répondit-il avec froideur. —On pense toujours à quelque chose mais si on pense qu’il n’est pas important de le mentionner à vive voix. Moi je m’imaginais être une nymphe de l’eau, une naïade. Tu connais ? ce sont des êtres féeriques issue de la mythologie grecque. Contrairement à ce qu’on pense, elles ne sont pas immortelles et restent vulnérables comme toutes les autres créatures humaines faites de chair et de sang. J’ai toujours aimé entendre les récits des Dieux des temps anciens bien que se soit mal vu d’orienter sa pensée vers ces autres croyances. Je t’ennuie peut-être ? —Non. Tu peux continuer à me parler de tes Dieux. Personne ici ne refreinera tes propos. Cela change de l’enseignement de notre Eglise. Parles-moi de tes nymphes. » Etrangement je n’eus plus envie de poursuivre. Ses yeux fuyants se posèrent sur moi ; jamais encore il ne m’avait autant parlé. D’habitude il ne s’en tenait qu’au strict minimum. J’enfouis mes pieds sous le sable puis les recouvrit, les genoux sous le menton, une grande mèche de cheveux caressant le sol. « Tu ne veux plus m’en parler ? —Est-il vrai que…que tu vas épouser Inna ? Tu peux tout me dire tu sais. —C’est Niniane qui te le demande ? Et pourquoi veut-elle me voir marié à Inna ? Lui ai-je fait part de mes sentiments à son égard ?
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—Non mais…tout le monde pense que tu l’apprécies assez pour lui faire la cour. Et bien tu n’arrêtes pas de la regarder. Il n’y a pas de honte à… » Il s’allongea sur le flanc gauche. « Et toi ? Tu veux te marier ? Partir dans les bras du premier venu qui posera le regard sur toi ? » Les larmes me montèrent aux yeux et la gorge nouée je détournai la tête. Ce jour viendrait où ma mère me donnera à un homme et je ne pourrais me déjouer de ses plans matrimoniaux. « Nimue ? Regardes moi…je te demande pardon. Je ne voulais pas te heurter, je voulais seulement souligner l’absurdité de tes propos. J’ignorai tout de lui et en même temps il me semblait le connaître. Son doux regard bordé de longs cils noirs me dévisagea et j’osai sourire. « Alors Nimue, acceptes-tu de me faire confiance ? Je pourrais en vouloir à ta vertu, te tromper et feindre avoir eu tout rapport amical avec toi, ma belle. Ton père laverait cet affront par les armes ou par un mariage. —Ah, ah ! —On dirait que mes propos t’amusent. As-tu un soupirant contre qui j’aurais à répondre de mes actes ? —Non ». Mon regard scruta l’horizon. Un timide soleil apparaissait ; les mouettes planaient et tournoyaient au-dessus des roches cherchant où se poser pour déjeuner des restes des fruits de la mer. Laissant nos chevaux à l’écuyer, nous descendîmes jusqu’au liseret d’écume et les pieds dans les algues je laissais les vagues froides me lécher les orteils. « Donc tu n’as pas de prétendants, tu es libre. —Oui. Pas toi ? Questionnai-je sans oser le regarder. Toutes les femelles se précipitaient à sa suite, cherchant toutes à capter son regard ; je ne pouvais croire qu’il soit libre de tout engagement. « Pour dire vrai Eldreg et moi avons pas mal bourlingué. Nous avons fait deux campagnes avec les armées du roi et Eldreg est ici pour trouver une fiancée mais apparemment aucune ne retient son
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attention. Quant à moi je suis ouvert à toutes propositions. » Notre regard de nouveau se croisa. Je sortis de l’eau pour remonter vers lui, tenant serrée ma robe. « Et puis il y a ma sœur. —Je doute qu’il veuille l’épouser. Je connais ses goûts en matière de femmes et Niniane est impulsive. —Mais elle est bien dotée ! —Alors c’est mal connaître Eldreg. Sa famille a plus d’argent qu’il en vaudrait pour partir en guerre demain. Quelque soit la date de sa promise, Eldreg attend plus d’une union. —Je ne sais pas que dire. Niniane est ma sœur et elle a des qualités qui ne laisseront pas ton ami insensible longtemps. —Parles-moi de toi. » Froidement je le dévisageai ramassant un bout de bois posé sur le rivage. « Je ne veux pas me marier ! Niniane aime Eldreg et cela ne remonte pas à aujourd’hui. Si elle prend les devants c’est bien parce qu’elle n’est pas insensible aux charmes de ton ami. —Qu’est-ce que tu aimes ? Parles-moi un peu de toi s’il te plait. Je veux davantage te connaître. Est-ce que mes questions te troublent ? —Un peu oui. —Alors je ne t’importunerais plus. Tu veux qu’on nage un peu ? » On sauta du petit rocher et la mer nous happa. D’un battement furieux de pieds je remontais crever la surface de l’eau quand Malner attrapa mon visage entre ses mains. « Tu vois ce n’était pas si sorcier ! —L’eau est gelée. Regardes comme je tremble. Je grelotte. —et bien nage si tu ne veux pas finir en glaçon ! Viens sur mon dos, on va contourner le bloc de rocher pour atteindre cette autre plage. Comment te sens-tu à présent ? —Comme une grenouille. Je vais bientôt avoir les pieds palmés. » Et sur la plage le soleil caressa nos peaux humides et salées. Combien de temps étions-nous restés dans
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l’eau ? Nul ne put répondre et repu de fatigue, nous restâmes silencieux, appréciant cet instant comme si de toute notre vie nous avions connu pareille extase. Le bras tendu vers le soleil j’utilisais ma main comme d’une ombrelle et je vins à sursauter quand Malner joignit sa main à la mienne. « Pourquoi te cacher derrière le soleil ? Il te rend si lumineuse. A moins que tu finisses à toi-même ? Viens par-là… » Il m’attira contre son torse nu recouvert de multiples ecchymoses et la tête posée sur son bras j’humai l’odeur de son aisselle. Pour moi que cela les femmes autour de moi tombaient amoureuses et les yeux plongés dans celui de notre champion je me sentis me consumer de l’intérieur et plus encore au moment où ses lèvres se posèrent sur mon front. «Tu en épouseras une autre. Tu veux seulement t’amuser avec moi. Je connais les hommes et une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils veulent ils s’en retournent à leurs premiers amours. Mon père a de nombreuses maîtresses, tant qu’il pourrait repeupler certains villages décimés par les armées du roi. —Crois-tu vraiment que je veuille m’amuser avec toi ? —Est-ce un pari entre Eldreg et toi ? Avant-hier tu ignorais jusqu’à mon existence et il a fallu un pli de Niniane pour que tu te mettes à me trouver importante. Les filles comme moi n’attirent pas les hommes comme toi. —Et pourquoi Nimue ? » Il se redressa pour mieux me défigurer. Curieusement je me tenais prête à le défier, braver son jeu de séduction, ses belles manières et le renvoyer d’où il venait. « Et c’est quoi une fille comme toi ? Expliques moi Nimue ! —Tu sais bien de quoi je fais allusion. Une fille un peu naïve et sotte, pas assez jolie pour qu’on la regarde mais juste bonne à assouvir quelques fantasmes d’hommes. —Alors on arrête là Nimue ! Je vais te ramener au fort et on en restera là ! » Debout il chercha des yeux son écuyer. Sa demi-nudité ne m’effraya pas, bien au
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contraire ; j’imaginais sans difficulté les femmes avec qui il avait passé quelques nuits de passion s’agripper à ses épaules et le chevaucher jusqu’à plus soif. Pour me donner de la contenance, je croisai les bras sur ma poitrine aux petits seins ronds et fermes qu’il découvrait transperçant le linge humide. « Je vais te ramener avant que tu t’imagines des choses. Toi et moi on en restera là. J’aurais seulement voulu que tu me fasses confiance mais pour une fois j’aurais du m’écouter. Je voulais…je voulais te connaître et partager avec toi bien plus que je ne l’aurai fait avec une autre ! —Partager quoi ? Des caresses et des câlins ? Et ensuite ? —je…je n’ai pas connu de femme ! Tu aurais l’unique à qui j’aurais tout donné, mais à croire que je ne sois fait que pour me battre et tuer ! » Les larmes bordaient ses beaux yeux et je fus saisi de colère contre moi. J’avais tout gâché. Absolument tout ! Arrivée au Fort Niniane me héla ; impossible de m’arrêter tellement la honte me recouvrait. Dans la salle des ablutions, je me rinçai de la tête aux pieds. Sale tronche que j’avais là. Un visage terne, une boue boudeuse aux lèvres trop pleine et ces grands yeux inexpressifs. Comment pouvait-il me trouver attirante ? J’étais moche et pathétique. A l’ombre du muret je surveillai du coin de l’œil Briz et Trifin jetant des pierres aux cygnes. Ce jour-là il n’y aurait pas de sanction à tomber. Trois jeunes seigneurs descendirent l’escalier dont parmi eux Eldreg qui quand il me vit encouragea ses compagnons à poursuivre sans lui. « On dirait que votre famille a trouvé son champion. Je peux m’assoir ? Malner est parti s’entrainer et il est certain qu’il fera un carnage toute à l’heure en lice. Grand nombre mordra la poussière toute à l’heure ? N’assistes-tu pas aux jeux ? —Je m’épargne cette peine. Je n’aurai pas assez de souffle pour encourager notre champion. D’autres s’en chargeront à ma place, répondis-je avec dédain sans
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le regarder. Il a assez de flagorneurs autour de lui pour lui chanter ses louanges. —Tu as une façon bien particulière de voir la chose. J’espère que tu n’es pas fâchée par rapport à mon refus de la veille ? Tu vois je…. —Tu es libre de faire ce que tu veux. Je n’en ai cure. Je ne fais que te délivrer un message et il serait sage d’en rester là. —Sage ? Et pourquoi donc ? » Il fronçait les sourcils. A dire vrai il était très beau ; lui préférant la beauté ténébreuse de Malner. Ses yeux verts glissèrent le long de mon visage et s’arrêta sur mes lèvres. « Personne n’aime les messagers alors si tu as quelque chose à dire en particulier à Niniane à toi de la quérir pour le lui exprimer à voix haute. —Et qu’aurais-je à lui dire en particulier ? —Que tu ne comptes pas lui faire la cour cela lui évitera une peine d’amour. Elle serait capable de m’en tenir rigueur. —Tu es toujours aussi directe avec tout le monde ou bien est-ce ma tête qui ne te revienne pas ? J’apprécie la franchise mais là j’avoue tomber des nues. Bon et bien je n’attendrais pas de toi des encouragements, ironisa ce dernier en se levant. Navré d’avoir causé tant d’affliction au sein de votre famille. » Il pouvait bien s’excuser, c’était la moindre des choses. Les filles assistaient à l’entraînement musclé des chevaliers et de leur maître d’armes et entre leurs gloussements et leurs halètements il devenait insupportable de les côtoyer. Ma sœur dans les bras d’Inna poussait des OH ! Et des Ah ! il fallait la voir trépigner de joie quand il mettait l’un de ses compagnons d’armes à terre. Elle jappa en frappant des mains, pensant rendre jaloux Eldreg par son attitude. Indifférent il se battait à deux dagues faisant tournoyer dans un sens et dans l’autre ses armes de prédilection.
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« Que fais-tu là Nimue ? Tu ne devrais pas être avec les petits ? —Mère veut que tu ailles la voir. Elle dit que cela ne prendra pas beaucoup de ton temps. » Niniane monta l’escalier quatre-à-quatre et moi derrière elle. Ma mère nous passa toutes deux un savon, Niniane pour se donner trop en spectacle et moi pour me comporter comme une soubrette. En fin de journée je croisais Malner dans le couloir et mon cœur s’emballa. Il fit quelques mètres avant de revenir sur ses pas. « Nimué ? » Prestement je me retournais courant presque vers lui, l’œil brillant et des plus fébriles. « Comment s’est passée ta journée ? —Bien ! Enfin non…J’ai passé une mauvaise journée. —Moi aussi. » A la lueur du jour faiblissant il se mit sous le vitrail. A l’extérieur les gagnants du jour chahutaient, s’apostrophaient et riaient à gorge déployée. Que faisait-il dans cette aile du châtelet ? Pourquoi n’était-il avec les autres ? « Tu n’étais pas près de ta sœur dans les gradins. Pourquoi ? —Niniane ne tient pas à ce que je reste près d’elle. On a eu un différend il y a quelques jours de cela. Une dispute qui a mis à mal notre fraternel amour et depuis c’est difficile. J’aimerai que cela s’arrange, mais… » Il baisa mon front et j’en frémis, puis il caressa tendrement ma joue. « Continues…parles-moi de la petite fille que tu étais. —J’étais espiègle. Mes frères et moi on a fait les quatre-cent coups. Mon père ne me punissait jamais parce que je passais toujours entre les mailles du filet. On a eu des jours heureux avant que la fièvre, la guerre et la maladie me les enlève. Mon père n’a pas supporté leur perte alors il s’est mis à abandonné notre foyer. Ma mère lui reproche encore sa conduite. Voilà pour l’essentiel. » Il enserra ma nuque et baisa de nouveau mon front. « Tu occupes toutes mes pensées Nimue.
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J’aimerai te dédier toutes mes victoires. Si je remporte ce tournoi je te remettrais la couronne et… —Non, je n’ai rien fait pour mériter cela. » Des bruits attirent notre attention. On montait par l’escalier et bientôt sur le palier apparut Eldreg et deux autres chevaliers ayant fière allure. « Ah ! Tu es là Malner ! On t’a bien vu partir mais nous ignorions pour quelle raison. Viens, te joindre à nous si tu veux bien. La solitude te sied mal, toi qui aujourd’hui à tant de chose à célébrer. —Oui je disais justement à Nimue qu’elle avait manqué ma victoire et je la priais d’assister aux autres à venir. —C’est cause perdue mon frère ! Nimue ne s’intéresse guère à nos exercices. Allez, viens ! » Dans la grande salle, le brouhaha fut tel qu’on ne pouvait s’adresser à son voisin sans lui crier dans les oreilles. Les bouffons faisaient leurs numéros devant les grandes cheminées sur lesquelles rôtissaient des cochons, moutons et bœuf. Des danseuses s’exhibèrent faiblement vêtues et agitant leurs bras vers les chevaliers grisés par l’alcool. Il y en avait pour tout le monde, entre les jongleurs, les cracheurs de feu et le dresseur d’ours ; les faucons et le charmeur de serpents. Eldreg secoua Malner par l’épaule et l’encourageait à regarder du côté des danseuses plutôt que vers la porte de sortie. Niniane gloussait en chuchotant à l’oreille d’Inna contre qui elle se disputait le titre de plus jolies demoiselles de l’assemblée. Ses cheveux blonds ressemblaient à une rivière d’or et plus jolie que jamais, elle battait ses longs cils en fixant Eldreg sans pudeur. Mon cousin Alon s’assit en face de moi à la place vacante laissée par Trifin. « Ta sœur est très en beauté ce soir. —Pas plus que d’habitude. Seulement tu ne sais pas la regarder, trop occupé à plaire à tes Seigneurs ! » Il me lança un regard noir, porta son verre à ses lèvres et ses petits yeux de vipère partir sonder l’assemblée. « Le prince Gorwald Omeryl de la maison Mills est ici.
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—Je l’ai remarqué. Lui et sa cour prenne beaucoup de place » Notai-je. Il se tenait sur le dais d’honneur près de sa maîtresse richement vêtue à la poitrine dégagée. Ce dernier très lumineux ne passait pas inaperçu car plutôt bel homme je dois dire : teint hâlé, nez busqué et collier de poil encadrant son visage ovale aux traits nobles. Le verre à la main il lorgnait du côté de la table d’Eldreg où siégeai Niniane. « Dans peu de temps il sera roi d’un vaste empire et on le dit très riche. —Alors je trouve cela étrange que tu ne sois pas à lui lécher le cul ! Je sais qui il est Alon et qu’est-ce que cela peut bien me faire ? Il ne sera pas en reste de courtisanes ici. » Un franc sourire apparut sur les lèvres d’Alon. « Ne sois pas si cynique il pourrait te surprendre dans ses choix. —Je suppose oui. C’est ce que nous verrons quand il se sera délaissé de sa maîtresse. » Alon s’en alla pour sournoisement s’approcher de la table d’honneur. Le prince le prit à parti ; ils discutèrent longuement et en suivant leur regard, je compris qu’il convoitait mon aînée. Niniane se doutait de quelque chose et se mit à rougir, gonflant la poitrine pour se donner plus de prestance. Niniane ne laissait jamais personne indifférent, encore moins un prince de sang. Trifin réapparut des plus joyeux. « Eldreg et les autres chevaliers vont sur la plage. Une veillée aux flambeaux et Malner m’a demandé de les suivre. Tu viendras ? » Tard dans la nuit, les plus courageux se rendirent sur la plage à la lueur des flambeaux. Niniane me réveilla dans la nuit pour me raconter le succès de cette nuit sans précédente. Eldreg avait engagé la conversation avec ma sœur, ce qui la remettait sur son piédestal. « Te rends-tu comptes Nimue ? S’il remporte le tournoi demain contre Malner, il m’offrira la couronne ! C’est un immense honneur qu’il me fera et je ne vais pas pouvoir fermer l’œil de la nuit ! C’est dément ce qui m’arrive là ! »
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Et sous mes draps je tentais de prendre un air joyeux sans y parvenir. « Aides-moi à me déshabiller que je te raconte en détail ! Malner était là aussi et quand il a appris qu’Eldreg me remettrait la couronne, il l’a dit offrir la sienne à Inna s’il venait à gagner. A Inna ! Tu peux croire ça Nimue ! Pourquoi fais-tu cette tête ? Croyais-tu qu’il passerait à côté d’une aussi jolie femme qu’Inna ? Si tu avais renoncé à fricoter avec les canassons, il t’aurait peut-être remarqué mais navrée de te dire que tu n’es pas à son goût. Non ! Laisse mes cheveux ! Demain je les laverais, pas utile de s’en occuper ce soir ! Oh Nimue chérie, je suis folle de joie ! Insista-t-elle en me serrant dans ses bras. Je veux que tu portes ma robe verte ! Elle te plait non ? Alors tu la mettras et pour l’occasion je t’aiderais à te coiffer ! » Je passai la matinée à l’apprêter, ni l’une ni l’autre avions dormi ; elle particulièrement excitée et moi effondrée par ce retournement de situation. Et avant le tournoi opposant Malner à Eldreg, je suivis Eldreg jusqu’à leurs tentes respectives. Niniane oublia son champion de la veille pour se consacrer uniquement à Eldreg et Malner assis sur son banc occupé à attaché les lanières de son armure me cherchait des yeux. Je le laissais à Inna pour retourner bien vite dans les gradins où l’ambiance se trouvait être à son paroxysme. Le combat commença et après vingt minutes de lutte effrénée, Eldreg fut victorieux. En transe Niniane m’embrassa avant de se ruer contre la balustrade et recevoir de la lance de son Eldreg la fameuse couronne de fleurs. Il porta Niniane en triomphe sur le devant de sa selle et je lui enviais ce bonheur. Trifin me fit tout un commentaire sur le jeu de Malner. Il s’enflammait seul, la main posée à plat sur sa cuisse. « Hey, je te parle Nimue ! Pourquoi ne dis-tu rien ? Nimue ? —Oui je…j’ai trouvé le tournoi intéressant. Je suis certes moins passionné que toi pour ce qui est du choix des armures et des armes mais je dois dire que
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le spectacle est à la hauteur de nos attentes. Cependant je déplore le choix de Niniane à choisir Eldreg comme champion. Il n’est en rien l’égal de Malner : plus lent et plus sur la défensive. On ne peut pas dire que son jeu soit particulièrement innovant. —Tu trouves ? Moi je dirais que si je venais à me trouver en face de lui il me faudrait inventer une botte secrète pour parer à ses attaques surprises. Tu n’as pas vu comment il a mis Ashoril hors-jeu ? D’un simple coup d’estoc ! Je ne peux croire que tu campes sur tes positions. —Trifin quand je voudrais savoir de quel côté souffle le vent, je te ferais appeler ! » Vexé il s’en alla rejoindre les autres écuyers. De nouveau seule je méditais sur mon sort quand j’entendis murmurer derrière moi. « Elle est délicieuse n’est-ce pas ? On dirait qu’elle te plait. Tu n’as pas arrêté de lorgner de son côté… » Une voix de femme des plus cristalline. « Alors si tu me donnes ta bénédiction… » Le Prince Gorwald allait monter à l’assaut de Niniane s’en revenant éperdue de bonheur vers la tribune. Chemin faisant elle s’arrêta discuter avec des courtisanes la félicitant de son choix. « Ce fut un beau tournoi n’est-ce pas ? » Gorwald se trouvait être sur ma gauche ; cette rencontre me paralysa d’effroi. « Oui assurément, bafouillai-je en cherchant du regard Niniae laissée quelque part entre ce banc et le reste des gradins. —On ne vous voit guère dans ce public, pourquoi ? Seriez-vous sensible à la vue du sang ? —Non, c’est que je… » Contre toute attente il s’assit sur ma droite, à la place laissée par ma sœur. Mon cœur battait si fort qu’il menaçait d’éclater ; je pouvais être sûre que tous les regards convergèrent vers nous. Intimidée, je ne parvenais à le regarder, priant pour qu’on vienne me délivrer de cette présence on ne peut plus oppressante. « Vous êtes une petite Highmore n’est-ce pas ? La cadette de la très affriolante Niniane et…
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—Elle ne saurait tarder ! Coupai-je froidement serrant le pli de ma robe entre mes doigts mais cette dernière s’assit près de la mère du Seigneur Tibalt. —On dirait que je vous intimide. Vous n’avez aucune raison d’avoir peur de moi Nimue. Oui je connais votre prénom et je suis offensée que l’on ne m’ait pas présenté à vous. Regardez moi… » Notre regard rentra en contact l’un de l’autre. « Oui c’est fort préjudiciable, murmura-t-il en se penchant à mon oreille, les autres courtisanes n’ont pas vos yeux. On dirait d’eux qu’ils sont violets. Deux petites pierres précieuses. Ah, ah ! Vous fais-je peur à ce point ? Regardez-moi ma chérie…voilà qui est mieux. Je m’étonne qu’aucun homme de cette assemblée n’ait jeté son dévolu sur vous, vous êtes… très jolie. (Il se rapprocha davantage de moi) Il me faudra me montrer courtois afin de ne pas vous effrayer. On dit que vous aimez les chevaux ? Cessez donc de regarder sur votre gauche, votre sœur ne pourra pas répondre à votre place. J’ai de beaux étalons qui manquent un peu d’exercice et je serais honoré que vous les montiez. Ils sont à vous. —Je suis flattée mais…j’ai assez avec les miens. » Il se recula pour mieux ma jauger. « Je l’entends bien oui mais mes écuries dites royales sont connues du monde entier pour l’excellence qu’elles apportent et j’ai toujours été favorable aux croisements de races, celles des Highmore et celles des Onerils. Qu’en ditesvous ? —Nos chevaux sont des chevaux de selle, non des destriers. —Mais avouez que ce mélange pourrait surprendre. Ce croisement serait à coup sûr apprécie de tous. Une race noble et vigoureuse, le fleuron de ce royaume. Et vous y trouverez votre compte ma chérie. Je suis intimement convaincu que votre père le premier approuvera cette union. Personne n’aurait à médire sur mon choix. —Monseigneur je… » Impossible de trouver mes mots. Niniane se leva enfin et sourit, flattée que le Prince vienne se renseigner quant à sa disponibilité.
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« Lady Niniane ! Nous parlons de chevaux et votre charmante sœur émet des objections quant à un possible croisement entre deux races. Etes-vous également de son avis ? —Ah, ah ! Si vous avez besoin d’un palefrenier, prenez-la, elle est tout à vous ! Elle en connait bien plus sur les équidés que sur toute espèce animale, végétale ou humaine ! —Je prends bonne note, Lady Niniane. A présent je dois vous laisser cogiter sur l’avènement d’une nouvelle race noble et pure dans tous les sens du terme. Lady Nimue se fut un plaisir, déclara ce dernier en portant ma main à ses lèvres, un plaisir qui je l’espère aboutira à une fructueyse collaboration. » Enfermée dans ma chambre je m’en voulais d’avoir été si stupide, naïve et sotte au point de me laisser berner de la sorte concernant Malner. On frappa à la porte ; grande fut ma surprise d’y trouver Eldreg. « Nous partons dans deux jours et…il est vrai que cette semaine aura été brève certes mais forte plaisante sur le plan relationnel. Euh, je voulais que tu saches que…Malner est…enfin, il aimerait passer plus de temps avec toi. Tu vois je me retrouve à jouer moi aussi les messagers. Comme je te l’ai dis-nous partons prochainement, alors…il faudra me supporter comme chaperon. Acceptes-tu ? —Si j’accepte ? » Je n’étais qu’une jeune damoiselle de dix-sept printemps alors imaginez un peu le choc émotionnel que sa requête suscitait. Je vous laisse imaginer car le reste de la matinée fut pour moi les prémisses du paradis terrestre notamment quand tous deux m’attendirent pour une ballade à cheval aux yeux et à la barde de tous les invités seigneurs, barons, dames et damoiselles. Malner m’aida à me hisser sur ma selle et ses yeux brillaient autant que les miens. Oui j’étais sur un petit nuage. Quitter le fort fortifié par deux imposants murs d’enceinte flanqué de quatorze tourelles pour gagner la route principale fut pour moi le symbole d’un nouvel élan dans mon existence jusqu’à maintenant vide et
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sans intérêt. Sur notre flanc droit la mer s’étendait à perte de vue et au-delà de la route se discernait le bois et la grande cité de Talerme d’où la cheminée des foyers montaient haut dans le ciel. Malner me dévorait des yeux, le soleil caressant sa peau d’albâtre et donnant du relief à ses boucles ; certes moins disciplinées que celles de son ami mais de belles boucles que je devinais être soyeuses et sous la main. « J’ai été heureux de te voir hier dans la tribune. Tu resplendissais. N’aies crainte, poursuivit-il en se penchant vers moi, Eldreg est sourd. Un mauvais coup porté à son oreille lui aurait fait perdre l’ouïe. Il s’en remettra peut-être jamais. —Est-ce vrai ? » Il me répondit par un clin d’œil. Il devait se régaler de ma naïveté. Eldreg marchait cinq mètres derrière nous suivit par les écuyers. Je me disais qu’il aurait pu emmener Niniane pour se sentir moins seul car aussi longtemps que durerait la ballade, il se morfondrait dans son coin en me voyant comme celle qui lui arrachait la compagnie de Malner. Or demain il partirait et cette pensée me déchira le cœur. Pourrais-je survivre à son absence ? « Je vais te faire découvrir un endroit que j’apprécie tout particulièrement. Là-bas je t’apprendrais la fameuse botte secrète qui mettra à terre des rivaux. » Après une heure de folle chevauchée on arriva au point d’eau ; une sorte de cascade offrant une source d’une incomparable clarté et les pieds dans l’eau je ramassais de petites fleurs bleues poussant sur le bord de ce point d’eau. Dans cette petite clairière, au pied de cette chute je laissais divaguer mon esprit. Et si tout cela n’était qu’un rêve ? Discrètement je me pinçai mais la réalité me fit rougir la peau. L’odeur de la forêt emplit mes narines et le chant heureux des oiseaux me remplirent de grâce. Assise entre les deux hommes, il se passa un court silence et nerveuse j’ôtai les feuilles de mes fleurs sans oser regarder Malner, plongé dans ses contemplations.
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« Je vais faire un tour, lança Eldreg quittant sa place, ne vous souciez plus de moi et n’hésitez pas à crier si la solitude devient trop pesante. » Une fois seuls, Malner posa sa tête sur ma cuisse et timidement ma main entra en contact de ses cheveux. Un grand moment de bonheur. « La première fois que je t’ai vue j’ai pensé que mon esprit me jouait des tours. —J’ai du te paraître ridicule avec ce pli à la main ? Je n’étais pas tout à fait dans mon élément. Niniane me chargeait d’un message mais je me serais bien passée de le faire. —Non ! Je ne parle pas de cette rencontre. » Alors il se redressa pour mieux me regarder et l’intensité de son regard me fit détourner les yeux. . « Gracieuse petite naïade aux longs cheveux noirs, murmura Malner en posant son front contre ma joue avant que ses lèvres pleines se posent à la commissure des miennes. Non, sois sans crainte, je ne te ferais rien qui puisse t’effrayer. Je te respecte trop et j’ai pour toi beaucoup d’affection. Je respecte ta pudeur. —Ce que tu m’as dit sur la place, est-ce vrai ? N’astu jamais aimé ? N’as-tu jamais connu de femme ? —Non c’est un domaine qui m’est inconnu. J’ai eu des occasions de le faire mais…je t’attendais Nimue. Je savais que tu viendrais. Il m’a seulement fallu t’attendre. » Couché sur le flanc il me regardait tresser des fleurs entre elles ; je faisais cela pour m’occuper les mains. Dans deux jours il ne sera plus là pour me distraire. Il me fallait par conséquent en profiter sans pour autant y parvenir, tourmentée par son départ à venir. « C’est absurde…un jour tu en épouseras une tout comme moi un seigneur que je ne désire pas. Au moins tu auras eu le privilège d’être le premier à me témoigner son intérêt. » Prestement il se redressa, les sourcils froncés et il s’en alla en me laissant seule près de la petite chute.
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Plus tard on marcha tous les trois sur la côte. Le vent soufflait fort et les cheveux défaits je luttais contre les embruns et le sable fin. Les mouettes nous saluaient de leurs stridentes plaintes et la cote balayée par un timide soleil me troubla. On monta sur la paroi rocheuse et là Eldreg me tendit sa main pour me hisser sur les rochers ; arrivés en haut de la falaise, le panorama était renversant, beau à couper le souffle : tout ce dégradé de bleu et de vert et ces contrastes…Lui Malner ne voyait rien, perdu dans les méandres de son esprit « Ne t’inquiètes pas. Malner a besoin d’être seul pour réfléchir mais il te reviendra, sois sans crainte. Tu vois les pierres imbriquées là-bas ? On dit qu’il s’agit d’un ancien sanctuaire où les païens venaient accomplir divers rites au moment du solstice d’été. Cette région est magnifique ! Ces landes, son littoral. Plaise au ciel que vous restiez assez de temps pour en apprécier chaque détail. Malner dit que tu nages plutôt bien. » Lui disparut sur notre flanc droit et en haut de la muraille, je me retournais donc vers Eldreg et ses belles boucles auburn. « Hier nous avons su profiter de la plage et j’avoue aimer ces plaisirs simples où nous sommes en conjugaison avec la nature. » Nous descendîmes à la poursuite de Malner maintenant loin devant nous. Il marchait comme pour mieux me fuir et ralentie par le vent soufflant dans ma cape je pris à maintes reprises le bras d’Eldreg. « Là d’où je viens, il y a des monts escarpés et de longs fleuves serpentant d’un point à un autre. De vastes étendues forestières mais pas de mer. Alors quand nous disposons d’un peu de temps nous galopons sur les terres de mon père d’un fief à un autre. Si nos deux familles s’allient, les miens disposeront de ce beau littoral. » Le bonheur du se lire sur mon visage. Enfin il acceptait Niniane dans son cœur ! Dieu soit loué ! « Oui cela ne fera pas le moindre doute. Nous autres Highmore jouissons à la fois de vastes prairies et d’un peu de ce littoral.
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—La paix. C’est ce qui nous importe le plus n’est-ce pas ? Alors autant la préserver le mieux possible et il est en notre pouvoir de le faire. Sais-tu que l’on entend la mer dans ce coquillage ? Viens écouter. L’entends-tu ? —Très distinctement. Je vais la faire entendre à Malner. » Tous trois assis dans le sable, on fixait la vaste mer devant nous des plus silencieux. Eldreg dessinait sur le sable, allongé et tourné vers moi quant à Maner, il fixait l’horizon, la tête soutenue par son bras. Aucun de nous ne parla, absorbé par nos propres réflexions et quand mon regard croisa celui d’Eldreg ce dernier ouvrit la bouche. « Tu insistes pour que je sois à vos côtés mais je gage que ma présence ne vous soit d’un quelconque bénéfice. Alors ne m’en voulez pas si je vous abandonne, je vais aller nager si cela ne vous ennuie pas ! » Il disparut dans les flots et Malner ne tarda pas à ôter ses vêtements pour l’y rejoindre. Ils s’y amusèrent comme des petits fous et piaffant sur le sable, j’ôtais prestement ma robe pour courir à eux sans me préoccuper des convenances ; l’heure était au plaisir et accrochée au cou de Malner je riais aux éclats laissant les vagues monter à l’assaut. « Allons jusqu’au tertre submergé, proposa Eldreg en apparaissant près de nous, qu’en dites-vous ? » Depuis le tertre nous plongeâmes en poussant des cris de joie ; j’étais dans mon élément, ravie de partager des plaisirs ludiques avec ces champions. On sauta une dizaine de fois avant de quitter ce promontoire submergé pour la plage. J’essayais de couler Malner et lui me souleva pour me porter sur son épaule. Partagée entre la peur et l’excitation, je gloussai haute perchée et je fermai les yeux au moment où il me projeta au loin. Folle de rage je revins à la charge mais malgré toutes mes forces mobilisées je n’y parvins. « C’est peine perdue ma chérie ! —Eldreg ! Viens m’aider ! » Les deux hommes luttèrent dans les vagues et ravie je maintiens la tête
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de Malner sous l’eau, hilare et le sel plein les yeux. « Tu fais moins ton fier dis ! AAHH ! » Je tentais de fuir son étreinte mais il me coucha dans l’eau sans cesser de ricaner. Allongée sur le sable redressée sur les coudes, je dessinais des arabesques ; à l’abri du vent, le séchage fut favorisé par la réverbération et la chaleur dégagée des rochers. Collé contre moi, Malner me caressa la joue puis baisa mon épaule dénudée offerte à lui. Tête contre tête, nos mains se rejoignirent pour mieux s’étreindre. Il allait me manquer. Les larmes me montèrent aux yeux et j’inspirai profondément. « On pourrait aller jusqu’à la chapelle. C’est une chapelle abandonnée et la voute ressemble étrangement à l’intérieur d’un bateau. » L’on s’y rendit en traversant par les landes avec ses fougères, ses ajoncs et talus ; balayée par le vent sec, nous entrâmes dans le sanctuaire et après s’être signés chacun vaqua à son étude du lieu. Voyant que le temps passait il nous fallut envisager de rentrer. « Que feras-tu demain ? —Je pensais faire courir mes chevaux. —Avant ou après notre départ ? » Je baissai la tête pressant le pas dans l’herbe aride tapissant le sol sableux. « Il faudra bien que je m’occupe l’esprit après ton départ. Je pourrais me consoler autrement mais les chevaux ont besoin d’exercice. —Et ensuite ? —Et ensuite quoi ? —Tu te trouveras d’autres amis à qui raconter tes soucis ? Des amis avec qui tu iras nager et barboter ici en pensant à nous ? Il te faudra moins d’une semaine pour m’oublier, peut-être plus, mais sitôt qu’un autre chevalier apparaitra pour te conter fleurette tu ne te préoccuperas pas de savoir ce que je deviens. C’est si prévisible. —Tu pourrais rester ici plus longtemps et… —Ah, ah, ah ! Tu entends ça Eldreg ? Notre Nimue veut que j’abdique, que je refuse d’honorer l’Hommage pour mener une vie de châtelain au milieu de jouvencelles ! Adieu donc mon Seigneur, je choisis de
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me liguer aux Highmore et ainsi accroitre mon succès ! —Ne sois pas plaisantin Malner, tu es le premier à souffrir de cette séparation et tu n’étais pas si plaisantin toute à l’heure. Quant à moi privé de ta présence, mon escorte s’affaiblirait j’en conviens mais il ne me sera pas impossible de trouver un compagnon plus débonnaire et plus serviable que toi ! Il n’y a pour toi Nimue, nul intérêt de l’avoir à tes côtés, mieux lui vaut lui préférer la compagnie de troubadours et de ménestrels. » Vexée je fus et plus encore quand Eldreg partit au galop. Restée seule avec Malner je l’observais du coin de l’œil. Il est beau comme un Dieu et il m’avait choisi ; néanmoins n’étais-je qu’une conquête à ajouter à son palmarès de jouvencelles riches et fortunées ? « Je n’ai pas l’intention de rester jusqu’à la fin du banquet ! —Tu es libre de faire ce que tu veux. » Ce ton froid pour ne pas dire glacial me laissa sans voix. Possible qu’il en ait déjà assez de ma compagnie ; plus vite le temps passerait et moins il souffrirait de ma présence en ces lieux. « Que veux-tu qu’on fasse ? » Notre regard se croisa et rougissante je tournai promptement la tête. « Euh, je…je n’ai pas assisté à toutes les épreuves des tournois ! Parait-il que le tournoi à mêlée fut spectaculaire et des plus apprécié. La joute fut quant à elle remarquable et…nous devons des chevaux à Eldreg, soit des destriers, des palefrois et des roncins. La facture s’annonce lourde. —Et tu aurais voulu que je gagne ? Que j’offre la couronne à Inna ? Et ensuite ? Tu n’aurais pas pensé que j’étais sérieux si j’avais remporté l’ultime épreuve pour cette…jouvencelle qui ne sera jamais à court d’amants ! Regardes-moi Nimue…Aurais-tu apprécié que je la fasse monter sur mon destrier et que tous les regards de l’assistance se braquent sur nous et que tout à chacun nous imagine fiancés ? —Avant tout cela je ne m’étais pas posée la question. —Et aujourd’hui ? »
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Mes cuisses se refermèrent sur ma selle ; n’importe qui me connaissant pouvait dire que cette rencontre m’avait transformée pas sur le plan physique j’en conviens mais sur le plan spirituel. Quelque chose en moi tendait à s’exprimer, sortir de cet enveloppe charnel pour atteindre cet autre monde inconnu de biens des mortels : une sorte de transe qui me faisait bouder les plats de Berta. « Tu souris ? Alors dois-je conclure que tu es heureuse près de moi. Nimue ? —Oui je…je suis bien, murmurai-je sentant l’émotion me submerger tel un feu que l’on viendrait d’allumer dans mon cœur. « Et bien je dois dire que c’est réciproque, ma chérie…Toute à l’heure je te regardais dans cette chapelle et j’ai eu envie de m’agenouiller devant toi pour t’exprimer toute ma joie et ma reconnaissance. —Je crois que…qu’on dansera ce soir ! J’aime beaucoup la danse, répondis-je in-petto pour ne pas être à écouter ce qu’il me disait sur ses émotions dont cette reconnaissance. —Avec Eldreg on a pensé fêter cela de notre côté. Après les honneurs de Tibalt nous célébrerons cela de façon plus personnelle et…tu seras la bienvenue. » A peine posai-je le pied dans la cour du châtelet principal, Niniane et sa cour de flagorneuses me sautèrent dessus pour me presser de questions : « Où étais-je allée ? Dans quel dessein ? Est-ce que Malner s’était prononcé en faveurs d’Inna ou de Raven ? Eldreg restait-il toujours impartial face aux charmes de mon ainée ? » Et Niniane disait que j’agissais sous ses ordres. Oui évidemment ! Cela ne pouvait en être autrement et tous me fixaient étrangement à la fois curieux et dérouté. Comme Malner me suivit, je pressai le pas pour accéder à l’escalier du donjon et aller me cacher où personne jusqu’à ce soir me trouverait. Dans la salle d’eau, Niniame me rejoignit dans la bassine d’eau chaude —d’habitude elle prenait un bain avec les autres flagorneuses afin d’échanger potins et impressions sur leurs champions— et gênée par cette
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intrusion je rassemblai mes jambes contre ma poitrine. « Ce soir je ne veux pas que tu sois près de moi. Comme d’habitude tu resteras loin de nous car je n’ai pas l’intention d’entendre parler de canassons et d’armes, lança-t-elle en s’aspergeant la tête à l’aide du broc et sa blonde chevelure fonça au point de passer pour noire. Parfois tu me fais de la peine Nimué, non pas que je te trouve pathétique ou sotte à tes heures mais bien parce que parfois il te vient des envies de grandeur. —Je ne te suis pas. » Niniane attrapa l’éponge en souriant d’une oreille à l’autre ; derrière nous deux domestiques s’affairaient à préparer du linge propre et l’une d’elle apporta des pétales de fleurs, du savon aux essences naturelles et du sel de bain. Niniane manquait de gorge, de petits seins ridicules pointaient à la surface de l’eau et elle remarqua mon regard posé sur son anatomie. D’un geste scandalisé elle m’envoya une giclée d’eau. « Malner n’est pas pour toi et il ne le sera jamais. Otes-toi cela de la tête ! Tu l’as peut-être amusée avec ton goût immature pour les armes de guerre et la façon à laquelle on châtre les étalons pour en faire des hongres, mais il faut que tu saches qu’il convoite une autre et depuis deux jours, tu as vraiment pris la confiance. Il ne faudrait pas qu’on dise que ma sœur, oui parce que qu’on le veuille ou non tu portes le même nom que le mien ; cela m’enchante guère mais je dois te tolérer et te supporter comme tel. Je ne voudrais donc pas qu’on dise que toi Nimue ait la prétention de séduire Malner. Il en aime une autre. Est-ce que tu comprends ce que je viens de te dire ? Alors ne prends pas cette tête de demeurée ! » Niniane quitta la bassine et arracha des mains de la servante le drap propre. « Il serait même préférable que tu n’assistes pas à ce banquet. Fais savoir que…tu as pris froid, cela ne surprendra personne. » Me retrouvant seule, je fixai l’eau perdue dans mes tristes pensées. D’aussi loin que je me souvienne Niniane avait
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toujours eu l’ascendance sur ma personne et cela ne changerait pas de sitôt. Il fallait jouer des coudes pour accéder à la grande salle où s’échappaient la musique, les rires et les discussions ; en haut dans la galerie les musiciens jouaient de la busine et un tonnerre d’applaudissement retentit quand les champions des joutes et des tournois apparurent accompagnés par leur écuyer tenant leur écu aux armoiries de leur famille. Alon me retint par le bras. « Voilà la plus jolie de mes cousines ! J’ai craint que tu ne viennes pas ce soir. Niniane a fait savoir que tu serais indisposée en raison de la santé de ta mère. Vois comme ces chevaliers fanfaronnent. Le bal des vaniteux. Tous se congratulent à qui mieux-mieux. —Je ne te savais pas si critique. » Il me lança un regard noir chargé d’incompréhension. « A croire que la compagnie d’Eldreg t’a faite changer d’avis au sujet de ces arrogants guerriers. —Pas vraiment. Comme tu l’as souligné la santé de ma mère ne m’a pas permis de suivre les défis de ces chevaliers. On dit cependant que certains ont raflé de bons prix. Je crois savoir que tu t’es distingué toi aussi. —Je n’ai pas besoin de cela pour briller, poursuivit Alon d’un ton froid, se voulant presque dédaigneux. Pendant que tu fricotais avec Malner j’ai du me coltiner les élucubrations mentales de Gorwald. Il réfléchit à voix haute ce qui ne laisse peu de place à ma propre réflexion. » Allons bon ! Le sourire s’effaça de mes lèvres et plus encore quand le Prince leva son verre dans ma direction, sa putain accrochée à son bras. « Je ne veux pas entendre ce qu’il a pu te dire. Qu’espérer d’un homme qui vit au milieu de putains et de mercenaires ? —Cet homme en question a manifesté le désir de te faire la cour. Crois-tu être en mesure de refuser ? —Regarde Niniane…elle rayonne plus que jamais. Eldreg lui fera officiellement sa demande ce soir. —En es-tu certaine ? L’a-t-il exprimé ouvertement ?
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—Non. Ses sous-entendus cependant étaient on ne peut plus explicites. Il tient à une alliance avec notre famille et tu devrais t’en réjouir. » Tibalt le seigneur des lieux remit les trophées à Eldreg et Malner ayant totalisé à eux deux un grand nombre de points entre les diverses épreuves. Eldreg fit un discours pour souligner la qualité de l’accueil du seigneur Tibalt qui dans son beau costume d’apparat l’embrassa comme un fils. La musique reprit de plus bel et Alon se pencha à mon oreille. « Où a-t-il fait mention d’une alliance avec ta famille ? Tu as échoué dans ta mission, cousine. A peine s’il semble remarquer ta sœur, bien plus concentré sur sa propre victoire aux tournois. —Laisses-lui un peu de temps, répondis-je peu certaine de l’attitude du beau seigneur serrant les mains et embrassant autrui. La soirée n’est pas finie et ce n’est qu’une question d’heures. —Hum. Il part demain et à moins de droguer son breuvage je doute qu’il change d’avis au sujet de ta sœur. Qu’as-tu donc fait pendant tout son temps libre ? Tu as eu l’opportunité de discuter avec lui et tu n’as pas su mettre ce temps précieux à… —Que complotez-vous tous deux ? » Gorwald apparut, l’œil brillant comme déjà en proie à l’alcool. A quelques mètres de là Malner me fixait, le sourcil collé à l’autre ; à la fois tendu et crispé, sur le pont d’intervenir, le poing serré. On le sortit de sa torpeur en passant un bras autour de ses épaules. Il disparut avalé par la foule compacte et enchantée. « Mon Seigneur, nous ne parlons que de la victoire d’Eldreg sur l’ensemble des candidats ! Mentit Alon, l’œil brillant, et ma charmante cousine pense que Malner aurait pu obtenir ce titre en bien des façons. Victoire amère si l’on peut en croire aux dires de cette dernière. » Le prince me déshabilla du regard, s’arrêtant sans pudeur sur ma poitrine. Je tournais la tête pour ne pas avoir à croiser son regard chargé de reproches. « Malner dites-vous ? J’ignorais que cet échanson pouvait bien faire l’admiration de Lady Nimue ou bien
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mes yeux me bernent. J’avais pourtant cru comprendre que votre famille avait les faveurs des Windburgh en raison des talons innés de Niniane à réveiller les ardeurs libidineuses de l’ainé de cette famille, railla-t-il les sourcils froncés. Etes-vous encore vierge ? » Cette question me scia ; comment pouvait-il me poser cette question en public ? « Je garantis de l’innocence de ma cousine, Mon seigneur. Vierge comme au premier jour. » Il me considéra de nouveau. « Alors faites qu’elle le reste. Je ne voudrais pas avoir à réparer ce préjudice. » J’éprouvai des difficultés à déglutir et le malaise m’envahit quelque peu comprenant qu’il me convoitait, moi, Nimue Highmore, cadette du seigneur mon père. Les danseurs déjà s’exécutaient au soin des tambourins, flûtes et buccins ; un plaisir partagé par tous et toutes. Sur le bord de la piste j’enviai tous ces couples emballés par la danse. Niniane dansait mais… sans Eldreg. Où était-il ? Je le cherchais des yeux songeant à Gorwald tapi et prêt à bondir sur tout rival pour le transpercer de son épée. « Danses-tu Nimue ? Ta sœur semble être bien accompagnée pour me faire comprendre que j’arrive bien tard. —Oui on dirait qu’on t’a coiffé au poteau, mais ce n’est que partie remise. Niniane a pour ambition de te plaire et… —Comment va ta mère ? Déclara Eldreg, me coupant la parole. On dit que sa santé empire ce qui vous contraint à rester plus longtemps chez Tibalt. Quant à notre départ j’ai pensé qu’il pourrait être différé. Rien ne presse et le climat de ce bord de mer est des plus appréciables. —C’est…c’est merveilleux ! Répondis-je en affichant un radieux sourire. En fait, je…Ah, ah ! Niniane va être folle de joie ! —Et toi ? —Et moi ?
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—Oui. N’es-tu pas heureuse que Malner puisse disposer d’un peu plus de temps pour te connaître ? —Si naturellement mais il est question de Niniane là et de son bonheur à venir ! Le mien pense en second plan. Elle t’aime beaucoup tu sais et… —Danses-tu ? J’apprécierai que tu danses avec moi. » Bien vite je détournai la tête pour suivre des yeux les nouveaux danseurs entrant sur la piste. « Non, je ne danse pas. J’aimerai pourtant mais…ma cheville me relance. Je crois m’être faite mal en descendant de cheval. —C’est regrettable. —Oui je le pense aussi. —Alors laisses-moi te raccompagner à table. Une station verticale n’est guère recommandée si ta cheville est douloureuse. Sois aimable d’accepter mon bras. » Fichtre ! Je le pris en souriant mais intérieurement mon esprit s’agitait. « Monseigneur ! Mes félicitations ! Un magnifique tournoi et…de belles récompenses, murmura ce dernier en me fixant intensément. Tu as toujours eu un talent certain pour dénicher de belles et fières montures, celles des Highmore te conviennent indiscutablement. Ton père se consumera de bonheur en constatant ce butin. —Cela va s’en dire ! Les Highmore savent nous honorer comme il se doit et nous leur en serons reconnaissants. Veuillez nous excuser… Seigneur Orvalt ! Aurons-nous droit à de beaux discours sur les vicissitudes d’un homme de guerre loin de son champ de bataille ? —J’y travaille mon Seigneur ! Et mes félicitations pour vos brillantes victoires ! Entre nous ce Malner n’a jamais été un problème pour vous ! —Ne le sous-estimez pas tant ! Malner est un adversaire digne de toute estime et ses ennemis tout comme les miens se doivent d’être flattés pour avoir à croiser le fer avec une si émérite épée. —Ah, ah ! J’en conviens ! Nous l’éviterons donc si nous espérons vivre assez vieux pour voir nos petits-
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enfants grandir ! Mes félicitations pour cette alliance à venir ! Elle est ravissante ! » En panique je tentais de récupérer mon bras mais rien n’y fit. Tous me prenaient d’ors et déjà pour sa fiancée et lui ne cherchait pas à les contredire. Mon Dieu ! Le sol se déroba sous mes pas. Manquant de souffle, je le suivis à sa table, les membres tremblant, le regard embué par les larmes. Niniane allait m’étrangler sur place. Niniane et Gorwald. « Prends soin d’elle Malner. Sa cheville lui fait atrocement mal et il n’est pas question de la voir souffrir inutilement. » Lui ne répondit rien, le nez dans son assiette pleines de figues, de cailles aux raisins et de pain d’épices. Il mangeait du bout des dents, les lèvres serrées. Il se passa de longues minutes avant qu’il n’ouvrit la bouche pour me parler. « Comment t’es-tu blessée ? Je ne t’ai pas vu boiter en entrant dans la salle. Ce Gorwald t’aurait-il marché sur les pieds ? On peut dire que vous étiez en étroite discussion tous les deux et de quoi s’agissait-il ? —De ma sœur bien entendu, à quoi pense-t-il qu’il faille allusion ? Je ne suis que sa cadette et je n’ai pas l’intention de lui voler son succès. —Alors pardonne mon indiscrétion. Seulement je… Eldreg a du te dire que nous restions plus longtemps. Il désire faire sa cour à ta sœur et…Alon sera le premier à s’en réjouir n’est-ce pas ? Il a le sens du devoir et ne minaude pas sur les arrangements matrimoniaux. » Avec intensité Gorwald me fixait. « Est-ce que tout va bien Nimue ? Nimue ? —En fait je me disais que j’allais peut-être monter m’allonger. Ne pouvant danser ce soir je ne vois pas en quoi ma compagnie sera appréciée. —Je vais te raccompagner. —Non ! Tonnai-je presque, la main posée sur son bras. Trifin me raccompagnera. D’un bond je me levai, quittai la table pour aller m’enfermer dans mes appartements. » Les étoiles apparurent les unes après les autres, tout comme les constellations et la voute céleste
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scintillait d’un milliards de petits points. Des éclats de rire fusèrent ça-et-là. Je quittais la console de fenêtre pour aller me mettre au lit quand on frappa à ma porte. « Niniane, est-ce toi ? » J’ouvris la porte pour tomber nez à nez devant Gorwald. « Me laisserez-vous entrer ? » Sans attendre ma réponse, il s’engouffra là et étudia la pièce. « Où est votre nourrice ? —Trifin garde ma porte quand Niniane se fait attendre. » Il étudia les objets de toilette disposé sur la table et s’empara d’un coutelet (cadeau de l’un de mes ainés) posé là parmi mes effets personnels. « Le môme constitue donc votre garde personnelle. C’est un peu léger quand on sait le nombre de mâles traînant ici et là. Et pourquoi avoir donné congé à votre nourrice ? Ne comptiez-vous pas rester au château ce soir ? Questionna ce dernier en s’asseyant dans le fauteuil recouvert d’une cape soyeuse. Approchez un peu que je puisse vous regarder. » Je n’en avais pas l’intention. Près de la cheminée vide je me tenais prête à filer ventre à terre si le besoin se faisait ressentir. « Approchez Nimue, je ne vais pas vous manger. Allez ! (Il me saisit par le bras pour me tenir près de lui) Je veux vous voir dans la lumière. C’est un peu mieux. De quoi avez-vous peur Nimue ? Parlez en toute franchise. Il n’y a que moi à vous entendre ici. Avezvous peur de moi ? De mes intentions ? —Mon seigneur, je… » D’un bond il se leva, enserra son visage entre ses mains pour sonder mon esprit. Oui j’avais peur. Il me faisait peur. De son pouce il caressa ma joue. « Détendez-vous je ne vous ferez rien. Je suis seulement là pour m’enquérir de votre santé. J’ai cru savoir que vous vous êtes blessée à la cheville. —Je vais bien. —Ah, ah ! Alors c’était une ruse pour ne pas avoir à danser avec Eldreg. Vous l’avez vexé vous savez. —Ce n’était pas mon intention. Je ne voulais pas danser c’est tout.
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—Etait-ce à cause de moi ? Vous saviez que je vous épiez. Mes yeux étaient posés sur vous et sur vous seule. Un beau joyau dissimulé parmi ces immondices. Vous êtes un joyau Nimue et je me félicite de vous avoir trouvée. » Mes mains se cramponnèrent aux siennes non pour le retenir à cette étreinte mais pour le dissuader d’agir. Il baisa mon front. Je ressentis du désarroi mélangé à de la crainte. Il me fixait en souriant. « Une telle beauté ne peut-être ignorée. —Je ne suis pas belle. Ma sœur Niniane l’est. Alors je vous supplie de me laisser. —Pour qu’ensuite vous alliez tromper ma vigilance, celle de Trifin et de votre nourrice pour aller courir nue dans les vagues en compagnie de cet…échanson de Malner ? Non, je m’y refuse. Quand je vous ai vu au bras de cet Eldreg, je fus épris de jalousie. Pourquoi vouloir accorder votre confiance à cet homme et pas à moi ? —Il a pour dessein d’être mon frère. C’est ma sœur qu’il convoite et je ne suis qu’un pion sur cet échiquier. —Et vous êtes la pièce la plus importante du jeu. Et vous savez pourquoi ? Parce que vous êtes intelligente Nimue et rusée. Votre cousin Alon semble l’avoir saisi puisqu’il vous a chargé d’opérer stratégiquement pour allier la maison des Winburgh à la vôtre, au prix de votre propre sacrifice. Divertir ses hommes est une prérogative réservée aux femmes de tête capables de refuser les avances des chevaliers pour suivre sa voie dans ces méandres relationnelles. » Ses mains se refermèrent sur mon cou. Doucement il pressa ma jugulaire en simulant le coït. L’excitation me gagna sans que je puisse l’expliquer. Ses mouvements de bassin s’amplifièrent et serrée contre lui je me mordis la langue pour tuer tout désir. «Vous ne resterez pas longtemps dans l’hombre Nimue. J’ai de grands projets pour vous. » Mes mains glissèrent le long de ses avant-bras. Je restais là à l’observer, muette de stupeur. Ses pattes d’oie encadraient son regard et j’éprouvais de la
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sympathie pour cet homme qui disait avoir des projets pour moi. « Je vous protégerai aussi longtemps que je vivrais. Vous saisissez ? Jamais rien ne nous séparera et votre maison trouvera en la mienne tout le secours dont elle aura été privée. Soyez heureuse Nimue, je vous le souhaite. » Dans la grande salle l’ambiance battait son plein : on buvait jusqu’à l’ivresse et les rires fusèrent de partout. J’empruntai le corridor quand Eldreg me héla ; personne excepté Eldreg n’aurait pu m’identifier, la tête dissimulée sous ma capuche. « Nimue ! As-tu vu Malner ? —Non, je devrais ? —Il te cherchait. A croire qu’il ne t’intéresse déjà plus. —Je n’ai pas dit cela ! —Pourtant vous étiez en froid ce soir. —J’étais fatiguée, lançai-je froidement. —Ton problème de cheville ? —C’est cela oui. En fait, non ! J’étais sur la plage à profiter du clair de lune pendant que vous refaisiez le monde comme tout chevalier qui se respecte ! —Tu y étais seule ? —Qu’est-ce que cela peut bien te faire ? » Il ne répondit rien et sans sourciller se dégagea du sombre corridor faiblement éclairé pour désigner la pièce du menton. « Tu Veux boire quelque chose ? —Non ! J’allais aller me coucher. —Même pas un verre d’eau ? S’il te plait ! » Il m’invita à le suivre. La petite pièce offrait le confort relatif aux invités de Tibalt car en plus du feu se consumant dans l’imposant âtre se trouvaient être sur la table toutes sortes de victuailles dont des cruches d’eau, de vins et divers. « Je ne vais pas rester, murmurais-je en le voyant me servir une timbale d’eau. —Parles-moi de ta sœur Niniane. —Niniane ? » Il me tendit la timbale sans me lâcher des yeux. « Tu as bien une sœur qui s’appelle Niniane ? Qu’as-tu à me dire à son sujet ? »
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Enfin il envisageait de se montrer raisonnable. Quel soulagement pour moi ! « Que veux-tu savoir à son sujet ? » Il s’assit devant le feu crépitant et fit tourner le verre de vin entre ses doigts. « Dis-moi ce que je dois savoir sur elle. Quels sont ses atouts ? Ses qualités ? Et ses défauts si toutefois elle en aurait. Assieds-toi… » Je m’exécutai sans cesser de fixer mon verre. Que dire sur Niniane ? A part le fait qu’elle soit une garce je ne voyais pas. Je pris une profonde inspiration. Derrière la fenêtre en ogive la lumière de la lune envoyait des ombres sur le mur. « Niniane est ambitieuse. Elle l’a toujours été d’aussi loin que je me souvienne. Petite elle n’avait pas son pareil pour séduire et faire l’admiration des adultes. Toujours pleine d’assurance, elle savait comment obtenir d’autrui ce qu’elle désirait. Mais pas seulement, elle est brillante ! Ses connaissances et compétences sont multiples : elle chante divinement bien et joue de la lyre mieux que personne. Tous convoitent sa compagnie. » Le feu semblait illuminer son regard et dans cette semi-pénombre je ne voyais que cette lueur ; deux petits feux scintillant dans ses orbites. Toutes les femmes avaient raison de fondre de plaisir en le voyant. Je bus une gorgée, éprouvant quelques difficultés à la faire passer dans ma gorge. « Monte-t-elle à cheval ? —Oui, bien qu’elle ne trouve pas cette activité adaptée à une dame qui se respecte. Ceci dit c’est une bonne cavalière. » Il quitta sa cathèdre pour me tendre une assiette pleine de dattes, d’abricots secs et de figues. Ses belles boucles auburn tombaient sur son front albâtre et là devant moi, j’en fus presque séduite par la noblesse de ses traits. « C’est une amazone qui s’ignore. Je l’ai toujours pensé. Elle tire également à l’arc et chasse le faucon en compagnie des autres dames et… —Monteras-tu demain ?
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—Je monte tous les jours. Les chevaux ont besoin de courir un peu et les plages sont un merveilleux terrain propice à leur épanouissement. Il est vrai que je monte un peu trop mais…j’avoue m’ennuyer entre quatre murs. —Alors tu n’es pas faite pour la vie à la cour. —Je n’ai jamais prétendu le contraire, lançai-je un peu bougon ; Eldreg avachi dans son fauteuil en revint à la contemplation de son verre. « Tu as tout d’une fille de métayer, sauf ton respect car je suppose que tu ne couds ni ne chante aussi bien que ta sœur ! —Exactement ! Niniane a pour elle toutes les qualités que l’on attend d’une châtelaine ! Elle est douée en tout domaine et suffisamment convaincante pour te plaire. Il t’appartient de lui faire la cour. Elle attend de toi un peu de considération. —Et ton charmant cousin Alon te dicte la marche à suivre ? —Oui. A défaut des conseils d’un frère j’ai ceux d’un cousin. Il a toujours été de bons conseils comme Malner sait t’en dispenser quand l’occasion se présente. —Et tu lui fais confiance ? —Il est mon cousin. » Je posai la timbale sur l’accoudoir d’une cathèdre pour me lever. « Ce même cousin aux conseils éclairés qui te laisse partir seule en pleine nuit sur le littoral sans la moindre surveillance ? Difficile de le croire si nécessaire à ta sécurité. Il manque de pragmatisme, permet-mo de te le dire. —Tous les espoirs de ma famille reposent sur Niniane. On ne fait mention de ma personne que pour veiller une mère mourante et pour l’heure cela me convient. —Tu semble te contenter de peu. Laisses-moi te reconduire vers tes appartements. Il n’est pas sage que tu te promènes seule dans ce vaste château. » Mère me réclama. Elle disait aller mieux. Debout appuyée au bras d’Alon, elle paraissait avoir retrouvé un peu d’elle-même. Sa camériste lui avait natté sa longue chevelure grise en une couronne et son
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mantelet vert à parmenture dorée lui donnait un air magistral. Mise à par ses rides d’expressions et son teint un peu gris, ma mère se félicitait de ce renouveau de santé. « Vois comme je me porte comme un charme Nimue et cela grâce à toi ! Alon tient à me garder dans la chambre, murmura-t-elle en souriant, mais j’envisage de sortir prendre l’air et féliciter notre champion, comme il se doit. Et qu’en est-il de ta sœur ? Je ne l’ai pas vu depuis hier matin…elle doit être transportée et je la comprends. Eldreg est un bel homme au tempérament remarquable. Il me tarde de l’appeler fils et de le serrer dans mes bras. Ce mariage serait une bénédiction. N’est-ce pas Alon ? —Assurément ma tante, répondit ce dernier en me dévisageant de la tête aux pieds. Crottée et pleine de foin, j’apparaissais ainsi, au plus fort de mon charme. Je ne cesse de souligner à Nimue l’importance que cela aurait d’avoir un Windburgh dans notre famille. Je suis à même d’affirmer que votre fille a saisi toute l’importance de cette union. De quoi avez-vous parlé hier à ton retour de plage ? —A ton avis ? De pêche et de chasse comme tu me l’as recommandé. Ma conversation n’étant appréciée d’aucun, alors… —Nimue ! Renchérit mère en me tenant fermement contre elle. Nimue, tu ne peux parler ainsi et passer aux yeux de tous pour une sauvageonne ! Si Eldreg devient ton frère, il te faudra te comporter comme une demoiselle distinguée et avenante. Tu ne trouveras jamais un époux si tu te comportes de la sorte et bien que bien lotie de part la fortune de ton père tu dois malheureusement rivalisée avec plus délicates que toi. » Alon souriait d’une oreille à l’autre. Il me fit penser à une fouine ; ces derniers jours il était méprisable, froid et antipathique. Un trait de sa personnalité que je n’avais point soupçonné. « J’ai appris par ton cousin que le Prince Gorwald s’était entretenu avec toi en privé ? Ma fille, c’est bien plus que je ne l’aurais imaginé ! C’est la raison pour
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laquelle je dois sortir pour rendre mes hommages à ce Prince. Ma participation sera hautement appréciée, n’est-ce pas ? Je tiens à apparaître afin de rassurer tout le monde quant à mon état de santé. Ah, ah ! Et comment est ce Gorwald ? Est-il de bonne compagnie ? —Votre fille lui préfère la compagnie de Malner, vassal d’Eldreg avec qui elle passe le plus clair de son temps. » Mon regard fut noir, chargé de haine. « Et après ? Je n’ai de comptes à ne rendre à personne ! —Nimue ! Et la surprise apparut sur le visage de ma mère. Laisse ce chevalier aux autres demoiselles du Fort pour uniquement te consacrer aux efforts de ta sœur pour emmener Eldreg à ce mariage. C’est pour nous notre seul objectif. —Cela fait partie du plan mère. Malner est…très important pour Eldreg. Il le considère comme son frère, son confident de tout instant et il n’est pas dénoué d’intérêt comme le laisserait penser Alon. —Si cet intérêt ne te conduit pas dans sa couche. » Nouveaux éclairs dans mes yeux. Abasourdie ma mère m’interrogea du regard. « Une telle proximité ne peutêtre tolérée Nimue ! Je ferme les yeux sur tes activités de…palefrenier mais je ne pourrais accepter davantage te concernant ! Pas tant que ta sœur ne sera pas fiancée ! —Alon est une langue de vipère ! Je n’agis que pour le bien fondé de cette mission et il devrait le savoir ! —Alors mes yeux m’ont trompé Nimue. Je suis navré d’avoir manqué de bon sens. Il ne s’agissait alors que d’infiltration du côté des troupes d’Eldreg, tu me vois être désolé. —Sortons mère avant que je ne mette à sortir mes griffes pour taillader ce piètre messager ! » Laissant ma mère aux autres dames du Fort, je me rendis sur la plage pour faire courir mon bai et après deux heures de folle chevauchée, je posai pieds à terre pour marcher dans les vagues balayant le sable dans un mouvement ininterrompu. J’étais bien. J’étais heureuse. Qui aurait troublé ce bonheur ?
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Ayant ôté ma robe, je plongeai dans la mer en poussant un cri de joie ; après quelques brasses je piquai tel un oiseau pour nager en profondeur, gagna un rocher pour m’y poser et contempler la plage sur ce promontoire de fortune. Au loin je vis deux cavaliers galoper en direction de mon cheval. Je reconnus les silhouettes de Malner et d’Eldreg. Partagée entre l’excitation et l’ennui, je me remis à l’eau pour y disparaître. Le soleil dardait au-dessus de ma tête. Les mouettes m’escortèrent de leurs plaintes aigues ; un ballet aérien dont je ne me lassais. Quand soudain quelque chose ne tira vers le fond. Trop puissant pour que je ne résiste et buvant la tasse je vins à paniquer, brutalement saisie par la taille pour remonter en surface et croiser le regard de Malner, à la fois enjoué et souriant. « Tu m’as fait peur ! J’aurai pu y rester ! Tempêtai-je en le repoussant avec violence. Eloignes-toi de moi ! —Tu croyais quoi Nimue ? Que j’étais un horrible monstre marin ? Ah, ah ! Un revenant certainement ? Ah, ah ! — Arrêtes ! Tu n’es pas amusant ! » L’espiègle sourire s’effaça de ses lèvres pleines et il plongea de nouveau pour m’attirer au fon de l’eau. Là il m’attira à lui pour baiser mes lèvres. Je cherchais à remonter quand il enserra mon visage entre ses mains. Il me hissa sur un rocher et Eldreg de l’aider à me poser là. « Tu as cherché à la noyer Malner ? » Lui me tapota le dos pour faciliter l’expulsion de l’eau dans mes bronches. Et comble de l’horreur, tous deux étaient nus dans leur plus simple appareil. La nudité ne m’effrayait pas mais il me fallut cependant détourner le regard. « Je vais bien ! Lâchez-moi ! « Je rassemblais mes jambes sous mon menton et fixai l’horizon. « Je te croyais bonne nageuse Nimue ! —Pas quand on me prend par surprise et puis vous n’avez rien à faire ici ! » Malner dégagea mes cheveux de ma nuque pour me caresser ; j’étais mal à l’aise. Il baisa ma tempe avec délicatesse. « Je ne voulais pas
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t’effrayer, murmura Malner enfouissant son visage dans mon cou. Me pardonneras-tu un jour ? —Je ne sais pas. » Et sur la plage, ils enfilèrent leur pantalon pour me permettre de sortir à mon tour. Malner me serra contre lui. Mon regard croisa celui d’Eldreg. Il avait une expression dure que je mis sur le coup de cette baignade improvisée. « On doit y aller. — Laisses-moi un instant ici. —Non ! Non, pas aujourd’hui. On en a déjà parlé et tu es allé dans mon sens Malner alors ne m’obliges pas à… —Suffit ! Es-tu pressé à ce point de rejoindre ta dulcinée ? Tu ne tenais pas le même discours hier, attaqua-t-il en attrapant ses vêtements. Il aurait suffi d’une discussion avec un tiers pour que tu changes subitement d’avis ! Eldreg consent à épouser ta sœur. Bientôt vous serez frère et sœur, doit-on s’en réjouir ? —Ne prends pas ce ton avec moi ! Tu sais ce qu’il en est, alors ne brosse pas un portrait peu élogieux du mariage ! Il ne s’agit que de convenance et rien de plus. —Ah, ah ! Tu as attendu tout ce temps, refusé bien des propositions pour en arriver là ! Combien de fois t’ais-je entendu dire que tu attendais la bonne personne pour te lancer ? Personne ne te presse, alors pourquoi précipiter cet événement ? —On n’en a déjà parlé et je ne veux plus entendre ton raisonnement sur ce sujet Malner ! —Ah bon ? Nimue, essayes de te le convaincre d’attendre avant de se jeter à corps perdu dans ce mariage de convenance ! Dis-lui Nimue ! —C’est que je… —Je suis content que tu es trouvé l’amour en la personne de Nimue, mais ne te crois pas au-dessus des lois Malner ! Elle ne t’appartint pas et tu le sais. Dois-je te rappeler que cet amour que tu tiens pour acquis ne l’est pas ? Elle ne t’appartient pas et plus vite tu l’accepteras et mieux tu t’en porteras. » Ils se toisèrent comme deux cops dans une bassecour. « Tu n’as toujours pas digéré le fait que je puisse
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l’aimer. Mon bonheur est-il plus à craindre qu’une invasion sur tes terres Eldreg ? Il te parait plus facile de repousser un assaut de guerriers que l’amour mais dans mon cas j’en suis démuni et je l’ai accepté. Dès lors il me sera impossible de vivre sans. —Il faudra pourtant te résigner à vivre sans. Elle ne sera jamais ta femme et tous les efforts que tu entreprendras pour la séduire seront vains. » Je passais ma robe sur mon vêtement mouillé et en tremblant lassai mon corsage, la gorge nouée. « Au moins aurais-je connu l’amour dans ses bras. —Il ne s’agit que d’une distraction. —Dans ton cas, ce mariage en sera une. » Le ton montait entre ces deux là ; mieux valait ficher le camp. « Je t’ai entendu à ce sujet il n’est pas utile d’ajouter quoique se soit sur ce sujet. A moi seul d’en subir les conséquences ! —Alors que Dieu t’entende ! » Les rênes de mon cheval à la main, je m’accrochai au pommeau de la selle pour m’y hisser. « Nimue ? —Je suis désolée… » Aussitôt je talonnai mon cheval pour filer à brides abattues. Effondrée je trouvais refuse sur le rebord de la fenêtre de la chambre et le nez à la fenêtre je suivais des yeux le va-et-vient des invités de Tibalt. La porte s’ouvrit sur Niniane des plus hilares, le voile pendant négligemment sur son épaule à demie dénudée. « Ah, et bien, tu es là toi ? Tu en fais une tête ! Mais quoiqu’il se passe je ne veux pas l’entendre ! —Je ne comptais pas t’en parler de toute façon. » Elle se jeta sur le lit pour défaire ses souliers qu’elle lança au loin. Bien que fatiguée, je la trouvais plus fraîche encore que la rosée du matin. Sa main caressa sa nuque et lasse Niniane se délassa le cou en des mouvements circulaires. « Quoi ? —J’ai parlé à Eldreg hier soir. —Et ensuite ? Tu sais si tu n’étais pas ma sœur, je ne te supporterais pas. Et tu veux savoir pourquoi ? Niniane quitta le lit pour marcher dans ma direction. Tu es suffisante et capricieuse, bien trop différente de ce que l’on attend de toi.
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—Toi tu es si parfaite. —Oui ! Cela va sans dire ! Père avait une préférence pour toi. Il te trouvait fantaisiste et farfelue ; déplaisante cependant quand on comprend que tu te destines à jouer la putain de Malner ! —je n’ai pas la prétention d’être aussi ambitieuse que toi. —Non, c’est vrai ! Pourtant tu as su distraire Malner et le détourner d’Inna. Elle ne te le pardonnera jamais tu sais. —Je ne tiens pas à son pardon. —Qu’est-ce que Malner te trouve de bien ? Tu es trop maigre et sotte ! » Cette remarque me mit hors de moi. Ainsi en confiance, elle exprimait ses projets à voix haute, sans la moindre retenue. « Tu n’es pas encore sa fiancée. Il pourrait changer d’avis à ton sujet, on comprenant à qui il aurait à faire. —Le fait qu’il ait prolongé son séjour ici est un avantage pour moi. Sois certaine que je saurai tirer profit de chaque seconde ! » Bon nombre d’invités venaient de partir ; partout l’on démontait les tentes, rafraîchissait les salles communes et les pièces de vie ; d’autres familles se tenaient prêtes à partir avec leurs gens, une longue procession de litières, de chevaux lourdement harnachés, de malles montées les unes sur les autres et on ne pouvait pas faire un pas sans être bousculé. Là-bas j’aperçus Niniane et sa cour de flagorneurs au milieu desquels elle trônait —ce qui va sans dire ne changeait guère de l’habitude— et glissant dans ma robe parme à longue traîne j’empruntai le cloître pour n’être vu de personne, songeai-je, appréciant la fraicheur du lieu. Et là, à mon grand désespoir se tenait Eldreg, seul et rêveur. « Nimué ? » Je fis la sourde oreille et en une fraction de seconde il fut sur moi. « Comment vas-tu Nimué ? —Un peu fatiguée. Jouer les courtisanes ne me sied guère. Niniane étant des plus occupées. »
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Il me fixait, perdu dans ses réflexions et nerveuse je croisai les bras sur ma poitrine. « Tu veux qu’on fasse quelques pas ? —Pourquoi ? —Je me sens un peu seul et un peu de compagnie ne me déplairait pas, si toutefois tu es disposée à m’accorder un peu de ton temps. —Où est Malner ? —Je l’ignore. Nous sommes un peu en froid en ce moment et si tu veux tout savoir, c’est plus compliqué que tu ne le crois. Marchons un peu veux-tu…Es-tu heureuse ? —Oui j’avoue l’être. Particulièrement en ce moment. Si je n’avais pas rencontré Malner au lac de Penvins, je n’aurai pas découvert l’amour. Notre rencontre fut du moins accidentelle. Je l’ai confondu avec le fantôme du roi reposant au fond de ce lac. C’était là mon erreur : Malner était bien réel. Et lui m’a prise pour une créature aquatique. Ah, ah ! —Une naïade. —Oui c’est ça ! Exactement ! Il a du t’en avoir parlé, n’est-ce pas ? Voilà comment nous nous sommes rencontrés. —Décris-moi ce que tu ressens en ce moment. Comment sait-on que l’on aime ? —Et bien…on ressent des picotements au niveau du cœur et puis…on a le ventre noué. On s’agite et on ne tient pas en place parce qu’on est pressé de retrouver l’homme pour qui notre cœur bat. On se sent invulnérable et pour ma part je pourrais déplacer des montagnes. —Tes sentiments à son égard son nobles et purs, murmura Eldreg s’asseyant sur un banc de pierre ; je l’imitai sans le lâcher des yeux. Je lui envie ce bonheur. —Tu ne dois pas. Niniane t’aime tout autant. Elle veut te plaire et si elle ne s’y prend pas de la bonne façon, laisses-lui le temps de te le prouver ! —Non ! C’est elle qui devrait être à côté de moi pour me le dire. Je vais devoir réfléchir. » La panique me saisit.
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« Réfléchir ? Mais à quoi ? Elle te plait n’est-ce pas ? Tu l’as prouvé à tous ici ! Tu ne peux revenir sur tes propos au risque de passer pour un rustre, un immonde briseur de cœur et de serments ! Tout le monde est persuadé que tu lui feras ta demande dans les jours à venir et…Eldreg, elle te rendra heureuse ! Elle a pour vocation d’être ton épouse ! Depuis longtemps elle aspire à cela ! Elle s’est préparée à partager ton fardeau et à te seconder dans tes fonctions ! Je ne te comprends pas. Niniane est superbe, intelligente et passionné ! Tu ne trouveras jamais mieux dans tout le royaume, j’en suis persuadée et puis… —On peut dire que ton cousin Alon a réussi son reconversion et je ne le savais pas si capable de corrompre une âme aussi pure que la tienne. » Oui je me sentis vexée ; il en savait bien plus que je ne l’aurais imaginé et confuse, je fixai le sol à mes pieds. Autant tout lui avouer pour en finir une bonne fois pour toute. En même temps je craignais sa réaction, somme toute naturelle. Jouer les entremetteurs revenait à user de psychologie, ce dont Alon était dépourvu. « Il semblerait que mon cousin manque de finesse dans ses propos. Il est vrai que nous avons fantasmé sur votre possible relation augmenté par ton inclinaison pour ma sœur. Ceci dit le choix final te revient. Personne ne pourra t’influencer Eldreg et surtout pas moi —J’apprécie ta franchise. J’apprécie la personne que tu es Nimue et… » Trifin apparut derrière la colonne recouverte de lierre, avança vers nous d’un air qui se voulait sérieux et emprunt d’autorité. Que voulait-il encore ? « Le Prince Gorwald veut te voir Nimue. Il m’envoie te chercher, alors il faut que tu viennes sans le faire attendre. Déjà qu’il n’a pas été aisé de te trouver. —Et que me veut-il ? —Je n’en sais rien moi ! Disons qu’il veut te parler. Cela devrait suffire ! »
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Le petit péteux ; maintenant qu’il avait sa promotion il me prenait de haut, fanfaronnant et se montrant insolent à la moindre occasion. Il leva son menton imberbe et lança un regard suspicieux à Eldreg comme si ce dernier représentait une menace pour son ascension. Je le suivis donc pour retrouver Gorwald au milieu de sa cour ; tous massés dans la cour ouest profitant du soleil et des victuailles. Ils riaient, parlaient fort. Une folle ambiance digne des festins de Bacchus. Alon m’attrapa par le bras sortant de cette assemblée. « Où étais-tu ? On dirait que tu te fais désirer. Le Prince tient à fêter son anniversaire et tu y es conviée. Le banquet aura lieu ce soir mais il tient à célébrer le succès de son poulain, le Seigneur Ashoril. —Et en quoi suis-je concernée ? J’’ignorai que ma présence était à ce point réclamée. Et puis il y a déjà Niniane ! » Au loin ma sœur assise sur le dais jubilait, persuadée d’avoir tiré le gros lot. On s’embrassait de la saluer. Certains pensaient qu’il s’agissait d’Eldref, d’autres de Gorwald ; toujours est-il que chacun y allait de son commentaire et sournoisement je m’approchais du dais en question pour mieux filer, les jambes à mon cou. Et je trouvais Maner à frapper un mannequin de bois de son épée. A peine s’il daignait me regarder. « Salut…je ne pensais pas te trouver ici. Mais ton écuyer m’a dit que tu ne prenais pas part aux festivités données par le Prince. Moi non plus. Toute cette ambiance me donne le tournis. Est-ce que…ça va ? —Pourquoi me poses-tu la question ? » Il s’arrêta pour me lancer un regard noir, les gouttes de sueur perlant de son front recouvert de mèches bouclées et aussi noires que les ailes d’un corbeau. « Et bien pour être aimable ! Mais je peux encore me montrer distante et retourner à mes préoccupations sans plus me soucier de toi.
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—C’est une bonne idée. De toute façon je n’ai pas l’intention de te détourner de tes devoirs, répondit-il froidement en reprenant ses attaques, sans plus se soucier de moi. —D’accord. Tu sais où me trouver. » Seule sur la place, je pus réfléchir à tous les événements de ces derniers jours. Soit j’étais complètement idiote comme le disait Niniane soit aveugle et inutile à la bonne marche de ces événements. Les pieds enfouis dans le sable chaud je craignais d’avoir tout fait capoter. Pourquoi Alon avait-il pensé que je puisse être capable de mener à bien ce projet ? De nouveau je me sentis bien inutile, exceptée aux yeux de ma mère qui continuait à croire que je pourrais être d’une aide précieuse pour ma sœur. « Qu’elle aille se faire foutre ! » Pensais-je tout haut. Je jetai des cailloux en direction des mouettes. Trop coquillages vides elles aussi puisque se ruant sur les projectiles comme s’il eut été question de nourriture. Malner ne vint pas cette fois-ci et désespérée je me résolue à rentrer. Ma mère devait être sortie ; ses appartements furent vides et errant telle une âme en peine, je partis grapiler quelques friandises en cuisine où régnait l’absolu chaos : on préparait les plats en vue du festin de ce soir. Il me faudrait trouver une nouvelle occupation loin de ces gens pour ne pas avoir à craindre l’ennui dans la grande salle. Le chambellan passa près de moi sans même me remarquer. Oui j’étais insignifiante même pour ces administrateurs, incapables de m’identifer. « Lady Nimue ? » En tournant la tête je découvris un grand gaillard au sourire satisfait. Il revint sur ses pas. Je me souvenais de lui ; il avait lutté contre Malner avant de déclarer forfait lords de la troisième manche. Un bon combat mais perdu d’avance. Bolton Er Vorath. Son nom me revenait à présent. « J’ignore si vous me remettez mais j’ai combattu d’abord contre votre cousin puis contre Malner. J’avoue ne pas avoir marqué les esprits mais voilà je cherche à ce jour à rentrer comme chevalier-ligue
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dans une grande maison comme la vôtre. Bien que je n’aie pas pu me distinguer comme je l’eusse souhaité, je dispose de divers atouts qui je le sais pourraient vous séduire. —Je sais qui vous êtes nom est Bolton Er Vorath cependant ma famille n’a rien à vous offrir. Mon père dispose d’assez d’hommes pour mener une bataille si toute guerre venait à se déclarer. —Je ne pensais pas aux Highmore mais à vous. —A moi ? Pouvez-vous être plus clair ? —Je dispose d’une trentaine d’hommes remis par mon précédent vassal en récompense à mes récents exploits. Des hommes aguerris qui ont l’expérience du combat. Or ces hommes seront placés sous vos ordres si vous acceptez ma proposition. —A quelle fin ? Je suis sous l’autorité de mon père le Seigneur Higmore et pour l’heure je ne dispose d’aucune terre pour loger vos hommes aussi talentueux soient-ils ? Tout cela n’est qu’un malentendu, vous devez me confondre avec ma sœur Niniane qui le moment venu assoira son autorité sur vos autres. —Non pas ! Les autres chevaliers ont usé de leur influence pour approcher votre sœur et flatter son orgueil afin de rallier à la bannière de Windburgh. Quant à moi je serai bien heureux de vous servir. —Ah, ah ! Je suis bienveillante de vous l’entendre de dire mais mes possessions sont inexistantes. Pas un seigneur à ce jour ne m’a faite de propositions et si mon démoniaque cousin n’était pas si empressé de semer le trouble vous ne seriez pas là à m’offrir vos services. —Votre cousin n’y est pour rien dans ma volonté de vous prêter assistance. Seulement je sais interpréter les signes. —Et de quels signes parlez-vous ? » Il s’avança un peu plus. Diabolique cousin, le terme était faible compte tenu de la gravité des faits : Orvath me voyait déjà marier. Alors je comprenais un peu mieux pour quelle raison Malner s’éloignait un peu plus de moi. Il se sentait trahi.
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—Je peux encore me tromper Lady Nimue et vous êtes en droit de me demander réparation pour le dommage subit mais votre destin est écrit. » Balivernes ! Niniane entra dans ma chambre pour me trouver allongée sur le lit, face tourné contre la fenêtre à ogive. « Ah tu es là ! Mère est furieuse contre toi. Tout le monde était là sauf toi ! En même temps ton absence ne nous a guère surpris. Tout le monde sait que tu n’es pas taillée pour ce genre de divertissements et on a bien ri, sourit-elle en s’asseyant sur le rebord du lit. Le prince est charmant ! Plein d’entrain et très pertinent dans ses réflexions. Jamais je ne l’aurai imaginé si…amical. A sa manière c’est un galant seigneur, toujours prêt à se montrer aimable. Naturellement il a salué mère et m’a prise par la main pour ensuite m’offrir un verre ! Je ne mettais pas préparé à cela et encore moins à son affabilité. Regarde ! J’en tremble encore ! —On dirait qu’Eldreg est vite oublié. —Ne te fous pas de moi Nimue ! Gorvath est un Prince de sang ! Eldreg a beau être bel home, il est si distant envers moi. Je m’en veux de dire cela mais notre Prince est si chaleureux, si complaisant ! Alon dit que je vaux bien un Prince et Eldreg est intelligent. Il comprendra. —C’est juste, répliquai-je en m’asseyant près d’elle, les jambes repliées contre ma poitrine. Alors Alon a du te dire que ton Prince m’a rendu visite l’autre soir ! —Oui je suis au courant. Tout le monde sait qu’il s’est entretenu avec toi en privé mais qu’est-ce que tu vas t’imaginer encore ? Tous tes efforts pour tenter de séduire ces hommes n’aboutissent à rien. Malner semble t’avoir oubliée et Eldreg dit de toi que tu es vouée à la perdition. —Vraiment ? Et quand te l’aurait-il dit ? Tu n’es jamais là quand il ouvre la bouche et je n’ai pas à me fier au jugement d’un homme aussi indécis que lui ! —quelle bécasse ! Il se moque pas mal de toi et de ce que tu peux ressentir, tu es Nimue et tu resteras Nimue parce que tu n’as pas une once de jugeote !
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Comment peux-tu manquer à ce point de pragmatisme ? Gorwald semble lui aussi bien t’avoir cerné, il a dit à tout le monde qu’on ne pouvait obtenir de toi un semblant d’ordre. Ah, ah ! On a tous bien ri, excepté mère et Alon bien entendu ! Ce soir, tu ne seras pas tenue à venir, tu nous as suffisamment honte pour qu’on accepte de te voir faire la gueule ! » Malner n’était pas dans la grande salle. A tout instant j’espérai qu’il fasse son apparition. En vain ! Il ne viendrait pas. Tout était fini entre nous avant même que cela ait commencé. J’étais stupide, aveuglée par ma propre suffisance et il ne me restait plus rien que de brefs souvenirs. Je fixais mes mains pour ne pas avoir à croiser le regard de quiconque. A trois s’il n’apparaissait pas, je m’en irais. UN….deux…et trois… Toujours pas de Malner. « Où vas-tu Nimue ? » Eldreg me barra la route. Autour de nous, la foule se pressait pour gagner leur respective place. « Et bien ne…je ne me sens pas très bien. Il est préférable que j’aille m’allonger un peu. Je reviendrai plus tard. Dans une heure ou deux. —Malner. Malner s’il te plait ! » Mon cœur battit à rompre. Il se tenait derrière moi, le regard froid et lointain Il était enfin là. Comment pouvais-je revenir sur ma décision de partir ? « Si vous partez tous les deux, je risque de me retrouver bien seul. Restez au moins jusqu’au deuxième service. Malner….pourquoi avoir tenu à rester si ce n’est pour t’amuser ? Allez, reste un peu mon ami. Nimue se sentira bien seule quand j’airai esquivé quelques pas de danse. Tu lui dois bien cela. » Pas plus convaincu pour autant il ne desserra pas les lèvres. Le gloussement de pintades de Niniane m’horripila car penché à son oreille Gorwald devait l’amuser tout en m’épier ; que devait-on penser de son attitude ? Avait-il vraiment des vues sur mon ainée ? « Oh Eldreg, tu es là ? S’exclama cette dernière prise en flagrant délit d’infidélité. Son Excellente m’a gentiment conduite ici mais il est temps pour nous d’aller nous assoir, n’est-ce pas ? »
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Et Niniane bondit au bras d’Eldreg, m’écrasant le pied au passage ; tout juste si elle ne me bouscula pas pour récupérer son fiancé. « Vous l’aviez perdue en route mon ami, souligna Gorxald en le défigurant, le menton relevé, un peu plus et je l’invitai sur ma table. Il serait injurieux de négliger pareille compagnie. » De nouveau Niniane gloussa, masquant ma vue aux autres protagonistes. « Et où donc se passe notre petite Nimue ? La pauvre malheureuse n’a pas de galant pour lui tenir le bras, que c’est regrettable Les hommes du Val se fichent des convenances. Et vous vous cachez encore nimue ? —Ma sœur ne tient pas à ce qu’on l’accompagne à table ! Elle ne compte pas rester de toute façon. Ah, ah ! Elle seule à le secret de l’escamotage et vous verrez que d’ici une petite demi-heure, elle nous aura déjà quitté. —C’est qu’aucun de cette assemblée n’est assez compréhensif pour l’escorter ce que je vais m’efforcer de réparer ce soir. Nimue, je vous offre mon bras. Allons-y avant que vous preniez définitivement racine ! » Le sol se déroba sous mes pas. Impossible de fuir. Il passa de table en table afin de me présenter à ses courtisans comme étant la « fameuse » Nimue Highmore, l’indomptable Nimue ; cette remarque fut accueillie par des gloussements, des études approfondis du sujet et des commentaires flatteurs. « Vous voyez ce n’était pas sorcier. Ils vous aiment déjà et je suis navré que vous ayez manqué la première partie de ces réjouissances. Tous attendaient après vous et vous vous êtes faite désirer. J’aime ça. Une femme qui se dévoile trop est à mon sens une femme qui ne se respecte pas. Niniane, je vous ramène votre sœur et tâchez de ne pas la laisser filer, j’en serais outragé. —Ah, ah ! Alors nous l’attacherons à son banc ! » Assise à la droite d’Eldreg, je me sentis trop à l’étroit sur cette table. Il fallut du temps pour que tout
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le monde rejoigne sa place. Les troubadours, jongleurs et autres reprirent leur numéro. A gauche d’Eldref, Niniane gloussait, cherchant à se montrer disponible pour son galant ; lui, ne l’écoutait guère, cherchant des yeux Malner assis en retrait avec les autres barons dont Er Vorath. Mon voisin de droite me servit à boire et me tendit le tranchoir. « Comme ça Nimue vous êtes la figure montante de cette réunion ? Déclara mon voisin portant une barbiche et un magnifique costume vert irisé. Votre mère doit-être flattée, le Prince est comment dire… difficile à convaincre. Si vous avez ses faveurs il vous comblera plus qu’il se doit. Il faut reconnaitre que vous autres Highmore savaient vous rendre indispensables. Je bois donc à votre santé. » Ma sœur assise à sa droite lorgna dans ma direction. « Ne lui portez pas tant de mérite, mon seigneur ! Ma benjamine n’a aucune gratitude à ce sujet. J’ai cru entendre que vous êtes
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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