(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)
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LE JEU DU SOLITAIRE [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LE JEU DU SOLITAIRE
Polymnie
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1
Daddy m’a dit : tu reviens après le lycée et tu te mets à travailler. Exit Facebook et les autres sites de réseaux sociaux ! C’est comme priver un oiseau de voler, comment peut-on aujourd’hui se priver des réseaux sociaux ? Il aimerait comme tous les vieux que je lise autre chose que les SMS envoyés par mes amis du lycée et moi je lui ai répondu que le temps où tous attendaient de voir le temps passé devant un feu de cheminée est révolu. Il m’a dit que les jeunes ont besoinèmed’un idéal différent des médias du 21 siècle. Il devrait vivre un peu avec son temps et arrêter de me prendre la grappe pour des tels sujets « stériles » et puis j’ai un texte à rendre demain demandé par le prof de français et pour ça j’ai besoin de faire des recherches sur le web. Le bus ne déposa devant la maison. On vit un petit pavillon dans un quartier hype de la banlieue ouest de Londres. Le lycée est à une demi-heure à peine et mon daddy paie 30livres sterling par mois pour le transport urbain. Il ne veut pas m’offrir de scooter. Vivement que je me casse bien vite d’ici !
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J’ai pris un coca dans le frigo et j’ai jeté mon sac sur la table ; je me suis jetée dans le canapé pour mater MTV, après ça j’irai faire mes devoirs. Kitty m’appela. « Ouais qu’est-ce que tu veux —Tu ne vas pas me croire mais suis en ville avec Jack et Chris ! Qu’est-ce que tu branles toi ? Tu ne devais pas passer ? Allez ramènes tes fesses Joan, ton daddy n’en sera rien ! On ne reste pas longtemps et tu pourras toujours dire qu’on revoit ensemble ! Qu’est-ce que tu décides Al ? » Ben,j’ai retiré mes baskets Converse et je ne suis pas très motivée pour sortir, en plus Jake ne m’aime pas. Il me trouve comment dire : pas aussi sexy que les autres. Je suis seulement intégrée dans le groupe parce que j’ai « de la gueule » comme ils disent. « Je ne sais pas Kitty, l’autre fois ça a failli mal tourner ! —Oh ce que tu peux être nulle quand tu t’y mets ! Ça pue vraiment ton histoire. Il y a tout le monde (chuchota-t-elle dans le combiné)La bande à Jack O’connell et les filles. S’il te plait passe ! Ne me dis pas que tu mates la télé, toute seule dans ton coin ? —Si je sors mon daddy va me tuer tu le sais bien. C’est un ancien des forces spéciales et en ce moment son toubib a oublié de lui prescrire ses médocs ; alors ça le rend hargneux et un peu parano. Il a coupé mon accès à internet et je suis persuadée d’être sur écoute là. Pour une fois oublies-moi. Ecoute rappelle-moi dans dix minutes, je vais voir ce que je peux faire ! » J’ai raccroché parce que j’ai vu la silhouette de Dixie se profiler dans la rue, la capuche remontée sur sa tête. Il deale dans le coin sûr de trouver quelques clients
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ici. Papa ne peut pas le voir. Papa ne peut voir personne de toute façon. Alors je remis mes converses pour lui courir après dans la rue. A cette heure-là aucun parent ne traine ici alors c’est tout bénéf pour lui. « Hey Dixie ! » Il se retourna pour me dévisagea froidement le cure-dent coincé entre ses lèvres pulpeuses. Le seul beau gosse de la région. Il fait de la boxe et s’envoie en l’air avec les plus 95D, c’est comme ça qu’on appelle les gorges chaudes du coin ; des meufs qui se prennent toutes pour des stars n’hésitant pas à filmer leurs ébats sexuels sur le web –les sextapes circulent librement au lycée et on peut en acheter 10 pour 3 livres- ce qui les achètent sont taxés de pervers. Je ne sais pas qui les achète d’ailleurs. « Qu’est-ce que tu veux Joe ? Je ne vends pas aux mineurs c’est la consigne, alors dégotes toi un petit copain pour… ma came. Tu as un petit copain en ce moment ? —Tu pourrais faire exception pour une fois. J’ai de la thune, répondis-je en enfonçant mes ray-bans sur le nez. Il est là à me relooker et j’aime ça, quand ses yeux s’attardent sur ma petite poitrine au wonderbra rembourré. Si je ne prends pas chez toi, J’irai me fournir chez un autre. —Ok, derrière chez toi. Passe devant et essaye d’être discrète ». Devant le garage de mon daddy j’observai la rue et j’ai laissé la porte ouverte, signe qu’il pouvait passer, le temps pour moi d’allumer une cigarette pour faire plus cool. Et Dixie arriva, la capuche toujours enfoncée sur sa tête. « Il t’en faut pour combien ? —J’ai quarante. Donnes-moi comme l’autre fois ». Il est vraiment beau garçon
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et je mouille ma culotte à chaque fois qu’il apparait. Je sais qu’il a fait de la taule et qu’il n’est pas vraiment le gendre idéal si l’on en croit les mères du quartier. Celle de Martha est formelle : La prison a vie pour ce genre de délinquant ! « Tu as un petit copain en ce moment ? —Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Depuis quand tu t’intéresses à cela ? —Ben tu me dis ouais ou tu me dis non ! Je ne vois pas où est le problème ? —Oui j’ai un mec et après ? —Toi ? T’as un mec ? —Cela te défrise on dirait ! J’ai un mec et ça se passe plutôt bien si tu veux tout savoir. —Et ton vieux te laisse sortir ? »Il me fait chier avec toutes ses questions et il se met à renifler profondément comme pour faire venir un molard au bord de ses lèvres. Je m’assieds sur le capot de la vieille Ford de collection de mon daddy et je tirai sur ma cigarette en le fixant de mes grands yeux. « Je sais comment détourner l’attention des forces de l’ordre. —Tu as quel âge déjà ? —Je viens bientôt sur mes 17 piges et toi, le vieux ? » Il caressa l’arête de son nez, perdu dans ses pensées. Les gars quand ils réfléchissent trop c’est pas bon : ça veut dire tu n’es pas assez bonne à mon goût désolé mais je préfère me réserver pour plus bandante ! Au moins j’aurais essayé. « J’ai soif. Tu n’aurais pas de la bière ? » Daddy en a toujours dans le frigo du garage alors je la lui tendis en mettant mes cheveux devant mes yeux. « Il s’appelle comment ? —Qui ? Mon mec ? Ne me dis pas que tu fais une fixette sur mon mec-là ! De
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toute façon tu ne le connais pas, il n’est pas d’ici. Tu connais Djamal ? —Oui pourquoi ? » Ses yeux se sont arrondis, presque écœurés par mes quelconques révélations. En fait Djamal, c’est le pote de Jack O’connell, un africain qui deale près du lycée et une petite frappe craint par tous. Si je pouvais en savoir plus sur lui je pourrais ainsi impressionner O’connell et les reines du bahut. « C’est pas un type pour toi Djamal ! —Qui te dit que je sors avec lui. Je dis seulement que je le connais vite fait. C’est un poto de Jack et Jack sort lui avec une de mes amies. Je voudrais seulement en savoir plus sur lui. —Ton pote O’Connell cherche à impressionner son monde et il pense que pour réussir dans ce milieu il suffit seulement d’avoir des couilles. Il se trompe sur toute la ligne, il faut autre chose et cette autre chose, lui il ne l’a pas. Tu sais si un jour tu…tu avais besoin que je t’avance…je vais te filer mon numéro de téléphone. Alors tu m’appelles à n’importe quelle heure du jour et n’importe quel jour dans la semaine. Toi et moi on reste en contact ». Je l’ai laissé repartir sans rien ajouter d’autres. Bingo ! Un point pour moi ! Il suffit de parler de Djamal pour avoir Dixie dans la poche. Wouah ! Suis trop vernie. Il faut que j’appelle Sam pour lui dire que je rapplique. « Allo Sam ! Vous êtes où là ? Ecoutes j’arrive dans moins de dix minutes ! » Il est vingt heures quand je rentre chez moi et mon daddy est là encore en costard et cravate. Il lisait le Sun sans lever le nez de son journal et quand il est comme ça, ce n’est pas bon signe. Mon daddy c’est
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1M86 de viande sèche, un regard amical et un nez busqué. Il a de longs cheveux blonds et une large mèche qui lui barre le visage. « Comment était-ce ta journée ? » Il apprécie arriver, voir le couvert mis et le repas préparé. C’est un peu cliché de dire ça, mais il est un peu macho bien qu’il dise faire cela pour m’éduquer. « Une journée ordinaire et la tienne ? —Tu sens l’alcool à plein nez et tu sens autre chose que du tabac. Ma journée s’était bien déroulée jusqu’à ce que je rentre pour retrouver la maison vide. (Il ferma prestement son journal) Je ne peux vraiment pas te faire confiance. J’aimerai pouvoir le faire mais…tu te moques délibérément de moi. Assieds-toi s’il te plait et dis-moi où tu étais et surtout avec qui ? » Il nomme cela ses petits conseils de famille. Tu parle d’une famille ! Ma mère s’est tirée du foyer il y a des années de cela et il m’élève seul. Quand il part pour ses voyages d’affaires, c’est grand Ma qui vient comme : Garde à domicile. On forme tous deux une famille des plus atypiques. Il enfila ses lunettes rectangulaires et me fixa par-dessus ses verres. « Je revoyais mes cours avec Sam et Kitty. On a une dissertation a terminé pour demain et je t’ai laissé un mot sur la table pour te dire où je me trouvais alors pourquoi me fais-tu cette scène ? Suis réglo et je n’ai rien à me reprocher moi ! Quand je dis où je suis, j’y suis vraiment et je ne m’envoie pas en l’air avec le premier venu ! » Très calme il retira ses lunettes et on sonna à la porte. C’est Charlie. J’avais oublié qu’il devait passer et ce n’est pas au goût de mon daddy. « Qu’est-ce que tu fais
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ici ? » Et lui de répondre aussi froidement que le paternel : « On est jeudi, tu l’as oublié ?Le jeudi je passe voir ma sœur ! » Mon daddy désapprouve ses visites depuis qu’il a cogné des noirs par convictions idéologiques. Il y a cinq ans de cela il s’est fait tatoué une croix gammée à l’épaule et c’est un furieux de premier ordre qui fait la loi dans la banlieue est avec ses potes néonazis et bikers tout comme lui. Il plaqua ses longs cheveux blonds en arrière et caressa son bouc les sourcils froncés. Je m’entends bien avec lui à condition d’être d’accord sur toutes ses idées sinon c’est la dégringolade. Il devient alors insultant, pique des colère et se tire en claquant la porte ; il n’y a plus que moi qui compte pour lui, papa l’a fiché à la porte après lui avoir coupé les vivres et ne veut plus entendre parler de lui. « Et ça va au lycée ? » Il a pris six mois de taule pour avoir menacé un flic venu l’arrêter pour ses actions ethniques et il arbore des tatouages sur ses avant-bras : des têtes de mort, ses serpents, des flacons d’arsenic, cactus, guillotine, hache…Rare sont les fois où il sourit excepté quand il est près de moi. « Les cours, tu assures j’espère ? —Ouais, répondis-je seulement en hochant la tête rendue un peu nerveuse par tout ça. Debout derrière moi mon daddy ne perd rien de ce qui se dit entre nous et j’ai l’impression d’être au parloir. « Alors c’est cool. Il parait que tu connais Djamal. —Qui ? » Les nouvelles vont plutôt vite dans le coin. Dixie m’a balancé et je ne vois pas pour quelle raison au juste. Les deux ne peuvent pas se sentir. Alors ? Mon téléphone se mit à sonner. C’est Sam, mais
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je ne peux pas décrocher après prestement je lui réponds par SMS. « Ce ne sait pas ce qui est ce Djamal. —Tu vois Sean ta petite princesse de fille fréquente des nègres et je suppose que tu l’ignores. C’est ironique non ? Tu auras beau essayer de passer pour un mec bien mais la magie n’opère pas. Djamal il deale devant le bahut de ta fille chérie et tu vois même chez les richards, le vice sévit. —J’essayerai d’en prendre note Charlie, prit-il le temps d’articuler. Je ne savais pas si je devais remercier mon crétin de frère car daddy aura toutes les raisons de me tomber dessus, une fois la porte d’entrée fermée à double tour. « Ça va ! je ne suis pas pote avec lui ! Tout le monde le connais c’est tout ! Qui t’a dit que je le fréquentais plus intimement ? Charlie si tu viens ici dans le seul but de foutre la merde, abstiens toi de passer, cela vaut mieux pour tout le monde ! Bon, moi j’ai des devoirs à faire, si vous voulez bien m’excuser ! Et essayez de ne pas vous entretuer ! » J’écoute la musique à fond sur mon Iphone quand daddy entra dans ma chambre. « J’ai frappé…je peux venir ? » Il s’installa sur mon lit, en t-shirt et les lunettes sur le bout de son nez. Qu’est-ce qui veut me dire : qu’il est désolé pour tout ça ? Qu’il s’en veut de ne pas être assez présent dans ma vie ? D’avoir jeté Charlie hors du foyer ? Je n’ai pas tellement envie d’entendre ce qu’il a à me dire. Ma mère s’est barrée et je comprends mieux pour quelles raisons. Il n’est pas rigolo et prend son rôle de daddy très au sérieux. Il devrait lâcher du lest par moment. « Tu veux qu’on fasse quelque chose de spécial ce Week end ? On pourrait faire un
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peu d’escalade toi et moi ou du saut en parachute. —Pour qu’ensuite je dise que tu es le meilleur papa du monde ? Trop peu pour moi. Je vais faire du shopping avec les filles samedi et après je sors. On va aller danser. Cela te va comme programme ? Ou dois-je te demander une autorisation écrite ? —Tu as un petit copain en ce moment ? » Qu’est-ce qu’ils ont tous avec cette question ? « Non et ensuite tu vas me demander si je prends bien ma pilule ? Arrêtes d’être trop vieux jeu ! J’aurai besoin de thune pour mon repas de demain. Tu n’auras qu’à me laisser 2O livres sur la table. Tu peux t’en aller maintenant ! —As-tu de bonnes notes ? Argent égal bonnes notes, alors dis-moi si je dois récompenser tes efforts ! Je ne veux pas te donner de l’argent au gré de tes caprices, tu le sais très bien et je ne dérogerais pas à cette règle. —Et bien vivement que je me tire d’ici alors ! Je ne serais plus une charge pour toi et tu pourras enfon souffler. —Comment cela se passe avec Mel ? —Comment crois-tu que cela se passe ? Ça se passe normal et rien de plus ! Pourquoi faut-il toujours que tu m’emmerdes avec ça ? Je revois mes maths si cela ne t’embêtes pas trop. J’ai une interro demain alors…tu peux mettre les voiles ! » J’ai mal dormi cette nuit. A cause de ce putain de contrôle ! Joan, j’y vais ! Mon daddy ne peut pas s’empêcher de crier pour annoncer son départ. « Tu peux me déposer au bahut ? » Le questionnai-je en jetant mon sac sur la table et fouiller le
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frigo à la recherche d’un Yaourt à boire. J’aidai dady à nouer son nœud de cravate et il sourit comme il le ferait à une bonne petite femme aimante et attentionnée. En face de la maison vivent les Hemerson dont le fils de 12 ans jouait les gros durs pour m’impressionner. Mignon mais franchement il perdait son temps. « Qui est venu hier dans le garage ? » On ne peut rien lui cacher au daddy ; il voit tout, sent tout et il a un putain de flair pour tout ce qui n’est pas ordinaire et qui passait pour l’être. Je pourrais sortir un gros mytho mais tout de suite il verrait que je mens. « J’espère que tu ne ramènes pas tes petits copains ici ? Questionna ce dernier en tournant la clef dans sa grosse berline noire. Je passe mon permis et un jour je conduirais sa caisse pour les virées entre copines. Dans la voiture j’enfonçai mes oreillettes au fin fond de mon canal auditif et appuya sur la touche replay de mon samsung. J’adore ce son. Les London Boulevard assurent vraiment avec son dernier tube. Au feu je vis Dixie sortir de l’épicerie et mon père l’aperçut également. Dans sa tête l’antivirus se met en place : toutes les mauvaises données font être effacées et il va se mettre à parler de multirécidivistes, de criminels, de fous furieux. Il n’est pas encore 8h30 que déjà je sens que la Mercedes va devenir l’équivalent de la Chambre des Lords où chacun essayera de s’exprimer sans chercher à entendre ce que dit l’autre. Son cerveau vient de se mettre en marche ; Dixie. Drogue. Moi. Il se caressa ses lèvres tout en suivant du regard Dixie qui manque de discrétion en fixant la voiture comme il le fait. « Si je faisais un test
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ADN je suis à peu près sûr à 100% qu’il était chez moi hier en fin d’après midi. —Qu’est-ce que tu peux être relou ! Je ne suis pas la seule à fumer dans cette banlieue chic et friquée. Rappelles-toi ce qu’a dit Charlie hier soir ? Tu ne pourras pas m’enfermer dans cette prison dorée, c’est de l’utopie et surtout de l’hypocrisie. —Ecoute je paie ton forfait téléphonique et je ne paie pas pour que tu alimentes les poches de ce dealer. S’il revient chez moi je n’hésiterai pas à contacter la brigade des stup’ pour le faire coffrer purement et simplement. Je ne veux pas que tu fréquentes ce type-là et il n’y aura pas de négociation possible ». Non, sans blague ! Au prochain carrefour daddy me déposera, c’est la zone limite avant de risquer de me faire taxer de filleà-papa ; le lycée est privé et se veut être démocratique car tourné vers les valeurs propres à l’Europe : diversité et cultures multiples. On ne bannit pas les signes extérieurs de richesse, ni les signes d’appartenance à une origine ethnique ; sauf interdit ici les tatouages, piercing et implants. Le règlement est bidon et nos vieux paient une fortune pour qu’on nous enseigne à savoir interpréter un texte d’Ovide, traduire le latin, s’exprimer en Français, Allemand et Espagnol ; le niveau est assez élevé d’ailleurs bien que le taux d’absentéisme soit de 45% sur toute l’année de septembre à juillet. Ils affichent de bons résultats dus en partie aux capacités intellectuelles des dernières années visant les grandes universités du pays ou d’ailleurs. Au portail Sam me bondit dessus. C’est une superbe métisse afro-britannique, plutôt cool en apparence ; c’est une vrai
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panthère prête à vous tailler en pièce si vous l’ennuyez trop. On s’est battu ensemble le premier jour de classe pour une histoire de place. Le pugilat. Quand on y repense on se marre vraiment. Sam, je peux tout lui dire. C’est un peu mon netbook à moi. Kitty elle c’est autre chose. Pas toujours dispo, préférant de loin traîner avec les basanés du bahut. O’Connell est là dans le couloir. Il ne me calcule même pas. C’est son truc ça : de calculer personne. Il porte un diamant à l’oreille et se prend pour un beau gosse avec ses polos Ralph Lauren et ses pantalons à pinces. Il a son style bien à lui et il recherche une nana pour flatter son égo qu’il a démesuré comme sa bite qu’il ne cesse de décrire. « Hey, Jo ! On a couché ensemble hier soir ? Je ne m’en souviens plus ! —Moi non plus ça ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. On se connait ? » Les autres se marrent dans le couloir : Comment elle l’a chambré ! Ouah ! Trop mal ! Elle a avalé tu crois ? Et j’allais passer mon chemin quand il revint à la charge : « Un moment d’égarement poufiasse et j’ai failli me retrouver dans le cul d’une grosse moche ! » Les autres sbires de O’connell ricanèrent. Je ne relève jamais ce genre d’attaque gratuite et visant à anéantir mon stock de munitions. « Espèce de trou de balle, tu ferais mieux de regarder où tu mets ta bite. Je doute que la chèvre que tu as prise pour moi ait apprécié l’expérience ! » Nouveaux éclats de rire ponctués par : Non mais quelle pouffe celle-là ! Pour qui elle se prend ! Regarde la causer ! Les couloirs sont un peu des rings pour les joutes verbales. Si j’avais été un mec, il m’aurait saisi par la
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nuque et front contre front il m’aurait invité à le rejoindre dans la cour. Le prof arriva. Finie la récré ! Lui c’est le seul enseignant que l’on tolère ici parce qu’il est autoritaire et sait naturellement se faire respecter. Je crois que c’est du en partie par sa barbe et son regard de félin tout juste sorti de sa cage et prêt à rugir. « Hey prof ! Vous avez nos copies ? » Pas de réponse de sa part et les commentaires fusent derrière son dos : Il n’a pas du baiser hier soir ! Il développe le syndrome du prof surmené ! Etc. Il est furax au cause des copies jugées archi médiocres pour ne pas dire nulles. Il dit en avoir assez du peu de cas que certains font de sa matière. « Le programme n’est pas adapté à notre suprême intelligence », sortit Ronald ce qui ne manqua pas de faire rire l’ensemble de la salle. On est 32 dans la classe et c’est souvent le bordel sauf avec lui. Il jeta les copies sur la table et Yoshima, la nippone se chargea de les distribuer. Attendez ! Il m’a mis un D ? La pire des notations c’est bien un D. Daddy va me dessouder ce soir. En fin de cours j’irai le voir parce qu’avec un D, plus de sorties pendant un mois ! « C’est quoi le problème Miss Wilkes ? —Le D que vous m’avez mis. Cela m’a pris deux heures pour rédiger cette dissertation et j’y ai mis toute mon énergie ! Un D pour deux laborieuses heures passées à la bibliothèque ! Je ne peux pas rentrer chez moi avec cette note. —Désolé pour vous Jo mais il aurait fallu se mettre au travail plus tôt ! Vous êtes improductive et passez votre temps à discuter chiffons et sorties dans le fond de la classe. Je ne suis pas votre baby sitter, or vous avez été collée quatre heures le mois
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dernier. Continuez comme ça et c’est la porte pour vous ! —C’est un peu radical non ? J’ai di que j’allais m’améliorer. Je travaille comme une forcenée en ce moment et mon père pourra le confirmer ». Il me suffit d’évoquer mon père pour qu’il se mette à me prendre au sérieux. Il y a quelque chose dans son regard qui dit : Je suis tout ouï Miss Wilkes, alors parlez franchement j’ai tout mon temps ! Son regard vert d’eau me dévisagea. Possible alors qu’il modifie sa note. Il y va de mon intégrité dans cette société. Il fronça les sourcils et un rictus apparut à la commissure de ses lèvres. C’est un vieux con, probablement un conservateur aux idées réactionnaires. Je me dis que j’aurais tenté. « Ok, salut ! » On va au parc à l’heure du déjeuner et pour être admis à fréquenter notre cercle il faut montrer patte blanche. N’est pas admis qui veut et il n’y a que depuis deux mois que j’ai rejoint le groupe. Des fillesin, des 95D qui portent des sacs griffés et du maquillage Guerlain. Elles portent du Burberry et du Chanel n°5. On déjeune à la cafète et ensuite on va se poser sur la pelouse pour fumer et refaire le monde. Le soir c’est une autre forme de fréquentation, plus hétéroclite on va dire. Dixie a rejoint le groupe des basanés et lorgna de mon côté. Il vient checker le groupe de O’connell et glisse sournoisement vers moi. « Ça va sista ? » Il a causé à Charlie et veut se refaire une conduite. Je ne mange pas de ce pain-là. « Qu’est-ce que tu as été balancé à mon frère ? Tu ne me rends vraiment pas service avec tes foireuses suppositions.
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—Tu vas vite te calmer ! Je ne me fais pas ton frère si cela peut te rassurer, murmura-t-il en ricanant et reniflant, tu sais si tu es parano à ce point, on arrête tout de suite toi et moi et tu te trouve quelqu’un d’autre. —J’aimerai que tu me dépannes pour ce soir. Tu peux ? —Tu as combien sur toi ? Tu me verses un petit acompte et je te file le matos. —Je viens justement de te dire que je n’ai plus de thune pour le moment. On est en fin de mois et j’en ai besoin pour ce soir. Je n’ai vraiment pas envie d’aller voir les potes de Djamal. Si mon frère l’apprend le quartier va être à feu et à sang. Dépannes-moi s’il te plait ». Et il m’a envoyé un SMS à 7h15 Pm avec une adresse. Daddy me fixa, le verre de vin à la main. « Tes petits amis n’ont donc aucune vie de famille ? J’ignore combien de fois je t’ai dit d’arrêter de fixer ton écran comme tu le fais. —C’est Hannah une amie de Sam. Elle veut que je lui rende ses chaussures, tu sais les pailletés ! Je dois lui répondre et lui dire que je pourrais la voir dans une heure. —Où est-ce qu’elle habite ? —Sur la Pitt’s Street. C’est à un quart d’heure d’ici, tu ne vas pas appeler les flics pour me servir d’escorte daddy ? » Il ôta ses lunettes pour se pincer le nez. Pour lui le repas est terminé. A la poubelle le steak et la purée de pois cassé ! Quand il est comme ça j’ai envie de me saouler pour me faire oublier que j’ai un daddy vraiment réac. Tiens comme mon prof ! Le même moule et…oui j’ai envie d’une clope pour me donner plus de prestance. « C’est pour ta drogue, hein ? Tu n’as pas vraiment décroché et ton
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comportement est plus qu’irresponsable. Oui une petite taffe de temps en temps, hein ! Et puis on va te proposer de la coke, de l’ecstasy et de l’héro. Et parce que tu es vulnérable et influençable tu ne sauras pas rire non. Je refuse que tu sortes si c’est pour nuire à ta propre liberté. Alors tu débarrasses et tu vas dans ta chambre. Fin de la discussion ! » Une fois de plus j’ai fait le mur pour marcher sur Holland Park, rattraper la St James en passant par la Mary Stuart et arriver à destination. Dixie était là, comme convenu. « On va causer toi et moi. Ma caisse est derrière. On cause un peu et je te ramène chez toi. —Mon père ignore que je suis là. Qu’est-ce que tu veux me dire ? » Il regarda par-dessus mon épaule avant de glisser son regard dans le mien. Il a le médaillon de St Christophe autour du cou et il sent bon l’after-shave. On oublie souvent que les dealers sont des gens comme vous et moi. On les voit trop comme des machines à drogue et à sous. « Mon petit commerce fonctionne et je fournis trois quartiers avec ma brigade. Et ce que je fais te dire tu as intérêt à te l’imprimer une bonne fois pour toutes ». Je croisais les bras sur ma poitrine en interrogeant Dixie du regard, la chapka enfoncée sur la tête. Je crains entendre ce qu’il va me dire, les dealers sont souvent persécutés par leur réalité qui se résume bien souvent à règlement de compte, parano excessive et ambition démesurée. « Je ne veux plus te vendre de la drogue Jo et plus personne ne t’en vendra dans le coin. Si tu t’en procure je serais qui t’en procure et là les négros n’auront plus qu’à bien se tenir.
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—Tu n’es pas sérieux là ? — Prends-le comme tu veux, mais moi je ne te revends rien ! J’ai des principes à moi et je n’ai pas envie de les enfreindre à cause de ta belle gueule. A réfléchir je préfère encore te baiser que de te refiler cette merde. Si on baise, on le fera avec une capote et au moins je n’aurais pas d’ennuis avec la justice. Tu vois ce que je veux dire ? » Prendre d’énormes risques à descendre en rappel de ma chambre pour m’entendre dire ça. Je ne sais comment le prendre. Sale temps sur la planète et mon père m’a tiré du lit à dix heures et quand je dis tirer du lit, c’est vraiment tirer du lit. Par les pieds, manu militari et il m’a rossé comme quand on bat un tapis ou un matelas. Aïe ! Il m’a fait hurler de douleur. « Je vais te faire passer l’envie de te payer ma tête, Joane Wilkes ! Tu ne me donnes pas le choix, alors tu vas filer droit maintenant, si tu ne veux pas finir comme Charlie ! » Je l’ai vu battre Charlie comme du plâtre et il en porte les séquelles aujourd’hui encore. A 17 ans, il n’en menait pas large. Une petite frappe décidé à saper l’autorité du paternel. Entre lui et moi huit ans de différence. Du haut de mes 9 ans je louais sa maîtrise du kick boxing et du sambo. Un jour il a porté un coup au daddy et ça lui a valu des coups de ceinturon. Charlie a véritablement dégusté. Quand le daddy me punit il me fait faire des travaux d’intérêts généraux comme nettoyer la maison de fond en comble, ranger le garage en établissant un inventaire de tous les outils, faire les courses, le jardinage et divers travaux qui me prendront la semaine. De quoi me faire
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passer l’envie de fumer, ne serait-ce qu’une cigarette. « Il va manquer du lait. Je t’ai laissé mon portefeuille sur la commode ainsi que la liste des provisions pour le diner de ce soir ! Tu vas nous faire un délicieux plats…et arrête un peu de souffler, ce n’est pas moi qui est enfreint les règles ! » Il m’a confisqué mon téléphone et mon pc. Il ne fait pas les choses à moitié et dans la rue j’avançai les mains enfoncées dans les poches de ma parka. Je poussai la porte de l’épicerie. Daddy n’est pas fou : il a annoté le prix de chaque article à la virgule près et je déteste faire la boniche. Dans le rayon fruits et légumes, je séchai complètement. J’avais beau lire et relire la liste je ne comprenais pas ce qu’il sous entendais par « mûrs ». J’ai pris mes deux poivrons, la courgette, les tomates et au niveau des poireaux, j’ai aperçu mon prof arriver par-là. « Salut Prof ! » Il a répondu d’un rapide signe de tête avant de passer son chemin. Certains enseignants sont allergiques aux ados et sortis de leur enceinte aseptisée ils craignent choper un virus ou une cochonnerie de ce genre sitôt qu’il en croise un. S’il avait pu fuir en courant c’est précisément ce qu’il aurait fait. Les choses auraient peut-être été différentes si l’eut s’agit de Mona, Heather ou Katelyn. On vous enseigne à être civilisé, se sont de belles conneries tout cela. On mata la boxe à la télé ce soir et dans le sofa, la dépression coulait dans mes veines. « Allez petit ! » Mon père était à fond dans le tournoi et au moment de la pub il glissa son regard vers moi. « Les éboueurs passent demain matin. Tu as sorti les poubelles ? » Merde ! Il n’a pas
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l’intention de me lâcher une seule seconde. J’ai mis la poubelle le long du trottoir quand j’ai bien pensé me tirer au loin, faire de l’autostop et ne plus revenir. « Tu me ramènes une autre bière s’il te plait ? » Il poussait le bouchon un peu loin. Tous passeraient leur soirée chez Morris et à 10h12 on sonna à la porte. « Tu attends de la visite ? » Daddy se leva et ouvrit la porte pour tomber sur Jack en compagnie de sa petite amie du moment Chris. « Elle est là Joe ? —Oui bonsoir pour commencer. A qui ai-je l’honneur ? » Putain, je n’y crois pas ! Jack est là, à la porte ! « On est tous deux dans sa classe et on sort ensemble ce soir. Vous pourriez lui dire qu’on l’attend ! —Euh…tu dis t’appeler comment ? —Jack. —Alors Jack, tu dis être dans la classe de ma fille ? Jack ? Ce nom ne me dit vraiment rien. Peut-être un nom de famille avec ? —Ben ouais comme tout le monde. Je ne vois pas où est le problème ? Vous voulez peut-être jeter un œil sur ma carte d’identité tant qu’on y est (il la sortit de son portefeuille pour la lui coller sous le nez). Vous voyez c’est écrit Jack, le reste ne vous intéresse pas. Du moins je le pensais, alors votre fantasme ce sont les petits jeunots. Tu entends Chris ? —Oui qui aurait pu le croire ? Alors, elle est où Joe ? Non, parce qu’on est vachement à la bourre là, je vous explique. —Ce soir elle n’est pas disponible et Jack, tu n’es pas son genre. Pourquoi sinon es-tu ici si ce n’est pour te taper ma fille ? Attends voir…un égo froissé parce que Joe ne veut pas de toi. Chris tu devrais faire attention, ton petit copain a l’intention de
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faire une nouvelle conquête. Bon les jeunes, passez une bonne soirée ! » Il referma la porte derrière eux et j’entendis jack crier quelque chose dans la rue. Un chien se mit à aboyer et une voiture démarra sur les chapeaux de roue. Comme il revint, je ‘l’observai attentivement. « Qu’est-ce qui te fait dire qu’il a envie de sortir avec moi ? Tu ne le connais même pas ! —C’est mon métier. J’observe, j’analyse les expressions faciales et j’en tire des conclusions. Cela te déplait que j’en sache un peu sur tes relations si estimées ? Ton frère Charlie savait ce qu’il faisait en me provoquant ouvertement. --Tu es si parfait que tu n’as rien à te reprocher et surtout pas le départ de maman et celui de Charlie ! Tu ne veux pas admettre que tu fasses des erreurs et tu ne te remets jamais en question parce que tu es trop fier ! —Tu n’es pas taillée pour affronter le monde et ce n’est pas parce que fréquentes ce Jack que l’on te respectera pour autant. —Tu as toujours un train de retard ! Tu vis à des années-lumière de notre époque et tu penses possible de modifier notre espace-temps ? C’est vraiment vivre haut perché et là…tu viens de me coller la honte de ma vie ! Là je t’explique daddy, je n’ai plus aucun ami. Raillé du monde réel et si je ne me tue pas physiquement avant lundi considère que je suis dorénavant un zombie ! » Dégoutée je tentai une sortie quand le daddy à claquer du doigt pour me désigner le sofa. « Tu boudes si tu veux mais tu es assignée à poser tes fesses ici et à n’y plus bouger. Pourquoi donc ne ferais-tu pas un
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truc intelligent comme lire ? » Je me suis endormie en classe en plein cours de notre prof de littérature et naturellement il n’a pas apprécié. Ses mots ont été : lamentable, dilettante, amatrice et encore lamentable. Depuis que mon père a un peu causé avec Jack et sa dulcinée je demeurai le souffre douleur de Jack et prof a demandé à ce que je restai à la fin de l’heure. J’ai physique après et le cours se déroule à l’autre bout du bâtiment, sur l’aile B. « Qu’est-ce qui peut justifier d’une telle attitude Miss Joan Wilkes ? Vous arrivez en retard à mon cours et vous vous permettez de vous assoupi ! J’attends donc une explication. —Oui et après ? J’ai seulement piqué un roupillon et je ne vois pas en quoi cela représente une menace à votre autorité ? Le sommeil des uns devrait être l’affaire de tous et vous allez me coller pour cela, alors ne vous gênez pas, vous en mourrez d’envie !» Grand silence. J’attendais la sentence et le prof perdu dans ses pensées me fixait sans réellement me voir. « Ecoutez faites vite, je dois me rendre en physique et si j’ai du retard, je risque de me retrouver suspendue du cours. D’habitude il a plus de répartie, à croire que je le saoulais avec mes réflexions sur le bien-fondé de la sieste. —Je vais devoir vous renvoyer. Une mise à pied de trois jours.ma patience a atteint ses limites et à l’issue des trois jours vous aurez un entretien avec le proviseur ». Mon Daddy va me tuer. Surtout qu’en ce moment il lui en faut vraiment peu pour qu’il se mette à distribuer des punitions.
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« Toutefois je peux soulever la mise à pied si vous…me faites un exposé sur l’autorité. Disons un exposé de dix minutes que vous présenterez à l’ensemble de la classe après-demain. —Un exposé ? De dix minutes ? » Il plaisantait là ? Avais-je envie de me ridiculiser auprès des autres gugusses de la classe ? La réponse est non. Je ne peux vraiment pas croire que prof s’acharne sur moi. Il est le seul à vouloir me faire passer l’envie d’être cool. Il sait que je suis défoncée en cours. Les filles et moi ont bédavent un peu dans les chiottes, les filles et la bande à O’connell et cela nous renvoie aux années Collège quand on adorait se lancer des défis. Pas cap’ d’aller rouler une pelle à Morrison ! (Morrison au passage c’était un gros vicelard avec plein de boutons d’acnés sur son faciès) Pas cap’ de retirer ton string et d’aller le donner à Ron ! (Ron au passage c’était le beau gosse dont nous étions tous dingue). Et moi je suivais toujours pour faire monter un peu d’adrénaline dans mon existence rendue au stade embryonnaire. « Et comment ça se passe dans les autres matières ? —Je m’en sors plutôt pas mal, déclaraije sûre de moi tout en continuant à le fixer de mes grands yeux bleus-verts cerclés par des paillettes d’or. —Vraiment ? —Si je vous le dis ». En plus d’être un con de réac il est sceptique comme une fosse et moi d’afficher ma bouche en culde-poule ; l’expression que j’utilise souvent quand l’un des profs décide de me faire chier, c’est l’avertissement avant que je me mette à exploser ; ensuite je me mets à battre le rythme d’une mélodie
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imaginaire dans ma tête et ensuite, ensuite, ensuite je bondis sur ma proie, toutes griffes dehors ! « Ça va à la maison ? —Pourquoi ça n’irait pas ? Je ne vous demande pas comment ça va chez vous, moi. Je ne vois pas ce que cela à avoir avec tout le reste. Je peux partir maintenant ? L’autre prof va m’épingler si je me pointe avec dix minutes de retard à son cours ». L’autre là il n’a rien compris parce qu’il s’installe carrément sur sa table, la jambe en suspend et l’autre lui servant d’appui. Là je me mets à battre la mesure d’une mélodie imaginaire, ce n’est pas bon signe. Je vois à travers les fenêtres, le vent chasser les nuages. « Je réunis un petit groupe d’élèves à 5h25 dans la salle B34, tu veux te joindre à nous ? On a mis sur place un programme pour mettre en avant les passions et les passe-temps des élèves. —C’est complètement pourri votre truc ! —Tu trouves ? —Et comment ? Vous tournez à combien là ? Deux ? Trois ? Je me demande vraiment qui cela peut intéresser ? Je suppose que c’est votre idée prof ? —On est 25 et ça se passe plutôt pas mal. Tu fais toujours de l’escalade ? De la boxe ? —Il y a un moment que j’ai arrêté tout cela. Je n’ai plus le temps pour ces conneries ! Il a fallu que je fasse un choix et voilà ! —C’est bien dommage. Si jamais tu changes d’avis on se réunit chaque mardi à 5h25, à la salle B34 ! Je suis persuadé que ta petite contribution sera un plus ! Tu peux y aller et n’oublie pas ton exposé, Joe ! »
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Dans le bus, j’ai broyé du noir, les écouteurs sur mes oreilles, mes sacs serrés contre moi. J’ai laissé Sam et les autres trainer avec la bande à O’connell et depuis l’incident de l’autre jour devant chez moi je n’ai vraiment plus d’amis. Chris dit que je suis une crève la dalle et une grosse mytho. J’aurais inventé toute cette histoire pour lui voler son Jack et lui aussi s’en est persuadé. Il me provoque en avançant vers moi, rein en avant et main sur le paquet : « Tu veux me sucer Joe ? Ben te gênes pas, elle est pour toi ! » Et ils sont tous à se marrer comme de grosses baleines. Sam est moins à la colle et ce midi j’ai préféré manger toute seule. J’ai rendez-vous avec Mel cette aprèsmidi. Rendez-vous fixé à 17h et dans son cabinet on est là à se fixer comme deux chiens de faïence et nerveusement je me balance sur ma chaise. Lui me dévisagea, les lèvres serrées et très décontracté derrière son bureau. « Pourquoi es-tu nerveuse en ce moment ? —je ne suis pas nerveuse, je suis agacée. Mon père pense que je suis une junkie et cela me contrarie. Tous les jeunes fument et ce n’est pas un crime de fumer de temps en temps ! Moi ça m’inspire et je trouve ça fun. —-Et pourquoi ? —Et pourquoi quoi ? Pourquoi il m’a puni ? Mon père est un vieux réac, toujours un peu à côté de ses pompes. Je travaille bien et j’ai seulement envie de me défoncer de temps en temps. » Mel me dévisageait, faisant courir ses yeux noisette sur mon visage figé par toutes ces contrariétés. Il fait tourner son stylo entre ses doigts à la façon d’un
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jongleur du cirque de Pékin. Il est mon thérapeute depuis trois ans et on s’entend plutôt bien. Avant lui j’avais le Dr Herbert, un vieux psychanalyste se prenant trop pour Freud avec sa barbe et ses mains jointes sur son bureau. Je n’ai jamais apprécié l’ambiance clinique de ses consultations ; Mel lui est plus cool et il fait les choses naturellement sans se coller une grosse pression. Il n’a des comptes à ne rendre à personne et il gère mes problèmes en toute objectivité. Mel c’est le type que l’on rêverait d’avoir près de soi dans des moments de crise. « Tu crois donc que Sean exagère ? Tu crois qu’il n’est pas capable de gérer ses émotions ? D’habitude tu fais preuve d’un plus grand discernement Joan. Que se passe-t-il donc ? —Je suis amoureuse. C’est un peu la panique dans ma tête mais je ne voudrais pas que daddy empiète sur ma vie comme il le fait en ce moment. —Comment tu le sais ? —Comment je sais quoi ? je le sais et puis c’est tout. Ce type est mon alter-ego. Je n’ai pas besoin de parler qu’il me comprend immédiatement. C’est u romantique qui s’ignorent. —Alors notre Joan est amoureuse. Et comment s’appelle-t-il ? Comment s’appelle celui pour qui ton cœur bat ? » Cela me fut étrange de révéler l’identité de Dixie. Mel se réjouit de la nouvelle et griffonne quelques notes sur son carnet, l’air songeur puisque les sourcils froncés. Il se caressa l’arête de son nez et fixa un détail de la table. Doit-on sabrer le champagne pour fêter l’événement ? Il se passe un petit moment sans que l’un ni l’autre ne parla, lui garda cette expression
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neutre et moi l’angoisse de ne pas être à la hauteur. Mel tourna sa bague de fiançailles sur son doigt avant de glisser un regard froid dans ma direction. « Quel est le but de ton existence ? As-tu des réponses à m’apporter sur le sujet ? —Oh, putain ! Je n’aime pas quand tu me parles comme un prof ! Mon prof de littérature m’a collé une dissertation sur l’autorité, je devrais te la donner à rédiger. Au moins j’aurais la garantie d’avoir de bonnes notes. —Tu es de nouveau à te sous-estimer. Pourquoi te dévaloriser de la sorte ? Si tu avais des pouvoirs magiques que changerais-tu chez toi ? —Mes seins je ne les trouve pas assez gros. —Moi je les trouve parfaits ! —Ah, ah ! Ensuite je…j’ai toujours rêvé pouvoir être plus maline que je ne le suis en ce moment. Avoir des idées intéressantes et les proposer. —Tu as toujours eu de bonne idée. —Comme quoi ? —Vouloir faire partie de ton club d’escalade et ton parachutisme. Et puis tu es talentueuse, il te faut reconnaître ton aptitude à la dissimulation. Tu sais comment faire taire certains faits peu glorieux et tu sais tirer profit de bien des situations. Le jour où tu le comprendras Joan, nous n’aurons plus besoin de nous revoir. —on dirait que tu ne veux pas me contrarier aujourd’hui. —parce que je respecte l’amour et les gens qui l’expriment si ouvertement. J’aime ta façon d’aimer et de dénigrer tout à la fois. Tu pourrais être crédible dans ton
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rôle de belle demoiselle en quête du grand frisson. —Je n’aime pas ton cynisme. —Et moi je n’aime pas quand tu me mens. Tu dissimules la vérité Joan. Tu n’as jamais été amoureuse de ce Dixie, seulement de l’image qu’il renvoie à la société. Ce côté bad boy et si excitant et tu t’identifie purement et simplement à ses actions. On peut parer d’un transfert affectif. Tu te projette en lui pour chasser l’image du père trop présent. Si demain Dixie t’avouait ses sentiments, tu le ficherais à la porte pensant être trahie connaissant lui ton penchant pour l’addiction au sensationnel. Tu as toujours l’adrénaline Joan, tu es accrocs aux sensations fortes et ce que te procurent les interdits. Tu es une personne très ambivalente et…je ne peux rien pour toi. —Quoi ? » Incrédule, je l’interrogeai du regard. Il était passionnant de l’écouter, même quand il se montrait cynique et trop terre-à-terre ; plus on avançait dans le temps et plus il devenait cet autre Mel inconnu de lui-même et de moi sa cliente de 17 piges, névrosée et sociopathe. Je lis dans son regard autre chose que de la compassion, Mel semblait transporter par sa propre vérité sur mon cas « perdu » pour certain et « à sauver » pour d’autres. D’une minute à l’autre, je m’attendais à lui tomber dans les bras pour le remercier de m’avoir ouvert les yeux sur mon moi intérieur, mais en attendant son sourire en coin me laissa dubitative. Il attendait quelque chose de moi, mais sur l’instant je ne sus quoi. « Je pourrais vraiment l’être et tu pourrais être embêté de devoir revoir ton
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diagnostic. Finalement pas aussi timbrée que tu voulais bien le croire ! » Il sourit d’une oreille à l’autre. Plus tard dans ma chambre je dansais devant la glace, le MP3 enfoncée dans mes canaux auditifs. Un jour je finirais sourde c’est bien la raison pour laquelle j’en profite au maximum. N’ayant plus d’amis je m’occupe comme je peux. Danser reste une option. Et puis daddy n’a pas complètement levé la punition, il me faudra descendre nettoyer le garage « de fond en comble ». La cigarette est appréciée après une heure de rangement et en mettant les sacs dehors, j’aperçus une Ford stationnée non loin de chez nous. Mon père finissait son assiette, le nez dans son journal. « Tu sais qu’on me suit dans la rue ? » Il ferma prestement son journal pour m’interroger du regard. Il est sensible à la paranoïa et il est capable de mettre le MI6 sur le coup s’il sait notre quiétude menacée. « Comment peux-tu affirmer une telle chose ? Tu as noté le modèle ? Sa fréquence de passage ? Et le comportement du chauffeur ? Cela ne peut-être qu’une coïncidence, rien d’alarmant. —Si tu le dis. Seulement je pensais que tu voulais savoir pour éviter que tu lises que j’ai été kidnappée par un pervers. Ce genre d’histoires n’arrive pas qu’aux autres. J’ai besoin de mon téléphone, de façon prolongée. Je dois rester plus longtemps au bahut et j’aurais besoin de te contacter pour… —Où en es-tu avec ta dissertation ? Je veux y jeter un œil. Ensuite on reverra les maths et les sciences. Tu as besoin d’augmenter toutes tes notes dans ces matières. »
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La folie ma gagna ; je devais sortir avec Sam, elle devait passer me prendre à 10h et je ne pouvais manquer ce rendez-vous car mon dernier passeport avant de rejoindre le groupe. Ma dissertation sur l’autorité allait prendre plus de temps que nécessaire et alors que daddy y soulignait des milliers de faute de style je découvris en couverture du Times, une manchette concernant une grande banque à la City. Là j’eus l’idée du siècle. Je savais précisément ce que je ferai de ma vie. Daddy m’interrogea du regard. « C’est mauvais Joan, recommences en t’appliquant cette fois-ci. » Dans ma chambre, j’échafaudais un plan pour y parvenir. J’allais m’en tirer et on me respecterait pour cela. Ma dissertation me valut les applaudissements des autres camarades de classe. J’échappai donc à l’expulsion provisoire et mes notes augmentèrent. J’allais quitter l’enceinte du bahut quand Kitty et sa clique d’emmerdeuses me cercla. Kitty me prenait de haut depuis qu’on m’avait frappé d’ostracisme. « Hey ! Joan , Les filles et moi on va boire un verre ou deux chez Berry, alors ti tu veux te joindre à nous…tu es la bienvenue. Oh, on ne restera pas longtemps si cela peut te rassurer. Et tu… tu sors toujours avec Dixie ? Il est à tomber ce mec ! Essayes de le faire venir si tu veux bien ». Alors voilà l’unique raison de leur fantasme : Dixie ! Toutes fantasmaient sur un type avec des muscles, un passé peu reluisant et la garantie de passer une bonne soirée. Je n’ai qu’à dire : il sera là, pour que toutes se mettent à danser en poussant des cris de chattes en chaleur. N’ayant plus
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de nouvelles de Dixie je devais en conclure qu’il passait de bons temps dans son quartier, loin de l’autorité civile. Je savais où le trouver. « Ça va toi ? —Oui la vie suit son cours. On me suit dans la rue, depuis une semaine Dixie et ça me fiche les pétoches. Je pense qu’il pourrait s’agir d’un pote de mon frère, ils ne sont pas très malins dans l’ensemble. Mais ils seraient bien le genre à me filer. Une vieille Ford bleue. J’ai besoin d’un téléphone à usage unique. Non, en fait il m’en faudrait plusieurs ! —Ouais ça peut se trouver. Et tu veux autre chose ? Si tu as besoin d’une piaule, tu sais que tu peux compter sur moi. Je peux te rencarder sur n’importe qui, il faudra seulement que cela reste entre nous tu vois. Si tu penses que tu courre un grave danger, je peux te trouver une arme ou quelque chose de plus discret. Je t’avancerais l’argent et tu me paieras quand tu pourras. —C’est cool. Pourquoi je ne te revois plus à Holland Park ? —J’ai arrêté de vendre. Je suis sur autre chose de plus juteux. —Comme quoi ? » On se regarde en chien de faïence. Dixie ne se confira pas à moi, excepté si on baise ensemble. Le nez dans sa bière, il fixa la rue derrière moi, le regard fuyant. Il est plus de 6 heures et je vais devoir justifier mon absence auprès de mon daddy. Je lui arrachai la cigarette de ses lèvres pour tirer dessus. « Tu as envie de coucher avec moi ? —Tu es mineure. Pas l’intention de finir avec la brigade de la protection des mineurs sur le dos. On en reparlera dans quelques années. En attendant je te vois
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comme une cliente ordinaire, autrement dit on ne mélange pas les sentiments, c’est purement professionnel. Cela embêterait que tu te fasses des idées sur nous deux. Je n’ai pas de petites copines et je n’en veux pas. —Je te trouve bizarre. —Bizarre comment ? —Mel dit que je courre derrière le grand frisson, le sensationnel, ah, ah ! Il dit que nous deux c’est seulement pour l’adrénaline. —C’est qui Mel ? —C’est mon thérapeute. Un psychanalyste et le meilleur de sa profession ! On dirait que cela te trouble. J’ai fait une fugue il y a trois ans et on m’a retrouvé à 22 miles de Londres. C’était dément ! Ils étaient tous là, la police, scotlant Yard et le service des mineurs ; la presse et les petits camarades de mon père. Ils ont dit que j’avais besoin de me réorienter et on m’a dirigé vers des psy impossibles avant de rencontrer mal. Ce fut une libération et…avec lui tout devient possible parce qu’il me pousse à me réinventer, à m’améliorer pour trouver ma voie. Et je pense l’avoir trouvée. —C’est cool Joan, je vais te ramener maintenant. Tu as un couvre-feu et on se reparlera demain d’accord ? » Il m’a déposé dans mon quartier quand une femme se pointa vers moi. « Joan Wilkes ? Mon nom est Carolyn Murphy et mon collègue, Otto Mensen. Nous sommes tous deux de la brigade des stupéfiants et nous avons quelques questions à vous poser. —C’est une blague là ! » La blondasse et le géant m’étudièrent attentivement. « Peut-on entrer ?
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—Je ne crois pas non ! Mon père va arriver dans une heure, alors vous n’aurez qu’à passer dans une heure. » Et je leur claque la porte au nez. La vieille Ford, c’était donc eux ? Donc là je devais rester calme, respirer un grand coup et paraître naturelle. Charlie a du faire des siennes et ils sont certainement là pour m’interroger à son sujet. Les deux compères retournèrent dans leur véhicule, une berline allemande et attendirent. Mon père rentra son attache-case à la main, les lunettes sur le nez et derrière lui suivent les deux inspecteurs. Le couteau à la main je continue à suivre la recette sans m’occuper d’eux. Un repas digne d’une table gastronomique. « Euh…Joan, ces inspecteurs auraient des questions à te poser et ils seront rapides. N’est-ce pas ? —Joan vous aurait-on remis de la drogue ces derniers temps ? Parce que vous étiez il y a une heure de cela avec Dixie. Il recrute des mules si possible mineures pour faire son sale boulot. —Il s’agit d’une dénonciation ? —Il pourrait s’agir d’une dénonciation Joan. Cela ne change rien à notre enquête. De la drogue en grande quantité circule dans ces quartiers pour être acheminer à Londres et de Londres, transiter vers d’autres villes. Nous voulons seulement savoir si oui ou non vous êtes chargée de transporter des sacs bourrés de cocaïne d’un coin à l’autre de la ville ! —Je pourrais dans un futur proche avoir à le faire. C’est de l’argent de poche facile et j’aime prendre des risques. A combien s’élèvent les gains ? —On parle de trois millions de livres engrengés au cours de ce mois, souligna
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Mensen de sa voix chuchotée. Cela vous inspire quoi Miss Wilkes ? Dans quelques mois, sept mois vous ne serez plus mineure et vous serez condamnée pour entrave à la justice et recèle de biens si nous arrivons à le prouver. —Alors il s’agit d’une accusation visant à nous faire perdre notre temps ! Veuillez m’excuser mais j’ai un ragout qui attend sur le feu. Papa, fais les partir s’il te plait ! »
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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