Meilleur des Lendemains

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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LE MEILLEUR DES LENDEMAINS [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie [La cave des Exclus]

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MEL ESPELLE

LE MEILLEUR DES LENDEMAIN

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Polymnie

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1

Étrange bande de copains que nous formions. Où que l’on aille, on se retournait sur notre passage. Dan Whyte, Amon Hall, Howard, Barnes Hayes, Hicks et Mills; pas moyen de nous dissocier les uns des autres. Pendant longtemps on nous fila le surnom de : Galopins de Denver mais nous ce qu’on veut s’est resté dans l’anonymat ; on a appris très vite à se méfier de la notoriété. Oui très vite, on nous a vu comme une bande d’inséparables jeunes gaillards obligés de survivre à la grande dépression et unis dans l’adversité comme n’importe quelle fratrie de misérables frangins en culotte usée jusqu’à la corde, aux joues creuses et au teint blafard. Dan Whyte et moi sommes de vieux amis, possible que nos respectives mères aient eu quelques projets en nous voyant nous taper dessus dans le jardin d’enfants. Aussi vrai que la terre est ronde, Whyte et moi formions à nous deux un duo assez improbable, probablement parce que nous nous battions comme des lions sur des sujets d’une morne banalité. On se battait pour la forme et ma petite maman me voyant rentrer le soir, les

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cheveux défais et la mine enflée se contentait de lever les yeux au ciel, depuis longtemps résignée au fait que je ne puisse m’adonner à des jeux plus spirituels. Whyte et moi avions érigé une cabane : notre retraite connue de nous seuls pour les jours où le monde des adultes commencerait à partir en couille. Là on pouvait se laisser aller à nos rêveries les plus secrètes et alors on se mettait à dériver très loin, bien au-delà de notre territoire, de notre nation et de ce monde visible. Pour moi Whyte était bien plus qu’un compagnon d’infortune, il était un frère assez bienveillant pour me laisser jouer avec lui à des jeux destinés à nos ainés. Avec sa bienveillance toute fraternelle donc, j’appris à fumer et après des débuts difficiles pendant lesquels je crachais mes poumons, il me remit ma première gorgée de whisky. La volonté ne suffit pas à se soustraire des affres de l’ivresse et il me fut impossible de retrouver toute ma part de lucidité qui me différenciait des autres apprenties zombies de notre comté. Lui me gratifia d’une bonne tape à l’épaule avant de me ramener à mes parents sans aucune vergogne. Ensuite arriva Scott Hayes, ce rouquin amoureux de la littérature et de la nature qui citait des passages entiers d’un auteur connu de lui seul ; avec quelle panache me volait-il l’intention de Whyte qui alors entrevu en sa compagnie quelque chose de plus excitant dans tous les sens du terme. Scott Hayes surnommé Pilgrim fut bien vite notre maitre à penser et après des débuts difficiles en sa compagnie il me fut vital de reconnaitrais ses multiples talents et admettre une bonne fois pour toutes qu’il ne constituait en rien une menace

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contrairement à Shane Howard avec ses idées toutes arrêtées et son esprit étroit imperméable à mes opinions. Howard avait grandi ici, il avait fréquenté une école différente de la notre et quoiqu’il fasse, Whyte le portait en haute estime. Pourquoi donc ? Parce qu’il était plein d’audace, ne craignait pas l’autorité de nos ainés et parce qu’il connaissait un tas de combines pour ne pas se faire prendre après avoir commis l’un de ses délits mineurs valant l’estime de ses pairs. Avec lui j’appris à reconnaitre mes tors et a accepter cette partie de moi qui me faisait tant horreur ; mon assurance se mutait invariablement en une sorte de lâcheté dont lui se félicitait, prenant peu à peu la place du calife-Whye. Et plus tard Barnes vit son entrée dans notre petite meute. Leonard Barnes, ce gros nounours toujours prêt à rendre service et amical si l’on en croit les efforts multiples déployés pour nous rendre service. Avec Howard il usait d’ingéniosité pour améliorer notre quotidien. Aussi complémentaire que Whyte pouvait l’être avec Hayes, Barnes et Howard étaient, comment dire, de bons éléments solides en tout point de vue et capables à eux seuls de tordre le cou à l’administration de notre administration par des fats jugés patriotiques par leurs semblables, ceux des quartiers populaires de la ville qui les avait vu grandir. L’arrivée de barnes fut bientôt suivie par celle de Norman Hicks, Amon Hall et Aaron Mills, des pointures en leur domaine. Barnes les appelait « Mes petits chéris » et il aimait par-dessus tout les dorloter comme d’autres les auraient hissés sur un piédestal digne des héros des temps

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antiques. Difficile de ne pas jalouser leur relation, qui plus est quand Howard et Hayes ne tarissaient pas d’éloges à leur sujet. Et plus les années passèrent et plus ce sentiment d’appartenir à une même entité se fit ressentir entre nous. Jusqu’à ce que les filles se mettent à roucouler en voyant passer Howard, Whyte et Mills, nos gueules d’anges et contre cela nous ne pûmes rien. A quoi bon lutter contre des forces incommensurables surgies de nulle part dans le seul but de nous mettre à l’épreuve. Et Whyte eut sa première petite copine : Eleonor Reid Il lui offrait des caramels mous à deux dollars les vingt barres et cette union naissante n’inaugurait rien de bon. A croire que Howard eut une bien mauvaise influence sur mon meilleur ami. Dans mon cas il me fut difficile de tenter de le raisonner. Hayes quant à lui me tenait la jambe avec des tas de théorie sur l’amour avec un grand A et du haut de mes 15 printemps je ne comprenais pas un mot de ces élans du cœur qui vous éloignaient des autres. Dan Whyte amoureux et plus rien ne serait comme avant. Qui irait pêcher avec moi ? Ou bricoler le vieux moteur de la Ford ? Et plus je réfléchissais à cela et plus je trouvais stupide de me montrer à ce point possessif ; Whyte ne m’appartenait pas, ni lui, ni Hayes, ni Howard ni aucun autre, j’avais tord de penser que le monde ne changerait pas. Nous arrivions tous à un moment décisif de nos vies et il fallait être borné pour refuser d’avancer. Il y eut l’attaque des Japonais à Pearl Harbour en décembre 1941 et Whyte arriva chez mes parents pour me subtiliser

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pour l’une de nos réunions au sommet à notre QG et force de constater que tous semblaient être dans un état second tous paralysés par l’issue de cette attaque. A l’heure où j’écris ce journal la guerre a pris fin et les marines rentrent au pays. Sur le quai, j’attendais des plus nerveuses. Des mères, des sœurs, des fiancées attendaient là aussi tendues que moi ; la tension demeurait à son paroxysme car depuis Pearl Harbour et la reddition de l’Allemagne l’on n’y croyait plus. Sur la pointe des pieds, je tentais de discerner des visages familiers parmi tous ces inconnus, des personnes avec qui se félicitaient de ce succès. Dans la lettre Hayes avait écrit : « On se revoit très prochainement alors montres-toi patience et sors les verres de whiskies ! » Le train rentra en gare. Comment réagiraient-ils en me voyant ? Est-ce que nous serons là à nous serrer dans les bras ? Il y eut des permissions mais seul Barnes revint en Arkansas, les autres ne trouvèrent jamais le chemin de la maison. Oui, le train arrivait ! On se bouscula sur les quais. Le cœur battant avec rage, je jouais des coudes dans cette foule compacte et hétéroclite. Les premiers soldats descendirent, accueillis à bras ouvert par les membres de leur famille. Dans mon cas je ne vis personne venir vers moi pour m’étouffer de ses bras. Peut-être me suis-je trompée de date ? Quand je vis Hayes descendre, amaigri, et lorgnant dans ma direction sans me voir. Dieu qu’il avait changé ! D’un bond je fus sur lui. Il ne me reconnut pas et on resta un petit moment à se fixer. « Salut Hayes ! As-tu fait bon voyage ?

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—Et bien si on m’avait dit que la moitié de ce foutu continent était en guerre et bien je ne serais pas parti en voyage ! Et toi comment ça va petite tête ? » Il y a quelques années de cela il m’aurait ébouriffé les cheveux ou envoyer une rude accolade ; il se contenta d’une rapide main posée sur l’épaule. C’était étrange comme il avait changé. Le gamin d’autrefois n’était plus. Il portait les galons de capitaine et dans ce costume de cérémonie il en jetait furieusement. Pendant cinq ans je fus sa marraine de guerre, il me semblait tout savoir de son combat dans le pacifique, mais de lui, je ne savais plus rien. Ma mère ne survivait pas aux décès de mes frères et mon père s’enfermait dans un mutisme dont je ne l’aurais jamais cru capable. Un sourire nerveux figea mes lèvres. J’étais incapable de les pleurer. Mes larmes restaient au fond de ma gorge…. Rien n’était plus comme avant. Adieu les fous rires et les longues discussions au coin du feu ! Comme tous les autres, Hayes trouveraient une petite copine et disparaitrait de mon champ de vision comme tous les autres avant lui. De penser qu’il était le seul de notre bande à me témoigner un peu de loyauté me fut étrange. Après l’avoir déposé devant chez lui je rentrais, la boule aux ventres. Etais-je à ce point stupide de penser qu’on reformerait notre si estimable association. Pendant deux jours, Hayes ne me donna aucune nouvelle de lui. Or je venais d’apprendre par le voisin du voisin de ce voisin que Barnes et Whyte étaient rentrés depuis la veille. Comment pouvait-on expliquer leur désinvolte attitude ?

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Possible qu’ils aient envie de se retrouver seuls. Ma mère se balançait dans son rocking chair fixant l’horizon droit devant elle et elle sursauta quand ma main se posa sur son épaule ; « Tu devrais aller te reposer un peu. » Elle me gratifia d’un sourire et serra ma main dans la sienne. « Toi aussi tu trouveras quelqu’un pour t’occuper de toi, murmura-t-elle en baisant le dessus de ma main. Je suis convaincue que tu seras te faire aimer. Et as-tu des nouvelles de tes amis ? Tu devrais aller les saluer juste pour t’assurer qu’ils n’aient besoin de rien ; Tu as besoin de sortir un peu, de rencontrer des gens de ton âge et…. Ne te préoccupe pas de ton vieux père et de ta pauvre mère, nous ont à vécu ce qu’on avait à vivre quand toi tu as encore toute la vie devant toi. Il fera beau et chaud aujourd’hui. Prends la voiture pour aller en ville et achètes toi une nouvelle tenue pour remplacer la bleue que tu ne cesses de repriser. Oui, fais-toi plaisir et ne t’embarrasses pas avec tous les travaux qu’il y a à faire ici. Un jour ou l’autre on finira par la vendre cette vieille ferme ! » En ville les hommes sortaient avec de jeunes femmes toutes endimanchées ; eux paradaient dans leur beau costume à qui mieux-mieux ; j’enviais leur allure et ce bonheur germant dans leur poitrine. « Josie Fleming ? Est-ce bien toi ? » Un grand bel officier se tenait devant moi. « C’est moi Aaron Mills ! Mais qu’est-ce que tu deviens, cela fait un bail, non ? Dix ans peut-être plus. Je tiens à te présenter ma fiancée, Caroline Mann. Caroline voici une très vieille relation d’ici ! Bon et bien on te laisse. Peut-être à une prochaine fois dans le coin ! »

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Aaron Mills, promu officier. Une belle revanche sur le passé. Mills plus jeune était un garçon fluet et introverti, sa grande taille le complexait et il ne disait jamais grand-chose, laissant les autres le faire à sa place. Que dirais-je à ma mère ce soir ? Tu devineras jamais quoi maman ? J’ai vu Mills avec Caroline Mann ! Aaron Mills, maman, tu peux croire ça ? Et lui avait du se marrer en me voyant là sans le reste de l’équipe. Le seul problème fut que je fus incapable d’en parler, cela me ramenait à la tronche mon incapacité à me mettre moi-même en ménage. Les autres de ma génération avaient trouvé chaussure à leur pied. Et puis sans cesse je songeais à mes frères fauchés en pleine force de l’âge. Oui je m’interrogeai sur mon avenir, sur notre avenir à tous car ces dernières années furent une succession d’événements imprévus et majeurs dans notre commune destinée. Nous autres enfants de la crise de 1929 avions grandi sans l’aide extérieure de personne, aucun adulte ne fut assez habile pour nous prêter main-forte et une fois passé du stade de chrysalide à celui de papillon nous voulions en apprécier chaque seconde. Pourtant comment y arriver ? Plus que jamais la guerre nous avait ébranlé dans le peu de foi que nous avions sur la société, la guerre nous avait meurtri jusque dans notre chair et à chaque instant que je fixais la danse des nuages dans le ciel je songeais avec horreur à ce que la vie nous offrait de plus terrible : la destruction de l’homme par l’homme. Je ne fis pas d’étude pour des raisons évidentes de pécule. Mes parents pauvres mirent toutes leurs économies dans cette ferme dont mes frères devaient un jour

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hérité, plus de cent acres de terres cultivables et aucune main d’œuvre pour l’entretenir faute de moyens. Donc après l’école qui fut une épreuve supplémentaire dans la vie, je rentrais au collège jusqu’au l’obtention de certificat de fin d’année. Ma mère m’en félicita disant que le savoir restait une forme de pouvoir. Le savoir ne s’obtenait que dans la littérature et dans l’enseignement secondaire ; n’ayant pas les moyens de parfaire mon éducation dans les universités hors de prix j’empruntais un livre ou deux par semaine à la bibliothèque municipale et au pied des grands arbres de l’Arkansas je dévorais des pages entières de Mark Twain, Faulkner et compagnie sans pour autant constater un réel changement dans ma réflexion. Et puis n’était pas Scott Hayes qui voulait ! Lui seul savait utiliser les mots avec bon escient et là-dessus il dispensait son savoir à qui l’écoutait. Pendant cinq ans notre correspondance fut abondante et très riches de son côté ; le fait de correspondre avec lui de façon naturelle me poussait à améliorer mon style. Quelque part au fond de moi je cherchais à l’impressionner. Lui avait su rester de marbre ; peut-être n’avait-il pas remarqué mes efforts de plume ? Ses lettres m’apaisaient, en fait elles m’offraient un répit à mon quotidien d’employée de ferme au service de mes parents torturés par cette guerre qui arrachaient des fils, des pères et des maris aux femmes de ce pays. J’avais conservé cette correspondance bien soigneusement : seul témoignage de ce fragment de vie mis entre parenthèse. De leur côté et de façon sporadique je prenais des nouvelles des autres dans un style plus haché comme

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contraints à taire ce silence menaçant et annonçant une issue terrible. Mes frères écrivaient à la maison. Ma mère les relit quand elle en a l’occasion et par réflexion personnelle sur des questions métaphysiques. A présent le silence-radio de toute part. Tous étaient rentrés sains et saufs mais tous s’empressaient de vouloir effacer leur passé, comme éprouvant de la honte pour ce qu’ils avaient été. Pendant tout le temps que dura ce conflit ils avaient amassés des souvenirs pour se confondre avec la réalité, ce dire que ces petits objets de leur quotidien trouveraient une place physique dans le nouveau monde spirituel qu’ils auraient à construire. Dan Whyte avec qui j’avais passé de très bons moments ne m’avait toujours pas salué. On disait que les soldats de retour de front avaient besoin de quelques jours pour se refaire. Alors je respectais son silence occupée à désherber cette rangée de légumes qui jamais ne prendrait faute de moyens. Leonard Barnes, mon autre confident se contenta d’un bref appel intercepté par ma mère. Il disait se porter bien mais n’a pas cru bon rappeler par la suite. Shane Howard, certainement celui qui avait le plus morflé sur le plan physique n’a pas cherché à me revoir. Leur attitude je pouvais la comprendre mais quand venait le soir, la tête posée sur mon oreiller, les larmes inondèrent mes yeux. Dan Whyte mon ami de toujours, celui qui m’avait aidé à grandir préférait la solitude à ma personne, tout comme Hayes dont notre relation épistolaire aurait pu nous encourager à poursuivre notre existence où nous l’avions laissée.

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C’était difficile. Nous avions été si unis, si complémentaires et si attentifs les uns pour les autres. Comment tout cela pouvait-il cesser ? Aucune réponse à apporter à ces questions. Il se passa deux longs mois pendant lesquels je fus sans nouvelle d’eux. Pour vaincre ce mal qui me rongeait je travaillais sans relâche à la ferme abattant le travail de mes frères en plus du mien. Debout aux aurores, je ne dormais que quelques heures pour assurer un rendement permanent dans cette exploitation menaçant de tomber en ruines. A genoux par terre ramassant les clous tombés de ma boite, je vis un nuage de poussière s’approcher. Une voiture arrivait. Immédiatement je pensais à Whyte ou à Hayes. Cette pensée me ragaillardie. Enfin ils seraient là pour me sortir de cet enfer ! Dan Whyte me dirait : viens avec nous ! On t’attend à notre QG, tu aurais du te manifester bien plus tôt ! Tu sais qu’on était arrivé non ? Les larmes me montèrent aux yeux mais bien vite je déchantais en voyant surgir Aaron Mills. Grande fut ma déception. « Salut Jo ! J’ai appris que tes parents cherchaient du personnel, un garçon d’entretien. Or il s’avère que je cherche du boulot », déclara ce dernier le regard autoritaire comme en mission divine. Qui avait été stupide pour lui dire pareille chose ? Nous n’avions pas d’argent pour rétribuer qui que se soit et les lèvres serrées je ne trouvais rien à lui dire de bien concret. Tu te trompe sur notre compte Mills, rentre donc chez toi ! Lui sans se décourager face à mon regard éteint, balaya des yeux le site.

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« Où sont tes parents, » Ma mère apparut sur le perron et la main en visière resta à l’observer avant de se montrer avenante. « Mais c’est Aaron ! Entre donc mon garçon ! Tu dois certainement mourir de soif ! » Et dans la salle à manger, cette dernière se chargea de sortir le service à thé. Pourquoi était-il ici ? Il avait obtenu de l’avancement et à ce titre pouvait trouver un emploi rémunéré dans l’administration de notre ville. Pourquoi venir s’échouer dans cette ferme ? Avec quel aplomb se tenait-il dans notre salon, bien calé sur ses pieds et le dos droit fixant sans pudeur ma mère ; il y a des années de cela, il serait resté à la porte, n’osant franchir le seuil de notre maison terrorisé par ce qu’il pourrait y trouver. Comme je posais la citronnade sur la table basse il me gratifia d’un sourire. « Si le travail ne t’effraie pas tu pourras commencer dès ce midi. Nous te paierons en nature afin de te dédommager. C’est gentil à toi, Aaron. Nous apprécions ta générosité ! » Il travaillait avec mon père à retaper la grange et torse nu il portait de lourdes charges sur l’épaule. Comme je vins leur apporter à boire et à manger, il s’arrêta transpirant par tous les pores. « C’est aimable à toi Jo…. » Il but à grandes goulées quand j’eus envie de lui poser des questions sur Whyte et les autres. Accepterait-il seulement d’y répondre ? « Quoi, tu n’es donc pas au courant ? Barnes va se marier prochainement à ce qu’on raconte ainsi qu’Howard. Et puis Hayes s’est dégoté une ravissante infirmière, Charlotte Malone. Nous étions à diner hier soir ensemble avec Dan Whyte

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et Ellie Reid. Tu vois, tu n’as pas à t’en faire pour eux. Et puis Hayes a trouvé un emploi plutôt bien rémunéré dans le coin. Je pense que nous aurions du tous avoir un père médecin comme le sien pour faire avancer les choses. Whyte aussi travaille. Un boulot que lui a trouvé Barnes. Quant à Howard pour l’instant il…. Il a besoin d’un peu plus de temps. Il parle de reprendre ses études. —C’est…génial pour eux tous, murmurai-je la gorge nouée accusant avec émotion le fait que Hayes avait trouvé une fiancée et que Whyte fréquentait toujours Reid. J’allais lui tourner le dos quand Mills enchaina : —Et toi tu n’as pas de petit copain ? Jolie comme tu es, tu ne dois pas manquer de prétendants. » D’abord je n’étais pas une beauté et ensuite il me faudrait sortir pour rencontrer du monde. Qui voudrait d’une femme aussi moche que moi aux mains rugueuses et à la peau tannée par le soleil ? Qui voudrait d’une femme sans aucune conversation et qui n’a pas la moindre idée de la façon à laquelle se comporter avec un galant ? Non, même si j’en avais envie, il me faudrait trouver une personne pas très exigeante qui accepterait de me sortir sans être la risée de toute la ville. « On pourrait un soir sortir manger une glace ou aller au cinéma toi et moi. Qu’estce que tu en dis ? » J’en disais qu’il allait être la risée de tous. Autant éviter d’aborder ce sujet par la suite. Et puis sortit avec Mills serait m’afficher publiquement comme une pauvre fille qui choisit cet homme par dépit. Ma mère ne voyait en lui que l’officier dont il fallait continuellement

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prendre soin, quant à mon père il l’appréciait suffisamment pour lui assener une bourrade amicale à l’épaule mais pour moi, il restait Aaron Mills, le type coincé du cul qui ne causait jamais, excepté pour nous parler de ses vedettes de baseball. Mills dormait ici. Père lui avait aménagé un endroit bien à lui dans cette grange ; l’un comme l’autre disait que cela simplifierait les choses. De cette manière il fut levé avant moi et couché bien après tout le monde. Nous savions que cette situation serait provisoire. Qui accepterait d’être payé en nature ? Il avait le gite et le couvert, mangeait copieusement ce qu’on lui servait et n’hésitait pas à se resservir pour le plus grand bonheur de ma mère qui presque toujours après l’espionnait derrière le rideau de la cuisine. « Tu ne trouve pas qu’il est beau garçon ? Questionna cette dernière en caressant son collier. Et bien moi je trouve qu’il est beau gardon et puis il pare de tas de choses fortes instructives. Il est regrettable que tu ne t’intéresse pas aux hommes. —Pourquoi est-ce que tu fais tout ça ? Je finis par contre que tu as tout manigancé pour qu’il vienne travailler ici. Toi et sa mère vous ne faites que parler de petitsenfants et de mariage. Pourtant tu devrais savoir qu’il est fiancé avec Caroline Mann. —Evidemment que je suis au coutant ! Ils forment un couple épatant mais je t’avoue n’être pour rien dans cette histoire. Mrs Mills et moi ne faisons que parler broderie et napperons. Cela t’étonne que nous puissions parler d’autre chose que de nos enfants ? —Oui maman. Cette ville est une véritable communauté de mégères et Dieu

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merci tu es bien trop intelligente pour t’abaisser à pareilles mièvreries. Maman j’aurais besoin d’aller en ville pour m’acheter du tissu. Avec le patron de la robe verte je fais me refaire une tenue pour les beaux jours, déclarai-je assise à la table à refaire les tresses de fil de coton. On va bientôt manquer de mercerie et à ce rythme-là j’ai bien peur que Mrs Mills et toi soyez obligées de vous entendre sur d’autres sujets. —Tu prendras ce que tu veux. Mais d’abord du iras régler la note chez Pittman, nous lui devons plus de deux cent euros de matériel et il nous faut avant tout payer les factures. Et pourquoi ne pas proposer à Aaron de descendre avec toi ? —Parce qu’il est très occupé ici et parce qu’il n’a sûrement pas l’intention d’être vue en ma compagnie ! » Petite fille je n’étais pas ce que l’on peut qualifier être une beauté : grande sur patte et la moue boudeuse. Puisque la benjamine d’une fratrie de bagarreurs-nés je ne portais pas des jupes mais des culottes courtes. Ma mère par économie et par confort me faisait porter les vêtements de mes ainés et En guise de coiffure, des cheveux courts constamment emmêlés et les mains enfoncées dans les poches on me prenait toujours pour un garçon. Pour vrai j’étais un garçon manqué, crachant, jurant et me battant comme un vrai petit monstre. Au moment de la puberté quand les filles font l’apprentissage de leur féminité, elles échangent entre elles sur leur physique ; Dan Whyte fut mon professeur puisque frère de sœurs plus âgées que lui, de sœurs au caractère bien trempé qui affirmaient hauts et forts ne pas avoir besoin d’hommes pour survivre dans ce pays

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fondé sur des principes fondamentaux comme l’unité et le patriotisme. Dans l’esprit curieux de Whyte je restais Gill dite Josie, celle qui portait la culotte courte et un cocard permanent à l’œil. Josie la terreur de l’Arkansas ! Et je m’en amusais presque. Nos bagarres furent pourtant moins justifiées, on arrivait toujours dans la majeure partie du temps à trouver un terrain d’entente avant d’en passer aux poings et puis Whyte déclarait forfait, avantage et privilège dû à mon sexe. Et puis la voix de Whyte se mit à muer tout comme celle de Scott Hayes, de Barnes et Howard ; ils se mirent alors à regarder les filles avec plus d’intérêt et je fus pour eux un sujet d’étude quand ils ne cherchaient pas à me ficher par terre pour me faire mordre la poussière. Aucun de ceux-là ne pensa que je puisse être autre chose que Josie la terreur de l’Arkansas ! Jusqu’à ce que Mills me propose de sortir manger une glace en sa compagnie. J’allais le trouver dans le paddock où il s’occupait à remonter les barrières pour les chevaux. « Je peux te déranger trois minutes Aaron ? Je pense à ce que tu m’as dit l’autre jour au sujet de….j’ai pensé que nous pourrions sortir tous les deux, juste pour… changer d’air. C’est assez isolé ici alors je me disais qu’un saut en ville nous permettrait de nous changer les idées. —En fait je crois j’ai manqué de pragmatisme en te proposant de sortir un soir avec toi, non pas que tu ne sois pas une jeune femme comme il faut mais seulement parce que… Caroline est la seule personne pour qui mon cœur vibre. C’est la seule personne qui compte à mes yeux et qui me connaisse bien. Elle

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prendrait cette sortie comme une provocation de ma part. Je suis désolé. —Oui, je pensais seulement que tu avais pitié de ma solitude au point de vouloir me sortir, mais… Ecoutes je vais te laisser continuer.» Je pris donc la voiture pour me rendre en ville. En roulant je me demandais ce que je ferais de ma vie. Tout cela m’échappait. Quand surgit de nulle part un chien me coupa la route, je dus braquer pour l’éviter et le pick up quitta la chaussée. « Est-ce que tout va bien ? » Entendis-je depuis la portière. Joshia Bell se trouvait être là, le chapeau enfoncé sur la tête et il me fixait de son regard de chien abattu. « Oui tout va bien ! je me suis seulement emmelée les pinceaux avec mes pédales ! —Je peux jeter un œil à ton moteur ? On dirait qu’il a pris un sacré coup. Il faudra te remorquer jusqu’à la prochaine station, soit à six kilomètres de là. » A cette annonce je fondis en larmes. Il fallait être stupide pour pleurer ainsi devant Joshia Bell notre révérend ? Seulement quand les nerfs lâchent personne ne peut rien pour cela. Et puis je pensais aux frais que cela couterait à mes parents. Lui me tendit un mouchoir avant de partir vérifier le moteur. « Oui c’est bien ce que je craignais. Le moteur est foutu. On pourrait tenter quelque chose mais cela risquerait de nous prendre la journée et ni toi ni moi n’avons le loisir de nous étendre sur ce problème de mécanique. Je vais remorquer la voiture…. » Il fit ce qu’il avait annoncé faire. Après quoi pour le remercier je lui proposais une cigarette et assis sur le garde-boue de la voiture je l’étudiais ouvertement. Joshia

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notre vieux voisin possédait un ranch et connaissait les mêmes déboires que nous autres, soit un problème de main d’œuvre. il était veuf et aussi loin que je me souvienne je ne l’avais jamais vu en compagnie d’une femme. Rien d’anormal, qui accepterait de vivre avec cet ancien référent reconverti en fermier ? « Et comment vont tes parents ? —Ils survivent, répondis-je en le voyant s’installer près de moi sur le pare-buffle. Il ôta son chapeau poussiéreux pour plaquer ses cheveux blonds en arrière. Perdu dans ses pensées, il fixait la chaussée si impraticable avec ses ornières. « Je pense souvent à tes frères, Jo. Tes parents se tuent à la tâche pour ne pas avoir à y penser. —C’est parce que nous n’avions plus d’argent qu’ils se tuent à la tâche. Cette guerre est terminée et on pourrait trouver à embaucher dans la région mais qui accepteraient d’être payé en nature ? » On se fixa longuement et son regard semblait me caresser. « Ce n’est évident pour personne. Une chance que nous ayons gagner cette guerre. Tu fréquente toujours Dan Whyte ? —Non. Je sais qu’il est revenu mais il se terre comme tous les autres. Le sentiment de honte et de culpabilité les rongent tous. Mais je ne suis pas inquiète pour leur avenir. Il a été à l’université et sa fiancée est une personne plutôt bien d’après ce qu’on raconte. C’est important de pouvoir rebondir que une note positive. —Il vient souvent me voir tu sais. Il sait que je n’exerce plus en tant que ministre du culte mais certains aiment à me retrouver quand les circonstances le permettent. Dan Whyte est véritablement

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tourmenté. Tu devrais peut-être aller lui rendre visite. —je ne sais pas. C’est difficile pour moi aussi. Mes frères ne sont pas revenus et….je crains ne rien avoir à lui dire. Quand ton épouse est décédée, as-tu ressenti un sentiment de colère ? —Oui. Elle était tout pour moi. Mais j’ai fini par accepter mon sort et je me suis résignée à la laisser partir, une bonne fois pour toute. Il vous aller de l’avant et ne plus regarder derrière soi. » Amen. Longtemps on se regardait sans rien échanger. Nos silences parlaient d’eux-mêmes. « Tu es encore jeune et… très charmante. Tu trouveras quelqu’un qui prendra soin de toi Jo. Il faut parfois faire preuve de patience. Dieu sait se montrer miséricordieux. Du moins je le crois capable de faire preuve de bonté quand il n’est pas le Dieu vengeur. —Pourquoi ne pries-tu ? —Je prie encore Jo. Je prie pour toutes les personnes que je connaisse et je leur souhaite le meilleur. Je prie pour ta famille et pour toi. Même si tu ne le sais pas, mes prières t’accompagnent. —C’est gentil de ta part. » Un rictus apparut à la commissure de sa lèvre. Je jetais ma cigarette au loin pour constater qu’il ne fumait pas la sienne qui lentement se consumait en une tige grise et pendante. « On devrait peut-être y aller. » Et il me rejoignit derrière le volant de son véhicule. I tenta un sourire qui alla se perdre sur ses lèvres. On roula sur plusieurs miles dans rien échangé. Tout le monde a des histoires drôles à raconter en voiture mais pas Joshia. Alors je me lançais dans une

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blague qu’il ne comprit pas tout de suite, ce n’est qu’après un certain temps qu’il se mit à rire. Le faisait-il par politesse ? Nul ne le sera jamais, toutefois cette blague permit de détendre l’atmosphère. Leonard Barnes restait pour moi le roi des blagues. Je m’allumais une autre cigarette pour constater que Joshia pianotait discrètement sur son volant. Je continuai à le rendre mal à l’aise. « Tu te souviens quand on allait chez toi pour emprunter tes chevaux. Cela rendait fou Tucker qui alors tirait en l’air. Il ne comprenait pas que cela donnait plus d’élan aux chevaux. Ah, ah ! Il en avait assez de nous voir trainer du côté de tes parcelles. Il a toujours pensé que nous étions de la mauvaise graine emportée par le vent. Personne n’aurait pu lui donner tort dans le coin. Ah, quand j’y pense nous étions des petits monstres. —Un jour ton frère Will est venu s’excuser. —vraiment ? Dan ? —Oui. Il nous a ramené une bouteille de whisky mais il n’a pas eu le courage de nous la déposer en mains propres. Il l’a laissée sur le seuil de la porte avec un mot collé dessus qui disait : pour toutes les pertes que nous vous avons affligées. Signée Jo. —Oh, non ! ce n’est pas vrai ! Comment a-t-il pu signer en mon nom ? Surtout qu’il avait certainement volé ce whisky dans le bar de mon père. Oh, je n’y crois pas ! —Mais cela aurait pu être toi. Avec Dan, vous faisiez les quatre-cent coups et avec un plaisir non vain. Je crois que Tucker ne vous a pas complètement pardonné. —Ah, ah ! Ton Tucker est un imbécile doté d’une cervelle de moineau. Ne te sens

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pas obligé de le lui dire, mais il n’a rien fait pour éviter la moitié des ennuis qu’on a trouvé à lui infliger. Du moins en le pensait jusqu’à ce qu’on découvre qu’il ait un cœur. » Il est vrai qu’il nous avait rendu de grands services en envoyant ses frères remonté le hangar en compagnie de mes ainés. Constatons que dans les pires moments vos véritables amis se dévoilent quand ceux que vous pensiez être loyaux se débinent. La campagne verte défilait sous nos yeux. Toutes ces terres appartenaient à Joshia. Il élevait es chevaux mais pas seulement. Il cultivait la terre et envisageait d’acheter le cheptel de Cowper, soit plus de mille bovins. Bien que discret il restait le seul à fournir du travail rémunéré. Tous mes potes passèrent chez lui pour envoyer le bétail d’un point à un autre de ses terres. Une sorte de transhumance dont tous les cow-boys en page de monter en selle, se vantaient. « Ti penses que je devrais passer à autre chose ? —C'est-à-dire ? —Oui, tout le monde évolue autour de moi. ils font des études, change d’Etat et se fiancent. Des tas de personne autour de moi ont des projets et moi je suis coincée ici avec tous ces vieux souvenirs. Ah, ah ! toute à l’heure le bel Aaron Mills m’a lourdement éconduit. —Tu n’es pas obligée de me parler de cela Jo. —Si pour te prouver à quel point je suis ridicule. En fait, il a eu pitié de moi. Voilà ce que j’inspire, de la pitié ! Il disait vouloir me sortir alors qu’il est fiancée à la très talentueuse Caroline Mann qui a

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trouvé à se distinguer dans le Pacifique en tant qu’infirmière et il n’a rien trouvé de mieux à me dire que : Caroline est la seule personne pour qui mon cœur vibre. C’est la seule personne qui compte à mes yeux et qui me connaisse bien. Ah, ah ! Je ne devrais pas en rire mais c’est une façon pour moi d’évacuer le stress. Et Dieu sait comme je suis tendue en ce moment. —Satané boulot, hein ! les vaches sont peu reconnaissante au travail que tu fournis. —Ah, ah ! —Mills est un imbécile. S’il te connaissait mieux il saurait à côté de quoi il passe. Tu es une belle personne Jo. Je ne me fais aucun souci pour toi. Nous approchons de notre but. —quel but ? » Il me désigna du doigt la station service et se gara non loin des pompes. « Je n’ai pas pour longtemps. Ensuite nous pourrons descendre en ville y prendre un verre en attendant que le moteur soit remis en état de service. » En ville, force de constater que certaines devantures de commerces arboraient fièrement le drapeau national. Les voitures portaient des fanons aux valeurs patriotiques et les GI descendaient la rue en tenant fermement contre eux une femme toute endimanchée. Le temps était à la romance après des mois de privation pour celles qui attendaient un époux, un fiancé ou un prétendant. Donc je commandais un verre de lait et Joshia, une bière bien fraiche. En temps normal je me serais interdite de sortir ainsi vêtue et coiffée. Tous diraient en me voyant : Ah, ce n’est autre que la petite Jo ! Ne faisons pas attention à elle. Elle ne

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respecte personne en s’attifant de la sorte. Et cette pensée me heurta, non pas pour moi mais pour Joshia qui n’avait pas à supporter cela. Les regards avec le temps devenaient plus agressifs et je comprenais maintenant que Dan ait eu envie de changer de partenaire de jeux. Il me ramena au garage et sans aller sans autre forme de procès. Il avait réglé la facture et je ne le sus que plus tard. Une semaine plus tard je partis le voir dans son ranch. Comme il n’était pas sur place mais en ville, je laissais un mot de remerciement sur le seuil de la porte. Comme au bon vieux temps quelques plates excuse et un grand remerciement pour cette honorable intention. Je déposais le cadeau et le papier pour filer, le cœur plus léger.

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CHAPITRE Pour se racheter une conduite, Mills me parla d’un de ses amis de retour du front et qui cherchait à sortir. Ce lieutenant me mit immédiatement en confiance et ce trio d’intellectuels ne cherchait pas à m’impressionner. Caroline Mann que j’avais toujours prise pour une personne froide se montra avenante et très affectueuse. Et auprès de Mills et Carson elle se pliait de rire ; ce bonheur apparent me fit comprendre dans un sens que j’avais perdu une franche complicité avec des gens que j’avais toujours su apprécier. Après le diner dans ce restaurant où jamais auparavant je n’avais mis les pieds on se mit d’accord pour poursuivre notre soirée au dancing. L’ambiance sur place était survoltée. Toute la jeunesse venait de loin pour apprécier la bonne musique interprétée par un orchestre de musiciens noirs qui reprenait quelques succès commerciaux comme ceux de Glenn Miller. Grisée par l’alcool et cette ambiance des plus festives je me faufilai à travers cette presse au bras de Carson. Caroline entraîna Mills sur la piste et restée avec Carson je ne sus quoi lui raconter. « C’est la première fois que tu viens ici ? Me demanda-t-il aussi mal à ‘aise que moi. C’est un bel endroit. Ils ont fini de le rénover il y a trois mois de cela. Alors forcément on vient de loin pour en profiter. J’espère seulement que tu n’es pas trop effrayée par toute cette presse ! —Au contraire, allons danser ! » Et on se retrouva sur la piste pour un endiable

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swing. A peine si je pouvais respirer tellement je dansais sans tenir compte de l’espace réduit et des autres. Il faut croire que Gale aimait se donner à la musique lui aussi. On enchaina les titres les uns après les autres. Puis je changeai de cavalier pour me retrouver dans les bras de Mills. Combien de litres d’eau me faudra-t-il ensuite pour étancher ma soif ? Et dans les bras de Mills j’étais celle que j’avais toujours été, la pire des endiablées. Mes boucles ne tiendraient pas toute la soirée tout comme mes souliers que je finis par ôter. Aaron Mills s’arc-bouta sur moi pour me retenir car des plus hilares je vins à perdre l’équilibre ; « Jo ! Gale et moi allons boire. Est-ce que vous venez tous les deux ? » On joua des coudes pour se frayer un chemin sur des tables libres. Les hommes nous suivaient du regard et portaient une main à leur front pour nous saluer. On commanda une bouteille de champagne dont il ne valait mieux ne pas connaitre le pris. Caroline serra ma main dans la sienne en haussant les épaules des plus ravies. « On dirait que tu as un ticket. Non, ne te retourne pas maintenant ! » Mon ticket en question n’était autre que Dan Whyte en chair et en os, adossé contre la balustrade servant de séparation entre la salle et la piste de danse ; « Bonsoir Joyve ! On dirait que tue t’es trouvée un bel officier ! » Il ne trouvait que cela à dire après des mois de séparation. Il semblait fatigué, et il n’était plus que l’ombre e lui-même. Des cernes soulignaient ses yeux lointains d’un gris délavé, ajouté à son teint blafard, ses joues creuses. « Dan ? Comment vas-tu ?

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—Moins bien que toi apparemment. » des couples se précipitèrent sur la piste et me masquèrent la vue de Dan. En le découvrant de nouveau, je le vis près de Carson lui glissa quelques mots à l’oreille. J’allais me lever quand Caroline me retint par le bras. « Non, cela n’en vaut pas la peine croismoi. S’il te plait n’envenime pas les choses. » cette fois-ci elle ne souriait plus, la panique se lisait sur son visage ; Et je reconnus Leonard, Scott et les autres. De quoi pouvaient –ils bien parler ? Eleanor Reid bondit au cou de Dan qui la repoussa. « il faut que j’aille voir ! » Eleanor en me voyant parut soulagée. Cette mignonne blonde au sourire ravageur ne cautionnait pas qu’on puisse s’en prendre à son fiancé. « De toute façon nous allions partir ! Tonna-t-elle les sourcils froncés. Leonard retira le cigare de ses lèvres pour me saluer. « Passes une bonne soirée Jo et à l’avenir choisit un peu mieux tes nouveaux amis. —Leo ! Franchement tu n’est pas obligé de te montrer détestable ! souligna Eleanor en le poussant vers la sotie. Toutes nos excuses pour votre soirée gâchée, mon lieutenant ! » Ils partirent pour me laisser sans voix. Carson cherchait le grand amour mais était-il à ce point désespéré pour focaliser son attention sur ma personne ? Il voulait passer du bon temps en ma compagnie, cela supposait passer la nuit avec moi, d’où la réaction on ne peut plus normal de Dan. Il ne pouvait pas supporter me savoir à un autre. « Je crois qu’on devrait rentrer. Tu en penses quoi Mills ? On pourrait se poser

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quelque part avec cette bouteille et poursuivre la soirée aussi agréablement qu’elle a commencée. » Le reste de la semaine fut morne et éprouvante. Mills n’était pas revenu travailler. Il disait nous remercier et c’est tout. Son départ affecta mon père plus qu’il ne l’aurait cru. Quant à Carson… je ne voulais plus entendre parler de lui. Ce lieutenant de la Marine pouvait bien aller se faire foutre. Les clous dans la bouche j’allais donner un énième coup de marteau dans l’encadrement de la porte d’entrée autant arriva un fourgon. La voiture de Joshia descendit l’allée dans un nuage de poussière pour aller se garer sous le vieux sycomore. En sortit cinq garçons qui aussitôt le pied à terre filèrent du côté de la grange. « Ils viennent vous filer un coup de main. J’ai cru comprendre que vous n’aviez plus personne. Merci pour le cadeau, j’apprécie beaucoup, enchaina-t-il en gravissant les marches du perron. Mais était-ce vraiment raisonnable Jo ? » En guise de réponse je martelais sans regarder dans sa direction. Les hommes arrivaient à me dégoûter. Dan Whyte, Aaron Mills, Gale Carson. Pas un pour racheter l’autre. « Est-ce que tout va bien Jo ? » Je ne répondis pas, continuant à enfoncer mes clous. « Tes parents et toi allez pouvoir un peu souffler. Mes petits gars sont payés au mois de travail et je leur ai promis une prime s’ils venaient travailler ici. Ah, je savais que cela te ferait réagir, sourit-il d’une oreille à l’autre. Ils sont payés au mois et travailler ici ou là-bas il n’y a

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aucune différence sur le papier. Alors cesses un peu de taper avec ton marteau, veux-tu ? Peux-tu m’offrir un verre d’eau glacée ? » Il s’installa à la table dépliée sous le vieux chêne et je n’y rejoignis un plateau rempli de victuailles dont un cake réalisé avec les restes du cellier. Sans desserrer les lèvres je le servis avant de m’assoir en face de lui. « J’ai sollicité ton père début d semaine dernière concernant ses terres. Nous en avons évalué le prix et je me suis porté acquéreur de leur propriété. —-C’est une blague ? —Non, tes parents vont se tuer à la tâche. L’argent de cette vente leur permettra de se reposer en ville ou dans une maison moindre. Gill, tu sais comme moi qu’ils ne sont pas immortels et que s’ils ne se ménagent pas tu n’auras plus rien sur lequel te reposer. Ni fortune, ni soutien familial. —Merci de me le rappeler. Jamais mes parents n’accepteront de partir. —Cela se conçoit. Ton père a vécu toute sa vie sur ces terres mais il lui faut voir la vérité en face. D’ici à dix ans, elles ne vaudront plus rien et ces belles plantations qui faisaient autrefois sa gloire seront réduites à néant par négligence. Vous ne disposez plus que d’un tracteur et vos sillons sont vétustes. Pas étonnant que vous perdiez vos récoltes. —Pourquoi fais-tu cela ? —Pour un verre d’eau fraiche, une part de cake et le plaisir de ta compagnie. » Plaisantait-il ou bien était-ce un stupide numéro de charme, Son regard plongeait dans le mien et un frisson parcourut mon bras droit. Mes frères en apprenant cela

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serait rentré dans une colère noire. Ils auraient tout cassé avant de s’en prendre physiquement à Joshia. Il avait trouvé à me mettre en confiance pour abuser de moi. « Et tu pourrais venir travailler au ranch quelques jours dans la semaine à compter de demain. Tu y percevras un salaire et une fois que tu auras assez d’économies tu pourras tenter l’aventure ailleurs. » Il souriait trop pour être honnête, dévoilant ses rides d’ex pattes d’oies tel le plus heureux du monde. En attendant il ne touchait ni à son verre d’eau, i à sa part de cake. « Si j’accepte de travailler chez toi, combien toucherais-je par jours ? —Le taux horaire habituel. Pas plus, pas moins. Tu feras le travail d’un homme en bonnes conditions et j’espère que tu t’enrichiras. » Ma mère en apprenant cela fut des plus heureuses. Elle m’écoutait tout en lavant les légumes dans l’évier et de temps à autre levait le nez pour expirer, la main sur le front balayant une mèche de son front. « Tu es libre de faire ce que tu veux, Joshia est un bon élément. Ses employés l’estiment à sa juste valeur mais c’est surement plus éreintant que de travailler ici. C’est une façon honnête de gagner sa vie. Ton père ne sera certainement pas contre maintenant qu’il est aidé. Tu prendras la voiture, nous n’en aurons pas besoin. Et ne t’inquiète pas, on arrivera à survivre sans toi. » Dans la soirée je scrutais les étoiles tout en me balançant sur mon rocking-chair. Après une journée de dure labeur j’aimais à m’accorder quelques minutes de loisirs. Les chiens de la maison somnolaient sur le

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perron et mon père arriva, une tasse de café à la main. Il s’assit sur la marche et se passa la main dans les cheveux. « Ta mère m’a dit pour Bell. C’est un emploi qu’il aurait pu offrir à l’un de tes frères. Mais il ne l’a pas fait, argua-t-il la main sur son menton étroit et recouvert de poils gris. Tes frères…. Enfin, c’est à toi qu’incombe le devoir de pouvoir aux besoins de cette maison en tant que digne héritière. Tu feras du bon boulot là-bas. Et qui sait, peut-être que Bell t’embauchera à l’année. Etant donné notre situation c’est à souhaiter. » Je m’assis près de lui et passa mon bras autour de ses épaules pour le serrer contre moi. « Tout ce que je peux le faire je le ferai papa, je suis le dernier homme qu’il te reste n’est-ce pas ? On s’en sortira, il faut seulement qu’on se laisse un peu de temps. Et je serai ravie de travaille dure pour ma petite famille. » Le lendemain matin je garai ma voiture dans l’espace alloué aux employés et je marchais vers le groupe de cow-boys postés devant un paddock. Price et Tucker en me voyant arriver pouffèrent de rire et Bale les fit taire d’un coup de chapeau. Joshia se tourna à son tour. « Miss Statham restera ici quelques temps, le temps pour elle que les choses s’arrangent dans sa ferme paternelle. Vous n’aurez pas à vous en faire, Statham connait le métier ; Maintenant au boulot les gars ! Vous savez ce que vous avez à faire. Statham s’il te plait….tu prendras Liberty Bell là-bas, c’est la plus docile, déclara-t-il avant de siffler la jument qui arriva vers lui. Tu sais manier le lasso n’est-ce pas ?

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—Je pense y arriver oui. —Statham c’est votre gagne-pain cet emploi, ce n’est pas une récréation. Cinq de mes gars sont chez tes parents quand ils auraient apprécié se retrouver ici Tu comprends ? Si tu ne prends pas ça sérieusement alors ne leur fait regretter d’être ailleurs. Tucker ! » L’autre accroché à la balustrade lorgna de notre côté en se mordant les lèvres pour ne pas éclater de rire. « Il y a quoi pour toi patron ? —Tu pars avec elle et assures-toi qu’elle revienne demain, ou il te faudra trouver un autre emploi, ailleurs ! » Sur le dos de Liberty je volais. Elle et moi nous ne faisions plus qu’un et je me disais que Whyte manquait tout cela ; il se féliciterait de me voir sur ce cheval. Un jour nous avons chevauché dans l’obscurité, rien que pour sentir la vitesse et la puissance nous submerger. « Tu sais que ton Dan Whyte passe deux fois par semaine à la confession, déclara Tucker ramenant son cheval dans l’allure du mien. Sa femme est plutôt jolie non ? Un sacré bout de femme. Dommage pour toi, il ne t’a pas attendu. » Le bétail restait impossible à contrôler. Mes fesses et mes jambes imploraient grâce et mes mains ne pouvaient plus rien tenir en raison de la pression exercée sur les rênes. Liberty Bell se cabrait trop souvent pour éviter les assauts des bovins et à chaque élan de sa part, je risquais de mordre la poussière. Le patron me payait à la journée et au moment de partir, Tucker me gratifia d’un sourire plein de sarcasme. Après deux jours je le vis, lui, Dan Whyte. Il sortit de sa camionnette et

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distribua quelques poignées de main. En me voyant, Dan hésita à me serrer la main. « Comment vas-tu Dan ? —On fait aller. Où est Joshia ? » Questionna-t-il à l’intention de Tucker avant de le suivre vers la maison de maitre. Piquée par la curiosité je rentrai pour me laver les mains et au dernier moment je bifurquais vers le bureau de Bell. « Tu devrais accepter cet emploi. Il te permettra de subvenir aux besoins de ta faille, Dan ; je ne vois pas où est le problème ? Comme tout le monde tu as besoin d’argent et bientôt tu auras dune bouche de plus à nourrir. —Non c’est vrai, il ne devrait y avoir aucun problème. Morris est un con. Je ne me vois pas devoir lui obéir sous prétexte que son frère a cassé sa pipe à Okinawa ou je ne sais pas où ! Il sait que je ne peux pas le sentir. Alors travailler pour lui ce n’est pas envisageable. —Tu devrais ravaler ta fierté et accepter cet emploi. Eleanor va avoir un bébé et elle doit pouvoir compter sur toi. » Mon cœur battait à vive allure. Pourquoi ne m’avait-on rien dit ? La porte entrebâillée me permettait d’entendre leur discussion à distance. « Ouais elle va avoir son gosse. » Il partit dans un fou rire avant de se reprendre. « Putain ! Si j’avais sur qu’après ce merdier je finirais par me ranger avec une écervelée comme Eleanor alors je n’aurais pas signé ce foutu papier. Franchement Joshia, tu es le plus à envier ici. Fais chier ! J’ai fait la promesse à Dieu que si je m’en sortais je trouverai un lopin de terre à cultiver. Et je me retrouve à devoir jouer les promoteurs pour cet

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empaffé de Morris. Quelle ironie du sort non ? —Je ne vois pas où tu veux en venir Dan. —Bon sang, Bell ! Tu sais très bien ce dont je parle, putain ! Fais chier ! Putain de guerre ! — Calmes-toi mon gardon d’accord ! Ce n’est pas insurmontable. Tu as tout ici pour être heureux. Une femme aimante et accomplie et des amis plus qu’il n’en faudrait pour accomplir ce auquel tu te destines. —fais chier, merde ! Gémit-il en sanglotant, la main de Bell posée sur son épaule. Je craque là, je te donne une piteuse image de ma personne tu vas me trouver pathétique Bell, pas fichu de me prendre en main. Et puis j’ai encore besoin de fric. —De combien as-tu besoin ? —Cinquante dollars si cela ne t’ennuie pas. je te les rendrais quand je le pourrais. J’ai un peu trop dépensé la semaine dernière. » Bell alla dans son armoire et sortit de l’argent d’un petit coffre-fort. Il lui remit l’argent en main propre avant de poser sers fesses sur le rebord de la table. « Acceptes de travailler pour Morris, ainsi tu ne viendras plus rien me demander. —Les affaires tournent plutôt bien pour toi. Tu rachètes toutes les terres alentours et tu as nourri le gouvernement avec ton bétail. Les meilleures viandes du sud produites dans ce ranch. On dit que tu as embauché Gill après lui avoir faite une coquette offre quant au rachat du domaine familial. Ses parents sont si démunis qu’ils ont accepté sans se poser de question.

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—Oui, nous avons tous nos moments d’incertitude et de doute. Les Statham, sont acculés face à d’importantes dettes et n’importe quel promoteur assez cupides auraient fait leur offre avant la mienne. en tant que voisins et en bons termes, je me devais d’agir avant qu’ils se retrouvent sans plue-value pour faire face à leurs dépenses à venir ; —Et comment va Gille ? —Elle survit comme nous tous. » mon cœur battait furieusement et ma respiration se coupa en entendant cela. Et il poursuivit sur un ton qui se voulait le plus neutre possible : « elle est une battante et je ne me fais pas le moindre souci pour elle. —Oui, c’est….c’es une brave fille. » Le terme « fille » me vexa. On disait cela ‘une fille un peu naïve que l’on plaignait par sa gaucherie. Il se déroula plusieurs secondes avant que l’un et l’autre n’enchaine. « Elle sortait avec un officier, un trouffion qui n’a jamais porté un fusil de sa chienne de vie. Un petit merdeux de gratte-papier. Je ne sais pas encore ce qu’elle lui trouvait de bien. —On n’a pas tous la chance d’avoir été décoré dans le pacifique pour fait d’armes. Essayes de te montrer plus respectueux. Il s’est engagé quant e pays avait besoin de lui. Ne l’oublie pas Dan. Il s’est engagé au même titre que toi. —Oui tu as peut-être raison, Gill a du potentiel. Elle trouvera toujours des gamelles dans les quelles manger. Elle ‘a écrit des lettes quand j’étais là-bas.une sorte de condensé de son existence. Elle a toujours eu un style bien à elle. Quand les balles fusaient autour de moi je pensais à… nos vies passées dans le Kentucky. J’ai

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vu mes frères d’armes se faire tuer les uns après les autres et leur souvenir me hantera toute ma vie plus encore que les moments de paix. Et quand je la vois je me trouve être incapable de lui parler. Le fait d’avoir échangé avec elle…. Enfin, j’aurai l’impression qu’elle lit dans mes pensées les plus intimes et ce sentiment me met mal à l’aise. Je ne crois pas être prêt à franchir le pas. —Il faut parfois laisser le temps au temps. Certaines cicatrices prennent du temps à guérir… » Dan ne voulait pas me voir sous prétexte que nous avions échangés durant ces longs mois ; la guerre m’avait tout pris : mes frères, mes amis. Il ne restait plus rien de ce temps passé. Assise sur une botte de foin, je fondis en larmes en songeant à mes frères enterrés quelque part sur leur champ de bataille. Ils ne reviendraient pas à la maison. Mes parents ne leur survivraient pas. Toute le journée durant mon esprit tournait au ralenti. Pour ne pas plonger dans des idées noires je m’évertuais à rendre o rendre les écuries plus accueillantes. Depuis peu Bell ne voulait pas me voir à jouer les cow-boys avec ses employés. Il sortait l’histoire d’un de ces jeunes subordonnés encornés par un taureau. Une de ces histoires à dormir debout et armée d’une fourche j’œuvrais seule dans ces écuries d’Augias. Bell me paya pour la journée et je montai à bord de ma voiture. Arrivée au premier virage, mon véhicule tomba en panne. Il ne manquait plus que cela. Je pris un jerrican vide et commençais ma longue marche vers la maison. J’arrivais en plein milieu de la soirée et san plus attendre je

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plongeai mes pieds meurtris dans une auge glacée. Et je m’endormis là où je venais de m’assoir. A mon réveil les étoiles scintillaient dans le cel et en voulant me lever, je tombai de toute mon long face contre terre. Ma mère m’installa au lit et me borda. « Il n’est pas question que tu ailles travailler demain, tu es brûlante. Et si je n’avais pas retrouvée par terre, gisant ans cette flaque d’eau, dieu seul sait ans quel état tu seras maintenant. —Maman je vais bien. Ce n’est qu’une petite fatigue passagère. Il faut que j’aille travailler, je n’ai pas le choix ! Et je t’assure que je vais bien. » Dans la nuit ma température grimpa. Je pensais ne pas survivre à cela. Toute la matinée ma mère me fit boire du sirop, me frictionna les jambes mais la fièvre ne retomba pas, bien au contraire. « Ma pauvre petite, gémit-elle en me frictionnant encore et encore, tu te donne un peu trop. Tu dois savoir que noua allons vendre tant qu’il est encore temps. Ainsi nous aurons un peu d’argent pour tes études. Tu disais vouloir étudier et il sera tout à fait possible que tu intègre l’université à la rentrée prochaine. Ton père et moi sommes las de tout cela. Cette guerre incessante contre nos créanciers sans rien voir s’améliorer ; —Maman…. —Non ne parle pas ! Tu as fait beaucoup pour nous au cours de ces dernières années et cela sera notre façon à nous de te remercier, tu comprends ? Il est très important pour nous que tu continues à avoir des projets comme tes amis. Tous sont mariés ou fiancés et Whyte va avoir son premier bébé. Oui je suis au courant de

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tout cela, au risque de passer pour une trouble-fête. Il fera un bon père. Leonard est passé hier pour me proposer ses services. Il a demandé de tes nouvelles tu sais. Aucun de tes amis ne t’a oubliée, seulement ils sont assaillis par la honte d’être en vie quand beaucoup ne sont pas revenus. » Ma mère se leva prestement, gagnée par le chagrin et seule je lorgnais du côté de la fenêtre. Le vent chaud pénétrait dans la pièce en balayant les voilages. Si je m’en sortais alors je me mettrais à prier fort pour le salut de leur âme. Je me sentis chevaucher un cheval, les bras tendirent à l’horizon. Galoper fut libérateur. Et sur la terrasse je fixai l’horizon quand la voiture de Bell approcha. Ma mère descendit à son devant et ils discutèrent loin de mes oreilles indiscrètes. Il vint s’assoir près de moi. « Je peux vous proposer du thé, Joshia ? Pendant que ma fille chérie se délectera d’ue bonne tisane, murmura-t-elle en baissant ma tête. Je vous laisse, le temps pour moi de tout préparer. » Joshia plongea son regard dans mes yeux rougis. « Nous avons trouvé ta voiture sur le bas-côté et ne te voyant pas venir ce matin j’ai sauté à bord de ma voiture pour m’assurer que tout allait bien pour toi. —Merci à toi maman. Elle est aux petits soins pour moi, arguai-je en remontant la couverture sous mon menton. —Comment vas-tu Gill ? —Je vais mieux. Tu as tort de t’en inquiéter. J’ai pris froid en m’endormant les pieds dans l’eau. Maman a fait ce qu’il fallait pour faire descendre la fièvre.

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Il me fixa longtemps avant d’oser sourire. Ma mère revint avec le plateau de boissons chaudes. La présence de Bell suffisait à la réconforter et en me sachant en bonne garde en profita pour aller étendre son longe. « On dirait qu’elle ne s’arrête jamais, nota Joshia le sourire aux lèvres. Est-ce là un trait de famille ? je pourrais te faciliter tout ceci si tu acceptais de…. Enfin mon ranch a besoin d’une touche féminine au quotidien et de façon permanente. Tu pourrais devenir ma femme. —Ta femme ? Questionnai-je les frissons parcourant ma peau. —Je sais cette demande peur te paraitre un peu précipitée, seulement je ne veux pas perdre ton temps en te courtisant. Toi et moi l’ont se connait déjà, tu as grandi dans cette vallée et il n’y a rien que j’ignore de toi. Par conséquent mon choix de te demander ta main est fondée. —Joshia, je…. —Je te demande de réfléchir et quand tu reviendras au ranch j’espère que ta réponse me sera favorable. —J’en suis flattée, Josiah, vraiment. Mais pourquoi moi ? Pense-tu que je fasse une bonne épouse ? —Oui. Tu es pleine de bon sens, travailleuse et efficace. Tu n’hésite pas à prendre des risques et je serais très flatté de t’accompagner tout au long de notre vie commune. —Oh Joshiah ! » Et je tombai dans ses bras en sanglotant. Il ma caressa le dos et immédiatement son odeur me plut. J’eus envie de lui faire plaisir. Ses lèvres se posèrent sur ma joue inondée de larmes et je frissonnai de plaisir

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CHAPITRE Le mariage eut lieu le mois suivant. Sans vous mentir j’étais la plus jolie mariée du comté. La réception fut des plus réussie et au bras de Bell je transpirai le bonheur. En plein repas mon sourire se figea en voyant s’assoir Dan Whyte et sa femme. Après un quart d’heure après il se leva pour marcher vers notre table. « Bonjour Gill !Tu es ravissante. —Merci d’être passé Dan.

Alors que je lui apportais de quoi se restaurer, il n’eut pas une attitude favorisant les échanges verbaux et torse-nu toujours accroupi devant la gouttière il se leva au moment où je partais. « la gouttière ne fuit plus. Cela devrait contenter ton père. Après quoi je verrais ce que je peux faire pour le moteur de votre tracteur mais je ne me fais pas d’idée làdessus, certains pièces de vos matériels sont obsolètes et ne répondent plus aux normes actuelles de sécurité. J’ai tenté de convaincre ton père de les changer mais le problème d’argent revient souvent. Par conséquent il ne sera pas utile pour vous de me payer. Disons que je fais cela seulement pour vous aider et il ne me viendrait pas à l’esprit de vous amputer de quelques dollars si durement gagnés. —C’est gentil de ta part. Mais ma mère tient à honorer tes nombreux services. »

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Il ne répondit rien occupé à s’essuyer les mains sur le torchon pendant à sa taille. « Cette ferme pourtant a du potentiel…. —C’était comment dans le Pacifique ? Je n’ai jamais osé te poser la question auparavant mais je me fais une idée assez vague de ce qu’ont pu être la dureté des combats. Toutefois tu n’es pas obligé de répondre. Cette question n’appelle pas obligatoirement de réponses. —Tu veux que je te dise Jo…. Et bien parfois je me dis que j’aurais du rester làbas….avec mes frères d’armes….ceux qui sont tombés sous mes yeux. Ce sont eux les vrais héros. Ce sentiment-là tu ne pourrais jamais me le retirer. Ce retour à la vie tel qu’on l’entend est une fuite en avant. Je ne suis pas certain d’arriver à y retrouver ma place et faire au quotidien le bonheur de Caroline est un défit. Je ne me sens pas prêt, pas en phase avec moimême et ça, il n’y a qu’un soldat revenu du front qui puisse le comprendre. —Mais tu peux rester ici plus longtemps. Mes parents n’y verront aucun inconvénient. Cet endroit est propice au recueillement et….je sais que ce que nous avons à t’offrir est limité mais l’esprit humain a parfois besoin de matière première pour se façonner un nouveau mental. Voilà, prends le temps de réfléchir. —Mais c’est tout réfléchi Je ne veux pas que ta famille se fasse de mauvaises idées sur mon compte. Mes conditions étaient claires dès le départ. Je suis seulement là pour vous filer un coup de main mais je ne compte pas rester. —Je comprends. Alors je n’insisterai pas. » En fin de journée j’apportais un thé à ma mère sous la terrasse. C’était notre petit

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rituel à nous et pour rien au monde nous ne l’aurions loupé. Les chiens formaient à l’ombre étendus sur les matelas et l’un deux leva la tête au bruit d’un moteur de voiture. On venait par ici et fronçant les sourcils je tentais de discerner le modèle de véhicule. Ce n’était pas le pick up de Mills, il s’agissait d’un véhicule traction plus couteux et le cœur battant à rompre je quittais le perron précédé par les chiens. Scott Hayes en descendit et je fus sur le point de m’évanouir. Oui c’était bien lui. Mon Dieu ! « Salut Jo, comment vas-tu ? —Je vais bien, bredouillai-je sans parvenir à sourire. Il sortit un panier du siège passager et me serra dans ses bras. Cette étreinte fut pour moi la meilleure de toutes les étreintes depuis son départ du front jusqu’à maintenant. Il sentait bon le cuir chaud et le chèvrefeuille alors que moi je dégageais des odeurs corporelles assez navrantes. « Tu as une mine superbe. Mrs Fleming, heureux de vous revoir ! « Ils s’embrassèrent tous deux longuement ; pour ma mère il s’agissait d’un fils de retour de combat, un nouveau fils à aimer et elle enserra son visage entre ses mains, la gorge nouée. « Pourquoi avoir tardé à venir nous sœur ? Jo se faisait beaucoup de soucis. Félicitation pour ton emploi, c’est ton père qui doit être enchanté. J’ai eu l’occasion de croiser ta mère à l’église les dimanches passés et elle me disait que tu as maintenant une fiancée. Que de bonnes choses à entendre. Encore un autre Jo, qui va se mettre en ménage ! —Oui je suis heureuse pour toi Scott, assurai-je les larmes aux yeux. C’est génial ! »

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Et dans le salon mère nous y laissa. Face à face aucun de nous deux ne parla. « Veux-tu un autre verre d’eau ? —Non, je n’ai pas tout à fait terminé celui-ci. Euh… tu…. Tu es toujours bien ici ? —Comment ne pourrais-je pas l’être ? Il y a mes parents et toujours un tas de choses à bricoler. —Oui, c’est un véritable chantier, répondit-il en souriant perdu dans ses pensées. Je l’imitais avant de frotter nerveusement ma main sur ma cuisse. Il souriait toujours avant de passer en revue les objets de ce salon dont les photos de mes frères dans leur uniforme. J’eus envie de le serrer dans mes bras et lui dire combien il m’avait manqué mais j’en fus incapable. Il était à ce jour fiancé. « Où est ton père ? Crois-tu que je puisse aller le saluer ? —Il doit être à la rivière avec Mills. —Mills est toujours ici ? Je m’étais figuré qu’i était déjà parti. Il aurait du embauché il y a trois jours déjà. C’est un fieffé bricoleur, il a rendu service à mon père avec son problème de toiture. C’est l’homme qu’il faille après près de soi dans les moments critiques. Et au tant que j’y suis, Whyte m’a demandé de te transmettre ses amitiés et se dit être désolé de ne l’avoir fait plus tôt. Seulement Ellla a eu quelques problèmes de santé. Rien de bien méchant mais tu sais je ne vais pas te faire un tableau, les gars et moi on a un peu…. déconné. C’est que Howard ne tournait pas droit et ces dernières semaines ont été éprouvantes pour tout le monde. Ce retour au bercail est une épreuve. Mais on arrivera à se rattraper avant mon départ, je l’espère. Tu…tu m’as manqué Jo. »

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Cette occasion m’était offerte de le serrer dans mes bras mais paralysée par l’émotion je n’en fis rien. « Toi aussi, garantis-je sans oser remuer dans mon fauteuil. Il sourit pour lui-même avant de croiser les mains devant son nez sans cesser de me fixer. « J’ai été…. Emus par tes lettres. Il y avait une telle poésie. J’avoue en avoir retenu des passages entiers ; —Les tiennes m’ont inspirés. —S’il te plait…. » Il me tendit sa main. Comment interpréter ce geste ? Alors je lui tendis la mienne qu’il serra fermement. « Je te remercie pour toi, sans toi je n’aurai pas tenu dans cet Enfer. J’ai crains ne pas y arriver et je tenais à te le dire. » La porte s’ouvrit avec fracas sur Mills. Son regard froid et pénétrant passa de l’un à l’autre. Qu’est-ce que Hayes fiche ici ? Il ne te mérite pas Jo, alors fous-le illico à la porte ! Il lui tendit une brusque poignée de main et ils restèrent à se fixer. Jamais je n’eusse pensé que Mills puisse être aussi dur, son regard le trahissait et voyant son cœur sortir hors de la poitrine, je me hâtai de trouver quelque chose à dire.

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CHAPITRE Ils sont revenus de la guerre. « Le gouvernement ne peut laisser faire ça ! Tonna Howard dan notre antre, une cigarette e consumant entre ses doigts. C’est une attitude odieuse et nous devons répondre à cela par la force ! —Non je ne crois pas qu’Eisenhower laisse faire ça, attaqua Barnes en tendant une flasque de bourbon à Howard. Il est encore possible de faire des compromis et tenter de négocier pour…. —Toute négociation est impossible, argua Whyte perdu dans ses pensées, Notre gouvernement va riposter et que tu le veuilles ou non, nous rentrerons en guerre par la force des choses. —Je pensais que cette guerre concernait l’Europe et le reste du monde ! —Barnes, Whyte et Howard ont raison. L’a suite est inéluctable et il nous faut admettre l’hypothèse que nous sommes à partir d’aujourd’hui rentrer en guerre. Notre flotte du pacifique a été anéantie. —fais chier ! Au moment où je m’éclate le plus dans ma vie, c’est une saloperie ! Vous n’allez pas me croire les gars. Je viens de me dégoter une super pépée. Elle a tout ce qu’il faut là où il faut et figurezvous que je ne pensais pas être aussi romantique. Le panard total et vous, vous cherchez à saper mon moral en affirmant de telle chose ! « On ne parlait à présent plus que de cela. Le mot guerre restait sur toutes les lèvres ; du matin au coucher du soleil. Dans un sens la vie ne changeait guère pour moi,

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j’étais toujours là à me morfondre dans mon coin, à aller pêcher seule et bricoler seule le moteur de la Ford. Mes entrevues avec les autres s’espacèrent de plus en plus en raison de cette actualité et Dan ne semblait pas vouloir ménager son temps de travail pour me tenir compagnie. Le temps pour lui état compté et la petite Reid, puisqu’il s’agissait toujours d’elle lui accaparait ce temps si précieux. En ville se fut Hayes que je vins à croiser offrant son bras à une jolie demoiselle au grand sourire triomphant. L’existence nous réserve bien des lots de surprise : Barnes s’est dégotée une poulette et maintenant Hayes roucoulait de son côté. Notre regard se croisa et j’en déduis qu’il ne chercherait pas à me saluer. Je pense qu’il dirait plus tard à howard : J’ai vu Fleming en ville mais je n’ai pas tenu à l’avoir dans mes pattes. Et l’autre se mettrait à ricaner, amusé par mon manque d’intérêt pour les plaisirs terrestres. Il se passa deux jours. Deux jours pendant lesquels aucun de mes confidents d’autrefois ne vinrent me saluer. A croire que plus rien ne serait comme avant, les amitiés se défont quand plus rien ne les fédère et dans le salon avec ma mère, je lisais le journal sur la déclaration de notre Président quand on frappa à la porte. « C’est ton ami Hayes, dois-je ouvrir ? » Les bras croisés sur la poitrine je me retrouvais bien vite devant lui des plus impassibles quand lui montrait des signes de nervosité. « Euh….tu veux qu’on aille faire un tour ? » Et dans sa voiture, il roula sur les routes enneigées pour aller se garer à l’extérieur de la ville et me proposer une cigarette.

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« Je vais aller m’engager. Howard l’a fait, ainsi que Whyte et….je veux que tu saches que…. —Barnes ne semble pas prêt à quitter sa belle alors. Ah, ah ! Je t’ai vu en ville l’autre jour. Ta petite amie est ravissante et tu as raison de le faire avant que cette dernière ne se mette à te tenir. —Oui, c’est une longue histoire. Son père est médecin tout comme le mien alors on a cru bon nous rassembler tous les deux. Mais il n’y a rien entre nous. On a seulement discuté un peuet…. —Tu es libre de faire ce que tu veux Scot. Tu es un grand garçon maintenant et à force de parler d’amour il a fini par te tomber dessus. Comment s’appelle-t-elle ? Tu vois j’ai vu juste. Il suffit que j’en parle pour que tu rougisses. Mes trois frères aussi vont s’engager. La maison va être bien vide sans eux. Mon père parle de devoir Quant à ma mère….c’est plus compliqué, c’est elle qui les a porté et mis au monde. —Je ne partirais pas si tu me demande de rester. —Et pourquoi ferais-je ça ? Je compte partir moi aussi. Il n’y a rien ici qui me retienne et j’ai besoin de voir du pays. Pourquoi cette guerre serait-elle réservée aux hommes ? Je sais me battre n’est-ce pas et les nazis n’auront qu’à bien se tenir ! » Il me fixa de ses beaux yeux translucides et son front heurta doucement le mien.

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On monte des arnaques Dan Whyte et moi. Nous le faisions déjà avant qu’il ne parte en Europe comme fantassins. Il a prit du galon et du poids ; avant il était du genre très grand et maigrichon, maintenant il est plutôt baraqué, tout en muscles et en assurance ; avant Betty et moi l’appelions Danny grandes jambes pour se moquer de lui ; maintenant….enfin, ce surnom n’est plus d’actualité. Lui flashait pour Betty mais c’est encore avec moi qu’il se marrait le plus. Betty était douce, un peu baby doll mais ne connaissait rien au monde des affaires. Elle ne cessait de me dire : »Oh, toi tu es trop intelligente ! Tu comprends tout, tout de suite ! C’est vraiment impressionnant ! » Combien de fois pourtant avais-je tenté de l’initier au commerce ? Elle buvait toutes mes paroles, prenait des notes, se grattait la tête de désespoir quand rien ne rentrait dans sa caboche et exténuée finissait par s’endormir sur les feuilles de comptabilité. Elle n’avait jamais manqué de bonne volontiers mais force de constater que mon passe-temps n’était pas le sien. De loin, Betty préférait la mode, les garçons et les virées à Chicago que tout autre forme d’occupations et d’exercices cérébraux. Elle avait beau essayer comme elle le disait, rien ne rentrait jamais. Comme j’occupais la majeure partie de mes journées à monter des arnaques avec Wesley, il était évident de voir Dan jeter son dévolu sur la belle. Elle était amusante, belle et pleine de vie ; je me disais en mon fort intérieur être totalement incapable de rivaliser avec pareille concurrence. Dan lui consacrait 78% de son temps libre et 15% seulement pour nos combines. Notre cible privilégiée : les

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soldats de retour au pays. Trop heureux d’être en vie et pressés de faire confiance au premier venu, ils se disaient prêts à dépenser une fortune pour faire fructifier leur épargne. Dan passa ce matin pour me remettre la liste des récents gars revenus du front et dans cette liste : Chris Wadden et Cole Ledge, nos voisins immédiats. Je connaissais Ledge de réputation mais pas l’autre ; après avoir interrogé le voisinage j’appris qu’il vivait ici depuis peu. hans Wesley m’avait filé l’adresse accompagné d’un : « Bon courage ! Tu risques d’en avoir besoin ! » Ce fils de pasteur faisant dans sa froc quand il était question de rentrer en contact avec nos futurs collaborateurs. Il disait s’en tenir en question matérielle : le panache et tous les à-côtés. Quant à Dan, il supervisait l’ensemble depuis sa tour d’argent. Il ne se mouillait pas trop mais touchait 15% de nos bénéfices et on ne pouvait lui dire d’aller se faire mettre, c’était un peu notre dieu à tous. Alors on ne pouvait ouvertement le contredire ; une fois le dos tourné, je m’en prenais copieusement à Wesley, le traitant d’incompétent avec en prime quelques mots d’oiseaux bien choisis Je me rendis donc sur la propriété de Wadden. Il vivait en reclus au fond des bois. Pas le genre à vouloir se frotter au commun des mortels. Un immonde roquet à poils hérissés et gras arriva droit sur moi en jappant. A mieux l’observer je trouvais qu’il ressemblait étrangement à mon grand père avec son épaisse paire de sourcils noirs et broussailleux et cette mâchoire écrasée donnant cette expression de constante bouderie. Il me tourna autour

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avant de repartir sans plus se soucier de moi. « Monsieur Wadden ? » Pas de réponse. Oserai-je m’aventurer à l’intérieur de sa bicoque et ainsi risquer ma vie ? « Monsieur Wadden ? Il y a quelqu’un ici ? » la pièce sentait la poussière et le renfermé, une odeur de naphtaline et d’engrais chimique. L’endroit semblait désert, abandonné de tous ; des fantômes pouvaient y vivre et errer là sans être inquiétés par les humains. Peut-être seraije témoins de phénomènes paranormaux ? Wesley dit que c’est possible ; certains baraques sont tellement vieilles ici qu’il n’est pas rare que les habitants meurent de la fièvre jaune y reviennent encore. Un frisson d’excitation passa sur mon échine dorsale et serrant plus fermement ma pochette sous le bras, je poursuivis ma visite. Nulle âme qui vive ici. il y avait bien un reste de repas sur la table mais aucun indice permettant de dire à quand il remontait. Je posais alors la main sur la cafetière. Froide. Tout comme le réchaud. A mon retour Wesley allait prendre cher son incompétence. J’allais faire demi-tour quand soudain, je sentis un souffle froid. Etait-ce un fantôme ? Un bruit étouffé atteignit mes oreilles et le cœur battant à rompre je laissais mes yeux s’habituer à la semipénombre. Le bruit reprit. On eut dit un corps traînant avec peine sur le parquet. Enfin, il allait m’être donné de voir un spectre. J’écarquillai les yeux pour ne rien perdre du spectacle quand le bruit cessa. « Monsieur Wadden ? Est-ce vous ? » Et il apparut dans l’encorbellement de la porte. Avec cette faible luminosité j’avais une silhouette un peu bancale soutenue par

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un long bâton qui s’avérait être une béquille et alors je vis le type, notre futur pigeon me fixer de ses grands yeux jaunes injectés de sang. Il sentait le bouc et de longs cheveux noirs et gras pendaient le long de son visage émacié. « Je m’appelle Gill Hanson et je viens pour…. —Je sais qui tu es, Gill ! Ne te donne pas tout ce mal. Ton ami Wesley m’a bien vendu l’affaire et….Tu peux t’installer. Je vais faire un peu de thé. » Vraiment ? Wesley avait bien vendu l’affaire ? Il fat admettre que parfois, Wesley n’est pas aussi dérangé qui le laisse croire. On a grandi ensemble dans le même foyer pour mineurs ; Whyte, Weskey, Betty et moi. Les petits orphelins de l’Amérique unis pour le meilleur et pour le pire ! En clopinant ce dernier se dirigea vers la gazinière et s’affaira à me préparer un café. C’était vraiment glauque ici ; pas étonnant que personne jamais ne vienne lui rendre visite. Wesley m’avait dit : « C’est un peu poussiéreux là-bas mais tu obtiendras tout de lui. C’est un pauvre type à qui l’on pourra faire avaler n’importe quoi ! » Il vivait là avec son vieux cabot, cette demeure était sur le point de s’écrouler mais il ne sera jamais en mesure de la retaper en raison de sa jambe boiteuse. « Elle a quoi votre jambe ? Questionnaije debout au milieu de la pièce, lorgnant du côté d’une vielle horloge égrenant les minutes dans un funeste carillon mécanique. —Tir de mortier. Tu le veux noir ou léger ? » Whyte aussi avait pris un éclat de mortier dans la jambe. Lui, cependant ne

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boitait pas. « Je le prendrais noir. Vous étiez en Europe ? —Dans le Pacifique. Assieds-toi s’il te plait, cela ne devrait pas prendre beaucoup de temps. Wesley m’a dit que vous vendiez des placements c’est ça ? » Avec difficulté, il s’assit en face de moi ; force de constater que le moindre effort lui coûtait et le visage moite, il donnait l’impression d’être un homme ayant pris une ondée quelque part. il lui manquait une phalange au pouce et cette découverte me colla la nausée. « Oui, on vend des bons. Des bons qui comme vous pouvez vous en douter sans bien au-dessus du prix du marché et…. —Tu as un petit copain ? Un fiancé ? —Non ! Monsieur Wadden, vous n’aurez pour l’heure aucun sous à débourser mais…. —Tu vis avec Wesley ? C’est ton petit copain ? C’est lui qui te fait vivre ? Alors je comprends mieux l’arnaque. Il ratisse large, choisit sa proie et une fois qui la ferré il l’envoie sa petite amie pour conclure. Quel genre d’empaffé est-ce ? je pourrais avoir envie de m’amuser un peu avec toi et d’ici à Guirrec, il y a plus de six kilomètres en amont. —Je suis une grande fille et je suis armée. » Il leva les yeux au ciel, le sourire aux lèvres. Il se moquait de moi ; cette expression semblait vouloir dire : Ah ben ça ! Si tu as une arme à feu, alors tu es sauvée ! Il récupéra sa béquille pour aller chercher son café, le verser dans deux tasses à l’hygiène douteuse et revenir poser ses fesses sur la chaise. « C’est une arnaque n’est-ce pas ? Ecoute Gill, je connais certaines combines visant à plumer le citoyen un peu naïf. Ici il n’y a que toi et moi, par conséquent ton

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secret sera bien gardé. Si tu as besoin de mon fric, je peux te le donner sans que tu passes par toute cette mise en scène pour l’obtenir. Il vous faut combien à toi et Wesley ? » Je n’osai plus rien répondre et mon attention se porta sur un détail de la pièce ; une fois le café avalé je partirais prestement sans même me retourner.

Un type manqua de me renverser à la sortie du lycée. Au moment de l’impact il fixait les feux tricolores dans son gros SUV bleu. Le choc fut latéral et étendue sur la chaussée je levai les yeux au ciel, marqua une pause dans ma respiration avant d’entendre les témoins de la scène reprendre leur esprit. « Appelez les secours vite ! » Le type se trouvait être près de moi, les mains dans les cheveux ; une expression figée sur son visage maigre encadré par une sorte d’immonde barbiche. Dans sa tête cela devait aller très vite : Nom de Dieu, je viens de tuer une gosse ! Je vais me retrouver en prison ! Et moi de me redresser sur le coude tandis qu’il m’examinait à la recherche de plaies ouvertes synonymes de traumatismes. « Je vais bien….Je n’ai rien. » Et le type me fixait des plus incrédules, la bouche entrouverte et les yeux tressautant dans leur orbite. Merde j’ai buté petite et elle ose me dire que tout va bien. Autour les curieux devenaient plus nombreux. Pas le

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temps d’en faire plus. Déjà je récupérais mon sac pour ficher le camp au plus vite. Le type, celui à la barbiche et au SUV bleu ; celui aux longs cheveux fins et bruns sembla hésiter avant de m’aider à me relever. Pourquoi hésitait-il cet enfoiré ? Non-assistance en personne en danger, cela pouvait aller chercher loin. Les sourcils froncés il m’étudiait plus en détail cherchant à percer le mystère de ma présence sur ce carrefour et je sentis ses doigts s’enfoncer dans la chair de mon bras. La petite garce ! Et si tout ceci n’était qu’un traquenard ! Aussitôt je portais ma main sur le front et simula la perte d’équilibre. J’entendis clairement des gens proposer de faire venir les secours. Ils me décevaient. Qu’attendaient-ils pour les faire venir ? Que mes tripes se répandent sur la chaussée ? Qu’est dangereux illuminé sorte de nulle part pour cribler mon corps de balle ? « J’ai soif ! Je… voudrais boire, murmurai-je à son attention. S’il vous plait ! » Le type me laissa à un inconnu empestant le whisky et coiffé comme un bidasse. Il me parlait de je ne sais quoi pour passer le temps et quand l’autre revint ils s’échangèrent quelques mots dont je feignais d’entendre. « Elle dit qu’elle n’a rien mais si j’étais toi j’appellerai les secours mec ! Les ennuis peuvent survenir après, quelques minutes après et boum ! Plus personne ! —OK, c’est cool ! Tout ira bien petit ! J’ai la situation en main ! » On rentra dans un estaminet aux portes grinçantes et linteaux suintant. Il serait grand temps que la patronne y fasse le ménage et je ne parle pas des mégots jetés par terre, des marques de verres sur le bois des tables et ces clients vieux et ragoutants

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lorgnant dans ma direction. Cette buvette est à l’image de cette ville, sinistre et suintante ; il n’ya plus de jeunes ici, les plus fortunés ont compris depuis longtemps qu’il n’y a pas d’intérêt à rester ici. La jeunesse fuit cette bourgade pour plus moderne, plus propre et plus dynamique. Une fois que j’aurais assez d’argent je me casserais d’ici. Adieu monde de paumés, place à la véritable existence ! L’autre conquistador revint avec un verre d’eau quand de la bière aurait été préférable. « Comment t’appelles-tu ? Me questionna-t-il perdu dans ses pensées, cherchant à être le plus naturel possible pour le cas où moi je le suspecterai d’être un dangereux psychopathe. —Jill. » Puis on resta à se fixer en chien de faïence. De nouveau il fronça les sourcils avant de faire tournoyer une boite d’allumettes entre ses doigts fins et pas trop dégueu pour un blaireau comme lui. Il posa la boite et s’éclaircit la voix. »Je vais devoir partir Jill, mais si tu me dis que tout va bien….c’est le principal. Alors on va en rester là. —Où est-ce que je peux te revoir ? Tu as bien une adresse ? Tu dois me trouver bizarre mais si je suis encore en vie, c’est un peu grâce à toi. Alors on pourrait se revoir. —Je ne crois pas, non. » Les gars allaient le tabasser à mort, peutêtre même le tuer. Cette pensée me colla la gerbe. C’était pourtant bien ce qu’il s’était passé l’autre fois. L’arnaque avait mal tourné. Je ne voulais pas revivre cela. Sean restait un sanguin, une frappe qu’il ne fallait pas chauffer et quand il venait ici, il ne voulait pas avoir à perdre son temps

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avec tous ces cul-terreux comme il aimait à le souligner. Il venait récupérer l’argent avec ses complices toujours tirés à quatre épingles et il n’avait aucune considération pour les petits escrocs de Guirrec. Des escrocs comme moi qui ne faisaient que cela de leur vie. « C’est comment ton prénom ? —Il faut que j’y aille, d’accord ! —Si tu quitte ce bar sans moi des types dans une Cadillac noire font te tomber dessus. Alors à ta place j’éviterais de jouer les gros durs avec moi. Ils vont ensuite t’emmener loin d’ci et te demander de coopérer et cela risque de mal finir pour toi si tu leur file pas le fric. Ce ne sont pas des plaisantins comme je te l’ai dit. Alors dis-moi maintenant dis-moi comment tu t’appelles. —Chris, finit-il pas cracher en regardant tout autour de lui. Cette petite garce me ment, devait-il penser toutefois des plus suspicieux. « C’est cool, Chris ! Est-ce la première fois que tu fais ça ? —Quoi donc ? —Prendre un verre avec une jeune femme ? Cela remonte à quand ton dernier rencard ? —Pourquoi vouloir savoir ? —Tu ne sais pas ou tu ne veux pas me le dire ? Tu n’es pas le genre à attirer les femmes. Soit dit en passant dans ce bled perdu au milieu de nulle part tu dois forcément être aux goûts de ce public de cul-terreux. Tu as des gosses ou un chien ? —Non. Ni l’un ni l’autre. —Cela veut dire que tu te masturbes devant un bon porno, là tout seul comme un con avec ta bière non loin de ton film de boules préféré ! La vie ne t’a pas faite de cadeaux, murmurai-je sans le lâcher des

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yeux. Tu aimes les petites filles ? Es-tu un genre de pervers sexuels ? Tu sais tu peux répondre, personne ne t’entendra. En tous les cas, tu as de belles mains. Je kiffe les mains. Elles nous révèlent de qui l’on est vraiment. Comment me trouves-tu Chris ? —Que me veux-tu ? —Ces types en veulent aussi après moi. Je leur dois du fric. C’est un coup entre nous qui a mal tourné. Si je te pose toutes ces questions c’est pour être certain que si les choses tourneraient mal, tu n’aurais rien à perdre, répondis-je en me m

—Je travaille à mon compte, répondit-il froidement. —Cela veut dire quoi travailler à son compte pour toi Chris ? Poursuivis-je en croisant les bras sur la table ayant oubliée à quoi point elle était crade. Tu gagnes bien ta vie ? Non parce que tu dis payer tes impôts, alors….ta caisse aurait sérieusement besoin de passer au passer au contrôle technique et quand je te regarde tu n’aspires pas la confiance. —Désolé de ne pas être aussi beaux que tes idoles de diné. —Mes idoles ? Qu’est-ce que tu en sais sur mes idoles ? Tu ne me connais pas Chris, répliquai-je froidement. Tu ne sais pas qui je suis. » Il baissa la tête et joua à faire tourner une allumette entre ses doigts. « je veux juste prendre un verre avec toi alors n’essaye pas de me mettre à l’aise.

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—Ben non, chef ! Je discute seulement avec toi pour faire passer le temps. C’est ce qu’on fait entre gens civilisés. » Il but une gorgée perdu dans ses pensées. Une grosse femme fit son entrée et commença à brailler du côté de Stanley le barman. Ma chapka enfoncé sur mes cheveux noirs et gras, je plongeai la main dans mon sac pour y déloger mon portable et commencer à jouer avec pour meubler ce silence. « Alors tu fais quoi dans la vie ? Tu renverses de jeunes femmes pour ensuite les inviter à boire un verre ? —Ouais c’est exactement ça. Tu m’as démasqué. Ecoutes bois ton verre et que chacun de nous retourne à sa vie respective. » Il était sérieux quand il disait ça. Il caressa ses lèvres et lorgna derrière lui. « Je suis au lycée Thomas Jefferson ! En dernière année. C’est plutôt galère….mon vieux s’est tiré en septembre et….j’ai écopé d’un petit séjour en maison d’arrêt pour vol à l’étalage. Il ne se passe jamais rien ici, c’est l’anus mundi. Avant on vivait dans le New jersey mais mon vieux a jugé bon de mettre les voiles pour ce bled perdu au milieu de nulle part. Et toi ? C’est quoi ton histoire ? —Je….je ne crois pas que cela t’intéresse. Bois ta bière, je te dis ! —Tu ne veux pas me dire qui tu es ? —Qu’est-ce que ça peut te foutre de savoir qui je suis ? —Ouah ! Je t’adore Chris ! J’adore vraiment causer avec toi. Toute à l’heure sur a chaussée tu paraissais cool mais là, sérieusement tu me fais flipper. Il se passera quoi si je refuse de coopérer ? Tu vas m’enlever pour me séquestrer ? Les

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journaux locaux fourmillent d’histoires de nanas kidnappées et qu’on retrouve morte le long d’une rivière, nues et salement amochées. Tu sais ce que tu encours si tu avais l’idée de te montrer démonstratif ? —Oh Tyler ! Je vais rentrer. » Il se leva prestement et prestement ma main se posa sur son bras. « Excuses-moi d’accord ? Je suis vraiment….désolée ! Seulement, je… je suis morte de trouille. Ne t’en vas pas ! ne t’en va pas tout de suite s’il te plait ! Cela me rassure que tu sois près de moi….vraiment, j’aimerai que tu reste. » Il se rassit après m’avoir longuement étudiée. « Bon, je….je vais reprendre depuis le début. Je me suis délibérément jetée sous les pneus de ta voiture. Tu veux savoir pourquoi ? Je me fais du fric de cette façon. C’est une sorte d’arnaque au pigeon. Une histoire d’assurance, tu piges ? En général je me débrouille pour faire raquer ma victime et souvent j’en ai pour mon argent. Bon cela comporte des risques je te l’accorde mais….les hommes retournent leurs poches et paient les indemnités plutôt que de passer devant la justice. Mais avec toi….c’est différent. Je sens qu’on peut tout se dire. Il y a comme une sorte de feeling. » Il me reçut chez lui. En fait je fis du forcing. D’une façon ou d’une autre j’allais gagner ma journée. Je lui ai dit ne pas savoir où dormir et après avoir rechigné à me conduire chez lui, il a fini par céder. « Alors c’est là que tu vis ? On est loin de Buckingham palace ici ! » Il m’invita à le suivre dans sa chambre pour que je puisse y poser mon sac de cours. Sans rien ajouter il partit. Apparemment il vit seul.

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C’est très vieillot chez lui, mais c’est propre. Bonne robinetterie et bonne literie, cela changera de la maison d’arrêt du comté. Il était dans la cuisine à attendre que je me manifeste. « Des voisins regardent par la fenêtre. Ils vont penser que tu as tiré le gros lot avec moi. Les vieux pervers pensent souvent ça des hommes que j’accompagne chez eux pour leur faire les poches. Allô ? Tu entends ce que je dis ? Tu as la chance de m’avoir près de toi….ce genre de conceptions t’a-t-il effleuré l’esprit ? » Il ne répondit rien, occupé à laver ses légumes dans son évier sans se soucier de moi. Je le matais en maillot moulant soulignant ma grosse poitrine. Mes petites pommes rondes et fermes, ma fierté. « Tu auras envie qu’on baise ce soir ? Je prends 50 dollars et 60 si je te fais une pipe. Ne fais pas celui qui ne sait pas de quoi je parle ! Il n’y a pas de femmes dans ta vie et les types comme toi sont prêts à payer pour s’envoyer en l’air avec la jeunesse. Qu’est-ce que tu prépares de bon ? —Un gratin de légumes. —C’est cool. J’adore la verdure ! Je rechigne à manger de la viande rouge mais je n’ai rien contre un peu de verdure dont tes légumes. Tu es une sorte de militant écologique ? Tu milites pour Greenpeace ou une connerie dans ce genre ? Moi je n’aime pas penser qu’on fasse du mal aux bovins qui ensuite se retrouvent découper dans nos assiettes. Une fois j’ai pété un scandale dans une wall mart. L’idée était de boycotter certaines viandes et…. —Je ne suis pas végétarien, répondit-il prestement le nez dans ses légumes.

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—Je suis contente pour toi ! Tu n’es pas si ennuyeux que cela finalement. Je peux fumer ici ? —vas à le fenêtre alors. Je ne tiens pas à ce que cela empeste dans ma cuisine. —La clope ce n’est pas pire que le graillon et l’odeur de poussière. La décoration était d’origine ici ? On a l’impression de remonter le temps avec cette déco très seventies et ces bibelots d’avant-guerre. Je pense pouvoir trouver le même genre de déco chez les vieux de ton quartier ! » Je partis allumer mon avant-dernière clope à la fenêtre donnant dans une impasse où s’entassaient poubelles et détritus en tout genre. En face, je vis un rideau s’écarter. Ces voisins étaient un peu trop curieux à mon goût. Lui contrairement aux autres mecs ne relookait pas mon derrière ; mes petites fesses rebondies qui plaisent tant à ses derniers. « Tu ne m’as pas dit dans quoi tu travaillais. Tu es quoi au juste ? » Il disparut dans son cellier et je restais plantée à la fenêtre, voyant bien que je ne l’intéressais pas. Un petit effort ma chérie, et il te donnera ce que tu veux ! Je réduisis ma cigarette pour aller me poser à table et taper dans la corbeille d’amandes sèches et de noisettes. Ok il me faudrait une fois de plus prendre les choses en main. J’attendis qu’il fut revenu à son évier pour me coller contre lui et poser la tête contre son dos, gonflant la poitrine afin de faire monter le désir. Impassible il poursuivit la découpe de ses légumes. Je sentais ses muscles dorsaux se raidirent à chacun de ses mouvements. Il était raide mais pas crispé pour autant.

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« Tu sens bon tu sais, une chance pour toi que tu ne sentes pas l’oignon frit et la transpiration ! Si on couche ensemble, il faut que tu saches que j’aime qu’on m’étrangle pendant l’acte et…. —Arrêtes de parler de cela Tyler. Je ne ferais rien avec toi. Tu n’es qu’une gamine et je ne veux pas d’ennuis avec toi. —Du genre ? Questionnai-je en glissant mon regarda dans le sien. Cette discussion l’exaspérait. Il sortit une poêle pour la faire chauffer en vue d’y faire cuire les deux morceaux de bavettes bien saignantes. Assise sur le rebord de l’évier je l’étudiais tout à loisir. Pas du tout mon genre mais il restait un pigeon de choix. Son téléphone mural se mit à sonner. Il avait une vie sociale et des amis qui se souciant un tant soit peu de lui. Peu loquace au téléphone il laissa entendre qu’il serait pris cette nuit. Il raccrocha pour revenir à sa popote. « Ce sont tes voisins qui t’appellent pour une soirée bière ? Tu devrais y aller Chris. C’est important les amis. —Toi tu n’es pas censée être ici alors sois aimable de ne pas trop l’ouvrir. Demain tu retourneras à tes magouilles et il ne sera plus jamais question de nous, tu piges ? » Froidement il posa l’assiette devant moi. Ok pour les légumes mais la viande….Il se mit à prier avant d’entamer son repas. Auprès de quel bigot avais-je atterri ? Il me fallait quand même tenter. Le diner terminé je me levais et sournoisement levais mon maillot sur mon ventre dénudé avant de monter à califourchon sur ses genoux. « Arrêtes avec ça…. » J’attrapai sa main pour la lui poser sur mon sein et je

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simulais le coït. Il avait de longs cils fins et hormis ce regard dur quelque chose de si pur que j’en frémis d’aise. D’un seul élan il se leva, quitta la table pour ouvrir son portefeuille et y répandre son contenu sous mon nez. « Prends le fric et tires-toi ! Tires-toi ! » A la faveur de la nuit je quittai ma chambre. il dormait sur le canapé, face tournée contre le dossier. Alors lentement je me glissais sous son drap et m’assoupis près de lui, repue de fatigue. Je dormis d’un sommeil de juste comme jamais encore depuis toute ma misérable vie. Sa présence suffisait à m’apaiser. J’aimais me trouver près de lui, sentir sa respiration saccadée et ses longs soupirs contrariés. Au petit matin je le trouvais endormi dans le fauteuil ; du moins veillait-il là, gardien de mon sommeil. « Quelle heure est-il ? —Il va être sept heures, répondit-il tout de go détournant son regard de ma personne. Il se leva prestement et alluma sa cafetière. « Je peux utiliser ta salle de bain ? » La douche fut chaude et apaisante. J’avais besoin de me décrasser de la tête aux pieds. En me regardant dans la glace, je me sentis….pathétique. Non pas parce que j’avais échoué dans mon projet mais bien parce que j’avais manqué son estime. Honteuse je m’habillais des vêtements de la veille, sale et puant le tabac pour filer vers la porte d’entrée, la chapka posée sur la tête. « Chris, tu es un pote pour moi ! Merci pour ton accueil mais je dois filer maintenant ; Le devoir m’appelle ailleurs. On s’embrasse ou bien ? Tu sais que tu as été très mignon avec moi ! »

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Quand je dois me rendre à Jefferson j’arrange toujours pour emprunter la voie ferrée. Les négros de Compton me file de la drogue que je revends ensuite au bahut. Je n’ai à ce jour pas trouvé mieux pour arrondir mes fins de mois. C’est gérable quand on voit le bénéfice de ce commerce des plus lucratifs. Serena dit Nana-G était avec moi lors de mes nombreuses condamnations, voisine de cellules elle fut pour moi un professeur de choix ; elle connait tout sur la revente et connait tous les dealers de notre ville par leur blaze. C’est une écorchée vive pour qui j’ai un profond respect. Elle sait que je suis réglo et qu’on peut me faire confiance. Son mec JJ-Cool m’a à la bonne et quand il ne me fait pas du rentre-dedans il me fil un petit pourcentage sur la marchandise nonrevendue. Usage personnel. Mais je ne fume pas. Alors je la revends sous le manteau dans les centres commerciaux de Jefferson. Ce ne sont pas des négros à proprement parlé, ce sont des métisses, des latinos et seulement deux-trois sont des African-Americans qui portent flingues à la ceinture et dents en or. Ceux-là il ne faut pas les chauffer : ils démarrent au quart de tour. Après la voie ferrée et son pont suspendu j’emprunte un escalier qui passe à travers un petit parc fréquenté par les toxs du coin. Ils planent tellement qu’on ne peut rien leur demander à ceux-là. Après quoi je débouche sur une artère infectée de négros qui discutent là toute la journée le cul posé sur le capot de leur caisse. Tous me connaissent ici et tous me fichent la paix parce qu’ils ont entendu parler de mon vieux : le pire facho que les USA aient pu connaitre. Aucun ne veut avoir de

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problèmes avec lui. tôt ou tard il reviendra pour régler quelques comptes en ville. Jefferson’s College n’est plus loin à condition d’avoir de longues jambes pour rallier le portail et arriver avant la fermeture de la grille. Ces salauds ont mis en place des protocoles de sécurité : pas d’armes à feu, pas de drogues et j’en passe. « Tyler ! Tu as une seconde ! » Au son de cette voix, mon cœur s’emballa. Et merde ! L’autre merdeux était là, l’œil inquisiteur et les bras croisés sur sa poitrine. « Tu n’étais pas au centre hier soir ? —Et bien non ! Et c’est quoi le problème ? Tu vas m’arrêter parce que je n’ai pas pointé à ce putain de centre ? —Monte dans la voiture s’il te plait ! » Oh non ! C’est le cauchemar ça. Il s’installa près de moi et fit courir ses yeux de lynx sur mon visage. Il sait que je deale et ça le rend furax. « Alors tu étais où hier soir ? —Ce ne sont pas tes oignons ! Tu as peut-être mieux à faire que de me surveiller non ? Je suis réglo Gale. Tu sais que je me suis rangée maintenant alors laisses-moi gagner Jefferson. La retenue me pend au nez et je ne tiens pas à ce que tes petits copains viennent pour me fouiller le cul avec une lampe torche. Je suis réglo, j’te dis ! —Alors vide tes poches Tyler, si tu n’as rien à te reprocher. Ainsi tu ne me feras pas perdre mon temps. Je sais que tu en as. » Interdite je restais un moment à fixer le tableau de bord. Je ne veux pas avoir d’ennuis avec la justice. Si je plonge, je le ferais pour de bon pour une vulgaire dose

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empruntée à Nana-G. Alors docilement je vidais mes poches pour lui refiler tout le matos, à contrecœur. « C’est bien tout ce que tu as ? Questionna ce dernier en mettant le contenu dans un sac plastique. Il y en a pour combien ? Deux dents dollars ? Je ne veux plus te voir dealer dans mon secteur et ce n’est pas la première fois que je te dis. Avec cette quantité tu vas directement au trou Tyler, tu en as conscience ? Quoi, je ne t’entends pas ? Tu sais les risques que tu encours Tyler ? —oui ! Lâches-moi la grappe maintenant ! Je peux m’en aller ? —Non. Tu t’es faite un client hier ? Tyler, je te parle ! Je vais être obligé de t’arrêter pour racolage sur la voie publique. —Tu te fous de moi là ? Je n’ai même pas baisé avec celui-là ! On a seulement diné ensemble et….c’est un mec cool. —Ah ouais vraiment ? —Un vrai gentleman oui ! Cela t’étonne ? Et je ne donne pas mon cul à n’importe qui ! quand j’ai besoin de fric je sais où le trouver. Quoi encore ? » Il me dévisageait froidement des plus sceptiques. Si on me voyait en sa compagnie, on allait se mettre à parler une fois de plus. Ce trou de cul de Tyler se met à causer avec les flics ! Ce n’est pas bon pour mon commerce, surtout dans cette ciudad. Les gens qui attirent l’attention sur eux ne sont pas fréquentables et Gale ne me lâchera pas facilement, il a les corones ( les couilles en espagnol) celui-là, il fait marcher tous les dealers au pas parce qu’il a réussi à établir un large réseau dans ce comté et pas des moindres.

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Un sourire apparut sur ses lèvres. C’est le sourire qu’il arbore quand il est sceptique. Je commence à le connaître. « Tu t’es faite combien hier soir ? Tu peux me répondre….tu risques gros à chaque fois que tu fous les pieds dehors. Il y a assez dans ma voiture pour t’inculper et tu vas prendre pour plusieurs années dans une prison fédérale. C’est vraiment ce que tu veux ? —Et bien j’essaye de m’en sortir comme je peux ! Tu n’as qu’à appeler le Central pour une altercation jusque devant mon bahut pour le fun. Jamais tu ne t’ais dit que tu pourrais mettre un terme à tout cela ? Tu n’as qu’un appel à passer Gale, alors ne t’en prive pas ! » Folle de rage je fixai le trottoir devant moi, la tête soutenue par ma main. Je commençais déjà à trembler ; dans peu de temps j’allais tout casser. Mes yeux se voilèrent de larmes et pour tenter de me calmer je concentrais mon attention sur une poubelle se trouvant là devant la devanture d’un snack à l’abandon. L’idée lui a certainement effleurée l’esprit ; il ne lâche jamais sa prise. Il n’est pas du genre à vous laisser repartir sans se priver de foutre la pagaille dans votre tête. « Si tu vends encore de l’herbe, je te jure que je le ferais. File-moi ton portefeuille. —Non ! Je vais être à la bourre à ce putain de bahut ! —Ton portefeuille ! Sois tu coopères, soit tu risques de manquer ta journée de cours Tyler ! » Je le lui jetai à pleine tronche. Il se rendit compte qu’il était vide. Pas de larcin, pas d’entourloupes, pas d’embrouilles avec ma nouvelle affaire d’assurances. Il pouvait constater par lui-même que j’étais réglo. Il

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me le rendit, soutenant son geste au dernier moment pour ‘m’obliger à le regarder. Je le lui arrachais pour sortir de la voiture à grande vitesse. Il n’a pas cherché à m’interrompre. En courant j’atteignis le bahut. La tonitruante sonnerie retentit dans cet établissement aux airs de pénitencier. Des nègres se tenaient devant la grille, les mains enfoncées dans leur sweat à capuches. Ceux là étaient tendres, ils étaient seulement là pour du racolage, du proxénétisme et de la revente d’appareils divers qu’ils entassaient dans leurs larges poches. L’un d’eux me héla mais je traçais ma route pour me fondre dans la masse des retardataires. Fouille corporelle, détecteur de métaux et chiens renifleurs….l’amical cordon d’accueil. Cela coutait une blinde à l’Etat mais le gouverneur s’en fichait mettant un point d’honneur à la sécurité dans les établissements publics de sa juridiction. Après le cordon, on écoutait de la musique, celle des mauvaises graines de Jefferson. Des petites frappes qui jouaient les gros durs. Pas le temps de discuter avec eux, mes concurrents les plus redoutés car ils s’en prennent à tout le monde tat que vous êtes inscrits à ce bahut. Je partis m’enfermer dans les WC pour me débarrasser de mes vêtements de la veille et passer ceux du jour que Shelby me livrait dans les chiottes directement afin de ne pas éveiller les soupçons quant à mon état actuel de sans-abri. Shelby et moi partagions le même foyer. C’était une négresse qui me demandait 10 dollars pour service rendu ; elle recèle tout, c’est son truc et je sais qu’elle me fait les poches une fois que j’ai le dos tourné.

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Les autres n’étaient pas en classe. Il me fallut dix minutes pour les trouver. Ils étaient tous dans la salle 20B. Enfin, seulement une dizaine parmi les têtes brulées de notre classe, ceux qui avaient lamentablement échoués dans leur dernière évaluation du trimestre. « Et voilà notre retardataire préférée ! Venez prendre place parmi nous Miss Graham ! Nous étions à parler de ponctualité à mes cours. La prochaine fois Tyler je ne vous admettrais pas à mon cours. C’est OK pour vous ? —Oui je vous reçois cinq sur cinq. Seulement ma route a croisé celle d’un inspecteur, un fonctionnaire de la brigade des stups. J’ai du m’en débarrasser en lui faisant une pipe à l’arrière de sa voiture ! —Ah, ah ! Elle est cool sista ! Lança William, un nègre portant un cap sur la tête. On checka et on s’embrassa comme on le ferait dans la rue, les autres se levèrent pour faire de même, y allant de leurs commentaires sur les blancs persuadés de leur succès auprès des nègres de ce pays. Cela allait tourner à un débat très animé sur les conflits raciaux quand le prof mit un terme à notre délire politique. « Elle déchire notre p’tite Tyler-G, C’est G comme Génialissime, rappliqua Aaron brossant un tableau flatteur de ma personne. Le prof ne l’entend pas de cette oreille, il ne supporte pas voir son cours parasité par de telles interventions stériles. Il m’a déjà mise en garde contre mon comportement ; depuis deux ans il surveille mes résultats et paie de sa personne pour que je reste à flots quand rien ne m’encourage à rester à Jefferson. Même si j’obtiens de bon résultat au cours de cette année, je ne pourrais jamais

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intégrer l’université. Trop pauvre, pas de représentants légaux pour subvenir à mes besoins et je suis encombrée d’un passé assez foireux. Prof est derrière chacun de nous et derrière ses airs de gardien de prison il a un cœur énorme qui bat pour tous et chacun. Souvent je me mets à fantasmer sur lui. Je me vois être dans une banlieue huppée à écouter Maria Callas dans une superbe cuisine équipée ; j’aurais des mômes et un adorable golden retriever ; une grosse voiture de marque allemande et…la réalité me ramène bien vite à la réalité ; je n’aurais jamais rien de tout cela, même en y croyant très fort. Et puis prof est en couple. Elle est passée l’autre jour à Jefferson, elle travaille pour le tribunal comme juriste. Elle n’est vraiment pas laide et elle doit en avoir dans la caboche. Prof aime nous disposer en cercle de rond ; genre la rencontre des Alcooliques Anonymes et cela ressert les liens. Il parait fatigué Prof, c’est à peine s’il nous perçoit, perdu dans ses pensées. Il opine du chef sans oser interrompre Dina, Sharon, William, Aaron et les autres ; son regard vint à croiser le mien. « Miss Graham peut-on vous entendre sur ce sujet ? —Quel sujet ? —Vos camarades de classe pensent que le gouvernement produit des cancres, propres résultats de son incompétence à tenir un programme efficace dans l’enseignement secondaire ! Quelle est votre opinion là-dessus ? —Et bien…je n’en sais rien. Ce n’est pas moi qui suis à votre place ! » Les autres éclatèrent de rire autour de moi. Vitre reprit par le Chuuut des autres. Cela

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se passe comme ça à Jefferson, il suffit de se faire connaitre par les autorités locales pour passer pour la vedette du bahut. Je suis intouchable, non pas que je fasse partie d’un gang mais bien parce que je n’en fais partie d’aucun. Les filles comme moi ont les évitent et je sais que je pourrais mal tourner si un proxénète décidait de me mettre sur le trottoir. Tant que je suis au foyer, je peux dormir sur mes deux oreilles. Le foyer c’est l’idée de Gale. Les places y sont chères et il a usé de son influence pour me dégoter une chambre à l’année. Cela me permet d’économiser le prix d’une chambre d’étudiant, d’une nuit à l’hôtel ou bien au motel ou d’un loyer fort onéreux au centre-ville. Il fait tout cela pour se donner bonne conscience, sachant qu’il espère une place au paradis le moment venu. Je sortis de Jefferson après cinq heures.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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