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L’OR DES ÉBLOUIS Chemin de Twin Peaks
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
L’OR DES ÉBLOUIS
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Twin Peaks c’est un ilot de paix érigé sur les marais ascendant le Pontchartrain et on y accédait par voie terrestre après avoir accepté pendant des années de le franchir sur le dos des nègres. Ils ont depuis asséchés les marais pour éviter les inondations, les moustiques et la malaria. De grands frênes, ormes et chênes bordent la route et les branches fines et légères comme des plumes d’un immense oiseau s’agitant sur le vent. On aimait tirer dessus pour les arracher et s’en faire des colliers pour nous autres elfes sylvestres. Un endroit ombragé desservant ce coin de paradis qu’est Twin Peaks ; et ensuite on franchit un pont nommé l’avant-garde de notre bastion car surélevé permettant une première approche de la plantation. D’ici l’on voit en perspective le domaine avec la maison du maître et les cases des domestiques. Je dois m’appeler à les appeler ainsi puisqu’ayant tous été affranchis en 1798. Avec Isobel, Margareth, Charles et Etson nous aimions nous y rendre souvent nu-pieds et s’inventer des personnages loin de ce monde complexe qui échappait à nos yeux ignorants et émerveillés par de si petites choses comme ce coléoptère aux élytres moirés, ces racines plongeant loin sous
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terres et que nous cherchions à extraire du sol, la course du soleil dans le ciel, l’altération des saisons transformant la nature autour de nous ; Twin Peaks offrait tant à notre curiosité. Après le pont il fallait poursuivre le chemin en courant si possible pour prendre une grande goulée d’oxygène ; remonter par l’herbe haute ou poursuivre au sec sur le sentier dressé par les domestiques de Twin Peaks. « Prenez garde à vous Miss Eugenia, le sol n’est pas stable où vous marchez ! » Disait Balthazar le grand noir tirant les mules vers le domaine. Ni Beth, ni Maggie, ni Charly ou autres frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs, cousins et cousines ne l’écoutions. Nous avions tant à faire là-bas dans ces grands champs de tabac, d’indigo et de coton. La maison se dressait au milieu des grands arbres avec ses colonnes, son perron à double révolution et ses trois étages. On aurait pu croire que toute la Nouvelle Orléans gravitait ici ; Twin Peaks n’était jamais déserte et parfois trois carrioles attendaient dans la cour gardées par des esclaves aussi noirs que la suie portant des chapeaux de paille, attendant les ordres d’un supérieur. Toujours de la vie à Twin Peaks, des rires, des discussions passionnées dans le salon et nous autres au piano-forte.
Ma mère Pauline Graham ne cessait jamais, toujours suivie par La Douce, Cléopâtre, La Galante, Trésor et Octave, son armée féodale dressée pour obéir. « La maitresse a dit de déplacer le tapis, alors il
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faut déplacer le tapis ! » Disait César sous l’indifférence placide de Joyeuse qui se moquait bien des ordres de ma mère. Pauline Deville que nous appellerons plus succinctement Mrs Polly pour la différencier de Mrs Graham, la doyenne de cette plantation et mère bien-aimée de mon beau-père. Mrs Polly, dit Mrs Deville par les autres l’ayant connue sous ce nom ne cessait donc jamais, toujours suivie par ses domestiques et ses chiens français et on peut dire qu’elle est d’une beauté solaire, elle illumine littéralement avec ses grandes boucles blondes et son regard brillant de milles feux, que dire de sa bouche aux dents parfaites, sa peau laiteuse parfumée à l’eau de rose ; je l’imaginais comme Marie-Antoinette à la cour de Versailles au milieu de ses sujets. Beth et moi portions ses vêtements pour jouer à l’imiter avec ses belles manières, son bel esprit et ses mots savants et compliqués employés si souvent au cours des diners mondains offerts à Twin Peaks. Mrs Polly me donna le jour pendant le printemps, une longue journée difficile puisque la délivrance se fit au prix de longues heures de lutte. Naturellement elle me trouva jolie et eut pour moi plus d’affection qu’elle eut pour ses autres filles et elle ne me passait rien, disant que je devais me montrer plus brillante que les autres et Mrs Polly attendait de moi un meilleur accomplissement. « Laissez Miss Isobel en paix, Félicité et demandez plutôt à Miss Eugenia de le faire ! Elle en a plus l’aptitude, voyons ! » Et alors on m’arrachait à mes jeux pour aider la gouvernante, l’intendante ou le régisseur. J’aimais la vie à Twin Peaks. L’odeur de l’herbe fraichement coupée et celle des
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fleurs embaumant les cieux. Alors naturellement y revenir me combla de joie. J’allais enfin revoir le lieu de mon enfance. Difficile de ne pas être plus heureuse que je le fus à cet instant et le capitaine Martin ne pouvait comprendre ce que je ressentis à cet instant, pas même qu’il ne comprit les hurlements de mes frères et sœurs quittant le perron pour venir me saluer. Il y eut des larmes. Un moment intense que l’on ne vivait qu’une fois dans sa vie. Mes frères avaient changés, des hommes à présent, Charles du haut de ses 19 ans fut méconnaissable, grand aux belles boucles blondes serrées dans un catogan et Edward ! Que penser de cet autre frère beau et irradiant, la copie conforme de Mr Graham avec sa fossette d’ange et son regard bleu strié de vert ! Ma petite Charlotte du haut de ses quinze ans sortait tout juste de l’enfance dont elle gardait encore les joues rondes et l’expression boudeuse ; un semblant de poitrine apportait un peu de relief à sa gorge ; puis arriva les derniers qui s’accrochèrent à ma robe : Williams, Pierre et Alexander accompagnés par les enfants des femmes libres de la plantation. Les domestiques arrivèrent derrière eux et tous me saluèrent sans faire plus de cérémonie, le maître d’hôtel, un beau quarteron au costume impeccable me salua profondément. Mrs Polly savait toujours s’entourer de belles personnes et quand elle me vit, un franc sourire apparut sur ses lèvres mais destiné au capitaine Martin. « Merci d’avoir ramené ma fille à bon port, capitaine !Nous vous attendions plus tôt et ma fille Isobel est actuellement à la Nouvelle Orléans où elle comptait vous y
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trouver ! Mais entrez donc…Eugenia je suppose que vous avez fait bon voyage, alors nous allons vous laisser vous reposer…les garçons ! Laissons donc votre sœur immerger ! » J’ai toujours trouvé ma mère jolie et rayonnante ; elle a un je-ne-sais-quoi qui la rend unique et fraîche comme à ses premières années de vie. La taille mince et l’absence de poitrine lui conférait des allures de nymphe et excepté son nom qu’elle jugeait trop long, elle savait qu’elle plaisait, naturellement sans avoir à se forcer et toutes les femmes lui enviaient sa beauté naturelle. On m’escorta jusqu’à ma chambre et les petits se jetèrent sur mon lit pour y chahuter. Les domestiques montèrent mes malles dont une marocaine pleine de cadeaux pour les uns et les autres : des fichus, de la dentelle pour les filles ; des sucreries et des jouets en bois pour les petits ; des flutes et gilets de brocards ; assez de présents pour ma grande famille. « Parles-nous de la Nouvelle-Orléans ! Comment est-ce là-bas ? Questionna Charlotte en tenant dans ses bras Emy une petite mulâtre de quatre ans. Maman dit que tu as été reçue dans les meilleures familles et que Tante Julia aurait voulu te garder plus longtemps près de toi. —Arrêtes avec ça Lotte, tu sais très bien ce que mère a dit à ce sujet !Coupa Charles tournant les pages de l’’encyclopédie que je venais de lui offrir. Parlons-nous plutôt du capitaine martin ! On dit qu’il est immensément riche, plus riche que nos deux familles réunies et estce vrai qu’il veut épouser Beth ? —Aussi vrai que deux et deux font quatre ! Il a fait sa connaissance chez
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l’oncle Graham et on peut parler d’un coup de foudre. Je n’étais pas sur place quand cela se produisit mais tout le monde en a parlé pendant des semaines et des semaines à la Nouvelle Orléans et tante Julia dit qu’un tel homme apportera grandeur et prospérité à la racine DevilleGraham ». Je rejoignis Charles sur le lit à baldaquin et ébouriffa les cheveux de mon Edward plongé dans le livre de Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver et il ne broncha pas, indifférent à mes marques d’affection. « Et toi ? Toujours pas de soupirants ? Pas de prince charmant ? Je doute que tante Julia ne t’ait gardé que pour elle, murmura ce dernier en m’attrapant par le cou pour m’attirer à lui et prisonnière de son étreinte, je tentais de m’en extirper. Ah, ah ! On dirait que tu as perdu un peu de ta force. Tu as considérablement ramollie. On t’aurait trop gavée de bonnes choses ! Tu es devenue oisive et grasse comme une belle oie ma parole ! » Il passa sa jambe par-dessus mon corps pour m’empêcher de bouger et accidentellement sa main effleura mon sein. Il s’arrêta de lui-même et honteux revint bien vite à son encyclopédie comprenant que certains jeux nous seraient interdits. « Merci pour le livre…je vais descendre et rencontrer ce capitaine Martin. Tu devrais peut-être descendre avec moi Eddie et laissez les filles papoter entre elles ! » Mr Graham ne rentrerait que demain avec le colonel Burton et son aide de camp, un dénommé Smith ; il fallait s’attendre à voir débarquer tout le
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voisinage en plus de ma sœur, des tantes et des oncles de la Nouvelle Orléans rendus curieux par la présence du capitaine Martin à Twin Peaks. Tous voulaient savoir et surtout obtenir l’exclusivité de ces possibles fiançailles. Du capitaine Martin je ne savais rien ; seulement le fait qu’il était ami du colonel Harrington et ce dernier de notre oncle Anglus de la branche des Graham ; ils se retrouvaient souvent ensemble pour parler politique et prix du coton, l’indigo, le tabac et prendre le cours de ces marchandises. En fait Martin proposa gentiment de m’accompagner à Twin Peaks, probablement pour saluer Mrs Pauline Deville et ainsi s’assurer que ma sœur ainée serait libre de lui appartenir. Il disposait d’un phaéton et de magnifiques alezans rapides comme la foudre. Nous fîmes donc la route en seulement deux heures ayant pris soin d’envoyer mes malles la veille par chariot. Il est vrai que nous avons discuté tout au long du chemin écouté par son valet français, Henri avec qui j’avais sympathisé. Mais notre conservation se résuma à des sujets sans grandes importances, rien de bien personnel ; il n’avait pas l’intention de se montrer familier avec moi et je saluais sa réserve. Grand-mère Charlotte Graham roupillait dans son fauteuil, ronflant et grinçant des dents. De loin elle préférait s’établir à Twin Peaks plutôt qu’à la Nouvelle Orléans et quand elle ne dormait pas, elle restait plutôt d’agréable compagnie. « Elle vient tout juste de s’assoupir, par conséquent vous venez de la manquer, déclara ce parasite de Collins, le petit
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neveu de grand-mère Graham qui ne la lâchait pas d’une semelle à la demande de sa mère, la sœur tant aimée, Catherine Collins née Devoret. Mr Graham le tolérait sous son toit seulement parce qu’il était complaisant envers sa mère et uniquement pour cette raison ; grand-mère Charlotte le réclamait pour sa lecture et ses promenades et lui jouait les gardesmalades à la perfection. « Comment fut votre long séjour à la Nouvelle Orléans ? Avez-vous su les distraire avec vos textes plein d’entrain ? Votre poésie et…votre agréable personne ? —Je suppose oui ». On resta un moment à s’observer silencieusement. Il lui arrivait de se taire pendant de longues minutes avant d’enchaîner sur autre chose ; des moments d’absence qui nous faisaient nous gausser Lotte et moi et derrière notre main nous essayons de paraître sérieuse. Il attrapa un bibelot sur le guéridon et s’y concentra un instant. « C’est…c’est bien que vous soyez revenue. Votre sœur Isobel vous enviait beaucoup bien que toute la société de la Nouvelle Orléans se soit rendue ici au cours de ces derniers mois. Ils sont venus nombreux pour la consoler de votre absence…vous lui avez beaucoup manqué ». Je le trouvai presque beau caressé par les derniers rayons traversant les voilages ; grand et bien bâti il pouvait plaire si l’acceptait de se montrer moins froid envers la gente féminine. Peu engageant il ne parlait pas, se contentant de fixer son auditoire certain que sa retenue suffirait à attirer la sympathie des inconnues à la recherche d’un modèle de vertu sur
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laquelle s’appuyer. Il avait des pommettes hautes et un petit nez carré, des yeux éteints enfoncés dans leur orbite et ce vieux garçon se trouvait être loquace en présence de mes frères, mais se taisait invariablement en notre présence. « Avez-vous fait bon voyage, Miss… Eugenia ? » Et j’éclatai de rire devant la profusion de ses paroles ; si Beth s’était retrouvée ici elle n’aurait pas manqué de faire un commentaire sur la langue prolifique de Mr Collins. « Oui merci de vous en inquiéter ». Il y eut des cris de joie et une folle cavalcade dans les pièces à côté et la tête de Charles apparut dans l’encorbellement de la porte. « On annonce la voiture de tante Julia ! On va aller à son devant, Ed et moi ! Vienstu ? » Ce fut là une excellente idée et je suivis mon aîné dans ce dédale de pièces. Quand ma mère et son maître d’hôtel sortirent au même instant de la grande salle à manger. « Oh Eugenia ! Nous recevons du monde ce soir et vous êtes encore en tenue de cheval ! Cette enfant va me faire tourner la tête ! August, soyez gentil de lui envoyer Gretchen, la petite camériste de Raleigh et je ne veux pas que tout cela fut vain. Ma sœur Julia ne le comprendrait pas. Montez immédiatement vous changer ! —C’est qu’elle m’accompagne mère ! Nous partons de ce pas en promenade mais ne vous en vexez pas, Eugenia prendra bien vite le chemin de sa chambre de notre retour d’expédition, argua Charles en déposant un rapide baiser sur la joue de cette dernière qui en sourit. Et en amazone derrière Charles, je m’accrochai à lui, le tricorne enfoncé sur
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la tête et gantée bien évidemment ; on partit au trot sur Sun of day, une superbe alezane, rêvant de prendre le large et qu’on ne pouvait monter qu’en lâchant les rênes. On chevaucha, laissant Twin Peaks derrière nous jusqu’à apercevoir les voitures au bout de la route. Dans la première, les Howard et Campbell ; dans la seconde ma sœur et tante Julia avec les colonels Harrington et Burton et dans la troisième les Becket et les Hamilton. Ma sœur rayonnait telle une reine en promenade ; exit la jeune adolescente que j’avais quittée ; cette apparition me fut différente car disposée à séduire et à ensorceler les hommes. On ne lui voyait que ses grands yeux en amande et sa bouche ronde et mutine ; son teint légèrement hâlé contrastait avec le mien plus laiteux et légèrement cendré ; de belles boucles blondes aux reflets roux apportèrent davantage de lumière. Et quelle gorge ? Isobel était une insulte à la beauté des autres femmes et elle n’avait jamais manqué d’assurance, ce qui la rendait plus insolente encore. « Ma sœur adorée, la belle Artémis ! N’est-elle pas exactement comme je vous l’avez décrit, Colonel ? » Et le colonel de me dévisager de la tête à la taille, les lèvres pincées peu convaincu par les propos de ma sœur. Je m’en moquais éperdument trop heureuse de revoir mon Isobel et je ne laissai pas au colonel la possibilité de répondre. « Tu aurais trop pressé de me voir que tu as osé quitter Twin Peaks pour me saluer à Twin Peaks ? Ton opiniâtreté a joué en ta défaveur ma chérie ! Déclarai-je en serrant sa main dans la mienne. On
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vous ouvre le chemin si vous le voulez bien ! » Une fois au perron, on se serra longtemps dans les bras faisant fi des convenances. Tendrement on se caressa le visage en s’embrassant sur les joues, puis elle tomba des nues en voyant le capitaine Martin. « Capitaine ! Vous nous faites l’un un immense honneur que celui de vous avoir à Twin Peaks et nous espérons que votre séjour se passera pour le mieux ! » Toutes deux partîmes de notre côté suivies par les domestiques et des enfants et assise devant sa coiffeuse, je ne parvins à détacher mon regard de cette Vénus si désirable, lumineuse et si royale qu’on eut envie de se prosterner à ses pieds, de la chérir et de la protéger. « Alors comment trouves-tu ce Martin ? N’est-il pas bel homme et viril, sourit-elle et ce sourire me fit fondre. Comment faisait-elle pour exploiter chacun de ses atouts ? Ce grognon de colonel Harrington le porte en haute estime et ne mâches pas ses mots à son égard. Et toi ? Dis-moi franchement ce que tu penses de lui. Pourra-t-il faire un bon époux ? —Pourquoi me poses-tu la question quand je sais que tu es folle de lui ? Répondis-je allongée sur le côté, la tête soutenue par mon bras. Sinon pourquoi quitter Twin peaks si prestement si ce n’est pour te faire désirer de lui ? Tu joues les prédatrices et…j’ai vu son regard quand tu es descendue de voiture. Je suis contente pour toi Beth chérie, tu n’aurais jamais espéré mieux que ce riche propriétaire foncier, grand humaniste et abolitionniste. Je viendrais te voir en Caroline du sud et
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on prendra le thé en se souvenant avoir eu cette conversation ». Alors elle quitta sa coiffeuse pour s’allonger près de moi, dans la même position et son regard me dévisagea attentivement. « Et toi, où iras-tu ? Accepteras-tu d’épouser le colonel Harris ? —Ah non ! Que Dieu m’en préserve ! Il m’est complètement antipathique et les rares fois où je l’ai vu chez tante Julia il m’a superbement ignorée. Tu ne le sais peut-être pas mais…il ne veut pas entendre parler de moi et à chacune de nos fortuites rencontres il va jusqu'à feindre de me connaître. Que dois-je en conclure ? —hum…moi je crois qu’il t’apprécie mais ne veut pas l’exprimer tant qu’il n’est pas certain de tes sentiments à son égard. Il craint que tu l’éconduises, cela affecterait l’estime qu’il éprouve pour sa personne. Essayes de te montrer moins regardante et causes-lui un peu…de botanique par exemple. Il s’intéresse à la botanique tu sais ! —Ah ! Qui te fait croire que je m’intéresse à cet homme ? Je crois vouloir rester à Twin Peaks quelques années encore ». Devant la cheminée je jouais avec Ashley et Scarlett, les petites octavannes de la Douce et on s’amusait toutes les trois avec les poupées en leur donnant à manger et en les berçant ; je leur montrais comme faire afin qu’elles furent toutes deux de bonnes mères. « Vous pourriez prendre ceci comme couverture supplémentaire si vous craignez qu’elles ne s’enrhument (il me tendit un mouchoir propre brodé de ses initiales) Je peux ? (il emmaillota la plus
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petite des poupées qu’il tendit ensuite à Ashley) C’est une bien maigre contribution, mais…il serait dommage que les bébés ne prennent froids. —Merci capitaine et Ashley tout comme sa sœur Scarlett vous remercie toutes deux de votre si charmante attention, n’est-ce pas les filles ? (toutes deux acquiescèrent ravie du mouchoir du capitaine)Comment trouvez-vous Twin Peaks, monsieur ? Y êtes-vous à votre aise ? —Assurément. Tout semble prendre une autre dimension ; le temps se suspend et le bonheur vous saisit. Je n’aurai pu concevoir pareil paradis sur cette terre que ce remarquable domaine où chacun y trouve sa place. Je comprends que vous éprouviez des difficultés à le quitter. —Oui mon père nous a appris à aimer cette terre et ma mère a beaucoup contribué à rendre ce domaine plus attractif encore en y apportant cette touche française. Continuez sans moi les filles (je me levai pour me servir un verre d’eau à la carafe de cristal et je lui en tendis un). Ne mourrez surtout pas de soif, on aurait tendance à surestimer notre soif quand l’humidité règne sur ces terres. Le climat ici est quelque peu différent de la caroline du sud n’est-ce pas ? » Il ne répondit pas, les yeux rivés sur les arabesques du verre. Je m’assis à la petite table ronde et caressa ma nuque moite ; parfois les températures remontaient en fin de journée et les soirées demeuraient chaudes et chargés d’insectes gros comme des poings qui nous obligeaient à fermer les fenêtres et les portes. Mon doigt caressa les reliefs de la table de merisier saluant les compétences
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de l’ébéniste capable de façonner de tels meubles. Il leva les yeux et nos regards se croisèrent. Je sais à quoi il pensait à cet instant : ma sœur aurait pu se trouver à ma place et alors il se serait assis en face d’elle pour bavarder de Twin Peaks et de sa Caroline natale ; à la place de cela je tentais de meubler la conversation. Pour cela il aurait fallu que je trouve quelque chose d’intéressant à lui raconter mais rien ne vint ; je manquais d’aisance et j’enviais le talent oratoire de ma Beth. « Votre frère Charles dit que vous êtes bonne cavalière. —Oh vraiment ? Et bien…pas autant que Beth. Elle ne fatigue jamais et monte à crue. Une véritable amazone ! —Et vous écrivez ? » La surprise fut telle que j’en restais sans voix. Ashley vint m’apporter l’une de ses poupées à habiller d’une robe à panier. « Qu’est-ce que vous écrivez ? » L’émotion me submergea aussitôt et en tremblant je tentais de vêtir la poupée sans paraître plus émue que cela. « Oh trois fois rien. Je m’essaye à tout genre. Mon père n’apprécie guère cet exercice…ma mère quant à elle prête une oreille attentive à…à ma plume ». En fait je me sentais ridicule car excepté ma famille, personne ne savait que je m’adonnai à ce passe-temps. Oui j’éprouvai un peu de honte et cela fut pire que révéler ne pas croire en Dieu. Je tendis la poupée à Ashley, la gorge nouée car trahie par mon frère. Je sais qu’il ne pensait pas à mal en révélant cela au capitaine mais je me sentis coupable de trahir le bon sens moral et le fait que le capitaine puisse l’utiliser contre moi me terrifiait. Il pensera qu’Isobel ne vaut pas
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mieux que moi et je ne pouvais nuire à son bonheur à venir. « Il me plairait de vous lire. Si toutefois vous acceptez que je le fasse. Je le ferai sans apporter la moindre critique et vous n’aurez pas à rougir de ma lecture. Je n’ai pas pour inspiration à vous fustiger et… —Je l’entends bien mais…Je m’y refuse. C’est encore si hésitant. —Je le conçois tout à fait et c’est la raison pour laquelle je n’insisterai pas. Par ailleurs, veuillez excuser mon impolitesse, je ne pensais pas à mal en vous parlant de votre amour pour la plume. —Je ne dis pas qu’un jour vous ne pourrez pas me lire car qui mieux qu’Isobel peut promouvoir une œuvre ? Comme tout amateur d’art elle a toujours son mot à dire et un sens inouï de la critique, ce qui fait d’elle un mécène horspair ! » Et Charles apparut dans la porte. « Ah, te voilà donc ! Je te cherchais du côté de la cuisine. Ma sœur ne vous excède pas je l’espère capitaine ! Elle est du genre un peu…protestataire ». Alors je lui ébouriffai les cheveux, sachant qu’il avait une sainte horreur qu’on s’occupa ainsi de sa toison capillaire. Il est vrai que je m’étais rendue en cuisine pour saluer Ilona, Gabriella, Betty et Amon, les cuisiniers de Twin Peaks et leur apporter leurs cadeaux de la Nouvelle Orléans. « Oh, la Miss Eugenia nous a gâtés ! On pourrait croire que c’est Noël avant l’heure, déclara Josepha en étudiant le peigne avec attention. C’est un bien joli cadeau ! » Et Cassiopée m’embrassa sur les deux joues. Cassiopée dite Cassy m’a allaitée et j’ai pour elle plus d’affection
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que je n’aurai pour aucune femme de la plantation ; teint de craie, de longs cheveux roux et des yeux noisette plein d’amour pour les enfants de Mrs Polly comme ceux des ses propres sœurs et frères. Leur mère Blanche a toujours servi ma mère, du temps où Charles Deville régnait en maître absolu sur sa plantation. Dans ses bras je reste la petite fille qu’elle dorlota, consola et apaisa quand il fallut le faire.sur la pointe des pieds elle baisa mon front et me sourit d’une oreille à l’autre. « Vous nous avez manqué Miss Eugenia, vraiment ! » Je l’aidai à nouer autour de son cou le collier jalousement gardé dans mon maroquiner préféré. CHAPITRE Puisqu’il convient de le dire mon nom est Eugenia Deville-Graham, fille de Pauline Deville à la Nouvelle Orléans. Son père, Charles Deville quitta la France comme le sien avant lui pour s’installer en Louisiane non pas pour le climat inconfortable et dur que l’on y trouve làbas puisqu’infecté par les moustiques mais pour les terres dites fertiles qu’on devait y trouver. Par conséquent il y a toujours eu des esclaves au domaine Twin Peaks, on comptait plus de 120 esclaves en 1678 pour 230 en 1778 et ce nombre va toujours croissant si l’on juge l’activité florissante de la plantation. Ma mère épousa Edmond Graham il se disait anglais né dans le Devonshire et quand nous lui demandions où se trouvait le Devonshire, il nous le montrait sur une vieille cartographie une grande ile au-delà de l’océan atlantique.
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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