(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)
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LE MAL DES Å’UVRES [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LE MAL DES ŒUVRES
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Pensées du jour : Hygiène— Difficulté à convaincre— Relations avec autrui— Conflits au sein de la famille —Fiançailles de Ninnog— Rien à déclarer ici sur cette autre partie du royaume. Les choses sont restées telles qu’elles le furent il y a plus de six mois ; excepté le fait que les bourgeons soient en fleur et l’absence de merde depuis qu’on a assainit les marais. Quand j’évoque cela je ne peux m’empêcher de sourire. Assainir quoi ? Le problème ne vient pas de là. Depuis le temps quand même, ils devraient faire quelque chose. De tous côtés les protestations pleuvent et l’autre jour ils m’ont chassé à coups de pieds dans le derche. Je ne suis pas une chienne ! Un peu de respect. T’as intérêt à ne pas trop l’ouvrir. Je n’arrête pas de me le répéter mais je ne peux les laisser avoir cette aptitude : à savoir du mépris pour les convenances. Pietr m’a jeté un seau de merde au visage afin de calmer mes ardeurs. Personne ne me soutient ici et mes réformes ne passent guère au milieu de ses guerriers. Vini, vidi,vici ! L’écœurement n’est jamais bien loin en ce moment. Ca pue ! Le crottin passe encore mais les excréments de porcs et la bouse me collent la gerbe à tous les coups ; c’est plus fort
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que moi, je ne remarque que cela ; du matin au soir qu’il neige, qu’il pleuve et surtout qu’il vente tous ces trous-de-cul m’empêchent d’apprécier la bouffe servie à table. Bon constatons néanmoins mon succès auprès de mes demi-frères dont l’âge nous rapproche finalement. Ils sont plein d’entrain et utilise mon savon comme un objet maléfique et Byron fasciné par l’essence de bleuets veut connaître le secret de ma fabrication artisanale. En fait j’ai fait la connaissance d’un parfumeur venu du nord. Il m’a vendu pour 10 pièces trois flacons de senteur : chèvrefeuille, bleuet et menthe poivrée additionné à du romarin. Nul désir de passer pour la plus barrée des donzelles du coin c’est pourquoi je n’insisterai pas plus longtemps sur la nécessité d’avoir une existence irréprochable sur le plan de l’hygiène. L’espèce d’apothicaire pour ne pas dire le sorcier chez lequel je me procure mon huile végétal sensée purifier ma peau des agressions quotidiennes reste d’accord sur le point qu’il faille rester sain pour espérer une longue existence ; fini la débauche dans l’alcool, la bonne chaire et les nuits courtes encouragées par le passage des ménestrels et autres jongleurs. L’intendant Pyk m’a envoyé balader au moment où j’évoquai la possibilité d’offrir aux hommes un déjeuner matinal non plus à neuf heures mais bien à six heures, premièrement pour dégager la grande salle de cette assemblée de soiffards, deuxièmement et je vois cela comme une réelle nécessité : obliger les hommes à se lever plus tôt et ne plus couper aux exercices d’armes et troisièmement pour permettre à leur estomac déjà fragilisés par
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les agapes de la veille de trouver un rythme de digestion propices à une amélioration gastriques, soit à un dégorgement des latrines. Rien à faire. Ici c’est se battre contre le vent. « Ces hommes n’ont nul besoin d’être dorlotés. On ne peut faire une bonne guerre le ventre vide ! » Inutile de débattre pendant des heures. Certaines femmes ne sont pas faites pour régenter des forts tels que celui de Grey’s Hall. Au moins j’aurais essayé. Notons également mon incapacité à convaincre quiconque. Sitôt que j’ouvre la bouche, on ricane, se gausse et se bidonne pendant des heures. Les fils de mon père issus de ses premières noces ne m’ont jamais ménagés et j’entends encore leurs ricanements résonner dans mes oreilles. Arzhen- grandes- oreilles, ça c’est mon surnom en plus de Bécassine ou Langue molle ; ils éprouvent une joie certaine à me tailler eux qui n’ont aucun respect pour la gente féminine. Le seul à manifester de l’intérêt pour mes délires est bien Malner, jamais il ne ricane et il me prend vraiment en sérieux. Impassible il m’écoute monologuer pendant de longues minutes en se grattant le menton, les sourcils froncés et l’œil brillant ; il va s’en dire qu’il est le préconiseur de toutes mes lumières. La moindre petite subjection passe par son esprit avant d’atterrir dans le mien. Ses idées je les fais miennes. Or depuis un moment déjà il m’évite et s’égare sitôt que je le questionne sur cette froideur, cette rigidité des plus inhabituelles. « Je ne veux pas d’histoires avec toi d’accord ? » Mes frères Akon et Pietr sont derrière tout cela et je remarque leur regard chargé de haine posé sur le couple que nous formons. Sans le soutien
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de mes frères je ne suis rien. Et bien j’ai appris qu’il se lavait tous les jours, suivant mes recommandations et qu’il déjeune aux aurores. Je ne veux pas d’histoires avec toi…Il a pris ma défense tantôt et cela lui a valu le mépris des autres chevaliers auprès de qui il était devenu un homme. L’ambiance pue bel et bien, tout comme la merde stagnant dans les douves. L’autre jour j’ai proposé à Ser Ellis de faire boire ses chevaux non plus à l’abreuvoir mais directement à la rivière. Il n’a pas apprécié et pour peu m’aurait rossé ; les vassaux de mon père Lord Highmore ne souffrent d’aucune contrariété. On m’a envoyé du crottin à la figure. Cela aurait pu être l’œuvre de mes marcassins de beaux-frères, ceux ici du troisième lit de mon père ; ces bâtards assoiffés d’honneur. En cavalant derrière eux j’ai compris la stupidité de la situation : les donzelles aussi crétines soient-elles ne courent pas derrière les manants de leur espèce. Des marauds ; voilà ce qu’ils sont ! On ne m’apprécie guère, je tiens plus d’une Styrren que d’une Highmore, à en juger par mon petit nez en trompette et mes oreilles décollées. Père dit que je ressemble à une chauvesouris…une chauve-souris. Il aurait pu choisir un animal plus agréable à regarder que cette espèce de…c’est vrai que je ne suis pas jolie, je dirais même, je suis très laide. Lèvres épaisses déformées par une moue qui se veut boudeuse. Arrêtes de tirer la tronche, tu ne brille déjà pas par ton intelligence, taille souvent mon aîné lorsqu’il m’utilise comme son esclave, son écuyer ou bien son valet de chambre. Cela dépend des heures, des circonstances et surtout de son humeur du moment. Ma
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mère s’est persuadée depuis toujours que je suis sotte, voire inadaptée à la vie publique et plusieurs fois je l’ai entendue dire : « Elle n’a rien pour elle, ni la grâce, ni l’intelligence, juste une fille de ferme incapable de se distinguer d’une éventuelle qualité ou don ». En ce moment ce qui ressort souvent c’est ma gaucherie accouplée à cette démarche chaloupée de vieille femme handicapée par l’embonpoint. Tante Berna ! On ricane en évoquant la vieille peau de tante Berna et Ninnog ma sœur avec qui j’ai passé de longues heures à imaginée une vie de princesse voire de reine à la tête d’un royaume riche et puissant se moque ouvertement de ma maladresse. « Une oie ! Elle a la démarche d’une oie ! » Et puis j’ai des tâches de son sur le visage qu’il est impossible de faire disparaître. Elle ne devrait pas ressembler à cela, pleurniche mère en me défigurant, Arzhen a pris les défauts physique des Styrren et des Highmore. « Que ferons-nous de toi ma pauvre chérie ? » Je pourrais travailler à l’intendance attachée à la gestion du personnel. A cela elle ne répondit rien. L’idée de me tenir éloignée d’elle semble la ravir. Je vous le dis, Malner est le seul à me respecter ici. Même s’il voudrait me faire passer plus bête que je ne suis, il n’y arriverait pas ; son objectif, sa mission et le but de sa vie est bel est bien celui de m’être agréable. Il existe des êtres comme lui incapables de faire autre chose que de vous cirer les bottes et vous caresser dans le sens du poil. Toutefois c’est un peu différent avec lui puisqu’il m’a vu naître. Il fut là au moment de la délivrance et on raconte même combien il fut efficace dans
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mes soins de nouveau-né. Si vous venez à la croiser au fort, je vous laisse le soin de l’aborder et de constater son caractère affable et il est bien l’un des seuls à ne pas lâcher des vents, roter et claquer la croupe des filles du coin. D’après ma sœur utérine Ninnog, il est froid, peu cordial, emprunt d’une suffisance frisant l’insolence et contrairement aux autres males des environs, il est le seul, et elle d’insister lourdement sur le fait, à manquer d’ambition. Depuis quand l’ambition estelle une vertu ? Je connais des tas de personnes dont la seule préoccupation reste le devoir à autrui. Or elles ne sont pas toutes des serfs, des barons et baronnets, vassaux ou chevalier-lige. Ce genre de débat à l’art de faire dresser les cheveux sur le crâne de Pietr incapable de comprendre en quoi mon opinion prévaut sur l’éducation des benjamins (tâche dont je ne peux dérogée au risque de finir banni de la demeure paternelle). En plus de Nonn, Trifin, Tristan, Dole, Solenn, Briz les morveux du coin se trouvent également les rejetons de ma belle-mère et comme lord Highmore ne fait pas les choses à moitié il s’avère que tous les orphelins du royaume soient ses mouflets. Il a engendré à lui seul plus de bâtards qu’un lapin le ferait dans son élément naturel. L’autre fois j’ai assisté à l’accouplement de lapins et le sourire m’est venu aux lèvres en songeant à père forniquant à tout-va. Ma mère rit jaune, trop rire pourrait nuire à sa santé mentale d’ailleurs et je crois qu’elle est née avec cet affreux rictus au coin des lèvres, cette déformation faciale lui donne un air jovial bien que je sois la seule à connaître le fond de ses pensées. Si elle pouvait le faire avec quelle joie non
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dissimulée les jetterait-elle tous au bûcher ? Un tel sujet ne peut-être évoquer si ouvertement, disons seulement le profond mépris ébranlant la quiétude de ma mère. Quiétude également troublée par ma présence en ces lieux. Comme père m’invite encore à m’assoir sur ses genoux cela l’agace et alors prise de convulsions et de tics nerveux s’empresse de quitter la pièce en maugréant tout son saoul. Il est possible qu’elle me déteste puisqu’elle m’affuble du sobriquet de : tête d’ours en référence à la tête massive et barbu de mon paternel. Le temps ne peut effacer certaines douleurs et alors que je m’évertue à inculquer à mes frères et sœurs les notions de respect et surtout d’hygiène, il y a toujours dame Levenez, Izog et toutes ces autres pintades et lointaines cousines de ma mère et veuves de guerre pour me rappeler mes origines. « Tu es une Styrren, pas une Highmore ! Tu n’as rien de ces rustres-là, crois moi et prie pour ne jamais finir enterrer vivante comme ta pauvre mère ». Le pathos caractérise ces deux vieilles peaux mais je ne peux leur en vouloir : la guerre fait beaucoup de ravages et pas seulement dans les fiefs des seigneurs. Parlons-en des Styrren ! Ma mère fut mariée à l’âge de quatorze ans à Highmore et de cette union née du chaos ne ressort que haine et colère. L’époque n’est pas favorable à l’épanouissement personnel et j’en veux pour preuve le contexte géopolitique actuel propice à la famine et ils affluent de partout les sansabris, les manants, les seigneurs privés de terre, les orphelins venant grossir le rang des marauds. Mon frère Pietr est le plus pessimiste à ce sujet et accoudé aux murs
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d’enceinte du donjon il m’éduqua sur ce qui pour lui est essentiel : les rapports avec les d’Albany. dont dépend notre survie à tous. « Ils sont puissants et au-delà de ses montagnes, là où l’herbe est verte leurs terres s’étendent à perte de vue. Après le roi, ils détiennent les rênes du pouvoir et si père est trop idiot pour le comprendre il faudra néanmoins consentir à les recevoir à notre table au risque de perdre les meilleures alliances du royaume ». Les d’Albany. J’essayerai de m’en souvenir. Pour l’heure mes dernières préoccupations se tiennent à l’amélioration de l’hygiène et ce genre de réforme passe très mal. Dans la chapelle ce matin l’odeur de bouc fut si puissante que j’ai failli tourner de l’œil. Mais suis-je donc la seule accaparée par cette nauséabonde odeur ? D’ailleurs force de constater la confection d’une poche de lavande devenue mon grigri et me permettant de taire certaines pestilentielles senteurs d’ails, d’urine rendue rance telle du poisson pourrie et pis encore, je me suis surprise à badigeonner le dessus de mes narines d’essence de violette. Alon, l’un de mes ainés et celui dont le portrait ressemble le plus à père me fustige et se moque de ma sensibilité. Ses gosses parlent de mes méthodes éducatives : lavage des mains avant chaque repas, brossage des dents matin, midi et soir ; le fait de manger sain et équilibré et de faire l’exercice, tout cela contribue à l’agacer. Il m’a tiré les oreilles devant l’assemblée et si mère n’avait pas été là, un bon coup de pied aurait clos le débat. L’autre jour en pleine visite des cuisines, Erin l’une des jolies bâtardes de mon père m’a suivie en ne cessant de répéter : « Dame-pipi… Dame-pipi… » et moi de ne rien trouver à
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répondre à ses insultes. D’un mouvement aérien elle tourna la tête pour s’en aller, suivie de sa horde de compagnons de jeux recrutés parmi les jeunes chevaliers du coin. Tout comme sa mère, Erin ne mâcha pas ses mots car depuis que lord Highmore a officialisé l’union avec sa putain de mère, il lui sent pousser une once de fierté et d’arrogance. Quand j’ai osé souligner les origines obscures de sa mère on en est venue aux mains et si l’on avait trouvé à nous séparer, elle m’aurait probablement crevé les yeux. N’ai-je pas raison d’exprimer tout haut ce que tout le monde pense tout bas ? Caris est une sorcière, rien d’étonnant son acharnement à vouloir évincer mère de ses responsabilités de maitresse de maison. Entre elles deux, depuis toujours c’est la guerre et cela n’ira pas en s’améliorant. Furieux Pietr m’a giflé. Un tel comportement ne peut-être accepté tant que père couche avec cette roturière. « Si tu n’as pas plus d’honneur Arzhen personne ne te respectera ! Essayes de te distinguer par la sagesse toi qui ferais fuir un gueux ! » Alors voilà, le sujet de la beauté revient sur le tapis. La nature ne sait pas montrer généreuse avec moi mais ce critère physique ne doit pas être motif à l’ostracisme. Comment supporter les attaques des bâtards sans broncher ? Après une semaine d’hostilités, j’ai coupé court aux enfantillages de l’autre en la frappant de toutes mes forces et je peux vous dire que cela soulage bien plus qu’un mot bien pensé. Cela fait du bien au même titre que le vent soufflant fort sur le littoral et vous fait prisonnier de son élan ; les bras tendus vous espérer vous équilibrer du mieux possible et vous apprécier ce combat contre Goliath même si vous n’en sortez
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pas vainqueur. Sur le littoral Malner m’y escorte souvent et je l’entraîne dans mes délires de gosses et lui de me regarder en souriant faire le pitre sur le rocher. A l’horizon il ne se passe rien, notre existence est plutôt sans histoires de ce côté-là de la mer. Rien. Le néant. « Qu’estce que tu espères au juste ? »Je n’en sais rien. A cette question posée pour Malner aucune réponse ne me vient à l’esprit. Il est là à me fixer, la bouche entrouverte (c’est bien là la seule expression que je lui connaisse) et les sourcils froncés. Seulement j’imagine un monde où les femmes seraient les égales des hommes, un monde plein d’amour et d’espoir. Je suis naïve et je ne m’en cache pas. Malner lui ne me juge pas. Il a fait la guerre avec mon père, pas l’une de ces rixes amicales, mais bien celle où l’on voit les guerriers tomber et ne pas se relever. Il portait une armure et en tant qu’écuyer de mon frère il arborait une épée dont il m’était impossible de soulever. De cette guerre il ne veut pas en parler, alors je respecte ses silences. Dans ses bras je me sens invulnérable surtout quand il me recouvre de sa longue cape. Là à l’abri du vent il me laisse caresser sa fine barbe, et ses lèvres pleines, son menton fier et arrogant ; il semble si inexpérimenté que cela en est presque troublant et je m’amuse à coiffer ses boucles de mes doigts. Dans la cabane du pêcheur il a l’autre jour allumé un feu pour faire cuire nos palourdes et en le regardant faire j’ai été prise d’un sentiment étrange. Et si cela n’était qu’un songe ? J’allais et je l’espère être réveillée au petit matin ; une douche froide assez violente pour me faire quitter ma couche remplie de puces malgré mes efforts pour les virer de
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là ; donc disons que je me réveille pour prendre conscience de l’état de somnolence dans lequel je me trouve. « Qu’est-ce que tu attends de la vie ? »Cette question pertinente vient Malner. Bien qu’il apprécie mon savon il lui arrive parfois de vouloir m’être un terme à mes tergiversations. Il ne comprend rien aux femmes de ma condition. Femme, reprend-il en dévoilant un rictus au coin des lèvres. Ninnog est une femme mais pas toi ! De deux choses l’une soit Ninnog doit disparaitre afin de favoriser mon épanouissement soit je pars loin d’ici. A ce sujet mon bagage est fin prêt pour le jour où…j’ai des tas de raisons de me casser de cet endroit glauque, sinistre et puant. Je suis pour tous la fille cadette de Lord Highmore, celle qui, il n’y a pas si longtemps que cela sautait sur les genoux de cet austère et bruyant homme que j’ai pour géniteur. Longtemps j’ai pensé être le rejeton de sa nichée jusqu’à l’été dernier où il me gratifia d’un : « Ma petite bécasse adorée ». Prendre du grade quand on est aussi insignifiante que moi, je ne vous dis pas quel fut mon état d’esprit après cette soudaine déclaration. Mon père est impressionnant de part sa taille, sa force physique et son verbe ; j’aimerai avoir son tempérament de feu, son charisme et son aptitude à rassembler les guerriers les plus imprévisibles du moment. Souvent je rêve d’être un preux chevalier, de pouvoir galoper des heures durant en compagnie de Malner et dormir à ses côtés ; il le sait et affirme ma stupidité face à cette pensée. Un baiser déposé sur mon front ne changera rien, pas plus que ses sourires de façade et ce bijou offert tantôt pour
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quelque raison non élucidée. Il est étrange en ce moment, parlant de choses incompréhensibles et je l’écoute sans vraiment l’écouter. Dans peu de temps ma sœur sera mariée après de longues fiançailles avec ce D’Albany. Cette union est inattendue pour des ivrognes puants comme nous autres les Highmore. Beaucoup d’argent rentre en jeu, c’est une affaire d’hommes et comme il pleut à verse depuis une semaine, les celles histoires racontées au coin du feu sont celles de Ninnog et de son futur. On a réquisitionné les dames et demoiselles du fort pour le trousseau de ma sœur et son petit cœur bat si fort qu’il résonne du matin au soir à travers tout le château. Profitant du chaos je me réfugie près de Malner près de qui je m’endors en ces longues journées d’averses. Hier à mon réveil j’ai surpris son regard posé sur moi et des amandes grillées attendaient dans une assiette creuse. Des amandes et des pâtisseries recouvertes de miel. Il te faut manger plus, tu es trop maigre. De tels discours pourraient sortir de la tête de ma nourrice. Il a caressé ma joue et j’ai eu envie d’être dans ses bras pour toujours. Il m’a serré fort, si fort au point de me faire monter les larmes aux yeux. Il est comme un frère pour moi et l’amour ne peut-être anéanti, réduit à néant. Jamais. Il le sait puisqu’il me surnomme « Sa petite chose » et sous l’appellation Chose je glisse des milliers d’idées : je pourrais être une Dame enfermée dans une tour sinistre et noire au milieu d’une immense forêt habitée par des êtres maléfiques et lui, mon sauveur tuerait un dragon pour me délivrer de cet ennui qui est mon quotidien ; ou je pourrais être cette autre donzelle promise à
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un vieillard, sénile et édenté et c’est sur son cheval blanc que je m’enfuirai…Je suis trop naïve. Les chevaliers comme lui ne s’intéressent pas aux niaises comme moi. D’ailleurs personne, pas même les valets de ferme. Les écuyers quant à eux sont bien trop péteux pour s’abaisser à mon niveau, pourtant je parle et écrit le latin et le grec, je connais l’art de la fauconnerie comme personne, le maniement de l’arc n’a plus de secrets pour moi, tout comme débusquer le gibier mais cela ne suffit pas pour me faire accepter ce ces péquenots. Revenons un instant à ma mère. Visage impassible, beauté froide qui jamais ne sourit. Sûre d’elle et de ses charmes, elle sait s’entourer des meilleurs comme elle le dit et rêve de se voir assise sur le Grand Trône et débarrasser la surface de la terre de tous les Highmore croisés ici et là. Personne ne peut croire que Ninnog et moi sortions du même utérus et pourtant, elle est bien mon aînée rêvant de gloire et d’un bon seigneur pour lui conter fleurette les soirs de grand froid. En vue de la noce de Ninnog, le château a des allures de champ de bataille et il y dans la grande salle l’équivalent d’une forêt d’étendards ; plus de trente famille y sont réunies et personne ne connait la valeur d’une telle assemblée aussi bien que ma mère. Tout doit briller, être en ordre et alors que je seconde l’intendante, mon oncle Ivo me file le train disant ne pas apprécier de me voir régenter l’organisation de ce domaine en affectant les meilleures chambres aux chevaliersligue de D’Albany et non à ceux des Styrren dont il est le représentant le plus actif. Il ignore le nombre de soirées que nous avons consacré à l’organisation de la
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dite-noce ! Il n’est jamais heureux des décisions que je prends pour le bien-être de la communauté et comme d’habitude, il me houspille pour des détails : pas assez d’oreillers, de duvets, de couvertures ; plus de vins, de pain et de fruits dans ses appartements et j’en passe. Ici ce n’est pas une auberge et s’il veut en avoir pour son argent, qu’il aille en ville, lui et toute sa clique de chevaliers.
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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